flux Ecologie

Nous vivons actuellement des bouleversements écologiques inouïs. La revue Terrestres a l’ambition de penser ces métamorphoses.

▸ les 4 dernières parutions

24.12.2025 à 15:38

Liberté, égalité, communs : retour sur la guerre des paysans de 1525

Aurélien Berlan

Texte intégral (3086 mots)

Alors que les vents contraires soufflent de plus en plus fort sur l’écologie politique, aidez-nous à faire vivre cet espace éditorial et politique unique, où s’imaginent et s’organisent les écologies radicales.

Merci ! On compte sur vous !

Je soutiens la revue
Temps de lecture : 13 minutes

Il y a cinq cents ans eut lieu la plus puissante révolte populaire ayant ébranlé l’Europe avant 1789 : la « Guerre des paysans allemands ». Cette tentative de renversement de l’ordre féodal commence dans le sud-ouest de l’Allemagne actuelle (à l’époque, il s’agissait du Saint-Empire romain germanique), mais se diffuse bien au-delà, débordant sur les territoires suisses, autrichiens, italiens et français (dont seul l’Est est concerné, de l’Alsace à la Franche Comté

Ce mouvement se situe dans le sillage de la Réforme (qui commence vers 1517) et lui est étroitement lié : la remise en question par Luther de l’Église établie et de son autorité suprême, le Pape, ouvre les vannes de la contestation de la société féodale que la religion catholique contribuait à légitimer et dont elle était l’une des composantes essentielles, avec son riche clergé possédant d’innombrables domaines exploités, comme ceux des seigneurs, par une paysannerie soumise au servage. Plus précisément, elle rouvre les vannes de la contestation : la Guerre des paysans a été précédée d’une longue série de révoltes, notamment le mouvement Bundschuh qui la précède immédiatement

Chronique de Weissenau sur la guerre des paysans de 1525. Archives générales princières de Waldburg-Zeil, château de Zeil, ZA Ms 54, vers 1525, pages 42-43.

Le plus connu des intellectuels religieux ayant participé à la Guerre des paysans est Thomas Müntzer. D’abord partisan de Luther, ce prédicateur s’est rapidement opposé à lui pour radicaliser la Réforme dans un sens social et politique. Son nom est associé au renouveau de la vieille formule omnia sunt communia (tout est à toutes et tous), libérée des restrictions qui l’accompagnaient par le passé (relatives aux situations de nécessité : cette formule servait à justifier la transgression des règles de propriété, mais seulement en cas de dénuement extrême). Souvent présenté comme un précurseur du communisme moderne

Merci de votre abonnement !

S’il me semble important de rappeler l’existence de ce mouvement à l’occasion de son 500ème anniversaire, ce n’est pas seulement pour honorer la mémoire des vaincus de l’histoire. Cette révolte a eu la spécificité, par rapport à d’autres « jacqueries », de formuler explicitement des revendications de liberté, à l’instar des révolutions américaines et françaises du XVIIIe siècle. Elles témoignent toutefois d’une compréhension originale de la liberté, différente de celle qui s’est imposée dans notre culture depuis ces révolutions « fondatrices ». Se la remémorer n’est pas sans intérêt aujourd’hui, à l’heure où le désastre socio-écologique invite à repenser le « grand récit » de la liberté moderne

1525 met en question la manière usuelle de nous représenter notre histoire : 250 ans avant la Révolution française, la paysannerie réclamait déjà la liberté et l’égalité.

En 1525, les insurgés ont exprimé leurs griefs sous diverses formes, dont tout une série de listes de revendications. La plus connue est la brochure communément appelée Les Douze Articles de la paysannerie, sorte de plateforme adoptée en mars 1525 à Memmingen (Souabe) par les représentants de diverses bandes rebelles. Contrairement à d’autres textes contenant de nombreuses exigences locales, les Douze Articles se caractérisent par un haut degré de généralité qui contribue à expliquer leur diffusion remarquable. Comme le rappelle l’historienne Lyndal Roper dans un livre récent, « Les Douze Articles devinrent un document partout reconnu par le mouvement, même si les rebelles ne savaient pas exactement ce qu’ils contenaient, et même si de nombreuses régions les révisèrent pour les adapter aux particularités locales. Bientôt, cette brochure fut reproduite en masse, grâce à la nouvelle technique d’imprimerie, l’invention des caractères mobiles, […] et elle se répandit dans toute l’Allemagne. On pouvait tenir dans sa main ces Douze Articles, pointer du doigt chaque doléance et se référer aux passages bibliques qui prouvaient leur piété »

Troisième page des douze articles de Rappertsweiler du Seehaufen dans la guerre des paysans allemands de 1524/25. Date : 11 mars 1525.

Rappelons le contenu de ces douze articles en nous basant sur une version française qui diffère de la version de Memmingen, notamment par sa concision et sa détermination

Article 1. – L’Évangile doit être prêché selon la vérité, et non selon l’intérêt des seigneurs et des prêtres.

Article 2. – Nous ne payerons plus de dîmes, ni grandes ni petites.

Article 3. – L’intérêt sur les terres sera réduit à cinq pour cent.

Article 4. – Toutes les eaux doivent être libres.

Article 5. – Les forêts reviendront à la commune.

Article 6. – Le gibier sera libre.

Article 7. – Il n’y aura plus de serfs.

Article 8. – Nous élirons nous-mêmes nos autorités. Nous prendrons pour souverain qui bon nous semblera.

Article 9. – Nous serons jugés par nos pairs.

Article 10. – Nos baillis seront élus et déposés par nous.

Article 11. – Nous ne payerons plus de cas de décès.

Article 12. – Toutes les terres communales que nos seigneurs se sont appropriées rentreront à la commune.

Pour comprendre chacun de ces articles et leur portée politique, il faudrait nous replonger dans les rapports sociaux, les modes de vie et les évolutions de l’époque (l’art. 11 fait ainsi référence à la mainmorte, une taxe à payer en cas de décès au seigneur, qui s’appropriait ainsi une partie de l’héritage). À défaut de pouvoir le faire ici, je vais me contenter d’une brève comparaison avec la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, afin de mettre en évidence les continuités et les différences entre la conception paysanne de la liberté basée sur les communs et la conception bourgeoise libérale fondée sur la propriété privée.

Les Douze Articles font effectivement penser à la déclaration de 1789 et sont souvent présentés, avec la Magna Carta de 1215, comme ses précurseurs. Dans la mesure où chacun des articles réclame l’abolition d’un aspect de la domination féodale, ils expriment tous l’exigence de liberté. Mais c’est l’article 7 qui la formule avec le plus haut degré de généralité : promulguer la fin du servage revient à instituer le principe d’égale liberté personnelle de tous (en 1789, c’est l’article premier). Comme en 1789, ce principe fondamental se décline en droits de participation politique, sous diverses formes : le droit d’élire et de déposer les titulaires de l’autorité (art. 8 et 10 – l’art. 5 de la Déclaration de 1789 évoque le droit de concourir à la formation de la loi et d’accéder aux emplois publics), ainsi que le droit de participer à l’application du droit (art. 9, contre la justice féodale qui était aux mains des nobles, à rebours de toute équité judiciaire – la version de Memmingen exige en outre, pour éviter l’arbitraire judiciaire, la codification du droit).

Les paysans revendiquent pour tous les droits de chasse et de pêche monopolisés par les nobles et défendent une réappropriation des forêts et des terres accaparées par les puissants.

Signe de l’ancrage historique dans la Réforme, le premier article exige la neutralité dans l’interprétation de la Bible – la version de Memmingen exige en outre le droit pour chaque communauté d’élire (et si nécessaire de destituer) son pasteur. Trois articles portent ensuite des revendications économiques et fiscales (art. 2, 3 et 11), mais ce sont les quatre articles non encore évoqués qui manifestent toute l’originalité de la conception de la liberté portée par les insurgés. Affirmer que le gibier et les eaux sont « libres » (art. 4 et 6) est une sorte d’ellipse : ce n’est pas le gibier qui est « libre », mais les humains qui peuvent librement le chasser, ce qui suppose qu’il soit en « libre-accès ». S’il s’agit ici de revendiquer pour tous les droits de chasse et de pêche monopolisés par les nobles (fin des privilèges), la même idée d’une réappropriation des ressources accaparées par les puissants est au cœur des articles 5 et 12, cette fois en référence aux forêts et aux terres. En toile de fond historique de ces articles, il y a le processus de privatisation des communaux (enclosures) dont Marx a montré le rôle crucial dans la genèse du capitalisme moderne, basé sur la « séparation radicale » des travailleurs avec les moyens de production et de subsistance

Lire aussi | Autonomie : l’imaginaire révolutionnaire de la subsistance・Aurélien Berlan (2021)

Dans les Douze Articles, la liberté a ainsi un versant matériel : elle suppose le libre-accès aux ressources et le droit de participer à la gestion de ce qu’on appelle aujourd’hui des communs. La Déclaration de 1789, elle, ne fait pas la moindre allusion à cette dimension de la question. Celle-ci n’avait pas disparu à l’époque, elle restait présente dans les cahiers de doléances. Mais la Déclaration n’est pas tant l’expression du « peuple français » invoqué dans le préambule que de la bourgeoisie en pleine ascension sociale. La centralité de la propriété en témoigne : l’art. 2 pose que les « droits naturels et imprescriptibles de l’homme » sont « la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression », et l’art. 17 que « la propriété est un droit inviolable et sacré ». La liberté est, on le voit, immédiatement associée à la propriété au sens que ce terme a pris à l’époque : la propriété privée ou, pour éviter tout malentendu, la propriété marchande (centrée sur l’abusus et non l’usus) qui caractérise le droit moderne et que l’on peut accumuler sans limite

La liberté a un versant matériel : elle suppose le libre-accès aux ressources et le droit de participer à la gestion de ce qu’on appelle aujourd’hui des communs.

Tout en partageant l’exigence d’égale liberté personnelle, les textes de 1525 et de 1789 témoignent de conceptions différentes de la liberté, ancrées dans des mondes distincts.

Soldats et paysans lisent le prospectus pour connaître les 12 articles.

Les Douze Articles sont l’expression d’un monde rural et agraire « où les humains vivaient en étroite collaboration avec les animaux, le milieu naturel et où les aléas climatiques avaient une importance que les générations modernes ont souvent oubliée. Les relations entre le travail, la récolte, la nourriture et leur survie était pour eux évidentes ; la subsistance de chacun n’était pas dépendante d’entreprises puissantes et de processus industriels aussi complexes que mystérieux »l’égal accès aux ressources. Celui-ci est la condition de l’autonomie matérielle, comme capacité à prendre en charge les nécessités de la vie, donc de la liberté – sinon on se retrouve sous dépendance matérielle, situation qui tôt ou tard pousse celles et ceux qui y sont acculés à se mettre au service des puissants qui contrôlent ces ressources. Indissociable de la conscience que l’accaparement des ressources est un levier de la domination sociale, cette approche de la liberté est aussi collective et même communaliste

La capacité à prendre en charge les nécessités de la vie permet d’exercer sa liberté collectivement sans être sous la dépendance matérielle d’une structure sociale hiérarchique.

Les déclarations des droits du siècle des Lumières témoignent en revanche d’une conception plus individualiste, urbaine et abstraite de la liberté. Elles présupposent un individu coupé de toute communauté locale ainsi que des ressources permettant l’autonomie matérielle : un individu dont le modèle est implicitement le bourgeois qui, en ville, s’approvisionne par le moyen du marché – dispositif qui, dans les conditions modernes, permet aux riches de se délivrer des nécessités de la vie en se déchargeant des tâches correspondantes sur les plus pauvres. Cette liberté indissociable du marché s’éprouve dans l’expérience du choix et le sentiment de souveraineté du moi. En se nourrissant de l’élargissement des possibles et de l’accumulation de propriétés, elle se gagne contre la subsistance et les « communs » qui permettaient de l’assurer – et bien sûr contre les « gens du commun » aux dépens de qui les individus fortunés vont pouvoir vivre

La cruauté des prêtres condamne à une mort certaine les paysans lors de l’assaut des remparts de Würzburg, le 15 mai 1525. Friedrich Hottenroth, vers 1877.

En montrant que le principe d’égale liberté n’est pas une innovation bourgeoise, 1525 remet en question le grand récit de la liberté moderne et la manière dont notre civilisation occidentale se justifie. Ce principe était déjà au cœur des luttes paysannes depuis longtemps, mais sous une forme qui, loin d’impliquer la sacralisation de la propriété, supposait la défense des biens communs. Cette conception paysanne et communaliste de la liberté ne donne sans doute pas une aussi grande latitude d’action aux individus (du moins à celles et ceux que leur richesse met en position de pouvoir sur le marché). Mais elle n’aboutit pas en pratique à déposséder les populations de l’accès aux ressources permettant leur autonomie. En mettant des bornes à l’appropriation privée et en favorisant l’autonomie matérielle des populations, elle évoque des aspirations et des pratiques qui sont au cœur de l’écologie politique. Ce que le désastre écologique invite à questionner, ce n’est pas la liberté, mais une certaine conception qui s’est imposée contre d’autres approches, au point de les occulter complètement : une conception individualiste et marchande basée sur la propriété et l’expérience du choix, dont le triomphe actuel, chez les libertariens, pousse à l’obscurantisme socio-écologique et, au final, à l’abandon pur et simple du principe d’égale liberté.

Lire aussi | Réécrire l’histoire, neutraliser l’écologie politique・Aurélien Berlan (2020)


Image d’ouverture : Chronique de Weissenau sur la guerre des paysans de 1525. Archives générales princières de Waldburg-Zeil, château de Zeil, ZA Ms 54, autour de 1525, pages 22-23.

SOUTENIR TERRESTRES

Nous vivons actuellement des bouleversements écologiques inouïs. La revue Terrestres a l’ambition de penser ces métamorphoses.

Soutenez Terrestres pour :

  • assurer l’indépendance de la revue et de ses regards critiques
  • contribuer à la création et la diffusion d’articles de fond qui nourrissent les débats contemporains
  • permettre le financement des deux salaires qui co-animent la revue, aux côtés d’un collectif bénévole
  • pérenniser une jeune structure qui rencontre chaque mois un public grandissant

Des dizaines de milliers de personnes lisent chaque mois notre revue singulière et indépendante. Nous nous en réjouissons, mais nous avons besoin de votre soutien pour durer et amplifier notre travail éditorial. Même pour 2 €, vous pouvez soutenir Terrestres — et cela ne prend qu’une minute..

Terrestres est une association reconnue organisme d’intérêt général : les dons que nous recevons ouvrent le droit à une réduction d’impôt sur le revenu égale à 66 % de leur montant. Autrement dit, pour un don de 10€, il ne vous en coûtera que 3,40€.

Merci pour votre soutien !

Soutenir la revue Terrestres

Notes

PDF
19.12.2025 à 10:35

Logique du capitalisme logistique, de la plantation à l’entrepôt

Jacopo Rasmi

Texte intégral (5640 mots)

Alors que les vents contraires soufflent de plus en plus fort sur l’écologie politique, aidez-nous à faire vivre cet espace éditorial et politique unique, où s’imaginent et s’organisent les écologies radicales.

Merci ! On compte sur vous !

Je soutiens la revue
Temps de lecture : 22 minutes

À propos du livre All incomplete. Alternatives au capitalisme logistique, de Fred Moten et Stefano Harney, paru en 2025 aux éditions Les Liens qui Libèrent ; traduction collective finalisée par Mabeuko Oberty.


Récemment traduit en langue française, All Incomplete, le dernier essai de Stefano Harney et Fred Moten, met au centre de sa réflexion la question du « capitalisme logistique ». Les auteurs, tous deux étasuniens – le premier enseignant à la KHM de Cologne, le second poète, performeur et enseignant à la New York University – sont surtout connus pour leur premier livre écrit à quatre mains : Les sous-communs (Brook, 2022), sur lequel nous reviendrons. Disons-le d’emblée : leur dernier ouvrage est ardu et diffère du style classique en sciences humaines et sociales. Il ne faut pas s’attendre à une prose didactique et progressive. Ce livre assez dense et foisonnant propose une réflexion qui mêle philosophie et sciences politiques, poésie et culture radicale black (tradition de pensée nord-américaine dont certains auteurs essentiels comme Cedric Robinson commencent à peine à circuler dans l’espace francophone

Quiconque réfléchit aux limites écologiques de notre système socio-productif trouvera des intuitions importantes dans les trajectoires théoriques vertigineuses que Motent et Harney élaborent autour de la question cardinale de la logistique. Dès 2009, l’antropologue Anna Tsing affirmait l’importance d’analyser notre situation en termes de « capitalisme de la chaîne d’approvisionnement (supply chain capitalism) » :

Le « capitalisme de la chaîne d’approvisionnement » désigne ici les chaînes commerciales basées sur la sous-traitance, l’externalisation et les accords connexes dans lesquels l’autonomie des entreprises impliquées est légalement établie, tout en les soumettant à une discipline au sein de la chaîne dans son ensemble.

C’est ce double mouvement corrélé de séparation en entités autonomes et compétitives, d’une part, et d’enchainement à un écosystème économique hégémonique, d’autre part, que nous retrouvons dans les analyses philosophiques d’All Incomplete. Les terrains de recherche anthropologiques d’Anna Tsing nous suggéraient, à ce propos, de ne pas nous attarder excessivement sur l’épouvantail de la standardisation globale, en nous invitant à voir plutôt comment cette forme de productivité capitaliste se fondait sur une variété (diversity) de « niches économiques fragmentés mais reliées ».

Merci de votre abonnement !

« La nature aime se cacher », disait une maxime célèbre d’Héraclitegender studies, de Bruno Latour à Timothy Morton en passant par Donna Haraway, on nous a appris à observer de manière critique les mécanismes culturels et politiques qui instaurent le périmètre du « naturel ».

Au sein de « l’écologie-mondejust in time ou de la consommation à la demande de biens et de services, la reproduction de nos modes de vies dépend d’un immense régime logistique qui soutient la production et la livraison de ce qui nous permet de communiquer, manger, lire, nous habiller…

La logistique aussi aime se cacher. La logistique préfère disparaître derrière ses effets, ses derniers maillons, ses services accomplis. Elle tente d’apparaitre comme neutre afin éviter d’être appréhendée comme un exercice de pouvoir et gouvernement

Dans l’essai Planète B, Gwenola Wagon écrit à propos du protagoniste B, avatar explicite de Jeff Bezos :

B a profité de l’accélération de l’information comme de l’envoi des colis pour raccourcir le temps de livraison. Réduire l’attente et court-circuiter l’espace-temps pour répondre instantanément au désir d’achat. Diminuer le coût de la consultation du site. Faire disparaître les traces de la locomotion et simuler que le produit est déjà là.

Gwenola Wagon, Planète B, 2022. https://gwenolawagon.com/publications/planete-b/

Le fonctionnement de la logistique peut être inscrit dans la tendance plus générale des médiations techniques à se cacher derrière le résultat qu’elles livrent – du moins tant que rien ne coince ou ne buggeblack boxes, elle s’inscrit dans la continuité historique de phénomènes majeurs tels que l’exploitation des énergies fossiles (charbon, pétrole…) ou l’invention du container.

Une des façons de rendre compte de cette réalité cruciale dans le champ théorique contemporain a été le développement d’études sur les questions infrastructurelles (Infrastructure Studies / Critical Infrastructure Studies), un domaine ancré surtout dans les sciences sociales

Le mot « infrastructure » évoque généralement des associations avec des réseaux physiques permettant le transport, la communication ou les services publics. L’infrastructure est considérée comme un substrat caché, le moyen de liaison ou le courant entre des objets caractérisés par des conséquences, des formes et des lois positives. Pourtant, aujourd’hui, au-delà des réseaux de tuyaux et de câbles, l’infrastructure comprend des micro-ondes émises par des satellites et des appareils électroniques miniaturisés que nous tenons dans nos mains. Les normes (standards) et les concepts qui déterminent à peu près tout – des objets techniques aux styles de gestion – constituent également une infrastructure. Loin d’être cachée, l’infrastructure est désormais le point de contact et d’accès manifeste entre nous tous – les règles qui régissent l’espace de la vie quotidienne

Raffard-Roussel, « Pêcher à l’aimant », 2021-2022. https://www.raffard-roussel.com/fr/activites-pecher/

Bien qu’on puisse ressentir une dilution face à cette ouverture de la focale conceptuelle, la perspective proposée par Esterling nous permet d’appréhender plus efficacement les dispositifs qu’on appelle « infrastructures » comme des objets complexes impliquant autant des couches matérielles et que des couches abstraites, des modifications des paysages terrestres tout comme des protocoles politiques internationaux ou des modulations d’espaces intérieurs subjectifs. Moten et Harney nous invitent précisément à observer le capitalisme logistique comme une combinaison d’éléments hard (des routes, des câbles, des zones de stockage, des canaux d’approvisionnement énergétique…) et d’éléments soft (programmes informatiques, ingénierie des flux, management des stocks, attentes sociales…). Si on prend, par exemple, l’infrastructure d’UberEats, nous pouvons comprendre la logistique de cet acheminement de repas à domicile comme un assemblage qui réunit une série de composantes enchevêtrées mais disparates : des véhicules particuliers, des algorithmes d’appariement demande/offre, un certain droit du travail, des smartphones connectés au réseau 5G, le désir de confort alimentaire dans un rythme de vie frénétique, des systèmes de paiement sécurisé en ligne, une cartographie interactive intégrant la géolocalisation en temps réel, une culture diffuse de l’auto-entrepreneuriat…

Raffard-Roussel, « Cage de Faraday de trottinette », 2022. https://www.raffard-roussel.com/fr/activites-dissimuler/

Le travail universitaire des études infrastructurelles n’épuise pas le spectre des gestes qui explorent ce domaine. De nombreuses opérations performatives et artistiques tentent d’entrainer collectivement une « proprioception infrastructurelle », selon le terme de l’artiste-chercheur Jamie Allen

Le simple sabotage des antennes 5G ou la cartographie visuelle du stack numérique ne suffisent pas tactiquement : elles doivent être accompagnées par la fabrication d’écosystèmes différents et plus désirables en termes écologiques et démocratiques.

Le même Jamie Allen a mis en évidence les limites d’un simple « dévoilement constructiviste » des infrastructures techniques, qui serait dépourvu de propositions tactiques pour des infrastructures alternatives. Il parle à ce propos de la nécessité d’une « rêverie infrastructurelle » qui activerait d’autres organisations socio-techniques par l’imagination et l’explorationstack numérique ne suffisent pas tactiquement : elles doivent être accompagnées, si on reste dans l’exemple du numérique, par la fabrication d’écosystèmes différents et plus désirables en termes écologiques et démocratiques (comme dans le cas du permacomputing ou du cloud associatif).

Ce court cadrage théorique permet de situer l’abstraction poétique de l’essai All Incomplete de Moten et Harney dans un contexte de réflexion et d’action politique plus vaste, ainsi que ses « alternatives au capitalisme logistique » mises en avant par le sous-titre de la traduction en français.

Bureau d’études, « Fichiers, Bases et Répertoires sociaux – Le dispositif Informatique », 2015. Version complète ici.

Mais qu’est-ce que donc le « capitalisme logistique » ? En trahissant partiellement la densité organique de l’écriture des auteurs, j’essaie de tracer les contours de cette perspective à la fois intellectuelle et lyrique après avoir participé à l’aventure collective de traduction de ce texte fascinant et fuyant. Cet exercice souhaite moins épuiser en la synthétisant sa prose originale qu’attiser le désir de se perdre dans le tourbillon de pensée et d’images d’All Incomplete.

Si le récit philosophique de la logistique dans « All Incomplete » s’échafaude autour de l’implication violente des corps, c’est aussi et surtout à cause de la référence raciale et esclavagiste qui l’inspire transversalement.

1. Amazon vient des cales sombres des navires négriers

Le problème de la logistique se manifeste pleinement dans le contre-jour de l’histoire coloniale – donc en amont de la motorisation, de l’automatisation ou encore de la numérisation qui ont alimenté la période d’expansion technologique et productive la plus récente, entre les XIXe et XXIe siècles. Ancré dans l’expérience passée et présente des communautés afro-américaines, All Incomplete présente « la logistique » comme « la science blanche » par excellence (p. 37). C’est dans l’appropriation et l’organisation déployées au sein de la traite esclavagiste et de la plantation que se forge à une échelle aussi grande que décisive cette science du flux : « Bien sûr, la logistique existait déjà en tant que pratique dans les affaires militaires, depuis qu’il y a des sièges, des invasions et des forts. […] La traite esclavagiste africaine et transatlantique a représenté la grande et hideuse introduction de la logistique de masse à des fins commerciales plutôt que militaires ou étatiques » (p. 180). Si le récit philosophique de la logistique dans All Incomplete s’échafaude autour de l’implication violente des corps (opposés au principe d’une expérience plus fugitive et moins individuelle de ce qu’on appelle dans le texte la « chair »

Tout en faisant un clin d’œil aux manifestations numériques contemporaines du pouvoir logistique, chez Moten et Harney l’emploi récurrent du terme « algorithme » résume une mise en forme plus vaste et profonde que le domaine des technologies digitales. Elle s’impose corporellement comme une pulsation musicale et chorégraphique (riddim) : « Être formé·e, c’est être formé·e dans ce rythme, être composé·e algorithmiquement, être contraint·e de porter ce rythme mais aussi de le développer, de l’améliorer, de l’exporter et de l’importer, ce qui revient à dire qu’être composé·e algorithmiquement, ce n’est pas seulement être battu·e, mais battre. » (p. 99). Cette représentation ample et poétique du capitalisme logistique esquissée par Moten et Harney peut surprendre car elle n’est pas immédiatement « infrastructurelle » comme celle de beaucoup d’analyses en sciences socialesAll Incomplete propose une interprétation plus-qu’infrastructurelle de la question logistique qui s’infiltre dans les pulsations physiques et affectives du sujet.

Gwenola Wagon, Planète B, 2022. https://gwenolawagon.com/publications/planete-b/

2. La logistique est Zen

Dans l’élan initial du livre, Moten et Harney se demandent : « que devons-nous tirer du fait qu’aujourd’hui la science qui semble avoir le plus réalisé la Doctrine du Cœur du bouddhisme Zen est la logistique ? » (p. 34). Cette doctrine prône une fluidité, une mobilité ou un vide qui s’avèrent être des conditions de prolifération idéales pour les opérations du régime logistique. Est-ce donc un hasard si ces disciplines orientales connaissent un si grand succès dans le monde contemporain ? La stratégie logistique adhère avec enthousiasme au ji ji muge bouddhiste entendu comme « non blocage » : « C’est la science de la logistique qui rêve de flux sans blocage et essaie de faire de ces rêves une réalité. La logistique hard et la logistique soft fonctionnent ensemble. Le yang de la Nouvelle Route de la Soie et le yin de l’algorithme fantasment tous les deux sur le non blocage. » (p. 34). Adepte acharnée de cette discipline zen, la logistique envisage la fluidité du vide comme une opportunité d’aménagement stratégique voué à la réalisation d’une accessibilité universelle et d’une mobilité sans frein. Le détournement du zen est l’emblème des aspirations totalisantes du capitalisme logistique.

Adepte acharnée de cette discipline zen, la logistique envisage la fluidité du vide comme une opportunité d’aménagement stratégique voué à la réalisation d’une accessibilité universelle et d’une mobilité sans frein.

Pour Moten et Harney, « la science capitaliste de la logistique » est condensée par la formule « mouvement + accès » (p. 71). Toute maladresse, toute déviation ou tout épuisement équivalent donc à un « sabotage » qui ralentit ou entrave ces principes de fonctionnement : « tout repos dans la vie sociale – ce que nous appellerions, avec Valentina Desideri, notre conservation militante, la fermentation de nos désirs – [est amené à être] dénoncé comme antisocial » (p. 186). Ici, il n’est pas question spécifiquement de « soulèvements infrastructurels » (infrastructural unrest) qui troublent au premier degré les flux de marchandises dans les entrepôts Amazon ou les flux de pétrole dans les pipelinesAll Incomplete nous encourage à penser des résistances « anti-héroiques » qui prennent forme dans une multitudes de moments « fugitifs » de socialité quotidienne où se réalise une soustraction au flux de la production et de l’organisation logistique. Si on reprend les catégories du matérialisme féministe, la pensée des deux auteurs étasuniens s’intéresse davantage aux couches « reproductives » de notre existence collective qu’à celles « productives ». Access denied : refuser l’accès signifie consentir au partage, précieux paradoxe.

La logistique tend ainsi à phagocyter les valeurs supposément émancipatrices de droit d’accéder et se déplacer dont devrait abstraitement jouir tout sujet. Ou, du moins, elle sème des doutes au sein de toute adhésion hâtive à la liberté d’accès ou de mouvementAll Incomplete nous apprend à nous méfier de l’universalité positive de ces droits, à y ressentir l’intrusion impitoyable des logiques capitalistes, bien qu’on ne doive pas arrêter de célébrer contextuellement la nécessité d’un accès culturel démocratique dans le champ numérique (open access, creative commons…) ou le droit de circulation contre les frontières. À cette conception du mouvement qui fait l’objet d’une critique en tant que volonté souveraine de l’individu et processus d’accumulation capitaliste on peut opposer le « mouvementement » dont parle la théoricienne Emma Bigé : une activation corporelle et un déplacement animé plutôt par de forces environnementales et transindividuelles

3. La logistique vise le kaizen

Le capitalisme logistique n’est pas uniquement Zen. Il aspire aussi au « kaizen », dans ses volontés de gestion pointilleuse. La logistique fonctionne selon une logique « d’optimisation » permanente et capillaire. Telle est la signification du terme japonais « kaizen » qui a été mobilisé historiquement pour exprimer l’esprit du toyotisme et la mutation du management industriel vers une flexibilité allégée (lean)

« L’importance de la marchandise n’est rien en comparaison de la qualité du flux qu’elle emprunte, qui est l’infrastructure que les travailleureuses fabriquent et rendent meilleure, plus résiliente. »

Fred Moten et Stefano Harney

Les systèmes d’évaluation et de mesure viennent au secours de cette optimisation ubiquitaire. Ils la guident, ils nous guident vers de nouvelles frontières d’efficacité et d’optimisation. Si le principe du kaizen trouve son ancrage historique dans le dépassement de la chaîne fordiste par le flux just in time toyotiste, il anime une tension plus générale de la modernité individualiste et capitaliste obsédée par ce que Moten et Harney appellent « l’usufruit » : à savoir, « la réunion de deux types d’amélioration – l’amélioration de soi et l’amélioration de la propriété au XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle » (p. 177). D’une part rendre plus fluide et efficace la structure productive et sa rentabilité, de l’autre inculquer cette soif de perfection et performance au sein de l’intimité personnelle.

Vous pouvez traduire « amélioration » par « progrès », si cela rend le raisonnement plus clair. Et il n’y a progrès que si on peut s’approprier quelque chose pour exercer pleinement son droit/devoir d’amélioration contre celleux qui n’en seraient pas capables. Le capitalisme logistique perfectionne voracement, il souhaite compléter ce qui est incomplet en chacun·e. Mais cette incomplétude imparfaite constitue le partage social le plus précieux et profond, ce qui nous rassemble et nous anime. L’améliorer signifie perdre cette socialité fondamentale, la dissiper ou la canaliser productivement : « Pouvons-nous accepter et embrasser une telle imperfection, pour continuer à imparfaire chaque effondrement logistique ancien et nouveau ? » (p. 201)

Gwenola Wagon, Planète B, 2022, https://gwenolawagon.com/publications/planete-b/

4. La logistique ne nous sépare individuellement que pour nous enchainer ensemble

Moten et Harney reprennent la structure binaire qui triomphe dans la technologie informatique pour résumer la tension qui structure le capitalisme logistique. Cette structure n’évoque pas uniquement le fonctionnement numérique, elle est présentée également sous la forme déjà mentionnée d’un rythme. C’est un « rythme qui tue » (p. 98). Il a deux temps corrélés : « Le premier temps sépare, délimite, isole chaque marchandise de la suivante. Le deuxième temps rend chaque chose égale à toutes les autres. Le premier temps fait de chaque chose une entité discrète. Le deuxième temps rend toutes choses identiques. » (p. 97) On ne sépare que pour mieux relier, on n’identifie que pour mieux homogénéiser.

D’une part, le gouvernement de la logistique impose de se posséder soi-même, de devenir individu autonome et agent souverain, de s’affirmer comme productivement autonome, de s’isoler, « d’être des fins en soi » (p. 167). De l’autre, il met inexorablement les entités individuelles au service du flux, enchaîne cette prétendue autonomie à un processus frénétique et global de valorisation où l’individualité est finalement emportée, subsumée : « Aujourd’hui la logistique nous mobilise et nous met en réseau comme elle ne l’a jamais fait auparavant. Elle fait de nous des moyens comme elle ne l’a jamais fait auparavant. Elle ouvre l’accès partout et à tout » (p. 166-167). Pour le dire autrement, l’univers socio-économique contemporain encourage un individualisme forcené tout en le mettant au service de dynamiques économiques et politiques qui dépassent largement la conscience et la volonté individuelle. D’où le corollaire du point suivant.

D’une part, le gouvernement de la logistique impose de se posséder soi-même. De l’autre, il met inexorablement les entités individuelles au service du flux.

5. Le contraire de l’infrastructure n’est pas l’individu

On pourrait opposer instinctivement l’échelle personnelle et individuelle aux logiques impersonnelles et systémiques des écosystèmes infrastructurels, mais on risque de se tromper de solution, de penser qu’on résiste alors qu’on alimente l’ennemi. All Incomplete nous démontre avec véhémence ce que nous ressentons souvent comme un malaise sourd et confus : que les processus d’individuation et de subjectivation sont mis au service de la production d’un « surplus : volé, accumulé, régulé » (p. 166) qui nourrit le métabolisme capitaliste. En ce sens, Moten et Harney s’attellent à mettre à l’épreuve une certaine matrice foucaldienne et ses perspectives d’émancipation fondées sur un « souci de soi ». Ils rejettent les politiques du sujet et de l’individu, autant celles libérales basées sur des principes marchands que celles plus subversives basées sur une volonté d’émancipation individuelle : « toute forme de subjectivation, ou d’identité individuelle dématérialisée et isolée de l’écologie générale et générative de la société par le régime de travail propre au capitalisme logistique, est déjà liée à une chaîne de valeur attachant cerveau, esprit, identité et sujet. » (p. 187).

Penser contre la logistique ou contre l’échelle des systèmes infrastructurels ne signifie pas s’enfermer dans la forteresse de l’autonomie individuelle qui s’avère en être largement complice. La critique du capitalisme logistique déployée par Moten et Harney fait plutôt appel à un principe d’« antagonisme général ». La crête qui sépare ces expériences politiques opposées semble parfois fine et ambiguë – ce qui permet au premier de mieux s’accaparer les puissances du second et devenir moins intelligible. Bien que la dynamique impersonnelle et collective de l’antagonisme général pourrait rappeler certaines spécificités de la dimension logistique, il en constitue une subversion foncièrement radicale : « Au cœur de sa production [d’un tel antagonisme], il y a une certaine absence de discernement, une certaine différenciation qui ne divise pas, une consolation sans bornes contre l’isolement, une résonance haptique qui rend possible et impossible ce rythme meurtrier, la musique sous-commune qui échappe sans cesse à la logistique émergente de ce rythme mortel et l’épuise » (p. 98). Être antagoniste, généraliser cet antagonisme signifie concevoir et entretenir une résistance qui échappe à la confrontation guerrière et frontale, qui ne découle pas d’une précise rationalité stratégique. L’antagonisme qui est loué par All Incomplete consiste en une puissance solidaire et ubiquitaire qui ne cesse pas de se reproduire et de s’expérimenter dans le sous-sol d’une organisation capitaliste et étatique à laquelle la vie sociale refuse de se réduire.

6. L’informalité sociale excède toujours la mise en forme des flux

La logistique strie l’espace et le temps pour organiser des lignes de flux qui orientent les agitations locales et spontanées : « La logistique cherche à imposer une position, une direction et un flux à notre mouvement, à notre pédèse, à notre marche aléatoire, à notre errance vagabonde » (p. 166). Ainsi elle dessine des grilles dans lesquelles on canalise les lignes de fuites de ce qui s’oppose à l’appropriation et au gouvernement logistique. Ces fuites émergent sans cesse sous la forme de ce que Moten et Harney n’appellent pas seulement « antagonisme général » mais aussi « informalité ». Si le mantra de la logistique est l’accès, alors le principe de la socialité informelle est l’excès.

Si le commun demeure une perspective fondée sur des catégories politiques classiques comme l’individu ou la contractualisation, le sous-commun y échappe farouchement.

Ce qui excède renvoie à une impossibilité d’appropriation où nous nous retrouvons ensemble, donc à une sorte de puissance plutôt qu’à une diminution : « la préservation militante de ce que vous avez (un vous entendu comme un nous), dans la dépossession commune, qui est la seule forme possible de possession, de manière d’avoir en excès de celleux qui ont. » (p. 57). Et bien qu’il lui soit étranger et antagoniste, « le capital […] cherchera néanmoins à calculer, exproprier et brûler cet excès » (p. 149). La posture devient diagonale. Parler d’antagonisme permet d’éviter de parler d’ennemi, déplacer le terrain de l’affrontement, trahir moins la complexité de la situation politique dans laquelle nous sommes embourbé·es.

Harney Bernd Dittrich sur Unsplash.

7. À la souveraineté contractuelle s’oppose le principe de « jurisgenerativité » sous-commune

Dans leurs travaux précédents, Motent et Harney avaient forgé une formule devenue célèbre pour décrire la dimension informelle : « les sous-communs » (undercommons). Cette formule dialoguait explicitement avec le concept de communs devenu si central dans les mouvements politiques et écologistes contemporains pour en rejeter une certaine racine contractualiste et économiciste : « L’idée des communs comme un ensemble de ressources et de relations que nous (qui sommes par ailleurs exploité·es et exproprié·es) construisons ou protégeons, gérons ou exploitons » (p. 218). Si le commun demeure une perspective fondée sur des catégories politiques classiques comme l’individu ou la contractualisation, le sous-commun y échappe farouchement : « Être sous-commun·e, c’est vivre de manière incomplète au service d’une incomplétude partagée, qui reconnaît et insiste sur la condition inopérante de l’individu et de la nation, alors que ces fantasmes brutaux et insoutenables, avec tous les effets matériels qu’ils génèrent, oscillent dans l’intervalle toujours plus court entre le libéralisme et le fascisme. Ces formes inopérantes tentent toujours d’opérer à travers nous » (p. 218).

Dans les sous-communs s’exprime ce que Moten et Harney appellent une « force jurisgénératrice » (p. 89), aux antipodes des régulations du « contrat antisocial » (selon leur jeu de mot). Ils défendent par ce  concept de « jurisgenerativité » la capacité de produire des formes de vie collective par le bas et dans le partage, au lieu d’être gouverné·es par une souveraineté transcendante (ne serait-ce que celle d’un individu maître qui négocie avec un autre individu maître). Le simple fait de traverser ou habiter ensemble un certain espace public d’une certaine façon (par exemple dans le cadre d’une socialité afro-américaine) peut être appréhendé comme un moment « jurisgénératif » : « la vie noire, qui (con)sent à ne pas être seule en son irréductible socialité, est prise en flagrant délit de marcher – avec toute sa fécondité jurisgénératrice – au milieu de la rue » (p. 84)All Incomplete exprime, en ce sens, un anarchisme qui ne croit ni à la souveraineté de l’État ni à celle du sujet individuel. Et sa façon de ne pas y croire n’est pas la même, bien entendu, que cette logistique qui déborde sans cesse états et individus.

8. Le monde de la logistique s’empare de la terre

Qu’est que génère la logistique ? Un monde, essentiellement. Et ce monde infrastructuré par le capitalisme logistique se sert d’une façon extractive de la vie terrestre. À ce dernier élément se rattache la puissance de l’informalité qu’on a mentionné : « l’informalité terreuse de la vie » (p. 204), ou pour le dire autrement « la capacité résidente de vivre sur la terre » (p. 101). Par ces figures conceptuelles (monde/terre), le discours de Fred Moten et Stefano Harney exprime philosophiquement le fondement écologique sous-jacent à sa critique du capitalisme logistique qui, en ce sens, est appréhendé comme une saisie de la terre, comme un effort de la piéger et de la posséder : « Le mouvement de la terre doit être interrompu, contenu, ou affaibli ; ou alors, il faudrait pouvoir y avoir accès. Les terreux·ses doivent devenir clair·es et transparent·es, responsables et productif·ves, unifié·es dans la séparation » (p. 206).

L’appel à « tout bloquer » du 10 septembre 2025 exprimait la conscience de cette promesse de puissance qui vient de la soustraction aux injonctions du flux socio-économique du « capitalisme logistique ».

« Qu’est que ça fait d’être un problème dans la chaine d’approvisionnement de quelqu’un ? » se demandent les deux auteurs au milieu du livre. La question est bonne et complexe. Cela peut faire mal, si le quelqu’un en question décide de se débarrasser avec violence des entraves à la fluidité de sa productivité et de son progrès : de la violence sournoise d’un harcèlement administratif pour cellui qui chôme, jusqu’à la violence furieuse de l’expulsion policière d’une ZAD qui empêche le trafic aérien de s’améliorer par l’installation d’un nouvel aéroport. Le décret Sicurezza du gouvernement Meloni – par exemple – a récemment alourdi la criminalisation d’actions non-violentes propres au mouvement du soi-disant « terrorisme climatique » comme le délit d’obstruction du trafic routier ou ferroviaireAll Incomplete ne peut qu’approfondir et élargir la résonance de cet appel qui demeure suspendu à une mobilisation inachevée.

Image d’accueil : Pedro Farto sur Unsplash.

SOUTENIR TERRESTRES

Nous vivons actuellement des bouleversements écologiques inouïs. La revue Terrestres a l’ambition de penser ces métamorphoses.

Soutenez Terrestres pour :

  • assurer l’indépendance de la revue et de ses regards critiques
  • contribuer à la création et la diffusion d’articles de fond qui nourrissent les débats contemporains
  • permettre le financement des deux salaires qui co-animent la revue, aux côtés d’un collectif bénévole
  • pérenniser une jeune structure qui rencontre chaque mois un public grandissant

Des dizaines de milliers de personnes lisent chaque mois notre revue singulière et indépendante. Nous nous en réjouissons, mais nous avons besoin de votre soutien pour durer et amplifier notre travail éditorial. Même pour 2 €, vous pouvez soutenir Terrestres — et cela ne prend qu’une minute..

Terrestres est une association reconnue organisme d’intérêt général : les dons que nous recevons ouvrent le droit à une réduction d’impôt sur le revenu égale à 66 % de leur montant. Autrement dit, pour un don de 10€, il ne vous en coûtera que 3,40€.

Merci pour votre soutien !

Soutenir la revue Terrestres

Notes

PDF
18.12.2025 à 09:31

« L’écologie, ça suffit ! » : comprendre et contrer le backlash environnemental

La rédaction de Terrestres

Texte intégral (1274 mots)

Alors que les vents contraires soufflent de plus en plus fort sur l’écologie politique, aidez-nous à faire vivre cet espace éditorial et politique unique, où s’imaginent et s’organisent les écologies radicales.

Merci ! On compte sur vous !

Je soutiens la revue
Temps de lecture : 4 minutes

Table-ronde le jeudi 15 janvier 2026 avec la paléoclimatologue Valérie Masson-Delmotte, la géographe et activiste Sarah-Maria Hammou, les historien·nes Laure Teulières et Steve Hagimont et le chercheur en écologie politique Jean-Michel Hupé. Une rencontre organisée par Terrestres en partenariat avec Socialter, autour du livre Greenbacklash. Qui veut la peau de l’écologie ? (Seuil, 2025), à l’Académie du Climat à Paris (19h00-21h30).

Accord de Paris en 2015, mouvement climat en 2018… Encore récemment, on pouvait imaginer l’écologie en train de progresser dans les esprits. C’était sans compter le méchant retour de bâton des années 2020. Partout dans le monde, on observe d’importants reculs environnementaux : les rares avancées dans les politiques écologiques sont démantelées et les engagements climatiques bafoués ; la recherche scientifique est attaquée et ses financements compromis ; forages, mines et chantiers se multiplient, on investit dans la défense, dans l’IA et autres technologies mortifères au mépris des limites planétaires et de la démocratie la plus élémentaire. En Europe, les régulations sur l’agriculture, la déforestation, l’alimentation ou la chimie sont sapées au motif de « simplification »

Partout, on l’affirme haut et fort : l’écologie, ça suffit !

Comment expliquer cette hostilité à l’égard de l’écologie alors même que les bouleversements environnementaux empirent et n’ont jamais été aussi manifestes ? Car le backlash semble s’amplifier à mesure que la biodiversité s’effondre et que les mégafeux, les inondations ou les maladies liées à la pollution augmentent. Le tout dans un contexte de polarisation croissante – les inégalités ne cessent de se creuser tandis que les idéologies réactionnaires ne cessent de gagner du terrain, semblant renforcer la possibilité d’un fascisme 2.0 que certaines décrivent comme un « survivalisme monstrueux »

Dans un tel contexte, quel rapport entretient la catastrophe écologique avec la violence de la réaction qui touche celleux qui veulent la prévenir ? Et comment résister à ces tendances mortifères ?

Le livre collectif Greenbacklash – Qui veut la peau de l’écologie ? (Le Seuil, 2025), analyse ces reculs environnementaux. Dans ce nouveau « manuel pour dépolluer le débat public » qui fait suite à Greenwashing (Le Seuil, 2022), scientifiques, activistes et journalistes dressent ensemble une « cartographie des forces opposées à l’écologie », pour mieux comprendre les attaques qui visent autant les individus ou les associations que les institutions et les accords internationaux.

Ils et elles montrent que le backlash, l’ensemble des discours et des mesures hostiles à l’écologie, n’est pas aussi récent qu’on pourrait le penser – on observe ce phénomène dès les années 1970 – et n’est pas non plus aussi généralisé qu’il paraît : une majorité de citoyen·nes aspirent à des politiques publiques fortes pour lutter contre les pollutions et parer au changement climatique.

En désignant les acteurs du greenbacklash – lobbies, industries, politiques, médias… – et en décrivant leurs stratégies, l’ouvrage montre que le retour de bâton est avant tout une violente réaction de ceux qui auraient beaucoup à perdre si des politiques écologiques étaient engagées.

Écologie Hebdo n°279 (1978) : « Qui a peur des écolos ? » À retrouver sur archivesecolo, le site des ressources de la Fondation de l’écologie politique. https://www.archivesecolo.org/

Cette table-ronde entend analyser l’offensive en cours et esquisser des voies de relance des dynamiques écologiques. Elle réunira deux autrices de contributions sur les sciences et le climat et l’écologie dans les banlieues, ainsi que les trois coordinateur·ices de l’ouvrage, qui signent également des contributions sur les accusations en « écologie punitive » ou encore le rôle des médias et des journalistes.

Intervenant·es :

Sarah-Maria Hammou est géographe et responsable des programmes Justice climatique au sein de l’association Ghett’up, autrice du rapport «(In)justice climatique» (octobre 2024)

Valérie Masson-Delmotte est paléoclimatologue, directrice de recherche au CEA et ancienne co-présidente du groupe n°1 du GIEC

Laure Teulières est historienne, maîtresse de conférence à l’Université Toulouse Jean-Jaurès

Steve Hagimont est historien, maître de conférence à Sciences Po Toulouse

Jean-Michel Hupé est chercheur en écologie politique au CNRS à l’Université Toulouse Jean-Jaurès

Laure Teulières, Steve Hagimont et Jean-Michel Hupé ont co-fondé l’Atécopol (Atelier d’écologie politique) de Toulouse

La rencontre sera animée par Léa Dang de la revue Socialter et Maxime Chédin, Quentin Hardy et Emilie Letouzey de la revue Terrestres

Le jeudi 15 janvier 2026, de 19h00 – 21h30, à l’Académie du Climat – Salle des fêtes – 2 place Baudoyer – 75004 Paris

Entrée libre ! Inscription souhaitée ici : https://chk.me/i01zwCJ


Photo d’ouverture : designecologist sur Unsplash.

NOUS AVONS BESOIN DE VOUS !

Depuis 2018, Terrestres est la revue de référence des écologies radicales.

À travers des essais, enquêtes, traductions inédites et récits de résistances, nous explorons les nouvelles pensées et pratiques nécessaires pour répondre à la catastrophe écologique.

Chaque semaine, nous publions en accès libre des articles qui approfondissent les enjeux écologiques, politiques, et sociaux, tout en critiquant l’emprise du capitalisme sur le vivant. Plus qu’une revue, Terrestres est un laboratoire d’idées et un lieu de réflexions critiques, essentielles à l’élaboration d’alternatives justes et émancipatrices.

En nous lisant, en partageant nos articles et en nous soutenant, par vos dons si vous le pouvez, vous prenez le parti de l’écologie radicale dans la bataille culturelle qui fait rage.

Merci ❤️ !

Soutenir la revue Terrestres

Notes

PDF
16.12.2025 à 16:28

La bactérie et la goutte de pluie : une autre histoire des cycles de l’eau

Emma Haziza

Texte intégral (5550 mots)

Alors que les vents contraires soufflent de plus en plus fort sur l’écologie politique, aidez-nous à faire vivre cet espace éditorial et politique unique, où s’imaginent et s’organisent les écologies radicales.

Merci ! On compte sur vous !

Je soutiens la revue
Temps de lecture : 19 minutes

Ce texte est extrait du livre Vers des politiques des cycles de l’eau, dirigé par Marin Schaffner et Mathias Rollot, paru en 2025 aux éditions Le bord de l’eau dans la collection « En Anthropocène ».


En premier lieu, je voudrais témoigner d’une tendance de fond que j’observe au niveau mondial sur la façon d’approcher aujourd’hui une vision plus systémique de la science, plus appliquée également. La science doit venir résoudre des problèmes concrets du quotidien. Les enjeux liés à la cinétique rapide du changement climatique font partie de ces sujets qui nécessitent une recherche-action opérationnelle. J’observe de plus en plus de chercheur·es à l’échelle internationale prendre cette tangente vers plus de pluridisciplinarité, et qui font évoluer la recherche scientifique par des voies disruptives. Les approches en silo – depuis les grandes disciplines héritées – apparaissent à un nombre croissant de scientifiques comme un modèle en train de s’épuiser, car il ne répond plus aux problématiques immédiates de notre monde moderne, qui n’a plus le temps de collecter des données sur un temps long pour affirmer des tendances et engager des prises de consciences. Dans un monde en mouvement, dont la bascule est à la fois extrêmement rapide et parfois même violente, si l’on veut répondre aux enjeux de vulnérabilité territoriale, il y a une nécessité de plus en plus flagrante à travailler avec des approches pluridisciplinaires et transversales. Au fond, il s’agit peut-être de pouvoir approcher un territoire un peu comme on approche un être vivant.

Dans ce contexte, la question du cycle de l’eau qui nécessiterait une approche systémique (du fait de la complexité des enjeux en place) nous est enseignée dès le primaire de manière simpliste, comme un cycle renouvelable, sans intervention humaine au sein de chaque processus. Et quelque part, c’est cette image qui reste ensuite dans la conscience collective empêchant de se confronter à une réalité qui nécessite des actions de fonds comme d’urgence. À titre d’exemple, dès qu’il pleut, tout le monde est persuadé que le problème de sécheresse est résolu.

L’une des découvertes les plus incroyables de ces dernières décennies est que le cycle de l’eau n’existe et ne se renouvelle que grâce au vivant.

On oublie à quel point la nature est bien plus complexe que cela. L’une des découvertes les plus incroyables de ces dernières décennies – et qui illustre cette complexité – est le fait que le cycle de l’eau n’existe et ne se renouvelle que grâce au vivant. Ce ne sont pas simplement des molécules d’eau qui précipitent, s’évaporent, ruissellent ou s’infiltrent, mais une symbiose entre un microbiote atmosphérique composé de spores et de bactéries pathogènes de végétaux capables de générer les pluies. Une goutte de pluie ne prend donc naissance que grâce à un support et dans de nombreux cas, celui-ci est un organisme vivant, en l’occurrence une bactérie dont la stratégie de colonisation s’appuie sur sa capacité à fabriquer la pluie. On change alors de paradigme, ce n’est plus la forêt qui a besoin de la pluie mais la pluie qui se met à avoir besoin de la forêt pour exister.

Nos représentations générales sont formées de telle manière qu’on ne pense généralement qu’aux molécules d’eau et à leur changement d’états. L’approche de la complexité des systèmes naturels nous embarque dans une histoire merveilleuse dont on ne perçoit qu’une infime partie avec l’état actuel de nos connaissances. Or, de la même manière que nous-mêmes sommes fait·es de 100 000 milliards de bactéries et de seulement 37 milliards de cellules humaines, le cycle de l’eau est en interaction permanente avec de nombreux organismes vivants, et n’existe que grâce à eux.

Merci de votre abonnement !

De l’importance de regarder correctement les nuages

Pour poursuivre cette idée, j’aimerais prendre l’exemple de « l’ensemencement » des nuages. C’est un terme que l’on entend généralement pour qualifier une pratique humaine – et donc artificielle – qui consiste à provoquer des pluies en envoyant des molécules chimiques dans l’atmosphère. Cela se pratique depuis des décennies, que ce soit en Chine, en Australie, à Dubaï, ou encore au Mexique. Je précise ici qu’au niveau mondial est actuellement en train de se dérouler une chasse à cellui qui va récupérer l’eau de l’autre – et cette guerre de l’eau se joue sur trois plans, les eaux souterraines, les réseaux de surface, mais également au niveau de nos eaux atmosphériques.

Si on s’intéresse tout particulièrement à « l’ensemencement » naturel des nuages, en dehors de toute interaction avec les humains, cette phase est plus que nécessaire, puisque c’est la fonction intégrante de création de la pluie. Pour que la goutte d’eau puisse se former et passer ainsi de l’état de vapeur à l’état liquide, il faut un support, une sorte de « graine » (et c’est bien pour cela qu’on utilise le terme d’ensemencement comme on pourrait l’utiliser sur le plan agricole). À l’échelle de la planète, la majorité de ces « graines » sont des grains de sel arrachés aux mers et océans par les vents et transportés en haute altitude pour contribuer à la formation des pluies. C’est ce qui explique que 80 % des pluies se trouvent au-dessus des océans. Une partie de ces pluies formées (20 à 21 %) arrive sur les continents. S’opère alors ce qu’on appelle un recyclage continental, c’est-à-dire que ces pluies vont se renouveler au-dessus des terres émergées.

« L’ensemencement » naturel des nuages est largement dû à une bactérie qui peut former de la glace sur sa capsule et attirer ainsi la vapeur d’eau pour la condenser sous forme de microgouttelettes de pluie.

En 1982, un chercheur a mis en évidence le fait qu’une majeure partie de cette « graine » était en fait une bactérie (du genre Pseudomonas) qui a la faculté sur sa capsule d’être glaçogène, c’est-à-dire de former de la glace et d’attirer ainsi la vapeur d’eau en la condensant sous la forme de microgouttelettes de pluie. Une fois que celles-ci ont atteint un poids suffisant sur le plan gravitaire, les gouttes d’eau tombent et forment ainsi la pluie. Or cette bactérie est un pathogène sur l’ensemble du monde végétal. Elle a donc besoin des couverts végétaux pour proliférer, et être ensuite emportée en haute altitude pour contribuer à la formation de pluies. La nature nous a donc offert une bactérie capable de régénérer les pluies continentales.

La Sienne depuis la berge à Beslon. Photographie ©GANG – https://gvng.fr/constantia

Comprendre cela, c’est comprendre que, si l’on veut pouvoir régénérer des pluies en temps de sécheresse, nous avons besoin à la fois d’un maximum de couvert végétal (des forêts, mais aussi des champs) et du moins d’intrants chimiques possibles (car des tests montrent que ces bactéries sont tuées par les pesticides et meurent au-dessus de 30°C). À l’heure actuelle, dans le sud de l’Espagne, de grands problèmes de lutte contre les sécheresses se concentrent massivement sur la coupe d’arbres – car on estime qu’un arbre pompe 1 000 litres d’eau par jour, et que cela entre en concurrence avec les besoins humains. Des réflexions similaires existent aussi sur certains massifs forestiers en France. Les arbres, par leur évapotranspiration, sont pourtant aujourd’hui les meilleurs des climatiseurs – puisqu’ils répartissent la vapeur d’eau. Méconnaître le rôle de chaque élément du système et conserver une logique en silo conduit à des prises de décisions absurdes.

A-t-on donc vraiment bien compris la complexité et la magie extraordinaire de ces cycles de l’eau ? Les respecte-t-on ? Ne sommes-nous pas en train de regarder un problème plus vaste par des bouts de lorgnettes ? Les décisions qui sont prises en rapport avec la ressource en eau – toujours dans des logiques de production, de rentabilité et de concurrence – ont-elles encore un sens ?

Personne ne dit jamais qu’il n’y a pas de cycle du carbone sans cycle de l’eau : si vous n’avez pas d’eau dans vos sols, vous n’aurez jamais de captation de carbone.

Je pose ces questions car l’eau est au fondement de l’alimentation de tous les systèmes économiques. Il n’y a pas un seul système économique dans le monde qui ne s’appuie pas sur de l’eau. Si vous voulez de l’énergie, par exemple, il vous faut de l’eau – que ce soit pour aller chercher du pétrole, extraire du charbon, faire de l’hydroélectricité ou refroidir des centrales

Lire aussi | Face à la bataille de l’eau, l’hypothèse biorégionaliste・Mathias Rollot (2023)

Le réchauffement n’est qu’un épouvantail

On nous raconte également très souvent que tous les désastres climatiques en cours (ces inondations et ces sécheresses qui témoignent d’une accélération du cycle de l’eau) sont liés au réchauffement climatique. Pourtant, la majeure partie du dérèglement des cycles de l’eau est directement liée aux pratiques humaines – et aux manières dont iels perçoivent ces cycles, les gèrent et les exploitent. Dès le début du XXe siècle, on a ainsi assisté à une course – de la part des grands dictateurs comme des grandes puissances capitalistes – au contournement massif des cours d’eau. Cette tentative de domination de la nature était une manière de montrer que l’ingénierie humaine peut dompter et maîtriser les cycles ; et les États-Unis comme la Russie ont commencé à détourner leurs grands fleuves. D’ailleurs, le détournement des fleuves russes vers le Turkménistan et l’Ouzbékistan (avec 1,2 million de prisonniers de guerre – les fameux goulags), en vue de transformer d’immenses steppes désertiques en plaines luxuriantes de coton (celles-là même qui aujourd’hui permettent d’obtenir les volumes gigantesques nécessaires à la fast fashion), c’est ce qui amène aujourd’hui à la disparition de la mer d’Aral : et l’on voit que cela n’est en rien directement lié, de prime abord, au changement climatique. On voit donc bien avec cet exemple comment les systèmes économiques existants sont directement liés aux manières dont on a dominé l’eau et dont on a empêché toute possibilité de restauration de ces cycles entravés.

La majeure partie du dérèglement des cycles de l’eau est directement liée aux pratiques humaines – et aux manières dont les humains perçoivent ces cycles, les gèrent et les exploitent.

Partout sur la planète, il n’y a quasiment plus aucun endroit dans lequel cette eau n’a pas été pillée en surface. Mais l’autre mouvement corollaire, c’est celui du pillage en profondeur. En Inde, où l’eau affleurait historiquement à moins de 4 mètres quasiment partout, il y a désormais certaines régions où, même à 500 mètres de profondeur, on ne trouve plus d’eau. Un nouveau marché est même en train de naître en Inde, où les petit·es propriétaires terrien·es ne vendent désormais plus leur production agricole, mais leur eau (voyant passer tous les jours des dizaines de camions-citernes chez eux, pour emmener l’eau vers des endroits où il n’y en a déjà plus). Cela conduit à des désastres, absolument cruciaux à comprendre, car on assiste à des migrations massives, vers les grands centres urbains – en Inde mais aussi en Ouzbékistan ou en Chine –, de personnes qui ne peuvent plus rien faire pousser et parfois même qui n’ont plus à boire. Là encore, ces migrations ne sont pas directement liées au changement climatique, mais plutôt à nos modèles de consommation et à nos modèles d’aménagement. De la même manière, la majeure partie de l’effondrement massif de la biodiversité découle de la déstabilisation des chaînes trophiques, par la disparition des habitats et par les pollutions. En cela, le changement climatique n’est qu’un accélérateur de problématiques préexistantes. Nos émissions de CO2 ne sont qu’une couche supplémentaire sur des dérèglements plus profonds, découlant de nos modèles de sociétés.

A l’aube, brume sur la Sienne sous le pont de Hyenville. Photographie ©GANG – https://gvng.fr/constantia

Restaurer au lieu de bouleverser

Comprendre ces cycles de l’eau de façon systémique, cela permet en retour de pouvoir envisager de restaurer ces cycles, et de les ralentir. Ce que cela veut dire, c’est qu’une fois que la goutte d’eau tombe sur le sol, il va falloir lui faire suivre le chemin le plus long possible, pour qu’elle ait le temps au maximum de réussir à s’infiltrer. Car sur 100 % de pluie qui tombe, dans un cadre idéal, ce sont seulement 9 à 10 % qui pénètrent à l’intérieur des sols et rejoignent une nappe phréatique. On est donc dans un contexte où il faut envisager toute une série de solutions et de moyens pour parvenir à cela : jouer avec l’ombre et la limitation de l’érosion (c’est pour cela que l’on parle beaucoup d’agroforesterie et de haies), jouer avec des phénomènes de rétention naturelles ou biomimétiques (afin de recréer un maximum de verticalité dans ces cycles de l’eau accélérés), etc. Par exemple, dans la ville de Montpellier (où j’ai longtemps vécu), nous avions fait une étude sur tous les puits anciens, afin de retrouver les endroits où l’eau peut rejoindre la nappe ; et nous avons découvert que la seule zone encore restante d’impluvium, c’était le jardin des plantes historique de la ville. Sans ce jardin municipal qui est protégé, il n’y aurait plus un seul endroit aujourd’hui, dans une ville de cette taille, pour permettre une verticalité du cycle de l’eau.

Sur ces cinq dernières années en France, plus de 50 % des personnes qui ont été inondées l’ont été en dehors de zones inondables.

Or tout cela commence à se voir de façon flagrante. Sur ces cinq dernières années en France, plus de 50 % des personnes qui ont été inondées l’ont été en dehors de zones inondables. Cela ne veut pas dire que l’on mesure mal les zones inondables. C’est juste que les cartographies existantes s’appuient sur les tracés des lits mineur et majeur des cours d’eau, alors que l’eau aujourd’hui n’a même plus le temps de rejoindre les lits des rivières et des fleuves – et qu’elle prend donc d’autres chemins, non prévus par les cartographies existantes. Dans une telle situation de déshydratation des sols, le moindre axe d’écoulement préférentiel se transforme en véritable cours d’eau – par exemple une rue. Commencer à comprendre cela, c’est donc comprendre que le risque change, qu’il se modifie.

Lire aussi | Inondations et barrages dans la vallée de la Vesdre : l’aménagement du territoire en question ・Marie Pirard (2023)

En 2024, il a beaucoup plu (peut-être trop même, comme a pu le démontrer le nombre de sinistré·es d’inondations dans les Hauts-de-France), et on pourrait donc avoir l’impression que les problèmes de sécheresses des années précédentes sont résolus, et que nos nappes sont à nouveau bien pleines. Mais, c’est là où il est important de regarder ces enjeux à l’échelle de plusieurs années. Par exemple, l’année 2018 a beaucoup ressemblé à l’année 2024 (avec une crue majeure de la Seine, pour celleux qui s’en souviennent, et des nappes bien rechargées) ; et, pour autant, on a eu trois semaines de canicule en juillet qui nous ont fait rebasculer, presque sans transition, dans un état de sécheresse historique. Ce phénomène porte aujourd’hui un nom scientifique, et il est constaté partout à travers le monde : ce sont des « sécheresses éclairs ». Et nous ne sommes pas habitué·es à cela. Pour rappel, la grande sécheresse de 1976 (qui avait conduit à la création d’un « impôt sécheresse » pour tous les habitants – ce qui avait coûté son poste de Premier ministre à Jacques Chirac à l’époque) était une « sécheresse froide ». Il y avait eu alors une forte absence de précipitations, mais pas d’anomalie de température à la hauteur de ce que nous enregistrons ces dernières années.

Au début des années 2000, les zones de crise pouvaient correspondre à 2 % du territoire national ; à partir de 2017, quasiment chaque année, près de 90 % du territoire est en crise.

Or aujourd’hui, on peut avoir des sécheresses moins importantes en termes de manque de pluie, mais les températures de plus en plus caniculaires (qui peuvent dorénavant atteindre 42°C dès le mois de juin à Paris et 46°C dans le Sud, comme en 2019) génèrent des sortes de « sèche-cheveux » massifs, qui peuvent entraîner des bascules extrêmement rapides. Il va donc assurément falloir restaurer ces cycles rapidement, mais il va aussi falloir de l’agilité. Ça devient une urgence pour nos territoires. Ce sont pourtant des questions qui sont encore très loin de se poser, dans nos institutions, à la hauteur de ces urgences. Par exemple, en France, nous n’avons quasiment aucun·e expert·e sécheresse – car la question ne se posait que très rarement dans des climats tempérés comme les nôtres. Et donc, personnellement, j’ai dû me former sur le tas, à partir de 2017, en travaillant à partir de toute la littérature existante ; puis en essayant de modéliser, au plus près des territoires ce qui est en train de se passer, année après année. Tout cela demande de la recherche-action, mais aussi de « disrupter » les modèles scientifiques habituels.

Moutons de prés salés en bord de Sienne, dans le havre de Regnéville-sur-Mer. Photographie ©GANG – https://gvng.fr/constantia

Remettre les pieds dans les bassines

Pour finir, ce tour d’horizon, j’aimerais revenir sur les enjeux et les controverses des bassines – qui me paraissent être une autre très bonne porte d’entrée pour comprendre les problématiques et les enfermements systémiques qui sont aujourd’hui les nôtres. Mon enjeu ici sera de reposer le décor de manière globale.

Ainsi, si cette question des bassines existe, c’est d’abord parce que nous avons eu la crise de sécheresse de 1976 (que j’évoquais précédemment) et qui a fait très peur au gouvernement à l’époque. Gouvernement qui avait alors choisi l’option de préserver les cours d’eau et les nappes, plutôt que les autres usages, lorsque celles-ci se retrouvent dans des états de tension extrêmes. Une réglementation avait été mise en place, qui fait que – aujourd’hui encore – dès lors que l’on atteint un scénario qui ressemble à celui de 1976, des arrêtés préfectoraux sont pris dans les zones en crise, interdisant tous les usages qui ne sont pas considérés comme « prioritaires ». Ce qui est priorisé, c’est la salubrité publique, les hôpitaux et les eaux domestiques. L’irrigation agricole devient donc strictement interdite dans de telles périodes de crise. Au début des années 2000, il arrivait ainsi, certaines années, d’avoir des zones de crise qui correspondait à 2 % du territoire national ; puis 10 % du territoire au début des années 2010 ; et, à partir de 2017, quasiment chaque année, près de 90 % du territoire en phase de crise. On demande donc à une profession agricole – qui s’est appuyée sur un modèle d’irrigation massive comme on l’y a incitée durant des décennies – de stopper net son activité en été. Les agriculteur·es se retrouvent ainsi à devoir stopper des productions énormes en termes de volumes, qui sont destinées à l’export et qui représentent donc, en cumulé, des milliards d’euros. À noter au passage, en outre, que beaucoup de pays sont totalement dépendants de certaines de nos productions : le Maroc par exemple, avec notre blé. Les questions sont donc d’ordre économique mais aussi géopolitique, et elles sont extrêmement complexes.

Dans les bassines, l’eau stagne et avec l’apport aérien de matières organiques, croupit. Cette eau croupissante engendre un développement algaire et un risque de prolifération, notamment de salmonelle et de cyanobactéries.

Quand de telles décisions de crise sont prises, les instances agricoles se questionnent donc sur les manières de contourner ce schéma-là. Or, quand on regarde dans les textes, on voit qu’il est possible d’irriguer lorsque vous êtes dans une zone où il existe une retenue collinaire (c’est-à-dire, une sorte de mini-barrage qui permet de retenir des eaux d’écoulement qu’on utilisera avec un effet retard) – les retenues naturelles pouvant aussi être utilisées durant ces phases de crise. C’est ainsi que dans des zones complètement plates, telles que les Deux-Sèvres, où il n’y a absolument aucune possibilité de créer des retenues collinaires, on a eu l’idée de venir pomper dans les nappes, durant la phase hivernale, avant les arrêtés sécheresse du printemps. Ce qu’on appelle une « bassine », c’est l’équivalent de jusqu’à 260 piscines olympiques remplies avec de l’eau extrêmement pure – de l’eau souterraine protégée jusque-là tant sur le plan qualitatif que quantitatif. Cette eau est stockée dans une sorte d’immense bassin avec un fond plastifié en attendant l’été et la période de risque de restriction maximale. Sauf que dans ces bassines, il se passe un phénomène à la fois tellement logique et prévisible, et un danger connu par les humains depuis la nuit des temps : l’eau stagne et avec l’apport aérien de matières organiques, croupit. C’est un danger qui a particulièrement marqué les consciences collectives dans notre pays. Les épidémies de choléra ont engendré une défiance sur la relation entre l’eau et les humains. Et c’est une des raisons majeures qui a poussé la France à assécher une grande partie de ses marais et de ses zones humides, et d’éloigner l’eau des villes en endiguant les cours d’eau.

Pour en revenir aux bassines, cette eau croupissante engendre le développement algaire et le risque de prolifération, notamment de salmonelle et de cyanobactéries. Cela semble pourtant être du bon sens : on a tous déjà vu de l’eau stagnante dehors et constaté un changement de couleur et le développement de bactéries. À l’heure du changement climatique, d’autres risques comme le développement de moustiques-tigres s’additionnent. Certains témoignages de développement algaire dans certaines retenues de substitutions (dites « bassines ») sont tels que des plongeurs ont été envoyés pour décolmater les stations de pompage d’irrigation bouchées par les algues. Pour conclure, ces bassines représentent des systèmes qui ne servent même pas leur cause initiale, c’est-à-dire l’assurance d’un stockage d’eau efficace et de qualité. Il s’agit purement et simplement d’une appropriation de l’eau souterraine impliquant des grands exploitants, dont principalement des céréaliers, pour une eau qui au final n’est même pas assez qualitative pour être exploitée de manière sûre.

Lire aussi | Depuis le delta du Pô, regarder en face la crise climatique・Un groupe d’amis du Delta (2025)

Ces bassines sont donc le reflet d’un contournement de la réglementation, mais d’un contournement bien particulier, car ce sont les préfets qui à la fois interdisent les usages non prioritaires, tout en autorisant le pompage des bassines. Un double discours qui sert à essayer d’empêcher que certaines économies fragiles ne se retrouvent piégées face à un changement climatique trop rapide et trop violent. La France, d’ailleurs, fait partie des pays qui se réchauffent le plus rapidement dans le monde – on ne s’en rend pas forcément compte, mais notre territoire se réchauffe 20 % plus rapidement que la moyenne planétaire. Nous sommes donc, de fait, sur un temps de bascule qui est du même ordre que celui de la zone arctique ou du Canada. Sur l’Amérique du Nord et sur l’Europe du nord, les bascules sont particulièrement rapides ; et les systèmes agricoles ne peuvent pas réussir à s’adapter.

Avec cette controverse des bassines, on fait fi d’une véritable prise de conscience de ce qu’est le cycle de l’eau, et des problèmes profonds qu’il est en train de rencontrer. En pompant, on déconnecte la nappe de la rivière, ce qui déconnecte ensuite tout le vivant des cours d’eau, créant des à-secs plus rapidement…

Sources de la Sienne dans la forêt de Saint-Sever. Photographie ©GANG – https://gvng.fr/constantia

Le problème mondial des aquifères

La bascule mondiale en cours tend ainsi vers une perte de l’eau continentale – cette eau qui était dans nos cours d’eau et dans nos nappes. Une récente mission de la NASA (la mission « GRACE ») a montré, via deux satellites, que la variation de la gravité terrestre entre 2002 et 2017 est directement liée au niveau d’extraction des nappes d’eau souterraines, à l’échelle planétaire.

À ce jour, 21 des 37 plus grands aquifères du monde sont en voie d’extinction et de tarissement. Tout cela va poser des questions géopolitiques majeures dans les années et les décennies à venir. Des questions de migrations hydriques aussi, nécessairement. Car, par exemple, l’un de ces grands aquifères est en Chine et 1 milliard de personnes sont en train de se nourrir de riziculture directement dépendante de cette gigantesque nappe qui atteint des niveaux critiques. Ou encore, dans le Middle West américain, vaste région de plaines agricoles, il faudrait 2 700 ans de pluie pour restaurer les aquifères profonds. Il semble donc aujourd’hui impossible de résoudre les choses avec des solutions simples.

Rappelons que l’eau douce représente 2 % de l’eau mondiale, les nappes 1 % et nos cours d’eau 0,00028 %. Nos fleuves et nos rivières sont donc extrêmement fragiles.

À travers cet état des lieux, l’idée était de permettre une prise de conscience de cette nécessité d’une approche systémique par plusieurs prismes, qui s’avère fondamentale pour notre avenir. En se mettant de nouveau à respecter le cycle de l’eau, nous allons nous remettre à restaurer tous les cycles. Ensuite nous devons intégrer à quel point l’eau a des capacités exceptionnelles, c’est une vraie surdouée – elle est en effet à la fois solvant extraordinaire, elle refroidit, réchauffe et nous l’utilisons dans tous nos systèmes industriels sans exception. C’est aussi une eau (souvent invisible) qui fait qu’aujourd’hui nous sommes tout·es habillé·es et que nous nous nourrissons (notre bol alimentaire étant en moyenne composé de 3 000 litres d’eau par jour). Tout cela rend la problématique de préservation quantitative et qualitative de l’eau continentale cruciale pour le devenir de l’humanité.

Rappelons pour finir que l’eau douce représente 2 % de l’eau mondiale. Les nappes 1 %. Nos cours d’eau, eux, 0,00028 %. Nos fleuves et nos rivières sont donc extrêmement fragiles. Nos nappes sont en train d’être pillées. C’est notre avenir qui se joue devant nous. Alors gardons en tête que les cycles de l’eau sont non renouvelables et vivants ; et que sans eux, il n’y a plus rien.

Image d’accueil : « La Sienne à la sortie du barrage du Gast ». Toutes les photographies qui illustrent cet article sont issues du projet de recherche-création « À la recherche de Constantia – Une itinérance de bassin-versant », de l’auteur Marin Schaffner et des photographes et architectes du collectif GANG.

SOUTENIR TERRESTRES

Nous vivons actuellement des bouleversements écologiques inouïs. La revue Terrestres a l’ambition de penser ces métamorphoses.

Soutenez Terrestres pour :

  • assurer l’indépendance de la revue et de ses regards critiques
  • contribuer à la création et la diffusion d’articles de fond qui nourrissent les débats contemporains
  • permettre le financement des deux salaires qui co-animent la revue, aux côtés d’un collectif bénévole
  • pérenniser une jeune structure qui rencontre chaque mois un public grandissant

Des dizaines de milliers de personnes lisent chaque mois notre revue singulière et indépendante. Nous nous en réjouissons, mais nous avons besoin de votre soutien pour durer et amplifier notre travail éditorial. Même pour 2 €, vous pouvez soutenir Terrestres — et cela ne prend qu’une minute..

Terrestres est une association reconnue organisme d’intérêt général : les dons que nous recevons ouvrent le droit à une réduction d’impôt sur le revenu égale à 66 % de leur montant. Autrement dit, pour un don de 10€, il ne vous en coûtera que 3,40€.

Merci pour votre soutien !

Soutenir la revue Terrestres

Notes

PDF
4 / 4

  Bon Pote
Actu-Environnement
Amis de la Terre
Aspas
Biodiversité-sous-nos-pieds

 Bloom
Canopée
Décroissance (la)
Deep Green Resistance
Déroute des routes
Faîte et Racines
 Fracas
F.N.E (AURA)
Greenpeace Fr
JNE
La Relève et la Peste
La Terre
Le Lierre
Le Sauvage
Low-Tech Mag.
Motus & Langue pendue
Mountain Wilderness
Negawatt
 Observatoire de l'Anthropocène

 Reporterre
Présages
Reclaim Finance
Réseau Action Climat
Résilience Montagne
SOS Forêt France
Stop Croisières

  Terrestres

  350.org
Vert.eco
Vous n'êtes pas seuls