La rédac
Par Charlotte Giorgi et Marius Uhl
Pierre Alessandri, c’était le nom de ce paysan engagé, militant depuis des années en Corse pour une agriculture paysanne et contre les pratiques mafieuses fortement liées à l’accaparement des terres. Cette semaine, on vous raconte son histoire, et on se demande pourquoi quasi personne dans le paysage politico-médiatique ne parle de cet homme, tué chez lui de trois balles dans le dos.
L’article [vidéo] Assassinat paysan : quand les dérives mafieuses de l’agroindustrie coûtent la vie est apparu en premier sur Motus & Langue Pendue.
La rédac
Par Alyss Haller
Vraiment, encore besoin d’introduire la chronique de notre chère Alyss, Des Interstices ? Alors, en deux mots : elle parle chaque mois de tout et de rien, mais surtout de ce qu’il y a entre les deux, dans les interstices. Et croyez-le ou non, aujourd’hui elle nous invite à patauger pour la journée mondiale de l’eau.
Peut-être as-tu remarqué, le mois dernier, l’absence de ta chronique préférée sur ton web média favori (si ce n’est pas le cas, fais au moins semblant, par politesse). Peut-être t’es-tu perdu.e en conjectures plus fantaisistes les unes que les autres pour tenter d’expliquer cette triste nouvelle, que dis-je, cet irréparable préjudice (comment ça, j’en fais trop ?). Eh bien figure-toi qu’écrire sur les interstices me donne une excellente excuse : quand on cherche à rester agile, à fuir les cases et à éviter l’encroûtement, s’astreindre à produire un épisode par mois coûte que coûte, ça a quelque chose d’un peu dissonant, non ? Je revendique donc la liberté de l’irrégularité, l’authenticité qu’elle permet, le droit de ne pas écrire quand je n’ai rien d’intéressant à dire ou que ce n’est pas le bon moment.
La fluidité : c’est justement ça, dont il va être question ici, puisque c’est de l’eau que j’avais envie de vous parler. Et pour faire bonne mesure avec mon entorse au calendrier éditorial, je serai du moins raccord avec le calendrier de l’ONU (si ça, c’est pas un argument imparable…). Il se trouve en effet que le 22 mars est la journée mondiale de l’eau, et on est bien content.es que quelqu’un y ait pensé, comme pour la journée de la femme – heureusement rebaptisée journée du droit des femmes : ça change tout – la journée de la pastèque1 ou celle du naturisme (à ne pas confondre avec la journée mondiale du jardinage nu, qui tombe le premier samedi de mai : le naturisme, lui, se partage le 4 juin avec les enfants victimes innocentes de l’agression, et… les sentiers – si si)2.
Mais ne nous égarons pas.
L’eau, donc.
Personnellement, c’est l’élément que je trouve le plus fascinant. Pas seulement parce que Bachelard lui a consacré un essai3, mais surtout parce qu’elle existe sous des formes si différentes : des paillettes de givre à la vapeur, en passant par la glace, le flocon, la goutte ou l’océan, et tous les états intermédiaires entre le liquide, le solide et le gazeux. L’eau a la capacité de prendre mille visages, sans jamais perdre sa nature. Elle se fraie des chemins presque n’importe où, et bien sûr, s’infiltre aisément dans les interstices. L’eau déborde, ruisselle et irrigue, l’eau polit les rochers les plus ancrés dans leur fixité4.
Depuis mon plus jeune âge, j’ai eu la chance d’habiter à proximité de cours d’eau : canal, rivière, fleuve ; je le réalise en l’écrivant, l’eau a toujours fait partie de mon paysage. Au ruisseau asséché les trois quarts de l’année longeant le jardin de mon enfance, où je sautais à pieds joints avec mes bottes en caoutchouc dès que les fortes pluies le faisaient renaître, ont succédé la Saône, dont les bras encerclaient mon « île », comme j’aimais l’appeler, puis le Saint-Laurent qui borde Québec (et lui a donné son nom : littéralement, « là où le fleuve est le plus étroit »).
Un jour pas si lointain, tandis que je marchais au bord de l’eau, j’ai eu comme une révélation. Et c’est de ça que je voulais parler aujourd’hui. Ce jour-là, les yeux fixés sur la rivière sans vraiment y penser, j’ai tout à coup interrompu mes pas. Quelque chose clochait : il me semblait que l’eau ne coulait pas dans le sens où elle aurait dû, du nord vers le sud. Au lieu de ça, elle paraissait remonter à contre-courant. En observant plus attentivement, j’ai remarqué qu’en réalité, à l’intérieur du courant principal qui suivait bel et bien, inexorablement, la direction nord-sud, existaient ça et là plusieurs micro-courants, créés certainement par des irrégularités du terrain ou des obstacles temporaires, qui suivaient leur propre sens, leur propre rythme et leur propre mouvement, tout en faisant partie du même cours d’eau.
L’eau venait de répondre à l’un des dilemmes existentiels qui me taraudait depuis que j’avais l’âge de savoir que la kétamine n’a rien à voir avec les fleurs, ni les confitures : comment je fais, si je ne veux pas de cette vie absurde et standardisée qu’on me vend et à laquelle on me destine, mais que je ne veux pas non plus me condamner à la marginalité ? Comment rester moi-même, respecter mes besoins et mes valeurs, sans pour autant renoncer à faire partie du groupe social ?
J’avais la réponse sous les yeux depuis toujours : des micro-courants indépendants dans le courant principal (mainstream, like they say).
Épilogue
J’avais prévu d’ajouter au moins deux bons paragraphes à cet épisode. En fait, j’y réfléchis activement depuis deux jours (parce que même si je te parle comme si on était déjà le 22 mars, là tout de suite on est encore le 21, et ça fait presque une semaine que j’ai entamé la rédaction de ce texte), et j’ai bien passé trois heures entre hier et aujourd’hui, assise devant mes notes, à rédiger des bouts de phrases, les rayer, les récrire pour les effacer de nouveau. Mais rien à faire : la fatigue, le cerveau qui pédale dans la semoule en réclamant des vacances… bref, tu sais, ces moments où plus on s’acharne, moins on y arrive, et plus on s’épuise et on s’énerve en se trouvant nul·le et on réduit encore nos chances d’y arriver. Et puis, je me suis arrêtée deux secondes – comme je m’étais jadis arrêtée au bord de la rivière. Et j’ai rigolé : j’étais en train d’essayer de nager contre le courant, tout en restant dedans. Alors qu’une fois que j’ai arrêté et accepté de laisser couler, il m’a suffit de me décaler légèrement pour repérer un micro-courant – et voir que la solution se trouvait juste sous mes yeux.
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1. Le 3 août.
2. Si tu n’as rien de mieux à faire, je te suggère d’aller faire un tour sur http://journee-mondiale.com, c’est édifiant : tu y apprendras par exemple que le 2 mai 2025 sera la journée mondiale de l’asthme, mais aussi du thon ; ou encore que le 26 avril sera dédié aux chiens guides pour personnes malvoyantes et à la visibilité lesbienne (je te laisse apprécier l’à-propos).
3. L’eau et les rêves : essai sur l’imagination de la matière (1942).
4. Projette ici mentalement l’image de la personne de ton choix.
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La rédac
Par Marius Uhl et Charlotte Giorgi
Le mois dernier, C8 a arrêté de diffuser sur la TNT, suite à la décision de l’Arcom de ne pas renouveler son contrat. Rip comme on dit. Si nos yeux à nous sont plutôt secs, on se demande si c’est vraiment à cause du manque de pluralisme sur la chaîne qu’elle a été arrêtée, comme l’affirme l’Arcom. Parce que si c’est bien le cas, on aurait quelques autres noms en tête. Bref, la question de l’épisode : l’Arcom a-t-elle peur de l’extrême droite ou des nouilles dans le slip des chroniqueurs de C8…? On en discute en vidéo
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MotusRania
Par Rose
Il y a ceux qui parlent fort (voire qui gueulent), qui prennent de la place (voire nous marchent dessus), qui font des saluts nazis (et n’en ont pas honte). Et puis il y a celles et ceux qui doutent, qui tournent leur langue sept fois dans leur bouche avant de parler, qui écoutent et qui jaugent, et qui, parfois, se lancent, parce qu’il le faut… Rose nous raconte son saut, et sa joie d’être celle qui doute.
Pour qui je me prends ?
C’est une question que je me surprends à me poser à moi-même régulièrement. Dans des situations tout à fait variées. Quand j’ai des plans très précis pour soutenir le deuil amoureux d’un proche, quand j’explique pourquoi le revenu universel minimum sauverait l’humanité, quand je regarde avec un peu de condescendance deux hommes qui parlent de meufs dans le métro. Quand j’écris des billets. Mais surtout, surtout, c’est une question que je me pose depuis que j’ai décidé de me lancer à mon compte.
Ces deux dernières années ont été marquées par la fin de mon salariat. C’est-à-dire que j’ai enfin eu le temps de faire autre chose que de produire de la richesse pour un tiers. Sauf que ça impliquait d’en produire directement pour moi. Et le monde entier s’en est retrouvé teinté.
Pour qui je me prends à prétendre pouvoir être utile à quelqu’un d’autre ?
Quand j’étais étudiante, la question ne se posait pas. J’étudiais. Elle ne s’est pas plus posée quand j’étais salariée. Bizarrement. Je donnais de mon temps, dans un cadre défini, en échange d’un salaire. C’était un contrat. J’étais sérieuse, impliquée. Je prenais des risques, j’avais des idées, je me payais même le luxe de le prendre mal quand on les remettait en cause. Aujourd’hui je n’ai plus besoin de personne. C’est moi toute seule qui les remets en cause, mes idées.
Pour qui je me prends ?
J’ai commencé à lire mes livres autrement, à écouter les podcasts différemment, à entendre la parole des autres d’une nouvelle manière. Je me demandais d’où venait l’expertise ? Pourquoi je leur faisais confiance à tous ? Comment ils faisaient pour sembler si légitimes ? Comment les mots et les idées coulaient si facilement ? Si ça leur coûtait de prendre position ? S’ils avaient eux-mêmes confiance en leur avis ?
Les autres me fascinent. Leurs gestes. La manière dont ils posent leur voix. Tous les angles morts qu’ils éclairent. L’assurance. Les épaules. La tête haute.
Je parcours le monde persuadée de ne rien savoir et d’avoir tout à apprendre. Constamment. Je suis hyper à l’aise avec l’idée qu’un jour, un.e inconnu.e vienne, et m’annonce que je me suis trompée. Tout ce temps. Je lui répondrais alors « ah bon ? c’était donc ça ? ». Parce que c’est là le niveau de confiance que j’accorde à ma légitimité. De quoi je suis faite au fond et pourquoi je pense ce que je pense ?
Pour qui je me prends ?
Je fais partie de ces personnes qui ont des facilités. On me disait ça enfant. Que j’avais des facilités. J’apprenais vite, je comprenais vite, j’étais à peu près bonne en tout. Rien n’était insurmontable. Il est passé où le moi enfant à la confiance absolue ? Pourquoi l’adulte doute à la place ? J’aurais pensé l’inverse.
Mais non.
Bien entendu que non.
Le monde s’est considérablement élargi depuis mon moi enfant, il m’a montré des chemins sinueux dans des environnements inconnus, il a éclairé des paradis, il a brûlé des rêves et massacré des dogmes, il a imprimé dans ma chair et dans ma tête que tout bouge, constamment, et qu’il est impossible de rester immobile sur une terre qui tourne. Et ma légitimité s’est mise à tourner elle aussi. Ma confiance en moi s’est pris des séismes. J’ai soudain compris que je pouvais rater, me tromper, n’être pas toujours la bonne personne, pas toujours du bon côté, pas toujours au bon moment.
Pour qui je me prends ? Quand il y a tant que je ne sais pas ? Quand je n’ai vécu que ma vie ? Quand je ne parle que pour moi ? Et pourquoi on m’écouterait ?
Et pourquoi on écoute quiconque ? En réalité, le monde s’est élargi grâce à tous les gens qu’il a mis sur ma route, et qui ont osé raconter. Les autres, cette altérité-là, a rendu mon paysage bien plus immense. Si immense que j’ai pris conscience de la place infime que j’y occupais. Avec tous les autres. Et leurs idées, leurs épaules, et mes angles morts. À nous tous, on fait le monde. À nous tous on le foire, on le façonne, on essaye de faire mieux. À nous tous on apprend. Chaque parole nourrit la prochaine. Un doute après l’autre.
La question, finalement, est-ce que ce ne serait pas : pour qui je me prends, à croire que je devrais me prendre pour quelqu’un, pour être quelqu’un ?
Si on doute, c’est probablement qu’on sait nos limites et nos œillères, qu’on sait que la vérité est multiple, que les vies sont denses, et qu’il est impossible d’avoir raison.
Nos modèles de confiance absolue sont nombreux dernièrement. Ils sont à la tête de la première puissance mondiale, ils défendent leur ami violeur en commission parlementaire ou à la télé, ils appellent à la guerre et rêvent d’en être les héros. Ce sont des brutes. Des hommes au cœur sec et à la langue vociférante. Ils s’invitent chez nous tous les jours pour nous hurler leurs plaies. Ils crient à la haine du talent. À la haine du génie. Ils se proclament immenses. Ils ont oublié qu’ils étaient tout petits. Aussi petits que le reste d’entre nous. Et que nous sommes des milliards à faire le monde. Et que nous savons nous, que nous sommes petits parce qu’il y a encore tant de choses à apprendre. Et que c’est des uns et des autres, que nous apprenons. Et que c’est seulement ensemble que nous sommes immenses.
Nos doutes serviraient-ils alors à faire tourner le monde ?
Et dans ce cas, n’est-ce pas eux qui ont oublié, depuis longtemps, de se poser la question : pour qui je me prends ?
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