Par Jean-Baptiste Paranthoën, Chargé de recherche en sociologie à l’INRAE et membre du laboratoire IRISSO (PSL Dauphine, INRAE, CNRS), Université Paris Dauphine – PSL
Face à une profession vieillissante et des défis structurels majeurs, l’agriculture attire de plus en plus de candidats issus d’horizons divers. Mais qui sont-ils, et qu’est-ce qui les pousse à tenter l’aventure ?
Même s’il est loin d’être homogène, le monde agricole est l’un des plus touchés par la pauvreté, le taux de pauvreté monétaire y atteignant en effet 16,2 % contre 14,4 % pour l’ensemble de la population. Le monde agricole est aussi particulièrement touché par les risques psychosociaux. Et pourtant, malgré ces difficultés régulièrement mises à l’agenda médiatique lors des mobilisations spectaculaires, des personnes souhaitent encore aujourd’hui se reconvertir pour devenir agriculteurs. Comment expliquer cette envie de rejoindre un métier et un mode de vie aussi difficiles ?
La difficulté pour rendre compte de ces parcours tient au fait qu’ils sont la plupart du temps étudiés à partir de leur point d’arrivée. Afin de contourner cette difficulté, nous avons étudié ces parcours en nous concentrant sur une étape intermédiaire, celle de la formation continue. L’obtention d’un diplôme agricole ouvre une porte pour les prétendants à l’installation agricole qui ne peuvent pas bénéficier de la transmission du patrimoine productif familial.
Le diplôme agricole d’un niveau équivalent au baccalauréat comme le Brevet professionnel responsable d’entreprises agricoles (BPREA) constitue un critère essentiel pour obtenir la capacité professionnelle et bénéficier des aides publiques à l’installation. C’est donc un terrain privilégié pour étudier qui sont celles et ceux qui veulent devenir agriculteurs, d’autant que le centre de formation qui nous a servi de terrain propose un brevet professionnel en agriculture biologique, destiné à de nouveaux publics éloignés du monde agricole, bénéficiant des dispositifs d’accès à la formation continue pour les salariés et les demandeurs d’emploi.
Cette formation en maraîchage biologique est investie par des profils variés comme le montre l’origine professionnelle des 127 personnes passées par la formation entre 2015 et 2018 : 18 % d’entre elles sont issues des cadres et professions intellectuelles supérieures, 32 % des professions intermédiaires, 22 % sont des employés. Parmi les 23 % des ouvriers, seulement un tiers sont des ouvriers agricoles.
Les entretiens biographiques ainsi que l’analyse approfondie des dossiers de candidature des stagiaires que nous avons suivis permettent de restituer finement les trajectoires scolaires et professionnelles de ces candidats sélectionnés ainsi que leur rapport initial à l’agriculture. Nous les avons classés en trois groupes : les déclassés, les désenchantés et les détachés.
Plus jeunes que les stagiaires des deux autres groupes, les déclassés qui sont des hommes, ont connu un investissement familial important à l’école qu’ils ne sont pas parvenus à convertir. Ayant un baccalauréat, ils ont soit obtenu un diplôme dans l’enseignement supérieur qui n’est pas en adéquation avec leur emploi, soit abandonné leurs études supérieures, puis enchaîné les « petits boulots ». Bien que leur situation économique reste fragile au regard de leur revenu modeste, leur statut de salariés ou de demandeurs d’emploi leur permet d’intégrer la formation.
Ayant déjà une expérience pratique d’autoproduction en agriculture acquise au sein de jardins associatifs ou familiaux ou au sein de luttes d’occupation comme à Notre-Dame des Landes, ils ont également accumulé des connaissances liées à la commercialisation et à la gestion de la qualité des produits alimentaires au cours d’emplois occupés dans la distribution. En devenant agriculteur, il s’agit pour ces déclassés de trouver une voie de reclassement en valorisant professionnellement et économiquement leur pratique d’autoproduction et leur connaissance concernant les produits alimentaires grâce à l’obtention d’un nouveau diplôme :
« Je ne me sens pas dans un schéma classique, il m’aurait fallu des sous et des études. Aujourd’hui, j’ai envie de faire mon truc pour moi, comme ça je pourrais dire que si ça ne marche pas ça vient de moi. Je préfère me concentrer sur mon petit business, je suis à la recherche d’une autonomie. » (Igor, salarié d’une grande surface, 28 ans)
Si les désenchantés partagent avec les déclassés un investissement relativement important dans le domaine scolaire, il s’est finalisé, dans leur cas, par l’obtention d’un diplôme qui a pu être rentabilisé dans la sphère professionnelle. Titulaires de diplômes allant de la licence, jusqu’au doctorat, ils ont eu accès à des emplois stables d’encadrement et de direction ou sont parvenus à intégrer la fonction publique et sont dans des situations financières avantageuses. Mais, leur engagement important au travail a engendré du surmenage ou un sentiment d’inutilité entraînant des crises professionnelles. L’accès au statut d’indépendant est notamment perçu pour ces désenchantés, parmi lesquels on trouve une forte proportion de femmes, comme un moyen de mieux conjuguer leur vie professionnelle et familiale tout en valorisant leurs compétences et/ou leur héritage familial.
Si on retrouve chez les désenchantés le profil des cadres cherchant à retrouver, au travail, un intérêt conforme à leurs aspirations personnelles (Jourdain, 2014), la distance à la nouvelle profession visée semble moins grande qu’elle ne peut s’observer au regard des seules catégories statistiques. Relativement proches des mondes agricoles – car enfants ou petits-enfants d’agriculteurs ou ayant une activité professionnelle au sein du secteur agricole (presse agricole, chantier d’insertion, vétérinaire)- , leur connaissance de la pratique agricole reste superficielle avant l’entrée dans la formation. Ayant une sensibilité environnementale, devenir agriculteur constitue pour eux le moyen d’accéder au statut d’indépendant et de réaliser une nouvelle activité professionnelle écologique valorisée socialement et symboliquement :
« Je ne veux plus de mon boulot. Ça fait 18 mois que je me dis j’arrête demain, le mois prochain… Je voulais un boulot utile et les vétérinaires n’ont aucune utilité sur l’urgence alimentaire qu’il va y avoir. C’est bien de soigner les animaux mais nourrir les gens, je trouve ça plus vital. » (Stéphanie, Salariée vétérinaire, 36 ans)
Âgés de plus de 40 ans et ne pouvant donc plus prétendre au dispositif d’aide public à l’installation, les détachés ont connu un parcours scolaire et professionnel moins favorable que les membres des deux autres groupes. En effet, leur titre scolaire a une plus faible valeur que celui des autres stagiaires soit parce qu’il est d’un niveau inférieur, soit parce qu’il a été dévalué par le temps. Tout au long de leur parcours professionnel, ils ont tenté de compenser ce faible niveau scolaire initial par le suivi de formations continues, ce qui leur a permis de changer plusieurs fois de secteurs dans des emplois qui restent peu qualifiés (facteur, tailleur de pierre, maçon, disquaire) et d’accéder à un emploi stable. Mais, la pénibilité de leur travail tout comme son intensification les ont conduits à se détacher vis-à-vis des enjeux professionnels.
Malgré leur parcours professionnel parfois erratique, ces détachés peuvent toutefois s’appuyer sur des arrangements conjugaux afin de suivre une nouvelle formation. Si les détachés pratiquent, comme les_ désenchantés, _un_e culture ornementale de leur jardin et que leur appréhension de l’agriculture biologique s’est essentiellement construite sous l’angle de l’alimentation, l’accès à la formation constitue moins pour eux un enjeu professionnel qu’un instrument de développement personnel :
« J’ai 48 ans donc je ne me vois pas transmettre des terres à mes enfants. Ça, j’en suis complètement détaché. Et la formation m’aide à me dire que je ne ferais peut-être pas quelque chose de complètement about. » (Yann, salarié d’une Biocop, 48 ans)
Alors que le nombre d’échecs pour obtenir le diplôme est très faible, l’accès au métier d’agriculteur reste difficilement atteignable pour les stagiaires tant il reste marqué par l’importance de la transmission familiale du capital économique et du patrimoine. Les entretiens réalisés après la formation montrent que c’est surtout parmi le groupe des désenchantés que l’on retrouve les installations les plus rapides. Ayant des ressources économiques et parfois politiques importantes, ils peuvent obtenir des terres plus facilement soit en rachetant des exploitations soit en bénéficiant des terres mises à disposition par des collectivités locales.
Pour celles et ceux qui ne deviennent pas agriculteurs rapidement, il s’agit de continuer à accumuler de l’expérience en réalisant des stages ou en devenant ouvrier agricole. Ce type d’emploi marqué par une forte discontinuité du fait de la saisonnalité du travail agricole s’avère particulièrement éprouvant pour celles et ceux qui avaient auparavant des emplois stables.
Pour les autres comme les déclassés et les détachés qui avaient déjà connu cette instabilité professionnelle au cours de leur carrière, la discontinuité du travail agricole paraît beaucoup moins contraignante. Au contraire, elle constitue parfois même une opportunité pour connaître plusieurs modèles d’exploitation agricole et choisir celui qui leur correspond le mieux. Si cette expérience ainsi que leur nouveau diplôme leur permettent d’accéder rapidement à des postes d’encadrement comme chef de culture par exemple, elle n’offre pas de niveau de rémunération suffisant pour envisager à court et moyen terme l’achat d’une exploitation. Ils sont alors contraints de poursuivre leur carrière en agriculture comme salariés.
Alors que le renouvellement des générations en agriculture constitue un enjeu pour l’avenir de ce secteur (La population agricole est une des plus âgées : en 2020, 43 % des agriculteurs étaient concernés par l’ouverture des droits à la retraite ou le seront d’ici à 2030, les parcours de reconversion professionnelle vers l’agriculture sont encore peu connus en dehors des images idéalisées. L’étude de ces parcours en train de se faire montre pourtant que si la formation continue ouvre aujourd’hui des voies de passage vers l’agriculture, elle ne permet pas de lever un des principaux verrous à l’installation de nouveaux arrivants : l’accès à la terre.
Cet article (dans sa version intégrale) fait partie du dossier Territoires ruraux en mouvement : entre recomposition agricole, libéralisation des marchés et reproduction des inégalités publié par Dauphine Eclairages le média scientifique en ligne de l’Université Paris Dauphine – PSL.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Saisi par l’association Eau et Rivières de Bretagne, le tribunal administratif de Rennes a « enjoint » jeudi au préfet de Bretagne de renforcer son action contre les pollutions aux nitrates.
Des mesures « insuffisantes » contre les algues vertes, qui prolifèrent depuis des décennies sur le littoral breton : Saisi de deux recours déposés par Eau et Rivières de Bretagne, le tribunal « enjoint au préfet de la région Bretagne de prendre dans un délai de dix mois toutes les mesures utiles de nature à réparer le préjudice écologique résultant de la pollution des eaux par les nitrates d’origine agricole ».
Le préfet devra se doter « d’outils de contrôle permettant un pilotage effectif des actions menées », ajoute le tribunal. En octobre 2022, l’association Eau et Rivières de Bretagne avait déposé deux recours contre l’État, le premier lui demandant de prendre « toutes mesures utiles » pour « pallie(r) les insuffisances de sa politique de gestion des pollutions azotées ».
Le deuxième recours portait sur une demande de « réparation des préjudices écologiques et moraux », le préjudice moral étant chiffré par l’association à 3,2 millions d’euros. Le tribunal a condamné l’État à verser 5.000 euros à Eau et Rivières de Bretagne au titre du préjudice moral.
« Le tribunal administratif reconnaît que les mesures mises en œuvre par le préfet de la région Bretagne sont insuffisantes pour lutter contre les échouages d’algues vertes sur le littoral breton », résume le tribunal dans un communiqué.
Depuis 1971, des tonnes d’algues vertes s’échouent chaque année sur les plages bretonnes. En pourrissant, elles dégagent du sulfure d’hydrogène, un gaz mortel en cas d’exposition à de fortes concentrations. Début mars, un lien de causalité entre la mort d’un sanglier en septembre 2024 sur une plage proche de Saint-Brieuc (Côtes d’Armor) a pu être établi avec « l’inhalation d’H2S, gaz émanant de la putréfaction des algues vertes », selon le parquet de Brest. Dans ce même estuaire, 36 sangliers avaient été mortellement intoxiqués en 2011.
Selon un rapport de la Cour des comptes de 2021, cette prolifération d’algues vertes est « à plus de 90% d’origine agricole » dans cette région où le recours aux engrais azotés a fortement progressé à partir des années 1960, et qui compte aujourd’hui 140.000 emplois dans l’agroalimentaire. La France en est à son septième programme d’action régional depuis 2010, « aux effets incertains sur la qualité des eaux », selon la Cour des comptes.
Selon l’association, « certaines mesures engagées ont certes permis une diminution des concentrations en nitrates dans les cours d’eau jusqu’en 2015. Mais depuis cette date, la courbe reste encore bien trop haute, stagne, voire remonte ». Eau et Rivières de Bretagne rappelle que la Bretagne concentre « 56% de la production porcine, 36% de celle de volaille de ponte, 30% de la volaille de chair et 23% de la production laitière » et appelle à « une véritable évolution du modèle agricole et agro-alimentaire ».
En juillet 2023, le tribunal administratif de Rennes avait fixé un délai de quatre mois à l’État pour renforcer la lutte contre les algues vertes, dans le cadre d’une autre procédure menée par Eau et Rivières de Bretagne.
Le 20 mars prochain, à Donzac, Raymond Girardi, vice-président du MODEF participera à une grande contre publique avec les agriculteurs, avec Éric Cadoré, conseiller régional d’Occitanie et président de la commission eau et Rodolphe Portolès, conseiller régional du Tarn-et-Garonne. L’initiative organisée par le PCF de Castelsarrasin, Valence et Lomagne se tiendra le jeudi 20 mars 2025 à 19h à la salle « La Clé des Sources », 1 rue de l’école à Donzac (Tarn-et-Garonne). Entretien.
Les élections aux Chambres qui viennent de se dérouler avec une poussée notable de la CR Comment d’après vous s’annonce l’avenir du mouvement paysan ?
Raymond Girardi : La cogestion FNSEA-gouvernement depuis l’après-guerre a emmené au désastre actuel : effondrement du nombre d’agriculteurs (de 2.5 millions à 350 000) et de la souveraineté alimentaire (fruits, légumes, viande, grandes cultures hormis le blé, …). Dans la tête des agriculteurs, la CR représente la colère, le mécontentement et l’anti-FDSEA d’où le vote qui en fait aggrave la situation des agriculteurs.
Dans ce contexte, il semble que l’on marche sur la tête avec une demande de plus de dérégulation réglementaire alors que le fond reste la juste rémunération des agriculteurs qui doivent pouvoir vivre de leurs productions. Quelle est votre analyse ?
R.G. : Le problème, c’est que la CR et la FNSEA ont la même base philosophique : le libéralisme pur et dur avec comme socle l’économie de marché basée sur l’offre et la demande ; alors que les paysans ont besoin de prix garantis pour avoir un revenu décent.
Les attaques du monde agricole contre les « normes » jugées contraignantes rejoint celles du lobby agro-alimentaire. N’y a-t-il pas un danger in fine pour les consommateurs ?
R.G. : La question du trop de normes est un vrai problème pour l’activité agricole dans la mesure où souvent elles sont inadaptées et contradictoires et n’apporte rien pour la santé publique.
D’autre part, certaines règles sont spécifiques à la France et représente une concurrence déloyale pour nos agriculteurs, d’où la colère contre certaines normes
Fruits à l’exportation, céréales tributaires des marchés mondiaux, élevages intensifs ou exploitations de plus en plus grandes… On observe une dérive capitaliste et libérale qui n’alimente que les marchés financiers et non plus les besoins en autosuffisance alimentaire. Que faire ?
R.G. : L’industrialisation de l’agriculture et l’ultralibéralisme agricole qui devaient résoudre la question de la souveraineté alimentaire est un échec total ; ce que le MODEF dit depuis 60 ans.
Il faut développer un nouveau modèle agricole qui corresponde aux besoins des consommateurs et à la nature profonde de l’agriculture familiale de la France. C’est ce que le MODEF a proposé lors de son dernier congrès avec notamment la perspective de revenir à 1 million d’agriculteurs en France.
L’artificialisation des terres est entrée dans une phase critique. Avec un foncier agricole hors de portée des jeunes qui veulent s’installer, comment inverser la tendance ? Avec quels outils ?
R.G. : La restructuration de l’agriculture avec comme socle l’agrandissement sans limites basée sur la financiarisation du foncier est là aussi un échec cinglant. Il nous faut impérativement redonner l’accès au foncier à de nombreux candidats et il n’en manque pas !
Pour cela, la France dispose d’un outil extraordinaire qui est unique dans l’U.E. , ce sont les SAFER. Il nous faut les doter de moyens financiers pour remplir cette mission et le problème est réglé pour aller ver un million de paysans et retrouver la souveraineté alimentaire.
Le jeudi 20 mars à Donzac (82), vous participez à une rencontre avec les agriculteurs et le monde rural à l’initiative des communistes de la région. N’est-il pas trop tard pour renouer le dialogue alors que les idées réactionnaires les pires progressent dans les campagnes, au fil des élections ?
R.G. : Il n’est jamais trop tard pour bien faire surtout quand c’est une question vitale d’intérêt national pour nourrir notre population (premier besoin des êtres humains)
Nous sommes dans une phase identitaire et de choix fondamentaux pour notre pays. Où l’on continue dans cette voie réactionnaire et conservatrice destructrice où l’on s’engage sur une voie nouvelle progressiste correspondant aux besoins et aux attentes de nos concitoyens. Le parti communiste a un rôle majeur à jouer avec toutes celles et ceux qui partagent ces objectifs et je crois qu’ils sont très majoritaires en France.
Par Elisabeth Lambert, Directrice de recherche au CNRS en droit, Nantes Université; Karine Favro, Professeure des Universités de Droit public, Université de Haute-Alsace (UHA) et Quentin Chancé, Sociologue, spécialisé sur le secteur agricole, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
La moitié des fruits cultivés en France comporte au moins un pesticide potentiellement dangereux. Derrière les enjeux de transparence sur ces produits et leur utilisation, on retrouve des obstacles de nature légale, administrative, technique et sociale. Des voies d’amélioration sont toutefois possibles, du champ jusqu’à l’assiette, pour le riverain d’exploitation agricole comme pour le consommateur.
La moitié des fruits et le quart des légumes cultivés en France conservent, lorsqu’ils sont consommés, au moins un pesticide cancérigène, ou bien susceptible de provoquer des mutations de l’ADN, ou encore d’affecter la reproduction. Une réalité qui préoccupe, d’où la demande de plus de transparence.
Pourquoi est-ce important ? Tout d’abord, car la transparence permet de garantir la responsabilité des acteurs en cas d’atteintes à la santé et à l’environnement ; ensuite, car elle favorise la confiance du public à l’égard des autorités régulatrices et des entreprises agricoles en démontrant leur engagement envers la sécurité et la durabilité. Enfin, la transparence facilite la surveillance et l’évaluation des risques, en permettant aux chercheurs et aux experts de disposer de données fiables et accessibles pour étudier leurs effets à long terme.
Mais entre la théorie et la pratique, on trouve un monde, des obstacles de nature légale, administrative, informatique, ainsi que des barrières techniques, politiques et sociétales, et des questionnements sur la façon de rendre une information pertinente et claire.
Malgré tout cela, plus de transparence est encore possible, et ce, du champ jusqu’à l’assiette, pour le riverain d’exploitation agricole comme pour le consommateur. Voici comment.
Les questionnements autour des pesticides débutent souvent lors de leur épandage par un agriculteur. Aujourd’hui, le partage des informations disponibles à ce sujet reste très laborieux : lors d’une commission d’enquête sur les « plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale » en 2023, le député PS Dominique Potier qualifiait la recherche d’information d’« ubuesque ».
Les limites sont ici avant tout réglementaires et techniques. En effet, les agriculteurs doivent répertorier, depuis 2009, leurs usages de pesticides (produits, quantités, sites d’épandage) dans des « cahiers de culture », mais ces derniers ne sont accessibles et mobilisables par les pouvoirs publics qu’en cas de contrôle (5 % à 7 % des fermes par an). Le 14 janvier 2025, le premier ministre souhaitait malgré tout voir réduire ce nombre.
Un Règlement européen d’exécution du 10 mars 2023 pourrait cependant aider à plus de transparence, puisqu’il imposera l’obligation, en 2026, de numériser et harmoniser ces registres afin de faciliter la connaissance scientifique en matière de santé environnementale.
Cette question de l’harmonisation est loin d’être anodine, car, en pratique, les filières agricoles disposent déjà de registres d’usage de pesticides via les systèmes de traçabilité internes des coopératives, des groupements industriels et de producteurs, lesquels rassemblent le contenu des cahiers de cultures. Mais détenues par de multiples acteurs via des logiciels différents, ces bases de données ne sont pas « informatiquement » compatibles entre elles. Un travail technique de mise en équivalence doit donc être réalisé si l’on veut les réunir et former une base de données publique.
Ce virage n’est toutefois pas impossible, comme l’ont montré les pouvoirs publics danois et slovaques, qui ont permis aux agriculteurs de rentrer leurs données en ligne sur une plate-forme gratuite gérée par l’État, sans avoir à débourser d’argent pour exploiter un logiciel privé ; cela faciliterait la collecte publique de ces informations, sans opérer de contrôle sur place, et leur traitement.
Ce changement pourrait également rendre les agriculteurs sereins, avec des contrôles qui pourraient, dès lors, être plus transparents, se faisant au fil de l’eau par collecte des données numériques.
En outre, depuis 2022, les données relatives aux pesticides, sont entrées dans le Régime européen spécifique pour les données d’intérêt général (RGPD, qu’on nomme « régime de l’altruisme »), ce qui pourrait également en accélérer la mise à disposition pour tous les publics concernés et enlever les feins liés à la disponibilité des données.
Mais qu’en est-il des informations sur les moments et lieux précis d’épandage des pesticides ?
Actuellement, une des populations les plus demandeuses de transparence restent les riverains, soucieux de leur santé. Si, sur le plan médiatique, les personnes qui s’inquiétent de ces questions sont souvent perçues comme des militants politiques, le père d’un enfant gravement malade, vivant dans la région de La Rochelle, où l’on soupçonne un cluster de cancers pédiatriques lié à l’épandage des pesticides, résumait ainsi son engagement initial : « On n’était pas des militants actifs, mais des parents d’élève. »
Informer les riverains leur donnerait la possibilité de se protéger en partie des retombées des épandages. Mais, ici aussi, avoir des informations claires et précises à l’échelle des parcelles reste laborieux.
Tenter de modifier cela, s’est d’ailleurs transformé en un feuilleton normatif et judiciaire qui dure depuis cinq ans. Certains territoires (comme le Limousin pour la pomme, et l’Isère pour la noix) avaient à l’époque commencé à mettre en œuvre des initiatives concertées d’information des riverains, par SMS ou par l’intermédiaire d’applications numériques, la veille des traitements. Mais l’obligation faite par l’État en 2019 d’utiliser des chartes réglementaires (des textes obligatoires listant les engagements des applicateurs de pesticides et rappelant les enjeux liés aux épandages), pour fournir ces informations, a provoqué une crispation des agriculteurs et un recul de pratiques initiées localement et/ou par filières.
Après cela, les chartes élaborées de 2020 à 2023 n’ont exigé qu’une nécessité d’information au moment de l’épandage (souvent par allumage du gyrophare du tracteur au moment du traitement et via par exemple l’affichage des calendriers de traitements prévisibles sur les sites des chambres d’agriculture). Mais ces chartes ont été considérées comme contraires à la réglementation en janvier par le tribunal administratif d’Orléans, puis, en novembre 2024, par la cour administrative d’appel de Versailles, au motif que l’information n’est pas préalable au traitement et pas suffisamment individualisée, et donc qu’elle ne permet pas au riverain de se protéger.
Outre les horaires des épandages, les riverains, conscients de la toxicité variable des produits, appellent aussi à plus de transparence sur la nature des substances déversées. Un aspect couvert par le droit à l’information environnementale selon la Cour de justice de l’UE. Le paragraphe 3 de l’article 39 de l’Accord sur les aspects de droit de propriété intellectuelle de l’OMC permet, lui :
« La divulgation des données soumises par le demandeur d’une autorisation de mise sur le marché d’un produit pharmaceutique ou chimique lorsque celle-ci est nécessaire pour protéger le public. ».
Mais les agriculteurs refusent toujours, au nom de leur liberté d’activité économique, de dévoiler les produits utilisés sur les parcelles.
Si l’on regarde maintenant du côté des consommateurs qui aimeraient savoir si les produits qu’ils mangent peuvent contenir des pesticides, on dénombre aujourd’hui, en plus du label AB indiquant l’absence de pesticides de synthèse, de nouveaux labels consacrés quasi exclusivement à la question des pesticides, comme le « Zéro résidu de pesticides », lancé en février 2018. Pour rappel, la présence de résidus de pesticides se révèle par la reconnaissance des substances actives restant sur l’aliment.
Mais cette donnée demeure très difficile à évaluer. Un producteur peut avoir utilisé des pesticides de synthèse et avoir livré un produit fini, qui est allégué « sans » ou avec « zéro » résidu, mais qui n’en présente seulement plus de trace détectable. Pour pouvoir véritablement garantir qu’un produit ne présente pas de résidu de pesticides, il faut en fait des analyses en laboratoire, cependant les méthodes utilisées pour cela ne sont toujours pas encadrées réglementairement.
Les initiateurs du label ZRP se sont donc fixés un cahier des charges et délivrent une certification après analyse, auprès d’un laboratoire, mais contrairement au label AB, des pesticides de synthèse sont bien utilisés au stade de la production des produits certifiés ZRP. On peut toutefois noter que les fruits et légumes du label ZRP sont produits avec moins de pesticides que des fruits et légumes standards (jusqu’à moitié moins dans certaines filières).
Enfin, la mise en place du label ZRP se heurte à un autre obstacle : seuls certains distributeurs sont prêts à vendre en rayon des aliments ZRP.
À l’échelle européenne, la directive Green Claims, votée en février 2024, vise à protéger les consommateurs contre les affichages environnementaux trompeurs, en imposant des mesures de justification, communication et vérification. Elle a ainsi permis l’apparition de nouveaux systèmes de score environnemental des produits alimentaires, comme le Planet Score qui informe du degré d’usage de pesticides à la production.
Des enseignes, comme Biocoop ou Picard, l’ont déjà adopté dans leur magasin physique, et des applications, comme « QuelProduit » de l’UFC-QueChoisir, permettent d’obtenir l’information sur son Smartphone.
Cette législation inédite survient après le litige en France qui a opposé l’application Yuka et des marques de charcuterie qui s’offusquaient du fait que Yuka dévoile la présence de nitrites cancérigènes dans leur produit. Les trois jugements en appel (rendus entre 2022 et 2023) ont cependant fait prévaloir la liberté d’information des consommateurs pour favoriser un débat d’intérêt général majeur de santé publique. Une telle appli aurait pour vertu, selon la cour d’appel de Paris, « d’aider les consommateurs à faire les meilleurs choix pour leur santé et à représenter un levier d’action pour conduire les industriels à proposer de meilleurs produits, et ce, aux fins de réduire les inégalités en matière de santé ». Selon les juges, cette information doit être fondée sur une science consolidée, abondante et sérieuse, sous réserve que l’opérateur numérique informe les utilisateurs des choix de notation des produits.
Si ces avancées sont notables, on reste malgré tout loin d’un affichage systématique et obligatoire, contrairement, par exemple, à la liste des ingrédients et allergènes potentiels.
Que retenir de tout cela ? En règle générale, le devoir d’informer sur les usages des pesticides est perçu comme une contrainte supplémentaire pour les agriculteurs comme pour les industriels. Sans accompagnement des pouvoirs publics, les exploitants agricoles refusent toute transition vers plus de transparence, en mettant en avant leur liberté économique et en soulevant le risque de stigmatisation de la profession.
Le grand public, lui, continue pourtant de s’interroger. Si certains pesticides sont très dangereux pour la santé globale, pourquoi ces produits ne sont-ils pas interdits et pourquoi des méthodes alternatives ne sont-elles pas davantage encouragées ? Sur cette question d’information des riverains, du public et des consommateurs, le constat d’un désengagement actuel des pouvoirs publics est extrêmement clair. Il faut donc revenir aux origines du principe de transparence (un concept clé de la bonne gouvernance dans une société démocratique) et à la caractéristique des droits humains, tel le droit à la santé, un principe et des droits appelant, de façon inéluctable, une responsabilité première de l’État, outgre les réflexions supplémentaires à mener sur les faisabilités techniques et opérationnelles d’accès à des données fiables et sécurisées.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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