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Nous vivons actuellement des bouleversements écologiques inouïs. La revue Terrestres a l’ambition de penser ces métamorphoses.

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09.12.2025 à 12:11

La « Gen Z » face à la corruption du monde

Alain Bertho

Texte intégral (5897 mots)

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Une tête de mort coiffée d’un chapeau de paille : ce curieux drapeau « Jolly Roger », emprunté au manga One piece, flotte désormais sur des foules en colère

Symbole générationnel, il est le premier drapeau international à être ainsi brandi depuis 20 ans. Le drapeau arc en ciel, symbole de paix apparu au début du siècle au sein du mouvement altermondialiste, avait été depuis longtemps troqué pour le drapeau national lors des soulèvements du printemps arabe (2011) et des places occupées (2011-2014), comme lors des soulèvements de 2018-2019 – à commencer par celui des Gilets Jaunes en France. Le drapeau national, toujours présent, est aujourd’hui complété par ce trait d’union planétaire qui proclame des exigences communes.

Enfants pirates de la Matrice

Le nom de Génération Z n’est pas né dans la rue mais trouve son origine dans la sphère médiatico-managériale

Ce constat est factuellement juste. Rappelons que depuis la naissance du World Wide Web en 1991, du SMS en 1992, du smartphone Ibm en 1994 et de l’IPhone en 2007, la croissance de la toile a été exponentielle. Nous sommes passés de 1 million d’ordinateurs connectés en 1992 à 36 millions en 1996, 370 millions au tournant du siècle, et plus de 5 milliards aujourd’hui.

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Durant ces 25 années, alors le nombre d’ordinateurs connectés est multiplié par 15, le téléphone portable a supplanté ces derniers dans les usages personnels d’Internet… et dans le nombre d’appareils. Les estimations sur le parc mondial actuel oscillent entre 8,5 milliards et 7,1 milliards, contre 3,7 milliards en 2016. Ils représentent plus de 60 % du trafic Web mondial, allant jusqu’à 90 % dans des pays sous équipés comme le Soudan, la Libye, la Syrie ou le Tchad

La « Matrice », née dans l’imagination de deux réalisatrices visionnaires en 1999

L’une des spécificités démographiques de la Génération Z est bien d’être née dans un monde déjà dominé par la Matrice et d’avoir été biberonnée par les portails offerts à chacune et chacun que sont les déjà vieux Facebook (2004), YouTube (2005), X (ex-Twitter 2006), mais aussi des portails plus récents comme Instagram (2010), Snapchat (2011), Tiktok, Telegram (2014) et Discord (2015).

Animation Matrix. Wikimedia.

Mais ce constat ne nous dit rien du rapport de cette génération au monde social et à son avenir. Pourquoi imaginer qu’elle serait plus prisonnière de la Matrice que celles qui l’ont précédée ? Comme dans le film de 1999, et depuis vingt ans au moins, la résistance articule l’action au sein du monde numérique et l’action rematérialisée, celle des corps eux-mêmes libérés de la toile digitale. Le développement des liaisons numériques a accompagné toutes les grandes révoltes du siècle. Les photos des voitures brulées circulaient comme des trophées sur Skyrock en 2005

À cette longue antériorité s’ajoute une expérience biographique. Voici une génération entrée dans la vie adulte dans la confrontation à une pandémie universelle, à un retour dramatique de la matérialité vitale de l’humanité et de sa fragilité. Cette génération COVID a fait l’expérience du contrôle policier universel des corps, des relations sociales enfermées dans les écrans.

Comment s’étonner, dans ces conditions, que la marque politique brandie par la Gen Z soit le Jolly Roger de One Piece ? C’est peut-être l’indice de sa capacité universelle de détourner ces portails numériques au profit d’une résistance qui prend corps dans la rue, dans l’espace public matériel de la politique.

Philippines, septembre 2025. Wikimedia.

Comment penser qu’une telle génération connectée n’aurait pas vent de ce qu’on dit ou écrit sur elle ? La voici donc qui, d’un continent à l’autre, s’approprie le vocabulaire objectivant des commentaires de celles et ceux qui l’observent comme des entomologistes observent des insectes en laboratoire. Tels les révoltés des Pays Bas en 1566 traités de « Gueux » par la royauté espagnole, elle retourne le stigmate et revendique l’étiquette qu’on lui a accolée. La voici qui brandit son nom comme une subjectivité politique pirate symbolisée par le manga le plus lu au monde, apologie universelle d’une piraterie de justice sociale. Nous y reviendrons.

Lire aussi | L’effondrement a commencé. Il est politique・Alain Bertho (2019)

Le message singulier des révoltes

Les mobilisations de l’auto-nommée Gen Z marquent une étape singulière dans le message que portent les révoltes des peuples depuis 25 ans

Elle se pense comme telle : l’adoption du nom et de la bannière affirme une culture et une subjectivité commune, une communauté de révolte. La circulation des informations, des images et des symboles construit une dynamique de propagation. Les jeunes Marocain·es de 2025 ont l’exemple du Népal en tête comme Aminatou, Bewdo et Khouma me faisaient part à Dakar en 2011 de leur souhait de faire aussi bien que les jeunes Tunisien·nes

Caractérisée par ses modes d’organisation numériques et horizontaux et l’usage notamment de la plateforme Discord, la Gen Z ne se mobilise pas prioritairement en réaction à des évènements tels que ceux qui ont déclenché émeutes et soulèvements depuis 20 ans comme la mort d’un jeune ou la hausse des prix des transports ou du carburant. Ses mobilisations portent sur des principes de gouvernement et ce qu’elle perçoit comme des entorses fondamentales au bien commun : la corruption, l’austérité budgétaire qui ravage les services publics, la désinvolture démocratique, l’effondrement des états face aux mafias et à la corruption généralisée du Capital. Peu porteuse, dans l’état actuel des choses, d’une alternative constituante, elle se manifeste d’abord par la soudaineté des révoltes et par son efficacité dégagiste.

Népal, septembre 2025. Wikimedia.

Sri Lanka, Bangladesh, Népal, Madagascar : un dégagisme expéditif

Depuis 20 ans, combien de soulèvements ont mis à bas le pouvoir en place ? Trois en 2011 (Tunisie, Égypte et Libye), un en 2014 (Ukraine), deux en 2019 (Chili et Soudan). En trois ans, depuis 2022, quatre cheffes et chefs de gouvernement ont dû prendre la fuite en urgence face à la mobilisation de la rue : le président srilankais, la première ministre bengali, le premier ministre népalais et le président malgache.

Il n’a fallu que quelques semaines aux manifestations de « l’Aragalaya » (la lutte), pour mettre en fuite le président du Sri Lanka, Gotabaya Rajapaksa. La lourde répression des premières manifestations contre les pénuries n’a fait que renforcer la révolte. Le blocage des réseaux sociaux a été contourné par une jeunesse virtuose d’une technologie dans laquelle elle a grandi et notamment de l’usage de VPN. Le 9 juillet 2022, l’occupation du palais présidentiel à Colombo signe la fin de la domination de la famille Rajapaksa.

Car les pénuries, la dette publique qui ont fait suite à la gestion du Covid sont entièrement mis au compte d’une dynastie dominant la vie politique du pays depuis la fin de la guerre civile en 2009. Le président Gotabya Rajapaska est le frère d’un ancien président, Mahinda, devenu son premier ministre. Leur autre frère, Basil, était ministre des finances. À l’accaparement du pouvoir politique s’ajoutent les pratiques de corruption massive d’une famille qui a mis les intérêts de l’État au service de ses intérêts patrimoniaux. La crise met en avant la coalition de gauche National People’s Power (NPP), créée en 2019, qui gagne haut la main les législatives de 2024.

La Gen Z se mobilise contre ce qu’elle perçoit comme des entorses fondamentales au bien commun : la corruption, l’austérité budgétaire qui ravage les services publics, la désinvolture démocratique, l’effondrement des états face aux mafias et à la corruption généralisée du Capital.

Deux ans plus tard, ce n’est pas la corruption mafieuse qui met le feu au Bangladesh, mais la mise en place d’un système préférentiel de recrutement de la fonction publique au profit de ce qui apparaît comme un clan. Le système des quotas instauré au profit des vétérans de la guerre d’indépendance et de leurs descendants avait été aboli en 2018. Sa restauration par décision de la Cour suprême le 5 juin 2024 génère immédiatement une mobilisation étudiante.

Le « Mouvement étudiant anti-discrimination » lance alors le « blocus du Bangladesh ». La suspension provisoire de la réforme par la Cour d’Appel le 10 juillet ne fait que renforcer la détermination du mouvement. Dans les jours qui suivent, la répression est violente, faisant une centaine de morts. Internet est coupé. La prise d’assaut du palais gouvernemental provoque la fuite en Inde de la première ministre Sheikh Hasina en poste depuis 15 ans et le basculement de l’armée du côté du soulèvement. La « Révolution de la mousson » met ainsi fin au règne de la Ligue Awami, cheville ouvrière de l’indépendance. Le prix Nobel de la paix Muhammad Yunus est nommé Premier ministre par intérim.

Bangladesh, 2024. Wikimedia.

En 2025 vient le tour du Népal, où Khadga Prasad Shama Oli, dirigeant du Parti Communiste du Népal, est premier ministre pour la troisième fois. La jeunesse se mobilise sur Internet contre la corruption du gouvernement et des administrations, le népotisme et l’opulence affichée sur les réseaux sociaux par la classe politique. Pour y répondre, le 4 septembre 2025, le gouvernement ferme 26 réseaux sociaux non légalement déclarés en vertu d’une décision de la Cour suprême datant de 2023, dont Facebook, YouTube, LinkedIn, Signal et Snapchat. Mais il n’empêche pas pas Tiktok, ni la possibilité de recourir à un VPN. La Gen Z, qui constitue 40 % de la population du pays, se soulève le 8 septembre. Le drapeau Jolly Roger surgit quand la foule tente d’investir le Parlement fédéral. L’affrontement est violent. Human Rights Watch parle de 76 morts

À Madagascar, comme au Sri Lanka, pénuries structurelles et corruption étatique sont aux racines de la colère. Et comme au Népal, le Jolly Roger surgit dans les manifestations. Comme au Bangladesh, l’armée rejoint le mouvement. Quatre jours suffisent pour mettre en fuite le président. La Haute Cour Constitutionnelle confie le pouvoir au colonel Michael Randrianirina qui dissout les institutions en attendant d’éventuelles élections dans un délai de deux ans.

Dans ces quatre cas, la corruption politique, l’accaparement de l’institution publique au profit de quelques un·es, famille, clan, parti, ont été les moteurs de la révolte. À l’instar des mouvements tunisien et égyptien en 2011, les soulèvements qui ne portaient pas d’alternative laissent gérer leur victoire par d’autres : les militaires au Népal et à Madagascar, une figure symbolique au Bangladesh.

Image ©GenZ Madagascar

La corruption comme effondrement du commun

D’autres pays sont secoués par la Gen Z sans que la mobilisation ne provoque l’effondrement immédiat du pouvoir. La corruption, et parfois l’insécurité mafieuse, sont les moteurs d’une mobilisation contre l’effondrement de l’esprit public. 

En Indonésie, le Jolly Roger a été brandi par la mobilisation lancée à l’initiative de l’Union des étudiants Indonésiens contre des coupes budgétaires massives, puis contre l’augmentation des frais de fonction des députés en août. Du 25 août 2025 au 1er septembre, la répression est violente. Internet est coupé.

Aux Philippines, depuis 2024, une controverse grossit sur les milliards de pesos alloués à la gestion des inondations, les constructions au rabais et l’accaparement des contrats par un petit groupe d’entrepreneurs. Le Jolly Roger flotte à Manille le 21 septembre 2025 lors d’une violente manifestation contre la corruption. Au même moment, au Timor oriental, la décision d’acheter des SUV aux députés (pour 4 millions de dollars) mobilise victorieusement durant trois jours les étudiants à Dili, la capitale.

Au Pérou, en octobre 2025, le mouvement lancé sur les réseaux sociaux exprime l’épuisement populaire face à l’instabilité institutionnelle (huit présidents en dix ans), l’insécurité et la corruption. Le remplacement de la présidente destituée Dina Boluarte par son vice-président José Jeri, accusé de corruption et de viol, met le feu à Lima, Arequipa, Cusco et Puno. Le vieux slogan « que se vayan todos » (qu’ils s’en aillent tous) côtoie le Jolly Roger.

Pérou, octobre 2025. Wikimedia.

En novembre, des mobilisations massives emplissent les rues du Mexique contre la corruption et la violence des cartels à l’appel de la Gen Z. Le Jolly Roger flotte sur le Zocalo lors de l’assaut symbolique contre le Palais National. Si la manifestation n’a pas conduit à un soulèvement, la Gen Z fait maintenant partie du débat politique national.

En Serbie, tout est parti de l’effondrement meurtrier du portail flambant neuf de la gare de Novi Sad le 1er novembre 2024. Le drame devient le symbole de la corruption de l’État pour la jeunesse. Malgré la répression, la mobilisation sur l’ensemble du pays ne faiblit pas. Sept mois après le drame, des barricades sont encore érigées à Belgrade.

Lire aussi | Pour que la dignité devienne une habitude・Omar Felipe Giraldo (2022)

La démocratie comme puissance populaire

Reste la démocratie. La politique au sens institutionnel du terme s’invite ici de deux façons : par la contestation brutale des dynasties électorales et des scores obscurs qui font des urnes une farce quasi officielle, mais aussi par la volonté de peser directement sur les grands choix du pays, notamment budgétaires.

La contestation brutale des processus électoraux est devenue un classique dans certains pays d’Afrique. Les émeutes de Guinée en 2020, de Côte d’Ivoire en 2020 et 2025, du Cameroun en 2025, ne sont pas une surprise. Quant à la crise institutionnelle du Pérou en 2023, conséquence de la destitution du président Pedro Castillo, elle a mobilisé beaucoup plus largement que la génération Z.

En 2024, il n’en est pas de même en Tanzanie où la domination trentenaire du Chama cha Mapinduzi (Parti de la Révolution) est personnifiée par Samia Suluhu, la présidente sortante et candidate à sa réélection. L’élection est précédée d’une répression systématique des opposants (parti Chadema), des journalistes et de la société civile, qualifiée de « vague de terreur » par Amnesty international. Les candidats d’opposition sont disqualifiés. L’élection de Samia Suluhu avec 97.95 % des voix provoque un soulèvement à Dar Es Salaam et dans toutes les grandes villes du pays. La jeunesse, qui s’est massivement abstenue, affronte une répression féroce. On compte au moins 700 morts.

En 2024, au Kenya, c’était la même jeunesse, connectée, informée mais sans illusion sur les processus électoraux, qui avait décidé de s’opposer à une nouvelle loi fiscale et s’en est donné les moyens en ligne : #OccupyParliament et #RejectFinanceBill2024, crowdfunding pour financer le voyage vers Nairobi le jour des manifestations. Des numéros de téléphone des dirigeants politiques sont divulgués pour les spammer avec des SMS et des messages WhatsApp. Sur le Web, un « mur de la honte » dresse la liste des hommes politiques qui soutiennent le projet de loi de finance

Cette puissance est autant dans l’air du temps que dans l’ADN de la Gen Z. En Colombie, en 2021, une mobilisation populaire majoritaire et intergénérationnelle, très violemment réprimée (47 morts) s’oppose aux coupes budgétaires et aux hausses massives d’impôt prévues par la réforme fiscale. La réforme est finalement abandonnée.

Maroc, octobre 2025. Wikimedia.

Au Maroc, alors qu’on annonce depuis janvier un budget de 200 milliards d’euros pour financer la Coupe d’Afrique des Nations, mi-septembre, huit femmes enceintes meurent à l’hôpital d’Agadir lors de césariennes. Ce sacrifice meurtrier des budgets de la Santé et de tous les services publics, notamment de l’éducation, est au cœur de la mobilisation de la « Gen Z 212 » (212 est le code téléphonique du pays), qui commence le 27 septembre 2025 à Rabat, Casablanca, Marrakech, Agadir et Tanger, puis se répand à Salé Didi, Bibi, Kelaât M’Gouna, Inzegane, Témara, Beni Mellal, Aït Amira, Oujda et Lqliaâ. Plus de 1 500 personnes font l’objet de poursuites judiciaires. En octobre, la cour d’Appel d’Agadir prononce des peines de prison lourdes allant jusqu’à quinze ans de prison ferme pour trois accusés.

Plus modeste, le mouvement « Bloquons tout », lancé en mai 2025, appartient à la même galaxie. Certes, en France, les réserves démographiques de la Gen Z sont sans commune mesure avec le Kenya ou la Tanzanie. Mais on trouve ici aussi dans le viseur un budget particulièrement austéritaire. Les modes opératoires sont les mêmes : organisation horizontale, usage systématique de la messagerie Telegram. La fréquentation des assemblées locales préparatoires ne fait pas de doute sur la dynamique générationnelle. Si le mouvement n’a pas vraiment bloqué le pays le 10 septembre, il a néanmoins eu deux conséquences historiques : la chute volontaire du gouvernement Bayrou dès le 8 septembre et l’appel à la grève générale de tous les syndicats le 18. Jamais un gouvernement n’avait décidé de se faire harakiri devant le Parlement à la seule annonce d’une mobilisation. Jamais le mouvement syndical unanime n’avait appelé à la grève contre un projet de budget ! Et le « Jolly Roger » est sporadiquement apparu sur les défilés…

Tableau des mobilisations, par Alain Bertho.

2019-2020, universalisation de la lutte, défaillance des États

Partout donc, la corruption, le népotisme et la prévarication symbolisent l’effondrement de l’esprit public, de l’État comme garant de l’avenir commun au profit d’intérêt de clans à l’heure où l’avenir même de l’humanité semble compromis. C’est un élément nouveau dans les 25 années de mobilisation et de répression violente qui ont ouvert le XXIème siècle. Ce tournant s’enracine visiblement dans l’expérience de la pandémie et la multiplication des catastrophes climatiques et écologiques vécues auxquelles les pouvoirs ne font pas face.

Inaugurée par les émeutes de Seattle à l’occasion d’une conférence de l’Organisation Mondiale du Commerce (29-30 novembre 1999) et de Gènes lors de la réunion du G8 (19 juillet 2001), la longue période de brutalisation mondiale des rapports politiques trouve donc un nouveau souffle. La mondialisation (et la financiarisation) du capitalisme et de sa gouvernance politique, engagée depuis un demi-siècle a mis à distance systématique des hommes et des femmes tant des lieux stratégiques de production du profit que des lieux de décision politique. Dans des situations nationales très diverses, les peuples ont fait l’expérience de l’impuissance politique face aux choix néolibéraux. En désarticulant les sociétés, les pouvoirs étatiques et financiers désarticulent et désarment le Demos. Les souffrances n’ont plus d’expression politique ni les revendications d’interlocuteurs. Dans ces conditions, chaque conflit court le risque de s’exprimer dans ce que Martin Luther King nommait « le langage de ceux qui ne sont pas entendus » : l’émeute. Et les émeutes se sont en effet multipliées contre la vie chère (2008 par exemple) comme face la mort de jeunes tués par la police (France 2005 et 2023, USA 2012-2014 et 2020, Iran 2022), contre la hausse du prix du carburant ou du métro (soulèvements de 2019).

Le plus souvent ponctuelles et sans lendemains visibles, prenant parfois au contraire la forme brusque d’un soulèvement national voire d’une insurrection, les émeutes, par leur récurrence peuvent aussi installer une sorte de dissidence populaire durable, de soulèvement à bas bruit. Elles cimentent alors une méfiance structurelle entre les peuples et les pouvoirs, entre le Demos et le kratos.

Ces émeutes ont une histoire que j’ai rappelée à grands traits dans un précédent article de Terrestres

Mexique, novembre 2025. Wikimedia.

En 2019, le déclencheur fut toujours très concret, lié à une décision ou à des pratiques gouvernementales mettant en danger la survie matérielle ou la liberté des personnes et des familles. Partout la colère englobe toute la classe politique. Mais là où le dégagisme de 2011 avait laissé de vieux chevaux de retour ramasser le pouvoir abandonné par des dictateurs en déroute comme en Tunisie ou en Égypte, les révoltés de 2019 n’ont laissé personne parler et décider à leur place. Les soulèvements devenus insurrection au Chili et au Soudan, ont engagé un processus constituant remarquable, quelle qu’en soit l’issue finale (coup d’État militaire au Soudan, référendum négatif au Chili sur la Constitution). Si le bilan global de l’année est une défaite des peuples face à la répression, celle-ci ne signe pas pour autant une victoire politique des pouvoirs en place qui perdent en légitimité ce qu’ils ont gagné par la violence d’État.

Après le lancement du mouvement des Gilets jaunes le 17 novembre 2018, de proche en proche plus de vingt pays dans le monde ont connu des soulèvements concomitants.

Immédiatement après, en 2020, la pandémie a enfoncé le clou. Avec son lot de peurs, de dénis complotistes, de solidarité, d’obéissance et de révoltes, elle a été un choc pour les peuples mais aussi pour les États. Ces derniers ont camouflé par un contrôle autoritaire des populations la révélation universelle de leur défaillance biopolitique, de leur lien privilégié avec des puissances financières – qui font même de la mort une source de profit.

2020 a été une année record pour le nombre d’émeutes et d’affrontements civils. Un cinquième des affrontements a concerné les politiques sanitaires et un cinquième les mobilisations contre la police et les violences policières. Si on ajoute les émeutes et affrontements liés aux élections, à la corruption des États et aux attaques contre les libertés, plus de 60 % des situations d’affrontement ont été générées par une remise en cause fondamentale de l’autorité publique, de sa légitimité et de sa police

Lire aussi | Quand le néolibéralisme enfante le néofascisme : aux sources d’une révolution idéologique・Haud Guéguen (2025)

2021-2025 : un nouveau cycle

Quand la défaillance biopolitique des États devient clairement universelle, la physionomie et la géométrie des révoltes se transforme. En 2021, la brutalisation se maintient de façon diffuse. Le monde, hormis la Colombie

Références sur la page personnelle de l’auteur : https://berthoalain.com/documents/

Ainsi émergent d’abord trois soulèvements nationaux : aux USA après l’assassinat de George Floyd (25 mai 2020), en Iran après celui de Masha Amini (16 septembre 2022) et en France après celui de Nahel Merzouk (27 juin 2023). Dans les trois cas, la répression est à la hauteur de la puissance de la colère populaire. Dans deux cas au moins, ces soulèvements ont une résonnance mondiale, jamais vue jusqu’à présent, dont témoigne alors la viralité soudaine et mondiale de deux mots d’ordre : « I can’t breathe » et « Femmes Vie Liberté ».

Ainsi s’ouvre donc le cycle de la Génération Z. Dans un monde aux prises avec le néolibéralisme autoritaire et une financiarisation écocidaire, depuis le début du siècle, émeutes et soulèvements sont un signe incontestable de vie des peuples et de l’humanité tout entière. Ces mobilisations ont été les véritables pulsations du siècle, portant lumière et exigences sur tous les fronts de souffrance et de résistance collective. En 25 ans, six pulsations ont ainsi secoué le monde : l’égale dignité de toutes les vies, la volonté collective de survie, la défiance démocratique, la décolonisation, la lutte contre le patriarcat et la défense du vivant

La Génération Z les rassemble toutes en contestant aux États le monopole de la compétence publique et celui de la légitimité démocratique, en portant le fer sur le cœur de l’époque : le sacrifice de tout intérêt public ou collectif au profit de quelques puissants. La corruption comme les budgets austéritaires sont le nom de cette mainmise universelle des logiques de profit financier sur les décisions collectives. L’exigence démocratique n’est pas qu’une question institutionnelle. Elle est une exigence de reconstitution de la puissance du Démos.

Photo Unsplash.

One Piece n’est pas qu’un drapeau : c’est la revendication d’une trame subjective commune, un combat contre la corruption du gouvernement du monde.

Le commun, le demos et l’ethnos

Dans ces conditions, quelques questions politiques se posent. La Gen Z a-t-elle un projet ? La référence à One Piece n’est pas indifférente, ni le succès planétaire de ce manga au propos fortement politique : un héros issu de quartiers pauvres et marginalisés, une confrontation à un gouvernement mondial corrompu…. Pour certains militants plus âgés, comme Youcef Brakni, un des animateurs du comité Vérité et Justice pour Adama Traoré, ou Fatima Ouassak, politologue et fondatrice du Front de mères, c’est clairement une leçon d’engagement qui les a formé.es dès leur enfance

One Piece n’est pas qu’un drapeau : c’est la revendication d’une trame subjective commune, un combat contre la corruption du gouvernement du monde. Cet ancrage culturel fait la différence entre la Gén Z autoproclamée, mobilisée et pirate, et la « Génération Z » telle qu’elle est définie démographiquement. On ne peut pas affirmer que ses « idéaux » seraient « ambivalents » au titre de la diversité politique de la génération

Pour autant, elle n’est pas encore porteuse d’une aspiration démocratique incarnée dans un peuple politique, un Demos. Quels sont aujourd’hui les enjeux de sa constitution et de sa puissance du Demos ? Il y en a deux : la rematérialisation politique par l’assemblée et l’ancrage national du Démos politique contre la tentation de l’Ethnos identitaire.

Avec des moments forts comme « ¡Democracia Real ya! » en Espagne, les printemps arabes en 2011, la révolution ukrainienne en 2014, les mobilisations de 2019 et notamment les Gilets Jaunes, voire la mobilisation contre la réforme des retraites en France en 2023

Népal, septembre 2025. Wikimedia.

Cette affirmation d’un corps politique commun passe par l’incarnation corporelle, physique de l’exigence démocratique dans l’espace public alors que le monde économique, social, informationnel et gouvernemental veut par tous les moyens se protéger de la démocratie notamment par une numérisation galopante. Dès son origine antique, la démocratie s’est fondée dans les assemblées que la démocratie représentative a voulu ensuite éloigner du pouvoir. Les assemblées resurgissent obstinément lors de la Commune de Paris, de la révolution russe et dans tous les grands moments de soulèvement populaire. On les voit renaitre au XXIème siècle avec les places occupées de Tunisie, d’Égypte, d’Espagne et de Grèce en 2011, suivies d’Istanbul et Kiev, Nuit Debout à Paris en 2016, les ronds-points et les assemblées de Gilets Jaunes de 2018-2019.

Cette dimension est encore embryonnaire dans la Gen Z. L’installation dans la durée nécessite organisation, débat, réflexion collective sur les objectifs du mouvement. Une mention spéciale doit être accordée à la situation serbezborovi, assemblées citoyennes, se forment au mois de mars dans les villages ou les quartiers des grandes villes

En 2024, la chute de la fièvre émeutière et des affrontements civils dans le monde a été spectaculaire. La violence s’est pour une part déplacée : dans la guerre civile, dans la guerre faite aux civils jusqu’au génocide, dans des déchainements xénophobes d’une ampleur inédite.

Reste à éviter la tentation identitaire de l’Ethnos, très présente aujourd’hui. L’année 2024 fut à cet égard critique

Nous en avons vu une manifestation terrifiante en Angleterre durant l’été 2024 quand, dans 26 villes, des foules populaires s’en sont pris physiquement aux mosquées et aux hôtels de demandeurs d’asile

La Gen Z n’est pas à l’abri de cette dérive du Démos politique à l’Ethnos identitaire. Le Bangladesh en a été le théâtre dans les jours qui ont suivi la chute de la première ministre Sheikh Hasina en août 2024. Du 8 au 13 août, dans 53 districts du pays, les Hindous, stigmatisés comme partisans de l’ancien gouvernement, sont victimes de violences de masse

Il reste donc de ces derniers mois un sentiment d’inachèvement politique. La critique que porte en acte la Gen Z sur le gouvernement du monde est d’une grande acuité. Ni idéologie ni pragmatisme mais exigence impatiente d’un État soucieux du commun, de solidarité institutionnalisée (dans des services publics et des choix budgétaires), d’honnêteté publique. Cette impatience est expéditive, mais sans lendemains convaincants, là où les pouvoirs sont faibles. Ailleurs, elle fait l’expérience de leur résistance violente. Elle ne réalisera vraiment ses exigences en puissance d’alternative durable que dans sa capacité à redevenir, jusqu’au bout, obstinément terrestre.

Image d’accueil : Mexique, novembre 2025. Wikimedia.

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04.12.2025 à 11:54

Accusé Lafarge : on n’oublie pas

Léon Baca

Texte intégral (2951 mots)

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1833 : les frères Pavin de Lafarge, Léon puis Edouard, reprennent des fours à chaux au village du Theil, le long du Rhône en Ardèche

Dès le milieu de ce siècle, les ingénieurs des Ponts et Chaussées, le Génie Militaire et le Service Maritime – l’État, en somme – vantent et recommandent leur liant hydraulique (colle qui durcit au contact de l’eau) qui sert les ports de Toulon, Marseille et Alger. Le Léon, polytechnicien passé au privé, aurait gardé de bonnes relations dans le public. Coup de bol géologique, leur chaux hydraulique est excellente ; coup de bol géographique, les carrières sont en bordure du Rhône et la matière est facilement transportée vers la Méditerranée ; coup de bol colonialiste, les ports du Maghreb constituent un marché particulièrement lucratif (Lafarge a des bureaux à Alger et Tunis, ouverts avant ceux de Paris) ; coup de bol impérialiste, sa chaux est privilégiée pour constituer les blocs des digues de Port-Saïd, à l’extrémité nord du canal de Suez. Ces petits notables conservateurs, qui insistent sur leur ancrage dans un terroir, présents pendant des décennies au conseil départemental, jouissent pleinement de la mondialisation du commerce.

Du fait de la hausse de la demande pour la chaux de Lafarge dans toute l’Europe, le nombre d’ouvriers au Theil décuple entre le milieu et la fin du xixe siècle, de 200 à 2 000, dont une bonne part de montagnards ardéchois. Ils doivent alimenter nuit et jour les dizaines de fours en calcaire argileux et en charbon de terre pour la combustion. Les conditions de travail sont difficiles : fumées et poussières saturent les installations et le voisinage, la chaleur des fours dépasse les 900 °C, le transport est pénible. Les accidents sont fréquents parmi les ouvriers chargés d’abattre, détacher et morceler les blocs : dans les années 1880, la carrière à ciel ouvert est presque aussi mortelle que la mine en France. Ces « catholiques sociaux », qui aiment à se présenter comme tels, construisent jardins et logements ouvriers… constamment imbibés de poussière blanche générée par l’activité (extraction, concassage, broyage, four) – poussière qui remplit, donc, nuit et jour les poumons des travailleurs. Le « paternalisme théocratique » s’illustre notamment par la construction d’une école confessionnelle, l’obligation d’aller à la messe, et l’interdiction de divorcer sous peine d’exclusion, etc. Les Lafarge n’hésitent pas, au moindre repli de la demande, à licencier : un ouvrier sur cinq en 1884-1885. La foi, en théorie chevillée au corps, est vite oubliée dans ces périodes-là. Dans le mot capitaliste, il y a capitaliste.

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Jusque 1940, les successions vont de père en fils, ou à peu près. Pour les prénoms, on reprend les mêmes : Léon, Raphaël, Auguste, Joseph, etc. Bref, l’entreprise est restée sous contrôle strictement familial. Les colonies continuent d’alimenter les caisses, avec moultes acquisitions et créations de filiales dans les années 1920 et 1930 (« Nord-Africaine de Ciments Lafarge » en Algérie en 1922, « Société indochinoise de fondu Lafarge » en 1925, « Chaux et Ciments du Maroc » en 1928, « Société tunisienne Lafarge » en 1933, etc.). Catholique et royaliste au XIXe siècle, la famille Pavin de Lafarge est vigoureusement anti-front populaire et antisyndicale dans les années 1930. Elle soutient explicitement les partis fascistes après 1936, comme le Parti populaire français, un parti antisémite, antirépublicain, qui se réclame ouvertement du fascisme mussolinien puis nazi. Elle invite même son leader, Jacques Doriot, en Ardèche en février 1938. Pendant la guerre, des réunions de recrutements y sont organisés pour la Légion des volontaires français contre le bolchevisme. Lafarge est explicitement pétainiste : Henri de Pavin de Lafarge, petit-fils de Léon, sénateur de l’Ardèche depuis 1929, vote les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, le 10 juillet 1940. Le 9 novembre 1940 est créé le Comité d’organisation des chaux et ciments, qui regroupe des membres des principales entreprises cimentières françaises, dont le directeur général de Lafarge, également à la tête de sa commission consultative. Initialement chargé au nom de Vichy de la coordination des productions entre les entreprises, le contrôle passe dès novembre 1942 sous tutelle allemande, à travers la création, au sein de l’Office central pour la répartition de la production industrielle, d’une section des matériaux de construction. L’usine du Theil, bien qu’en zone libre, collabore de 1942 à 1944 à la construction du mur de l’Atlantique, dont la gestion du chantier est attribuée à l’Organisation Todt, considérée comme un corps auxiliaire de l’armée de terre allemande. On a vu plus fervents nationalistes. En 1943, 80 % du ciment français sert à la construction du mur et ses 15 000 bunkers. Mais voilà, ledit mur ne tient pas – ou plutôt ne contient pas – le débarquement des forces alliées et la firme passe un mauvais moment – pas un quart d’heure, trois ans.

En 1943, 80 % du ciment français sert à la construction du mur de l’Atlantique. Mais voilà, ledit mur ne tient pas – ou plutôt ne contient pas – le débarquement des forces alliées.

Soutenu par le Conseil de la Libération, et la résistance cégétiste et communiste, le préfet de l’Ardèche prononce le 27 septembre 1944 la suspension des onze principaux actionnaires de la société et la mise sous séquestre de l’usine de Lafarge (qui avait été votée en assemblée par les salariés le 19 septembre). Ce sombre épisode est détaillé dans un bel article de Pierre Bonnaud (Cahier de Mémoire d’Ardèche et Temps Présent n°100, 2008). Toute la résistance, des gaullistes aux communistes, et les travailleurs du site, soutiennent le séquestre. L’usine sera autogérée pendant deux ans et demi. En mars 1947, celle-ci sera cassée par le Conseil d’État, qui refuse également la solution d’une autogestion ouvrière proposée par les instances syndicales. L’entreprise échappe de justesse à la nationalisation… et bénéficie même des premiers Plans de modernisation puisque le ciment est considéré comme une ressource-clef, et le secteur figure parmi les six activités de base à moderniser en priorité. Pour la première fois, la présidence n’est plus assurée par un membre de la famille Lafarge. Les managers prennent le contrôle.

Chantier du terminal pétrolier au Cap d’Antifer – Maître d’ouvrage : Port Autonome du Havre. Publicité Ciments Lafarge.

La famille ? n’est plus ! Mais les fours ? grandissent bien, merci. Du fait d’importants investissements dans des fours horizontaux, qui dépassent souvent les 100 mètres de long, une cimenterie constitue un monopole (qualifié de « naturel » par l’économiste) sur une aire géographique importante. Les « forces » de la concurrence et du marché, si on les laisse, poussent à la domination d’une poignée de firmes sur la construction mondiale en béton, un oligopole dont Lafarge est un pilier permanent. Dans cet univers hautement capitalistique, les petits producteurs n’ont aucune chance de concurrencer les grands. Le four symbolise aussi l’alliance historique entre ciment et charbon (régulièrement décrit comme « matière première » par les cimentiers). Après 1945, il faut environ 300 kg de charbon pour produire une tonne de ciment. Pourtant, la consommation énergétique totale (pour un four chauffé à 1 450 °C et pour le broyage) ne représente aujourd’hui qu’un tiers des émissions de l’industrie cimentière en France. Le reste vient du phénomène de « décarbonatation ». La fabrication de toute chaux passe en effet par la décomposition du carbonate de calcium en chaux vive et en CO₂, lequel part dans l’atmosphère. Malgré la recherche acharnée d’économies d’énergie depuis le xixe siècle, surtout pour réduire les coûts de production, la moyenne mondiale serait de 860 kg de CO₂ par tonne, dont 530 kg serait liés à la décarbonatation. Si l’industrie cimentière était un pays, elle serait troisième sur le podium des émetteurs de gaz à effet de serre avec 7 à 8 % des émissions mondiales.

Pendant des décennies, béton et champagne coulent à flot. L’entreprise a profité des marchés des colonies d’Afrique du Nord, où son implantation est ancienne, jusqu’aux indépendances : en 1955, elle y réalisait encore 35 % de son chiffre d’affaires. Elle quitte la Tunisie en 1961, à la suite de la mise sous séquestre de tous ses biens, et ses actifs sont nationalisés en Algérie en 1968. La perte de ces marchés ne change pas son cours : la société s’installe ailleurs. À partir du début des années 1970, plus de 50 % du chiffre d’affaires est réalisé à l’étranger : c’est une multinationale. Tant que les portes des autres pays s’ouvrent, c’est-à-dire sont ouvertes par des dispositifs qui autorisent la libre circulation du capital, ô merveilleux libre-échange, la firme grossit. Malgré quelques échecs dans ses acquisitions, Lafarge est présente dans 40 pays en 1993 et 75 en 2004. Elle possède des centaines de carrières et d’usines de béton prêt à l’emploi. En 1991, l’entreprise est le numéro deux mondial du ciment, mais aussi le numéro trois des bétons, sables et graviers. Son chiffre d’affaires en croissance continue illustre la domination d’un matériau, mais aussi la disparition de tout un ensemble de pratiques, savoirs et savoir-faire de construction : il n’est plus extrait ni taillé de pierres propres à une géologie et un territoire. Ce sont des petits grains qui sont massivement dragués, concassés et calibrés pour être agglomérés avec du ciment. La déqualification n’est pas absolue, du fait de la technicité des coffrages, mais les gestes des maçons – placer le mortier, araser, caler, barder, monter, poser, etc. – disparaissent. C’est la première coulée de béton qui inaugure le chantier, non plus la première pierre.

Le chiffre d’affaire en croissance continue de Lafarge illustre la domination d’un matériau, mais aussi la disparition de tout un ensemble de pratiques, savoirs et savoir-faire de construction : il n’est plus extrait ni taillé de pierres propres à une géologie et un territoire.

Dans les années 1990, le capital du groupe devient majoritairement étranger et le partage de la valeur ajoutée de l’entreprise bénéficie toujours plus aux actionnaires au détriment des employés. Au début des années 2000, les pays « émergents » représentent un tiers de son chiffre d’affaires total. Entre 2008 et 2010, Lafarge fait construire une usine gigantesque… en Syrie. Miracle de l’aide au développement, l’investissement de 680 millions de dollars est notamment financé par la Banque européenne d’investissement, l’Agence française de développement et un fonds danois. Comme c’est beau d’aider au développement. Vient la révolution, puis la guerre civile, en 2011. Le groupe décide de rester… et paye des organisations terroristes pour protéger le site industriel, situé à 90 kilomètres de Raqqa, la capitale de l’État islamique. Lafarge verse plus de 15,3 millions d’euros à Daesh et à la branche syrienne d’Al-Qaïda. Le jeu – dans leur tête la « valorisation du capital des fours » – en vaut la chandelle puisque le profit devait avoisiner les 200 millions d’euros par an. Le directeur général adjoint, Christian Herrault, le dit dans un mail de juillet 2014, alors que les massacres se multiplient dans le pays depuis trois ans : « Il faut maintenir le principe que nous sommes prêts à partager le “gâteau”, encore faudrait-il qu’il y ait un “gâteau”. Pour moi, le “gâteau” est tout ce qui est un “profit”. »Il est joueur, Christian. Manque de bol, cette fois, la patrouille les rattrape aux États-Unis en 2022 : pour éviter un procès, le groupe accepte d’y payer une sanction de 778 millions de dollars et de plaider coupable pour avoir aidé des organisations terroristes entre 2013 et 2014.

Usine Lafarge Malayan Cement à Langkawi, Malaisie, 2014. Wikimedia.

Aujourd’hui Lafarge n’est plus – il fallait sans doute symboliquement se faire oublier après la lune de miel daeshienne, et LafargeHolcim (2014) est devenue Holcim (2021). La firme a donc été tour à tour royaliste, réactionnaire, ultra-catholique, paternaliste, colonialiste, collaborationniste, djihadiste. Sacrée performance contorsionniste, avouons ! C’est finalement une histoire à la fois banale et prototypique d’un groupe capitaliste : peu importe l’idéologie, le pays, l’époque, le CO₂, l’extractivisme de sable et gravier associé au ciment, tant que la production mène à un profit. Tout ce détour historique, c’est presque désolant, alors qu’un marxisme bien trivial suffisait à l’analyse.

Plus remarquable est le câlin permanent de l’État français. Parfois avec intérêt : en Syrie, le groupe recueillait des renseignements pour le compte des services secrets (bah, alors ?). Holcim n’a aucune raison de ne pas poursuivre l’œuvre – donc a toutes les raisons de le faire, et le fera si rien ne l’en empêche. Justement, quelques collectifs ont la bonne idée, ou l’idée logique en temps de Capitalocène, de mettre fin à l’épopée – qui ne se fera ni par la morale, ni dans un dialogue apaisé. Mais voilà : le service du renseignement intérieur s’en mêle. Bien sûr pas pour défoncer les portes des actionnaires en pleine nuit, ni pour saccager leur assemblée générale en hurlant des mots insensés. Filatures, écoutes, géolocalisations, flicage de l’intimité des Soulèvements, de leurs liens affectifs et jusqu’à leurs lectures : ces barbouzes sont non seulement nés avant la honte, mais aussi avant le ridicule. La terreur et la bêtise, ah ça oui, ils connaissent bien – à l’évidence, une centrale qui sème la terreur sans intelligence, non pas une centrale d’intelligence qui combat la terreur. L’État, qui rappelle ici son rôle historique, persiste et s’obstine : s’attaquer aux collectifs, décrits comme « écoterroristes » du fait qu’ils menacent son pouvoir d’aménagement du territoire, jusqu’à être prêt à les tuer s’ils s’approchent trop de son trou de terre à Sainte Soline, ou de son arc de Triomphe. A priori, quand l’État nécessite à ce point la coercition pour dominer, que tous les acronymes bouffons (SDAT, BRI, BAC, DGSI) passent à l’action, que la recherche d’un consentement est définitivement devenue une vieille farce, c’est signe de « crise organique ». Dada, dadam, on y est. Les mots à l’endroit, disait l’autre : l’État du capital, quand il devient anti-anti-fasciste est un bien dangereux fasciste.


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02.12.2025 à 19:39

Anna Tsing : « Nos infrastructures nous échappent »

Anna Lowenhaupt Tsing

Texte intégral (6242 mots)

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Temps de lecture : 19 minutes

En juin 2025, une rencontre avec l’anthropologue Anna Lowenhaupt Tsing s’est tenue à l’Académie du climat de Paris, à l’occasion de la sortie en France du livre qu’elle a coordonné et cosigné avec Jennifer Deger, Alder Keleman Saxena et Feifei Zhou : Field Guide to the Patchy Anthropocene. The New Nature (Stanford University Press, 2024). Traduit par Philippe Pignarre et Isabelle Stengers, Notre nouvelle nature. Guide de terrain de l’Anthropocène, est paru aux éditions du Seuil en 2025. Cet article est la transcription de cette rencontre organisée par Terrestres, à laquelle ont pris part la journaliste Jade Lindgaard, la philosophe Emilie Hache et l’éditeur et traducteur Philippe Pignarre.

Dans cet entretien, il est beaucoup question du « Feral Atlas », un vaste projet d’enquêtes historiques et ethnographiques élaboré avec des artistes, qui a abouti à un site Internet. Une version française du Feral Atlas, composée de textes sélectionnés et traduits par Marin Schaffner, vient de paraître sous forme de livre aux éditions Wildproject : Atlas féral. Histoires vraies et proliférantes des résistances aux infrastructures humaines.

©Feifei Zhou pour le Feral Atlas

Jade Lindgaard – L’ouvrage collectif que vient présenter Anna Tsing est intitulé Notre nouvelle nature : Guide de terrain de l’Anthropocène. C’est un livre magnifique et renversant, qui est à la fois une suite et un déploiement du Champignon de la fin du monde. Anna, pouvez-vous nous parler de ce projet ? 

Anna Tsing – Tout est parti d’une question simple : comment peut-on comprendre l’Anthropocène, cette époque où les perturbations humaines sur la terre sont devenues aussi importantes que toutes sortes de forces, depuis le terrain ? Beaucoup d’entre vous connaissent sans doute les idées de Bruno Latour, qui disait que nous devons redevenir des terrestres et admettre notre occupation du sol au lieu de flotter abstraitement dans l’atmosphère. C’est pourquoi je demande : comment comprend-on l’Anthropocène depuis le sol ?

Je répondrais en commençant par présenter deux mots très importants dans le livre : il s’agit des termes féral (feral) et patch. Aucun des deux n’est vraiment employé dans le langage courant.

Féral s’emploie pour un animal d’élevage qui s’est échappé de la ferme : un cochon qui a fui dans la forêt et vit tout seul est un cochon féral. Nous avons étendu ce concept à toutes sortes de non-humains qui sont en un sens le produit de projets humains, mais dont les humains ont perdu le contrôle. Ce sont les effets non planifiés des projets de construction des humains. Par exemple, une toxine industrielle qui s’échappe de l’usine et s’écoule dans le système local des eaux, ou bien une nouvelle souche de grippe aviaire qui apparaît dans un élevage industriel de poulets et infecte d’autres animaux, sont féraux.

Quant au terme de patch, il vient de l’écologie du paysage et se réfère à un endroit qui est cohérent, et qui se différencie des endroits voisins de manière évidente. Tel que nous l’entendons dans notre projet, un patch se forme à partir de l’effet féral : on ne peut jamais connaître sa taille ou sa forme en avance. Si on reprend nos exemples d’une toxine ou d’une maladie, le patch va correspondre à l’étendue de cette toxine ou de cette maladie. C’est cette étendue qui va nous donner la taille du patch. Notre argument dans ce projet est que pour aborder l’Anthropocène depuis le sol, nous devons commencer par les patches, et regarder les connections entre ces patchs et la planète.

Je voudrais vous donner deux exemples tirés du Feral Atlas, le projet collectif scientifique et artistique sur lequel est basé notre livre, et auquel ont contribué plus d’une centaine de personnes.

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Le premier exemple est issu de l’histoire du colonialisme français. Il vient d’un historien appelé Michael G. Vann, qui a étudié le Hanoï de l’époque coloniale, dans ce qui est aujourd’hui le Vietnam. Michael raconte que les colons français voulaient faire de cette ville une cité moderne, avec un système de tout à l’égout pour qu’elle soit hygiénique. Mais il s’est avéré que le système de canalisations des égouts était un endroit parfait pour les rats. Ils y ont si bien proliféré qu’ils remontaient dans les toilettes modernes que les colons avaient créées. Alors que les colons voulaient monter à quel point ils étaient loin de saleté qu’ils imputaient aux autochtones, ils ont littéralement élevé des rats dans leurs canalisations. Voilà un effet féral appliqué à une infrastructure.

Au lieu de partir d’un modèle planétaire comme le font les modélisations climatiques, nous partons du sol et nous invitons à regarder ces projets humains que nous appelons les infrastructures et leur effets féraux.

Anna Tsing

Mon deuxième exemple est celui de nouvelles souches de bactéries particulièrement dangereuses : à cause de l’emploi massif des antibiotiques, elles y sont devenues résistantes. De telles bactéries se développent désormais tout le temps. L’anthropologue Jens Seeberg a regardé les patches – en l’occurrence, les endroits où ces bactéries résistantes aux antibiotiques se développent – et il en a notamment trouvé deux : l’un au Danemark, son pays d’origine, autour des fermes à cochons, à qui l’on donne tellement d’antibiotiques à manger que des bactéries résistantes se forment tout le temps ; et l’autre en Inde, où il mène des recherches sur l’industrie pharmaceutique : là aussi, il s’écoule tellement d’antibiotiques dans les ruisseaux de la région que de nouvelles formes de bactéries résistantes se forment sans cesse et saturent la terre.

Ce sont les patches, dont on imagine aisément qu’ils pourraient s’étendre à la planète.

Notre livre défend ainsi une nouvelle manière de voir les défis environnementaux de l’époque. Au lieu de partir d’un modèle planétaire comme le font les modélisations climatiques, nous partons du sol, du terrain (ground), et nous invitons à regarder ces projets humains que nous appelons les infrastructures et leur effets féraux. Pour nous, l’Anthropocène est la somme de tous ces effets féraux, et de leurs patches.

©Feifei Zhou pour le Feral Atlas

Jade Lindgaard – Philippe Pignarre et Emilie Hache, vous qui connaissez bien le travail d’Anna Tsing et de ses collègues, quelle lecture faites-vous de cet ouvrage ? 

Philippe Pignarre – Quand j’ai découvert ce livre en anglais, je me suis dit : la traduction est une urgence. Car c’est un livre qui modifie toutes nos conceptions et bouleverse le domaine de l’écologie. Je suis depuis des années l’éditeur de Bruno Latour, qui appelait à atterrir et en avait fait tout un programme. Le projet d’Anna Tsing et de ses co-autrices réalise ce programme : il nous montre comment on atterrit.

L’originalité de ce livre, c’est qu’il est le premier livre sur l’Anthropocène qui n’a pas comme point de départ le réchauffement climatique. Son point de départ, ce sont toutes nos infrastructures, un mot qui doit être compris au sens très large : les navires, les centrales nucléaires qu’il faut arrêter, des immeubles et plein d’autres choses encore. Au bout d’un moment, nos infrastructures nous échappent et deviennent férales. Mais à l’image des cochons ou des chats qui s’échappent en forêt et deviennent non pas sauvages mais à moitié sauvages, nos infrastructures provoquent des effets inattendus, incontrôlés et incontrôlables : on ne sait pas comment les contrôler…

Avec cette approche, l’Anthropocène devient une série de patches, liés entre eux par des corridors. C’est une approche qui pose de nouvelles questions, et en fait disparaître d’autres – la question de dater l’Anthropocène devient par exemple hors de propos. Elle oblige aussi à reconnaître qu’il reste des patches de l’Holocène – des « patches holocéniques » – que l’on peut rencontrer dans nos différents parcours. C’est donc un livre qui nous propose une véritable révolution épistémologique sur le sens même de l’Anthropocène.

C’est aussi un livre qui foisonne d’histoires. Anna vous a raconté l’histoire des rats dans Hanoï occupé venant ronger les fesses des Français quand ils vont faire leurs besoins : voilà une histoire tout à fait fascinante. Mais on pourrait prendre un autre exemple : celui des coléoptères de la térébenthine, qui est très beau. Qu’est-ce que ces coléoptères ? Ils adorent les pins, surtout lorsqu’ils sont malades ou morts : ils se glissent entre l’écorce et le bois, et ils rongent. Or, ces coléoptères de la térébenthine ne sont efficaces que parce qu’ils ont fait alliance avec un minuscule champignon très particulier. Ils sont dans l’Oregon, cette région que connaît bien Anna Tsing – c’est là que démarrait son livre Le Champignon de la fin du monde. Il se trouve que par ailleurs, les Chinois, qui ont abattu une grande partie des forêts de leur pays, se sont mis dans les années 1980 à importer massivement du bois, notamment depuis les forêts de l’Oregon. Le coléoptère a donc voyagé avec les cargaisons de bois jusque dans la province du Shanxi. Là-bas, il s’est marié avec un autre champignon local, différent du champignon étasunien, qui l’a rendu mille fois plus agressif. Les coléoptères de la térébenthine se sont mis à dévorer le bois issu des pins coupés à une vitesse folle. Aujourd’hui, une question brûlante reste en suspens : est-ce que ce coléoptère et son nouvel hôte, le champignon chinois microscopique, vont faire le chemin inverse vers les Etats-Unis ?  Ce serait catastrophique pour les forêts de l’Oregon.

Lire aussi | Que demande la lutte politique aujourd’hui ?・Isabelle Stengers (2022)

Emilie Hache – En lisant Notre nouvelle nature, nous sentons qu’il s’agit du résultat d’un travail collectif, d’une multiplicité de personnes. Nous sentons aussi autre chose : le fait de faire partie d’une communauté scientifique. Pas seulement au sens où ce livre est écrit à plusieurs mains, mais au sens où il dialogue avec tout ce qui s’écrit depuis plus de 20 ans maintenant autour de la notion d’Anthropocène, dans les sciences humaines et sociales et dans les sciences naturelles. Ce livre clôture en quelque sorte un premier temps des débats sur l’Anthropocène : comment doit-on nommer cette époque ? Ne doit-on pas plutôt parler de Plantationocène ou de Capitalocène ? Est-ce que le fait d’introduire ce concept pourrait menacer la prise en compte des inégalités sociales ? Etc. Le texte d’Anna Tsing et de ses co-autrices prend en compte toutes ces discussions et sans y mettre un point final, il propose d’avancer, de passer à une étape suivante.

De fait, la manière de comprendre le concept d’Anthropocène est complètement transformée à la lecture de ce livre, d’une part parce qu’on l’aborde ici par le bas et non pas par le haut, et d’autre part, parce qu’il est largement défini par son incontrôlabilité – les autrices insistent beaucoup sur ce point dans le livre –lui conférant une dimension d’inconnu très forte sur ce qu’il va se passer à plein d’endroits.

Les histoires qui sont racontées dans le livre sont très dures, et pourtant, le fait de partir du terrain et de ne pas savoir ce qu’il va se passer rebat les cartes : cela ré-ouvre des possibilités d’action, alors que beaucoup de textes abordant l’Anthropocène d’en haut, nous paralysent et nous rendent impuissant·es. Je trouve qu’il y a à cet égard dans ce livre une radicalité dans la position de recherche, une revendication de responsabilité autant qu’une prise de risque. À quoi bon sinon faire ce genre d’enquêtes plutôt que de bloquer une mine de charbon ? Il faut se placer à la bonne échelle de la situation dans laquelle on est.

Une question me semble traverser tout le livre, qui porte sur l’épistémè moderne : la manière dont on a pensé la constitution des sciences pendant toute la modernité européenne n’est peut-être plus suffisante pour répondre à la situation anthropocénique qui est la nôtre. Elle fait même partie du problème. Comment prendre cette question à bras le corps en tant que chercheur·se en sciences humaines et sociales ? Cette question est posée à la fin du Champignon de la fin du monde. Ici, elle est au cœur de ce nouveau livre.

©Feifei Zhou pour le Feral Atlas

Il y a une très jolie traduction d’Isabelle Stengers et de Philippe Pignarre, qui parlent d’un Anthropocène « épistémiquement éclaté ». J’ai beaucoup aimé, car cela décrit bien les différentes propositions du livre comme sa méthodologie, qui procède par accumulation de théories de natures et de statures différentes, par empilements de savoirs scientifiques et de savoirs vernaculaires, sans certitude quant à ce qui marche ou ne marche pas, et en soulignant qu’on s’est privé de savoirs pourtant cruciaux mais qui ne passaient pas l’épreuve de la véridiction scientifique moderne. En ce sens également, cela réouvre les possibles. Avec ce livre, on a l’impression de voir l’épistémologie se renouveler de manière concrète, sous nos yeux.

À cet égard, il me semble que ce livre peut être un début de réponse au climato-scepticisme ou au climato-négationnisme. Je m’explique : le climato-négationnisme repose sur une conception moderne d’une science très surplombante, qui se présente de manière lisse et unifiée, et qui n’explique pas comment elle se fabrique. Le résultat est que, dès que l’on a accès à ses coulisses, comme cela s’est passé pour la fuite d’échanges d’emails entre scientifiques en 2009 [l’affaire dite du Climategate, où des scientifiques du Climatic Research Unit ont été accusés d’exagérer la gravité du changement climatique], alors on crie à la tromperie.

Or, tant que nos manières de faire science accompagnaient voire servaient les intérêts du système capitaliste, qu’elles nous permettaient d’exploiter encore mieux et encore plus loin le vivant, on ne discutait pas trop de la manière dont les sciences fonctionnaient – même si on n’était pas très au clair là-dessus. Mais aujourd’hui que ces mêmes sciences montrent avec rigueur les effets de cette exploitation généralisée, elles sont menacées d’être rejetées comme des théories du complot ou des points de vue parmi d’autres, qui ne mériteraient pas de considération.

En repensant collectivement ce que l’on entend par sciences, en refusant une version surplombante et en partant du bas, en acceptant de rediscuter les rapports entre sciences et savoirs traditionnels ou entre sciences humaines et sociales et sciences dures et en mettant en scène la production de ce savoir, Anna Tsing et ses collègues participent à mon sens à redonner confiance dans nos manières de faire de la science. Elles permettent ainsi de fabriquer des connaissances sur lesquelles on peut s’appuyer pour comprendre la situation et pour défendre celles et ceux à qui on tient.

Aujourd’hui que les sciences montrent avec rigueur les effets de l’exploitation généralisée, elles sont menacées d’être rejetées comme des théories du complot ou des points de vue parmi d’autres, qui ne mériteraient pas de considération.

Émilie Hache

Jade Lindgaard – Merci beaucoup pour vos interventions. Je voudrais maintenant inviter Anna Tsing à se livrer à un petit exercice que je lui ai proposé, qui est de donner trois exemples tirés de l’Atlas féral : un exemple positif, un exemple désastreux, et un exemple indéterminé au sens où l’on ne sait pas encore ce qui va se passer.

Anna Tsing – Je trouve l’exercice très amusant et je pense qu’il peut conduire à aborder des problèmes importants.

Un premier exemple d’effet féral positif, donc : je pense aux recherches d’un spécialiste des amphibiens et en particulier des grenouilles, qui a trouvé que dans les banlieues des villes étasuniennes, une espèce de grenouille appelée la grenouille verte se porte mieux que jamais. Je précise qu’aux Etats-Unis, la banlieue (suburb) est une zone relativement riche et verte avec des arbres, des parcs et un accès aux aménités de la campagne. Ces grenouilles vertes habitent dans les mares ou les étangs ornementaux que les gens aménagent dans ces zones habitées mais peu denses. D’autres grenouilles forestières déclinent ou disparaissent de ces zones, mais la grenouille verte a trouvé un nouvel habitat dans ce type particulier d’établissement humain.

L’exemple suivant est un exemple entièrement négatif. Le phosphore est un élément dont nous avons besoin pour la vie : on ne peut pas vivre sans. Mais l’agriculture industrielle en a fait un vrai danger en le répandant dans des champs où il est lessivé et ruisselle dans les eaux. Dans l’eau, le phosphore devient tellement dense qu’il tue toute vie. Je me réfère ici à l’enquête de terrain de l’anthropologue Zachary Caple, qui travaille en Floride dans une région où l’agriculture industrielle a complètement transformé les paysages. Les zones humides sont particulièrement affectées par cet excès de phosphore qui ruisselle depuis les champs. L’écologie locale a été chamboulée, ça a tué les poissons et les plantes aquatiques, et créé des zones envahies par les algues, où rien d’autre ne peut pousser. Tout suffoque et meurt. Ce phosphore, qui encore une fois est quelque chose dont tous les êtres vivants ont besoin pour vivre, est devenu une menace pour la vie.

Dans le troisième exemple que j’ai choisi, on ne sait pas vraiment pas comment ça va évoluer. Quand j’ai rencontré la spécialiste des fourmis Déborah Gordon, elle était terrifiée par une nouvelle fourmi qui semblait en passe de conquérir l’ensemble de la Californie, où nous habitons toutes les deux. On appelle cette fourmi la fourmi d’Argentine, et il semble qu’elle est arrivée sur des bateaux de sucre. Elle est particulièrement dangereuse car elle construit des super-colonies avec de multiples reines : quand on tue une reine, il en ressort plusieurs. On ne peut donc pas les empoisonner, car cela les fait proliférer davantage. Elles pourraient ainsi menacer les multiples espèces indigènes de fourmis, qui ont des rôles écologiques très importants en Californie.

Ces dernières années, en poursuivant ses recherches, Déborah devenait cependant plus optimiste : dans le site qu’elle étudie, au sein d’une réserve naturelle, elle a observé que les fourmis locales réussissent à repousser les fourmis d’Argentine. Elle en a conclu que c’est seulement dans les établissements humains que les fourmis argentines réussissent si bien : il y a de la nourriture, de l’eau, de la chaleur et tout ce dont ces fourmis ont besoin. C’est donc avant tout dans nos cuisines qu’elles risquent de proliférer. Mais cela reste à confirmer. 

©Feifei Zhou pour le Feral Atlas

Jade – Merci Anna. Ce qui est extraordinaire avec ces exemples, c’est qu’en les écoutant, on a tout de suite envie de repartir chez soi pour regarder les cafards, les punaises de lit ou les rats du quartier ! Il y a quelque chose de simple mais de puissant dans l’idée que tout cet Anthropocène se passe chez nous, à la porte de notre logement, dans notre région. Et qu’il ne tient qu’à nous de regarder et de faire le lien entre ces mots énormes et écrasants comme changement climatique et écocide, avec toute ces vies qui se déroulent sous nos yeux sans qu’on y prête attention. C’est un appel à la curiosité et à l’observation, qui est rendue accessible à chacun·e. Car on n’a peut-être pas encore assez dit que ce livre est pensé comme un guide de terrain, un manuel pour observer en situation d’Anthropocène.

Philippe Pignarre – Je voudrais revenir sur deux points importants.

Le premier est ce terme de patch. Souvent, il y a un débat dans les réunions de militant·es qui font de l’écologie pour savoir si le réchauffement climatique est une nouvelle conséquence du capitalisme, un malheur en plus de tous ceux que nous a déjà fait le capitalisme. D’autres répondent qu’il ne faut pas raisonner comme cela car le réchauffement climatique change tout, y compris la définition du capitalisme, y compris les programmes pour se battre contre lui, ce qu’on peut faire ou imaginer comme autre société. Et le changement climatique devient ainsi la grande cause. Mais Anna Tsing nous dit que ni l’un ni l’autre de ces points de vue n’est le bon car ils impliquent de regarder depuis le sommet, pour décider de ce qui englobe ou de ce qui est englobé.

Et c’est là que le terme de patch est utile, car c’est un point de vue qui donne une prise : c’est une nouvelle manière de définir un territoire par le concernement que ce territoire crée.

Avec Isabelle Stengers, on a hésité à traduire ce terme patch : en anglais c’est facile, mais en français un patch désigne surtout des pansements pharmaceutiques imbibés de nicotine ou d’autres produits, conçus pour se faire une perfusion lente d’un produit chimique.

Comme il s’agit de territoire, nous avons interrogé les géographes français·es pour savoir quoi faire, qui nous ont dit que ce terme est de plus en plus employé en géographie. L’avantage est qu’un patch n’est pas défini a priori – est-ce que l’Île de France est un patch ? je n’en sais rien – mais il est défini par le travail des scientifiques, des militant·es, de toutes les personnes qui sont concernées.

Ce patch peut être petit, comme l’habitat de la grenouille dont on parlait tout à l’heure, ou bien très grand : l’un des patches du livre est par exemple la Mer noire, qui était jadis très poissonneuse jusqu’à ce que des navires y larguent des quantités énormes de méduses avec leurs eaux de ballast, puis que l’agriculture intensive y déverse des intrants chimiques. Toute la mer est affectée, il n’y a plus de poissons. C’est ainsi que le patch est défini.

Il n’y a pas que la façon occidentale d’aborder l’Anthropocène, c’est-à-dire celle des scientifiques qui étudient les effets du changement climatique : il y a de nombreuses façons de le ressentir, de l’analyser et d’en parler.

Philippe Pignarre

L’autre point que je trouve crucial est la dimension anticoloniale très forte qui découle du travail d’Anna Tsing et de ses collègues. Elles montrent bien qu’il n’y a pas que les Occidentaux qui sont concernés par l’Anthropocène : toutes les cultures et tous les peuples du monde y sont confrontés, y compris les peuples autochtones qui habitent dans des zones touchées par les inondations ou les feux de forêt. Et il n’y a pas que façon occidentale d’aborder l’Anthropocène, c’est-à-dire celle des scientifiques qui étudient les effets du changement climatique : il y a de nombreuses façons de le ressentir, de l’analyser et d’en parler. Mais que fait-on de tous ces points de vue différents sur les événements qui adviennent à un endroit particulier ? Pour Anna et ses collègues, il n’y a pas d’autre solution que de procéder en empilant (pilling). Il faut empiler les connaissances et les savoirs, aucun savoir ne doit triompher sur les autres. Je trouve que cette notion d’empilement des savoirs de tous les gens qui sont concernés mais qui ne sont pas dans les cultures scientifiques est très importante. À cet égard, il y a un chapitre – dont je ne vous cache pas qu’il a été le plus difficile à traduire : ça a été terrible ! – dans lequel Jenifer Deger, une collègue d’Anna, prend le point de vue des Aborigènes pour parler de ce qui se passe en Australie. Ce texte montre qu’il est possible de voir les choses à partir de points de vue élaborés dans d’autres cultures, mais que c’est un travail très difficile.

Lire aussi | La vie plus qu’humaine・Anna Lowenhaupt Tsing (2019)

Jade Lindgaard – Je voudrais poser une question plus politique. Est-ce que ces patchs, que Philippe décrivait à l’instant comme des territoires redéfinis par le concernement qu’on a pour eux, pourraient être une bonne échelle d’organisation politique ? Une fois qu’on a cartographié ces patches, est-ce qu’on a un espace politique depuis lequel agir ? Je pose cette question en ayant en tête les Soulèvements de la terre, ce mouvement qui se mobilise notamment contre les grosses infrastructures d’accaparement de l’eau qu’on appelle les mégabassines. Je pense aussi à tout ce qui se porte dans la lutte contre l’A69, ce projet très contesté d’autoroute dans le sud-ouest de la France qui détruit des terres agricoles, des forêts et des zones humides, et que les élus locaux défendent mordicus en disant que c’est la condition de leur développement économique. Est-ce que ces patches, donc, peuvent être un endroit où on essaie de s’organiser politiquement ?

Anna Tsing – Oui, absolument. Je suis très inspirée par ce que j’entends depuis plusieurs jours que je suis en France sur les luttes qui ont lieu ici. Et surtout sur la manière de s’accrocher à la terre (holding on to land) autour des infrastructures. Tout à l’heure, dans la rue, on m’a donné un prospectus qui disait : « Stop au béton ! ». Et j’ai pensé : c’est exactement le genre de choses que nous défendons dans ce livre. Nous voulons avoir des luttes ancrées dans les lieux. Et nous contestons fortement l’idée que les infrastructures permettent la vie et sont positives pour tout le monde. Cette idée doit être passée au crible de la critique. Est-ce qu’une route vaut la disparition de terres agricoles, de forêts ou de zones humides qui peuvent nous aider d’autres manières ?

Je pense aussi que le fait de commencer avec des patchs permet à la mobilisation politique de traverser toutes sortes de lignes de différence afin de construire des alliances et des coalitions en vue de ce qui pourrait être des genres de combat très variés, mais qui pourraient peut-être travailler ensemble.

Nous contestons fortement l’idée que les infrastructures permettent la vie et sont positives pour tout le monde.

Anna Tsing
©Feifei Zhou pour le Feral Atlas

Jade Lindgaard – J’en arrive à ma dernière question. D’un côté, on voit toute la description foisonnante que ce livre propose et l’enthousiasme intellectuel, sensible et politique qu’il peut créer. D’un autre côté, on voit des élus, des parlementaires et des gouvernements qui continuent à faire comme si le monde n’était pas féral. Comme si on pouvait soutenir l’agriculture industrielle et ne pas prendre en compte les ravages des pesticides, comme si on pouvait soutenir la création d’emplois sans prendre en compte les destructions environnementales et sociales que vont entraîner la création d’énormes data centers – pour prendre des exemples récents dans la vie législative française. On est dans ce monde-là, où les décisions politiques économiques structurantes se prennent sur la base d’une vision du monde qui est vraiment très loin de ce décrit ce livre.

Ma question serait : comment est-ce que vous réfléchissez à cet écart, à cette distance qui semble-t-il se creuse ? Est-ce que vous voyez des moyens, des outils pour contrer cette distance ? Est-ce que cela ne nous conduit pas à une situation qui risque de devenir conflictuelle, très dure, très tendue, et loin du tissage de patches, d’humains et de non-humains que vous décrivez ?

Anna Tsing – Eh bien, je n’ai pas la réponse. L’un des défis les plus importants de notre temps est que même les pires projets, ceux qui ont les effets les plus catastrophiques, deviennent des modèles pour de nouveaux projets : ils sont répliqués en étant aussi mauvais que les premiers, sinon pires. C’est un énorme problème. Je ne veux pas clore cette rencontre sur un point négatif mais il est vrai qu’il y a une aggravation. Jusqu’à récemment, je pensais que je pouvais critiquer le fait de focaliser uniquement sur le changement climatique dès lors qu’il est question d’Anthropocène. Puisque le changement climatique était conventionnellement accepté, il y avait la place pour dire : voilà ce que vous ne savez pas, voilà ce qui est tout aussi important. Mais soudain, en tout cas dans mon pays, on n’est même plus sûr que le changement climatique soit reconnu par les élites. Il est même possible que les instruments conceptuels qu’on a utilisés pour pousser ces problématiques soient démantelés à l’heure où nous parlons.

Mais comme Emilie l’a dit, ce travail sur l’Anthropocène est un travail de scientifiques, d’activistes, d’artistes, d’agriculteurs, de pêcheurs et toutes sortes de gens. Donc je veux espérer que parmi nous tous, il y a encore les moyens de produire des « coalitions de patches (patchy coalitions) », pour en faire quelque chose qui vaut le coup.

L’un des défis les plus importants de notre temps est que même les pires projets deviennent des modèles pour de nouveaux projets : ils sont répliqués en étant aussi mauvais que les premiers, sinon pires. C’est un énorme problème.

Anna Tsing

Emilie Hache – En vous écoutant à l’instant, j’ai retrouvé le sentiment très paradoxal que j’ai eu à la lecture de Notre nouvelle nature, et dont je parlais tout à l’heure. La plupart des descriptions de patchs qui sont faites sont dramatiques, et vous insistez par ailleurs sur le fait qu’il n’y a pas de retour en arrière possible : les niveaux de féralité qui sont engagés par les infrastructures que vous appelez industrielles et impériales empêchent radicalement le retour à des cultures vernaculaires ou traditionnelles. Donc c’est un livre dur à lire, il y a une dimension vertigineuse.

Mais dans le même temps, peut-être parce qu’on est toujours au niveau du terrain, avec ces effets d’accumulation et de multiplication, on ne ferme pas ce livre avec un sentiment de désespoir absolu. Ce n’est pas fermé : il y a des pistes d’ouverture. Plus on identifiera des patchs, plus on participera à identifier les espaces et les échelles auxquelles on peut lutter. C’est en ce sens que le livre n’est pas paralysant et qu’il me semble y avoir une dimension active. Car même si ce livre est présenté comme une « suite » du Champignon de la fin du monde, ce serait plutôt Le champignon qui est la suite logique de celui-ci, puisqu’il se passe dans les ruines et raconte comment on fait pour vivre dans le monde désertifié.

Lire aussi | L’ère de la standardisation : conversation sur la Plantation・Anna Lowenhaupt Tsing et Donna Harraway (2024)

Image d’accueil : montage d’éléments du Feral Atlas.

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