24.06.2025 à 10:20
Human Rights Watch
En Guinée, tôt samedi matin, au moins une demi-douzaine d'hommes lourdement armés se sont introduits au domicile de Mohamed Traoré, éminent avocat et ancien bâtonnier de l’ordre des avocats de Guinée, l'ont agressé lui et sa fille, puis l'ont forcé à monter dans une voiture et l'ont emmené. Mohamed Traoré avait publiquement critiqué la junte militaire, au pouvoir depuis septembre 2021.
Après son enlèvement dans la capitale du pays, Conakry, Mohamed Traoré a été retrouvé quelques heures plus tard, présentant de nombreuses traces de torture, à Bangouyah, à environ 170 kilomètres de là, par des habitants de la ville. Le Barreau de Guinée a indiqué qu'il était soigné dans un établissement de santé.
L'enlèvement et l'agression de Mohamed Traoré s'inscrivent dans une série d'attaques menées par les forces de sécurité gouvernementales contre des détracteurs de la junte, des dissidents et des opposants politiques.
Lundi, en réponse à cette attaque, les avocats du Barreau de Guinée ont adopté une série de mesures, notamment le boycott de toutes les audiences pendant deux semaines et le retrait de tous les avocats siégeant dans les institutions de transition mises en place par la junte depuis le coup d'État. Ils ont également annoncé qu'ils allaient porter plainte.
Dans un communiqué du 21 juin, le Barreau de Guinée a déclaré que pendant sa captivité, Mohamed Traoré avait été « fouetté » jusqu'à 500 fois, que son visage avait été « couvert de force à l’aide d'un habit dans une tentative manifeste de l'asphyxier » et que ses ravisseurs l'avaient menacé de mort.
Cette attaque pourrait constituer une mesure de représailles suite à la démission de Mohamed Traoré du Conseil national de transition (CNT), principal organe de transition de la junte, au sein duquel il occupait le poste de conseiller depuis 2022. Mohamed Traoré avait annoncé sa démission en janvier, invoquant le non-respect par le CNT du délai fixé pour le retour à un régime civil en Guinée, précédemment annoncé pour le 31 décembre 2024.
L'expiration de ce délai a déclenché des manifestations de l'opposition qui ont paralysé Conakry en janvier. À la suite des manifestations, les autorités ont annoncé un nouveau calendrier électoral. Le 1er avril, le chef militaire guinéen, Mamady Doumbouya, a fixé au 21 septembre 2025 la date d'un nécessaire référendum constitutionnel. Le 12 mai, le Premier ministre Amadou Oury Bah a annoncé que l’élection présidentielle aurait lieu en décembre 2025.
Depuis sa prise du pouvoir, la junte a réprimé l'opposition politique, les médias et la dissidence pacifique. Elle a suspendu des médias indépendants, arrêté arbitrairement des journalistes et fait disparaître de force et aurait torturé d'éminents militants politiques.
Les autorités guinéennes devraient mener dans les meilleurs délais une enquête crédible et impartiale sur l’enlèvement et la torture de Mohamed Traoré. Elles devraient également dénoncer publiquement les abus commis à l'encontre des détracteurs et des opposants, et veiller à ce que leurs auteurs soient traduits en justice.
23.06.2025 à 20:28
Human Rights Watch
Samedi dernier, dans le cadre d’une grâce présidentielle, les autorités du Bélarus ont libéré 14 prisonniers qui étaient incarcérés à la suite de poursuites à caractère politique, et les ont transférés en Lituanie, pays voisin. Parmi les prisonniers libérés figurent l'éminent opposant politique Siarhei Tsikhanouski, ainsi que des activistes et des journalistes indépendants.
Parmi les personnes libérées, certaines détiennent des passeports de pays étrangers, dont les États-Unis, la Lettonie, l'Estonie, la Pologne, la Suède et le Japon.
Plus de 1 000 prisonniers politiques demeurent toutefois derrière les barreaux au Bélarus.
Siarhei Tsikhanouski, un blogueur populaire qui comptait se présenter comme candidat à l’élection présidentielle d’août 2020 au Bélarus, a été arrêté en mai 2020, quelques mois avant la tenue du scrutin. Son épouse, Sviatlana Tsikhanouskaya, s'est alors présentée à sa place à l’élection présidentielle, qu’elle aurait remportée selon de nombreux observateurs ; mais dans un contexte de trucage, le président Alexandre Loukachenko a été annoncé comme le vainqueur, réélu à son poste qu’il occupe depuis 1994. Depuis, Sviatlana Tsikhanouskaya, réfugiée en Lituanie, est devenue une dirigeante de l'opposition en exil et une fervente défenseure de son mari, qui fut condamné à 19 ans et 6 mois de prison sur la base d’accusations criminelles fallacieuses.
La libération des 14 prisonniers a été annoncée lors de la visite à Minsk, la capitale du Bélarus, de Keith Kellogg, Envoyé spécial des États-Unis pour l’Ukraine et la Russie ; cette libération a apparemment été négociée par Washington.
Une vidéo montrant l’embrassade entre Sviatlana et Sirhei après cinq ans de séparation est profondément émouvante. Mais les familles d'au moins 1 177 autres prisonniers politiques n'ont pas eu la chance de telles retrouvailles avec leurs proches, toujours incarcérés.
Depuis juillet 2024, Loukachenko a libéré 314 prisonniers politiques, apparemment dans l’espoir d’améliorer ses relations avec l'Union européenne et les États-Unis. Cependant, la répression politique se poursuit en Bélarus, où les prisonniers sont régulièrement victimes de mauvais traitements, et parfois de détention au secret.
Sirhei Tsikhanouski et d'autres prisonniers libérés ont évoqué l'isolement prolongé, les pressions psychologiques et d’autres traitements cruels subis dans les prisons biélorusses. Les enfants de Sirhei Tsikhanouski ne l'ont pas immédiatement reconnu en raison de son importante perte de poids, conséquence de la malnutrition derrière les barreaux.
Parmi les personnes toujours emprisonnées et isolées du monde figurent Ales Bialiatski, co-lauréat du prix Nobel de la paix et fondateur de l'organisation de défense des droits humains Viasna, l'opposante Maria Kalesnikava et le journaliste Ihar Losik. Certains prisonniers politiques sont morts derrière les barreaux, y compris en raison de la privation de soins médicaux adéquats.
Nous ignorons encore ce qu’Alexandre Loukachenko a reçu ou espère recevoir en échange de la libération de Sirhei Tsikhanouski et des 13 autres prisonniers. Mais la vie de personnes ne devrait pas être une monnaie d'échange pour des marchandages politiques. Les autorités biélorusses devraient libérer immédiatement toutes les personnes poursuivies simplement pour avoir exercé leurs droits humains, et tenté de faire valoir leurs libertés.
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20.06.2025 à 18:54
Human Rights Watch
Plus de 100 ONG et syndicats appellent à la suspension partielle de cet accord, dont Israël viole l’Article 2 par le biais de ses actions à Gaza et en Cisjordanie
(Bruxelles, le 20 juin 2025) – L'Union européenne devrait immédiatement suspendre son accord commercial avec Israël tant que les crimes atroces commis par ce pays persisteront, selon une déclaration conjointe publiée le 19 juin par plus de 110 organisations, dont Human Rights Watch, et syndicats. Il s'agirait de la première mesure prise par l'UE au cours des deux dernières années afin de viser l'obligation de rendre des comptes pour les violations flagrantes commises par les autorités israéliennes à l'encontre des Palestiniens.
Lors de la réunion du Conseil européen prévue le 23 juin, les ministres des Affaires étrangères de l'UE devraient discuter de l'Accord d'association UE-Israël. Ils évalueront alors les résultats d’un examen portant sur le respect ou non par Israël de l'Article 2 du texte, selon lequel « le respect des droits de l'homme et des principes démocratiques », sur le plan des « politiques internes et internationales », constitue un « élément essentiel » de l'accord. Cet examen a été lancé le 20 mai, lorsque 17 des 27 ministres des Affaires étrangères de l'UE ont soutenu une proposition du gouvernement néerlandais à cet égard. L'UE est le principal partenaire commercial d'Israël, et la suspension du volet commercial de l'accord rétablirait les droits de douane sur les échanges bilatéraux.
« En tant qu’États parties à la Convention sur le génocide, tous les pays membres de l'UE sont tenus d'employer tous les moyens raisonnables pour mettre fin aux atrocités israéliennes ; mais plusieurs d’entre eux sont restés passifs et silencieux, risquant de se rendre complices de tels crimes », a déclaré Claudio Francavilla, directeur par intérim des relations avec UE à Human Rights Watch. « Les ministres européens des Affaires étrangères ne devraient pas laisser l'escalade des hostilités entre Israël et l'Iran détourner l’attention des actes d’extermination et d’apartheid à l’encontre des Palestiniens, qui se poursuivent ; ils devraient suspendre sans tarder le volet commercial de l'Accord d'association UE-Israël. »
L’examen de l'Accord UE-Israël a lieu alors que les autorités israéliennes poursuivent leurs opérations militaires à Gaza, au cours desquelles elles ont commis des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité et des actes de génocide. Les autorités israéliennes ont également bafoué trois ordonnances contraignantes émises (en janvier, en mars et en mai 2024) par la Cour internationale de Justice (CIJ), dans le cadre de l’affaire portée par l'Afrique du Sud, alléguant qu'Israël viole la Convention sur le génocide. Les ordonnances de la CIJ imposaient à Israël l'obligation de prendre des mesures pour prévenir des actes de génocide à l’encontre des Palestiniens de Gaza, notamment en permettant la fourniture d’aide humanitaire et de services de base, en agissant pour empêcher l'incitation au génocide, et en punissant une telle incitation.
Human Rights Watch appelle depuis longtemps les États à user de leur influence pour inciter Israël à mettre fin à ses abus et à respecter les ordonnances de la CIJ. En tant qu’États parties à la Convention de l’ONU pour la prévention et la répression du crime de génocide, tous les pays membres de l'UE ont l'obligation de « mettre en œuvre tous les moyens qui sont raisonnablement à leur disposition » pour prévenir un génocide. Cette obligation incombe à tout État qui a connaissance, ou qui aurait normalement dû avoir connaissance, d'un risque sérieux de génocide. Ceci ne nécessite pas d’attendre une détermination définitive qu'un génocide est déjà en cours, comme l'a indiqué Human Rights Watch dans une intervention auprès de la Haute Cour de Justice britannique en avril 2025 ; cette intervention contestait la délivrance par le gouvernement britannique de licences à des sociétés pour la vente à Israel d’équipements militaires utilisés par la suite à Gaza.
La capacité d'un État à influencer des acteurs risquant de commettre un génocide est un important facteur dans l’évaluation, par un tribunal, de son éventuelle responsabilité pour manquement à l'obligation de prévenir un génocide, selon le droit international. Il s’agit notamment de la proximité géographique, des liens politiques et d’autres types de relations, ainsi que des moyens dont dispose l'État pour exercer son influence. Concernant cette responsabilité, la CIJ a émis un arrêt indiquant qu’« [un] État est tenu, s’il dispose de moyens susceptibles d’avoir un effet dissuasif à l’égard des personnes soupçonnées de préparer un génocide, ou dont on peut raisonnablement craindre qu’ils nourrissent l’intention spécifique (dolus specialis), de mettre en œuvre ces moyens ... »
Les autorités israéliennes ont également manqué aux obligations découlant d'un avis consultatif historique émis par la CIJ en juillet 2024, et d'une résolution de l'Assemblée générale des Nations Unies de septembre 2024 approuvant largement son contenu. La CIJ a jugé l'occupation par Israël du Territoire palestinien occupé illégale et entachée de graves violations – notamment l'apartheid et la ségrégation raciale – et a déclaré que cette occupation, ainsi que les colonies illégales israéliennes, devaient être démantelées. En mars 2025, un rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme a documenté une expansion significative des colonies israéliennes en Cisjordanie, où les forces israéliennes ont intensifié la répression, déplaçant des dizaines de milliers de Palestiniens à une échelle jamais vue depuis 1967 et tuant plus de 930 personnes depuis octobre 2023.
Dans son avis consultatif du 19 juillet 2024, la CIJ a également rappelé l'obligation de tous les États parties à la Quatrième Convention de Genève – y compris tous les États membres de l'UE –de « s’assurer qu’Israël respecte le droit international humanitaire tel que consacré par cette convention ». L'avis consultatif indiquait aussi que les États devraient prendre des mesures pour « empêcher les échanges commerciaux ou les investissements qui aident au maintien de la situation illicite créée par Israël dans le Territoire palestinien occupé ».
Pourtant, malgré de profondes divisions, l'UE n'a adopté aucune mesure pour faire pression sur les autorités israéliennes afin qu'elles respectent les lois de la guerre et préviennent le génocide.
Contrairement aux mesures qui requièrent l'unanimité – telles que les sanctions ciblées, un embargo sur les armes à l'échelle de l'UE ou la suspension de l'ensemble de l'Accord d'association UE-Israël – la suspension du volet commercial de l'Accord nécessiterait le soutien d'une majorité qualifiée des États membres de l'UE. Cette suspension, initialement demandée conjointement par l'Espagne et l'Irlande en février 2024, n'entraînerait pas une interdiction commerciale totale, mais rétablirait les droits de douane sur les échanges bilatéraux.
En novembre 2024, les ministres des Affaires étrangères de l'UE ont reçu un rapport d'Olof Skoog, Représentant spécial de l'UE pour les droits de l'homme ; ce rapport, qui a fait l’objet d’une fuite, compilant les conclusions d'organismes indépendants de l'ONU et de tribunaux internationaux sur les exactions commises par Israël dans l'ensemble du Territoire palestinien occupé. Peu après, la Cour pénale internationale a émis des mandats d’arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et l’ex-ministre de la Défense Yoav Gallant, ainsi que contre Mohammed Diab Ibrahim al-Masri (« Mohammed Deif »), un dirigeant militaire du Hamas qui a été assassine par la suite.
Déjà durant cette période, les ministres des Affaires étrangères de l'UE auraient pu prendre des mesures concrètes, comme un examen de l'Accord d'association UE-Israël. Au lieu de cela, ils ont convoqué une réunion officielle du Conseil d'association UE-Israël avec leur homologue israélien, Gideon Saar.
Lors de cette réunion, tenue en février dans un contexte de cessez-le-feu fragile à Gaza, l'UE a déclaré que le gouvernement israélien devait prendre un certain nombre de mesures, notamment la mise en œuvre des décisions contraignantes de la CIJ afin de permettre l'acheminement sans entrave de l'aide humanitaire à grande échelle dans toute la bande de Gaza, et la fin de la politique de colonisation illégale d'Israël en Cisjordanie. Les autorités israéliennes se sont toutefois abstenues de prendre de telles mesures ; à l’inverse, elles ont imposé un siège total à Gaza, et ont approuvé l’expansion des colonies en Cisjordanie.
Une conférence des Nations Unies sur une solution à deux États et la paix au Moyen-Orient, prévue du 17 au 20 juin, a été reportée en raison de la poursuite des hostilités entre Israël et l'Iran. Dans une lettre du 5 juin, Human Rights Watch a exhorté les États membres de l'UE à saisir l'occasion de cette conférence pour aller au-delà des affirmations répétées de soutien aux droits humains et au droit international ; les États devraient adopter des mesures concrètes – telles que la suspension des transferts d'armes et des accords bilatéraux, et l'interdiction du commerce avec les colonies – et assorties de délais afin de garantir leur mise en œuvre.
En réalité, à l'exception d'initiatives notables prises par certains États membres et de sanctions ciblées visant certains colons israéliens violents, l'action de l'UE a été largement paralysée par la réticence de la Commission européenne à agir. Certains pays – principalement la Hongrie, la République tchèque, l'Allemagne, l'Italie et l'Autriche, mais aussi la Grèce, Chypre, la Croatie, la Lituanie, la Bulgarie et la Roumanie – ont aussi exprimé leur opposition à la prise de mesures fortes par l’UE, donnant ainsi aux autorités israéliennes un certain sentiment d'impunité.
L’actuel examen de l'Accord d'association UE-Israël est la mesure la plus proche que l'UE ait prise pour demander des comptes aux autorités israéliennes ; toutefois, cet examen n'aura que peu d'effet pratique s’il n’aboutit pas à la suspension du volet commercial de l’Accord, a déclaré Human Rights Watch.
« Depuis près de 21 mois, l'UE assiste à une escalade des atrocités contre les Palestiniens sans prendre aucune mesure concrète pour faire respecter le droit international », a conclu Claudio Francavilla. « L’examen et la suspension de l'Accord d'association UE-Israël permettraient à l'Union de démontrer la crédibilité de son engagement en faveur des droits humains et du droit international, et d'agir enfin pour répondre aux actes de génocide perpétrés par les autorités israéliennes. »
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