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Humans Right Watch enquête sur les violations des droits humains commises à travers le monde

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19.06.2025 à 06:01

France : De nombreux enfants à Mayotte privés d’éducation

Human Rights Watch
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Click to expand Image Une école primaire dévastée par le cyclone Chido à Doujani à Mayotte, le 27 décembre 2024. © 2024 Lemor David/ABACA/Shutterstock

(Paris) – Un projet de loi examiné à l’Assemblée nationale portant sur la reconstruction du département d’Outre-mer de Mayotte devrait inclure l’accès à l’éducation et aux autres droits économiques et sociaux fondamentaux des enfants, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.

Située dans l’océan Indien, au nord-ouest de Madagascar, Mayotte est depuis longtemps délaissée par les autorités françaises. Son système éducatif est confronté depuis des années à un manque d’infrastructures scolaires, à des classes surpeuplées et à une pénurie d’enseignants. Les enfants de familles sans papiers et ceux vivant dans des bidonvilles rencontrent de manière disproportionnée des obstacles à leur scolarisation. La sécheresse a provoqué de fréquentes pénuries d’eau, et un cyclone dévastateur en décembre 2024 a entraîné des destructions importantes des habitations, des écoles et des infrastructures.

« L’éducation n’est pas seulement un droit pour tous les enfants, elle est obligatoire en France de 3 à 16 ans », a déclaré Elvire Fondacci, chargée de plaidoyer à Human Rights Watch. « Pourtant, à Mayotte, des milliers d’enfants – en raison de leur nationalité ou de leur statut migratoire – n’ont pas accès à l’éducation ni à d’autres services sociaux essentiels. »

Human Rights Watch s’est entretenu avec plus de 40 enfants et parents, ainsi qu’avec des organisations de la société civile, des institutions indépendantes, des enseignants, du personnel éducatif, et des représentants des autorités locales et nationales, lors d’une mission de recherche de 10 jours à Mayotte en mai 2025.

Mayotte est l’un des 13 départements et territoires français d’Outre-mer, hérités de son passé colonial. C’est le département le plus pauvre de France, et l’un des plus défavorisés de l’Union européenne. Plus de 75 % de sa population vit sous le seuil de pauvreté.

Près de la moitié de la population de l’archipel a moins de 18 ans, et 8 enfants sur 10 vivent dans la pauvreté. Le système éducatif était déjà sous pression bien avant le cyclone Chido, avec des écoles et des classes surchargées.

Une étude menée en 2023 par l’Université Paris-Nanterre a estimé que jusqu’à 9 % des enfants de Mayotte en âge d’aller à l’école n’étaient pas scolarisés. Le Défenseur des droits a signalé en octobre 2023 que jusqu’à 15 000 enfants n’avaient pas accès à une journée scolaire complète dans une école publique. Pourtant, selon la loi, l’instruction en France est gratuite, obligatoire de 3 à 16 ans, et devrait être accessible à tous les enfants, indépendamment de leur statut migratoire.

L’enseignement primaire relève principalement des municipalités, dont certaines imposent des exigences administratives supplémentaires pour l’inscription scolaire. Certaines demandent des documents délivrés récemment comme un acte de naissance ou une attestation de domicile sur lesquelles figurent l’adresse des enfants — des documents difficiles à fournir pour les familles vivant en habitat informel ou sans papiers.

Certaines collectivités sont également réticentes à construire de nouvelles écoles, perçues comme profitant avant tout aux enfants de familles immigrées, notamment originaires des Comores voisines, ou comme favorisant l’immigration. Priver des enfants de leurs droits fondamentaux, notamment celui à l’éducation, ne devrait jamais être utilisé comme moyen de dissuasion contre la migration, rappelle Human Rights Watch. Le Défenseur des droits a souligné début juin que les carences du système éducatif mahorais contribuent à exacerber et renforcer les inégalités existantes.

La crainte d’être arrêtés par la police aux frontières (PAF), notamment à proximité des écoles et des mairies, dissuade de nombreuses familles d’accompagner leurs enfants à l’école ou de recourir à des services publics essentiels comme la vaccination, et complique les démarches d’inscription scolaire.

Les politiques migratoires spécifiques à Mayotte sont de plus en plus restrictives —encore plus qu’en métropole— et ont entraîné une augmentation du nombre d’enfants qui se retrouvent sans papiers à 18 ans, quelle que soit la durée de leur présence ou même s’ils sont nés sur place. L'incertitude des enfants quant à leur avenir est une source d'angoisse et en conduit certains à abandonner l'école prématurément.

Un membre d’une association locale de soutien aux enfants non scolarisés témoigne : « À 13 ans, certains élèves se demandent déjà si cela vaut vraiment la peine de rester à l’école. »

Des milliers d’enfants à Mayotte vivent dans des bidonvilles, souvent dans des logements de fortune —appelés bangas— sans eau courante ni électricité. Certains étudient à la lumière d’une bougie ou du flash de leur téléphone ; d’autres laissent leurs cahiers à l’école pour éviter qu’ils ne soient abîmés en cas de pluie.

Les enfants vivant dans les bidonvilles souffrent souvent de malnutrition. Des enseignants rapportent que certains enfants s’endorment en classe ou n’arrivent pas à se concentrer parce qu’ils ont faim. À la différence de la métropole, où les élèves reçoivent un repas complet à midi, la plupart des écoles à Mayotte ne fournissent qu’une simple collation, qui constitue pour de nombreux élèves le seul repas de la journée.

« Depuis Chido, on n’a pas à manger. Mes parents ne trouvent plus de riz », témoigne une fille de 12 ans. « Un jour on mange, un jour on ne mange pas. C’est un jour sur deux. Je mange la collation au collège. »

Certains enfants, dont les familles ne peuvent pas payer le prix des collations —65 euros par an dans le primaire à Mamoudzou—, se retrouvent sans rien à manger. « C’est difficile de vivre dans un bidonville. Si on n’a pas payé la cantine, on ne peut pas manger. C’est très difficile d’aller à l’école quand on a faim », témoigne une élève de 15 ans.

Le français n’est pas la langue maternelle de nombreux enfants — y compris les enfants français nés à Mayotte, ceux vivant depuis longtemps à Mayotte sans avoir la nationalité française et les primo-arrivants— qui peuvent avoir une maîtrise limitée de la langue. Le manque de soutien adapté, de formation des enseignants, et de reconnaissance de la diversité linguistique entrent en contradiction avec les exigences nationales en matière d’éducation, rendent l’apprentissage extrêmement difficile pour les élèves et posent des défis majeurs aux enseignants.

Les enfants de demandeurs d’asile ou de migrants récemment arrivés d’Afrique centrale et orientale — notamment de République démocratique du Congo, du Rwanda, d’Érythrée ou de Somalie — vivent dans des conditions particulièrement désastreuses, dans des tentes délabrées, au sein d’un campement informel qui ne dispose pas de toilettes pour ses centaines d'habitants et n'offre aucun accès à l'éducation.

L’Assemblée nationale s’apprête à examiner un projet de loi qui définira les priorités et le cadre d’une politique publique spécifique pour la reconstruction de Mayotte.

Les députés devraient garantir aux enfants de Mayotte l’exercice de leurs droits fondamentaux, notamment le droit à l’éducation. Les autorités, nationales comme locales, devraient agir de toute urgence pour faire en sorte que les écoles soient à même de répondre aux besoins élémentaires des enfants (accès à l’eau potable, à l’assainissement, à une alimentation suffisante, à un environnement sûr) et mettre fin aux pratiques discriminatoires sans attendre de nouvelle législation, a déclaré Human Rights Watch.

« Le projet de loi en débat à l’Assemblée nationale est l’occasion de mettre fin à des décennies de sous-investissement, de mauvaise gestion et de manque persistant de volonté politique qui ont gravement compromis l’accès à l'éducation à Mayotte », a déclaré Elvire Fondacci. « Garantir le droit à l'éducation pour tous les enfants en France ne devrait pas être facultatif à Mayotte simplement parce qu'il s'agit d'un territoire d'Outre-mer. »

18.06.2025 à 06:00

RD Congo : Le groupe armé M23 transfert de force des civils

Human Rights Watch
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Click to expand Image Des personnes déplacées montent dans un bus après avoir été contrôlées à la frontière entre la République démocratique du Congo et le Rwanda, à Goma, le 19 mai 2025. Des véhicules de l'agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) les ont transportées vers le Rwanda.  © 2025 Jospin Mwisha/AFP via Getty Images

(Nairobi) – Le groupe armé M23 contrôlé par le Rwanda a déporté plus de 1 500 personnes de l’est de la République démocratique du Congo occupée vers le Rwanda, en violation des Conventions de Genève de 1949, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Le gouvernement rwandais et le M23 devraient immédiatement mettre fin aux transferts forcés de citoyens congolais et de réfugiés rwandais, qui constituent des crimes de guerre.

Le soutien militaire, logistique ou d’une autre nature apporté par le Rwanda au M23 a été essentiel pour sa prise de Goma et de Bukavu, les capitales provinciales du Nord-Kivu et du Sud-Kivu respectivement, des forces congolaises au début de l’année 2025. En février, le M23 a ordonné à plusieurs centaines de milliers de personnes de quitter les camps de déplacés autour de Goma et a démantelé pratiquement tous les camps. En mai, le M23 a rassemblé des personnes déplacées et les a transférées à Goma, d’où nombre d’entre elles ont ensuite été illégalement déportées vers le Rwanda avec l’aide du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).

« Le transfert forcé de civils vers le Rwanda, qu’il s’agisse de citoyens congolais ou de réfugiés rwandais, est un crime de guerre en vertu des Conventions de Genève », a déclaré Clémentine de Montjoye, chercheuse senior au sein de la division Afrique à Human Rights Watch. « En raison du contrôle qu’il exerce sur le M23 dans l’est de la RD Congo, le Rwanda est en fin de compte responsable des nombreux abus commis par ce groupe armé. »

Le contrôle effectif exercé par le Rwanda sur des zones de l’est de la RD Congo, par le biais de ses propres forces armées et du M23 semble répondre aux critères d’une occupation belligérante aux termes des normes du droit international humanitaire. L’article 49 de la Quatrième Convention de Genève interdit, en tant que crime de guerre, les transferts forcés à l’intérieur d’un pays ainsi que les déportations hors du territoire occupé et vers d’autres pays, quel qu’en soit le motif. Le 9 juin, Human Rights Watch a écrit aux autorités rwandaises, en leur exposant ses conclusions, mais n’a pas reçu de réponse.

De février à mai, Human Rights Watch a mené des entretiens avec 14 personnes qui ont été contraintes de quitter les camps de déplacés près de Goma après leur démantèlement ordonné par le M23, dont 8 personnes qui ont été transférées de force à Goma en mai.

Le 12 mai, le M23 a rassemblé près de 2 000 personnes de la ville de Sake, située à 25 kilomètres à l’ouest de Goma, et les a transférées de force à Goma, d’où beaucoup ont ensuite été déportées vers le Rwanda. Cela semblait faire partie d’une opération plus large du M23 menée contre des membres présumés des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), un groupe armé rwandais à majorité hutue, dont certains dirigeants ont pris part au génocide de 1994 au Rwanda. Un grand nombre des personnes à Sake étaient originaires de Karenga, dans le territoire de Masisi, qui est considéré comme un bastion des FDLR.

Click to expand Image Carte chronologique des déplacements de civils entre Karenga et les villages environnants, Sake, Goma et le Rwanda. Graphique © Human Rights Watch

Les responsables du M23 se sont servis du centre de transit appelé Centre Chrétien du Lac Kivu (CCLK), qui tire son nom de son emplacement à Goma, pour déporter des personnes vers le Rwanda. Entre le 17 et le 19 mai, plusieurs convois ont quitté le centre de transit pour se rendre au Rwanda. Le HCR utilise en général le CCLK pour les rapatriements volontaires de réfugiés au Rwanda. Cependant, huit personnes présentes au centre ont indiqué que des citoyens congolais et des réfugiés rwandais figuraient parmi les personnes déportées contre leur volonté. Beaucoup ont fait part de leur crainte d’être victimes d’abus au Rwanda. Le M23 a déployé des forces autour du centre pour empêcher les personnes de s’échapper.

Certaines des personnes déportées se sont exprimées dans les médias pour critiquer la manière dont elles ont été transférées de force au Rwanda. Depuis longtemps, les autorités rwandaises prennent pour cible ceux qui critiquent publiquement le gouvernement, y compris les réfugiés et les demandeurs d’asile sous la protection du HCR. Le HCR devrait prendre des mesures pour garantir la sécurité des personnes déportées vers le Rwanda. Human Rights Watch n'a pas pu communiquer avec les personnes déportées du centre de transit depuis leur transfert vers le Rwanda.

Le HCR a écrit à Human Rights Watch le 27 mai, indiquant que « 1 600 [réfugiés rwandais] ont été amenés au centre de transit CCLK à Goma à la suite d'opérations de bouclage et de fouilles menées par les autorités de facto », que le contrôle effectué par le HCR « a été réalisé sous pression » et que, pour ce groupe, le retour au Rwanda « était la seule option possible ».

En vertu des Conventions de Genève, le transfert doit être « forcé », tout comme la déportation, pour constituer un crime de guerre. Le consentement au déplacement doit être volontaire, et ne pas être donné dans des conditions de coercition. Un transfert n’est pas volontaire dès lors que les personnes consentent ou cherchent à être transférées uniquement pour échapper au risque d’abus si elles restent.

Le Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a annoncé que son bureau renouvellerait les efforts d’enquête en RD Congo en se concentrant sur les crimes commis dans le Nord-Kivu depuis janvier 2022. La CPI est habilitée à poursuivre les auteurs du crime de guerre de « déportation ou transfert [par la puissance occupante] à l’intérieur ou hors du territoire occupé de la totalité ou d’une partie de la population de ce territoire », ainsi que les auteurs du crime contre l’humanité de « déportation ou transfert forcé de population ». 

« Le gouvernement rwandais et le M23 commettent des crimes de guerre en transférant de force des personnes au sein des territoires occupés et en les déportant vers le Rwanda », a conclu Clémentine de Montjoye. « Une pression internationale concertée sur le Rwanda est nécessaire pour mettre fin immédiatement aux déportations, garantir la sécurité de toutes les personnes dans les zones occupées et traduire en justice les responsables d’abus. »

Pour de plus amples détails sur les déportations, veuillez lire la suite.

Les personnes transférées

Depuis la résurgence du M23 à la fin de l’année 2021, les forces armées congolaises et rwandaises, ainsi que les groupes armés qu’elles soutiennent, ont déplacé des centaines de milliers de personnes dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu, souvent à plusieurs reprises sur des périodes prolongées. Les combattants ont forcé les civils à quitter leurs maisons et leurs terres, ont pillé leurs biens et les ont punis pour leur collaboration présumée avec des groupes ennemis. Beaucoup de personnes déplacées à l’intérieur du pays qui vivaient dans des camps autour de Goma avant que le M23 ne s’empare de la ville avaient fui les abus commis par les deux parties belligérantes, notamment des meurtres, des viols, des incendies de biens, des pillages, ainsi que du recrutement et du travail forcé.

Le 24 février à Karenga, un chef local accompagné de combattants armés du M23 a donné l’ordre aux habitants originaires de Karenga, Tuonane et Mugando, près du parc national des Virunga, de partir dès le lendemain. Nombre d’entre eux ont alors cherché refuge dans des écoles et d’autres endroits dans la ville voisine de Sake.

« Ils nous ont chassés de Karenga en disant que ceux qui refuseraient [de partir] “recevront une balle” », a raconté une femme de 25 ans interrogée par Human Rights Watch. Un homme de 36 ans a indiqué que le chef « nous a dit que ceux qui ont besoin d’une explication devaient se rendre à Kitchanga [une ville stratégique sous le contrôle du M23] pour poser la question aux autorités là-bas. Il a aussi dit que la Croix-Rouge ramassera le corps de toute personne trouvée dans le village après la date butoir. »

De nombreuses personnes déplacées avec qui Human Rights Watch s’est entretenu qui sont retournées à Karenga en février avaient fui avant la prise de contrôle de la zone par le M23 en novembre 2023. Le M23 n’a fourni aucune raison concernant l’expulsion de la population, mais certaines sources estiment que la décision était liée à la présence de membres présumés des FDLR dans la zone. Les personnes interrogées ont indiqué que, même si certaines des personnes précédemment déplacées de Karenga étaient d’origine rwandaise, beaucoup étaient des citoyens congolais ou avaient vécu au Congo toute leur vie.

Parmi les personnes déplacées de force depuis Sake, le M23 a transféré certains hommes – et plus tard leurs proches – au Stade de l’Unité à Goma. Le porte-parole militaire du M23, Willy Ngoma, a présenté aux médias 181 hommes dans le stade, les qualifiant de « sujets rwandais », alors qu’ils avaient des papiers congolais. Des témoins ont raconté que le M23 a brûlé les cartes d’électeur congolaises – qui constituent la principale forme d’identification en RD Congo – et a ordonné aux personnes perçues comme étant d’origine rwandaise de retourner au Rwanda.

La citoyenneté congolaise est difficile à établir en raison de l’absence d’un système d’identification national fonctionnel et de décennies de mouvements de population transfrontaliers – provoqués à la fois par les conflits et les opportunités économiques – entre la RD Congo et le Rwanda. La carte d’électeur est le seul document d’identification disponible pour de nombreuses personnes, à condition qu’elles soient inscrites sur les listes électorales et en âge de voter. Au stade, le M23 a accusé des personnes d’être en possession de cartes « falsifiées », rejetant de fait leur citoyenneté congolaise, d’après des reportages des médias et des récits de témoins.

Le M23 a accusé des opposants présumés, souvent sans fondement, de soutenir les FDLR. Des témoins ont expliqué que, le 12 mai à Sake, le M23 a emmené au moins cinq jeunes hommes soupçonnés d’être des membres des FDLR. Au stade, le M23 a également cherché à séparer ceux perçus comme soutenant l’armée congolaise ou ses alliés : « Ceux qui ont été identifiés comme membres des FDLR ou des Wazalendo [une coalition progouvernementale de groupes armés congolais] ont été mis dans un bus, et nous ne savons pas où ils sont allés », a raconté un homme qui était présent au stade.

Déportations depuis le centre de transit CCLK

Les personnes identifiées en vue d’une déportation ont été transférées vers le centre de transit CCLK que la Commission Nationale pour les Réfugiés congolaise et le HCR utilisent pour les rapatriements de réfugiés rwandais en vertu de l’accord tripartite de 2010 sur les retours volontaires conclu entre le HCR, le Rwanda et la RD Congo.

L’accord tripartite fixe les conditions du retour volontaire des réfugiés congolais au Rwanda et des réfugiés rwandais en RD Congo. D’après les lignes directrices du HCR, les réfugiés et les demandeurs d’asile n’ont pas besoin d’indiquer explicitement qu’ils ont été contraints au retour pour que le HCR conclue que leur rapatriement est involontaire.

Le HCR a indiqué dans sa réponse à Human Rights Watch que les rapatriements de réfugiés « doivent être volontaires, sûrs et effectués dans la dignité » pour être conformes au principe de non-refoulement, soit l’interdiction légale internationale de renvoyer des personnes vers des risques de persécution, de torture ou d’autres préjudices graves.

Mais les personnes au centre ont déclaré que, même si les agents du HCR les avaient interrogées sur leurs origines, le HCR ne leur avait pas laissé le choix concernant leur transfert au Rwanda. Une femme congolaise a expliqué : « [Le HCR] fait ce qu’il veut de nous. Nous n’avons pas le choix. »

Le 22 mai, le HCR a publié une déclaration affirmant qu’il surveillait et était impliqué dans « l’évolution de la situation concernant le groupe d’individus » au centre de transit ainsi que « plus de 1 700 réfugiés » de retour au Rwanda. Cependant, il ressort des entretiens menés par Human Rights Watch que certaines personnes conduites de force au centre puis expulsées vers le Rwanda n’étaient pas des réfugiés rwandais enregistrés.

Trois citoyens congolais ont expliqué que, le 27 mai, le HCR avait reconduit 74 personnes – principalement des femmes et des enfants – à Sake après avoir confirmé qu’ils étaient des ressortissants congolais. Ils ont ajouté que certains Congolais au centre de transit n’ont pas pu prouver leur identité parce que le M23 avait brûlé leurs papiers et que ces personnes ont ensuite été transférées de force au Rwanda. « Des gens de Karenga que je connais, qui sont des Congolais, ont été envoyés au Rwanda », a raconté un homme qui a été reconduit à Sake. « D’autres ont accepté de partir parce qu’ils avaient peur du M23. Le M23 a brûlé ma carte d’électeur... Je ne peux plus quitter Sake maintenant. Si on m’arrête, je serai accusé de faire partie des FDLR. »

Le 17 mai, le ministre rwandais des Affaires étrangères a déclaré que les réfugiés rapatriés avaient été précédemment pris en otage par les FDLR, dans une tentative apparente de justifier les déportations. Le ministère de l’Intérieur de la RD Congo a contesté cette affirmation.

Occupation de l’est de la RD Congo par le Rwanda

Le déploiement par le Rwanda de près de 9 000 soldats dans l’est de la RD Congo au plus fort de l’offensive du M23 en janvier et février et son contrôle global apparent du M23, les autorités de facto, indiquent que le Rwanda est une puissance occupante en vertu du droit international humanitaire. Des témoins d’incidents, des reportages dans les médias et des sources des Nations Unies et militaires ont déclaré que du personnel militaire rwandais avait dirigé et mené des opérations pendant les offensives, y compris celles qui ont débouché sur la prise de Goma et de Bukavu.

Des sources militaires ont expliqué que plusieurs centaines de soldats rwandais, utilisant des armes modernes telles que des drones blindés et des mortiers guidés par GPS, ont conduit l’avancée sur Goma. Des soldats rwandais ont également commandé des patrouilles dans les territoires de Masisi et Rutshuru. Des commandants militaires rwandais étaient présents lors de la formation des recrues dans au moins deux centres d’entraînement en RD Congo, selon les dires d’anciennes recrues à Human Rights Watch. Les autorités rwandaises ont également coordonné une visite de presse dans les territoires occupés de l'est du Congo. En mai, plus de dix journalistes ont effectué un voyage de presse depuis Kigali, la capitale du Rwanda, vers Goma et le territoire de Masisi, organisé et accompagné par le personnel du Bureau du porte-parole du gouvernement rwandais, selon quatre journalistes et des messages examinés par Human Rights Watch.

Le Rwanda a également été impliqué dans des négociations de cessez-le-feu et d’autres actions pour le compte du M23. La prise de la ville de Walikale par le M23 en mars a contraint la société Alphamin Resources à suspendre ses activités à la mine de Bisie, une importante mine qui produit 6 pour cent de l’approvisionnement mondial en étain. Reuters a rapporté que les États-Unis ont directement engagé le dialogue avec les gouvernements rwandais et congolais pour obtenir des garanties concernant le retrait du M23 et pour que les forces congolaises n’attaquent pas, afin de permettre la reprise de des activités de la mine. Alphamin Resources a annoncé une reprise des opérations après le retrait du M23.

Ces actions des forces rwandaises et l’absence d’autorité congolaise dans la région semblent remplir les critères du droit international constitutifs d’une occupation belligérante de certaines parties de l’est de la RD Congo.

L’occupation en vertu du droit international

Le droit international humanitaire de l’occupation est principalement énoncé dans la Convention de La Haye de 1907, la Quatrième Convention de Genève de 1949, le Protocole additionnel I de 1977 aux Conventions de Genève et le droit international humanitaire coutumier.

L’Article 42 de la Convention de La Haye stipule qu’« [u]n territoire est considéré comme occupé lorsqu’il se trouve placé de fait sous l’autorité de l’armée ennemie. L’occupation ne s’étend qu’aux territoires où cette autorité est établie et en mesure de s’exercer. »

Le Commentaire de 2016 du Comité international de la Croix-Rouge sur l’Article 2 commun aux Conventions de Genève établit trois critères pour caractériser une occupation belligérante : la présence de forces militaires étrangères sans le consentement de l’État souverain ; la capacité de l’armée étrangère à exercer son autorité sur le territoire ; et l’incapacité connexe des autorités de l’État souverain à exercer son contrôle sur le territoire. Ces éléments ont été décrits dans des décisions de justice, des manuels militaires et des travaux universitaires comme le « test du contrôle effectif » qui vise à déterminer si une situation répond aux critères d’occupation aux termes du droit international humanitaire.

Dans le cadre du test du contrôle effectif, la force d’occupation doit contrôler en grande partie le territoire et peut déployer des troupes au besoin. Ces forces ne doivent pas nécessairement être présentes sur l’ensemble du territoire, mais doivent être en mesure d’exercer leur autorité si nécessaire. L’État souverain doit être substantiellement incapable d’exercer son autorité du fait de la présence des forces étrangères. Cependant, la simple présence de forces armées nationales ou de groupes armés s’opposant aux forces étrangères n’exclut pas l’occupation.

En outre, un contrôle effectif sur un territoire peut être exercé par des forces armées de substitution ou des groupes armés non étatiques aussi longtemps que les forces occupantes conservent un contrôle global. Ainsi, un État pourrait être considéré comme une puissance occupante lorsqu’il exerce un contrôle global sur les autorités locales de facto ou des groupes armés qui exercent eux-mêmes un contrôle effectif sur tout ou partie d’un territoire. Ce contrôle effectif indirect vise à empêcher un vide juridique découlant du fait qu’un État recoure à des substituts locaux pour se soustraire à ses obligations – notamment celles de fournir de la nourriture et des soins médicaux à la population – en vertu du droit international de l’occupation.

17.06.2025 à 17:30

En RD Congo, des enquêtes plus que jamais nécessaires

Human Rights Watch
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Click to expand Image Une femme qui a été agressée sexuellement dans un camp de déplacés de la province du Nord-Kivu, où elle s’était réfugiée après avoir fui les combats dans l'est de la République démocratique du Congo, photographiée le 23 août 2023.  © 2023 Moses Sawasawa/AP Photo

Lundi, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, Volker Türk, a présenté les conclusions préliminaires effrayantes de l’enquête menée par la Mission d’établissement des faits de l’ONU sur les conséquences dévastatrices du conflit armé dans l'est de la République démocratique du Congo sur les civils.

Depuis que le groupe armé M23, soutenu par le Rwanda, a pris le contrôle des capitales provinciales du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, Goma et Bukavu, au début de l'année 2025, la Mission d’établissement des faits a reçu des informations faisant état d'exécutions extrajudiciaires, d'actes de torture, d’attaques contre des hôpitaux, d'enlèvements et de déplacements et de recrutements forcés commis par le M23. La Mission a également reçu des informations faisant état d'arrestations arbitraires et de disparitions forcées de partisans présumés du M23 par les services de renseignement militaires congolais, ainsi que d'exécutions sommaires, d'arrestations arbitraires, d'enlèvements et d'extorsion par la coalition Wazalendo, regroupant des groupes armés soutenus par le gouvernement congolais.

Les violences sexuelles, qui atteignaient déjà un niveau alarmant, sont utilisées « comme une forme de représailles contre certaines communautés, contre les proches des opposants présumés, et contre des membres d'autres groupes ethniques », a déclaré Volker Türk. « Près de 40 pour cent des survivants des violences sexuelles et basées sur le genre sont des enfants. »

Bon nombre de ces conclusions correspondent aux nôtres. Human Rights Watch a documenté l'exécution sommaire par le M23 d'au moins 21 civils à Goma en février. Nous avons également documenté des abus généralisés contre des civils par les Wazalendo dans le Sud-Kivu, notamment des passages à tabac, des meurtres et des extorsions, parfois basés sur des critères ethniques.

En février, le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies a mis en place la Mission d’établissement des faits du Haut-Commissariat aux droits de l'homme ; cette mission doit être suivie d'une Commission d'enquête indépendante chargée d'enquêter sur les abus commis par toutes les parties au conflit.

Mais Volker Türk a également annoncé lundi qu'en raison de la crise financière de l'ONU, la mise en place de la Commission d'enquête serait probablement reportée à 2026. Cela risque d’engendrer de graves lacunes en matière de protection, et constitue un revers majeur pour la documentation des abus commis dans l'est de la RD Congo, qui fait cruellement défaut, en particulier à un moment où le M23 et d’autres parties au conflit répriment de plus en plus les groupes de la société civile et les médias.

Le mandat de la Commission, qui consiste à recueillir et conserver des preuves, à identifier les responsables d'abus graves et à soutenir les efforts visant à les traduire en justice, est une étape essentielle pour mettre fin à l'impunité.

La crise financière sans précédent que traverse l'ONU n'est pas une question de calculs financiers abstraits ; elle aura un impact réel sur la vie des personnes en danger. Alors que des crimes terribles se poursuivent sans relâche dans l’est de la RD Congo, il est plus que jamais nécessaire de mener des enquêtes approfondies et d’assurer la reddition des comptes.

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