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Myriades \ Francis Pisani
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MYRIADES

Francis PISANI

▸ les 20 dernières parutions

12.05.2024 à 10:17

Minimal.IA + AI first

Francis Pisani

Quelques nouvelles récentes et brèves + un aperçu de la cybersécurité et de la diplomatie américaine à l'heure de l'intelligence artificielle et le risque de fractionnement de l'internet.
Texte intégral (2252 mots)

Bienvenue sur Myriades,

Vous qui entrez ici… abandonnez toute angoisse ;-). J’y parle d’intelligence artificielle et de technologies digitales en termes simples : infos minimales et explications courtes pour qui n’en fait ni un métier ni un investissement mais souhaite mieux comprendre en quoi « ce truc change tout ».

Minimal.IA

  • Les femmes sont peu nombreuses aux postes de commande des Big Tech. D’où l’enthousiasme d’Ayesha Khanna face à la slovène Sanja Fidler. VP en charge de la recherche en intelligence artificielle à NVIDIA (qui produit près de 80% des microprocesseurs utilisés dans ce domaine), elle a aussi publié 170 articles scientifiques. Respect.

    ≈051-Ayesha-SanjaFidler-NVIDIA-surX
  • Vous en avez entendu parler, ne manquez surtout pas la vidéo d’Apple intitulée « Crush » (mot qui veut dire à la fois « coup de coeur »et « pulvériser ») conçue pour nous convaincre des beautés de son nouvel iPad. On y voit une énorme presse écraser tous les outils de la création artistique pour en sortir un iPad ultra fin. Catastrophique. Elle ne dure qu’1min08 qui pourraient conduire à quelques trimestres de troubles pour la marque à la pomme. Mon ami Antoine Brunel y voit « une publicité qui résume tout, car le cerveau humain est lui aussi sous cette même presse ». 

  • Belles promesses : Google DeepMind vient d’annoncer dans un article publié par la prestigieuse revue Nature « AlphaFold 3, un modèle d'IA capable de prédire la structure et les interactions de toutes les molécules de la vie avec précision ». Guillaume Grallet nous explique dans Le Point qu'elle devrait permettre de « mettre au point de nouveaux médicaments, une meilleure production agricole, ou encore tout simplement  de mieux comprendre la vie ». Plus prometteur encore, le serveur sur lequel se trouve le modèle est gratuit et ouvert aux scientifiques du monde entier.

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Guerre, IA et la nouvelle « diplomatie »

l’iPhone est né en 2007.  Il nous a fallu 3 ans à peu près pour comprendre que nos relations avec les autres, l’info, les apps, le web et l’internet passeraient essentiellement par le téléphone. Ce qu’on appelait « mobile first ». C’est, aujourd‘hui, l’intelligence artificielle qui, 18 mois après l’apparition de ChatGPT, est l’élément clé de réorganisation de notre relation au monde. Et je ne parle pas, cette semaine, de comment elle peut permettre de faire des recherches mieux étayées ou d’écrire un texte plus vite.

Levons un peu le nez du guidon. Les Tech@IA (technologies à l’heure de l’IA) sont maintenant partout. Dans notre poche ou notre sac, comme au centre du conflit Chine États-Unis. Les deux super-puissances doivent se retrouver à la fin du mois de mai à Genève pour le premier dialogue sur le contrôle de l'intelligence artificielle en cas de guerre. 

Le ministère des affaires étrangères américain (Département d’État) vient, dans cette perspective, de publier un document posant les bases de la Stratégie internationale des États-Unis en matière de cyberespace et de politique digitale

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De quoi s’agit-il ? L’homme qui en est responsable, le premier Ambassadeur pour le cyberespace et la politique digitale, Nathaniel Fick, a posé le problème on ne peut plus clairement dans un entretien au New York Times : « Presque tout le monde est prêt à reconnaître que la technologie est un élément important de la politique étrangère, mais je dirais que la technologie n'est pas seulement une partie du jeu, elle est de plus en plus le jeu tout entier ».

Une nouvelle ère des relations internationales est en train de s’ouvrir. Selon Washington, la planète sera - de nouveau - divisée en deux camps et personne ne pourra échapper au choix puisque technologies digitales et intelligence artificielle se retrouvent à tous les niveaux, qu’il s’agisse de développement, de résilience en cas d’attaque, de protection des câbles sous-marins, des entreprises, des utilisateurs comme de toutes les données que nous gardons dans le cloud.

Anthony Blinken, le Secrétaire d’État, estime qu’il est dangereux d’utiliser des technologies appartenant à des conceptions reposant sur des couches (stacks) différentes. Le monde entier va donc devoir choisir entre l’écosystème proposé par les Américains et celui des Chinois, quelles que soient leurs performances respectives.

« L’ordre international sera défini par le système d'exploitation métaphorique qui dominera » affirme Nathaniel Flick. Formule sibylline autant qu’idéologique. Face à Beijing, peu discrètement mis en cause, le Département d’État mise sur la « solidarité digitale » avec ses alliés.

L’enjeu est bien sûr le « sud global » que la Chine s’efforce d’amadouer en jouant de leur passé colonial commun et, pour beaucoup de leur rejet croissant de l’Occident. Les États-Unis misent, eux,  sur le futur promis par leurs capacités technologiques. 

Leur avance ne semblant pas devoir être éternelle, ils se dépêchent d’avancer leurs cartes.

En clair, nous entrons dans une période de conflits de plus en plus tendus. Technologies digitales et intelligences artificielles sont essentielles à tous les niveaux de la vie économique, sociale et politique à commencer par la guerre. Habitués à sélectionner des fusils dans un camp et des tanks dans l’autre les pays qui se veulent ou se disent (disaient) « non-alignés » vont devoir choisir à quelle IA se vouer. L’américaine ou la chinoise.

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Commentaires : 

  • Dommage collatéral de taille : une telle évolution risque de nous conduire à un fractionnement de l’internet. Tout le contraire de ce dont nous avons rêvé depuis le début des années 1990… sauf les régimes autoritaires qui y gagnent.

  • C’est le moment choisi par la France pour mettre ses capacités nucléaires au service de l’Europe. Elles sont concernées, mais leur contrôle dépend maintenant de capacités précises en cybersécurité. Ne sommes-nous pas en retard d’une guerre ?

  • Bien utilisées les intelligences artificielles peuvent contribuer aussi à la résolution des conflits. Qui va s’y mettre ?

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03.05.2024 à 08:05

Elles sont partout... ≈050

Francis Pisani

Où il est montré que le duel sino-américain peut mettre en danger l'accès de millions de jeunes à leur app préférée, que Washington utilise Microsoft et que l'IA peut être utilisée bêtement
Texte intégral (2699 mots)

Vous en en êtes submergé.e.s, mais les informations importantes concernant les technologies à l’heure de l’intelligence artificielle (Tech@IA) sont traitées d’une telle façon qu’il est difficile d’en mesurer l’impact réel sur nos vies privées, la politique et la planète. C’est préoccupant.

Elles sont partout

TikTokLaw-France24_OlivierDouliery/AFP

Prenons deux actus récentes : l’adoption, aux États-Unis, d’une loi d’aide militaire à l’Ukraine, Israël et, un peu moindre, à Taiwan qui pourrait affecter le mode de vie de 300 millions de jeunes Américains et Européens,  ainsi qu’un gros investissement de Microsoft aux Émirats Arabes Unis (Abu Dhabi en l’occurence) dont je me demande comment il peut ne pas aggraver la crise climatique.

Vous avez sans doute vu, lu ou entendu la première, abordée dans la couverture internationale de nos médias. Il était plus difficile de repérer la seconde, traitée avec les infos concernant les grands mouvements d’argent qui nous dépassent ou les développements de l’intelligence artificielle à laquelle nous ne faisons encore  que prudemment attention. Elles marquent pourtant des points d’inflexion susceptibles de peser dans nos vies et sur l’évolution de la situation planétaire. Les deux sont importantes en termes de technologie et de politique.

Loi TikTok - La nouvelle loi passée à Wahington contenait - outre tout ce que vous en savez - une disposition dont on n’a parlé que dans les rubriques technologiques : la menace d’interdiction de TikTok, ce programme de courtes vidéos devenu une des sources préférées d’expression des jeunes et un moyen de les atteindre en publiant dans un langage qui leur convient.

Ils sont 170 millions aux États-Unis et 135 millions en Europe.

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L’argument est que l’entreprise mère est chinoise (ByteDance), que le gouvernement de ce pays peut ainsi ausculter à loisir ce qui se dit et se sent en Occident qu’il combat, qu’il pourrait s’en servir pour l’influencer le moment venu, s’il ne le fait pas déjà. Ça permet aussi aux Big Tech américaines de souffler face à un concurrent qui les dépasse.

Démocrates et Républicains se sont mis d’accord pour sommer la maison mère de vendre TiKTok à uneentreprise non chinoise dans un délai d’un an (360 jours maximum pour être exact). Les pressions pour que l’Europe agisse dans le même sens ne manquent pas. 

Microsoft joker de la diplomatie américaine - D’un montant de 1,5 milliard de dollars l’Investissement de Microsoft dans l’entreprise G42 d’Abu Dhabi va aider ce pays à s’insérer sur l’échiquier mondial autrement qu’avec son seul pétrole. Bien vu.

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Attention, s’il s’agit de créer des data centers géants pour préparer une transition vers un monde dans lequel la richesse proviendra d’autres ressources que les énergies fossiles, il va falloir les refroidir… comme toujours. Dans une région où l'eau est bien plus rare que le pétrole on se demande comment le problème sera résolu. Faute d'informations fiables j'en suis réduit à me dire qu'il va falloir beaucoup, vraiment beaucoup d’air conditionné pour préserver le bon fonctionnement des machines.

Washington a de bonnes raisons de rester discret. La participation de Microsoft - fortement poussée et soutenue, presque imposée par le Département d’État - s’accompagne d’un condition drastique : que ce développement se fasse sans la moindre participation chinoise. 

En clair - Application préférée d’1,4 milliards de jeunes dans le monde, affrontements US-Chine, coup de pouce dans l’utilisation des énergies fossiles, re-positionnement du monde arabe sur l’échiquier planétaire : technologies digitales et intelligences artificielles sont bien partout…

Si ça vous turlupine, n'hésitez pas à demander des compléments d'information à Google, Perplexity.ia ou votre source préférée.

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Bêtes dans l’utilisation des IA !

Father-Justin-devient-Mister-Justin_BenedictineCollege Atchinson, Kansas

C’est, sans la moindre intention d’offenser, ce qui est arrivé à un groupe de catholiques américains qui n’ont rien trouvé de mieux que de déguiser une intelligence artificielle en prêtre catholique baptisé Father Justin. Ça permettait à l’organisation responsable, Catholic Answers, d’atteindre plus de monde à moindre coût. Efficacité, combien de conneries ne sont-elles pas commises en ton nom ?

Jugez vous-mêmes. Le succès n’aura duré que deux jours à peine, jusqu’au moment où plus d’un.e croyant.e a demandé « l’absolution sacramentelle » à Justin qui affirmait avoir été ordonné prêtre à Rome. Ce qui, bien évidemment, n’était pas le cas. « Dans l'Église catholique, la confession est l'un des sept sacrements. Elle consiste pour le fidèle à avouer ses péchés à un prêtre (et seulement à un prêtre) qui lui donne l’absolution, c’est-à-dire le pardon de Dieu, » explique le Figaro source fiable en la matière. 

Rapidement défroqué, Justin n’est plus qu’un théologien laïc… très calé. 

Pour en savoir plus, outre le Figaro, tapez simplement « Father Justin ».

Utile : Tout comprendre le temps de se faire un café

Vidéo : comprendre l’IA en 2min30 de FenêtreSur

Allez donc voir, c’est bien foutu.

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21.04.2024 à 09:44

Perplexity.ai + Myriades ≈049

Francis Pisani

Où je dis pourquoi j’utilise Perplexity.ai et où je fais le point sur comment Myriades vous aide face au tsunami de technologies nouvelles
Texte intégral (2495 mots)

Bonjour,

J’ai enfin choisi un chatbot d’intelligence artificielle que je commence à utiliser régulièrement. Il s’agit de Perplexity.ai le plus simple et le plus utile pour qui ne cherche pas à devenir pro mais souhaite comprendre comment les technologies à l’heure de l’IA - Tech@IA - bousculent le monde et leur propre vie. Celles et ceux prêt.e.s à tenter le coup sans vouloir ce casser la tête. J’y reviens plus bas. 

Pour qui cherche l’outil le plus performant aujourd’hui et la meilleure façon de l’utiliser, voici un excellent guide (déjà signalé) proposé par GénérationIA

Trop compliqué pour moi…

perplexity-ai-Wizardsourcer.com

Perplexity.ai est un assistant conversationnel à la fois :

  • Très simple -J’échange avec lui avec mon vocabulaire de tous les jours (que les pros appellent « langage naturel  »). C’est plus facile que de passer par des « prompts » qui demandent pour être efficaces d’être préparés à l’avance et un savoir faire.

  • Très performant - Ses réponses synthétiques sont accompagnées des sources que je peux aller consulter pour approfondir le dialogue sans passer par un moteur de recherche dont les liens sont choisis pour les revenus publicitaires qu’ils génèrent. J’ajoute qu’il travaille avec les meilleurs modèles d’IA, de ChatGPT à Mistral en passant par Claude (voir le guide mentionné plus haut si vous souhaitez comparer) et qu'il est au courant de l’actualité.

Exemple tout récent, j’ai visité l’expo Mexica du Musée du Quai Branly dans lequel il est dit que le nom « Aztèques » leur avait été donné par le géographe allemand Alexander von Humboldt au début du 19ème siècle. Interrogé, l’assistant confirme. Je vérifie grâce aux sources fournies et, quand je lui signale que dans certains documents ils s’appelaient eux-mêmes « aztèques », il me répond : c’est vrai mais aujourd’hui on utilise plutôt « Mexica ». Je n’aurai pas pu avoir cet échange avec des prompts.

Détail sans impact technique mais qui m’a sûrement influencé dans mon choix : le nom lui-même figurait au coeur de mon tout premier billet Ce truc change tout). Question de sensibilité ou d’attitude comme je le signale plus bas. 

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Perplexity.ai se vend comme un « moteur à réponses » (answering engine). Jolie formule, plus juste que je n’étais tenté de croire au début. Utilisable en de nombreuses langues il apparaît sur l’écran des anglophones avec la formule « Where knowledge begins  », Où commence la connaissance.

Après plusieurs jours d’utilisation gratuite (ouverte à tous), j’ai décidé de passer à la version payante (20 US dollars par mois) pour voir ce que je peux tirer du maximum de ses capacités. Je m’en servirai régulièrement et signalerai chaque fois que cela aura un impact sur mes textes. Et je continuerai à regarder les autres outils d’IA simples et performants pour « non-pros ».

J’ai d’abord utilisé, avec plaisir, Pi.ai, très semblable mais j’ai abandonné quand son fondateur est lui-même parti avec cerveaux et bagages (chez Microsoft). 

Je ne le choisis pas Perplexity.ai en croyant qu’il est le meilleur. Il est agréable et correspond à la façon dont je m’informe aujourd’hui.

Vous pouvez, si ça vous tente consulter ces deux bons guides en français publiés par LeBigData.fr et par Sales-Hacking.com. Sinon, choisissez le chatbot qui vous convient le mieux, mais commencez à vous en servir sérieusement.

 Et pour aller plus loin… Googlez : alternatives à Perplexity.ai.

RodinPenseur-JoaoAraujo_Flickr_CC BY-SA 2.0 DEED

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Myriades - Votre partenaire face aux technologies à l’heure de l’intelligence artificielle

En adoptant un assistant personnel boosté à l’IA, je me suis souvenu de qui préférait s’informer sur un journal papier plutôt que sur le web, de qui jurait de ne jamais acheter un mobile tant leur ligne fixe suffisait à leurs besoins. J’ai, pour ma part sous-estimé Twitter et mis du temps à ouvrir TikTok, entre autres. 

Pas facile de s’y retrouver dans ce tsunami de nouveautés qui nous font peur et nous attirent. Myriades vous aide en vous proposant:

Une piste : les technologies nous transforment

  • Les technologies que nous inventons (depuis des dizaines de milliers d’années) nous transforment à mesure que nous les adoptons

    • Le feu a permis de cuire et de mieux assimiler la nourriture. L’agriculture a entraîné la création des villes.

  • Le nombre de technologies à notre disposition est passé de quelques innovations en 30 ou 40.000 ans à des dizaines de milliers par décennie. Elles touchent plus de personnes, dans plus de régions, plus vite.

  • Cette « accélération » (Hartmut Rosa) nous a conduit à une « modernité liquide » (Zygmunt Bauman) dans laquelle institutions et pratiques sociales sont moins fixées, moins rigides.

    • Il y a dix ans à peine nous prenions longtemps à l’avance des rendez-vous dans des lieux et à des heures déterminés. Aujourd’hui on s’adapte mutuellement jusqu’au dernier moment… ce qui peut être énervant… ;-)

Une attitude : la curiosité nous motive et s’adapte 

  • Personne n’est tenu de se précipiter sur ces technologies ni même de les adopter. Mais renoncer à certaines pratiques dépassées et s’adapter à de nouvelles formes de connaissances n’est pas idiot. 

  • Joli sujet de conversation à tout âge, ça facilite les relations trans-générationnelles. Et ça stimule à condition de pratiquer, seule façon de comprendre.

  • Comme dans l’eau froide on peut y aller progressivement. Sans s’en laisser imposer par ses peurs. Avec esprit critique et légèreté (Italo Calvino). 

Un flux d’infos et de questions pour les non-pros

  • Myriades se présente comme un flux d'infos et de questions sur les technologies à l’heure de l’intelligence artificielle (Tech@IA). Comme tel, il évolue.

  • Des ouvertures sur des développements tantôt risqués, tantôt prometteurs. Souvent les deux.

  • Des références concrètes à des outils simples à tester et des questions sur les enjeux des transformations en cours.

Tout ça pour des personnes qui ne font pas des Tech@IA leur métier mais souhaitent acquérir les rudiments d’une nouvelle culture... et plus si affinités.

Vous et moi. Pas encore une communauté. Une sensibilité peut-être ?

A faire évoluer par la conversation…

A vite !

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08.04.2024 à 07:56

En quelle langue travaillent-elles ? ≈048

Francis Pisani

Du mauvais usage de la BNF François-Mitterand et de sa relation avec la modeste présence du français sur le web, aggravée par les modes de travail de l’intelligence artificielle.
Texte intégral (2997 mots)

Bonjour,

Les idées, les prises de position contradictoires ont le mérite d’être stimulantes. Ainsi en va-t-il de certains sentiments, minoritaires, concernant la BNF François Mitterand. Ses partisans sont nombreux et leurs arguments connus.

 L'édifice est impressionnant. Nos livres historiques méritent un bel endroit où les conserver et les consulter. Mais combien je regrette (cela a toujours été le cas) qu’on n’aie pas consacré une partie de ces ressources à digitaliser à tour de bras et très tôt (essentiel sur le web) le corpus francophone. Nous serions aujourd’hui dans une situation différente face aux biais linguistiques du web et de l’intelligence artificielle.

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Du mauvais usage de la BNF François Miterrand

Les « briques » (les constructions en dur) l’ont emporté sur l’immatériel (comme ils disent) et, aujourd’hui, le digital est à la traîne malgré les plus de dix millions de documents numérisés sur Gallica qui ne sauraient nous tirer d’affaire face à la prolifération des langues sur le web.

Or, je reviens de trois semaines au Mexique, où j’ai vécu 15 ans, et où je me suis retrouvé devant l’évidence concrète, pratique, quotidienne, que les gens pensent différemment dans des langues différentes. 

Heureux hasard, je trouve au retour un article de l’excellent Thomas Mahier, cofondateur et actuel CTO de Flint Media, qui nous explique, à propos de l’une d’entre elles : « vous parlez français, elle pense anglais, et vous répond chinois ! »

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Comment ça bosse là-dedans ?

Permettez-moi un tout petit nombre de rappels pour commencer :

- Langues les plus parlées dans le monde (dans l’ordre) : anglais, chinois, hindi, espagnol, français, arabe, etc.

- Langues les plus utilisées sur le web (dans l’ordre) : anglais (52%), espagnol (5,5%), allemand, russe, japonais, français (4,3%), portugais etc.

- Mais… entre 80 et 90% des textes utilisés par les plus grandes plateformes d’intelligence artificielle sont en anglais !

Nous ne disposons pas, à ma connaissance, de données précises sur le multilinguisme des plateformes les plus importantes (OpenAI, Google, Anthropic… etc), si ce n’est que Mistral, entreprise créée par trois français, fait des efforts pour inclure des proportions plus grande de langues… européennes.

Chance :  l’institut Fédéral Polytechnique de Lausanne (EPFL) vient de rendre publique les résultats d’une recherche approfondie sur le fonctionnement d’un de ces services : LLAMA, le système d’IA de Meta-Facebook. 

Multilingue - comme ses semblables - il peut traduire un grand nombre de langues et semble passer de l’une à l’autre sans difficulté. Mais il ne suffit pas, quand on demande comment dire « bonjour » en finnois ou en vietnamien d’avoir une réponse correcte. Il  faut y voir clair sur le parcours suivi pour arriver à ce résultat. 

Les plus performants d’entre eux fonctionnent avec des technologies dites d’apprentissage profond qui consistent à faire passer les données par de multiples couches de travail (les réseaux neuronaux artificiels inspirés du fonctionnement de notre cerveau un peu comme les ailes d’un avion peuvent nous rappeler celles d’un oiseau). 

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Ils disent « multilingue » ! Pas faux, pas clair

Pour s’y retouver, les chercheurs de l’IPFL ont suivi, entre autres, toutes les étapes du passage du français au chinois quand on demande à LLAMA comment se dit « fleur » dans le langage de Confucius. Et voilà que processus passe par des couches qui ne sont ni dans la langue du maître chinois, ni dans celle de Victor Hugo, mais dans celle de Shakespeare (ou ce qu’il en reste quand elle est moulinée par les techniques de l’IA).

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Dire que LLAMA « pense » en anglais, me semble un peu rapide et je préfère me demander, comme se limite à le faire l’EPFL, « dans quelle langue travaille-t-il ? »

En clair on passe d’à peu près n’importe quelle langue à n’importe quelle autre en transitant par une « langue pivot » : l’anglais.

Quels sont les inconvénients ?

Thomas Mahier estime que l’on risque de perdre des nuances. Il a raison. On voit sans peine où cela peu conduire dans les relations entre peuples et institutions parlant des langues différentes. On a inventé et mené des guerres pour moins que ça.

C’est aussi bien plus grave.

L’étude, dont la méthode devra être appliquée à d’autres modèles d’IA, met à jour le fait qu’il ne s’agit pas seulement de quantité de données (majoritairement en anglais) mais que dans certains cas on fait passer les traductions entre les autres langues par celle-ci. 

La mécanique du biais est dans le fruit. Les langues ça mène loin.

Cité par Benoît Raphaël (l’autre cofondateur de Flint.media), Sam Altman, patron de OpenAI (à qui nous devons ChatGPT) ne voit-il pas dans la course vers des intelligences artificielles toujours plus sophistiquées « une gigantesque lutte de pouvoir » ?

Pour qui aurait besoin de plus…

  • Qui souhaite en savoir plus sans s’égarer dans les sources scientifiques trouvera dans ce post de mon ami Benoît Raphaël un « guide ultime des chatbots d’IA en 2024 » et dans le billet conjoint de Thomas Mahier des explications plus complètes sur le biais linguistique reposant sur l’étude de l’IPFL mentionnée dans ce billet.

  • Je m’en tiens, pour ma part à l’objectif de Myriades qui est de rendre accessible au plus grand nombre - ce que j’appelle « culturation » ou acquisition douce d’une culture nouvelle - les enjeux des technologies de l’information à l’heure de l’IA.

Autre chose : Fantomas est-il de retour ? 

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Les hommes ont de plus en plus souvent la boule à zéro. Il suffit de s’arracher à son portable dans un lieu public pour le constater.

On pourrait craindre que Fantomas - le maléfique centenaire - soit de retour. A moitié en tous cas car, s’il a bien la boule à zéro, il est plus souvent mal rasé aujourd’hui que totalement glabre.

Que se passe-t-il ?

Essayons de répondre par une autre question : et si c’était la faute à la tech tout autant qu’une question de mode ? 

Souriez et pensez-y !

Bien différentes des rasoirs électriques traditionnels les tondeuses récentes permettent d’exercer, sur notre système pileux, un contrôle jadis réservé au coiffeur. En moins cher et plus rapide puisqu’on ne se rase même plus tous les matins.

Pareil qu’avec les technologies perturbatrices.

Nous sommes loin de l’intelligence artificielle (pour le moment) mais au coeur d’un sujet déterminant : les outils que nous inventons, les technologies que nous innovons nous façonnent. 

Souriez mais pensez-y !

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19.03.2024 à 08:20

Pour rester à jour il faut apprendre ≈047

Francis Pisani

Toujours changeante, la culture digitale nous est indispensable pour nous repérer à l’heure de l’intelligence artificielle . Chacun.e à son niveau, à sa façon. Repères à utiliser.
Texte intégral (2927 mots)

Bonjour,

En prenant l’ascenseur récemment, j’ai trouvé une dame à cheveux blancs secouant son téléphone avec exaspération. Elle n’arrivait pas à y trouver le nombre de pas faits la veille. J’avoue, pour ma part, avoir beaucoup tâtonné pour modifier un clavier sur mon iPad. Soyons honnêtes, cela nous arrive à tou.te.s, à un niveau ou un autre, plus souvent que nous n’aimons le reconnaître. 

Or, cette dame, comme vous et moi, sait quand et comment utiliser le feu, l’électricité ou les chemins de fer, comment préparer ses repas chauds, rendre visite à ses enfants pour Noël, quand ne pas mettre ses doigts sur une flamme ou dans une prise et, j’espère, quand ne pas se mettre devant un train bolidifié. Elle sait. C’était inclus dans son éducation. 

Le-nouveau-rôle-du-DRH-_-encourager-la-culture-digitale-myrhline.com

Que doit-elle, que devons-nous savoir des technologies digitales omniprésentes et indispensables aujourd’hui ? La réponse n’est pas la même pour chacun.e et il me semble indispensable, pour avancer de distinguer entre groupes et situations.

Commençons par un apparent détour, une conférence sur l’intelligence artificielle générative (IAG) organisée par Netexplo (avec laquelle je collabore depuis plusieurs années) pour les entreprises. Il s’agissait, en l’occurence de boîtes suffisamment grandes (plusieurs dizaines de milliers d’employés chacune) pour qu’elles soient obligées d’affronter le problème à tous les niveaux. Nous pouvons en apprendre quelque chose.

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Panorama de l’IA générative

J’ai été frappé, par le fait que deux grandes entreprises dans lesquelles les ingénieurs jouent un grand rôle (ils sont 20.000 chez Safran) commencent leurs formations par ce qu’elles appellent « l’acculturation » du personnel dans son ensemble. Pour Vincent Lecerf d’Orange, il s’agit de « mettre un maximum de personnes sur le sujet, de le populariser  ». Anne Farah, de Safran, parle de « sensibiliser » l’ensemble du personnel.

Orange distingue trois niveaux de formation : culture (digitale), outil, métier. Les chiffres correspondants à chaque groupe illustrent parfaitement leur dimension. Ils concernent, dans l’ordre, 3O.000, 5.000 et 300 personnes aujourd’hui.

Presque tous les intervenants ont insisté sur le fait qu’il s’agit tout autant d’un sujet humain que technique et que tout le monde est concerné même s’il faut prendre en compte les besoins différents selon les générations. 

L’erreur serait de croire que les trois groupes mentionnés n’ont rien à voir l’un avec l’autre. Ils doivent être envisagés comme des cercles concentriques. En clair : tous ces gens employés dans de grandes entreprises ont besoin de culture digitale même ceux qui ne s’occupent ni d’algorithmes, ni de data, même quand cela ne les concerne pas directement.

Abonnement payant facultatif. Il m'aide.

« Culture digitale » 

Nous ne pouvons pas nous permettre de tout ignorer et n’avons pas les moyens de tout savoir. Mais tout le monde a besoin de culture digitale actualisée sans qu’elle implique une connaissance approfondie de la technologie. 

Distinguons trois niveaux.

  • Aisance et familiarité - Il s’agit simplement de se mettre à jour, d’inscrire l’intelligence artificielle telle qu’elle évolue sous nos yeux dans la continuité  de la révolution digitale qui s’est introduite dans nos vies avec l’ordinateur, l’internet et le web ainsi que le téléphone mobile.

  • Outils - Les spécialistes ne sont pas les seuls à être amenés à s’en servir. Comme pour les autres étapes, celle-ci implique d’apprendre à utiliser quelques dispositifs nouveaux (essentiellement des logiciels genre ChatGPT ou des applications qui intègrent l’IAG comme le proposent Microsoft et Google). Ils peuvent être utiles et nous gagnerons en apprenant à nous en servir.

  • Enjeux - Nous avons besoin et intérêt à comprendre les enjeux sociétaux de la vague de transformation qui vont de l’IA for good (un vrai mouvement) aux dangers connus comme la surveillance ou la guerre en passant par des formes d’organisation et  de gouvernance à tous les niveaux.

Il ne s’agit pas de formation mais toute formation passe par là.

Cette fois ce sont les ingénieurs et les managers qui auraient tort de croire qu’ils peuvent s’en passer. L’IA générative n’est pas seulement faite de joujoux merveilleux à inventer, ni d’efficacité ou de productivité. La société toute entière est concernée : entreprises, éducation des enfants, gestion de la municipalité, associations et gouvernement.

Acquérir cette « culture digitale » et en comprendre les enjeux est aussi important que de se préoccuper de crise climatique et de diversité. Elle permet  d’agir avant qu’il ne soit trop tard et de développer des usages positifs, dans la santé par exemple.

School of Aristotle by Gustav Adolph Spangenberg - Wikipedia domaine public.jpeg

Danser sous la pluie

Il s’agit donc de créer une nouvelle PAIDEIA, terme qui désignait dans la Grèce antique  « le corpus de connaissances fondamentales dont doit disposer un bon citoyen ». Une idée relativement courante aujourd’hui.

La déferlante arrive comme nous l’avons vu récemment et nous avons le choix entre couler, flotter, surfer ou naviguer. Voire mieux si nous faisons cas des jolis propos de Laurie Bonin, co-fondatrice d’Artpoint, à la conférence Netexplo : «  L’IA est comme la pluie, on peut ne pas l'aimer mais on ne pourra empêcher qu'il pleuve alors dansons sous la pluie. » D’autant plus volontiers, il me semble qu’elle présente plein d’aspects positifs et d’opportunités, comme la pluie d’ailleurs, en quantité raisonnable, ou contrôlée, voire endiguée…

Googlez : paideia artificial intelligence et paideia intelligence artificielle

Bientôt - Un journal télévisé entièrement IA

Trouvé sur le site du québécois Bruno Guglielminetti ce test d’un journal télévisé entièrement réalisé par l’IA à partir de sources médiatiques vérifiées. Impressionnant comme vous le verrez très vite.

Cliquez > Chanel1.ai L’arrivée des infos 100% IA

Chanel1.ai

Bonne semaine…

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06.03.2024 à 08:10

Canaliser, orienter les intelligences artificielles ≈046

Francis Pisani

Je reviens sur le livre de Mustafa Suleyman, La déferlante (The Coming Wave) dans lequel il propose une attitude pour miser sur la technologie sans se laisser dépasser
Texte intégral (3104 mots)

Plus je lis ce livre, plus j’ai envie de le relire.

Je parle de La déferlante, (voir Myriades : La déferlante, ce livre qui me fait changer d’attitude ≈035) écrit par Mustafa Suleyman un des créateurs des IA qui l’ont emporté sur les meilleurs joueurs d’échecs et de Go avant de réussir à déplier les protéines pour en révéler la configuration. Sa proposition de contenir, voire d’endiguer le développement de l’intelligence artificielle et de la vague technologique qu’elle entraîne est d’autant plus remarquable qu’elle s’accompagne d’une stratégie à multiples niveaux. C’est ce qui m’a secoué. 

captioDéferlante contenue par des piquets, Stéphane Mignon, Wikimedia, CC BY 2.0n...

 Il voit dans la contention « un moyen, en théorie, d'échapper au dilemme de la maîtrise des technologies les plus puissantes de l'histoire. » « En théorie » parce que personne n’est certain que ça marche. Quant au dilemme, il est plus facile à résumer qu’à résoudre : il veut que la vague de technologies développées en ce moment apporte les bienfaits promis, mais pas n’importe comment.

Foncer, comme tout arrêter, est également risqué.

enti’idon lée d’endiguer fait hurler bien des acteurs quand il est pris dans le sens le plus étroit (mettre entre des murs, des digues, des murailles, les parois d’une boîte). 

C’est plus compliqué et bien plus intéressant.

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Ces imparables incitations à foncer : états, entreprises, egos 

Le livre est sorti plusieurs semaines avant la crise d’OpenAI, la société créatrice de ChatGPT (voir Myriades ≈034 Games of AI : c’est qui les pions) qui apparaît comme une illustration parfaite de sa thèse avec la victoire de ceux qui veulent foncer (dont Sam Altman et Microsoft) sur ceux qui appellent à un peu de retenue.

Aucun doute pour Suleyman que « le profit est le moteur de la vague à venir, » mais les seuls tenants d’une position éthique doivent comprendre qu’il n’y a pas que ça. il faut aussi prendre en compte :

  • La compétition entre grandes puissances. « Choisir de limiter le développement technologique lorsque des adversaires perçus avancent, c'est, dans la logique d'une course aux armements, choisir de perdre. »

  • L’écosystème mondial de la recherche, avec ses rituels bien ancrés qui récompensent la publication ouverte, la curiosité et la quête d'idées nouvelles à tout prix.

  • Sans oublier l’ego des chercheurs si bien illustré par le film consacré à Robert Oppenheimer. Mais c’est John von Neumann, mathématicien d’origine hongroise ayant participé au développement de l’arme nucléaire, qui en explique le fonctionnement : « il serait contraire à l'éthique, du point de vue des scientifiques, de ne pas faire ce qu'ils savent être faisable, quelles que soient les terribles conséquences que cela pourrait avoir ». 

Aucune mesure isolée ne peut suffire pour contenir ces « imparables incitations  ».

©Universal Pictures

Tout Myriades

Endiguer, se contenir, organiser l’intervention de l’État

Suleyman commence par demander aux créateurs eux-mêmes de faire le premier pas et de s’imposer des limites, des contraintes qui seront d’autant plus efficaces qu’elles figureront dès la conception de l’outil au lieu d’intervenir après coup c’est-à dire, presque toujours, trop tard. 

Et mieux vaut ne jamais laisser les enthousiastes seuls. « La technologie a profondément besoin de critiques - à tous les niveaux, mais surtout en première ligne. » Ceinture et bretelles : il est prudent de faire auditer de l’extérieur leurs travaux en cours.

Ça risque de les ralentir ? Quelle excellente chose dit Suleyman qui les invite à prendre le temps de tester, à ne pas se précipiter pour mettre leurs découvertes sur le marché.

L’auteur, dont l’entreprise DeepMind a été rachetée par Google, a bien tenté de faire bouger cette BigTech de l’intérieur… sans succès.  L’endiguement gagnerait à compter sur des fondateurs de startups et des patrons soucieux « d’apporter une contribution positive à la société. Il a également besoin de quelque chose de beaucoup plus difficile. Il a besoin de politique, » tant au niveau national qu’international. Il demande donc l’intervention des gouvernements et des États.

En clair, tout le monde doit s’y mettre à tous les niveaux, tout de suite. Ça fait beaucoup.

« L’endiguement doit être possible »

Ce titre de l’avant-dernier chapitre m’a inquiété. Ça n’est jamais parce qu’elle est nécessaire ou bonne qu’une proposition, une action, un programme sont réalistes. « Je comprends parfaitement. Cela semble à peine réel à première vue, » reconnaît-il. Mais nous y sommes bien parvenus - jusqu’à un certain point - pour les voitures, les avions et les médicaments, par exemple. Avec un coût élevé en victimes et toujours bien tard.

Et la réglementation, régulièrement invoquée par les mieux intentionnés, ne suffit pas. La technologie bouge de semaine en semaine alors qu’il faut des années pour faire adopter une loi.

On peut en conclure que c’est bien pour cela que la généreuse idée de Suleyman ne peut réussir. L’auteur le dit clairement : « L’endiguement de cette déferlante n’est, je crois, pas possible dans le monde actuel. » Il faut des citoyens plus conscients, des entreprises et des entrepreneurs plus soucieux du bien social, des gouvernements plus agiles, des relations internationales plus détendues… etc. etc. 

Autant repousser notre attente de solution à la saint-glinglin.

Laissez un commentaire.

Pourquoi ce livre m’a secoué

La déferlante propose une approche trans-disciplinaire des technologies qui se développent le plus vite aujourd’hui. Il prend en compte les responsabilités à tous les niveaux, des individus aux grandes puissances, et contient une proposition ouverte, modifiable à mesure que nous agissons, à condition d’agir bien entendu.

Il n’y a ni mot, ni solution miracle et Suleyman le dit clairement. Il propose, ce qui est plus difficile à vendre, une méthode, voir une attitude.

Elle vaut pour l’intelligence artificielle et la biologie synthétique, mais aussi pour l’autre problème majeur auquel l’humanité est confrontée, toujours de son fait : le réchauffement de la planète. 

L’un et l’autre sont, en paraphrasant une des formules du livre, des « hyper-objets qui dominent l’existence des humains ». Suleyman met en cause nos responsabilités et le système dans lequel nous nous sommes enfermés nous-mêmes, sans tomber dans l’opposition binaire entre pour et contre, entre croissance et décroissance. J’y vois une vraie position politique. Et vous ? 

Époustouflantes images - Gemini de Google, un jumeau peu fiable… (bis)

Premier incident majeur au moment du lancement de Gemini par google… Plutôt que de la décrire, je vous invite à regarder cette époustouflante vidéo sensée montrer ce qu’elle est sensée pouvoir faire (sic).

Impressionnant, n’est-ce-pas… sauf que… allez, un petit effort : googlez : canard gemini. Vous allez bien rire.

Et, plus récemment, les images bien pensantes de Gemini quand on lui demande celles d’un pape…

“Is Google’s Gemini chatbot woke by accident, or by design?” The Economist-FrankJFlemingGemini AI

googlez gemini woke pour aller plus loin…
Bonne semaine…

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29.02.2024 à 08:05

Le nucléaire de Poutine contre l’IA ≈045

Francis Pisani

Comment comprendre l'annonce d'une éventuelle menace nucléaire russe dans l'espace ?
Texte intégral (2857 mots)

Politiciens et médias ne cessent de rivaliser à qui nous fera le plus peur. Un jeu auquel excelle Mike Turner, président de la Commission permanente sur le renseignement de la Chambre des représentants. C’est à lui que nous devons l’annonce d’une utilisation possible de l’arme nucléaire par la Russie dans l’espace. C'est vraisemblable et inquiétant. Mais ça révèle aussi une faiblesse radicale de Poutine : l’intelligence artificielle, notamment militaire.

Le Pentagone s’efforce de protéger ses satellites contre les radiations d’une attaque nucléaire - www.defense.gov

Sujet d’actualité, s’il en est, on parle beaucoup du recours à l’IA dans les guerres, notamment à propos des drones utilisés en Ukraine.  Après un premier usage d’appareils trouvables dans le commerce et bricolés, les solutions utilisées des deux côtés sont de plus en plus « intelligentes ».

Contrairement à la formule médiatique consacrée, le vrai danger n’est pas le « killer drone » (capable de décider de tuer). La vraie révolution dans les affaires militaires (Revolution in Military Affairs dans le jargon professionnel international) ne se situe pas au niveau d’armes spécifiques. Elle dépend plutôt des plateformes capables de réunir, de traiter des quantités considérables d’informations en temps réel puis, éventuellement de prendre des décisions avec ou sans intervention humaine. Voir Myriades IA, politique et mythes grecs ≈014.

Les archives de Myriades

De tels dispositifs sont conçus pour recueillir toutes les données possibles concernant un grand espace d’affrontements (le Moyen Orient, l’Europe, l’Asie de l’Est ou, pourquoi pas, la planète toute entière). Ce à quoi se consacrent de très grosses boîtes comme Lockheed ou IBM et, plus particulièrement des entreprises plus récentes comme Palentir, Anduril et, bientôt, OpenAI. 

Le recours au nucléaire par Poutine : De quoi s’agit-il ?

Tout indique que le programme russe existe véritablement (malgré les dénégations de Moscou auxquelles plus personnes n’a de raison de croire). D’après mes recherches, il semble qu’on puisse distinguer deux hypothèses : bombe lancée depuis la terre le moment voulu, ou appareil nucléaire (bombe ou satellite) préalablement mis en orbite et déclenchable à volonté.

« Dans le vide spatial, » explique The Economist, « les radiations sont déterminantes. L'impulsion électromagnétique créée par une explosion orbitale pourrait endommager l'électronique des satellites un peu partout dans le ciel. »

Si les appareils militaires américains sont généralement équipés pour résister à de telles attaques, ce n’est pas le cas des commerciaux tels ceux lancés par Starlink, l’entreprise d’Elon Musk qui a contribué aux succès des Ukrainiens face à l’agression russe des deux dernières années. 

Ce qui fait conclure à la publication britannique qu’un tel geste désespéré dans la mesure où il risquerait d’affecter toute l’économie mondiale, y compris celle de la Russie et de ses alliés, « semble mieux adaptée aux États desperados comme la Corée du Nord et l'Iran, qui ont peu de capacités spatiales propres à protéger et qui, en cas de crise, peuvent estimer qu'ils n'ont rien à perdre. »

Mais peut-être Poutine n’a-t-il rien à perdre en matière d’intelligence artificielle ?

Rien à perdre : la vérité sur la menace russe

Depuis quelques mois, le président russe multiplie les interventions sur l’importance de l’IA et l’effort à faire pour se hisser au plus haut niveau. Or, entre autres difficultés, l’excellence reconnue de ses concitoyens en mathématiques ne suffit pas quand au moins 10% des spécialistes de ce domaine ont quitté le pays au cours des deux dernières années.

Alors que faire ? Prendre le problème par l’autre bout, s'est dit le maître du Kremlin !

La connectivité intelligente au coeur de l’IA - www.uscybersecurity.net

Les IA reposent sur 1) d’incroyables quantités de données, 2) des algorithmes sophistiqués, mais aussi sur 3) des communications fluides entre data centers, labs, utilisateurs, capteurs (sensors en anglais) etc. Ces derniers, dont le chiffre était estimé à une quinzaine de milliards en 2022 (et qui pourrait doubler d’ici à 2027, en 5 ans), sont les sources indispensables d’informations précises actualisées à tout instant. 

En retard sur les deux premiers points, Poutine peut se concentrer sur la paralysation du troisième chez les autres, même si ça l’affecte lui aussi. 

Le joker nucléaire spatial (qui n’est pas une plaisanterie) apparaît ainsi comme un aveu d’impuissance là où ça se joue : l’avancée des Chinois et des Américains dans le développement de leurs capacités en matière d’intelligences artificielles. 

La coupure d'une partie des communications mondiales de façon indiscriminée ne peut que gêner le fonctionnement des plateformes militaires. En particulier pour les États-Unis qui ont choisi la prolifération en s’appuyant sur des entreprises privées et la mise en orbite de satellites commerciaux sans protection particulière. Elle plongerait la planète dans une crise économique généralisée, redoutable pour ses rivaux plus riches et plus puissants 

Incapable de rentrer par la porte le jour où s’engageront des négociations sérieuses entre Chinois et Américains, Poutine tente de se donner les moyens de s’imposer par la fenêtre, en cassant tout sur son passage s’il le faut. 

Signe de force ou aveu de la faiblesse ? Inévitable ambigüité. 

Mais c’est aussi, pour nous, une bonne occasion de réfléchir à cette troisième composante essentielle des intelligences artificielles, les communications digitales…

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Concret : soyez gentil.le avec votre chatbot, vous aurez de meilleurs résultats

Si vous posez vos questions gentiment, vous aurez de meilleures réponses et, le système se conduira mieux avec tout le monde signale le site d’information Axios.

C’est vrai pour le japonais - on pouvait s’y attendre -, mais aussi pour l’anglais et le chinois révèle une étude de l’Université de Cornell

Aucune raison que ça ne vaille pas pour le français… mais ne me dites pas que c’est trop vous demander… 

PS - N’en rajoutez pas une couche dans le genre “lèche bot”, il vous donnera des réponses plus longues.

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21.02.2024 à 07:40

L’extension du domaine digital-IA ≈044

Francis Pisani

Mieux (pourquoi pas?) que Mistral, la pépite IA française, nous avons Houellebecq pour nous signaler l’importance du domaine digital-IA.
Texte intégral (2033 mots)

Certains évènements de la semaine dernière m’ont poussé à me demander si nous prêtons assez d’attention au rôle joué par le digital dans l’actualité, à son impact multiforme. Je ne parle pas ici de sites ou de rubriques spécialisés, mais des infos qui nous arrivent sur la France, l’Europe ou même plus loin. Prêtons-nous suffisamment attention à l’extension du domaine digital dans les mouvements sociaux, la politique, la culture, la guerre ou les affaires internationales ?

Quelques exemples…

Mouvements sociaux : “La radicalité d’une «  grève Facebook »” 

Tel est le titre utilisé par Le Monde pour rendre compte du mouvement des contrôleurs SNCF de samedi et dimanche dernier. Ils se sont, en effet, servis des réseaux sociaux pour s’organiser directement sans passer par les structures syndicales. 

Pourquoi c’est important ? Parce que c’est un exemple de ce que les institutions hiérarchisées (entreprise et syndicats) ne sont plus nécessairement la meilleure façon de s’organiser. Les réseaux sont maintenant partout. 

Mais attention tout le monde peut y avoir recours comme nous avons pu le voir quelques jours plus tôt avec la prise de contrôle de la contestation agricole par les plus gros exploitants.

Business : Les GAFAM changent de nom

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L’ordre des Big Tech, les plus grandes entreprises de technologie n’est plus le même qu’il y a 3 mois. L’actualité est maintenant dominée par les MANAAM (Microsoft, Apple, NVIDIA, Alphabet (Google), Amazon, Meta (Facebook) ! Nous allons devoir adapter notre vocabulaire critique et cesser d’en vouloir aux « GAFAM ».

Pourquoi c’est important : parce que celles qui ont fait assez tôt le pari de l’intelligence artificielle sont en train de déplacer les autres. Non seulement Microsoft est passée devant Apple dans le classement des entreprises les plus riches du monde mais, mercredi dernier, NVIDIA, une presque inconnue du grand public qui fabrique les microprocesseurs indispensables à l’infrastructure sur laquelle s’agite l’IA est passée devant Alphabet, Amazon et Meta.

Le peloton de tête n’est pas très différent mais les changements dans l’ordre sont significatifs. Nous verrons s’ils se creusent dans les mois qui viennent.

International : Quand l’IA permet de gagner des élections au Pakistan

Très loin de la Californie, au Pakistan que l’on a trop souvent tendance à considérer comme pas vraiment développé, les partisans de l’ancien premier ministre Imran Khan lui on permis de faire campagne depiis sa prison et de remporter les élections. 

Comment ? Alors que leurs actions étaient censurées ou interdites, ils ont organisés des meetings sur YouTube et TikTok et même utilisé l’intelligence artificielle pour transformer des notes discrètement transmises par Khan en vidéos avec synchronisation de sa voix et du mouvement de ses lèvres.

Attention - Cette belle inventivité peut être utilisée pour perturber des processus électoraux démocratiques.

Googlez : élections pakistan intelligence artificielle

Votre aide est très appréciée

En France aussi, mais…

« Il se passe quelque chose à Paris dans l’IA en ce moment » titrait Le Monde du 12 février à propos de l’effervescence créée par les boîtes comme Mistral la pépite française de l’IA. 

L’écosystème est en effervescence. Les rêves prolifèrent. Macron y voit « un enjeu de souveraineté technologique » et s’inscrit ainsi dans ce que les Britanniques qualifient de « nationalisme IA ».

De croissance plutôt lente au cours des 30 dernières années l’archipel digital français (ces petites îles où l’on travaille au développement technologique) se densifie dans une mer plutôt faite d’indifférence et de réticences.

A peine 36% de la population croît que l’IA peut créer des emplois. Plus généralement la France est, avec le Japon, le pays le plus pessimiste du monde pour 2024 (via Benoît Raphaël).

Heureusement nous avons Houellebecq

Petite anecdote, un peu honteuse (j’aurais pu y penser plus tôt)… c’est en cherchant le titre de cette chronique, dont je voulais qu’elle montre les transformations de notre monde sous l’influence de l’IA et du digital (le « digital-IA ») que j’ai pensé au livre de Michel Houellebecq L’extension du domaine de la lutte. 

Première surprise, juste après le titre de son roman, Google me proposait d’accéder à la définition de ce qu’on appelle les « extensions de domaine », les .fr, .com, .edu et autres. J'ai alors pensé à Plateforme, autre oeuvre du même romancier. Il y avait  bien digital sous roche. 

Une légère extension du domaine de ma recherche (toujours conseillée) m’a permis de réaliser, ce que j’avais oublié ou, peut-être, jamais su, que l’écrivain vedette était au départ ingénieur (agronome) et un peu informaticien. Assez pour en saupoudrer tous ses romans, comme le montre limpidement Binnie « programmeur, data analyst et apprentie romancière » de son état.

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Supplément : Y aviez-vous pensé ? (moi pas pour être honnête)

1) Générations : Les « digital natives » sont largués 

Ils sont remplacés par les « AI natives » qui se précipitent, dans les universités qui en offrent, sur les cours d’intelligence artificielle générative. Un tiers de ceux qui finissent cette année ont l’intention de s’en servir dans leur carrière révèle une enquête récente citée le 1é février par le site d’information Axios.

2) L’Histoire, victime idéale des deepfakes 

Aucune raison pour que ces images fabriquées par l’IA, comme celle du pape en doudoune blanche, se limitent à l’actu, signale le New York Times. Abondamment pratiquée par Staline et pas seulement, la manip est aussi vieille que la politique.

Mais l’échelle change avec la rapidité de production de documents IA alors que les sites historiques, ainsi que ceux contenant des actes de propriété anciens, par exemple, sont plutôt moins bien protégés. 

Qu’adviendrait-il si on nous fabriquait, preuves à l’appui, un Napoléon grec, un Jésus arabe, ou une Jeanne d’Arc transgenre ?

Googlez : deepfakes modifient histoire, et deepfakes past, puis… creusez

Merci pour votre curiosité.

Passez quand même un bon reste de semaine.

A vite…

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11.02.2024 à 09:26

Analogie de la bagnole ≈043

Francis Pisani

Pas besoin d’être mécano pour conduire une voiture, ni d’être informaticien pour utiliser ChatGPT ! OK, mais aborder ces deux technologies en parallèle peut aider...
Texte intégral (2478 mots)

Bonjour,

Les bagnoles d’aujourd’hui sont conçues pour qu’on n’aie jamais à ouvrir le capot. Aux garagistes de le faire. Vous pouvez conduire des milliers, voire des dizaines de milliers, de kilomètres sans savoir ce qu’est un moteur ni comment ça marche. J’ai même rencontré une personne qui, après des années de conduite, s’est trouvée désemparée quand elle eût à s’occuper d’un pneu crevé. 

≈043-EmbouteillageChicago-Wikipedia-David-CC BY 2.0

De la même façon, vous avez au moins une fois, en tous cas je l’espère, utilisé ChatGPT pour rédiger des devoirs, produire des lettres officielles acceptables ou dresser un plan de table, de voyage, de réorganisation ou de note à proposer à votre chef de service. 

Ce qui compte c’est le temps gagné. 

Le reste on s’en fout ou, comme disait Deng Xiao Ping, « peu importe qu’un chat soit blanc ou noir pourvu qu’il attrape les souris ». Pas besoin de connaître le principe des injecteurs électroniques pourvu que la voiture vous transporte. Ne pas savoir ce qu’est un LLM (Large Language Model ou grand modèle de langue), base de l'IA générative, ne vous pénalise en rien pour tirer parti de ChatGPT.

Alors pourquoi vous dis-je qu’il en va de l’IA comme des bagnoles et pourquoi insister avec cette idée de culture digitale et de compréhension de l’IA… ? Pourquoi m’entêtai-je à publier Myriades avec l’espoir que cela vous intéresse ?

Parce qu’il n’y a pas que le moteur qui compte dans une voiture !

Pour les voitures, il n’y a pas que le moteur qui compte

Prenons quelques exemples de connaissances utiles pour ne pas mourir trop vite dans l'aventure. De quel côté se trouve le volant et si on conduit à droite ou à gauche; le fait qu’il faut mettre de l’essence et, pour ne pas avoir l’air trop bête à la pompe, de quel côté se trouve l’ouverture ou, si on sait trouver la roue de secours et le cric.

Ne faut-il pas aussi savoir tourner le volant à bon escient, freiner, accélérer dans les virages… conduire tout simplement ?

Et le code de la route ? Les limitations de vitesse, stops et autres priorités à respecter, les conditions pour doubler et la lecture de tous ces panneaux de signalisation plus ou moins hiéroglyphiques ?

Et pendant que nous sommes aux véhicules terrestres à moteur, si vous croisez ou dépassez une moto, un tracteur, une voiture de pompiers ou de flics, une ambulance ou un char d’assaut au comportement bizarre, il est utile de ne pas hésiter trop longtemps avant de trouver au plus vite la réaction qui convient.

Sans oublier les effets de la pollution due aux automobiles. 

Et quand vous pestez le matin (ou le soir) dans les embouteillages, vous voyez bien que c’est grâce à (ou à cause) des voitures que nos paysages sont étranglés d’autoroutes, qu’on élargit les rues et que les villes sont devenues gigantesques. Ce qui me fait penser à cet incroyable paradoxe révélé par ce qu’on appelle la constante de Marchetti selon laquelle, depuis le néolithique, nous consacrons le même temps pour aller de chez nous à notre lieu de travail alors même que la distance augmente en raison des progrès des moyens de transport. 

En clair, vous n’avez pas besoin d’être versé.e dans la science des moteurs à explosion, pas plus que dans la mécanique de votre voiture. Mais vous avez besoin de, et/ou intérêt à savoir vous en servir dans la vie pratique, et à connaître les enjeux de vos choix en raison des impacts qu’ils ont sur votre vie et celle des autres.

Vous avez compris. J’arrête.

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Idem avec l’intelligence artificielle : ce « panbidule »

Pareil avec l’intelligence artificielle et les technologies qui permettent le fonctionnement de votre mobile, votre ordi, le GPS, le site du ministère des finances pour votre déclaration d’impôts ou celui qui vous permet de commander une pizza ou de parler à vos enfants ou petits enfants quand ils sont loin. 

Il n’est pas besoin d’en connaître les détails de fonctionnement, mais vous avez tout intérêt à savoir vous en servir au mieux. 

Et même ça, plus répandu chez les jeunes que chez les seniors, ne suffit pas vraiment si vous ne voulez pas tomber dans les peurs excessives ou la croyance dans des miracles peu probables, 

Le digital (je n'aime pas « numérique), les technologies de l’information et de la communication et l’intelligence artificielle ne sont que des outils. Mais pas n’importe lesquels. Potentiellement accessibles à et modifiables par tous.tes, ils sont les seuls utilisables avec tous les autres, dans tous les domaines (on appelle ça une general purpose technology en anglais, ou technologie à usage général) à la différence des moteurs à explosion d’usage bien plus réduit. Elles permettent à la fois de produire ce dont elles s’alimentent - les données - et comment en tirer parti - les algorithmes. Elles sont aussi les premières à pouvoir développer une certaine dose d’autonomie.

Un outil certes, un appareil, un truc, un bidule, qu’on est tenté - vues ses capacités -de désigner en y joutant « hyper » ou « méta », préfixes sans saveurs. 

Essayons autre chose. 

Pourquoi pas « pan » alors ? Pas le dieu grec mais, si nous en croyons le dictionnaire de l’Académie Française,  « [l’] élément de composition signifiant Tout ». Avec une telle garantie de bon usage nous pouvons bien nous permettre de parler de ce « panbidule » qu’est l’IA, ce « tout technologique ». Un outil donc, mais que nous retrouverons partout.

Concret : la preuve en images que l'IA générative ne comprend pas

Elle est assénée par ce test consistant à demander à ChatGPT une image de pièce vide avec « absolument pas d’éléphant ». La seule présence du mot incite L’IA à en mettre un. Plusieurs essais, que je vous invite à regarder sur ce billet de Gary Marcus cet empêcheur de « biduler » en rond que j’adore citer, montrent que l’outil n’est pas fiable et, plus sérieusement encore, qu’il est indispensable d’envisager « d’autres approches de l’intelligence artificielle  ».

Votre aide est très appréciée

≈043-AbsolumnentPasD'Elephant_GaryMarcus

Ceci dit, critique de la critique, les images en question font penser au fameux livre de Georges Lakoff Don’t Think of an Elephant (2004) (non traduit en français que je sache) dans lequel il montre qu’une des manipulations  préférées des politiciens consiste à pousser leurs publics à penser à quelque chose en jurant qu’ils ne sont pas contre… comme celles et ceux qui disent n’être pas contre les immigrés ou pas contre les écologistes.

Je vous laisse le soin de trouver des analogies pertinentes…
A la semaine prochaine.

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04.02.2024 à 18:59

Tracteurs, IA et pesticides ≈042

Francis Pisani

Même les innovations les plus importantes n’avancent que lentement. Dommage, quand on pense que l’intelligence artificielle pourrait réduire le recours aux pesticides dans l’agriculture…
Texte intégral (2374 mots)

Massifs et lents, les tracteurs qui servent à barrer les routes et à cultiver la terre semblent à l’opposé des intelligences artificielles ultra-rapides et, apparemment,  dématérialisées. Mais, ne nous laissons pas piéger par une image simple. Les machines apparues au siècle dernier aident à comprendre comment les technologies les plus nouvelles se répandent et peuvent donner lieu à de surprenantes innovations susceptibles de réduire les tensions entre agriculteurs et écologistes.

On y va ?

Avec un tout petit peu d'histoire pour commencer. 

≈042-Farmtario.com-Photo Diana Martin

Histoire de tracteurs

Présentés comme  une révolution et porteurs de « la libération de l'agriculteur de sa dépendance à l'égard du cheval fatigué » ils promettaient d’être plus économiques que ces derniers. C’était en 1915 dans l’Iowa. L’enjeu était considérable puisqu’au début du siècle le secteur employait un tiers de la main d’oeuvre et produisait 15% du PIB de tout le pays.

La transformation a eu lieu, évidemment, avec la capacité de nourrir plus de gens plus ses inévitables aspects négatifs tels que la destruction des terres de surface. Le nombre de travailleurs agricoles a baissé d’un quart en cinquante ans. Et si la mécanisation a permis une augmentation du PIB d’environ 8% en 1950, les gains de productivité ont mis très longtemps à se faire sentir : 3% environ dans la même période.

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Comment expliquer ça ? Parce que les agriculteurs n’ont adopté les tracteurs que très progressivement et ce pour trois raisons pleines d'enseignements :

  • Les premières versions de la technologie étaient très chères et moins utiles que ne prétendaient les vendeurs du fait de l’incapacité de lever des compléments utiles tels que la charrue par exemple (ça me fait penser au GPT Store qui vient d’être ouvert et permet d’ajouter pleins d’outils nouveaux) ;

  • Opportunité (si l’on ose dire) circonstancielle, les bas salaires dûs à la crise de 1929 ont permis aux agriculteurs de retarder l’achat de machines dont ils ne savaient encore trop quoi faire (la situation est différente aujourd'hui, mais nombre d’entreprises se disent prêtes à investir dans l’iA par peur de louper le coche sans nécessairement savoir pour quoi faire. Pas un gage d'accélération).

  • Les exploitations agricoles de l’époque devaient se transformer profondément pour  tirer partie de la mécanisation. Pour que l’achat soit rentable il fallait agrandir les terres à travailler ce qui impliquait des négociations souvent lentes avec les propriétaires (la réorganisation de la structure de production est également en question aujourd’hui avec l'automatisation des tâches et le bouleversement des relations de travail qui en découle).

« Quelle que soit la qualité d'une nouvelle technologie, la société a besoin de beaucoup, beaucoup de temps pour s'adapter, » conclut The Economist où j’ai trouvé cette analyse. Prenons cela au sérieux.

L'erreur consiste souvent à ne prendre en compte que l'outil en ignorant son impact sur la société qui s'en sert, le modifie et se laisse modifier par lui. C’est pour cela que l’impact profond de l’imprimerie de Gutenberg a mis 200 ans pour changer l’Europe.

C'est toute la différence entre "invention," une nouveauté qui sort du lab, et "innovation" qui implique  introduction dans l'entreprise, le marché ou le tissu social. Elle n'existe pas sans "mise en oeuvre" précise le Manuel d'Oslo de l'OCDE. Dans la vie réelle, c'est elle qui compte le plus, celle qui nous concerne et que nous devons comprendre. 

Trois enseignements

  • Le temps est essentiel mais il n'y en a jamais qu'un seul (nous gagnerions à l'aborder comme "polychronie"). Professionnels et entreprises ont tout intérêt à se dépêcher d'intégrer l'IA dans leurs process car, faute de le faire, ils risquent de se trouver largués. Peu importe si les bénéfices prévisibles ne sont pas évidents à court terme. Il faut être dans le coup sans attendre.

  • Pour les autres, pour nous, pour celles et ceux qui ont compris que la vague arrive et que s'il faut la "contenir" et l'orienter, l'histoire des tracteurs permet d'aborder de façon plus réfléchie promesses et menaces, de comprendre que ni les unes ni les autres ne vont se matérialiser très vite (cela dépend des situations). 

  • L’accélération est un fait… mais elle concerne la vitesse à laquelle les innovations sont rendues accessibles. Si les coûts peuvent être considérables, comme pour les LLM à la base de l’IA générative, la mise en place est légère puisqu’il s’agit de digital comme le web. C’est un peu comme si pour l’aéronautique on n’avait eu besoin de mettre en place que les fabriques des constructeurs sans se soucier vraiment ni des aéroports, ni des avions…

En clair, si les innovations technologiques pleuvent de plus en plus fréquemment, notre capacité de les accepter, de les encadrer évolue toujours très lentement. Les voitures presque totalement autonomes seront fabriquées bien avant que nous en acceptions la diffusion.

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Concret : l’IA pour réduire le recours aux pesticides

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Le rapport des tracteurs et de l'intelligence artificielle n'est pas que métaphorique. Les robots agricoles disponibles sur le marché ne manquent pas.

Et les agriculteurs utilisent l’IA dans plusieurs domaines tels que la détection instantanée de la prolifération d'insectes et de maladies aussitôt transmise au téléphone mobile du fermier, ou l’optimisation de l’irrigation.

Peu connue mais dont on devrait parler plus, il y a la fascinante expérience de Substorm.ai, une entreprise suédoise qui utilise l’IA pour détecter, dans une exploitation de concombres, les zones à problème et limiter au strict minimum le recours aux pesticides. Voir aussi Intellias.com.

« Au lieu de pulvériser des pesticides sans discernement sur l'ensemble de l'exploitation de concombres, [des robots peuvent être utilisés] pour appliquer des pesticides uniquement sur les plantes infectées, en épargnant les plantes saines, ce qui permet de réduire considérablement la quantité de pesticides utilisée. »

Google ou ChatGPT : can AI reduce the use of pesticides in agriculture? (La même question en français ne donne pas les mêmes résultats…) 

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28.01.2024 à 10:09

Merci Edgar Morin, mais… ≈041

Francis Pisani

Guerres, inégalités, environnement, les crises se multiplient à trop de niveaux. La faute à la tech dans un monde dominé obsédé par le profit, dit Edgar Morin. Inversons la proposition.
Texte intégral (2960 mots)

J’ai lu avec passion la tribune publiée dans Le Monde par le très grand Edgar Morin sous le titre : « Le progrès des connaissances a suscité une régression de la pensée ».  Loin de prétendre l’interpeller je voudrais simplement réfléchir avec vous sur cet texte émouvant d’un plus que centenaire qui  appelle à la résistance et à la solidarité  pour affronter nos malheurs dûs, selon lui, à la science et à la technologie.

EdgarMorin-CNRS©Basso Cannarsa

La faute tiendrait au fait qu’on les a séparés par des barrières disciplinaires empêchant de penser, de comprendre leurs interactions. Nous sommes ainsi mal armés pour faire face à l’accumulation d’orages qui caractérise cette phase de l’histoire planétaire dont il dit « Nous ne savons pas si [elle] est seulement désespérante ou vraiment désespérée. »

Situant les guerres en cours ou qui menacent, celles qui durent et celles qui s’étendent, dans le contexte de « l’antagonisme virulent entre trois empires : les États-Unis, la Russie et la Chine » il signale que « Les crises s’entretiennent les unes les autres dans une sorte de polycrise écologique, économique, politique, sociale, civilisationnelle qui va s’amplifiant. » Voir Myriades : Dynamique des relations ≈032.

La dégradation écologique qui affecte citadins comme ruraux, et aggrave partout les inégalités se doit à « l’hégémonie d’un profit incontrôlé  ». 

Tout cela est parfaitement vu et clairement dit par le penseur français que je respecte le plus aujourd’hui, notamment pour son travail sur la complexité. 

« Progrès scientifique technique »

Mais j’ai des doutes sur sa vision du rôle du « progrès scientifique technique » auquel il attribue « la cause des pires régressions de notre siècle » : Auschwitz, les armes nucléaires, les sociétés de surveillance et de soumission ainsi que les guerres de plus en plus meurtrières. 

The-Yin-and-Yang-of-Human-Progress-Natasha Sinegina-Wikipedia

D’abord je ne crois pas au « progrès » à moins de le concevoir de manière quantique, c’est-à-dire comme une évolution positive et négative en même temps. Comme la technologie qui n’est, selon la formule connue, « ni bonne, ni mauvaise, ni neutre ». Cela dépend de ce que nous en faisons. Pour Morin « c’est lui [ce « progrès »] qui, animé par la soif du profit, a créé la crise écologique de la planète ».

Tout serait peut-être mieux dit si nous Inversions la phrase : c’est la poursuite « hégémonique » du profit, comme il l’a dit plus haut, qui entraîne la course incontrôlée aux innovations les mieux susceptibles d’enrichir ceux qui les mettent sur le marché. 

Nous venons d’en voir l’illustration avec l’affaire Altman, le patron d’OpenAI, à qui nous devons ChatGPT, inoubliable tant elle est révélatrice. Mis de côté par ses associés qui lui reprochaient d’aller trop vite pour gagner plus d’argent, il a été réinstallé avec l’aide de Microsoft qui est, aujourd’hui, l’entreprise la plus riche du monde. La quête accélérée de profit s’est imposée à la prudence dans le développement de technologies ultra puissantes dont on ne mesure pas encore bien les risques qu’elles pourraient nous faire courir.

Une tendance si forte qu’elle donne lieu à la naissance qualifiée de « technosécessionisme » par Chem Assayag dans Usbek & Rica. » Un groupe ayant pour objectif de rendre la Silicon Vallée, voire la Californie indépendante des États-Unis ou de créer des îles indépendantes au large des côtes pour échapper aux quelques contraintes mises par les États.

Edgar Morin a le grand mérite de faire figurer science et technologie à côté des guerres et de la crise environnementale dans la polycrise (l’équation complexe) qui caractérise notre époque. Mais il me semble poser le problème à l’envers. Voyons ce qui se passe si nous permutons les points de sa proposition.

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Et la tech dans tout ça ? 

Je précise, ça n’est pas la tech qui est la cause de tous ces maux auxquels elle contribue.

- L’intelligence artificielle générative n’est qu’une étape dans l’évolution des technologies inventées par les humains, une étape essentielle car elle entraîne toutes les autres. Tech d’utilisation générale (general purpose technology), elle est, en outre susceptible d’acquérir de l’autonomie.

- Pour ces raisons, elle justifie plus encore que toutes les autres, l’intervention d’autorités étatiques ou inter-étatiques et des humains pour les « contenir » de façon urgente.

- Selon la façon dont elle est prise en charge à tous les niveaux (centre de recherche, entreprises, pouvoirs publics, institutions internationales) elle peut contribuer à réduire certains aspects de la crise écologique mais aussi l’aggraver (énergie consommée par les data centres et contribution à une croissance débridée)

- Bien utilisée elle peut même nous aider à gérer la complexité des polycrises en permettant de suivre les interactions entre les différents éléments qui les constituent.

Edgar Morin termine sa chronique en nous invitant à une Résistance qui rappelle celle à laquelle il a participé contre le régime Nazi. « C’est l’union, au sein de nos êtres, des puissances de l’Eros et de celles de l’esprit éveillé et responsable qui nourrira notre résistance aux asservissements, aux ignominies et aux mensonges. »

Tout cela est indispensable, mais il me semble que nous y parviendrons d’autant mieux que nous saurons intégrer le potentiel positif des technologies que nous mettons au point et des sciences qui les inspirent.

D’où la question qu’il faut toujours se poser « Et la tech dans tout ça ?  ». Ne nous a-t-elle pas permis de mieux comprendre,  par exemple, l’importance de la Renaissance en intégrant le rôle de l’imprimerie inventée de Gutemberg ?

N’est elle pas, aujourd’hui, la seule force menaçante qui comporte aussi des dimensions positives ?

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Vidéo - Compétition et piège de Moloch

Dans The Dark Side of Competition in AI, Liv Boeree, ancienne championne de poker diplômée en astrophysique, présentatrice de télé et mannequin explique comment bien des problèmes liés aux menaces de l’IA naissent de la compétition entre les grandes boites. Liv empreinte sa principale métaphore à la Bible - Le piège de Moloch - quand des parents ont sacrifiés leurs enfants au dieu Moloch dans l'espoir de gagner ce qu'ils désiraient... mais n'y sont pas parvenus. Pas mal pour faire avancer la réflexion avec prudence par rapport aux courses effrénées qui dominent en ce moment. 

Liv_Boeree_2019-World Poker Tour-Wikipedia

Vous pouvez m'aider... Merci

23.01.2024 à 11:35

L’offensive productiviste d’OpenAI ≈040

Francis Pisani

Chorégraphie de séduction hyper réglée des patrons d’OpenAI et de Microsoft pour calmer les craintes du public et, ils étaient à Davos, pour promettre des fortunes aux investisseurs. Inquiétant.
Texte intégral (2865 mots)

Sam Altman et Satya Nadella, les patrons d’OpenAI, l’entreprise créatrice de ChatGPT et de Microsoft (vous connaissez n’est-ce pas?) étaient la coqueluche du World Economic Forum qui s’est tenu à Davos la semaine dernière. Le gratin de la planète business voulait les entendre, les voir, et peut-être même les toucher. Ils avaient parfaitement préparé leur numéro de charme autour d’arguments faits pour calmer les fantasmes en matière d’intelligence artificielle et… promettre la création de richesses pharaoniques.

Et c’est là que le bâts blesse. Ou devrait blesser. Regardons d’un peu plus près.

Nadella et Altman-Entretien The Economist

Rassurer

Après les craintes suscitées par la crise de novembre au sein d’OpenAI (voir Myriades : Games of AI : c'est qui les pions ?) il s’agissait d’abord de rassurer le public en général (et bien des patrons ou politiques présents à Davos) sur les risques d’un débordement. 

L’argument bien préparé par leurs services de relations publiques s’articule en deux temps.

  • D’abord, puisqu’on ne peut pas vraiment expliquer comment ça marche (trop compliqué pour presque tout le monde), en disant qu’au lieu d’avancer par grandes poussées ce qui compte c’est la « généralité » d’une multitude de petites avancées, jamais détaillées mais toujours bien emballées.

  • Le deuxième temps consiste à dire (contrairement à ce qu’Altman prétendait quelques semaines plus tôt) que l’IA générale (plus intelligente que nous dans tous les domaines) n’est pas pour demain et qu’elle arrivera presque sans que nous nous en rendions compte.

Lors d’un entretien commun mené par Zanny Minton Beddoes, responsable éditoriale de The Economist, Altman a déclaré « Je pense que plus personne n'est d'accord sur la signification de l'AGI (Intelligence Artificielle Générale. »  « Lorsque nous atteindrons l'AGI, a-t-il ajouté, le monde s'affolera pendant deux semaines, puis les humains retourneront faire des choses humaines. » Il a précisé que l'AGI serait une « chose étonnamment continue », où  « chaque année, nous sortirons un nouveau modèle bien meilleur que l'année précédente ». Pas à pas, sans grande révolution, comme avec l’iPhone.

Un argument malin qui leur permet d’enrober la crainte dans des explications vagues, justifiées à leur tour par la difficulté d'expliquer la technologie à des non-spécialistes. 

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Des gros sous plein les mirettes

Restait à convaincre les patrons présents d’acheter les services proposés.

PilesOfMoney-JamesCridland_Flickr.CC BY 2.0 DEED

Altman et Nadella se sont mis d’accord pour dire d’abord que leur véritable objectif était de faire gagner plus d’argent aux utilisateurs de leur plateforme qu’ils n’en gagneraient grâce à elles. C’est pas faux et ça sonne bien. Ils ont ensuite fait miroiter, au cours du même entretien, des augmentations pharamineuses de la productivité et de la croissance, généreusement réparties, bien entendu.

« L'objectif est que les personnes qui utilisent votre plateforme gagnent plus d'argent que vous. Microsoft se focalise sur cet objectif » a déclaré Altman avant de préciser qu’ils voulaient « Mettre cela à la disposition du monde et permettre aux gens d'être plus productifs. » Réponse tout sourire de Nadella « Je partage évidemment ce point de vue. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que si cette plateforme doit stimuler la productivité, elle doit aussi se transcender dans toute la croissance mondiale. »

C’est là qu’on s’inquiète et que les écologistes devraient vraiment dresser l’oreille. 

Le vrai risque environnemental de l’intelligence artificielle est peut-être moins dans la consommation d’énergie des data-centres qui lui permettent de fonctionner que dans sa contribution à une augmentation de la productivité et de la production partout dans le monde. En clair, c’est, en partie, son éventuel succès dans une course à la croissance sans limite qu’il faut craindre d’un point de vue environnementaliste.

Si vous voulez m'aider

Se méfier des deux (pour des raisons différentes)

Un paradoxe final et tout aussi redoutable nous est fourni par le style des deux hommes tel qu’ils sont apparus à Davos. 

Imbu de sa célébrité si vite acquise Altman parle en regardant le plafond - le ciel ? - plus que ses interlocuteurs. Pas nécessairement « illuminé » mais dans un gros trip narcissique. 

On est alors tenté de se reporter vers le « vétéran » qu’est Satya Nadella qui travaille pour Microsoft depuis plus de 30 ans et qui a vu plus d’un tournant dans l’histoire des technologies de l’information et de la communication. 

Mais n’est-il pas à craindre aussi ? Non à cause de ce qu’il est, mais en raison de la considérable puissance qu’il dirige et de sa capacité d’entraîner dans son sillage administrations et entreprises aussi bien que les particuliers… vous et moi, nous.

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Concret : redessiner son appart et donner libre cours à son imagination 

Image de DALL-E par Tom’s Guide

- HomeStyleAdvisor est un GPT (pas besoin de savoir ce que ça veut dire), un module d’IA qui permet de redessiner son bureau (ou tout autre local). On en trouve déjà des millions sur le GPT Store lancé par OpenAI dans la lignée des Apple et Google stores. Il est recommandé par Tom’sGuide un site sérieux.

- Dans la même lignée n’hésitez pas à vous amuser et/ou vous inspirer avec cette délicieuse et courte courte vidéo (6’30) de Bilawal Sidhu The AI-powered tools supercharging your imagination (sous-titres en français). Il commence par sa fascination de gamin, en Inde, pour les jeux vidéos et montre l'évolution des outils dont il dispose pour créer des mondes qui partent de la réalité. Important pour l'architecture, le design intérieur ou les paysagistes.

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14.01.2024 à 20:34

L'IA aujourd'hui : expansion et tourmente ≈039

Francis Pisani

L’IA générative s’infiltre partout mais son utilisation de contenus protégés par les droits d’auteur va se heurter à un sérieux obstacle maintenant que le New York Times a intenté un procès à OpenAI
Texte intégral (3026 mots)

L’IA générative s’infiltre partout mais son utilisation de contenus protégés par les droits d’auteur va se heurter à un sérieux obstacle juridique et financier maintenant que le New York Times a intenté un procès à OpenAI

Ravi de vous retrouver, 

Acceptez mes Myriades de voeux aussi divers que possible et soyez gentils de pardonner ce retard dû à une inclémente maladie saisonnière.

Les prévisions me semblent toujours hasardeuses, mais il n’est pas mauvais de faire le point en début d’année pour voir où en sont les technologies qui nous intéressent ici. 

Nous le ferons en trois temps qui nous mèneront des avancées les plus récentes à la vraie tourmente qui menace l’industrie pour terminer par un petit envoi concret sur comment intégrer l’ IA à votre navigateur.

Crédit Tom’sHardware.com

Nous venons d’assister à un déluge d’informations nous annonçant que 2024 serait l’année pendant laquelle l’intelligence artificielle générative deviendrait « mainstream  », dominante partout. Ma réponse est « oui ET non ». Pourquoi ?

Si vous voulez m'aider

L’IA générative se renforce et ses petits-enfants se multiplient 

  • Pendant que nous faisions une pause hivernale bien méritée, l’IA générative est devenue multimodale

    • Quésaco ? Les systèmes développés deviennent capable d’intégrer texte, sons et images et peuvent même comprendre un type de média et répondre par un autre. Il sera progressivement possible, par exemple, de l’interroger avec une image et d’obtenir une réponse par un texte… ou de lui dire oralement ce qu’on cherche et de se voir répondre par écrit dans un échange continu.

  • Pourquoi c’est important : l’interface conversationnelle qui a fait le succès foudroyant de CHatGPT était quand même limitée. Multimodale, elle intéresse et est utile à encore bien plus de gens.

  • En janvier, OpenAi, créatrice de ChatGPT a ouvert un GPT Store dont le nom, mais pas que, fait penser aux dispositifs ayant contribué à la fortune d’Apple et de google.

    • Pourquoi c’est important : ça permet à des myriades de créateurs de proposer des applications tirant parti des capacités de l’IA pour les adapter à autant de services particuliers 

    • Nous verrons se multiplier les « Agents IA » auxquels nous pourrons confier des tâches de plus en plus sophistiquées sur le web, sur notre ordi, et bientôt dans la couche physique comme : prendre des RV, organiser un voyage et, un jour, diriger un robot 

Googlez : IA générative 2024

Force centrifuge de l’IA générative

CRISPR-Cas9 Editing of the Genome-NHGRI-Bethesda-USA
  • Comme l’a signalé Mustafa Suleyman dans son livre La déferlante (voir Myriades ≈035 et ≈036) l’IA gagne du terrain dans de multiples directions qu’il faut prendre en compte :

    • La robotique en premier lieu : de la même façon qu’un chatbot est capable de prévoir le mot qui suit, les robots vont pouvoir, sur la base des vidéos assimilées prévoir ce qu’ils doivent faire avec les objets auxquels ils auront affaire.

    • Nous sommes toujours assez loin des véhicules totalement autonomes mais Waymo (la marque d’Alphabet-Google) a publié un rapport sur 11 millions de kilomètres parcourus sans aucun chauffeur au cours des quels ils ont causés six fois moins de blessures que ceux conduits par des humains.

    • Les traitements réalisés grâce à la modification des gènes viennent d’être autorisés en Grande Bretagne, aux États-Unis et en Europe. Le médicament s’appelle Casgevy et utilise la technologie Crispr (voir Wikipedia en français).

    • Tout cela est en route mais le CES, l’exposition de gadgets qui donne le ton de l’année depuis Las Vegas tous les janviers , a révélé les avances attendues en matière d’objets connectés de tous genres (robots pour la maison ou lunettes smart) mais peu d’avancées en matière d’intégration de l’IA explique Reuters pour qui « Les entreprises n'ont pas eu le temps de traduire l'enthousiasme suscité par les grands modèles linguistiques en gadgets ».

Cette tourmente qui menace 

Fin décembre le New York Times a intenté un procès à OpenAI pour utilisation de textes protégés par copyright (droits d’auteur). Voilà qui pourrait poser de très sérieux problèmes juridiques et financiers à tout le secteur de l’iA générative, en particulier au numéro 1… et à Microsoft qui y a investit bien des milliards. Quelques points significatifs :

  • ChatGPT donne des réponses correspondant presque mot pour mot à des articles du NYT;

  • Dall-E, qui appartient à la même entreprise répond de la même manière avec les images, que l’utilisateur ait agi sciemment (pour détourner une image protégée) ou par inadvertance… ce qui ne le protègerait pas de poursuites judiciaires.

  • Gary Marcus, l’expert critique que j’aime bien citer, précise que ces systèmes ont été entraînés avec des matériaux protégés, qu’ils n’informent pas leurs utilisateurs sur leurs sources qui donc ne savent pas s’ils violent la loi.

  • OpenAI répond que l’IA générative n’existerait pas sans l’utilisation de matériaux protégés. Argument doublement discutable dans la mesure où aucune raison technique ne justifie qu’elles ne puisse distinguer entre contenus protégés et du domaine public. Il suffirait, pour le reste, de payer des droits d’usage, comme Netflix et Spotify, par exemple. Perspective éminemment désagréable, n’est-ce pas ?

Si tout le monde suit le Ney York Times, ça commence à impliquer beaucoup d’argent ou, comme le dit Marcus, « real money ». 

Pourquoi c’est important : Nous ne pouvons plus envisager l’avenir de l’IA générative dans les mois et années qui viennent sans prendre en compte cet élément juridique, financier et, bien évidemment, politique.

Googlez : procès new york times openai

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Concret : Intégrez gratuitement l’IA générative à votre navigateur

Que vous utilisiez Chrome, Safari ou Firefox, vous pouvez facilement intégrer une « extension » à votre navigateur qui vous donnera des réponses fournies par l’intelligence artificielle générative en même temps que celles produites par votre moteur de recherche préféré.

Je me contente d’indiquer comment faire avec Chrome mais le principe est le même (avec des différences de détail) pour les autresons

1. Allez sur le Chrome web store

2. Recherchez et sélectionnez l'extension ChatGPT for Google

3. Cliquez sur Ajouter à Chrome.

Vous pourrez alors utilisez à votre choix, ChatGPT, Caude 2 (Anthropic) et Bard de Google.

A très vite…

Abonnement payant volontaire

22.12.2023 à 09:53

A lire et à offrir, pas que sur l’IA ≈038

Francis Pisani

Ces 9 suggestions traitent de différentes formes d’intelligence - artificielle, humaine, animale, végétale - et des bouleversements planétaires depuis 250 ans, ainsi que du pouvoir de la fiction.
Texte intégral (2680 mots)

Bonjour,

Voici de quoi vous occuper pendant les vacances si vous avez la chance d’en prendre. J’y consacrerai, en partie, les miennes et vous retrouverai la semaine du 8 janvier. Profitez bien des vôtres.

Ideas.ted.com - Benjamin Hennig - viewoftheworld.net

Pour m'aider avec un abonnement payant

Intelligence artificielle, intelligence humaine : la double énigme - Daniel Andler - Gallimard

« Le titre de ce livre, Intelligence artificielle, intelligence humaine : la double énigme, est une façon — un peu énigmatique peut-être — d’annoncer plusieurs thèses : que l’intelligence artificielle constitue une énigme, que l’intelligence humaine en est une autre, que ces deux énigmes sont étroitement liées, et enfin qu’elles ne sont pas des mystères — de fait, je prétends les résoudre. »

La plus belle histoire de l’intelligence (Éditions Robert Laffont).

Une série d’entretiens, d’abord avec Dehaene, chercheur en psychologie et en neurosciences cognitives, professeur au Collège de France, puis avec Le Cun, fondateur et directeur du Centre de recherche en intelligence artificielle du groupe Meta-Facebook, et enfin, délicieusement, avec les deux. Deux approches scientifiques pointues (évoquées ici de façon très simples) d’une question qu’aucune des deux ne résout clairement : qu’est-ce que l'intelligence et, bien sûr, comment fonctionne-t-elle ? Le plus fascinant étant, peut-être, qu’il n’y a pas de réponse définitive. En clair, ce qui semble distinguer l’humain du reste du vivant n’est pas encore bien compris.

Toutes les intelligences du monde: Animaux, plantes, machines - James Bridle -  Seuil

« Que signifierait la construction d'intelligences artificielles et d'autres machines qui ressembleraient davantage à des pieuvres, à des champignons ou à des forêts ? Qu'est-ce que cela signifierait pour nous de vivre parmi eux ? Et comment cela nous rapprocherait-il du monde naturel, de la terre que notre technologie a fragmentée et dont elle nous a séparés ? »

Quand la machine apprend, La révolution des neurones artificiels et de l'apprentissage profond - Yann Le Cun - Odile Jacob

« L’expansion prodigieuse qu’elle connaît ces dernières années est liée à l’apprentissage profond qui permet d’entraîner une machine à accomplir une tâche au lieu de la programmer explicitement. Ce deep learning caractérise un réseau de neurones artificiels, dont l’architecture et le fonctionnement sont inspirés de ceux du cerveau. »

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IA 2042 : Dix scénarios pour notre futur, ce que l'intelligence artificielle va changer - Kai Fu Lee et Chen Qiufan - Les Arènes

Texte écrit par deux Chinois très américains dont la première caractéristique séduisante est de mélanger explications et fictions, d’imaginer ce que sera notre vie avec IA dans une vingtaine d’années et de nous dire pourquoi et comment de façon compréhensible. Stimulante démarche qui fait appel à nos doutes, joue sur plusieurs niveaux de nos façons d’être, de sentir et de penser.

Voir Myriades Imaginer nos futurs avant de les créer ≈022

La déferlante, Technologie, pouvoir et le dilemme majeur du XXIe siècle - Mustafa Suleyman, Michael Bhaskar - Fayard

Un des acteurs les plus importants de l’intelligence artificielle, Suleyman, explique de quoi est faite la vague de bouleversements qui s'annoncent en établissant des liens entre différents domaines que nous avons l’habitude d'ignorer ou d’isoler : l’intelligence artificielle, la biologie synthétique, la robotique et quelques autres. C'est là que tout bascule du fait de trois propriétés de ces technologies extraordinairement puissantes :

1. Comme l’électricité, par exemple elles sont utilisables dans plein de domaines (general purpose technologies, en anglais);

2. Outils comme toutes les autres, elles sont porteuses d’autonomie potentielle et peuvent agir seules, à notre place;

3. Y accéder coûtant de moins en moins cher, leur prolifération est inéluctable.

Il n’y a ni mot, ni solution miracle et Suleyman le dit clairement. Il propose, ce qui est plus difficile à vendre, une méthode, voir une attitude qui vaut peut-être aussi pour faire face au réchauffement de la planète.

Voir Myriades La déferlante, ce livre qui me fait changer d’attitude ≈035

Voir Myriades  Oui ! Pas n’importe comment ≈036 

Pa obligatoire, mais vraiment sympa

A propos du monde qui bouge

La culture digitale, y compris l’intelligence artificielle, me semblent essentielles pour naviguer notre monde. Mais il faut s’ouvrir sans cesse, connecter, regarder plus haut que son mât de misaine.

Toujours sensible à comment « les autres » - avec qui nous partageons, y compris des différences -  l’envisagent, j’ai lu deux livres qui aident à comprendre - surtout quand on les lit en parallèle - la montée de ce qu’on appelle « le sud global » et son évolution. Ils remontent, pour le premier, à la révolution française et, pour le second, à la victoire des Japonais contre les Russes en 1905.

L’âge de la colère, une histoire du présent - Pankaj Mishra - Zulma

Nourri d’une impressionnante connaissance des textes européens des XVIIIème et XIXème siècles, L’âge de la colère montre comment le ressentiment contre le mépris affiché par Paris (et pas que sous la forme conquérante napoléonienne), et le mimétisme de ceux qui voulaient se moderniser à cette image, s’est ensuite reproduit avec les périodes coloniales à peu près partout dans le monde. Un passé indispensable pour comprendre les colères d’aujourd’hui.

Le Labyrinthe des égarés, l’occident et ses adversaires - Amin Maalouf - Grasset

Premier pays non blanc à avoir militairement écrasé des Européens, le Japon a inspiré plein de mouvements et de leaders décidés à engager des processus de modernisation. Mais il est devenu un empire tout aussi insupportable que les autres. L’URSS a remplacé la race par la classe pour changer le système avant de sombrer dans un travers comparable. Quant à la Chine…? Peut-être faut-il attendre encore un peu pour y voir clair. Maalouf aide à réfléchir.

Et quel roman !

La cité de la victoire, Salman Rushdie - Actes Sud

« Tout le monde est issu d'une graine, lui dit-elle. Les hommes plantent des graines dans les femmes et ainsi de suite. Mais c'était différent. Une ville entière, des gens de toutes sortes et de tous âges, sortant de terre le même jour, de telles fleurs n'ont pas d'âme, elles ne savent pas qui elles sont, parce que la vérité, c'est qu'elles ne sont rien. Mais cette vérité est inacceptable. Il fallait, disait-elle, faire quelque chose pour guérir la multitude de son irréalité. Sa solution, était la fiction. »

Le dernier roman (en date) de Salman Rushdie. Une pure merveille d’un conteur hors pair qui reprend, à sa façon, l’histoire d’une épopée du sud de l’Inde. 

En 1982, Gabriel García Marquez avait consacré son discours d’acceptation du prix Nobel de littérature aux malheurs et à la « solitude de l’Amérique Latine ». Quelques années plus tôt, dans les mêmes circonstances, William Faulkner avait « refusé d’admettre la fin de l’humanité » après le recours à l’arme atomique. Preuve des différences que nous partageons, la Cité de la victoire introduit dans ce réseau de textes un peu de sagesse asiatique, le poids d’une vie trop longue et l’amère sagesse poétique des cycles qui se terminent… comme nous sommes mieux placés pour la comprendre aujourd’hui.

Bonne fin d’année. Nous nous retrouvons début janvier.

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17.12.2023 à 10:00

Que devons-nous savoir ? ≈037

Francis Pisani

Nous avons besoin d’un minimum de familiarité avec la culture digitale indispensable pour vivre et nous repérer à l’heure de l’intelligence artificielle générative. Chacun.e à sa façon. Repères.
Texte intégral (2928 mots)

Bonjour,

En prenant l’ascenseur hier, j’ai trouvé une dame à cheveux blancs secouant son téléphone avec exaspération. Elle n’arrivait pas à y trouver le nombre de pas faits la veille. J’avoue, pour ma part, avoir beaucoup tâtonné pour modifier un clavier sur mon iPad. Soyons honnêtes, cela nous arrive à tou.te.s, à un niveau ou un autre, plus souvent que nous n’aimons le reconnaître. 

Or, cette dame, comme vous et moi, sait quand et comment utiliser le feu, l’électricité ou les chemins de fer, comment préparer ses repas chauds, rendre visite à ses enfants pour Noël, quand ne pas mettre ses doigts sur une flamme ou dans une prise et, j’espère, quand ne pas se mettre devant un train bolidifié. Elle sait. C’était inclus dans son éducation. 

Le-nouveau-rôle-du-DRH-_-encourager-la-culture-digitale-myrhline.com

Que doit-elle, que devons-nous savoir des technologies digitales omniprésentes et indispensables aujourd’hui ? La réponse n’est pas la même pour chacun.e et il me semble indispensable, pour avancer de distinguer entre groupes et situations.

Commençons par un apparent détour, une conférence sur l’intelligence artificielle générative (IAG) organisée par Netexplo (avec laquelle je collabore depuis plusieurs années) pour les entreprises. Il s’agissait, en l’occurence de boîtes suffisamment grandes (plusieurs dizaines de milliers d’employés chacune) pour qu’elles soient obligées d’affronter le problème à tous les niveaux. Nous pouvons en apprendre quelque chose.

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Panorama de l’IA générative

J’ai été frappé, par le fait que deux grandes entreprises dans lesquelles les ingénieurs jouent un grand rôle (ils sont 20.000 chez Safran) commencent leurs formations par ce qu’elles appellent « l’acculturation » du personnel dans son ensemble. Pour Vincent Lecerf d’Orange, il s’agit de « mettre un maximum de personnes sur le sujet, de le populariser  ». Anne Farah, de Safran, parle de « sensibiliser » l’ensemble du personnel.

Orange distingue trois niveaux de formation : culture (digitale), outil, métier. Les chiffres correspondants à chaque groupe illustrent parfaitement leur dimension. Ils concernent, dans l’ordre, 3O.000, 5.000 et 300 personnes aujourd’hui.

Presque tous les intervenants ont insisté sur le fait qu’il s’agit tout autant d’un sujet humain que technique et que tout le monde est concerné même s’il faut prendre en compte les besoins différents selon les générations. 

L’erreur serait de croire que les trois groupes mentionnés n’ont rien à voir l’un avec l’autre. Ils doivent être envisagés comme des cercles concentriques. En clair : tous ces gens employés dans de grandes entreprises ont besoin de culture digitale même ceux qui ne s’occupent ni d’algorithmes, ni de data, même quand cela ne les concerne pas directement.

Abonnement payant facultatif. Il m'aide.

« Culture digitale » 

Nous ne pouvons pas nous permettre de tout ignorer et n’avons pas les moyens de tout savoir. Mais tout le monde a besoin de culture digitale actualisée sans qu’elle implique une connaissance approfondie de la technologie. 

Distinguons trois niveaux.

  • Aisance et familiarité - Il s’agit simplement de se mettre à jour, d’inscrire l’intelligence artificielle telle qu’elle évolue sous nos yeux dans la continuité  de la révolution digitale qui s’est introduite dans nos vies avec l’ordinateur, l’internet et le web ainsi que le téléphone mobile.

  • Outils - Les spécialistes ne sont pas les seuls à être amenés à s’en servir. Comme pour les autres étapes, celle-ci implique d’apprendre à utiliser quelques dispositifs nouveaux (essentiellement des logiciels genre ChatGPT ou des applications qui intègrent l’IAG comme le proposent Microsoft et Google). Ils peuvent être utiles et nous gagnerons en apprenant à nous en servir.

  • Enjeux - Nous avons besoin et intérêt à comprendre les enjeux sociétaux de la vague de transformation qui vont de l’IA for good (un vrai mouvement) aux dangers connus comme la surveillance ou la guerre en passant par des formes d’organisation et  de gouvernance à tous les niveaux.

Il ne s’agit pas de formation mais toute formation passe par là.

Cette fois ce sont les ingénieurs et les managers qui auraient tort de croire qu’ils peuvent s’en passer. L’IA générative n’est pas seulement faite de joujoux merveilleux à inventer, ni d’efficacité ou de productivité. La société toute entière est concernée : entreprises, éducation des enfants, gestion de la municipalité, associations et gouvernement.

Acquérir cette « culture digitale » et en comprendre les enjeux est aussi important que de se préoccuper de crise climatique et de diversité. Elle permet  d’agir avant qu’il ne soit trop tard et de développer des usages positifs, dans la santé par exemple.

School of Aristotle by Gustav Adolph Spangenberg - Wikipedia domaine public.jpeg

Danser sous la pluie

Il s’agit donc de créer une nouvelle PAIDEIA, terme qui désignait dans la Grèce antique  « le corpus de connaissances fondamentales dont doit disposer un bon citoyen ». Une idée relativement courante aujourd’hui.

La déferlante arrive comme nous l’avons vu récemment et nous avons le choix entre couler, flotter, surfer ou naviguer. Voire mieux si nous faisons cas des jolis propos de Laurie Bonin, co-fondatrice d’Artpoint, à la conférence Netexplo : «  L’IA est comme la pluie, on peut ne pas l'aimer mais on ne pourra empêcher qu'il pleuve alors dansons sous la pluie. » D’autant plus volontiers, il me semble qu’elle présente plein d’aspects positifs et d’opportunités, comme la pluie d’ailleurs, en quantité raisonnable, ou contrôlée, voire endiguée…

Googlez : paideia artificial intelligence et paideia intelligence artificielle

Bientôt - Un journal télévisé entièrement IA

Trouvé sur le site du québécois Bruno Guglielminetti ce test d’un journal télévisé entièrement réalisé par l’IA à partir de sources médiatiques vérifiées. Impressionnant comme vous le verrez très vite.

Cliquez > Chanel1.ai L’arrivée des infos 100% IA

Chanel1.ai

Bonne semaine…

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10.12.2023 à 10:07

Oui ! Pas n’importe comment ≈036

Francis Pisani

Le livre La déferlante de Mustafa Suleyman, propose une attitude pour miser sur la technologie sans se laisser dépasser dont nous pourrions nous inspirer dans le débat sur le réchauffement global.
Texte intégral (2753 mots)

Bonjour,

Myriades fête son numéro ≈036. Belle occasion pour ajouter la possibilité de m’aider. Modèle simple et connu, type Wikipedia ou The Guardian. Lit qui veut, commente qui veut, like qui veut et, maintenant, celles et ceux qui comprennent que cette publication requiert un gros travail peuvent également contribuer avec quelques sous… s’ils ou elles veulent. Un bon deal ce me semble. Merci à qui tope là !

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Plus je lis ce livre, plus j’ai envie de le relire.

Je parle de La déferlante, (voir Myriades de la semaine dernière) écrit par Mustafa Suleyman un des créateurs des IA qui l’ont emporté sur les meilleurs joueurs d’échecs et de Go avant de réussir à déplier les protéines pour en révéler la configuration. Sa proposition de contenir, voire d’endiguer le développement de l’intelligence artificielle et de la vague technologique qu’elle entraîne est d’autant plus remarquable qu’elle s’accompagne d’une stratégie à multiples niveaux. C’est ce qui m’a secoué. 

 Il voit dans la contention « un moyen, en théorie, d'échapper au dilemme de la maîtrise des technologies les plus puissantes de l'histoire. » « En théorie » parce que personne n’est certain que ça marche. Quant au dilemme, il est plus facile à résumer qu’à résoudre : il veut que la vague de technologies développées en ce moment apporte les bienfaits promis, mais pas n’importe comment.

Foncer, comme tout arrêter, est également risqué.

Déferlante contenue par des piquets, Stéphane Mignon, Wikimedia, CC BY 2.0

Attention l’idée d’endiguer fait hurler bien des acteurs quand il est pris dans le sens le plus étroit (mettre entre des murs, des digues, des murailles, les parois d’une boîte). 

C’est plus compliqué et bien plus intéressant.

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Ces imparables incitations à foncer : états, entreprises, egos 

Le livre est sorti plusieurs semaines avant la crise d’OpenAI, la société créatrice de ChatGPT (voir Myriades ≈034 Games of AI : c’est qui les pions) qui apparaît comme une illustration parfaite de sa thèse avec la victoire de ceux qui veulent foncer (dont Sam Altman et Microsoft) sur ceux qui appellent à un peu de retenue.

Aucun doute pour Suleyman que « le profit est le moteur de la vague à venir, » mais les seuls tenants d’une position éthique doivent comprendre qu’il n’y a pas que ça. il faut aussi prendre en compte :

- La compétition entre grandes puissances. « Choisir de limiter le développement technologique lorsque des adversaires perçus avancent, c'est, dans la logique d'une course aux armements, choisir de perdre. »

- L’écosystème mondial de la recherche, avec ses rituels bien ancrés qui récompensent la publication ouverte, la curiosité et la quête d'idées nouvelles à tout prix.

- Sans oublier l’ego des chercheurs si bien illustré par le film consacré à Robert Oppenheimer. Mais c’est John von Neumann, mathématicien d’origine hongroise ayant participé au développement de l’arme nucléaire, qui en explique le fonctionnement : « il serait contraire à l'éthique, du point de vue des scientifiques, de ne pas faire ce qu'ils savent être faisable, quelles que soient les terribles conséquences que cela pourrait avoir ». 

Aucune mesure isolée ne peut suffire pour contenir ces « imparables incitations  ».

©Universal Pictures

Tout Myriades

Endiguer, se contenir, organiser l’intervention de l’État

Suleyman commence par demander aux créateurs eux-mêmes de faire le premier pas et de s’imposer des limites, des contraintes qui seront d’autant plus efficaces qu’elles figureront dès la conception de l’outil au lieu d’intervenir après coup c’est-à dire, presque toujours, trop tard. 

Et mieux vaut ne jamais laisser les enthousiastes seuls. « La technologie a profondément besoin de critiques - à tous les niveaux, mais surtout en première ligne. » Ceinture et bretelles : il est prudent de faire auditer de l’extérieur leurs travaux en cours.

Ça risque de les ralentir ? Quelle excellente chose dit Suleyman qui les invite à prendre le temps de tester, à ne pas se précipiter pour mettre leurs découvertes sur le marché.

L’auteur, dont l’entreprise DeepMind a été rachetée par Google, a bien tenté de faire bouger cette BigTech de l’intérieur… sans succès.  L’endiguement gagnerait à compter sur des fondateurs de startups et des patrons soucieux « d’apporter une contribution positive à la société. Il a également besoin de quelque chose de beaucoup plus difficile. Il a besoin de politique, » tant au niveau national qu’international. Il demande donc l’intervention des gouvernements et des États.

En clair, tout le monde doit s’y mettre à tous les niveaux, tout de suite. Ça fait beaucoup.

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« L’endiguement doit être possible »

Ce titre de l’avant-dernier chapitre m’a inquiété. Ça n’est jamais parce qu’elle est nécessaire ou bonne qu’une proposition, une action, un programme sont réalistes. « Je comprends parfaitement. Cela semble à peine réel à première vue, » reconnaît-il. Mais nous y sommes bien parvenus - jusqu’à un certain point - pour les voitures, les avions et les médicaments, par exemple. Avec un coût élevé en victimes et toujours bien tard.

Et la réglementation, régulièrement invoquée par les mieux intentionnés, ne suffit pas. La technologie bouge de semaine en semaine alors qu’il faut des années pour faire adopter une loi.

On peut en conclure que c’est bien pour cela que la généreuse idée de Suleyman ne peut réussir. L’auteur le dit clairement : « L’endiguement de cette déferlante n’est, je crois, pas possible dans le monde actuel. » Il faut des citoyens plus conscients, des entreprises et des entrepreneurs plus soucieux du bien social, des gouvernements plus agiles, des relations internationales plus détendues… etc. etc. 

Autant repousser notre attente de solution à la saint-glinglin.

Pourquoi ce livre m’a secoué

La déferlante propose une approche trans-disciplinaire des technologies qui se développent le plus vite aujourd’hui. Il prend en compte les responsabilités à tous les niveaux, des individus aux grandes puissances, et contient une proposition ouverte, modifiable à mesure que nous agissons, à condition d’agir bien entendu.

Il n’y a ni mot, ni solution miracle et Suleyman le dit clairement. Il propose, ce qui est plus difficile à vendre, une méthode, voir une attitude.

Elle vaut pour l’intelligence artificielle et la biologie synthétique, mais aussi pour l’autre problème majeur auquel l’humanité est confrontée, toujours de son fait : le réchauffement de la planète. 

L’un et l’autre sont, en paraphrasant une des formules du livre, des « hyper-objets qui dominent l’existence des humains ». Suleyman met en cause nos responsabilités et le système dans lequel nous nous sommes enfermés nous-mêmes, sans tomber dans l’opposition binaire entre pour et contre, entre croissance et décroissance. J’y vois une vraie position politique. Et vous ? 

Époustouflante video - Gemini de Google, un jumeau peu fiable

Alphabet-Google a choisi cette semaine pour lancer Gemini son intelligence artificielle générative conçue pour écraser ChatGPT. Plutôt que de la décrire, je vous invite à regarder cette époustouflante vidéo sensée montrer ce qu’elle’ est sensée pouvoir faire (sic).

Impressionnant, n’est-ce-pas… sauf que… allez, un petit effort : googlez : canard gemini. Vous allez bien rire.

Bonne semaine…

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03.12.2023 à 09:57

La déferlante, ce livre qui me fait changer d’attitude ≈035

Francis Pisani

Le débat « foncer ou faire gaffe » ne se limite pas à l’IA. Prendre en compte la biologie synthétique, tout aussi capable d’autonomie et de prolifération, permet de mieux aborder les défis du futur.
Texte intégral (3278 mots)

Ça fait trente ans que j’ai fait de mon rapport avec la\les technologie.s une affaire personnelle à laquelle je consacre l’essentiel de mon activité professionnelle et de ma curiosité, de mes voyages et de mes lectures, de mes interrogations. 

Trente ans que je surfe cette vague, en particulier ce qui touche au numérique, aux technologies de l’information et de la communication. 

L’enthousiasme du néophyte

En 1996 on appelait ça un fax 3D-Stanford University

Trente ans commencés avec l’enthousiasme du néophyte quand j’ai assisté à une démonstration de la première imprimante 3D capable, alors, de fabriquer un petit Bouddha ou à la présentation de l’iPhone par Steve Jobs et que je l’ai entendu dire « Ce truc change tout ». 

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Le nouveau était évident, le positif semblait clair et je suis ensuite, pour m’en assurer, parti faire un tour du monde de l’innovation qui m’a permis de me rendre compte qu’elle fleurissait partout tant les gens étaient désireux de participer à la création de leur futur sans attendre ce qui venait de Californie.

Des enquêtes sur les smart cities, lancées pour étudier la relation entre innovateurs et citoyen.ne.s m'ont ensuite permis de comprendre qu’Entre datapolis et participolis (titre d’un de mes livres téléchargeable gratuitement), l’important était la ville, les gens et leur rapport - souvent méfiant, surtout en France - à la technologie.

Retour en Europe. Repli. J’ai pris conscience d’avoir un peu trop forcé le trait dans le sens du positif… pour convaincre. J’entendais la peur et les critiques sans me résoudre à penser qu’il fallait monter des lignes Maginot, des murailles nationales, des refus d’utiliser un téléphone mobile ou de lire des livres sur tablette (je ne comprends toujours pas, mais c’est une autre histoire). Les problèmes, issus des réseaux sociaux par exemple ou des manipulations dont nous sommes l’objet étaient évidents mais je n’ai jamais pu accepter la façon généralement binaire de les présenter : oui ou non, pour ou contre ces nouveaux outils qui changent nos vies.

La secousse ChatGPT

Puis ChatGHPT est apparu, l’intelligence artificielle s’est imposée comme le nouveau « truc qui change tout » et je me suis de nouveau passionné avec, cette fois, la volonté de mieux mélanger curiosité gourmande et perplexité. 

Je me suis d’abord opposé à la couverture dominante qui joue sur l’émotion, le sensationnel et ce qui suscite le plus de traffic, la peur (comme le fait encore, cette semaine, la couverture du Point).

La Une du 30 novembre 2023… et si la vraie bataille était ailleurs ?

Difficulté accrue, pour la première fois, les experts, ceux qui savent ou sont sensés savoir, reconnaissent ne pas toujours comprendre les résultats de leurs belles inventions. Même inquiet, l’observateur ne saurait trancher à leur place.

Et puis nous avons vu se dérouler sous nos yeux l’affaire OpenAI mettant en scène LE conflit qui résume tout, entre une approche éthique et prudente de l’IA (puisque nous ne savons pas très bien ce qu’elle est en train de devenir) et le besoin des grandes entreprises d’aller toujours plus vite et plus loin pour dominer le marché et gagner plus d’argent sans trop se soucier de la casse éventuelle. 

Sans surprise, la logique du capital s’est imposée. Mais le problème reste entier. Il est même beaucoup plus sérieux que je ne l’avais imaginé.

C’est ce que j'ai découvert en lisant La déferlante, Technologie, pouvoir et le dilemme majeur du XXIe siècle, un livre qui nous explique de quoi est faite la vague de bouleversements qui s'annoncent en établissant des liens entre différents domaines que nous avons l’habitude d'ignorer ou d’isoler. C'est là que tout bascule.

Mustafa Suleyman, l’auteur principal, est un des acteurs les plus importants de l’intelligence artificielle. Il est un des trois fondateurs de DeepMind l’entreprise créatrice d’AlphaZero capable de gagner aux Go comme aux échecs les meilleurs joueurs du monde, et AlphaFold, le premier programme capable de prédire la structure des protéines. Elle est maintenant intégrée à Google-Alphabet.

Tout Myriades

La déferlante

Première vertu de ce livre, il situe l’IA dans le contexte d’un ensemble de bouleversements technologiques auxquels elle contribue de façon considérable mais pas exclusive. Il prend aussi en compte la biologie synthétique dont on ne parle jamais mais qui avance tout aussi vite et présente des risques tout aussi grands, plus même.

La biologie synthétique est la « Capacité de concevoir et de manipuler de nouveaux organismes ou de repenser des systèmes biologiques existants ». Comme l’IA elle bénéficie d’une réduction accélérée des coûts et de l’augmentation de ses possibilités depuis que nous avons compris que « l’ADN est, en fait, un système de codage et de stockage d’informations biologiques ». On voit immédiatement le rapport avec l’IA et comment l’une peut renforcer l’autre. 

Un chiffre : le coût du séquençage du génome humain est passé de 1 milliard de dollars en 2003 sous la barre des 1000 USD en 2022. Wikipédia nous explique qu’en génétique, « le séquençage concerne la détermination de la séquence des gènes voire des chromosomes, voire du génome complet. »

Attention, dit Suleyman, « si le séquençage équivaut à une lecture, la synthèse est une écriture. Et l'écriture ne consiste pas seulement à reproduire des brins d'ADN connus ; elle permet également aux scientifiques d'écrire de nouveaux brins, d'inventer la vie elle-même. » On peut même les « imprimer » pour pas cher. C’est à la portée, semble-t-il d’étudiant.e.s du secondaire un peu malin.e.s. 

Quelle incroyable boîte de Pandore est en train de s’ouvrir ! 

Ce qui a pris des dizaines de millions d’années pour en arriver à la vie sur terre telle que nous la connaissons peut, maintenant, être court-circuité grâce au pouvoir d’ordinateurs assez simples. Les gens peuvent fabriquer la vie comme bon leur semble quel que soit l’endroit où ils se trouvent. Les premiers humains avec des génomes édités sont déjà nés en Chine. Trois filles qui se sont vues donner les noms de Lulu, Nana et Amy « pour préserver leur vie privée »! Selon Les Échos « Elles vivent une vie parfaitement normale, paisible et heureuse  ».

Googlez : Lulu Nana twins

Pour qui voudrait le lire en vo (toujours préférable quand on peut) The Coming Wave, Technology, Power, and the 21st Century’s Greatest dilemma.

Pourquoi contenir ?

Le basculement tient à trois propriétés de ces technologies extraordinairement puissantes :

  1. Comme l’électricité, par exemple elles sont utilisables dans plein de domaines (general purpose technologies, en anglais);

  2. Outils comme toutes les autres, elles sont porteuses d’autonomie potentielle et peuvent agir seules, à notre place;

  3. Y accéder coûtant de moins en moins cher leur prolifération est inéluctable.

Il propose donc une approche multi-directionnelle à plusieurs niveaux dont je vous donnerai les principaux éléments très vite. C’est pour lui « un moyen, en théorie, d'échapper au dilemme de la maîtrise des technologies les plus puissantes de l'histoire. » Jusqu’à présent, nous avons plus ou moins bien fait face après coup aux conséquences inattendues de nos innovations. Il est indispensable aujourd’hui de le faire dès la conception. 

Authentique changement que nous verrons dans ses dimensions concrètes.

A la semaine prochaine…

Youtube : Que signifie la révolution de l'IA pour notre avenir ?

Super échange entre Yuval Noah Harari et Mustafa Suleyman organisé par The Economist, mais accessible gratuitement sur Youtube. 

En anglais mais vous pouvez obtenir des sous-titres en français.

Googlez : sous-titres français youtube et suivez les instructions

Zanny Minton Beddoes, directrice de la rédaction, Yuval Noah Harari, Mustafa Suleyman

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23.11.2023 à 08:07

Games of AI : c'est qui les pions ? ≈034

Francis Pisani

Les mésaventures de Sam Altman et d’OpenAI, son entreprise (pour le moment), sont un cas d’école révélateur du fonctionnement de la tech et du big business à Silicon Valley. Accrochez vos ceintures...
Texte intégral (3253 mots)

The Game of AIs (au pluriel) met en jeu des ressources - celles de Microsoft -  plus grandes que celles de pays aussi important que le Brésil, le Canada, la Russie, la Corée du sud, l’Australie ou l’Espagne. Il se joue autour du contrôle d’une des technologies les plus puissantes, mais toujours mal connue, mises au point par les humains. Argent et pouvoir, voilà de quoi nous passionner (et pas seulement nous inquiéter) pendant un moment. Mais le monde où il se joue n’a rien de fictionnel, c’est le nôtre.

EdRaisen-DeviantArt-Creative Commons Attribution-Noncommercial-No Derivative Works 3.0 License

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La série est suivie par tous les médias et je vous épargnerai les détails pour me concentrer sur les questions qu’elle pose et qui nous concernent.

Pour qui était sur la lune - littéralement - ces derniers jours je me contenterai de rappeler très brièvement les 5 épisodes de la mini série.

- E1 : Le conseil d’administration d’OpenAI, l’entreprise qui a créé ChatGPT accuse son PDG, Sam Altman, de « manque de sincérité » et le fout à la porte. 

- E2 :  Microsoft offre à Altman de lui confier la direction d’un lab indépendant consacré à IA.

- E3 - La presque totalité des employés d’OpenAI, dont l’acteur principal du licenciement d’Altman, protestent contre… le licenciement et menacent de faire défection. 

- E4 - Accusé de holdup par un professeur de Berkeley, Microsoft se renforce avec l’acquisition d’Altman et de son équipe. Panique à Silicon Valley. 

- E5 - Altman rentre au bercail ! Final hollywoodien. Trompeur.

En Californie on appelle ça un cliffhanger, un scénario à suspens. Celui-ci est dû à la tension entre la volonté affichée de ne pas aller trop vite en raison des risques - et l’implacable compétition qu'on appelle « main invisible » du marché.

L'intégrale de Myriades

L’idéologie dans la tech

Plein de talents très appréciés, dont celui de repérer les bons coups et de convaincre les puissants de le soutenir et d’investir dans ses différents projets comme le rappelle le Washington Post, Sam Altman est aussi un drôle de loulou à qui il est déjà arrivé de faire passer ses intérêts en premier, de s’arranger pour éviter tout contrôle et de se faire virer. Mais l’enjeu est trop important cette fois, pour nous limiter au petit bout de la lorgnette.

L’histoire d’OpenAI laisse entendre que le conflit est d’ordre éthique. 

- Lancée comme entreprise sans but lucratif pour mettre l’IA au service de l’humanité (sic) elle avait besoin, pour croître, de beaucoup beaucoup d’argent et de beaucoup beaucoup d’ordinateurs (fournis, essentiellement par Microsoft).

- L’investissement s’est fait sans altération de la structure de « not for profit ».

- Gonflé par ses succès, Altman a senti des rockets pousser sous ses ailes et s’est lancé dans une stratégie de croissance accélérée.

- Inquiets, ses copains du départ l’ont viré.

La première saison de la série est donc montrée comme un conflit entre deux visions du monde sur le rythme de croissance, qui est à la fois une question éthique et de gros sous. Une indication convaincante que la technologie, conçue de façon dynamique est idéologie ou, pour être plus précis, qu’elle n’existe pas et ne peut pas exister sans mettre en jeu des dimensions idéologiques.

Pourquoi parler d’idéologie ? Parce que les auteurs du « coup d’état » contre Altman naviguent dans les sphères d’un mouvement connu comme « effective altruism » mal traduit par « altruisme efficace ». Un mouvement qui affirme vouloir faire le bien dans le monde le plus efficacement possible grâce à l’utilisation de fortunes individuelles accumulées dans le plus pur respect du marché. Très en vogue chez les milliardaires (et pas seulement) il leur permet de s’en « servir pour justifier leur position dominante et arguer du fait que, grâce à leurs dons, ils sont les mieux placés pour avoir un impact positif maximum. » Notons qu’en effet (sic), Sam Bankman-Fried, grand fraudeur de cryptomonnaie s’en est servi pour masquer ses actions illégales.

Don Sniegowski-Flickr-CC BY-NC-SA 2.0 DEED

La loi du business

L’idéologie « altruiste », même mal défendue, compte mais rien ne résiste au mode de fonctionnement du monde des affaires. Altman et sa logique de croissance sont de retour, en tous cas pour le moment. La structure d’OpenAi risque de changer. Microsoft qui « ne veut plus de surprises » devait accroître son influence. La valeur de ses actions qui avait chuté à la fin de l’Episode 1, a remonté et tous nos amis américains s’apprêtent à retrouver leurs familles pour le long week-end de Thanksgiving qui commence aujourd’hui. Mais rien ne nous assure qu’il sera l’occasion d’une pause.

Et ne croyons pas qu’OpenAI est un cas à part. Meta-Facebook et Microsoft ont récemment supprimé leurs départements responsables de l’IA responsable, celle qui s’efforce de limiter les effets négatifs de la course au gros lot. Derrière l’incident se cache (mal) un vrai problème. Je ne sais pas encore jusqu’à quel point l’IA peut être dangereuse mais la logique du business de haut niveau peut l’être. Pour l’expert Gary Marcus : « La sécurité et le rendement financier [seront] toujours en tension, » que je ne peux me retenir de qualifier d’asymétrique. Devinez en faveur de qui.

Profitons de la pause pour observer que :

- Quels que soient les détours qu’elles prennent et les discours dont elles se parent, les bonnes intentions ne résistent pas à l’extrême compétition qui régit la BigTech. Elle se fait, trop souvent dans le secret pour ce qui compte vraiment.

- Des milliards et plus que ça (je veux dire une bonne partie de notre avenir) sont mis en cause par des décisions prises par de tous petits groupes, essentiellement masculins, qui ne répondent à aucun fonctionnement démocratique. La dernière crise met en cause la responsabilité des patrons et du système de réglementation qui tend à leur faire une trop grande place et à leur fixer des limites peu claires au nom de la défense de l’innovation.

- Le rapport de force entre travailleurs du savoir et patrons d’entreprise est en train de changer considérablement. La richesse potentielle des boîtes dépend de la capacité de créer et donc de l’autonomie des employés. C’est tout un pan de l’activité économique qui est en train de changer. Bonne nouvelle pour eux… mais, comme société, nous devons faire très attention aux modes, engouements, montées aux extrêmes et fantasmes dont ils peuvent être victimes comme nous tous.

Envoi - «  Le business est compétition et la compétition dans le big business c’est la guerre ». Ne cherchez pas, je viens de l’inventer, mais l’idée est courante comme je vous invite à le vérifier un peu plus bas. En attendant le spectacle continue. De nouveaux épisodes nous attendent j’en suis sûr. Peut-être une version Netflix l’an prochain

Googlez : business is war ou business as war et essayez en français si vous préférez

Sur un autre ton - A l’école des colibris

MarcBerger-Smithsonian...

En ces temps de simplifications à tout va - toute ressemblance à une situation politique, quelle qu’elle soit, ne serait que le fruit d’un improbable hasard - je vous invite à découvrir que le colibri est capable d’avoir deux stratégies pour franchir un obstacle et de choisir en fonction des situations, c’est-à-dire des risques. De face ou de côté, c’est quand même pas si compliqué, et c’est beau à voir.

A la semaine prochaine…

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17.11.2023 à 08:23

Utile et d’accès facile ≈033

Francis Pisani

L’IA va bouleverser notre façon de dire, de penser, de faire, mais pas tout de suite. Voici comment repérer les problèmes qu’elle aide à résoudre et les interfaces qui permettent d’y accéder.
Texte intégral (3290 mots)

Bonjour,

Pour lancer Myriades, j’avais choisi comme titre du premier billet « Ce truc change tout », une phrase de Steve Jobs au moment de présenter l’iPhone.

C’était le début, l’irruption de ChatGPT commençait à secouer notre accès à l’information et à l’IA générative, un domaine très particulier des multiples technologies et même sciences regroupées sous le titre d’intelligences artificielles. Mais, sans perdre de sa vérité, la formule d’un des plus grands magiciens de la comm devient vite insuffisante. L’énormité du sujet était évidente, et si c’était à refaire aujourd’hui, je recommencerais. Mais différemment. 

Découvrant l’univers-Flammarion-Luminarium.org

L’engouement s’est un peu calmé. ChatGPT n’a que 100 millions d’utilisateurs chaque semaine ce qui au niveau de la planète reste infime. Les médias de masse essayent encore régulièrement de nous faire peur, mais ça attire moins de trafic. Et, même si les très grands acteurs planétaires restent les mêmes, on constate une floraison d’entrants venant aussi bien des entreprises de la big tech que de startups pas seulement californiennes. Ça foisonne.

En clair : L’IA s’insère partout, mais dans tellement de directions qu’il est encore tôt pour détecter les plus importantes. On risque de se perdre, même les pros qui tentent de s’y retrouver en suivant des sources privilégiant tout ce qui bouge et promet des fortunes rapides… Pas très utile pour vous et moi.

Je vous propose donc une double approche de l’IA avec une boussole - la question des interfaces - et une méthode - le suivi de ce qui est vraiment utile.

Tout Myriades

Commençons par cette dernière.

Méthode : suivre les problèmes que l’IA permet de résoudre

Ça ne va pas nous rendre milliardaires, mais faisons comme si nous étions à Silicon Valley. Après tout ils doivent bien avoir un ou deux secrets…

Tout.e startupeur ou startupeuse s’est entendu demander par ses investisseurs « Quel problème votre technologie résout-elle ? »

La réponse n’est pas facile dans la mesure où, faute de certitudes, surtout dans la phase initiale d’un produit, il faut prendre des risques. Question essentielle que les financiers avertis abordent souvent en s’abritant derrière la formule « Spray and pray  », arrosons et prions. Pas si bête puisque, dans les faits, seule une startup sur dix s’en sort vraiment bien même quand les meilleurs spécialistes se sont penchés sur son berceau, le plus souvent pendant des années. 

Capital risqueurs et startupeurs peuvent se raconter ce qu’il veulent, il est toujours bon de se concentrer sur ceux qui prétendent résoudre de vrais problèmes, de vraies aspirations humaines comme le besoin d’amour ou celui d’accroître ses revenus et donc son efficacité au travail, de faire avancer la science et notamment tout ce qui concerne la santé. 

A l’heure de l’IA il est important de distinguer, comme j’essaye de le faire, sa dimension générative (comme ChatGPT d’OpenAI-Microsoft ou Bard de Google) et les formes plus classiques qui consistent à traiter d’énormes quantités de données comme celles qu’utilisent Amazon ou Spotify, par exemple, pour conseiller de nouveaux produits, d’autres morceaux de musique ou de podcasts susceptibles d’intéresser leurs clients. 

Sans aucune prétention d’exhaustivité (toujours vaine en ces temps de myriades…) je me contenterai, aujourd’hui, de donner quatre exemples de domaines ou l’IA semble manifestement utile (et suis très curieux de savoir si vous en voyez d’autres du même genre).

- Les outils de simplification ou d’amélioration de la qualité du travail

- Communications entre humains, interprétation et traductions

- le développement scientifique et notamment médical

- la défense ou, pour être plus clair, la guerre

Mais la méthode, aussi sérieuse et pensée soit-elle, ne suffit pas. Pour que ça marche il faut un accès sans couture, seamless en anglais.

Faites connaître, c'est sympa

L’interface comme boussole

Pour qu’une technologie s’impose il lui faut au moins une infrastructure existante (ou facilement déployable) accompagnée d’une interface d’usage facile, voire séduisante, m’a expliqué mon amie Anne Bezançon, qui a lancé et vendu avec succès une startup à San Francisco. Il s'agit, lisons entre les lignes, d’atteindre le plus grand nombre, ce qui est bon pour le business, et de démocratisation par l’accès, belle avancée sociétale.

Trois exemples :

- L’imprimerie a multiplié l’accès à la lecture et, donc, à l’écriture qui existait depuis longtemps enfermée dans des livres rigoureusement gardés dans des monastères.

- Le web a permis l’accès à l’internet, dont l’infrastructure existait déjà, grâce à Netscape (le premier navigateur) et à ses descendants en nous permettant de lire, entendre et/ou regarder tout ce qui s’y publiait.

- L’iPhone s’est révélé une sorte d’interface physique nous permettant d’être toujours connecté (ou de choisir quand l’être ce qui est préférable) pour communiquer ou chercher des informations… utiles mais pas que.

Paureinoson, CC BY-SA 4.0-Wikimedia

Comment la question de l’interface avec la puissance extraordinaire de l’IA se présente-t-elle ? Contentons-nous de deux exemples pour aujourd’hui.

- Simplification extrême, la possibilité de dialoguer avec nos appareils est en train de devenir le plus gros bouleversement.

- Elle permet de consulter oralement ChatGPT sur son téléphone ce qui en fait un outil d’apprentissage et de découverte (voir plus bas quelques exemples concrets).

- L’interprétation et la traduction entre langues différentes, comme je l’ai déjà évoqué déjà, pourrait nous libérer de la malédiction de Babel (mais peut nous confronter à d'autres problèmes, comme toujours). 

- A un tout autre niveau, les géants de la tech sont en train d’inclure l’accès à l’IA dans les outils que nous utilisons tous les jours et ouvrent la porte à des assistants personnels susceptibles de bouleverser notre façon de travailler. Microsoft le fait avec Copilot dans sa célèbre suite d’applications (Word, Excel, Powerpoint, Outlook etc.) et Google suit le même chemin.

Notons que dans ses prévisions pour 2024, The Economist qui n’est pas la source la moins sérieuse dans le domaine des technologies et de leur impact sur le monde du business, écrit  que « avec un peu de chance (hopefully) de nombreux outils d'IA générative seront bientôt plus faciles d'accès ». 

Début de tendance… n’oubliez pas d’être patients, et jetez un coup d’oeil sur ces exemples… 

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Concret : très utiles et facile à utiliser

- L’IA au secours des artistes. Elle permet aux chanteurs de s’exprimer avec leur voix dans toutes les langues pour élargir leur public - Lala Sadii, qui compte cinq millions d'abonnés sur YouTube, souhaitait entrer en contact avec des fans d'autres pays en créant de courtes vidéos lyriques de type karaoké pour sa chanson Murder my feelings. Elle utilise maintenant un type d’IA qui permet de transcrire sa voix tout en respectant le mouvement de ses lèvres

- La voix pour nous libérer des écrans et des smartphones. La proposition de Humane. Un premier pas.

- Les employés les moins formés sont ceux qui bénéficient le plus du recours à l’IA générative selon le Financial Times.

- ChatGPT peut transformer notre façon d’apprendre comme le montre Frank Andrade, auteur de la newsletter Artificial Corner. Il s'en sert pour se préparer à un entretien comme pour corriger ses fautes de grammaire avec explication de la règle en jeu, ce qui lui permettra de ne pas recommencer. Impressionnant.

Vu sur wondertools.substack.com/p/learningwithchatgpt

A la semaine prochaine…

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12.11.2023 à 08:01

Dynamique des relations ≈032

Francis Pisani

Pour naviguer la multiplicité des crises qui caractérise notre époque je vous invite à prendre en compte la dynamique de leurs relations. Ça peut aussi nous aider à comprendre l'évolution de l'IA.
Texte intégral (2860 mots)

Bonjour et bienvenue sur Myriades,

Je vous propose cette semaine une promenade en trois temps qui nous conduit des multiples crises qui nous accablent, au fait que nous pouvons (et avons tout intérêt à) modifier nos façons de penser,  en passant par ce que nous enseigne le fonctionnement de l’IA. Pas besoin d’accrocher votre ceinture, c’est une balade douce avec un « envoi » pour conclure.

  1. Crises multiples

  2. IA, algorithmes et connections

  3. Penser les relations

Crises multiples

Le trop grand nombre de secousses qui ébranlent la planète ces derniers temps sont sources d’angoisses individuelles et collectives. « Personnellement, je ne peux pas vivre sans thérapie. J'ai besoin de cet espace pour réfléchir, pour affronter mes peurs, pour me ressaisir » explique l’historien Adam Tooze qui utilise le terme de « polycrise » pour caractériser notre époque. Il considère aussi que nommer le phénomène a un effet thérapeutique. Suivons le.

« Une polycrise n'est pas seulement une situation où l'on est confronté à des crises multiples. Il s'agit d'une situation telle que […] le tout est encore plus dangereux que la somme des parties, » explique Tooze qui enseigne à l’Université de Columbia. Il en comptait déjà sept en juin 2022 comme le montre le graphique ci-dessous. L’évolution de chacune est pleine d’incertitudes et elles arrivent toutes en même temps alors que certaines se renforcent mutuellement. 

A quoi nous devons, cette année, ajouter le Moyen-Orient.

« Ce qui rend les crises de ces 15 dernières années si désorientantes, c'est qu'il ne semble plus plausible de désigner une cause unique et, par voie de conséquence, une solution unique » explique Tooze. 

Deux facteurs contribuent à l‘amplification comme à l’accélération des risques : 1) la crise environnementale faite de la consommation des ressources par l’humanité qui affaiblit la résilience des systèmes naturels et entraînent un dangereux déclin de la biodiversité; 2) « la connectivité considérablement accrue entre nos systèmes économiques et sociaux [qui] a fortement augmenté le volume et la vitesse des flux de matières, d'énergie et d'informations sur de longues distances, aggravant des risques tels que l'instabilité du système financier, les pandémies, les inégalités économiques et l'extrémisme idéologique » complètent des chercheurs du Cascade Institute au nom bien choisi.

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L’approche est, en fait, une invitation à penser différemment que Tooze explique  très simplement : « L'objectif, l'idée du concept est simplement d'ouvrir les fils à travers lesquels vous pouvez commencer à voir les connexions. »

Connexions ? Connexions ? N’est-ce pas un des secrets (de polichinelle) de l’intelligence artificielle ? 

Passons à a deuxième étape de notre balade.

Googlez : Tooze polycrisis (ou polycrise) Davos

Intelligence artificielle, algorithmes et relations

Sensée nous imiter pour mieux nous remplacer, l’IA, et notamment l’IA générative qui opère sur la base des réseaux de neurones, fonctionne sur un nombre considérable de données entre lesquelles elle identifie des relations susceptibles de nous échapper. C’est le rôle des algorithmes. 

Allons aux sources…

Selon ChatGPT « Les algorithmes sont conçus pour traiter et analyser des données, et l'une de leurs principales fonctions est d'établir des relations ou des régularités (patterns) au sein des données. En fonction de l'algorithme spécifique et de son objectif, ces relations peuvent consister à identifier des similitudes, à regrouper des points de données connexes, à prédire des tendances ou à prendre des décisions sur la base des données d'entrée. » Elles permettent de faire de l’IA un outil capable de prendre en compte des situations évolutives.

A ce point de notre promenade nous avons évoqué l’importance des relations pour comprendre la dynamique des crises et l’utilisation des données. Une question qui a de l’âge.

Googlez, ou ChatGPTez ;-) : algorithmes relations données

ou : les algorithmes établissent-ils des relations entre les données?

Penser les relations

« Loin que ce soit l’être qui illustre la relation, c’est la relation qui illumine l’être » écrivait Gaston Bachelard en 1934. 

La vraie difficulté pour qui se penche sur cette question au XXIème siècle (après être passé par l’école) c’est que la méthode cartésienne, qui a fait bouger tant de choses, n’est plus suffisante pour comprendre l’univers et la complexité qui le caractérise. Elle nous a enseigné à concentrer notre attention sur les éléments, aussi petits ou aussi grands soient-ils, au détriment des relations, à séparer pour mieux étudier. A dire « c’est » ou « ça n’est pas » et donc, très vite, sur un fond de culture monothéiste, « c’est bien » OU « c’est mal » en refusant que cela soit toujours les deux, entre autres. Même le temps, n’est pas toujours présent à moins qu’il n’apparaisse sous la forme de l’histoire séparée des autres disciplines.

L'intégrale de Myriades

L’avancée des sciences du vivant nous invite à mieux comprendre ce qui bouge, le rôle des réseaux et de tout ce qui y circule. Or, dans un réseau, chaque élément compte moins que ce qu’il échange avec les autres. Une route apporte des connections et des accidents de voiture, des relations entre villes et villages et - pour les autoroutes - des interruptions d’écosystèmes naturels, etc.

Demandez à Tim Berners-Lee, l’inventeur du World Wide Web, si ce qui compte le plus ce sont les pages qui le composent ou les liens qui permettent de circuler de l’une à l’autre… et demandez-le à Google. Demandez à Meta-Facebook ce qui l’intéresse le plus de vous ou de vos relations. Interrogez-vous en utilisant Wikipedia sur la valeur du grand nombre d’hyperliens que chaque article contient.

Nous vivons dans un monde complexe. Mot qui fait peur. Réalité pleine d’incertitudes. Source d’angoisse.

Complexité vient du latin « complexus » qui signifie « ce qui est tissé ensemble ». Il faut donc « s'astreindre à un travail de tisserand en reliant les points de vue, les disciplines, les niveaux d'analyse » nous explique Ousama Bouiss de l’Université Paris Dauphine dans un travail sur l’œuvre d’Edgar Morin qui précise « J’ai toujours essayé de reconstituer ce tissu commun, parce que mon constat fondamental, c’est que toutes nos connaissances sont compartimentées, séparées les unes des autres, alors qu’elles devraient être liées ».

« Lier »… ou, de manière plus ouverte, comprendre les interactions entre flux de tous ordres.

Quand vous abordez un problème complexe (ils le sont tous sinon ce ne sont pas des problèmes…) essayez de garder en tête ces dimensions : 1) les éléments multiples et divers ; 2) leurs interrelations, sans oublier l’extérieur ; 3) l’information qui, en circulant, permet à l’ensemble de s’adapter ; 4) la dynamique à tous les niveaux qui est propre au vivant au niveau de la cellule, du corps, comme des villes. On la retrouve dans la cuisine, la famille ou l’entreprise.

Sebastião Lópes (15??–1596)[1] ; edited by Eugenio Hansen, CC BY-SA 3.0 Wikipedia

L’invitation de Steve Jobs « Think out of the box » ne suffit plus. Il n’y a plus ni boîte, ni dedans, ni dehors. Tout circule sans cesse entre les deux et tout est relié dans tous les sens. Reste que nous pouvons toujours appliquer sa méthode : « connect the dots » qui, elle-même mouvement, permet de le mieux comprendre.

Peut-être devrions-nous arrêter d’utiliser le terme empesé et prétentieux de «  complexité  ». Intéressons-nous plutôt à la « dynamique » qui en résulte du fait des myriades de relations qui sont la vie de notre réel.

Googlez : complexité réseaux dynamique, etc.

Envoi

  • L’attention à la dynamique de la vie est aussi vieille, pour nous occidentaux, que la philosophie grecque (Héraclite).

  • Le mouvement est prolongé par certains des penseurs récents les plus passionnants : Gilles Deleuze, Edgar Morin, Hartmut Rosa, parmi beaucoup d’autres.

  • L’importance des réseaux dans les sciences du vivant, confirme la valeur de cette régularité comme le montrent Fritjof Capra, Laszlo Barabasi ou Geoffrey West. La première qualité des systèmes complexes n’est-elle pas d’être « adaptatifs », d’évoluer ?

  • Je me demande si ces approches dynamiques peuvent nous aider à mieux comprendre l’évolution de notre planète, y compris le rôle qu’y joue l’intelligence artificielle que nous avons besoin de maîtriser en même temps que nous la développons.

Googlez ad libitum…

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