10.11.2025 à 14:44
Mihaela Bonescu, Enseignant-chercheur en communication / marketing, Burgundy School of Business
Pascale Ertus, Maître de conférences en Sciences de Gestion, Nantes Université

Une étude scientifique, menée auprès de 18 chefs de cuisine étoilés en Bretagne, dans les Pays de la Loire et en Bourgogne, met en lumière les défis pour pérenniser la gastronomie française. Les solutions : transmettre le métier par l’apprentissage, encourager le « fait maison » et promouvoir un bénéfice santé pour la population.
Le 29 septembre 2025, l’agenda du président de la République annonçait un « déjeuner de la gastronomie et de la restauration traditionnelle ». De nombreux représentants de la gastronomie française – restaurateurs et chefs de cuisine étoilés, éleveurs, vignerons, bouchers, charcutiers et autres acteurs – ont fait le déplacement à l’Élysée pour défendre la filière et demander l’aide de l’État. Parmi eux, le chef Mathieu Guibert qui souligne :
« Un peuple qui mange bien est un peuple heureux. »
Après la rencontre avec le chef de l’État, la défiscalisation du pourboire a été préservée, et le discours s’est recentré sur l’attractivité des métiers, la promotion de la qualité ou encore l’éducation au bien-manger. De surcroît, ces échanges ont entériné l’augmentation de maîtres-restaurateurs, titre garantissant le travail des produits frais en cuisine.
Alors, quelle vision du bien-manger ? Quels sont les défis pour pérenniser la haute gastronomie française ? Ces questions ont animé notre recherche menée durant l’année 2024 auprès de 18 chefs de cuisine étoilés, localisés en Bretagne, dans les Pays de la Loire et en Bourgogne.
Le secteur de la restauration rencontre des difficultés de recrutement du personnel. Plus de 200 000 emplois demeurent non pourvus chaque année, dont environ 38 800 postes d’aides en cuisine.
À cela s’ajoute une baisse de la fréquentation des restaurants traditionnels par les consommateurs. Plusieurs pistes d’explication peuvent la justifier :
le prix – critère essentiel de leurs choix ainsi que l’augmentation des tarifs affichés par les restaurants ;
l’amplification de l’effet de saisonnalité – avec des pics d’activité durant les périodes de vacances et les week-ends ;
l’évolution des habitudes de manger – la déstructuration du repas (plateau-télé, repas sur le pouce, apéro dînatoire ou grignotage) prend le dessus sur le repas traditionnel familial, qui reste un moment de socialisation et de convivialité …
l’évolution des comportements de consommation vers des régimes alimentaires moins carnés, moins caloriques, s’inscrivant dans une consommation plus responsable tout en exigeant du goût et de la qualité, des produits frais et naturels, locaux et du terroir, issus du travail des artisans.
Un premier résultat de cette étude souligne l’importance de la continuité du financement de l’apprentissage comme l’indique un chef :
« Les bonnes écoles sont souvent des écoles privées qui sont très coûteuses, donc, de nouveau, on met les pieds dans un système où l’argent a une place importante. »
À ces considérations financières se rajoute une nécessaire adaptation des contenus et des compétences attendues des programmes pédagogiques qui « sont en retard ».
L’enjeu est de préserver les bases techniques du métier. Les chefs interrogés le regrettent : « Les bases en cuisine, maintenant on ne les apprend plus à l’école. » Ils pensent « qu’il y a un problème de formation », car « les apprentis n’ont pas de lien avec le produit, on leur apprend juste à cuisiner, on devrait revoir un peu notre façon de former et d’aller à la base ».
La transmission de la maîtrise technique du métier de cuisinier – savoir-faire, tours de main, recettes – reste une préoccupation quotidienne pour que les jeunes apprentis progressent et choisissent ces filières de formation. Si des cursus, tels que les CAP, Bacs pro, brevets professionnels (BP) ou BTS, assurent le premier niveau de formation, ce sont par la suite les chefs qui prennent le relais auprès de la nouvelle génération pour consolider l’aspect technique du métier et insuffler des valeurs qui portent la communauté.
« C’est à nous de nous battre pour que les gens se fédèrent autour de nous et que les jeunes suivent. En tant que chef, c’est ça la transmission. »
Les chefs interrogés ont exprimé leur nette préférence pour les bons produits provenant d’un approvisionnement en circuit court, grâce au travail des petits producteurs situés souvent à quelques kilomètres du restaurant.
« J’essaye de pas dépasser les 100 kilomètres pour m’approvisionner. »
S’instaure une relation pérenne avec ces producteurs de proximité, relation qui implique la confiance comme condition. Avec le temps, cette relation de proximité peut se transformer en relation amicale et durable, comme l’affirme un chef :
« Moi, j’aime bien ce travail de confiance avec nos producteurs. »
Valoriser les richesses du territoire devient une évidence, avec une conscience éclairée de leur responsabilité sociale vis-à-vis de l’économie locale. Pour les chefs, « le travail pour s’épanouir, pour avancer, pour bien gagner sa vie, pour élever sa famille, pour développer un territoire, pour développer une société » est important, tout comme le fait de « participer à une communauté, à un système économique qui est géographiquement réduit ».
Les chefs de cuisine étoilés n’hésitent pas à s’engager dans la valorisation des aménités patrimoniales locales. Ils mobilisent le tissu des artisans locaux pour offrir aux consommateurs une « cuisine vivante », reflet du territoire, et se considèrent comme des « passeurs » et « ambassadeurs du terroir et du territoire ». Les chefs n’hésitent pas à rendre visible le travail des producteurs en mentionnant leur identité sur les cartes et les sites Internet des restaurants.
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Les chefs interviewés pensent qu’ils ont un rôle à jouer dans l’amélioration de la santé publique par l’alimentation. Comment ? En insistant sur l’importance des repas, y compris à la maison, et sur la nécessité d’apprendre à cuisiner dès le plus jeune âge. « Bien manger, c’est important ; mais il faut surtout manger différemment », témoigne un chef interviewé.
Ils s’inquiètent de la place du bien-manger au sein des familles.
« Quand je discute avec des institutrices, des enfants de moins de dix ans viennent à l’école sans avoir petit-déjeuné. Là, on parle de santé publique ! »
Ils suggèrent d’introduire des cours de cuisine au sein des programmes scolaires pour sensibiliser les plus jeunes à la saisonnalité des produits, à la conservation des ressources naturelles et à la culinarité.
Même si des dispositifs officiels existent comme la loi Égalim, le programme national nutrition santé (PNNS) avec le célèbre mantra « Bien manger et bien bouger », leur application reste à développer au moyen d’actions concrètes. Si la défiscalisation reste un sujet en restauration, d’autres enjeux sont à considérer : la transmission du métier par l’apprentissage, le « fait maison » et le bien-manger pour conserver un bénéfice santé et le plaisir à table.
Pascale Ertus a reçu des financements de l'Académie PULSAR de la Région des Pays de la Loire, de l'Université de Nantes et du LEMNA (Laboratoire d'Economie et de Management de Nantes Université).
Mihaela Bonescu ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
10.11.2025 à 14:33
Roger S. Seymour, Professor Emeritus of Physiology, University of Adelaide
Edward Snelling, Faculty of Veterinary Science, University of Pretoria
La longueur du cou des girafes est un défi colossal pour leur cœur, obligé de pomper le sang jusqu’à plus de deux mètres de haut. Une nouvelle étude montre que ces mammifères ont trouvé une solution inattendue à ce casse-tête de la gravité : leurs longues pattes.
Si vous vous êtes déjà demandé pourquoi les girafes ont un cou si long, la réponse semble évidente : cela leur permet d’atteindre les feuilles succulentes au sommet des grands acacias des savanes d’Afrique.
Seules les girafes peuvent atteindre directement ces feuilles, tandis que les mammifères plus petits doivent se partager la nourriture au niveau du sol. Cette source de nourriture exclusive permettrait aux girafes de se reproduire toute l’année et de mieux survivre aux périodes de sécheresse que les espèces plus petites.
Mais ce long cou a un prix. Le cœur de la girafe doit générer une pression suffisamment forte pour propulser le sang à plusieurs mètres de hauteur jusqu’à sa tête. Résultat : la pression artérielle d’une girafe adulte dépasse généralement 200 millimètres de mercure (mm Hg), soit plus du double de celle de la plupart des mammifères.
Ainsi, le cœur d’une girafe au repos consomme plus d’énergie que l’ensemble du corps d’un être humain au repos –,et même davantage que celui de tout autre mammifère de taille comparable. Pourtant, comme nous le montrons dans une nouvelle étude publiée dans le Journal of Experimental Biology, le cœur de la girafe bénéficie d’un allié insoupçonné dans sa lutte contre la gravité : ses très longues pattes.
Dans notre étude, nous avons estimé le coût énergétique du pompage sanguin chez une girafe adulte typique, puis nous l’avons comparé à celui d’un animal imaginaire doté de pattes courtes, mais d’un cou plus long, capable d’atteindre la même hauteur que la cime des arbres.
Cette créature hybride, sorte de Frankenstein zoologique, combine le corps d’un éland (Taurotragus oryx) et le cou d’une girafe. Nous l’avons baptisée « élaffe ».
Nos calculs montrent que cet animal dépenserait environ 21 % de son énergie totale pour faire battre son cœur, contre 16 % pour la girafe et 6,7 % pour l’être humain.
En rapprochant son cœur de sa tête grâce à ses longues pattes, la girafe économise environ 5 % de l’énergie tirée de sa nourriture. Sur une année, cela représenterait plus de 1,5 tonne de végétaux – une différence qui peut littéralement décider de la survie dans la savane africaine.
Dans son ouvrage How Giraffes Work, le zoologiste Graham Mitchell explique que les ancêtres des girafes ont développé de longues pattes avant d’allonger leur cou – un choix logique sur le plan énergétique. Des pattes longues allègent le travail du cœur, tandis qu’un long cou l’alourdit.
Mais ces pattes ont un coût : les girafes doivent les écarter largement pour boire, ce qui les rend maladroites et vulnérables face aux prédateurs.
Les données montrent d’ailleurs que la girafe est le mammifère le plus susceptible de quitter un point d’eau… sans avoir pu boire.
Plus le cou est long, plus le cœur doit fournir d’efforts. Il existe donc une limite physique.
Prenons le giraffatitan, un dinosaure sauropode de 13 mètres de haut dont le cou atteignait 8,5 mètres. Pour irriguer son cerveau, il aurait fallu une pression artérielle d’environ 770 mm Hg – près de huit fois celle d’un mammifère moyen. Une telle pression aurait exigé une dépense énergétique supérieure à celle du reste de son corps, ce qui est hautement improbable.
En réalité, ces géants ne pouvaient sans doute pas lever la tête aussi haut sans s’évanouir. Il est donc peu probable qu’un animal terrestre n’ait jamais dépassé la taille d’un mâle girafe adulte.
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.
10.11.2025 à 14:32
Sébastien Bontemps-Gallo, Microbiologiste - Chargé de recherche, Centre national de la recherche scientifique (CNRS); Université de Lille

Pour échapper à notre système immunitaire, la bactérie responsable de la maladie de Lyme utilise une méthode de camouflage particulièrement efficace. Après avoir décrypté son fonctionnement, les scientifiques commencent à mettre au point des vaccins afin de s’attaquer à la bactérie avant qu’elle puisse recourir à ce stratagème.
Avec près de 500 000 personnes diagnostiquées chaque année aux États-Unis et entre 650 000 et 850 000 cas estimés en Europe, la maladie de Lyme, ou borréliose de Lyme, représente un problème de santé publique majeur dans tout l’hémisphère Nord.
Les symptômes de la maladie sont très variables, ils vont de lésions cutanées à des atteintes cardiovasculaires, articulaires ou neurologiques. Ces différences s’expliquent notamment par le fait que les bactéries impliquées peuvent différer en fonction de la zone géographique considérée. Mais, malgré leurs différences, toutes les bactéries impliquées ont un point commun : leur capacité à se rendre invisibles à l’œil du système immunitaire de leur hôte.
La maladie de Lyme résulte d’une infection bactérienne transmise par les tiques du genre Ixodes, de petits animaux hématophages qui se nourrissent du sang des animaux, et parfois du nôtre.
Le microbe responsable est une bactérie, Borrelia burgdorferi, ainsi nommée en l’honneur du Dr Willy Burgdorfer, qui l’a découverte en 1982 aux Rocky Mountain Laboratories (Montana, États-Unis).
Dix ans plus tard, le Pr Guy Baranton, à l’Institut Pasteur, a montré qu’en Europe, plusieurs bactéries proches de B. burgdorferi peuvent provoquer la maladie.
Ces espèces forment ce qu’on appelle le complexe Borrelia burgdorferi sensu lato (s.l.), littéralement les Borrelia burgdorferi « au sens large », par comparaison avec Borrelia burgdorferi sensu stricto, autrement dit Borrelia burgdorferi « au sens strict ».
Aux États-Unis, c’est surtout Borrelia burgdorferi sensu stricto qui cause la maladie, tandis qu’en Europe, Borrelia afzelii et Borrelia garinii dominent.
Ces différences expliquent la variabilité des formes que peut revêtir la maladie selon les régions. Ainsi, B. afzelii provoque plus souvent des manifestations cutanées, tandis que B. garinii est plutôt associée à des atteintes neurologiques.
Borrelia burgdorferi est une bactérie en forme de spirale, appelée spirochète, qui se déplace activement. Elle possède un petit patrimoine génétique, constitué d’ADN, dont la taille est environ trois fois moindre que celle du patrimoine génétique d’Escherichia coli, la bactérie bien connue dans les laboratoires de recherche.
Mais l’ADN de B. burdgorferi a une organisation unique. Les génomes bactériens sont habituellement constitués d’un seul chromosome circulaire. Mais au lieu d’un chromosome circulaire classique, B. burgdorferi possède un chromosome linéaire, comme les cellules humaines. Ce chromosome est accompagné de plus d’une dizaine de plasmides (petites molécules d’ADN) circulaires et linéaires.
Les gènes indispensables à la survie de la bactérie sont majoritairement retrouvés sur le chromosome linéaire, qui est bien conservé entre les différentes espèces du complexe B. burgdorferi s.l. (ce qui signifie qu’il diffère très peu d’une espèce à l’autre).
Les plasmides contiennent quant à eux des gènes qui permettent à la bactérie d’infecter, de se cacher du système immunitaire et de survivre dans la tique. Le nombre et le contenu de ces plasmides varient d’une espèce à l’autre, et ils peuvent se réorganiser comme des pièces de puzzle, offrant potentiellement à la bactérie de nouvelles capacités pour s’adapter.
Pour survivre, B. burgdorferi doit être capable de prospérer dans des environnements opposés : celui de la tique et celui du mammifère. Lorsqu’une tique se nourrit sur un animal infecté, la bactérie colonise l’intestin de l’arachnide acarien (rappelons que les tiques ne sont pas des insectes !). Elle y reste en dormance entre deux repas sanguins. Dans cet organisme, elle doit supporter le froid (puisque les tiques - contrairement aux mammifères - ne régulent pas leur température corporelle), le manque de nourriture et un environnement acide.
Dès qu’une tique commence à se nourrir sur un animal à sang chaud tel qu’un mammifère, la chaleur du sang et les modifications chimiques associées à son absorption déclenchent un changement de programme moléculaire. Tout se passe comme si le sang jouait le rôle d’un interrupteur activant un « mode infection ». Ce mode permet aux bactéries B. burgdorferi de migrer vers les glandes salivaires de la tique, et donc d’être transmises à un nouvel hôte avec la salive.
Une fois dans le mammifère, les bactéries doivent encore contrer les défenses du système immunitaire. Heureusement pour elles, la salive de la tique contient des molécules protectrices vis-à-vis du système immunitaire de leur hôte commun. Certains de ces composés bloquent le système du complément, un groupe de protéines sanguines capables de détecter et de détruire les microbes.
C’est le cas des protéines de la salive de tique appelées Salp15. En se fixant à des protéines situées à la surface de la bactérie (nommées OspC), les protéines Salp15 se comportent comme un bouclier temporaire, qui protège la bactérie pendant qu’elle commence à se disséminer dans l’organisme.
Mais les bactéries B. burgdorferi ne s’arrêtent pas là. Elles changent continuellement d’apparence, pour mieux se fondre dans chacun des environnements où elles évoluent, tels des caméléons. Lorsqu’elles sont à l’intérieur de la tique, elles produisent des protéines appelées OspA, qui leur permettent d’adhérer à l’intestin du parasite. Mais juste avant la transmission, elles remplacent ces protéines OspA par des protéines OspC, qui leur permettent d’envahir les tissus de l’hôte.
Cependant, ces protéines OspC attirent rapidement l’attention du système immunitaire. Une fois la bactérie installée dans le mammifère, les protéines OspC sont donc à leur tour remplacées par d’autres protéines, appelées VlsE.
Le gène vlsE qui sert à les fabriquer a la particularité de subir des transformations (on parle de recombinaisons), ce qui permet aux bactéries B. burgdorferi de fabriquer différentes versions de la protéine VlsE, les rendant ainsi très difficiles à reconnaître par le système immunitaire de l’hôte.
Tout se passe en quelque sorte comme si les B. burgdorferi changeaient régulièrement de « vêtement », afin que le système immunitaire ne puisse pas les reconnaître. Ce jeu de cache-cache moléculaire, appelé « variation antigénique », les rend presque invisibles au système immunitaire, ce qui leur permet de continuer à se multiplier discrètement.
Depuis quelques années, les scientifiques tentent de contrer ce stratagème, en développant notamment des vaccins contre les bactéries B. burgdorferi.
En 2025, deux projets de vaccins ont ravivé l’espoir d’une victoire contre la maladie de Lyme. Ceux-ci ciblent la protéine OspA, présente à la surface de la bactérie lorsqu’elle se trouve dans la tique. À Paris, l’Institut Pasteur, en partenariat avec Sanofi, a présenté un candidat vaccin à ARN messager, basé sur la même technologie que celle utilisée contre le Covid-19.
De leur côté, les laboratoires pharmaceutiques Valneva et Pfizer développent un vaccin qui cible lui aussi OspA, mais via une autre approche, fondée sur l’emploi de protéines recombinantes. Ces protéines, produites en laboratoire, correspondent à plusieurs variantes d’OspA exprimées par différentes souches de Borrelia burgdorferi présentes en Amérique du Nord et en Europe. Lors de l’injection, elles sont associées à un adjuvant afin de renforcer la réponse immunitaire et d’induire une production plus efficace d’anticorps. Les premiers résultats de ce vaccin, baptisé VLA15, semblent encourageants.
Bien qu’ils soient différents dans leur conception, ces deux vaccins reposent sur une approche originale qui a déjà fait ses preuves. En effet, en 1998 aux États-Unis, la Food and Drug Administration (FDA), l’agence chargée de la surveillance des denrées alimentaires et des médicaments avait autorisé la commercialisation du vaccin LYMErix, développé par l’entreprise pharmaceutique GSK, qui ciblait uniquement la protéine OspA produite par la souche américaine de Borrelia burgdorferi.
Commercialisé à partir de 1999, ce vaccin conférait une protection de 76 % contre la maladie aux États-Unis. Bien qu’imparfait, il s’avérait intéressant notamment pour les personnes les plus à risque de contracter la maladie. Il a cependant été retiré du marché en 2002 par GSK, en raison d’une polémique concernant la survenue de potentiels effets secondaires chez certaines personnes vaccinées.
L’analyse des données n’a pas permis de déceler de problème sur les cohortes étudiées, ce qui a amené la FDA à maintenir l’autorisation de mise sur le marché. Cependant, l’importante couverture médiatique a entraîné une chute des ventes, menant les responsables de GSK à décider d’en stopper la production et la commercialisation.
Concrètement, les vaccins ciblant OspA permettent de bloquer la bactérie dans le corps de la tique, empêchant son passage à l’être humain. Lorsqu’une tique infectée pique une personne vaccinée, elle aspire du sang contenant les anticorps anti-OspA produits suite à la vaccination. Dans son intestin, ces anticorps se fixent sur la surface des bactéries Borrelia burgdorferi, les empêchant de migrer vers les glandes salivaires. Résultat : la bactérie n’atteint jamais le site de la piqûre, et l’infection est bloquée avant même de commencer.
Cette approche a été privilégiée, car cibler la bactérie directement dans le corps humain est beaucoup plus difficile. Comme on l’a vu, grâce aux recombinaisons du gène vlsE, qui s’active lorsque B. burgdorferi entre dans le corps d’un mammifère, la bactérie devient alors une experte dans l’art de se cacher.
Mais la lutte est loin d’être terminée. En continuant à décoder toujours plus précisément les stratégies de survie et d’évasion des bactéries Borrelia, les chercheurs espèrent ouvrir la voie à de nouveaux outils de diagnostic, de traitement et de prévention.
Sébastien Bontemps-Gallo travaille au Centre d'Infection et d'Immunité de Lille (Institut Pasteur de Lille, Université de Lille, Inserm, CNRS, CHU Lille). Il a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche, de l'I-SITE Université Lille Nord-Europe, de l'Inserm Transfert et du CNRS à travers les programmes interdisciplinaires de la MITI.