22.04.2025 à 03:00
(Bangkok) – Le gouvernement vietnamien a intensifié sa répression contre la dissidence en punissant des personnes ayant simplement exprimé des inquiétudes ou des griefs au sujet de politiques gouvernementales ou de responsables locaux, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui.
21 avril 2025 “We’ll All Be Arrested Soon”Ce rapport de 26 pages, intitulé «‘We’ll All Be Arrested Soon’: Abusive Prosecutions under Vietnam’s ‘Infringing of State Interests’ Law » (« “Nous serons tous bientôt arrêtés” : Poursuites abusives en vertu de la loi vietnamienne sur les atteintes aux intérêts de l'État »), documente le recours accru du gouvernement vietnamien à l'article 331 du Code pénal pour cibler des personnes qui utilisent les réseaux sociaux ou d'autres moyens de communication pour aborder publiquement des questions telles que la liberté religieuse, les droits fonciers, les droits des populations autochtones et la corruption au sein du gouvernement et du Parti communiste vietnamien. Les autorités devraient immédiatement mettre fin à cette répression systémique, et libérer toutes les personnes détenues ou emprisonnées simplement pour avoir exercé leurs droits fondamentaux.
« Les autorités vietnamiennes recourent de manière abusive à la loi sur les atteintes aux intérêts de l'État, non seulement pour réduire au silence des activistes et des lanceurs d'alerte de premier plan, mais aussi pour exercer des représailles contre des citoyens ordinaires qui se plaignent de services publics de mauvaise qualité, ou dénoncent des abus policiers », a déclaré Patricia Gossman, directrice adjointe de la division Asie à Human Rights Watch. « Le gouvernement se sert de l’article 331 en tant qu’outil pour porter atteinte aux droits fondamentaux des citoyens vietnamiens. »
Human Rights Watch a examiné des dizaines de documents judiciaires vietnamiens, de nombreuses sources médiatiques et des centaines de publications et de vidéos sur les réseaux sociaux. Entre 2018 et février 2025, les tribunaux vietnamiens ont condamné au moins 124 personnes à de lourdes peines de prison en vertu de l'article 331 du Code pénal. Il s'agit d'une augmentation significative par rapport aux six années précédentes (2011-2017), lors desquelles seulement 28 personnes auraient été condamnées à des peines de prison pour violation de cet article.
Par le passé, les personnes condamnées en vertu de l’article 331 étaient souvent des blogueurs ou des militants des droits humains ; le gouvernement cherchait à réduire ces personnes au silence, mais ne les considérait pas comme une réelle menace pour le monopole du Parti communiste au pouvoir. Ces personnes étaient donc condamnées pour des crimes considérés comme moins graves que des atteintes à la sécurité nationale.
Toutefois, Human Rights Watch a constaté que les autorités vietnamiennes ont élargi la portée et l’application de l’article 331. Elles ont élargi l’application de cet article à d’autres tranches de la société, au-delà des défenseurs des droits humains et de la démocratie – dont la plupart sont aujourd’hui en prison – afin de potentiellement cibler toutes les personnes qui expriment publiquement leurs griefs. Par conséquent, des citoyens ordinaires risquent l’arrestation et jusqu’à sept ans de prison, simplement pour avoir critiqué des fonctionnaires subalternes.
Parmi les personnes condamnées en vertu de l’article 331 figurent les cas suivants :
Dao Ba Cuong, un ferronnier, avait organisé à son domicile un événement protestant contre le décès de son fils, survenu lors de sa garde à vue en octobre 2022. Un membre de sa famille avait alors retransmis cet événement en direct sur les réseaux sociaux. Dao Ba Cuong s’était aussi promené dans la rue, vêtu d’une tenue funéraire et tenant une grande photo de son fils, afin de sensibiliser le public à sa mort. En décembre 2023, un tribunal de la province de Phu Yen l'a condamné à deux ans de prison.Vu Thi Kim Hoang, une couturière, avait autorisé son compagnon Nguyen Thai Hung à vivre chez elle et à utiliser son ordinateur portable afin de publier sur les réseaux sociaux ses opinions sur diverses questions politiques. En guise de punition, un tribunal de Dong Nai l'a condamnée en novembre 2022 à deux ans et six mois de prison. Lors du même procès, Nguyen Thai Hung a été condamné à quatre ans de prison.Danh Minh Quang, d'origine khmère, s'était plaint sur les réseaux sociaux de discrimination envers les Khmers – notamment de la rétention d'aide pendant la pandémie de Covid-19 – et avait plaidé pour la reconnaissance des peuples autochtones. En février 2024, un tribunal de la province de Soc Trang l'a condamné à trois ans et six mois de prison.Le Minh The avait abordé sur les réseaux sociaux diverses questions sociopolitiques, notamment le développement économique du Vietname, la corruption, la pauvreté et les droits fonciers. Il avait déjà purgé 21 mois de prison entre 2018 et 2020 pour avoir exprimé ses opinions. En 2023, il a été de nouveau arrêté, reconnu coupable et condamné à deux ans de prison, également pour avoir critiqué les autorités. La sœur cadette de Le Minh The, Le Thi Binh, a également purgé deux ans de prison entre 2020 et 2022 pour avoir « publié, diffusé en direct et partagé » des contenus critiquant certaines politiques de l'État, et jugées « diffamatoires » envers l'État.Le recours accru à l'article 331 par les autorités vietnamiennes est une facette peu connue de la répression croissante du gouvernement contre la dissidence, a déclaré Human Rights Watch. Cette tactique montre que le gouvernement – bien que le Vietnam soit actuellement un pays membre du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, et cherche à renforcer son profil international – n’aborde pas les questions sociales d'une manière compatible avec les droits humains et la bonne gouvernance.
« Les partenaires commerciaux du Vietnam, portant leur attention sur des questions de développement économique et des opportunités d'investissement, ignorent régulièrement les violations croissantes des droits humains commises par son gouvernement », a conclu Patti Gossman. « Les donateurs internationaux et les partenaires commerciaux du Vietnam devraient faire pression sur ce pays, publiquement et en privé, pour qu'il libère immédiatement toute personne détenue pour avoir exprimé pacifiquement ses opinions en ligne, et qu'il abroge la loi sur les atteintes aux intérêts de l'État. »
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17.04.2025 à 20:04
(Istanbul, 17 avril 2025) – Les autorités turques ont entamé des poursuites contre des centaines de personnes, principalement des étudiants, qui ont manifesté contre la détention du maire d'Istanbul, Ekrem İmamoglu, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui ; l’ouverture du premier procès collectif hâtivement organisé est prévue le 18 avril.
La précipitation et l'ampleur de ces procès, qui ne reposent pas sur des preuves concrètes d'infractions pénales, illustrent à quel point les restrictions imposées par la Turquie au droit de réunion sont arbitraires et incompatibles avec les principes d’un l'État de droit et d’une société démocratique.
« Compte tenu de l'absence flagrante de preuves de crimes, il est difficile de ne pas conclure que le véritable objectif de ces procès hâtivement organisés est de dissuader les gens d’exercer leurs droits de manifester pacifiquement et de s’exprimer librement », a déclaré Hugh Williamson, directeur de la division Europe et Asie centrale de Human Rights Watch. « Le procureur devrait demander l'abandon de ces poursuites, sauf preuve directe et substantielle que des individus particuliers ont commis des crimes spécifiques. »
Les deux premières audiences, prévues le 18 avril, concernent 189 accusés, dont de nombreux étudiants, deux journalistes et cinq photojournalistes. Ils sont notamment accusés d'avoir participé à une manifestation non autorisée et de ne pas avoir obéi aux ordres de dispersion de la police ; de port d'armes ou de dissimulation du visage ; et d'incitation à commettre un crime. Ce dernier chef d'accusation est basé sur des publications sur les réseaux sociaux.
Les peines encourues vont de six mois à quatre ans pour les deux premiers chefs d'accusation, et jusqu'à cinq ans pour l'incitation à commettre un crime. Dans la quasi-totalité des cas, les actes d'accusation manquent de preuves individualisées que les accusés se soient livrés à une activité s'apparentant à une activité criminelle.
Le parquet général d'Istanbul a annoncé que 819 personnes sont poursuivies dans le cadre de 20 enquêtes criminelles sur des manifestations.
Human Rights Watch a examiné neuf actes d'accusation impliquant 650 accusés d'infractions liées à des manifestations. Cent sept d'entre eux sont accusés uniquement de participation à des manifestations non autorisées et de refus de dispersion (article 32/1 de la loi sur les rassemblements et les manifestations, n° 2711).
Le parquet qualifie ces manifestations de « non autorisées » car, le 19 mars, le gouverneur d'Istanbul a annoncé une interdiction générale de quatre jours de toutes les manifestations et de tous les rassemblements à Istanbul, prolongée par la suite de quatre jours supplémentaires jusqu'au 26 mars.
Malgré l'interdiction annoncée par le gouverneur, des rassemblements de masse rassemblant des milliers de participants ont eu lieu devant le bâtiment de la municipalité d'Istanbul, et des étudiants ont organisé des marches pacifiques depuis d'autres quartiers d'Istanbul pour se joindre à eux. De plus, 120 personnes sur 650 sont accusées d'avoir participé aux manifestations pacifiques du 27 mars, après la levée de l'interdiction.
Sur les 189 accusés lors des audiences du 18 avril, 62 sont accusés de port d'armes ou de dissimulation du visage pour éviter d'être identifiés lors d'une manifestation (article 33/1 de la loi 2911). Or, la seule preuve fournie dans l'acte d'accusation concernant le port d'arme est l'allégation selon laquelle un manifestant avait une pierre à la main.
En réalité, de nombreuses personnes de tous âges présentes aux manifestations de masse se sont couvertes le visage pour se protéger des effets du gaz lacrymogène et des plombs de chasse utilisés par la police à plusieurs reprises, ainsi que lors de sa dispersion. Certaines personnes pourraient avoir choisi de se couvrir le visage compte tenu des restrictions imposées au droit de manifester ces dernières années en Turquie, a déclaré Human Rights Watch.
Vingt personnes jugées le 18 avril sont accusées d'avoir tenté d'« inciter à commettre un crime » via des publications sur les réseaux sociaux (article 214 du Code pénal turc). Ces publications consistent en grande partie en des appels généralisés à manifester et en des déclarations contre le gouvernement, et non en des appels à la violence ou à la criminalité.
Sept journalistes qui couvraient les manifestations sont traités par le procureur comme des manifestants, et l'acte d'accusation précise que leur affirmation d'être journalistes « n'a pas été prise en compte » par le parquet, la police n'ayant pas établi qu'ils étaient présents à des fins journalistiques. Des centaines de milliers de personnes ont participé aux manifestations, majoritairement pacifiques, devant le bâtiment municipal d'Istanbul pendant sept jours après l'arrestation par la police du maire Ekrem İmamoglu, ainsi que d'environ 90 fonctionnaires, responsables politiques et conseillers municipaux.
Des images vidéo vérifiées par Human Rights Watch montrent que la police a utilisé du gaz poivre et des balles de poivre à bout portant pour disperser les manifestants, et a violemment appréhendé d'autres manifestants qu’ils ont accusés d'ignorer les ordres de dispersion. Certains manifestants ont ensuite été interpellés à leur domicile sur la base d'images vidéo de la police montrant leur participation à des rassemblements.
Les tribunaux d'Istanbul ont initialement ordonné la détention provisoire de 278 manifestants présumés, en assignant d'autres à résidence ou en leur imposant des interdictions de voyager. Sur les 40 procès-verbaux d'audience de détention provisoire concernant 352 personnes examinés par Human Rights Watch, 30 personnes allèguent des violences physiques ou verbales de la part des policiers. Les détenus ou leurs avocats ont déclaré aux juges que la police les avait battus, insultés verbalement ou maltraités lors de leur interpellation. Au moins une femme détenue s'est plainte de mauvais traitements policiers, de harcèlement sexuel verbal et physique et d'attouchements. Une enquête rapide et efficace doit être menée sur toutes les allégations de mauvais traitements policiers, de harcèlement et de recours excessif à la force, a déclaré Human Rights Watch.
Le ministère de l'Intérieur a annoncé qu'il menait une enquête sur l'intervention de la police lors des manifestations.
Environ 230 personnes en détention provisoire ont été libérées deux à trois semaines plus tard, notamment en raison de la pression publique liée au fait qu'il s'agissait d'étudiants sur le point de passer des examens universitaires.
La Cour européenne des droits de l'homme a rendu plus de 70 arrêts en 15 ans contre la Turquie. Tous ont conclu à une atteinte disproportionnée et illégale au droit à la liberté de réunion pacifique, notamment par des poursuites contre des participants et un recours excessif à la force pour disperser des manifestations pacifiques.
Le Comité des ministres du Conseil de l'Europe, chargé de surveiller l'exécution des arrêts de la Cour européenne, a vivement exhorté la Turquie à réviser sa loi sur les réunions et les manifestations afin de garantir le droit de réunion pacifique et de la mettre en conformité avec la jurisprudence de la Cour européenne.
« La dispersion violente par la police de manifestations que les autorités turques jugent illégales est un problème persistant qui nécessite une modification de la législation et des pratiques, afin de garantir le droit de réunion pacifique », a conclu Hugh Williamson. « L'utilisation abusive du système judiciaire pour arrêter et inculper des étudiants pour des manifestations pacifiques n'est que le dernier exemple en date d'une série d'affaires au sujet desquelles la Cour européenne des droits de l'homme a constaté de nombreuses violations des droits. »
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Articles
Libération OLJ
TV
France24
17.04.2025 à 18:00
(Washington) – La montée de la violence en Haïti due aux groupes criminels et aux affrontements avec des groupes dits d’« d’autodéfense » contribue à une insécurité préoccupante pour la population du pays, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les groupes criminels ont renforcé leur emprise sur la capitale haïtienne Port-au-Prince et ont étendu leurs activités à d’autres régions. Les dirigeants de l’opposition et les groupes « d’autodéfense » ont mené de violentes actions de protestation contre le gouvernement de transition.
Le Conseil de sécurité des Nations Unies devrait veiller d’urgence à ce que la Mission multinationale de soutien à la sécurité (MMAS), autorisée par l'ONU, dispose du personnel et des moyens dont elle a besoin pour remplir son mandat, et convenir des mesures à prendre pour transformer cette mission en une véritable opération des Nations Unies dotée d’un mandat pour protéger les droits humains et prévenir une nouvelle escalade de la violence.
« La situation sécuritaire en Haïti est en chute libre et les Haïtiens subissent d’horribles abus », a déclaré Nathalye Cotrino, chercheuse senior auprès de la division Amériques à Human Rights Watch. « Les États membres de l’ONU devraient immédiatement renforcer les capacités de la MMAS et prendre des mesures urgentes pour la transformer en une véritable mission de l’ONU . »
Seulement dix pour cent de la capitale Port-au-Prince sont encore sous le contrôle du gouvernement, et les groupes criminels y ont multiplié leurs attaques depuis la fin de l’année 2024. Ces groupes ont attaqué des infrastructures essentielles, des institutions de l’État, des écoles, des centres de santé, des médias, ainsi que des zones résidentielles et commerciales. Ils ont également infiltré les quartiers proches de Pétion-Ville, l’une des rares zones à échapper encore à leur contrôle, où vivent les classes moyennes et aisées et où se trouvent les bureaux de l’ONU. Des meurtres, enlèvements, violences sexuelles et recrutements d’enfants sont signalés presque quotidiennement, alors que la police et la MMAS se débattent avec des financements et du personnel insuffisants.
Entre fin janvier et mars 2025, au moins 262 personnes ont été tuées et 66 autres blessées dans les communes de Kenscoff et Carrefour, dans le sud de Port-au-Prince, selon l’ONU. La violence a également continué à toucher le département de l’Artibonite, où plus de 11 personnes ont été tuées à Gros-Morne fin janvier, et où la MMAS a déploré sa première perte en vie humaine fin février dans la commune de Petite-Rivière. Fin mars et début avril, la violence s’est étendue à deux villes du département du Centre, Mirebalais et Saut-d’Eau, où plus de 80 personnes ont été tuées, selon le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH). Plus récemment, des menaces d’attaques imminentes contre la ville voisine de Hinche ont aussi été signalées.
L’escalade de la violence criminelle, aggravée par les affrontements avec les groupes « d’autodéfense » – formés par des membres de la communauté opérant souvent en collusion avec la police – ainsi qu’avec les forces de l’ordre, a forcé plus de 90 000 personnes à fuir leurs foyers depuis le début de l’année, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). De nombreuses organisations humanitaires et de défense des droits humains, nationales et internationales, ont également été contraintes de déménager ou de suspendre leurs activités, ce qui affecte encore plus les 6 millions d’Haïtiens qui ont besoin d’aide humanitaire et aggrave les conditions des 5,7 millions de personnes confrontées à des niveaux importants d’insécurité alimentaire grave, le chiffre le plus élevé de ces dernières années.
« Les habitants n’ont plus d’endroit sûr où se réfugier », a déclaré un travailleur humanitaire à Human Rights Watch. « Les femmes qui viennent chercher de l’aide ici n’ont pas seulement perdu des êtres chers, elles ont aussi été violées, déplacées et jetées à la rue, elles ont faim et luttent pour survivre. Nous ne savons pas combien de temps encore elles pourront endurer de telles souffrances... Tout ce que [les victimes] demandent, c’est que les violences cessent. Sans soutien de la part de la police ou du gouvernement, elles se sentent abandonnées. Elles demandent : “Pourquoi personne ne nous vient-il en aide ? Pourquoi la vie des Haïtiens est-elle sans importance, si nous aussi sommes des êtres humains ?” »
Le gouvernement de transition, dont trois membres sont impliqués dans des affaires de corruption, a mis en place début mars un groupe de travail pour lutter contre les groupes criminels, et a procédé à des frappes de drones à l’aide de munitions explosives sans rendre compte des abus commis. Les dirigeants des groupes criminels ont également menacé de déployer ce type de technologie.
Des membres des communautés de Port-au-Prince, Pétion-Ville et Kenscoff, ainsi que des personnes déplacées à l’intérieur du pays, sont descendus dans les rues de la capitale ces dernières semaines pour réclamer la destitution du gouvernement actuel. Des membres de plusieurs groupes « d’autodéfense » et des officiers de police se sont joints à certaines manifestations. En réponse, le 7 avril, le gouvernement de transition a déclaré un nouvel état d’urgence, et annoncé, entre autres mesures, une augmentation des ressources affectées aux forces de sécurité.
La gestion de cette situation par le gouvernement a conduit à la réapparition de figures de l’opposition comme l’ancien premier ministre Claude Joseph, l’ancien commandant de police Guy Philippe, qui a passé six ans dans une prison américaine pour blanchiment d’argent et trafic de drogue, et l’ancien chef de l’unité de sécurité générale du palais national Dimitri Hérard, qui a été inculpé dans le cadre de l’assassinat du président Jovenel Moïse, en 2021. Ces trois hommes ont appelé à de nouvelles manifestations.
Face à cette instabilité croissante, les gouvernements étrangers sont restés largement silencieux, a déclaré Human Rights Watch. Aucune action concrète n’a été engagée depuis la publication, le 24 février, par le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, d’un document contenant des recommandations assorties d’un éventail d’options à l’intention du Conseil de sécurité de l’ONU.
Ce document appelait à la création d’un bureau d’appui de l’ONU financé par des contributions obligatoires et destiné à apporter un soutien logistique et opérationnel à la MMAS afin de renforcer sa capacité à mener des opérations musclées et ciblées avec la police nationale haïtienne contre les groupes criminels. Il appelait également à « accroître et renforcer les effectifs de la Mission et la doter de capacités militaires et de matériel létal supplémentaires fournis bilatéralement par les États Membres pour combler les insuffisances actuelles », ainsi qu’à consolider la collecte de renseignements et ses capacités d’analyse. Le Secrétaire général a également demandé que l’ONU apporte un soutien aux forces de sécurité et aux programmes non onusiens pour accompagner ceux qui choisissent de quitter les groupes criminels et pour aider les autorités haïtiennes à enquêter, poursuivre et détenir les personnes à haut risque arrêtées par la MMAS.
Le 13 avril, alors que des informations faisaient état de tentatives de prise du pouvoir par certains groupes criminels, la Communauté des Caraïbes (CARICOM) a exhorté la communauté internationale à prendre des mesures d’urgence pour soutenir les autorités haïtiennes. Peu de temps après, le Département d’État américain a apporté son soutien à la CARICOM et aux efforts déployés par la MMAS pour rétablir la paix et la stabilité. Le même jour, le gouvernement de transition d’Haïti a réitéré son appel au Conseil de sécurité des Nations Unies pour qu’il examine d’urgence « des propositions d’un renforcement significatif de l’appui international à la cause de la restauration de la sécurité en Haïti ».
Jusqu’à présent, aucune mesure concrète n’a été prise pour accroître le soutien international à la MMAS, mettre en œuvre les recommandations du Secrétaire général de l’ONU ou déployer d’autres efforts pour améliorer la sécurité en Haïti, a déclaré Human Rights Watch. Le gouvernement des États-Unis, qui était le principal bailleur de fonds de la MMAS à sa création en 2023, n’a pas fait preuve d’un leadership ou d’une approche fondée sur des principes, et les diplomates étrangers ont largement perçu cette carence comme un facteur clé expliquant le retard persistant dans les importantes discussions et décisions à prendre.
« L’inaction représenterait un échec catastrophique pour la politique étrangère, après des années d’engagement et les centaines de millions de dollars investis », a déclaré par téléphone Pierre Espérance, un défenseur haïtien des droits humains, à Human Rights Watch le 16 avril. « Le renforcement immédiat des capacités de la police haïtienne et de la MMAS en effectifs, hélicoptères et moyens est essentiel. Sans soutien international, les Haïtiens sont à l’agonie. »
Le 21 avril, le Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) doit faire le point sur la situation en Haïti devant le Conseil de sécurité des Nations Unies. Il est essentiel que les membres du Conseil de sécurité discutent de la nécessité pour les États membres de l’ONU de fournir plus de personnel, de financement et d’équipement à la MMAS, a déclaré Human Rights Watch.
Les États-Unis, l’Union européenne, le Canada et d’autres gouvernements concernés en Amérique latine et au-delà devraient fournir de toute urgence du personnel et des moyens pour soutenir la MMAS, a déclaré Human Rights Watch. Ces pays devraient également s’engager en faveur d’une stratégie à moyen et long terme qui intègre les recommandations du Secrétaire général de l’ONU, dans le but de transformer la MMAS en une mission robuste de l’ONU mandatée pour protéger les civils et aider à restaurer la stabilité et l’État de droit en Haïti.
« L’ONU dispose de l’expertise nécessaire pour soutenir les efforts haïtiens en vue de rétablir des conditions de sécurité élémentaires et de commencer à reconstruire le pays, tout en faisant respecter les droits humains et en répondant aux besoins urgents de millions de personnes », a conclu Nathalye Cotrino. « Mais la fenêtre pour agir est en train de se refermer. »