25.06.2025 à 10:59
Après avoir obtenu son diplôme universitaire il y a un an, Shan Ho a décroché le travail de ses rêves. Pourtant, elle n'a jamais dit à ses parents ce qu'elle fait et se contente de parler vaguement d'un « travail de col blanc ». Ils sont au courant de son maigre salaire, mais ne connaissent pas la réalité : Mme Ho est syndicaliste. S'ils l'apprenaient, ils risquent d'en perdre le sommeil.
À Hong Kong, travailler pour un syndicat est désormais un choix de carrière potentiellement dangereux. (…)
Après avoir obtenu son diplôme universitaire il y a un an, Shan Ho a décroché le travail de ses rêves. Pourtant, elle n'a jamais dit à ses parents ce qu'elle fait et se contente de parler vaguement d'un « travail de col blanc ». Ils sont au courant de son maigre salaire, mais ne connaissent pas la réalité : Mme Ho est syndicaliste. S'ils l'apprenaient, ils risquent d'en perdre le sommeil.
À Hong Kong, travailler pour un syndicat est désormais un choix de carrière potentiellement dangereux. Au cours des dernières années, certains des syndicalistes les plus importants de la ville ont été emprisonnés ou contraints à l'exil en vertu de la vaste loi sur la sécurité nationale (LSN) promulguée par Pékin après le mouvement de protestation antigouvernemental de 2019-2020. Près de 250 syndicats ont été dissous et nombre de ceux qui subsistent sont confrontés à des défis multiples.
Les pieux mensonges de la jeune syndicaliste pour ne pas inquiéter ses parents semblent encore avoir du sens, notamment parce que le gouvernement de Hong Kong serre de plus en plus la vis sur les syndicats locaux.
En février, les autorités en charge du travail à Hong Kong, une région administrative spéciale de la Chine, ont proposé une série d'amendements à leur Ordonnance sur les syndicats. Au nom de la sécurité nationale, il a été proposé que : les syndicats doivent obtenir l'aval des autorités pour recevoir des fonds d'une quelconque « force externe », interdire définitivement aux personnes condamnées pour atteinte à la sécurité nationale de faire partie d'un syndicat, donner aux autorités le pouvoir d'entrer dans les locaux des syndicats pour saisir des documents et refuser l'enregistrement ou la fusion de syndicats, et ce, sans droit de recours.
Jusqu'à présent, les réactions publiquement exprimées au sujet des amendements proposés ont été largement positives à Hong Kong, où l'opposition au sein du pouvoir législatif a été éradiquée et où la plupart des grands médias pro-démocratie ont été fermés. Lors d'une récente mini-réunion parlementaire, Lam Chun-sing, syndicaliste et législateur pro-Pékin, a déclaré que, pendant le mouvement de 2019, de nombreux syndicats avaient organisé des « grèves politiques pour attaquer le gouvernement ». Il a exprimé l'espoir que les amendements « serviraient mieux les intérêts des travailleurs ».
Stanley Ng, législateur pro-Pékin et président de la FTU, a adopté une posture similaire, déclarant dans un communiqué de la FTU que le projet de loi permettrait d'empêcher tout groupe de « mener des activités subversives » sous le couvert du syndicalisme, tout en garantissant que les syndicats se concentrent véritablement sur les questions syndicales.
Mais Joe Wong, syndicaliste de longue date et ancien président de la désormais dissoute Confédération des syndicats de Hong Kong (HKCTU), confie à Equal Times qu'il craint que les changements proposés ne dissuadent les travailleurs de rejoindre les syndicats.
« Le syndicalisme est déjà un sujet politiquement sensible aujourd'hui, et ces amendements pourraient rendre les travailleurs encore plus frileux. Si une nouvelle règle autorise les agents du gouvernement à pénétrer dans les locaux des syndicats pour fouiller dans les documents, les travailleurs pourraient ne plus vouloir être associés au syndicat. »
Mme Ho, pour sa part, estime que l'initiative du gouvernement n'aura pas d'impact significatif sur les syndicats indépendants à Hong Kong. Selon elle, une grande partie du secteur, qui regroupe traditionnellement des cols bleus, a été durement touchée ces dernières années ; de nouvelles restrictions ne feraient pas une grande différence. Elle ajoute toutefois : « Je ne suis pas sûre que quelqu'un voudra créer de nouveaux syndicats à l'avenir. »
Le gouvernement justifie ces amendements en partie cette décision par le fait qu'en 2019 et 2020, des personnes « animées d'arrière-pensées » ont tenté de mener des actions « mettant en danger la sécurité nationale sous couvert d'actions syndicales ».
D'après les chiffres officiels, entre novembre 2019 et mai 2020, le nombre de demandes de création de syndicats a explosé pour atteindre 4.386, contre une moyenne de 15 au cours des cinq années précédentes.
Toutes les demandes n'ont pas été acceptées. Malgré cela, l'augmentation du nombre de syndicats enregistrés en 2020 a été remarquable, passant de 917 en 2019 à 1.410 en l'espace d'un an. Selon Kingsley Wong, législateur et président de la Fédération des syndicats de Hong Kong (FTU), organisation pro-Pékin, bon nombre de ces nouveaux groupes avaient un agenda politique et constituaient « une menace importante pour la sécurité nationale ».
Pour de nombreux citoyens pro-démocratie cependant, la prolifération soudaine des syndicats à cette époque a suscité un bref moment d'euphorie, faisant naître l'espoir d'un nouveau chapitre pour le mouvement syndical indépendant dans une ville hyper-capitaliste comme Hong Kong.
Cette vague de syndicalisation qui a eu lieu de la fin 2019 à la mi -2020 s'est produite à un moment où le mouvement de protestation, déclenché par un controversé projet de loi relatif à l'extradition, secouait depuis des mois le centre financier asiatique et prenait un tour de plus en plus violent. Certains Hongkongais ont commencé à penser que la grève était un moyen de faire avancer le mouvement. D'autres voyaient dans la syndicalisation un moyen de maintenir l'élan en faveur d'un changement social potentiel déclenché par le mouvement, voire de remporter un siège représentant le secteur du travail au sein du collège électoral fermé qui élit le dirigeant de la ville.
Un assistant social qui prévoyait de créer un syndicat à l'époque admet : « Remporter ce vote était la principale motivation qui nous poussait à nous syndiquer. Il n'y avait rien d'illégal là-dedans. »
Mais aucune de ces idées n'a abouti. Le mouvement de protestation a pris fin vers le milieu de l'année 2020, sous le double choc de la pandémie de Covid-19 et de la promulgation de la LSN imposée par Pékin. Cette loi criminalise la sécession, la subversion, la collusion avec des forces étrangères ainsi que le terrorisme, et prévoit des peines pouvant aller jusqu'à la prison à vie pour les contrevenants.
Selon le gouvernement hongkongais, la LSN a permis de mettre fin au chaos qui régnait à Hong Kong, d'y rétablir l'ordre et, « dans l'intérêt de la sécurité nationale », il est nécessaire de renforcer encore la réglementation applicable aux syndicats par l'intermédiaire du projet de loi modifiant l'Ordonnance sur les syndicats. Le projet de loi est actuellement examiné par le mini-parlement « exclusivement composé de patriotes » de la ville. S'il est adopté, les nouvelles règles prendront probablement effet dans le courant de l'année.
Le projet d'amendement à la loi qui est prévu n'est en rien surprenant pour les syndicalistes indépendants, tels que Mme Ho et M. Wong. Depuis quelques années, ils assistent à une profonde mutation du secteur syndical, provoquée par la répression des manifestations de 2019 menée par les autorités et les changements politiques qui ont suivi dans la ville.
Pendant longtemps, le paysage syndical hongkongais a été dominé par la FTU, pro-Pékin. En 1990, il a commencé à se scinder en deux camps avec la création de la HKCTU, pro-démocratie, qui s'est convertie en une autre force incontournable. La FTU est toutefois restée le principal acteur, avec une taille presque trois fois supérieure à celle de la HKCTU.
En tant que plus grande confédération syndicale indépendante et pro-démocratie de Hong Kong, la HKCTU représentait environ 145.000 travailleurs issus de 93 syndicats. Outre la défense des droits des travailleurs locaux, elle était au cœur du mouvement démocratique qui, pendant des décennies, a animé Hong Kong, tout en militant pour les droits du travail en Chine continentale. La HKCTU a participé activement au mouvement pro-démocratique de 2019.
Peu après la promulgation par Pékin de la LSN à Hong Kong à la mi-2020 en vue de réprimer les manifestations, plusieurs dirigeants de la HKCTU, ainsi que d'autres activistes syndicaux, ont été victimes de la répression.
Le cofondateur et secrétaire général Lee Cheuk-yan, la présidente Carol Ng et le vice-président Leo Tang ont été arrêtés, poursuivis ou condamnés pour des faits liés aux manifestations ou à la LSN ; le directeur exécutif Mung Siu-tat s'est enfui au Royaume-Uni, invoquant « des risques politiques imminents et des craintes pour sa sécurité ». Dans le même temps, des dizaines de syndicats pro-démocratie se sont dissous les uns après les autres.
Parmi eux, l'Union des nouveaux fonctionnaires en janvier 2021 et le Syndicat des enseignants professionnels, le plus grand syndicat indépendant de la ville, en août 2021. Les craintes d'un recul des libertés civiles se sont accrues et se sont encore intensifiées en octobre 2021, lorsque la HKCTU s'est dissoute sous la pression politique croissante.
Aujourd'hui, à l'ère d'un contrôle accru de Pékin, les dirigeants pro-Pékin affirment que la stabilité a été rétablie à Hong Kong. Mais les forces étrangères qui ont à cœur des notions, telles que la liberté et la démocratie, ont un point de vue différent. Dans de nombreux indices internationaux liés aux droits et à la liberté, Hong Kong n'obtient pas de bons résultats.
Dans l'édition 2025 du Global Rights Index publié par la Confédération syndicale internationale (CSI), par exemple, Hong Kong est classée cinquième, à égalité avec l'Arabie saoudite, le Bangladesh et le Venezuela. L'indice dénonce notamment le recours généralisé à « l'ingérence extérieure ou étrangère », que la CSI considère comme une menace pour les droits démocratiques, car une telle approche cible la dissidence.
La dissolution de l'influente HKCTU est un sérieux revers pour le syndicalisme à Hong Kong, pour les activistes et les groupes de défense des droits. Les premiers à en faire les frais sont les nombreux syndicats affiliés à la HKCTU. Le Syndicat général des travailleurs de la gestion des bâtiments et de la sécurité de Hong Kong, dont Shan Ho est la secrétaire organisatrice, est l'un d'entre eux.
Depuis la chute de la HKCTU, ce petit syndicat a du mal à survivre. La baisse spectaculaire du nombre de ses membres et le manque de fonds sont ses principaux défis. Entre 2020 et fin 2024, le nombre de ses membres a chuté de près de 85 %, passant de 474 à 74. Ses fonds s'épuisent rapidement et ne lui permettront de survivre encore qu'un an ou deux.
Selon Mme Ho, autrefois, son syndicat comptait en partie sur les formations dispensées par la HKCTU pour recruter de nouveaux membres et pouvait utiliser les bureaux de cette dernière pour ses activités syndicales, ce qui lui permettait de réaliser d'importantes économies sur les frais de loyer dans une ville où les coûts immobiliers sont exorbitants. Aujourd'hui, ces avantages ont disparu. Dans le climat politique actuel, les liens entretenus par le passé avec la HKCTU pourraient nuire encore davantage à la capacité du groupe à attirer des fonds et des membres. « Il est difficile de trouver de nouveaux membres. Je ne sais pas si cela est lié à la politique ou si cela a toujours été aussi difficile », explique-t-elle.
Faire des économies est désormais essentiel à la survie du Syndicat général des travailleurs de la gestion des bâtiments et de la sécurité. Il partage actuellement un espace de bureau dans un ancien bâtiment industriel avec un autre syndicat, le Syndicat des travailleurs du secteur des services de nettoyage. Mme Ho elle-même recherche personnellement des financements destinés aux entreprises sociales afin de subventionner son groupe. « Diriger un syndicat est un combat de tous les instants », confie-t-elle.
M. Wong, qui dirige actuellement le syndicat des travailleurs du secteur des services de nettoyage, avait prévu ces difficultés dès 2021, lorsqu'il avait organisé, avec d'autres membres importants de la HKCTU, un vote pour décider de la dissolution de l'organisation.
Il se rappelle que « la décision de jeter l'éponge a été très difficile à prendre. C'est comme être mordu par un serpent et se faire amputer un membre en même temps. Nous savions que les syndicats indépendants seraient fortement touchés, mais nous n'avions pas d'autre choix. Nous voulions que tous les membres de la HKCTU restent en sécurité. »
À la suite de la disparition de la HKCTU, M. Wong a lui-même subi un traumatisme. Six mois après la dissolution, lui et deux de ses collègues ont été emmenés par la police nationale parce qu'ils avaient prétendument omis de fournir des informations relatives à la HKCTU. Le trio a ensuite été condamné et s'est vu infliger une petite amende. Fin avril 2023, la police frappait a de nouveau à sa porte à l'aube, cette fois-ci à propos de son projet d'organiser une marche à l'occasion de la Journée internationale des travailleurs. Il a été brièvement détenu sans pouvoir communiquer avec le monde extérieur. Après sa libération, les médias ont rapporté qu'il avait souffert d'un « effondrement émotionnel » dû à la pression intense à laquelle il avait été soumis.
M. Wong reste muet sur ce qui s'est passé ce jour-là. « Maintenant, j'aime me lever à 5 heures du matin, car ils ont sonné à 6 heures. Je m'entraîne à être bien éveillé très tôt », ironise-t-il en faisant référence à la police nationale. « Mais j'ai eu beaucoup plus de chance que de nombreux autres. »
Depuis la promulgation de la LSN, plus d'une douzaine de syndicalistes ont été arrêtés. Les anciens dirigeants de la HKCTU, Carol Ng et Lee Cheuk-yan, sont tous deux détenus depuis plus de 1.500 jours.
Mme Ng devrait être libérée en juillet 2025 après avoir purgé sa peine. M. Lee fait partie des figures pro-démocratie de Hong Kong qui ont fait l'objet du plus grand nombre d'accusations. Après avoir purgé 20 mois de prison pour quatre infractions liées à des manifestations, il est toujours en détention provisoire dans l'attente d'un procès pour atteinte à la sécurité nationale qui doit s'ouvrir en novembre de cette année. Il est accusé d'« incitation à la subversion », un chef d'accusation passible d'une peine maximale de 10 ans d'emprisonnement.
Son épouse syndicaliste Elizabeth Tang (ancienne secrétaire générale de la Fédération internationale des travailleurs domestiques) et sa sœur ont également été prises pour cible par la police chargée de la sécurité nationale : Elizabeth Tang a été arrêtée en mars 2023, puis libérée sans inculpation, tandis que sa sœur cadette Marilyn Tang a été condamnée à six mois de prison pour entrave à la justice après avoir retiré des appareils électroniques du domicile d'Elizabeth Tang peu après son arrestation.
Selon M. Wong, en raison du changement radical du paysage politique à Hong Kong, les syndicats pro-démocratie ont perdu une grande partie de leur pouvoir de négociation pour représenter les préoccupations des travailleurs dans l'élaboration des politiques.
« Le gouvernement n'intervient pas dans les syndicats, mais les syndicats indépendants sont confrontés à de nombreux défis, allant du manque de fonds à la méfiance des travailleurs à leur égard. Tout cela semble vraiment évident », explique-t-il.
« Dans le même temps, de nombreux travailleurs pensent que, comme l'économie ne va pas bien, ils devraient s'estimer heureux d'avoir encore un emploi… et qu'il vaut mieux rester à l'écart des syndicats. »
À cause de la disparition de la HKCTU et de l'apathie généralisée des travailleurs, de nombreux syndicats indépendants doivent désormais redoubler d'efforts pour atteindre les travailleurs. Cependant, il est souvent difficile d'apporter un soutien en temps opportun.
Récemment, les agents de sécurité d'un complexe résidentiel public ont vu leur salaire réduit de près d'un cinquième après que le service de sécurité de ce complexe ait été attribué à un nouveau prestataire. La valeur du nouveau contrat est supérieure de 4 millions de dollars hongkongais (environ 446.000 euros ou 510.000 dollars US) à celle du précédent, mais cette augmentation ne parvient pas du tout aux travailleurs. À un moment donné, le syndicat de Mme Ho a entendu parler de cette affaire par ouï-dire, mais, lorsque son équipe a pu joindre les agents de sécurité, ceux-ci avaient déjà signé l'accord de réduction de leur salaire.
Au cours de la réunion, les travailleurs se sont fortement plaints, l'un d'eux déclarant à Mme Ho : « Si vous étiez venus plus tôt, nous aurions pu organiser une grève. » Mme Ho estime que les choses auraient pu se passer différemment si Hong Kong avait un paysage syndical dynamique et si son équipe avait pu être alertée plus tôt et proposer son aide.
Néanmoins, certains travailleurs choisissent de mener des actions collectives sans passer par les syndicats. En 2021, des centaines de livreurs de la plateforme de livraison de repas Foodpanda se sont mis en grève pour protester contre des réductions de leurs rémunérations ainsi que leurs conditions de travail. Comme il fallait s'y attendre au XXIe siècle, les travailleurs ont coordonné leur action à travers des groupes de discussion sur les réseaux sociaux.
Lors d'une manifestation dans la rue, la police a sommé les travailleurs en grève, nombre d'entre eux originaires de diverses régions d'Asie du Sud-Est, de se disperser. Elle a également menacé de recourir à la force s'ils n'obtempéraient pas. Les travailleurs ont finalement conclu un accord avec l'entreprise de livraison de repas, mais les problèmes fondamentaux n'ont pas été résolus. Depuis lors, les coursiers de Foodpanda et d'autres travailleurs de plateformes de livraison de repas ont organisé plusieurs autres grèves.
Dans un autre incident, un groupe d'agents de nettoyage a tenté de se syndiquer pour obtenir de meilleures conditions de travail, mais a finalement abandonné le projet à cause de la pression subie. Un agent de nettoyage à la retraite impliqué dans cette affaire, qui souhaite garder l'anonymat, a déclaré à Equal Times :
« Au moment où nous étions sur le point de rencontrer [l'employeur], les travailleurs et le superviseur ont fait machine arrière. Ils se sentaient sous pression de certaines personnes. À peu près au même moment, j'ai également reçu un appel téléphonique d'un inconnu qui m'a dit que je ferais mieux de me retirer de l'action. La voix était calme, mais je n'ai jamais su qui était cette personne. »
Le retraité, anciennement superviseur pour une entreprise de sous-traitance de nettoyage, ne donne pas plus de détails. Il se contente de dire qu'en fin de compte, les agents de nettoyage ont décidé de ne pas donner suite et de ne pas demander l'aide d'un syndicat. « Il vaut mieux ne rien faire pour l'instant. On ne peut rien faire d'autre », conclut-il.
Selon l'article 27 de la mini-constitution de Hong Kong, les résidents de Hong Kong jouissent de la liberté d'association, de réunion, de procession et de manifestation, ainsi que de celle de former des syndicats et d'y adhérer, ainsi que du droit de grève. Depuis que Pékin a imposé la LSN, les syndicats et les travailleurs n'ont exercé ces droits qu'avec une grande prudence, voire pas du tout. La marche annuelle du 1er mai, qui rassemblait traditionnellement des milliers de syndicalistes et de travailleurs dans les rues, n'a pas eu lieu depuis 2019. Les stands temporaires installés par les groupes syndicaux pour promouvoir les droits du travail attirent souvent l'attention de la police.
Ces dernières années, le nombre total de syndicats à Hong Kong n'a cessé de diminuer : il est passé de 1.527 en 2021 à 1.412 en 2024. Bien que 249 syndicats aient été dissous depuis 2021, de nouveaux syndicats ont vu le jour, mais le nombre de syndicats nouvellement établis a également chuté depuis son pic de 495 en 2020, puis 180 en 2021, 40 en 2022, 25 en 2023 et finalement six en 2024.
Confrontée à diverses contraintes et à de nombreux défis, la capacité des syndicats de Hong Kong à améliorer la situation des travailleurs est désormais remise en question. Un livreur de repas, qui préfère rester anonyme, confie à Equal Times : « Il n'y a pas de droit à la négociation collective à Hong Kong, donc le pouvoir des syndicats est limité aujourd'hui, en particulier pour les syndicats indépendants. Si les livreurs organisent eux-mêmes des grèves, ils n'obtiennent pas grand-chose. Nous n'avons que très peu de pouvoir de négociation. »
L'agent de nettoyage à la retraite se montre philosophe. « Attendons voir. Nous devons simplement survivre au régime », déclare-t-il. « Les syndicats ont toujours joué un rôle important dans la société, en particulier pour les travailleurs de base qui ne connaissent pas suffisamment leurs droits. »
Fay Siu, directrice générale du groupe syndical Association pour les droits des victimes d'accidents du travail, partage cet avis.
« Beaucoup de travailleurs du bâtiment ne connaissent pas leurs droits. Lorsqu'ils sont intimidés par leurs patrons ou que leur rémunération, leurs horaires ou leurs conditions de travail sont injustes, ils n'osent pas se plaindre. »
« Certains d'entre eux ne se soucient pas de la sécurité. Ils ne portent même pas de harnais de sécurité lorsqu'ils travaillent en hauteur. Une certaine forme d'héroïcité y est associée », explique Mme Siu.
« Nous avons été témoins de nombreux décès tragiques ou événements attristants au fil des années. Si personne n'aide ces travailleurs et leurs familles, que va-t-il se passer ? C'est ce qui nous motive à continuer. »
Selon Mme Siu, son groupe et les travailleurs qu'il représente ont acquis de manière inattendue une plus grande visibilité dans les médias dans le contexte de la transformation politique de Hong Kong. De nombreuses voix dissidentes ayant été réduites au silence sous le coup de la LSN, les journaux ont davantage de place pour rendre compte des accidents du travail, en particulier ceux qui entraînent des décès.
« La couverture médiatique est plus importante et il est devenu plus facile de collecter des fonds, mais tout cela pour une raison plutôt triste », déplore-t-elle.
Mme Siu souligne une autre évolution inattendue : en l'absence d'opposition, les décisions politiques ont tendance à être prises plus rapidement. « Mais les discussions restent souvent superficielles. Tout compte fait, on a l'impression que les décisions sont prises juste pour le principe », explique-t-elle. « Dans l'ensemble, des progrès constants ont été réalisés au fil des ans, mais il reste encore beaucoup à faire. »
À long terme, Mme Siu se montre pessimiste quant aux perspectives d'amélioration des droits des travailleurs de base à Hong Kong. « La force [derrière ce type de travail] s'amenuise. Nous avons l'impression d'être livrés à nous-mêmes. Auparavant, il y avait plus de gens et de groupes autour de nous. Ils pouvaient identifier nos lacunes, ce qui nous poussait à nous améliorer. Cela a contribué à créer un meilleur environnement. »
Pour Joe Wong, la solution consiste à ne pas faire cavalier seul. Son syndicat collabore parfois avec des ONG pour mener des projets ou fournir des services destinés aux agents de nettoyage. « Les choses sont davantage fragmentées aujourd'hui. Les syndicats ne sont plus le seul canal qui promeut les intérêts des travailleurs. Certains groupes de défense, des activistes individuels et des groupes religieux se sont également joints au mouvement pour défendre les droits du travail. Ils peuvent être très efficaces au niveau local. »
L'un de ses collaborateurs est Lok Day Culture, une ONG qui fournit des services de soins et de soutien à la communauté. Elle s'associe au syndicat de M. Wong pour organiser des programmes tels que des visites guidées communautaires destinées au grand public afin de mieux faire comprendre le travail des éboueurs, ainsi que des massages gratuits pour les travailleurs fatigués.
Selon son fondateur, Kung Wai-lok, les cols bleus sont plus ouverts aux groupes communautaires qu'aux syndicats, notamment parce qu'ils sont considérés comme libres de tout bagage politique. Lorsqu'il y a quelques années, le centre communautaire Lok Day a ouvert ses portes dans un quartier populaire de Kowloon, M. Kung a exposé dans ses locaux des objets représentant différentes croyances et idéologies (la Bible ou des bracelets à l'effigie de Mao Zedong), en partie pour s'amuser et en partie pour éviter de se voir affublé d'une étiquette politique.
« Lorsque vous demandez à un travailleur de fournir une photo d'identité pour introduire une demande pour quelque chose, il peut se montrer très méfiant. Beaucoup de choses peuvent les pousser à être prudents et à partir », explique-t-il. « Ici, notre approche est informelle, flexible et spontanée. Nous pouvons toucher davantage de travailleurs. Il est impossible de descendre dans la rue actuellement, mais il ne faut pas pour autant être pessimiste. On peut toujours trouver de nouvelles idées. »
Les ONG, telles que Lok Day, montrent toutefois certaines limites par rapport aux syndicats. Là où les syndicats peuvent représenter les travailleurs dans les procédures judiciaires, y compris celles liées aux conflits du travail, les ONG n'ont pas ce droit. En outre, l'adhésion des travailleurs confère aux syndicats leur mandat démocratique, une caractéristique qui fait défaut aux ONG.
Pour Joe Wong, aujourd'hui quinquagénaire, l'espoir vient principalement de la jeune génération de syndicalistes et de défenseurs des droits des travailleurs. « C'est encourageant de voir des jeunes rejoindre le mouvement. Ils apportent une nouvelle énergie ainsi que de nouvelles idées. Grâce à eux, je continue de croire en l'avenir des syndicats indépendants. C'est dur, mais il y a encore de l'espoir. »
20.06.2025 à 05:00
Shirin Shirzad pourrait parler pendant des heures de la violence et du harcèlement sexuel à l'encontre des athlètes féminines. Ancienne lutteuse et coach de l'équipe nationale iranienne dans cette discipline (2013-2018), elle s'est vue contrainte à l'exil suite aux menaces dont elle a fait l'objet lorsqu'elle a dénoncé les abus commis contre des membres de son équipe. « Au cours de ma carrière d'athlète et de coach professionnelle en Iran, j'ai moi-même fait l'objet d'intimidations, de (…)
- Actualité / Afrique-Global, Asie et Pacifique-Global, Moyen-Orient-Global, Violence, Femmes, Jeunesse, Sport, Législation du travail, Législation, Culture, Salman YunusShirin Shirzad pourrait parler pendant des heures de la violence et du harcèlement sexuel à l'encontre des athlètes féminines. Ancienne lutteuse et coach de l'équipe nationale iranienne dans cette discipline (2013-2018), elle s'est vue contrainte à l'exil suite aux menaces dont elle a fait l'objet lorsqu'elle a dénoncé les abus commis contre des membres de son équipe. « Au cours de ma carrière d'athlète et de coach professionnelle en Iran, j'ai moi-même fait l'objet d'intimidations, de discriminations et de violences psychologiques répétées. J'ai été réduite au silence à maintes reprises pour avoir dénoncé les injustices. J'ai également été la cible de remarques déplacées de la part de mes supérieurs hiérarchiques et, lorsque j'ai repoussé leurs avances, ils m'ont licenciée tout en continuant à me harceler », explique-t-elle dans un entretien avec Equal Times.
L'ancienne entraîneuse a déclaré que toutes les athlètes de l'équipe nationale iranienne avaient été victimes de harcèlement sexuel au moins une fois et qu'elle avait elle-même été témoin d'abus quotidiens. Une collègue mariée recevait des appels vidéo à quatre heures du matin de la part d'un entraîneur plus haut placé. Elle a signalé les faits à la fédération, mais en fin de compte, c'est elle qui a été sanctionnée.
Après avoir quitté l'Iran, elle s'est sentie plus en sécurité pour parler publiquement de ces abus. Lorsqu'elle a accordé sa première interview à la chaîne de télévision iranienne Iran International TV et à d'autres médias critiques à l'égard du régime, elle a immédiatement commencé à recevoir des menaces : « Ils ont dit qu'ils me renverraient en Iran de la pire manière possible », confie-t-elle. Docteure en sciences de la santé sportive et polyglotte, Shirzad a dû passer des années à vivre recluse dans un village retiré de Scandinavie. « Aujourd'hui encore, je reçois des insultes en ligne. Je continue néanmoins à apparaître à la télévision, car j'estime qu'il est important de dire la vérité. »
En Iran, le harcèlement à l'encontre des athlètes est systématique et est généralement le fait d'entraîneurs et de fonctionnaires. Rozita Aemeh-doost a dénoncé les abus sexuels dont elle et d'autres athlètes adolescentes ont fait l'objet ; Shiva Amini, ancienne joueuse de futsal, a été contrainte à l'exil après avoir dénoncé des extorsions sexuelles de la part de hauts responsables ; Elham Nikpay a accusé un dirigeant d'abus sur mineures dans une piscine où une fillette avait auparavant été assassinée, également en lien avec les abus commis à l'encontre d'athlètes féminines. Enfin, Golnar Vakil Gilani, ancienne présidente de la fédération de polo, a dénoncé des menaces de diffusion d'images privées proférées par un vice-ministre.
La plupart des victimes ne portent pas plainte par peur, et celles qui le font sont généralement sanctionnées alors que leurs agresseurs restent impunis. Il n'existe aucune voie de recours sûre et indépendante pour signaler les abus, et les obstacles structurels sont légion.
« Le système est conçu pour réduire les femmes au silence, pas pour les soutenir », dénonce Shirzad.
L'Afghanistan est un autre exemple d'abus institutionnalisés à l'encontre des femmes sportives. Ici, les victimes sont confrontées à des représailles, à la stigmatisation et au déni de justice. Haley Carter, ancienne marine et ancienne footballeuse américaine, a été assistante technique de l'équipe féminine (2016-2018) et a dénoncé des abus sexuels et physiques commis par des dirigeants, dont le président de la fédération, Keramuudin Karim, suspendu à vie par la FIFA en 2019. Après l'arrivée des talibans en 2021, Mme Carter a aidé à évacuer des joueuses. Elle défend aujourd'hui les droits des femmes depuis son équipe, les Orlando Pride (NWSL).
« L'Afghanistan affiche un bilan déplorable en matière de protection des athlètes contre les abus », explique-t-elle. Les accusations de relations sexuelles extraconjugales peuvent avoir des conséquences mortelles, ce qui explique le silence de nombreuses victimes. Pendant son séjour dans le pays, il n'existait aucun mécanisme efficace permettant de signaler ces faits en toute sécurité.
« Lorsque nous avons tenté de porter plainte auprès de la Confédération asiatique de football, celle-ci a répondu qu'elle n'accepterait la plainte que si elle émanait du président ou du secrétaire général, précisément ceux qui commettaient les abus », souligne Mme Carter. Quand les talibans sont arrivés au pouvoir en 2021, l'équipe nationale féminine de football a brûlé leurs maillots et supprimé leurs comptes sur les réseaux sociaux. « Cela a marqué le début d'une campagne systématique d'effacement des femmes de la vie publique. Aujourd'hui, elles n'ont plus le droit de pratiquer de sport, une violation des droits qu'aucun autre pays n'impose », dit-elle.
Peu après la prise du pouvoir, le responsable taliban Ahmadullah Wasiq a interdit aux femmes de pratiquer des sports, et ce au motif que leurs tenues « dévoilaient trop leur corps ». Depuis lors, les mineures ont été privées du droit à l'éducation. En 2023, 80 % des filles en âge scolaire étaient déscolarisées. De plus, les femmes sont interdites d'accès aux espaces publics tels que les parcs, les gymnases ou les clubs sportifs. On estime que l'exclusion des femmes du marché du travail pourrait coûter au pays à hauteur de 1 milliard USD par an, soit 5 % du PIB.
Dans une salle de sport du centre d'Istanbul, Yağmur Nisa Dursun, 17 ans, entraîne des hommes deux fois plus âgés et deux fois plus grands qu'elle à la discipline du kickboxing. Fille de l'entraîneur national Yilmaz Dursun, elle est respectée de tous. « J'ai commencé grâce à mon père, quand j'étais toute petite. Au début, je ne voulais pas, mais en voyant les autres filles s'entraîner, j'ai commencé à être envieuse », explique-t-elle.
Plus de la moitié des personnes qui fréquentent la salle de sport sont des femmes. « Comme il y a beaucoup de cas de violence domestique en Turquie, elles viennent surtout pour apprendre à se défendre », explique-t-elle. Sur les réseaux sociaux, Dursun reçoit des commentaires tels que « un seul coup de poing et tu es au tapis ». « Ce sont des commentaires dévalorisants envers les femmes... Ils agissent de la sorte parce qu'ils se sentent inférieurs. C'est une forme de harcèlement. La misère humaine est ainsi faite ». Parmi ses élèves, il y a une femme de 50 ans qui a obtenu un ordre d'éloignement contre son ex-mari : « Elle est en instance de divorce et espère décrocher la ceinture noire ».
La Turquie n'a pas ratifié la Convention n° 190 de l'OIT, applicable au domaine du sport. Sous le gouvernement de Recep Tayyip Erdoğan, le pays a connu un recul en matière de droits des femmes. En 2004, les haltérophiles Sibel Şimşek, Aylin Daşdelen et Şule Şahbaz ont porté plainte contre leur entraîneur, Mehmet Üstündağ, pour harcèlement sexuel et physique, déclenchant une enquête officielle. Elles ont fait état d'attouchements, de commentaires à caractère sexuel et d'agressions. Aylin Daşdelen l'a également tenu pour responsable du suicide de sa coéquipière Esma Can en 1999. Mehmet Üstündağ a été déchu de ses fonctions et cette affaire a marqué un tournant dans la lutte contre les abus dans le monde du sport, soulignant la nécessité de mettre en place des mécanismes de plainte efficaces et un soutien institutionnel aux victimes.
Par ailleurs, en 2021, Erdoğan a retiré son pays de la Convention d'Istanbul. Jeune et menue, Dursun se défend seule dans la rue grâce à sa technique de défense personnelle. « Je pense qu'il est très difficile d'aller loin dans les sports de combat en Turquie, surtout en tant que femme, car les possibilités sont très limitées. Les femmes ont besoin de plus de soutien financier et psychologique. Depuis que je dirige ma propre salle de sport, je suis plus sereine. Je souhaite être un exemple pour toutes les femmes, et qui sait même au niveau national. » La jeune femme estime que le retour à la Convention d'Istanbul et le respect de la Convention n° 190 permettraient de « sauver des vies ».
« Dans le sport mondial, l'ampleur des abus et du harcèlement est accablante. De plus, l'incapacité des institutions sportives à y répondre rend la mise en œuvre de la Convention n° 190 de l'OIT urgente et incontournable », explique à Equal Times Matthew Graham, directeur d'UNI World Players, le syndicat des athlètes qui représente 85.000 professionnels dans 60 pays.
Au Moyen-Orient, en Afrique et en Asie, les athlètes féminines se heurtent à une violence structurelle qui va du harcèlement sexuel à l'exclusion juridique et sociale, avec des cas documentés au Pakistan, au Maroc, en Égypte, en Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis, au Liban et au Kazakhstan. Au Pakistan, pour citer un exemple, Halima Rafiq, joueuse de cricket, s'est suicidée après avoir dénoncé des abus sexuels et avoir été accusée de diffamation. Bien que certains pays aient lancé des campagnes de sensibilisation, aucun n'a mis en œuvre efficacement la Convention n° 190 dans le domaine sportif. Il existe toutefois aussi des exemples encourageants d'autonomisation par le sport. Ainsi, dans le camp de réfugiés de Shatila (Liban), un projet autour du basket-ball a permis à plus de 150 filles d'échapper à des environnements abusifs.
M. Graham souligne que dans les régions où les athlètes sont privées de droits du travail, son organisation collabore avec la Sport & Rights Alliance pour soutenir les survivantes et mener des campagnes de pression. « Dans un cas significatif, nous avons contribué à catalyser une action internationale face au scandale des abus dans le basket-ball au Mali, ce qui a conduit à l'ouverture d'une enquête externe après des années de déni institutionnel. »
Il regrette toutefois que les États et les instances sportives ne se montrent toujours pas à la hauteur, ne serait-ce que dans l'application parcellaire de la Convention n° 190.
Ce sont « les syndicats d'athlètes et la société civile qui sont au-devant des efforts pour que le sport tienne sa promesse de garantir un environnement sûr et inclusif pour toutes et tous ».
Garantir un tel environnement dans le domaine sportif reste un défi au Moyen-Orient, en Afrique et en Asie. « Les femmes et les athlètes iraniennes sont complètement isolées, car la République islamique ne reconnaît ni ne respecte les droits des femmes dans son système juridique. Signer un document ne suffit pas pour générer un véritable changement », met en garde Shirin Shirzad. Elle préconise des mesures telles que l'exclusion des équipes masculines des compétitions internationales si la participation des femmes n'est pas garantie, l'inclusion des femmes dans la prise de décision, la mise en place de dispositifs indépendants de signalement et des sanctions sévères à l'encontre des agresseurs. « Une pression extérieure est nécessaire », insiste-t-elle.
De son côté, Haley Carter souligne l'importance que revêt la ratification de la Convention n° 190, assortie d'une mise en œuvre effective, au moyen des mécanismes spécifiques prévus à telle fin. Elle souligne en outre l'importance de faciliter les plaintes indépendantes, de permettre aux victimes d'accéder directement aux instances internationales, de protéger les plaignantes et d'exercer une pression économique par le biais d'organismes tels que le CIO, qui, selon elle, devrait exclure les talibans du mouvement olympique. Elle appelle à la mise en place de protocoles d'urgence, d'« équipes en exil » et de réseaux clandestins pour soutenir les athlètes dans des contextes répressifs. Elle rappelle également que « les actes individuels de courage peuvent être le moteur de changements systémiques. Cet esprit inébranlable me donne de l'espoir ».
Aux Jeux olympiques de Paris en 2024, la sprinteuse Kimia Yousofi a défié l'interdiction des talibans et a concouru pour l'Afghanistan. « Je représente les rêves et les aspirations qui ont été volés aux femmes afghanes », a-t-elle déclaré.
Shirzad puise également de l'espoir chez ses compatriotes : « Le courage des femmes iraniennes, qui même dans les moments les plus sombres continuent de résister et de montrer au monde que nous méritons une vie meilleure. Lorsqu'une femme ose prendre la parole, beaucoup d'autres sont inspirées à faire de même. Cela me donne la force d'aller de l'avant. »
« Les femmes iraniennes renaîtront un jour, comme le phénix. Et oui, un jour, nous mènerons une vie normale. »
En 2024, l'organisation Human Rights Watch (HRW) a présenté à la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la violence contre les femmes et les filles dans le sport un rapport documentant le caractère systémique, mondial et persistant de cette violence, qui comprend le harcèlement sexuel, les abus physiques et émotionnels et les représailles institutionnelles à l'encontre des personnes qui la dénoncent. Parmi les cas cités figurent l'Afghanistan, le Mali, la Chine, le Japon et l'Ouganda. HRW recommande, entre autres mesures, de ratifier et mettre en œuvre la Convention n° 190 de l'OIT, adoptée le 21 juin 2019.
Début 2026, l'OIT convoquera une réunion d'experts sur l'application des principes et droits fondamentaux au travail et sur la violence et le harcèlement dans le monde du sport, où l'UNI World Players représentera les travailleuses et travailleurs. « Nous avons bon espoir que cette réunion sera l'occasion d'élaborer des normes et de formuler des orientations indispensables dans ce domaine », a conclu Matthew Graham.
17.06.2025 à 10:20
Le droit de grève est la cible des employeurs et des politiques néolibérales depuis plus d'une décennie, et subit chaque année des attaques de plus en plus alarmantes à travers le monde. Jusqu'à récemment, ce droit était unanimement considéré comme consacré par les conventions de l'Organisation internationale du travail (OIT), un consensus international qui régit les relations professionnelles depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, mais depuis 2012, il est remis en question par les (…)
- Actualité / Droits du travail, Grèves, Travail, Syndicats, Législation du travail, Organisation internationale du travail, Législation, Charles KatsidonisLe droit de grève est la cible des employeurs et des politiques néolibérales depuis plus d'une décennie, et subit chaque année des attaques de plus en plus alarmantes à travers le monde. Jusqu'à récemment, ce droit était unanimement considéré comme consacré par les conventions de l'Organisation internationale du travail (OIT), un consensus international qui régit les relations professionnelles depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, mais depuis 2012, il est remis en question par les employeurs au sein même de l'organe de l'ONU. Dans la pratique, le patronat opère un boycott du fonctionnement interne de l'OIT, inédit depuis sa création en 1919 (au sein de la Société des Nations), une obstruction qui coïncide avec une augmentation alarmante des restrictions juridiques et des mesures répressives à l'encontre de ce droit sur tous les continents.
Le droit de grève et le droit à la négociation collective sont les instruments les plus importants dont disposent les travailleurs pour se défendre contre une multitude d'abus dans le domaine du travail et, bien qu'il s'agisse de droits humains relativement bien ancrés dans les régions les plus développées du monde, ils subissent des pressions croissantes depuis des années. Cet inquiétant recul va de pair avec des gouvernements influencés par l'idéologie néolibérale qui tentent d'entraver et de limiter dans la pratique, par de nouvelles lois, les effets socialement perturbateurs des grèves, alors que c'est précisément en cela que réside leur force en tant qu'arme de pression et de défense des travailleurs.
Le dernier Indice des droits dans le monde de la Confédération syndicale internationale (CSI) révèle que le droit de grève a été mis à mal dans 131 pays au cours de l'année écoulée (87 % des 151 pays étudiés dans le rapport), soit 44 pays de plus qu'en 2014, année où l'indice avait étudié 119 nations. La tendance qui se dessine est claire : examiné par région, en 2025, le droit de grève a été violé dans 95 % des pays du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord, 93 % des pays d'Afrique, 91 % des pays d'Asie-Pacifique, 88 % des pays d'Amérique et 73 % des pays d'Europe, région qui (même si elle est celle où ce droit est le plus ancré en principe) connaît une tendance à l'obstruction juridique et à la criminalisation des grèves, ainsi qu'à la stigmatisation sociale des grévistes eux-mêmes. Parallèlement, dans 121 pays (soit 80 % ou 34 nations de plus qu'en 2014), le droit des travailleurs à la négociation collective de leurs conditions de travail a été sévèrement restreint ou est inexistant.
En Europe, fer de lance des progrès du droit du travail, l'ancien modèle social « centré sur le travailleur » est activement démantelé par les gouvernements et les entreprises, et ce, à une vitesse qui ne cesse de s'accélérer. En 2025, la protection juridique même du droit de grève avait considérablement empiré au Royaume-Uni, en Hongrie, en Albanie, en Moldavie et au Monténégro. En Belgique, en France et en Finlande, les autorités ont réprimé des travailleurs en grève, tandis que la montée de l'extrême droite accroît d'année en année le risque d'érosion des droits du travail.
En Europe en particulier, où, au cours de la dernière décennie, la pire détérioration des droits du travail de toutes les régions du monde a été enregistrée, on observe depuis quelques années une tendance croissante à limiter la portée et les conditions dans lesquelles la grève est autorisée. Ces nouvelles politiques constituent une dérive législative, puisqu'elles visent à limiter le droit de grève en tentant d'établir une définition trop large de ce qui est considéré dans chaque pays comme des « services essentiels », afin de restreindre ou d'interdire, dans la pratique, le recours à la grève dans un nombre croissant de secteurs du travail.
L'OIT stipule que les « services essentiels » sont uniquement « les services dont l'interruption mettrait en danger, dans l'ensemble ou dans une partie de la population, la vie, la sécurité ou la santé de la personne ». Pourtant, un nombre croissant de parlements légifèrent pour étendre cette définition à des secteurs tels que les transports, l'éducation et la santé, tout en élargissant la proportion de services minimums à assurer à un point tel que la capacité de perturbation sociale qui sous-tend la force de la grève en tant que moyen de pression est pratiquement éliminée.
« Ce qui fait le succès éventuel d'une grève, c'est sa capacité à perturber le système économique », explique à Equal Times l'historien français Stéphane Sirot, spécialiste de la sociologie des grèves, du syndicalisme et des relations sociales.
« Donc, si vous adoptez une législation dont l'objectif est de faire en sorte qu'une grève perturbe le moins possible, c'est un peu comme si vous lui déniez son droit d'existence, au fond, parce que la lettre juridique laisse la grève exister, mais elle a tendance à la tuer dans son esprit », ajoute-t-il.
Cette situation s'aggrave encore davantage en raison des règles qui donnent le ton de cette offensive conservatrice contre les droits des travailleurs, à l'instar de la Loi sur les grèves (niveaux de service minimum) adoptée au Royaume-Uni en 2023. Elle permet d'obliger les travailleurs de certains secteurs stratégiques à ignorer une grève, même s'ils en sont les initiateurs, sous peine de licenciement. Elle permet également de réprimer les protestations et les manifestations syndicales et de remplacer les grévistes par d'autres employés temporaires. Le nouveau gouvernement travailliste britannique a annoncé en août qu'il abolirait cette loi. Pourtant, ses critères de respect du service minimum restent en vigueur, même s'ils devraient être abrogés par le parlement en juillet prochain.
Dans le cas de la France, la situation a radicalement changé depuis la grève des transports de novembre 1995. Celle-ci avait été déclenchée pour empêcher le gouvernement d'Alain Juppé de mettre en œuvre les réformes de la Sécurité sociale qui devaient affecter les travailleurs du secteur. « Pendant trois ou quatre semaines en France, […] il n'y avait plus un train […] qui circulait », se souvient M. Sirot. La mesure a été un succès pour la défense des droits des travailleurs, mais à partir de ce moment-là, « on a vu se développer de manière assez nette une rhétorique sur la grève comme un instrument de perturbation inadmissible et qu'il faut absolument encadrer, limiter et contraindre ». Dans les années qui ont suivi, les projets de loi se sont multipliés dans ce sens, en vue de limiter le droit de grève jusqu'à ce qu'il se rapproche de plus en plus du « modèle italien », où « il y a des périodes au cours desquelles il est interdit de faire grève, notamment dans le secteur des transports, par exemple au moment des départs en vacances à Noël ». Or, un rapprochement avec ce modèle risque de laisser s'échapper la pression par d'autres voies : « à partir du moment où la loi contraint tellement le droit de grève qu'elle l'empêche presque », on assiste à des « grèves sauvages » où le conflit de travail éclate déjà délibérément sans aucune volonté de se soumettre à la législation en vigueur.
L'ironie de cette situation est grande, souligne l'historien, car cela nous ramène à la situation du début du XIXe siècle, époque où la grève était interdite et où la contestation était beaucoup plus violente et aussi beaucoup plus violemment réprimée. Avoir recours à cette pratique aujourd'hui suppose un « choix politique, un choix idéologique », mais qui « ne résout pas les questions sociales. Si vous voulez, c'est plus une façon de les dissimuler ». Et cela, insiste M. Sirot, est « politiquement très dangereux », parce que « si les mécontentements sociaux ne peuvent pas s'exprimer par des dispositifs comme la manifestation ou la grève, et ben, ils s'expriment par la voie des urnes », ce qui explique en partie la montée actuelle de l'extrême droite en Europe, selon lui.
Entre-temps, « il y a une résistance que je trouve très marquée et très forte de la part des systèmes de pouvoir à l'égard des conflits sociaux », face à laquelle il n'y a plus besoin de répression, ils « attendent que les mouvements s'épuisent. Voilà, ils ne négocient même plus » avec les autres acteurs sociaux. « On parle de concertation, de consultation, mais moins de négociation », note-t-il. Historiquement, « on est beaucoup moins enclin aujourd'hui qu'il y a quelques décennies à rechercher des compromis. Et personnellement, je trouve ça vraiment très dangereux, parce qu'encore une fois, quand on ne trouve pas des compromis sociaux, ce sont des contestations politiques qui émergent » de tout le système, « et c'est ce qu'on observe aujourd'hui ».
Depuis quelques années, la bataille se propage à l'OIT elle-même, qui fonctionne sur un socle tripartite, avec un dialogue social constant entre les représentants des gouvernements des 187 États membres, des employeurs et aussi des travailleurs. La Conférence internationale du travail qui coordonne les politiques de l'organisation pour l'année à venir a lieu tous les ans, en juin. Lors de la session de 2012 cependant, dans le cadre des discussions de la Commission de l'application des normes (CAS), le groupe dit « Groupe des employeurs » a remis en question ce que les experts en application des normes de l'OIT considéraient comme acquis depuis trois quarts de siècle à savoir que le droit de grève est implicitement reconnu par la Convention sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical (C087) de 1948 et la Convention sur le droit d'organisation et de négociation collective (C098) de 1949.
« Il est impossible de comprendre la liberté syndicale sans l'exercice des trois fonctions qui la composent : la reconnaissance des syndicats (et de l'activité syndicale elle-même), la négociation collective et le droit de grève, précisément en qualité d'outil d'équilibre social permettant de conquérir des droits », explique à Equal Times l'un des grands spécialistes internationaux en la matière, l'Argentin Marcelo DiStefano, docteur en droit du travail, professeur dans deux universités publiques de Buenos Aires et membre du comité exécutif de la Confédération syndicale des Amériques (CSA) au nom de la Confédération générale du travail (CGT) de son pays.
« C'est ainsi parce que la liberté syndicale est un droit à la conquête de droits, un outil qui permet de conquérir de nouveaux droits », souligne-t-il.
Lorsque, en 2012, les employeurs ont commencé à contester le fait que la Convention 87 garantissait implicitement le droit de grève, rappelle-t-il, « c'est là qu'a commencé le processus de blocage de l'un des outils les plus importants dont dispose le système de contrôle [du respect] des normes [de l'OIT], à savoir la Commission de l'application des normes », dont les capacités, notamment l'élaboration de rapports sur le respect ou non des directives de l'OIT à travers le monde, sont paralysées depuis maintenant 13 ans.
Cela signifie que, depuis 2012, les travailleurs, les employeurs et les gouvernements sont aveugles, sans données unanimement établies ni interprétations autorisées par l'OIT sur les limites légales à l'exercice du droit de grève, ce qui a accru l'incertitude politique pour toutes les parties et a contribué à inciter la Confédération syndicale internationale (CSI) à élaborer, à partir de 2014, son propre rapport annuel sur l'état des conditions de travail dans le monde.
Comme l'explique M. DiStefano, pour fonctionner, la CAN « exige un consensus, mais, lorsqu'une des parties en bloque la possibilité, il est impossible de parvenir à un accord, car ce qui est en jeu ici, c'est de savoir si la Convention 87 reconnaît ou non le droit de grève. Or, comme on dit en Argentine, on ne peut pas être “un peu enceinte” : on l'est ou on ne l'est pas ».
Pendant ces 13 années de vide juridique qui ont commencé juste au moment où un syndicaliste, le Britannique Guy Ryder (ancien secrétaire général de la CSI de 2006 à 2010), est devenu directeur général de l'OIT, les représentants mondiaux du patronat ont tenté d'empêcher les travailleurs de porter l'affaire devant la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye en vue d'obtenir un avis consultatif.
« Ils ont tenté de négocier un protocole spécifique sur la grève [inexistant jusqu'alors dans la réglementation de l'OIT], mais le droit de grève, soit on l'a, soit on ne l'a pas », souligne M. DiStefano. « En réalité, leur intention était d'entamer un processus visant à restreindre l'exercice du droit de grève, car il ne s'agit pas d'un droit absolu, mais plutôt d'un droit relatif, qui peut être encadré dans certaines circonstances… mais, dans ces cas-là, l'OIT considère que ces restrictions peuvent être imposées afin de protéger des droits essentiels, c'est-à-dire lorsque la sécurité ou la vie des personnes est mise en danger ».
En fin de compte, les travailleurs et une grande partie des États, y compris les membres de l'Union européenne et les États-Unis, ont voté pour porter la question devant la CIJ, qui doit encore se prononcer à ce sujet.
Pour leur part, les représentants des organisations patronales du monde entier semblaient chercher à affaiblir le contrôle des normes de l'OIT, afin de voir s'estomper la protection internationale du droit de grève et de permettre des interprétations plus laxistes qui permettraient de le restreindre dans la pratique. L'organisation qui les regroupe au sein de l'OIT, l'Organisation internationale des employeurs (OIE), a refusé les questions d'Equal Times, mais a renvoyé à un communiqué à ce sujet, dans lequel elle affirme que, selon elle, ainsi que « de nombreux gouvernements », l'instance compétente pour interpréter si le droit de grève est reconnu ou non par l'OIT n'est pas la CIJ, mais les réunions annuelles de la CIT… que les employeurs eux-mêmes entravent depuis 12 ans en bloquant toute mesure qui impliquerait de considérer que l'organisme des Nations unies reconnaît le droit de grève, comme cela avait été sous-entendu jusqu'en 2012, pendant trois quarts de siècle.