lsamuel
Voici un texte rédigé par l’une de nos adhérentes à l’occasion de la rencontre autour de l’oeuvre de François Terrasson organisée par les JNE le 8 janvier 2026 à l’Académie du climat (Paris). par Christine Kristof-Lardet Quand j’entre dans la forêt, presque malgré moi, à la lisière entre le clair et l’obscur, je m’incline. Mes genoux cèdent et ma tête se courbe. Comme lorsque j’entre dans une église. Plus sûrement que dans une église. Je salue et je deviens silence…. Je ne peux aujourd’hui franchir l’orée du bois, sans que quelque chose en moi se transforme à l’instant. Mes sens s’éveillent. La joie pointe. Je me surprends à sourire, à frémir. Enfin ! J’existe et je respire. Ma révérence consacre l’espace, qui, en retour, s’ouvre et me reçoit. Mon esprit s’accorde à l’unisson et change de fréquence. Dehors, je suis comme sourde. Là, j’entends, je vois et je sens à nouveau. La nuit, bien sûr, c’est encore plus fort. Il n’y a plus de place à la triche. Je suis livrée à moi-même, sans autre alternative que de m’y réfugier. C’est alors que commence la véritable rencontre. Pas à pas dans la forêt Généralement, avant de passer la nuit dans la forêt, j’effectue un premier repérage à la lumière du jour, toutes antennes déployées pour « sentir » l’endroit et évaluer les risques ; non pas ceux de la nature, prévisibles et contournables, mais ceux d’éventuelles rencontres importunes. Dans nos forêts occidentales, le prédateur sur lequel s’exerce ma vigilance est l’homme, qui plus est celui muni d’un fusil. Mes sens, à l’affût du moindre craquement, d’une effluve de voix, d’une empreinte suspecte…., s’aiguisent. Je redeviens animale, vive et instinctive. J’apprends à me cacher et à rendre ma présence de mammifère, de femelle indétectable. Au moindre doute, je m’accroupis dans un fossé, je grimpe à un arbre ou me recouvre de feuilles mortes à me rendre invisible. Si je ne suis en confiance ni avec le lieu, ni avec mes propres capacités – peur, hésitation, fatigue soudaine, cheville fragile…, je rebrousse chemin. Si par contre tout me semble juste, à sa place, je me prépare pour la nuit et, tapie comme une renarde dans sa tanière, j’attends la venue de la pénombre protectrice. Au cœur de la nuit Les oiseaux ont lancé leur dernière mélodie comme un couvre feu, l’obscurité s’intensifie, l’air devient plus coupant et le silence plus dense. Comme derrière le rideau qui vient de tomber sur la scène, tout s’anime : les arbres s’étirent et changent de forme, les animaux sortent de leur cachette, le chevreuil ose une échappée dans la clairière, les sangliers labourent la terre à la recherche de nourriture et moi, je m’immisce plus avant dans les profondeurs. Je ne reconnais plus rien. Les distances, les reliefs, les sons… tout a changé. Dans l’immensité de la nuit, le moindre bruit prend une ampleur disproportionnée. Ce ne sont que froissements, craquements, souffles et frémissements. Derrière moi, une branche cède. Je me retourne à vif. A quelques mètres, un gros sanglier mâle me toise en grondant. Je n’ai pas toutes les clés : « Es-tu fâché ou juste curieux ? » Je me fige, respire largement et me met en attente, si possible transparente et inodore. Ma bonne foi et mon camouflage grossier le laissent hésitant quelques instants. Son groin pointé vers moi, il a la grâce de faire semblant de m’ignorer, retournant fureter dans les feuilles. Premier éclaireur ! Je n’ai pas de lampe, mon portable éteint au fond de mon sac n’est là qu’en cas de pépin, et pour tout bagage ,je n’ai qu’un piètre bâton qui me donne l’illusion du courage, des chaussures fermes, un duvet, de l’eau et quelques fruits secs pour le matin. Plus j’avance dans la forêt, plus je deviens légère, comme si je me libérais de quelques entraves et me nettoyais. J’entre progressivement en affinité avec ce qui m’environne et me constitue tout à la fois. Dans l’obscurité qui s’est refermée derrière moi et qui me protège, guidée par la Lune, je finis par voir clair comme en plein jour. Alors, seule au milieu de l’univers, je m’abandonne. Chaque parcelle de mon être entre en résonance avec une parcelle de la forêt en de subtiles correspondances : l’étoile scintille dans ma tête, la feuille frémit dans mon dos, l’insecte tambourine dans ma cage thoracique, l’herbe sèche se froisse dans ma nuque, la souris rit dans mon cœur…. Je deviens forêt. C’est un réveil en cascade des sens, un feu d’artifice qui se propage de cellule en cellule. Mon cœur bat la chamade. Mes pieds se soulèvent, je m’élève, me mets à danser, à voler, à rebondir sur le tapis de feuilles mortes. C’est à ne plus y tenir. Je vis. J’aime. Je ris. Je pleure d’amour, de joie et de douleur. Vidée, mon émotion s’apaise peu à peu et me dépose à terre, m’enracine. J’entre progressivement dans de nouvelles profondeurs, celles de mon intériorité. Et je reste là, sans bouger, à la fois intensément présente à l’instant et ouverte à tous les possibles. Dans cet état de reliance continue, je reprends le cours de mon exploration. Tel un animal, je cherche un endroit pour dormir. C’est tout un rituel. En quête, je trace des lignes invisibles d’un côté à l’autre de la clairière ou du fourré, je reviens sur mes pas, je tourne et tourne comme un chien dans son panier, jusqu’à ce que je sente que c’est là… et pas ailleurs. Un tapis de mousse, les racines accueillantes d’un arbre, une alcôve sous des branchages ou un antre dans les rochers… Sous la voute des branches et des étoiles entrecroisées, je suis chez moi et j’y suis infiniment bien. A même le sol, je me couvre de mon duvet, posant ma tête sur un coussin de feuilles ou sur la souche moussue d’un arbre,et là, en toute confiance dans les bras gigantesque du monde, je me laisse glisser dans le sommeil… et m’éveille. En nature, je dors « éveillée », non seulement parce que mes sens s’exacerbent, mais aussi parce qu’à ce moment là, je me sens pleinement moi-même, mon épiderme collé à l’épiderme de l’univers, ouverte à sa dimension. La frontière entre mon espace intérieur et l’extérieur s’évanouit, et je navigue à la bordure du monde, sur la fine crête entre rêve et réalité. Ma nuit est peuplée de songes et de visiteurs : une troupe de marcassins qui cherchent des glands sous le chêne où je me suis installée, une chouette hulotte à la voix enrouée qui joue les effraies, un renard qui furète, quantité de bestioles qui s’ingénient à gratter le sol autour de ma tête et à me faire croire, par le bruit effroyable qu’elles font, qu’elles sont gigantesques. Que dire de cette extraordinaire symphonie de la nuit quand tout vient à s’accorder ? Que dire quand, au milieu de la lune, dans la clairière de mon cœur, un grand cerf souffle sa brume blanche tel un drap de lumière ? Que dire du loup que je sens à mes côtés et qui, malgré la fascination que j’ai pour lui, réveille en moi les peurs de toutes les générations passées et me laisse exsangue ? Il m’arrive d’avoir peur Car bien sûr, il m’arrive aussi d’avoir peur, une peur qui vient de si loin qu’elle me semble venir du temps où j’étais singe ou quelque mammifère susceptible d’être dévoré par un carnassier. Une peur des entrailles sur laquelle le rationnel n’a aucune prise. Mes poils se dressent littéralement sur ma peau (je l’ai observé), mes tempes bourdonnent, je ne suis plus qu’un grand cœur qui bat, et mes terreurs enfantines en profitent pour s’exprimer. Ce que je vis alors est, me semble-t-il, le face à face intégral de l’humanité et du sauvage. Une seule issue : s’abandonner, se laisser faire, s’ouvrir au monde qui nous entoure et entrer en résonance avec lui comme si nous n’étions qu’un. C’est la forêt qui vient à ma rencontre, me parle, m’apaise et m’apprivoise. L’effroi dépassé, c’est une grande libération et une grande paix. Le sentiment d’avoir été nettoyée en profondeur. Il me faut parfois plusieurs nuits d’affilée en forêt pour parvenir à faire sauter les verrous de mes résistances et à me retrouver en « symbiose ». Les premiers moments de retrouvailles, surtout après une longue absence, sont les plus difficiles, car ils portent en eux le souvenir de la perte, de la séparation d’avec la nature, mais aussi d’avec soi-même. Plus l’absence est longue, plus la cicatrisation est lente à se faire. Heureusement, quelque chose se souvient, même si dans cette vie, nous ne l’avons jamais vécu. En nous immergeant dans la nature, nous célébrons des retrouvailles, comme celles de l’enfant perdu et de sa mère, douloureuses mais réparatrices. Il n’est à mon sens pas d’exercice d’écologie et de réconciliation plus puissant, de communion plus intense, que cette immersion inconditionnelle dans le ventre de la nature. La forêt salvatrice Je vis l’expérience de la forêt comme une expérience « religieuse », au sens où elle me permet de me relier à la nature, à moi-même et à ce qui me dépasse. Plus que tout autre lieu de nature, la forêt est pour moi le lieu d’émergence privilégié du sacré et de la vie, une zone de contact avec la source et l’origine, un nœud condensé de sens où, à la jonction entre la lumière et la nuit, germe l’éternel. Elle est aussi ce point de rencontre subtil entre le visible et l’invisible, entre le conscient et l’inconscient, entre les profondeurs du monde et mes propres profondeurs. En son cœur se croisent les sillons intemporels des grands mythes et ceux de nos rêves les plus intimes. En entrant dans la forêt, nous pénétrons, humanité tout entière, dans notre espace intérieur, truffé d’ornières, de ronces, de bêtes sauvages et de sorcières, mais aussi de fées, de princesses et d’hommes au cœur pur. Miroir de nos pulsions et de nos démons, qui, sortis de leurs tourbières, se métamorphosent, la forêt est aussi un espace de transmutation, d’épuration… que je devine aujourd’hui salvateur. La forêt est le lieu où le sauvage peut encore s’exprimer, où le loup, l’ours, le lynx et les autres animaux libres résistent à l’homme domestiqué qui tente vainement de les chasser hors de lui. Vainement, car nous avons oublié que l’ours, le loup et tous les êtres sauvages qui peuplent la terre nous constituent nous-mêmes, et que si, par malheur, ils venaient à disparaître, nous disparaitrions également. La vie est infinie dans le potentiel qu’elle recèle et se manifeste en permanence au sein de la forêt pour qui sait la recevoir, l’honorer et l’aimer. Tant qu’il restera quelque espace sauvage où vibre l’âme du monde et vit l’être libre, nous pourrons nous y abreuver et, par notre émerveillement et notre amour, le nourrir en retour. Photo : Christine Krystof-Lardet L’article Une nuit en forêt est apparu en premier sur Journalistes Écrivains pour la Nature et l'Écologie. Texte intégral (2303 mots)
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Le Chant des forêts, nouveau film de Vincent Munier, adhérent des JNE, sort dans les salles le 17 décembre 2025. Nous l’avons découvert en avant-première. par
Maryvonne Ollivry Un nuage de brumes enveloppe les conifères, puis se dissipe peu à peu sous nos yeux. La forêt vosgienne semble sortir d’un long sommeil. Nous aussi. Ou plutôt d’une longue cécité. Vincent Munier nous offre ce cadeau inestimable : dans l’ombre d’un cinéma, nous réapprendre à regarder. Et écouter .
Rien de simple, rien de «donné» pour autant. Entre deux branches, dans la pénombre, nous voilà immergés dans une nature qui se mérite, qui réclame patience et vigilance. La caméra se fond dans les éléments, comme une présence animale. Silencieuse, en éveil. Elle saisit ce qu’elle peut saisir. Pas de débauches d’objectifs cachés comme dans bien d’autres films animaliers, une réalité qui se mérite, parfois floue, parfois furtive. Vraie. Loin des hauteurs tibétaines en quête de la Panthère des neiges, objet de son premier film, Munier nous accueille dans les forêts de l’est de la France. En compagnie de Simon, son fils de douze ans et de celui qui, au même âge, a initié Vincent : Michel Munier, son père, le naturaliste aux huit cents heures d’affût, le guerrier pacifique qui n’a cessé de défendre la faune et les espaces naturels de ses Vosges natales.
Car, en plus de nous permettre d’apercevoir un renard promenant sa fourrure sur la neige immaculée, une biche nageant avec son faon, un cerf écumant dans la noirceur des arbres, des bébés chevêches attendant la becquée, un lynx au port de tête impérieux ou un chat sylvestre humant la présence humaine…, Le chant des forêts est aussi une belle histoire de transmission. Dans la ferme de Vincent, au coeur de la forêt vosgienne donc, trois générations, éclairées à la bougie et chauffées aux fagots, échangent, se souviennent. Vincent, de son coup de coeur pour un chevreuil alors qu’il avait l’âge de Simon. Michel, du sien pour le grand tétras. Justement. L’aîné l’a vu disparaître peu à peu de nos contrées à cause du réchauffement climatique et faute d’habitats qui lui conviennent. Mais pour Simon, ils vont tous trois aller à sa rencontre… en Norvège. Acmé du voyage ? Oui, en quelque sorte. Et non, car l’exotisme ici n’est pas le but poursuivi. Ce serait se méprendre sur cette heure et demie d’expédition sensorielle avant tout dédiée à la beauté de nos forêts et à leurs sortilèges. Et sur ce qui importe aussi aux Munier : nous émouvoir, nous sensibiliser à ce qui nous environne, afin de nous encourager à en prendre soin. Documentaire de Vincent Munier, avec Michel Munier et Simon Munier. Durée : 1 h 33. Sortie en salles le 17 décembre 2025. L’article « Le Chant des forêts » de Vincent Munier : une heure et demie d’expédition sensorielle est apparu en premier sur Journalistes Écrivains pour la Nature et l'Écologie. Texte intégral (705 mots)
Télérama du 10 décembre 2025 consacre sa Une et un long article à ce film.
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