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12.10.2025 à 20:59

Maksym Boutkevytch : « En captivité, je pensais à la violence, à la mort, à l’amour et à la liberté »

Volodymyr Yermolenko

Ce défenseur des droits humains a passé plus de deux ans dans les geôles russes : un dialogue philosophique.

<p>Cet article Maksym Boutkevytch : « En captivité, je pensais à la violence, à la mort, à l’amour et à la liberté » a été publié par desk russie.</p>

Texte intégral (5559 mots)

En juin 2022, Maksym Boutkevytch, journaliste et militant des droits de l’Homme, qui a rejoint l’armée dès le début des hostilités, a été fait prisonnier de guerre par la Russie et accusé d’avoir commis un crime de guerre dans une affaire montée de toutes pièces. Condamné à 13 ans de prison, il a passé près de deux ans et demi derrière les barreaux dans les territoires ukrainiens occupés par la Russie avant d’être libéré dans le cadre d’un échange de prisonniers en octobre 2024. Le philosophe Volodymyr Yermolenko a enregistré une conversation avec lui où il est question de la vie et de la mort, de la liberté et de la peur, de l’espoir et du désespoir. Desk Russie vous propose la transcription traduite de l’ukrainien de ce dialogue.

Cela fait presque un an que vous avez été libéré. Vous avez passé deux ans en captivité russe dans les territoires occupés de l’Ukraine. À quel point ce souvenir est-il profond ? À quelle fréquence vous souvenez-vous de ces choses qui, j’imagine, ont été horribles ?

Parfois, je pense que j’ai déjà tourné la page, mais je me rends compte que ces souvenirs me reviennent souvent. Cela m’arrive assez fréquemment dans mes conversations, quand soudainement je fais des comparaisons avec mon expérience en prison ou en captivité. C’est donc encore très ancré en moi.

Revenons un peu en arrière. Je vous connais comme une personne aux idées très gauchistes et un défenseur des droits humains. Dès l’invasion à grande échelle, vous avez décidé de vous engager dans l’armée. Comment vous expliquez-vous cela ?

Avant l’invasion à grande échelle, certains me connaissaient comme défenseur des droits humains, d’autres comme journaliste, d’autres encore comme anarchiste. Un cercle très restreint connaissait mes relations avec la religion, savait que je suis chrétien, croyant, etc. Certaines personnes me connaissaient comme un progressiste attaché à la  protection et à la défense des minorités vulnérables, y compris les LGBTQI+. Et bien sûr, ces différentes images étaient souvent contradictoires dans la perception des gens.

Pour moi, elles étaient toutes étroitement liées. Et je me suis dit que j’avais besoin d’espace et de temps pour faire un travail mental, peut-être oserais-je dire intellectuel, afin de retracer ces interconnexions avec mes principes fondamentaux. J’avais besoin de temps et d’espace pour cela, sans être dérangé par les activités quotidiennes, qui sont toujours très prenantes.

Vers le troisième jour de ma détention dans la prison de Louhansk occupée, je me suis soudain dit : d’accord, tu voulais avoir de l’espace et du temps pour réfléchir à tes principes fondamentaux. Tu es ici. Tu n’es pas dérangé, sauf par les interrogatoires. Tu n’as pas de textes, tu n’as pas de stylo, tu n’as pas de papier, tu n’as rien. La seule chose que tu as, c’est la capacité de réfléchir.

Réfléchis à tes principes fondamentaux, à la façon dont ils se concrétisent. Je sais que, dans le milieu anarchiste par exemple, on se demandait comment je pouvais concilier des activités en faveur des droits humains avec une vision anarchiste du monde, et vice versa. Pour moi, c’était tout à fait naturel. Car même le concept le plus classique de violation des droits de l’Homme concerne le conflit entre l’État et l’individu. Il s’agit donc toujours de l’État. Les défenseurs des droits humains sont du côté de l’individu contre l’appareil étatique, qui est une forme de violence aliénante, ou du moins qui oblige les gens à faire ce qu’ils ne veulent pas faire.

Permettez-moi de vous poser une question sur le système carcéral russe. Dans quelle mesure la violence y joue-t-elle un rôle ? Êtes-vous d’accord avec certaines de mes idées, selon lesquelles toute la société russe actuelle, et peut-être aussi passée, est fondée sur l’idée de violence ? La violence, pour cette société, et peut-être pour toute tyrannie, est le moyen de montrer qui est le chef, qui détient le pouvoir. Ce n’est pas la persuasion qui mène à l’autorité. Ce ne sont pas les qualités. C’est la violence. Qui peut vous battre le plus. Et si vous êtes plus violent que les autres, alors vous prétendez au pouvoir ou le revendiquez. Êtes-vous d’accord avec cela ?

Oui, tout à fait.

L’appareil d’État russe utilise tous les moyens à sa disposition pour atteindre ses objectifs. Mais la violence est un élément structurel sous-jacent dans tous ces moyens. Vous savez, il y a plusieurs films russes qui étaient très populaires à l’époque. Lorsque j’ai été condamné pour des accusations fabriquées de toutes pièces et transféré dans la partie pénale de la prison, j’ai eu accès à la télévision. Et j’ai vu qu’il y avait plusieurs films qui étaient diffusés sur toutes les chaînes de télévision, à tour de rôle. 

Il s’agit principalement de films de Balabanov, un réalisateur russe, surtout de Brat (le frère), et Brat 2. Ce dernier est le plus important. Et il a pour devise que la force est la vérité. Car le protagoniste principal est en fait un sociopathe, qui sait mieux que quiconque comment tuer des gens. C’est ce qu’il fait tout au long du film, sans aucune pitié, pensant que cela prouve qu’il a raison. Le slogan tiré du film, « La force est dans la vérité : celui qui détient la vérité est le plus fort ! », a été peint sur des armements russes lorsque nous avons été capturés et transférés vers notre destination finale. En gros, c’est la croyance que si vous êtes fort, la force tient lieu de droit. Mais la force se manifeste de manière très physique.

Si je peux vous forcer à faire quelque chose et que vous ne pouvez pas résister, cela signifie que j’ai raison. Et si vous désobéissez, je peux vous détruire complètement. Pour moi, c’est là le motif sous-jacent de toute l’idéologie du monde russe, et l’élément structurel principal du fonctionnement de la machine russe.

Comment cela se manifestait-il concrètement pendant votre captivité ? Dans votre cas, les Russes ont utilisé une sorte de simulacre de loi. Ils ont encore des avocats qui ne vous voient pas, mais qui signent des papiers. Ils jouent donc à ce jeu de la loi. Or derrière tout ce jeu se cache en réalité cette violence.

Gardons à l’esprit que je faisais partie d’une minorité de prisonniers de guerre, qui ont été condamnés sur la base d’accusations fabriquées de toutes pièces. La grande majorité des prisonniers de guerre sont détenus sans aucune accusation pénale ni aucune condamnation.

Avant que la soi-disant affaire pénale ne soit lancée contre moi, nous vivions en tant que prisonniers de guerre dans une aile séparée de la prison de Louhansk. Nos geôliers avaient instauré là-bas une atmosphère de peur. Ils faisaient tout leur possible pour que nous ayons peur en permanence – peur des actes de violence imprévisibles de nos gardiens –, afin que nous obéissions à tous les ordres qui nous étaient donnés.

C’était une manipulation par la violence. Et c’est à ce moment-là que j’ai commencé, comme je l’ai mentionné précédemment, à réfléchir à mes principes fondamentaux. J’ai commencé par ces phénomènes auxquels j’étais confronté, à savoir la violence, la peur et la douleur, car c’était quelque chose qui imprégnait toute notre réalité.

Cela ne veut pas dire que c’était totalement arbitraire, non, mais on ne pouvait jamais prédire la réaction des gardiens à quoi que ce soit, à moins de suivre strictement les ordres, ce qui faisait de nous des jouets. On pouvait vous demander de chanter l’hymne russe. À l’époque, ce n’était pas encore le cas, car les territoires occupés de la région de Louhansk n’avaient pas encore été officiellement annexés par la Russie. Nous avons été contraints d’apprendre par cœur l’hymne de la soi-disant République populaire de Louhansk. Ou faire des pompes ou des abdos autant de fois qu’ils le souhaitaient, dans les conditions qu’ils imposaient. Et si vous n’obéissiez pas, vous étiez puni.

Plus tard, après ma libération, j’ai visité Hohenschönhausen, une prison de la Stasi, les services secrets est-allemands, à Berlin-Est. C’était intéressant de voir comment ils utilisaient, à partir des années 1960 ou 1970, la pression psychologique ou la manipulation. Ce à quoi nous étions confrontés était beaucoup moins sophistiqué et beaucoup plus brutal. C’était de la violence physique, de la douleur physique, et la peur qui en découlait.

Pour moi, tout cela menait en fait au concept de la mort, car la douleur est un signe que la mort approche. Parce que quelque chose ne va pas dans votre corps, vous vous rapprochez, vous avancez vers votre fin physique. Et la peur est l’anticipation de la douleur. Donc, en gros, toute l’atmosphère était une manipulation de la mort. Et cela m’a vraiment frappé. Plus tard, après qu’ils ont lancé ma procédure pénale, cela a commencé à devenir légèrement différent.

Au tout début de la procédure, tout était également basé sur la douleur et la peur. C’est ainsi qu’ils m’ont extorqué ce qu’ils appellent des aveux. Mais quand j’ai finalement été condamné comme criminel de guerre, pour des choses que je n’avais bien sûr jamais commises, j’ai été un peu surpris par l’absurdité de l’affaire.

Je n’avais pas consulté mon dossier au début, car je n’en avais pas le droit. J’ai dû signer des feuilles de papier dont ils avaient recouvert le texte d’une feuille blanche et m’ont simplement dit de signer là et là. J’ai donc été surpris par deux choses. La première était l’absurdité de l’essence même de cette soi-disant affaire pénale. Il était évident qu’ils se moquaient de la crédibilité des accusations portées contre les prisonniers de guerre ukrainiens.

La deuxième chose était leur minutie scrupuleuse en matière de procédure. Toutes les feuilles devaient être remplies et signées, tous les formulaires devaient être remplis, toutes les règles devaient être suivies à la lettre, bien sûr. Par exemple, lors de chaque interrogatoire, je devais être accompagné de mon avocat, de mon défenseur.

Dans tous les protocoles, il était indiqué que mon avocat était présent, et ils étaient signés par cet avocat, alors que je ne l’avais jamais vu de ma vie, pas même une seule fois. Je pense que toutes les personnes impliquées savaient très bien à quel point ces affaires étaient peu crédibles, mais elles se souciaient néanmoins de la procédure. Je me demande encore pourquoi.

Et si je vous disais que c’est parce que les Russes veulent imiter quelque chose ? Vous voulez la loi ? Voici la loi. Vous voulez la procédure ? Voici la procédure. Personne ne peut nous accuser. En réalité, nous suivons les règles, car nous pouvons tout imiter. Et donc, quand on peut tout imiter, quand on peut transformer l’anarchie en une apparence de loi, alors on peut transformer la paix en guerre, on peut transformer l’amour en haine ou la haine en amour. C’est peut-être la raison ?

C’est possible. Je me souviens que, quand j’étais jeune, cela a été une découverte à un moment donné, lorsque nous avons parlé des droits de l’Homme et de l’État de droit. Soudain, quelqu’un m’a dit : « Si vous considérez l’État de droit comme une chose formelle, comme le respect des procédures écrites, alors l’Allemagne nazie était un État de droit. » Bien sûr, les nazis ne respectaient aucun droit humain, mais avant de lancer l’Holocauste à grande échelle, ils ont dû tenir une conférence, qui portait davantage sur la manière de le présenter légalement que sur son aspect technique.

C’était probablement le cas ici. À un moment donné, pendant ma captivité, environ deux à trois semaines avant que le soi-disant tribunal me condamne, j’ai demandé à mon enquêteur s’il y aurait une audience, avec un juge, un procureur, un avocat de la défense, bref, toute la procédure. Il a répondu oui. Et j’ai demandé pourquoi. À quoi ça sert ? Personne dans le tribunal ne croirait à l’affaire elle-même. Pourquoi ne pas simplement imprimer le verdict, qui est, j’en suis sûr, déjà rédigé, le tamponner, et je pars pour la colonie et tout le monde fait semblant. Il m’a répondu non, parce qu’il y a une procédure.

Cela fait également référence au mot pravda, « vérité », mais qui signifie également « justice » en russe et en ukrainien. Donc, en gros, ils veulent montrer qu’ils ont tout fait po pravde, c’est-à-dire de manière honnête et juste. Mais revenons à cette idée de violence. J’ai un mot pour cela, la thanatocratie, le règne de la mort, par lequel j’entends en fait que vous invoquez la peur, mais pour produire la peur, le tortionnaire doit montrer que votre mort lui appartient. C’est lui qui décide quand vous mourrez. Si je veux vous tuer, je vous tuerai. Si je veux vous battre, je vous battrai. Si je ne veux pas vous battre, je ne vous battrai pas. Mais tout m’appartient. Vous n’avez aucune subjectivité. Vous n’êtes qu’un jouet. En fin de compte, cela explique toutes les idées tyranniques, du stalinisme au poutinisme : le tyran est propriétaire de votre mort. Et cela signifie qu’il est propriétaire de votre vie. Il peut faire ce qu’il veut de ses esclaves. 

C’est vrai. Et c’est exactement ce que l’on ressentait. Au début, nous avons demandé à plusieurs reprises à nos geôliers quelles étaient les règles. On nous a répondu : « Vous verrez bien. » Et nous avons vu, oui, mais nous l’avons appris à nos dépens. Cependant, il y avait certaines règles, car ils avaient aussi peur de leurs supérieurs. S’ils allaient trop loin, ils devaient rendre des comptes. Mais certaines personnes étaient exemptes de ces règles. Par exemple, les enquêteurs du Comité d’enquête de la Fédération de Russie.

Ils ont commencé avec moi par un interrogatoire musclé qui a duré plusieurs heures. Ils m’ont dit, littéralement, qu’ils pouvaient faire tout ce qu’ils voulaient, car personne n’avait accès à moi. Personne. Selon leurs dires, leurs supérieurs leur avaient donné carte blanche.

Voilà comment ils me parlaient. « Alors, quel âge avez-vous ? Oh, je pense que ça suffit. Vous savez quoi ? Sortons. Je vais vous donner une cigarette. Et ensuite, je vous abattrai, parce que vous m’ennuyez. »

Bien sûr, c’était du bluff à ce moment-là. Mais le message principal n’était pas du bluff. Ils pouvaient faire tout ce qu’ils voulaient. Ils avaient tous pouvoirs. Après avoir été capturés, nous avons été envoyés vers notre destination, la prison de Louhansk sous occupation. Nous avons passé la nuit dans un lieu tenu secret. Nous ne pouvions pas voir où nous étions.

Le commandant local, un officier russe, a essayé d’humilier les prisonniers de guerre, de les provoquer, en fait, pour susciter une réaction émotionnelle. Nous devions nous agenouiller devant lui lorsqu’il nous parlait.

Bien sûr, il portait une cagoule. Puis, le lendemain, ils ont enregistré des vidéos avec nous, affirmant que nous étions bien traités, que nous avions de la nourriture et de l’eau, et que nous n’étions pas battus, ce qui était vrai à ce moment-là. Lorsque ceux qui avaient enregistré ces vidéos sont partis, quelques heures plus tard, j’ai finalement été frappé pour la première fois par ce commandant, qui est entré dans la pièce où nous étions détenus.

Nous devions de nouveau nous agenouiller, les mains liées derrière le dos. Il a alors sorti son téléphone portable. Il a commencé à réciter un texte.

Il nous a dit que nous allions maintenant étudier l’histoire de l’Ukraine. Et il a commencé à réciter un texte qui, d’après ce que j’ai compris, était un texte de Poutine. Il a commencé à lire ce texte sur l’histoire de l’Ukraine et a forcé les prisonniers de guerre agenouillés devant lui à répéter plusieurs phrases, plusieurs paragraphes.

Et si quelqu’un faisait un lapsus ou une pause trop longue, ou quelque chose comme ça, je recevais un coup avec un bâton en bois sur l’épaule, parce que j’étais le seul officier de toute la compagnie, le commandant de la plupart de ces hommes. Et en très peu de temps, il est devenu évident qu’il y prenait plaisir, presque physiquement.

Comme il portait une cagoule, je ne pouvais voir que ses yeux, qui ont commencé à s’embuer. Et il s’est mis à marmonner quelque chose d’indistinct. Il prenait vraiment plaisir à frapper. J’en garde une cicatrice. Je plaisante parfois en disant que la version russe de l’histoire ukrainienne est écrite sur ma peau, ce qui est une belle métaphore, mais c’est une procédure assez douloureuse, je dois dire.

Le but évident de toute cette procédure n’était pas de nous rééduquer, mais de nous faire peur, de montrer sa supériorité, de montrer qu’il pouvait faire ce qu’il voulait à n’importe lequel d’entre nous. J’étais commandant, j’étais officier supérieur et il pouvait me battre sans raison, sans aucune conséquence.

Après avoir réfléchi à la violence, quelles ont été les étapes suivantes de votre réflexion ? Nous avons l’exemple remarquable d’Ihor Kozlovsky, qui parle aussi beaucoup de la captivité et de ses réflexions en prison. Nous avons d’autres histoires remarquables, comme celle de Myroslav Marynovytch et de nos grands dissidents et intellectuels européens, comme Gramsci, qui a écrit ses meilleurs textes en prison. Qu’est-ce que cela représentait pour vous ?

C’était l’un des principaux moyens de me maintenir, de rester moi-même. Je n’avais pas prévu de le faire, mais j’ai ensuite réalisé à quel point c’était important pour mon bien-être intérieur. Cela a créé un certain espace, mon espace, qui ne pouvait être envahi par les gardiens, par mes enquêteurs, qui se moquaient bien de ce que je pensais de la violence, de la mort, de l’amour ou de la liberté. Et j’ai réfléchi à ces choses aussi.

En captivité, vous n’avez aucun espace privé. La vie privée n’existe pas en tant que telle, en tant que notion. Le seul espace que vous pouvez contrôler dans une certaine mesure s’arrête essentiellement à la surface de votre peau. Et il est envahi de manière plus ou moins régulière.

Mais ensuite, vous créez cet espace mental que vous protégez, et c’est là que vous réalisez votre liberté, et c’est là que se trouve votre moi intérieur, votre essence, en gros. Et j’ai commencé à réfléchir aux concepts de violence, de douleur, de peur et de mort.

Cela m’a conduit à la notion d’action, à la capacité de faire des choix, à la liberté, en tant que quelque chose qui est intimement lié au concept même de notre humanité. Et à l’amour en tant qu’acceptation et affirmation ultimes de l’existence d’une autre personne, d’un autre être. C’est ce qui était fondamental pour moi. Et ils ne pouvaient rien y faire.

Cela me rappelle, si vous vous souvenez, chez Romain Gary, cet exemple où il est emprisonné et où il imagine qu’il se trouve dans une grande prairie avec des éléphants, et comment, dans une toute petite cellule, il imagine qu’il voit le ciel et l’espace. C’était en quelque sorte une superposition à la violence à son égard.

Exactement. Si vous voulez être vous-même, conserver votre humanité, vous vous efforcez de voir les choses d’un autre point de vue, de devenir plus que ce que vous êtes. C’est très important. Plus tard, j’ai entendu parler d’anciens prisonniers de guerre qui avaient des parcours très différents, mais qui imaginaient aussi certaines situations plus ouvertes, ou très différentes, mais définitivement plus libres et non contraintes par ces murs.

Et c’est ce qui les a maintenus là-bas. Pour moi, il était également important de travailler avec des textes pour essayer de formuler mes pensées. Or, comme je l’ai mentionné, nous n’avions ni stylo ni papier, nous n’avions même pas de papier toilette.

J’ai donc essayé de composer des textes dans ma tête, comme des éditoriaux. L’une de mes plus grandes craintes était d’oublier les langues, d’oublier à un moment donné l’ukrainien, non pas de l’oublier réellement, mais il y a eu plusieurs mois pendant lesquels il n’y avait personne qui parlait ukrainien autour de moi. Et bien sûr, mon anglais, j’avais tellement peur d’oublier mon anglais.

J’ai donc composé des textes en anglais, je m’imaginais parler à un public anglophone qui me posait des questions sur la guerre et la captivité. Plus tard, après plus de deux ans, lorsque j’ai été libéré et que j’ai parlé à des publics anglophones, c’était comme un rêve devenu réalité, car c’est finalement ce qui s’est passé. J’ai également inventé des histoires, pour divertir mes codétenus, qui étaient également des prisonniers de guerre, mais aussi, je pense, par transgression.

J’ai inventé une série de nouvelles ou de romans courts dystopiques, qui formaient un cycle. Je me suis rendu compte que mes codétenus s’ennuyaient énormément. Je ne m’ennuyais jamais, j’avais toujours quelque chose à faire.

Je composais aussi des prières dans ma tête, je les récitais, j’essayais de les mémoriser. Mais à un moment donné, après une nuit presque blanche, parce que nous avions faim et que j’ai été piqué par des punaises, ce qui est très courant, j’ai commencé à composer cette histoire.

Un matin, j’ai dit à mes codétenus : « Écoutez, si vous voulez vous divertir, vous savez, c’est idiot, mais j’ai une histoire que je pourrais vous raconter. » Ils étaient intéressés, je la leur ai racontée, et ils m’ont posé deux questions. La première était : « Est-ce que tu vas bien ? » Et la deuxième était : « D’accord, et la suite ? Maintenant, tu vas devoir en composer une autre. »

À la fin de la journée, avant d’être transféré dans une autre cellule, j’avais écrit sept histoires, qui se déroulaient dans un futur dystopique très lointain, bien sûr très politiques et sarcastiques. Mais c’était une tentative pour sortir de notre situation et la regarder avec plus de recul. 

C’est incroyable. Nous attendons ces histoires avec impatience. J’espère que vous les écrirez et que vous les publierez.

Je l’espère. Je m’en souviens encore, en fait. Je comprends que mon sens de l’humour ne plaise pas à tout le monde, mais j’espère que certaines d’entre elles feront rire les gens.

Vous parlez de l’amour et de la façon dont il est possible de penser à l’amour dans ces circonstances. Je peux le formuler autrement : est-il possible de survivre sans penser à l’amour dans ces circonstances ?

Je pense qu’il est possible de survivre. Je ne suis pas sûr que cela vaille la peine de survivre si l’on rejette toute idée d’amour. Je fais ici écho à Viktor Frankl7, il n’est pas possible de survivre sans donner un sens à sa vie. Il faut avoir une compréhension personnelle que tout cela n’est pas vain, qu’il y a un sens à tout cela. Il faut également avoir l’assurance intérieure qu’il y a là-bas des gens qui pensent à vous, qui se souviennent de vous, qui parlent de vous, qui se battent pour vous. Si l’on était assuré qu’il y avait quelqu’un là-bas, cela donnait un sens, comme si l’on devait vivre assez longtemps pour être libre et pour voir ces personnes, les entendre et les remercier.

J’ai réalisé qu’être en captivité était plus difficile pour les détenus qui pensaient que nous étions oubliés. Or c’était un message qui nous était constamment asséné par nos gardiens et nos interrogateurs. Vous êtes oubliés, vous avez disparu.

Et la deuxième chose, c’est apparemment le sens de l’humour. Très sarcastique, très sec, très sombre parfois, mais c’est essentiel de l’avoir. Il est également important de ne pas céder aux aspects les plus sombres de la sous-culture carcérale, car après ma condamnation, j’ai été placé avec des criminels de droit commun.

Eux vivent dans le monde de la sous-culture carcérale, que j’ai dû apprendre très rapidement, dès que possible. Cependant, même dans ses aspects les plus sombres, elle est basée sur le partage, sur une notion de solidarité parfois tordue, mais néanmoins présente. Et si vous n’êtes pas complètement cynique, vous vous souciez des personnes qui vous entourent et elles, dans une certaine mesure au moins, se soucient de vous. En ce qui concerne plus particulièrement les prisonniers de guerre, les personnes les plus précieuses pour cette communauté, si je puis dire, étaient celles qui se souciaient des autres sans condition.

Pas parce que telle personne partage mes opinions politiques et pas parce que telle personne est, je ne sais pas, originaire de ma ville natale. Parfois, ce n’était même pas parce qu’il s’agissait d’un prisonnier de guerre, mais simplement parce que c’était un autre être humain dans le besoin. Et ce genre d’entraide en captivité était quelque chose qui donnait un sens à beaucoup de choses.

Je n’avais jamais réalisé auparavant tout ce que je devais aux autres. À quel point j’étais tributaire des autres pour pratiquement tout. Lorsque j’ai été libéré, l’une des premières choses auxquelles j’ai pensé, c’est que j’étais libre grâce à d’autres personnes. Ce sont elles qui m’ont permis d’être libre.

Donc pour moi, actuellement, la liberté n’est pas l’absence de quelqu’un ou de quelque chose, mais la présence de quelqu’un ou de quelque chose. Et par conséquent, les gens sont la seule chose qui ait du sens. Je pense également que la rencontre avec l’idéologie du monde russe, le Rousski Mir, a rationalisé certaines pensées dans ce sens, car dans cette idéologie, il est très clair que l’être humain n’est rien.

En revanche, l’État est tout. Cela se reflète même dans l’hymne russe, en fait, si l’on compare les deux hymnes, russe et ukrainien. Dans l’hymne russe, les êtres humains ne sont mentionnés qu’une seule fois en tant que tels.

Ce sont des lignes très intéressantes. Le texte dit : notre loyauté envers l’État nous donne de la force. C’est ainsi que cela a été, c’est ainsi que cela est, et c’est ainsi que cela sera pour toujours. Ce n’est donc pas parce que nous sommes loyaux envers l’État ou notre patrie que ceux-ci sont forts. Non. Nous sommes forts tant que nous sommes loyaux.

Et lorsque nous cessons d’être loyaux, nous sommes impuissants, nous ne sommes rien, nous sommes poussière. Et l’État restera. En parlant en termes religieux, j’ai soudainement réalisé que le deuxième commandement est l’un des plus importants à l’heure actuelle, l’interdiction de l’idolâtrie, car l’État est une création humaine, qui a soudainement décidé qu’il avait ses propres droits et qu’il avait besoin de sacrifices, y compris des sacrifices humains.

Mais il n’y a pas d’État, il n’y a pas de pays, il n’y a rien d’autre, en fait. Il y a des êtres humains qui, par leurs interactions, par leurs accords, par cet incroyable réseau entrelacé de leurs relations, multicolores, très intéressantes, créent des structures. En réalité, c’est nous qui sommes ici et nous devons prendre soin les uns des autres.

Et la forme ultime de l’attention est, bien sûr, l’amour, car c’est une acceptation et une affirmation inconditionnelles. C’est ainsi que j’en suis arrivé là.

Transcrit et traduit de l’ukrainien par Desk Russie 

Écouter l’original

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12.10.2025 à 20:59

L’Europe de l’Est n’existe pas

Arthur Kenigsberg

À l’heure de tous les dangers, l’auteur plaide pour changer la vision que les Européens de l’Ouest ont de leurs voisins orientaux.

<p>Cet article L’Europe de l’Est n’existe pas a été publié par desk russie.</p>

Texte intégral (3399 mots)

Tel est le titre de l’essai d’Arthur Kenigsberg (Éditions Eyrolles, 2025) dont nous publions l’introduction. À l’heure de tous les dangers, l’auteur plaide pour changer la vision que les Européens de l’Ouest ont de leurs voisins orientaux. Comprendre ces pays est nécessaire pour renforcer l’unité européenne et faire face aux chocs géopolitiques, militaires et technologiques qui s’annoncent. Notre avenir, affirme Kenigsberg, se joue entre la mer Baltique et la mer Noire.

De Stettin sur la Baltique à Trieste sur l’Adriatique,
un rideau de fer s’est abattu à travers le continent.

Winston Churchill, 5 mars 1946

Péninsule de Crimée, palais de Livadia, février 1945

Dans la majestueuse résidence d’été des tsars de Russie, au bord de la mer Noire, Joseph Staline, Franklin Roosevelt et Winston Churchill épiloguent sur la future architecture du continent européen et des territoires « libérés » du nazisme. Un mythe tenace enrobe les conclusions de cette Conférence de Yalta : les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) y auraient décidé et dessiné soigneusement les traits du nouveau partage de l’Europe. Alors que l’Allemagne nazie désormais envahie était sur le point de plier, le dictateur de l’URSS aurait obtenu du président américain et du Premier ministre britannique le contrôle des pays d’Europe centrale et orientale « libérés » par l’Armée rouge.

En réalité, les principes adoptés au palais de Livadia s’inscrivent dans une série de rencontres commencées dès 1943 à Téhéran et à Moscou dans lesquelles la Grande-Bretagne et les États-Unis insistaient sur la construction d’un nouvel ordre international où les puissances ne chercheraient plus à étendre leurs sphères d’influence. La question des frontières de la Pologne et la tenue d’élections libres dans les territoires débarrassés du joug nazi constituaient deux solides points de divergences entre ces trois puissances alliées face à Hitler.

Londres étant devenue depuis 1940 la capitale des gouvernements en exil de Tchécoslovaquie et de Pologne, l’administration britannique était lucide sur la nature et les ambitions du régime soviétique. Churchill n’ignorait pas les vues impérialistes soviétiques sur la majorité des pays d’Europe centrale et orientale qui avaient arraché ou tenté d’arracher8 leur indépendance sur les décombres des empires allemands, russes et austro-hongrois tombés après 1918. La préoccupation principale invoquée par le régime stalinien était la nécessité pour l’URSS de se « prémunir des invasions venues de l’Ouest » et de ne pas avoir un « cordon sanitaire » qui la séparerait de l’Allemagne. Son contrôle des pays d’Europe centrale et orientale était donc une priorité stratégique.

L’administration américaine n’était pas plus candide face aux ambitions soviétiques. Averell Harriman, ambassadeur des États-Unis à Moscou, écrit en 1944 : « Lorsqu’au titre de sa sécurité, un pays commence à étendre à la force du poignet son influence au-delà de ses frontières, on ne voit pas où cette influence peut s’arrêter. Si l’on admet que l’Union soviétique a le droit de s’introduire au nom de sa sécurité chez ses voisins immédiats, il devient logique à un moment donné qu’elle s’introduise chez les voisins de ces voisins9. » En dépit de cet avertissement, Washington accédera aux revendications sécuritaires du Kremlin et montrera que Roosevelt n’avait pas les mêmes priorités stratégiques et politiques que Londres ou les gouvernements européens en exil.

Roosevelt, obnubilé par l’objectif d’apaiser les Soviétiques afin de les rallier à la nouvelle Organisation des Nations unies et à la guerre contre le Japon, accepte par utopisme, cynisme ou désintérêt les fausses promesses de Staline sur l’Europe centrale, orientale et balkanique. Le dirigeant de l’URSS accepte d’organiser des élections libres dans chaque pays libéré par l’Armée rouge : la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Hongrie, la Roumanie et la Bulgarie. Alors que Tallinn, Riga, Vilnius, Minsk, Kyïv, Chișinău et Tbilissi sont déjà avalées par l’empire soviétique, Varsovie, Prague, Budapest, Bucarest et Sofia seront finalement dirigées, sans élections libres, par des régimes communistes à la botte du Kremlin. Staline a trahi ses engagements, ces pays vivront près de cinquante ans derrière le rideau de fer10.

Quatre-vingts ans après, nous pouvons constater que ce n’est pas à Yalta que le lourd partage de l’Europe en deux blocs fut décidé. L’occupation des pays d’Europe centrale et orientale, écrasés par le ciment totalitaire de la nouvelle « Europe de l’Est », fut imposée par le chef suprême de l’Armée rouge. L’histoire frappa Yalta d’une légende noire et jugea avec sévérité la naïveté ou la faiblesse, parfois les deux, de Churchill et de Roosevelt face à Staline. L’Europe centrale et orientale a été perdue par manque d’anticipation et de profondeur stratégique face à la vision des relations internationales de l’URSS : « Ce qui est à moi est à moi, ce qui est à toi est négociable. » Ce sont la force et les rapports de force qui régissent ces négociations, pas les engagements ou le droit international.

L’Europe de l’Est est la création artificielle de Staline, extorquée par son pouvoir de duperie et couverte par les bruits des bottes de l’armée soviétique. Ni la géographie, ni l’Histoire, ni la culture, ni la langue, ni la religion et encore moins la volonté politique ne prédisposaient toutes ces nations à vivre dans le même bloc et sous la même chape de plomb. L’Europe de l’Est fut la négation de leurs aspirations à l’autodétermination et à l’indépendance.

Alors que la victoire contre le nazisme est synonyme de libération pour la France et les Français, pour l’Europe centrale et orientale « la libération, c’est la terreur11 » : déportations de masse, assassinats, viols, emprisonnements, pillages… Les espoirs de liberté, de démocratie et de respect des droits humains s’envolent. La désolation économique, la répression politique, les tentatives d’effacement culturel, les déformations de l’architecture urbaine et des paysages marquent cette séparation violente avec l’Occident jusqu’à la chute du mur du Berlin.

Cette colonisation russo-soviétique craque sous le poids des résistances nationales au communisme en 1989 et s’effondre définitivement en 1991. Durant ces deux années, la Pologne, la Tchécoslovaquie12, la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, le Bélarus, l’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie déclarent leur indépendance. Ces pays naissent ou ressuscitent. L’Europe de l’Est disparaît, mais ne quitte pourtant pas les esprits.

En plus de cinquante ans de guerre froide, cette appellation s’est profondément enkystée dans notre imaginaire et notre carte mentale jusqu’à les figer. Comme si le rideau de fer n’avait pas été brisé, comme si ces pays n’avaient pas entamé leur « retour à l’Europe », comme s’ils étaient toujours ligotés au glacis communiste, cette notion d’ « Europe de l’Est » continue d’être le prisme de lecture privilégié en France. Coincées entre le regard romantique d’une gauche anticapitaliste sur les régimes communistes et le regard admirateur d’une droite conservatrice pour la « Russie éternelle », l’Europe centrale et orientale restent un impensé français. Ces pays ont été bien trop longtemps regardés et pensés à l’ombre de l’Union soviétique puis de la Fédération de Russie.

Faute de la considérer également comme l’ « arrière-cour » historique et géographique naturelle de l’Allemagne, la France a longtemps considéré qu’elle n’avait pas d’intérêt à conceptualiser son regard, sa présence et son influence dans cette région « entre mer Baltique et mer Noire ». Elle n’est pas parvenue à prendre les tournants de la fin de l’URSS en 1991 puis des élargissements européens de 2004 et 2007 pour saisir les opportunités de rapprochement qui se présentaient. Cette incompréhension, souvent mutuelle, et le désintérêt, souvent à sens unique, entre la France et les pays d’Europe centrale et orientale ne pouvaient faire naître que frustrations et ressentiments, aggravant les fractures « Est-Ouest ».

Ces appellations d’ « Europe de l’Est » ou de « pays de l’Est » nuisent à la compréhension des dynamiques, des particularités et de la diversité des pays d’Europe centrale et orientale. Ils ne constituent pas un bloc. La Lituanie ne peut pas être assimilée à la Lettonie, la Slovaquie ne peut pas être pensée comme la Hongrie et l’Ukraine ne peut pas être regardée comme la Moldavie. Ces désignations, datées d’une époque révolue, négligent les progrès et changements réalisés par ces pays depuis l’effondrement de l’URSS et leur volonté d’appartenir pleinement à la communauté européenne ainsi qu’à « l’Occident ».

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Neuvième session de l’Assemblée parlementaire Euronest – ouverture officielle par David Sassoli, alors président du Parlement européen, le 20 avril 2021. Photo : Parlement européen

La progression et la croissance économique de certains pays d’Europe centrale et orientale depuis leur « grande conversion13 » à l’économie libérale sont impressionnantes. De la Pologne qui enregistre en moyenne une augmentation de son produit intérieur brut (PIB) de près de 4 % par an depuis son adhésion à l’Union européenne à l’Estonie devenue un leader européen du digital et de l’e-gouvernement ; de la Roumanie qui a un écosystème de start-up très dynamique à l’Ukraine qui exporte un grand nombre de services de technologies de l’information, les changements opérés dans ces pays depuis 1991 sont importants. Pourtant, dans notre imaginaire, ils sont toujours englués dans un retard conséquent et une économie arriérée. Ces défaillances de compréhension investissent malheureusement le terrain politico-diplomatique et fragilisent l’unité européenne.

Depuis 1989, au moins quatre épisodes politiques ont structuré l’image de la France dans la région : la proposition de François Mitterrand de créer une Confédération européenne réunissant tous les pays européens et l’URSS, les propos de Jacques Chirac invitant les pays d’Europe centrale à « se taire », le veto de Nicolas Sarkozy sur l’adhésion de l’Ukraine à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) après la guerre de Vladimir Poutine en Géorgie et le rapprochement franco-russe lancé par Emmanuel Macron trois ans après l’annexion de la Crimée puis d’une partie du Donbass. Ces exemples sont régulièrement cités et rappelés dans ces chancelleries européennes pour souligner le manque de fiabilité, de considération et de compréhension des élites politiques françaises pour leurs enjeux stratégiques. Ces pays se sentent incompris, la France ne se sent pas écoutée.

Fin 2019, partant de ce constat, j’ai décidé avec Romain Le Quiniou14, un ami rencontré à Varsovie, de fonder Euro Créative, un think tank15 pour rapprocher la France des pays d’Europe centrale et orientale. Nous sillonnions la région ensemble depuis des mois pour nous rendre dans les différents forums politiques, économiques ou de défense et nous étions effarés par le manque de présence et d’influence française dans ces pays. Convaincus que la France devait rester un pays moteur du projet européen, nous ne pouvions concevoir d’observer presque quotidiennement l’absence de notre pays dans ces grands rendez-vous politiques et intellectuels et de le voir incapable de défendre ses positions en Europe. Au moment où la France tentait de convaincre ses partenaires sur son idée essentielle d’ « autonomie stratégique européenne », elle ne s’expliquait pas. Questionnée sur ses doutes quant à l’avenir de l’OTAN, elle ne répondait pas. Régulièrement mise en cause sur ses relations jugées ambiguës avec la Russie, elle ne rassurait pas. L’excellent travail de certaines ambassades et instituts français ne pouvait pallier le manque d’investissement et de présence politique dans la région. Avec Euro Créative, nous voulions créer de nouveaux leviers d’actions et de réflexion.

« La jeunesse possède, comme certains animaux, un instinct qui l’avertit des changements météorologiques », écrivait Stefan Zweig dans Le Monde d’hier. Dès 2019, nous avions l’intuition qu’une agression directe de la Russie sur le sol européen était à considérer d’urgence. Notre analyse était simple : une large partie de l’élite politique, diplomatique, militaire et intellectuelle française sous-estimait largement cette hypothèse par manque de compréhension des subtilités géopolitiques de cette région, par manque d’écoute d’Européens qui ont vécu les multiples invasions russes et par manque de considération pour des « petites nations » qu’elle pensait paranoïaques dans leurs perceptions des ambitions du Kremlin.

L’invasion à grande échelle de l’Ukraine déclenchée par la Fédération de Russie le matin du 24 février 2022 a finalement bouleversé les certitudes et le regard de la France sur l’Europe centrale et orientale, devenue rapidement une région stratégique majeure. Elle a « changé de lunettes », comme rappellent les diplomates, et a certainement cessé de la considérer comme une région périphérique entre l’Allemagne et la Russie. Désormais consciente des volontés expansionnistes russes, la France accroît sa présence politique et militaire sur le « flanc est de l’Europe » (en Estonie, en Roumanie et en Pologne). L’imprévisibilité de l’administration Trump II tétanise un certain nombre de pays d’Europe centrale et orientale qui avaient fait des États-Unis leur principal protecteur et les pousse à rejoindre les positions françaises de renforcement « du pilier européen de l’OTAN » ou de la « souveraineté stratégique européenne ». La France, affaiblie durant des années par la réputation d’une position anti-américaine primaire, a une nouvelle opportunité de se rapprocher de ces pays, à condition d’opérer un aggiornamento idéologique. Ce livre s’attelle à l’importance de changer l’imaginaire, l’approche et le narratif français sur cette région.

À l’heure où l’Europe risque de devenir une simple « périphérie » dans le chaos du monde, le renforcement de l’unité européenne est une nécessité. Cette exigence de compréhension et d’intégration des enjeux historiques, politiques et stratégiques de nos partenaires d’Europe centrale et orientale est fondamentale pour trouver le chemin de l’ « Europe puissance ». Être « unis dans la diversité16 », c’est se faire une certaine idée de l’Europe.

<p>Cet article L’Europe de l’Est n’existe pas a été publié par desk russie.</p>

12.10.2025 à 20:59

Ce livre est une scène de crime de masse

Pascal Avot

Lecture de : Nicolas Werth, Un État contre son peuple. De Lénine à Poutine. Les Belles Lettres, 2025.

<p>Cet article Ce livre est une scène de crime de masse a été publié par desk russie.</p>

Texte intégral (3375 mots)

Lecture de : Nicolas Werth, Un État contre son peuple. De Lénine à Poutine. Les Belles Lettres, 2025, 520 p.

L’auteur de cette recension nous offre une précieuse réflexion sur la soviétologie, qui, depuis des décennies, tente de percer le « mystère russe ». Avec la parution de la somme de Nicolas Werth, estime l’auteur, le mystère du XXe et du XXIe siècle russe est définitivement percé : dès sa fondation, l’État bolchévique était une effroyable machine pour broyer son propre peuple. Quant à Poutine, il fait ressusciter le passé soviétique, tout en utilisant les mêmes méthodes que ses prédécesseurs, de Lénine à Andropov.  

Pourquoi est-il si difficile de comprendre la Russie ? Cinq raisons expliquent que l’on s’égare sur la Russie du XXe siècle, au point de la prendre pour ce qu’elle n’est pas ou, pire encore, de refuser de voir ce qu’elle est. La première est le mensonge. La Russie tsariste mentait, la Russie soviétique ment tout le temps. Enfermée dans sa possession idéologique (qui mute au fil du temps, mais persiste dans son intensité), elle n’a plus de point de contact avec la réalité, sauf pour la déformer ou la détruire – jusqu’au concept classique de « vérité », qu’elle considère comme une fiction ennemie. Par conséquent, le langage qu’elle produit est invariablement délirant : il oblige l’observateur à pratiquer un décodage constant, à démêler en chaque paragraphe officiel les fils de l’erreur, tâche épuisante pour qui n’a pas pris l’habitude, à force de patience, de parler couramment la lingua sovietica.

La deuxième raison est la censure. Le régime soviétique est obsédé par le secret. Comme son intelligence est structurée de manière paranoïaque – le pouvoir central est environné d’ennemis mortels, les alliés sont des traîtres, les innocents n’existent pas, l’infiltration est partout –, toute information est dangereuse. Même ses plus petits faits et gestes font l’objet de dissimulation. Le meilleur moyen de fuir la vérité est de l’interdire. Ce qui fera de la Russie moderne une surdouée de l’espionnage et de la désinformation. La difficulté de la lingua sovietica est donc redoublée par une complexité préméditée, stratégique, et exige une deuxième couche de décodage.

Une troisième couche de difficulté s’impose à nous avec la forme même du discours soviétique, sa matière fondamentale : la langue de bois. À son sujet, Françoise Thom a produit le seul classique du genre, d’une importance considérable. La Langue de bois, paru en 1986, démonte les mécanismes du sabir communiste russe – qui devient, par extension impérialiste, le vocabulaire et la grammaire de nations et de partis sur toute la terre. Cette langue est laide, glaciale, inhumaine et formidablement ennuyeuse. Elle dégoûte le lecteur. Nul n’a jamais pris de plaisir à lire en entier un discours de Léonid Brejnev. Pourtant, ce fatras de formules creuses est piégé : en détecter les chausse-trappes peut nous apprendre quelque chose sur l’émetteur. Écouter parler le système soviétique, tendre l’oreille à ses inflexions, repérer l’évolution de ses formules, est un défi pour qui veut pister la pensée du Kremlin.

Et puis, il y a la souffrance. Car le peuple russe souffre énormément, beaucoup trop, et fait énormément souffrir, beaucoup trop, ses victimes. Visiter le XXe siècle russe expose le regard à des massacres sans nombre, des tortures, les destins saccagés de générations entières, des cultures broyées, toute bonté niée, tout espoir annulé : une incroyable litanie de tragédies qui font vaciller l’âme. Oui, c’est incroyable, et certains refuseront d’y croire. Et qui pourrait leur en vouloir ? Qui a envie de se souvenir que, dans les camps de concentration des îles Solovki, l’été, on attachait les bagnards nus à des poteaux en plein air pendant des journées entières pour que des milliers de moustiques les dévorent ? Qui a envie d’imaginer leurs corps et leurs visages boursouflés et ensanglantés, et leurs hurlements de détresse sous la lune ? Personne. Pourtant, il le faut, sans quoi l’on passe à côté de l’essentiel, qui est l’agonie du peuple russe des décennies durant. Étudier la Russie du siècle dernier, c’est s’infliger l’épouvante. Sans quoi l’on ne prendra pas toute la mesure des enlèvements d’enfants et autres horreurs perpétrés en Ukraine aujourd’hui.

Pour finir, dernière couche d’opacité, la plus superficielle, mais pas la moins décourageante : le grotesque. Car l’Union Soviétique n’est pas seulement mystérieuse et horrible : elle est également ridicule jusqu’au risible, pitoyable jusqu’au clownesque. Comment réagir, lorsqu’on apprend que Staline fait réveiller ses ministres en pleine nuit, les convoque séance tenante et les force à banqueter, à boire comme des trous, et à danser des slows devant lui pendant qu’il se moque d’eux et leur jette de la nourriture ? Qu’est-ce que c’est que ce système politique ? Quel rapport avec le communisme ? Eh bien, c’est le communisme, justement : le vrai, dirigé par le plus communiste des hommes, Staline, parfaite incarnation du marxisme-léninisme. L’accepter demande une forme de modestie, car nos catégories de pensée sont sévèrement bousculées.

On comprendra donc sans peine qu’Alain Besançon raconte avoir été pris de migraines et de nausées à la lecture assidue des œuvres complètes de Lénine. Il n’était pas homme à se plaindre sans raison. Simplement, il avait plongé si profondément dans le mystère russe que son esprit – pourtant des plus solides – et son corps – pourtant sain – étaient pris d’assaut, intimement déréglés par le mélange de hideur, de niaiserie, de détresse et de casse-têtes qui forment l’univers soviétique. Pour nous guider sur cet Everest de non-sens et nous épargner une chute dans ses crevasses, nous avons besoin de cerveaux d’élite. Besançon, Thom, Courtois, Malia, Wolton, comptent parmi les rares à pouvoir nous prendre en cordée et nous emmener sur les zones de l’histoire russe où l’oxygène se fait rare et le vertige paralysant. La France peut s’enorgueillir d’être un très grand pays de soviétologie. Et puis, il y a Nicolas Werth.

Comme tous les noms que nous venons de citer, il est historien de profession. Comme eux, il a attelé sa vie entière au sujet soviétique. Le titre de son dernier livre, Un État contre son peuple, résume impeccablement son propos. Il s’agit bien, en effet, d’une monstruosité idéologique et administrative infligeant au peuple qu’elle tient en captivité – et à tant d’autres ! – un insoutenable supplice. Un État contre son peuple est l’histoire d’une souffrance aussi vaste que son territoire, aussi interminable que la période s’étendant de 1917 à nos jours, et de l’insatiable brutalité qui a conçu, organisé et fabriqué cette souffrance. Ce livre est une scène de crime de masse. Les corps se comptent en dizaines de millions, pour la plupart des innocents sans défense, hommes femmes, enfants, de toutes classes et de toutes ethnies. Les armes sont les balles de tous calibres, le fouet, l’incendie, l’ensevelissement vivant, les bombardements, les gaz, le froid, la faim – la liste est aussi longue que les manières de mourir atrocement des mains d’un autre. Et, c’est à noter pour saisir l’importance de l’œuvre, le coupable, identifié, court toujours – nous y reviendrons. Mais Un État contre son peuple n’est pas un pamphlet. Il ne lâche jamais la rampe de la scientificité, il ne s’emporte jamais. Tout juste un point d’exclamation surgit-il de temps à autre, très rarement, pour signaler que la coupe du malheur est trop pleine, et que l’auteur appelle son lecteur à s’indigner un instant avant de reprendre son chemin vers le pire. Ce n’est pas même un réquisitoire, car le dossier de l’instruction parle de lui-même. C’est une description, dressée avec le plus grand calme, sans animosité inutile, ni esprit de vengeance. Et cette patience dans la description des faits amoncelés, ce refus de nous secouer plus que nécessaire, cette confiance dans l’éloquence du réel, fait la grandeur du livre. Il y a une distance chez Werth, et elle contient une délicatesse qui nous protège un peu.

L’ouverture des archives du Kremlin depuis une trentaine d’années nous a permis de découvrir sur l’URSS une part non négligeable de ce qu’elles avaient hermétiquement gardé scellé jusque-là. Sur l’étendue de ses crimes en particulier, et sur leurs modes opératoires, leurs rythmes, ainsi que sur les pensées des assassins et de leurs complices. Un État contre son peuple se situe à la pointe de la recherche. Après l’époque du grand silence, où les soviétologues devaient déduire par eux-mêmes ce qui se passait derrière la grande muraille du faux, et après la première ère des révélations documentaires – qui donna lieu au décisif Livre Noir du Communisme, dont Un État contre son peuple est une prolongation concentrée sur la sphère russe –, vient le moment où l’on en sait tellement que le puzzle est presque complet. À quelques détails près, l’incompréhensibilité soviétique est définitivement vaincue. Les 500 pages d’Un État contre son peuple sont la conséquence de cet éclaircissement généralisé.

Le livre de Nicolas Werth commence avec la révolution d’Octobre et finit de nos jours. Pas de détours, pas de pauses : le train du chaos et de la douleur file tout droit du départ à l’arrivée. Werth dicte au lecteur un tempo d’une régularité ne laissant aucune place à la distraction, ce qui fait de la traversée une expérience compacte et cohérente. C’est net et mat. Il n’y a pas de climax, car chaque année est un climax (et la période de la NEP, que nos lycées nous avaient présentée comme un adoucissement, n’est finalement qu’une hécatombe de plus). Mais nous attirerons spécialement l’attention sur les chapitres 5 à 8, qui courent de la révolte paysanne de Tambov aux grandes famines des années 1930. Dans ces quatre chapitres, Werth nous fait voir l’épouvantable bras-de-fer entre un Staline d’une férocité insensée et des populations qui tentent confusément et héroïquement de lui résister, et le payent très cher. On découvre à quel point la collectivisation fut une guerre civile et rien d’autre, entre un tyran idéologique absolu et des dizaines de millions de pauvres gens stupéfaits qu’on les traite de manière aussi cruelle. Ils se rebellent de mille manières, par la dissimulation, par la passivité, par la violence désordonnée ou organisée. Il est regrettable que la science historique ne présente que rarement ces refus, ces émeutes et ces batailles, chrétiennes ou athées, de gauche, de droite, apolitiques, comme un bloc malgré leurs différences. Car une Résistance majuscule au totalitarisme économique a bien eu lieu, elle a duré plus de dix ans, et elle mériterait les honneurs de notre mémoire. Bien entendu, elle a été vaincue, à chaque fois. On voudrait pleurer, mais on n’en a pas le temps. Werth nous fait passer au cachot suivant et nous pencher sur d’autres fosses, où supplient en vain d’autres innocents. Tant qu’il ne sera pas trouvé un beau matin par ses gardes, expirant dans une flaque d’urine en sa datcha de Kountsevo, Staline s’acharnera.

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Vladimir Poutine inaugure le mémorial aux victimes des répressions politiques, Le Mur du chagrin, le 20 octobre 2017 // kremlin.ru

Il est logique et nécessaire, en 2025, de trouver condamnable le peuple russe, quand on constate sa passivité face à la morgue de Poutine et le peu d’égards qu’il a pour son voisin ukrainien. Mais une des utilités du livre de Nicolas Werth est de nous indiquer d’où vient cette morgue, et de nous rappeler pourquoi le régime poutinien tient tant à effacer la vérité du passé soviétique. Pour empêcher les Russes de voir à quel point ils deviennent monstrueux, il faut leur faire oublier de quelle monstruosité ils ont été la proie. Et c’est justement à cet oubli que les Ukrainiens se refusent. Il y a, dans la guerre en cours, un enjeu que l’on pourrait qualifier de métaphysique, et qui excède la survie biologique et culturelle du peuple ukrainien. Cet enjeu, c’est le conflit entre deux vingtièmes siècles. Celui des tchékistes, abject et tronqué. Et celui des victimes, russes autant qu’ukrainiennes ou kazakhes. En quelque sorte, le passé de la Russie, celui qu’énumère Werth, ne se situe pas du côté russe de la ligne de front. Il lutte aux côtés des Ukrainiens. De l’autre côté de cette ligne, il n’y a qu’un roman national aberrant, qui ne sait rien faire d’autre que de tuer vraiment.

Je veux évoquer brièvement une anecdote personnelle. En 1989, j’ai découvert l’univers soviétique avec Le Moment Gorbatchev, de Françoise Thom. Ébranlé par le caractère inédit de sa thèse, alors que la presse mondiale baignait en pleine gorbimania, je voulus en rencontrer l’auteur. Tandis que je lui disais ma décision de consacrer le plus possible de mon temps à comprendre l’URSS, elle me tint ce discours, je m’en souviens presque mot pour mot : « Faites attention, méfiez-vous. La Russie est un sujet bien plus sinistre que vous ne l’imaginez. Elle vous fascine, mais elle peut rendre votre existence extrêmement sombre et triste. » Je n’ai pas écouté son conseil. En lisant Nicolas Werth trente-quatre ans plus tard, j’ai repensé à l’avertissement de Françoise Thom.

Pourtant, comme tout bon livre sur la Russie depuis un siècle, Un État contre son peuple vous fait relever la tête : il donne envie de combattre l’influence du Kremlin sur le monde. Il est apte à déflorer à temps de jeunes intelligences encore en formation, trop naïves pour résister aux sérénades de Poutine, et il renouvelle l’effroi dans le cœur usé des plus aguerris et des plus désabusés. Le communisme s’est évanoui, mais le bolchévisme, le tchékisme, la machine à tromper, à enfermer et à tuer, est toujours en marche : elle ne peut pas s’arrêter. Elle viole, elle lance ses essaims de drones sur Kyïv, elle emporte des milliers d’enfants ukrainiens vers des destinations plus infernales encore que la guerre, où ils deviendront, dans le pire des cas, les valets serviles du néant qui les aura décérébrés – et elle tente de rendre nos médias aussi visqueux que les siens. Sa bataille incessante et hybride contre les peuples est loin d’être achevée. L’Ukraine est la citadelle qui barre sa route vers nous. 1917 est un jour sans fin.

Le travail historique continue, mais le plus dur, qui consistait à arracher son masque au Kremlin, est fait, malgré tous les effets de Vladimir Poutine pour empêcher ce travail en écrasant l’association Memorial qui comptabilise et nomme inlassablement les martyrs anonymes du soviétisme, et en imposant aux écoliers russes une version officielle où Staline est un fier patriote et le Holodomor un entrefilet. Mais, lorsque le masque tombe, que voyons-nous, justement ? La Russie de Poutine. Celle-là même qui s’embourbe dans les tranchées ukrainiennes. Celle qui intimide l’Europe et arnaque les États-Unis. Celle qui serre fermement la main aux potentats de Pékin, de Pyongyang, de Téhéran, tout en adressant un sourire de reptile aux chrétiens et aux juifs. Un État contre son peuple nous dit qu’au-delà de la Russie éternelle de Dostoïevski et des bulbes dorés, on trouve une autre Russie éternelle, du Holodomor, du Goulag et de la Loubianka. Cette Russielà, les russolâtres, les Philippe de Villiers et autres Dominique de Villepin prétendent que c’est un fantasme d’atlantistes. Les soviétologues savent que c’est du savoir. Karl Popper écrit : « Je considère nos théories scientifiques comme des inventions humaines, des filets conçus par nous pour attraper le monde. » Un État contre son peuple attrape la Russie. Au fond de ce filet remue un squale : Vladimir Poutine.

Pour terminer, une citation tirée du livre de Werth qui en dit long sur le régime soviétique. « Camarades ! Le soulèvement koulak dans vos districts doit être écrasé sans pitié. Les intérêts de la révolution toute entière l’exigent, car partout la “lutte finale” avec les koulaks est désormais engagée. Il faut faire un exemple. 1) Pendre (et je dis pendre de façon que les gens le voient) pas moins de 100 koulaks, richards, buveurs de sang connus. 2) Publier leurs noms. 3) S’emparer de tout leur grain. 4) Identifier les otages comme nous l’avons indiqué dans notre télégramme hier. Faites cela de façon qu’à des centaines de lieues à la ronde les gens voient, tremblent, sachent et se disent : ils tuent et continueront à tuer les koulaks assoiffés de sang. Télégraphiez que vous avez bien reçu ces instructions. Vôtre, Lénine. P.-S. Trouvez des gens plus durs. » (p.70)

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