Rédaction
Deux séances de discussion se sont appuyées sur des documentaires. Le jeudi après-midi, on a passé des extraits de la série de G. Mordillat diffusée sur Arte, Le monde et sa propriété. Le vendredi matin, Alix nous a proposé un documentaire beaucoup plus militant sur une expérience de squat à Barcelone, Squat, La ville est à nous, de Christophe Coello.
« Gérard Mordillat et Christophe Clerc interrogent 14 chercheuses et chercheurs de différents pays et cultures sur la notion de propriété. D’où vient-elle ? Comment s’applique-t-elle aujourd’hui aux questions du corps, de l’intelligence, de la nature ?
Du vol, une liberté ou une grammaire ?
La question de la propriété constitue un enjeu social, économique, politique, philosophique, voire théologique. À l’heure de la mondialisation la question apparaît d’autant plus cruciale qu’elle est « diabolique » selon le juriste Mikhaïl Xifaras. Le droit de propriété diffère profondément d’un pays à l’autre. Pour les Français et les Allemands (en droit romano-civiliste) le droit de propriété est codifié, sa définition est précise.
En revanche pour la common law (Grande-Bretagne et ses anciennes colonies dont les États-Unis) le droit de propriété recouvre un pluriel plutôt flou : le « bundle of rights » (un faisceau de droits). Il n’y a donc aucune définition universelle de la propriété mais une floraison de définitions qui se croisent, s’opposent et parfois se combattent. Penser la propriété c’est définir un système politique, social et économique.Aux États-Unis, pays capitaliste par excellence, la constitution ne qualifie pas la propriété d’« inviolable et sacrée » telle qu’elle est dite dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen !
Paradoxalement, c’est en Amérique que naissent les travaux les plus percutants remettant en cause la théorie néo-libérale de la propriété. En premier lieu, l’œuvre d’Elinor Ostrom, politologue et économiste américaine (1933-2012), première femme à recevoir le «prix Nobel d’économie », pour son analyse des communs. »

La notion de propriété, dont l’un des grands théoriciens se nomme John Locke, est rarement questionnée. Pourtant, chaque société en produit sa définition. En France, ayant constitué l’un des piliers de la philosophie des Lumières, elle garde aujourd’hui une dimension sacrée. Toute autre, la conception anglo-saxonne ne la reconnaît pas comme un droit naturel. En Amérique latine, des Constitutions établissent sa fonction sociale, notamment pour les grands propriétaires terriens : la propriété doit ainsi subvenir au bien-être de la société. En Afrique, elle établit souvent un lien entre l’individu et un collectif intertemporel. Mais quelle que soit sa définition, n’implique-t-elle pas toujours de la violence ?

Le 20e siècle n’aura de cesse de justifier les copyrights et les brevets dans un processus de marchandisation toujours plus prédateur. L’appropriation du vivant, qui fait la richesse de l’industrie biotechnologique, n’en constitue que la suite logique. Aujourd’hui, les multinationales du numérique amassent des fortunes en s’appropriant nos données, quitte à privatiser les relations sociales. Alors que ces données apparaissent comme le pétrole du futur et que les Gafam s’en emparent – à moins que nous ne les leur cédions -, des formes novatrices de propriété numérique privée apparaissent, à l’image des NFT (non-fungible tokens, « jetons non fongibles »)…

Sommes-nous réellement propriétaires de notre corps ? Si les juristes chrétiens répondent par la négative, estimant que nous devons notre corps à Dieu et donc le respecter, les libertariens le conçoivent comme un capital semblable à tout autre, digne d’être commercialisé. En réalité, dans nos sociétés, sont imposées des limites, d’ailleurs pas toujours très claires : nous pouvons donner un organe mais pas le monnayer, louer notre corps mais pas le vendre. Penser la propriété de soi se révèle assez vite terrifiant. Par ailleurs, dans quel rapport entre celui qui vend sa force de travail ? Si la propriété moderne s’est construite sur le rejet de l’esclavage, quel regard porter sur les abus du travail domestique ou sur le contrat de travail ?

Tous les peuples n’ont pas le même rapport à la propriété. Pour certains, elle se pense en harmonie avec la nature, pour d’autres, comme une domination. Certains accusent ainsi les traditions bibliques d’être responsables de la crise écologique. Aujourd’hui, la théorie des biens communs nous renvoie à des formes précapitalistes de propriété : des petites formes fonctionnelles de communauté émergent dans le système de propriété existant. Mais est-il possible de les développer à l’échelle d’un pays ? Et comment les intégrer dans les règles de décision collective ? En parallèle, des militants se battent pour reconnaître un droit de propriété à la nature. Mais avec quels résultats ?
À Barcelone, pendant six ans, l’aventure d’un groupe politique engagé dans le quotidien des luttes collectives, au moment d’une crise majeure de nos sociétés contemporaines : Squat.
Alix
Le temps que nous, Mathieu et Alix, avons proposé s’appelait « l’autre 11 septembre », il s’agit d’un atelier d’anticipation à un horizon très proche (dans quelques semaines). Il est inspiré de ce que propose les « ateliers de l’Antémonde » à travers l’excellent livre « Bâtir Aussi » et les ateliers qui en ont découlé. Le livre proposait en 2018 de se projeter en 2021 dans un futur post-révolutionnaire et post-capitaliste, suite à des révolutions ayant eu lieu dans les années 2010. Cet exercice collectif est un outil intéressant pour créer des utopies réalistes (les ateliers de l’Antémonde parlent d’utopie ambiguë voir « merdique ») par rapport à la situation existante.
Au lendemain du 10 septembre, jour de mobilisation et blocage national, une commission propriété se crée avec comme objectif de remettre en cause / abolir à court – moyen terme la propriété individuelle pour plus de propriété collective. Les participant·es à cet atelier sont donc des membres de cette commission qui vont devoir questionner les attributs de la propriété d’un certain nombre de biens matériels ou immatériels à savoir :
Pour chacun des biens et des attributs, il faudra essayer de trancher si cet attribut est détenu par un / des individus ou par le collectif, quelle que soit son échelle (collectif, commun, public )
Pour cela il est possible de s’appuyer sur plusieurs critères :
Voici la liste des biens dont il faut questionner les attributs :
Ce sont des biens matériels ou immatériels d’importance ou fonction variées pour pouvoir étudier un large éventail de situation. Dans la première session, les personnes étaient réparties en 3 groupes de 4- 5 avec 4 objets à étudier en 45 minutes. Nous avons vu à l’usage que c’était trop ambitieux en termes de temps et dans la seconde session, les personnes sont réparties en 6 binômes qui étudient deux objets, ce qui a permis de balayer un plus grand nombre de cas. Puis il y a un retour en grand groupe pour partager, discuter et débattre les propositions.
Un tableau croisé biens – attributs était présenté :
| Fructus | Usus | Abusus | |
| Une paire de chaussettes | |||
| Une machine à laver | |||
| Une résidence principale | |||
| Un réseau internet | |||
| Un bon livre | |||
| Une voiture | |||
| Un champ | |||
| Une station de radio | |||
| Un barnum | |||
| Une résidence secondaire | |||
| Une scierie | |||
| Une idée géniale |
Voici de manière exhaustive un aperçu de ce qui est ressorti des discussions :
Globalement les participant·es étaient plutôt d’accord pour dire que l’abusus devait être collectif et non plus individuel c’est-à-dire par exemple que l’on peut « posséder » un bien tant qu’on en a l’usage, mais lorsque ce n’est plus le cas, son devenir est entre les mains du collectif, tout comme les modifications substantielles à ce bien.
Pour ce qui est de l’usus, c’était plus nuancé, certains biens considérés intimes, comme la paire de chaussettes, pouvaient restés privés mais il a globalement été décidé pour la majorité des biens que leur usus pouvait être partagé c’est-à-dire collectif et/ou bien individuel en même temps.
Pour ce qui est du fructus : il a été globalement proposé que le fructus soit collectif soit pour couvrir les coûts de fonctionnement du bien soit de ne pas du tout faire valoir le fructus.
On s’est rendu compte que globalement des formes collectives de propriété de ses biens existaient déjà à diverses échelles et que la propriété collective était déjà possible et expérimentée.
Il a été décidé par exemple d’abolir les résidences secondaires ou que les livres devaient être plutôt détenus par des bibliothèques plutôt que par des individus. Pour le champ c’était moins simple et cela pouvait être une forme hybride individuelle et collective du fait du rapport particulier des paysan·nes à leurs terres.
S’est posée la question des biens auxquels des individus ont un attachement sentimental : leur abusus reste-t-il collectif ou bien celui-ci est-il exceptionnellement individuel ? Parmi les pistes il y avait que l’abusus restait collectif mais que la propriété d’usage pourrait dans certains cas exceptionnels, définis dès le départ, être cessible à ces proches dans le cas de biens ayant une valeur symbolique. Les biens matériels à forte valeur financière ou d’usage ne pourraient pas entrer dans ce cas pour ne pas reproduire les dynamiques inégalitaires actuelles perpétuées par l’héritage.
S’est également posée la question du transfert des attributs de la propriété de l’individu au collectif, se fera-t-elle de manière volontaire ou contrainte (c’est-à-dire expropriation) ?
A chaque fin de session d’atelier, nous avons abordé succinctement des formes juridiques de propriété existantes actuellement qui permettent de mettre en place des formes de propriété collective :


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