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Nous vivons actuellement des bouleversements écologiques inouïs. La revue Terrestres a l’ambition de penser ces métamorphoses.

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13.11.2025 à 14:51

Après le feu : traverser la catastrophe et réinventer un territoire qui répare et nourrit

La rédaction de Terrestres

Texte intégral (1369 mots)
Temps de lecture : 4 minutes

La table-ronde réunira le vigneron Nicolas Mirouze du tiers-lieu paysan Beauregard et sociétaire de l’Atelier Paysan et les anthropologues Elise Boutié et Sandrine Revet le jeudi 11 décembre 2025 de 19h30 à 21h30.

Avec 17 000 hectares brûlés, l’incendie du massif des Corbières de l’été 2025 a été le pire incendie depuis plus de 50 ans sur le pourtour méditerranéen et le deuxième plus grand incendie de forêt en France depuis 1949. Cet événement hors-norme pourrait être amené à devenir rapidement la norme et accélérer les régressions sociales et politiques en cours. Pour déjouer ce pronostic, il est essentiel d’en comprendre les ressorts profonds afin d’en tirer des orientations pratiques et politiques. 

Feu depuis la ferme de Saint Mertin, août 2025. Crédits : Nicolas Mirouze.

Cette première rencontre de la revue Terrestres de la saison 2025-2026 pour cette saison réunira acteurs impactés et anthropologues pour une table-ronde qui abordera le sujet sous trois angles. 

Le premier reviendra sur le déroulé des incendies de l’Aude pour comprendre la catastrophe de l’intérieur afin d’aller au-delà de l’événement spectaculaire et désincarné. Les récits depuis le collectif du Tiers-lieu paysan Beauregard, représenté pour cette soirée par Nicolas Mirouze, un de ses initiateurs, vigneron à Beauregard dans les Corbières et sociétaire de l’Atelier Paysan, permettra de partager des expériences de ces quinze jours de feux intenses, pendant et après le désastre. Il restituera les multiples initiatives d’auto-organisation, de soin et de solidarité qui ont permis d’abord d’arracher des terres, des vies, des animaux et du matériel au désastre. Quels sont les gestes, les inventions et les réseaux qui ont permis de se coordonner et de lutter contre l’incendie ? Après la catastrophe, quelles initiatives, alliances et ressources insufflent désormais une dynamique politique d’entraide et de régénération ? Pour quels usages des sols et pour quel territoire ?

Quels sont les gestes, les inventions et les réseaux qui ont permis de se coordonner et de lutter contre l’incendie ?

Pour compléter ce premier temps de la discussion, l’anthropologue Sandrine Revet, qui travaille de longue date sur les situations de catastrophes, soulignera les dynamiques sociales que l’on retrouve généralement dans ce type de circonstances,  notamment le passage de la sidération à la solidarité.

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Le deuxième axe permettra d’élargir d’enrichir cette approche avec le travail d’enquête d’Elise Boutié sur les « mégafeux » Californiens, notamment celui de 2018 Camp Fire. L’anthropologue, qui a mené un travail ethnographique reviendra sur l’expérience des habitants au cours des incendies. Son riche travail d’enquête permettra de comprendre le moment de l’évacuation, de la conscience du désastre et de la perte, ainsi que du rapport au territoire et aux forêts désormais calcinées.

Déblayage d’un abri. Crédits : Isabelle Haelvoet/Nicolas Mirouze.

Le troisième axe invitera à repenser et réorienter un « modèle agricole » à bout de souffle et les manières d’habiter la terre. Le tiers-lieu paysan a proposé, dans une tribune publiée juste avant le grand feu de l’été, de « reprendre la terre aux grands feux« . La question posée en effet est structurelle, elle a été accélérée par les feux de l’été : quel est le contenu de cette proposition portée par plusieurs voix et collectifs du territoire ? Ils et elles défendent l’importance d’une agriculture paysanne capable de retrouver sa place dans les friches abandonnées et les terres livrées au feu. Ils plaident notamment pour la structuration d’une filière d’élevage extensif dans l’Est Audois : « Cette dynamique doit être portée massivement, auprès de l’ensemble des collectivités, des propriétaires fonciers, des syndicats viticoles, des fédérations de chasse et des pompiers. » 

Au lieu de la monoculture qui ruine les sols et les paysans, c’est à partir d’une diversité de pratiques et de productions, dont un pastoralisme extensif et maîtrisé, qu’un ensemble de chemins sont à explorer. Enclencher une autre dynamique écologique et sociale est vitale pour mieux résister aux incendies, à la sècheresse installée depuis plusieurs années, et pour revivifier un territoire brûlé et déjà meurtri par la crise viticole et paysanne.

Lire aussi | Reprendre la terre aux machines. Manifeste de la coopérative L’Atelier paysan・L’Atelier Paysan (2021)

Une récente simulation montre qu’aujourd’hui la région Grand Narbonne ne pourrait nourrir que 24% de la population par ses terres agricoles, tandis que le nombre de paysan·es-agriculteurice est en très forte baisse. Une bifurcation agro-écologique privilégierait les cultures de céréales en rotation là où c’est possible. En zones irrigables et sur des sols adaptés, c’est la culture maraîchère et l’arboriculture qui pourraient trouver leur place. L’implantation d’une filière d’élevage paysanne participerait à l’autonomie alimentaire territoriale. Pour enclencher ce renouveau, une action collective de régénération des sols mis à nu par les feux a déjà été réalisée sur 300 quelques centaines d’hectares cet automne grâce à la campagne « Refleurir les Corbières », organisée depuis le Tiers lieu de Beauregard par la coordination Corbières solidaires grands feux.

Déblayage d’une serre. Crédits : Isabelle Haelvoet/Nicolas Mirouze.

Cette rencontre organisée par la revue Terrestres et l’Académie du climat devrait permettre de mieux penser ce qui nous arrive et de dessiner des voies pour nous organiser collectivement face au capitalisme de la catastrophe et à la destruction des conditions de la subsistance.

Les récits d’expériences et les analyses depuis le domaine viticole Beauregard et le Tiers Lieu paysan, une ferme située à proximité des différents incendies de l’été 2025, le regard anthropologique et réflexif à partir de différentes expériences de catastrophes et l’éclairage depuis les méga-feux californiens offriront des antidotes au fatalisme et à l’indifférence rampante.

Le jeudi 11 décembre 2025 de 19h30 à 21h30, à la Salle des mariages de l’Académie du climat (2 place Baudoyer 75004 Paris).

Entrée libre, inscription souhaitée, disponible en cliquant ici.

Sur place, retrouvez un stand de la revue Terrestres.

Crédits de la photo d’ouverture : Isabelle Haelvoet.


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12.11.2025 à 00:35

Face au pétromasculinisme, une paysannerie écoféministe

Léo Coutellec

Texte intégral (1144 mots)
Temps de lecture : 9 minutes

Extrait du livre de Léo Coutelec, Devenirs paysans. Pour une paysannerie émancipatrice, paru en 2025 aux éditions Le Bord de l’eau dans la collection « En Anthropocène », 192 pages.


« J’entends les silences et je pense aux arbres ; ils sont là, nus, ils ne plastronnent pas, ils ne sont pas glorieux, ils sont tenaces, accrochés dans la pente des hivers et du temps. Je ne sépare pas les arbres et les paysannes. » Marie-Hélène Lafon

« Prendre la pétromasculinité au sérieux signifie prêter attention aux désirs contrariés des patriarcats privilégiés, à mesure que s’étiolent leurs fantasmes fossiles. » Cara New Daggett

« Nous saluons toutes les femmes qui, à partir de différents territoires, soutiennent la vie, l’alimentation, les soins et les transformations sociales. (…) Nous, les femmes, continuons à marcher, à dénoncer la violence et les crimes environnementaux et sociaux, à lutter contre le pillage de nos richesses et le massacre des peuples. Nous continuons à tisser des réseaux et des alliances pour démasquer le patriarcat, le capitalisme et le néolibéralisme qui menacent la vie sur la planète. » La Via Campesina

Mesurer la réussite d’une ferme à la taille de ses tracteurs, organiser un concours de labour ou une course de moiss’batt-cross, porter des habits de travail à l’effigie d’une marque de machines agricoles, manifester à coups de gros tracteurs pour faire démonstration de puissance mécanique, assumer sa dépendance aux combustibles fossiles par la consommation ostentatoire de carburants ou d’engrais chimiques, sont autant d’indices que l’agriculture est progressivement devenue une pétroculture. Et que cette dernière est avant tout une « pétromasculinité

C’est une lecture que l’on peut faire des mouvements récents d’agriculteurs des syndicats de droite (FNSEA [Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles], JA [Jeunes Agriculteurs] et Coordination rurale), dont le centre revendicatif était le refus des normes environnementales, l’arme principale une ribambelle de gros tracteurs et les visages médiatiques essentiellement masculins. Ce qui était défendu au fond, au-delà des slogans creux de diversion distillés par les directions syndicales, c’était une forme de pétromasculinisme agricole que nous définissons comme la domination masculine dans l’agriculture s’affirmant par la défense du régime fossile. Selon cette approche, épuiser la terre, polluer les sols et les eaux, homogénéiser les paysages, détruire la biodiversité ne sont pas les objectifs principaux de l’agriculture productiviste, ce sont des conséquences d’une finalité bien plus insidieuse, celle qui consiste à maintenir et à défendre les privilèges d’une culture patriarcale basée sur l’autoritarisme fossile. Dagett définit le régime fossile comme la « logique de gouvernement qui dépend matériellement et psychologiquement de la consommation intensive de combustibles fossiles

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Une paysannerie émancipatrice passe donc nécessairement par un refus de cette pétroculture patriarcale. En contrepoint, c’est un écoféminisme paysan que l’on voit naître et s’intensifier

Dans une telle perspective, il ne s’agit pas « d’inclure les femmes dans l’agriculture » ou d’affirmer que « leur place est différente », ce serait encore accorder du crédit à la conception patriarcale de l’agriculture, car ces politiques « paternalistes d’empowerment des femmes », devenues à la mode, ne contribuent qu’à accélérer « la destruction des bases matérielles de leur pouvoir, les privent de la joie de l’autonomie

Photo : David Booth sur Unsplash.

S’ouvrir à ce devenir pourrait aussi être une forme de mise à distance de l’emprise d’un autre mouvement de fond qui structure, et parfois sclérose, les pensées et pratiques paysannes, le familialisme. Ce dernier fait de la famille l’unité élémentaire de la société politique et se comprend comme « un mode d’organisation de la cité qui articule la détention de l’autorité politique et la position dans la famille

La perspective écoféministe dans l’agriculture renouvelle profondément les pratiques et les imaginaires. Elle est le cœur et le moteur d’une paysannerie émancipatrice qui cherche à défaire les dominations.

Malgré des avancées dans la reconnaissance de certains droits sociaux pour les paysannes, l’invisibilité du travail féminin, la non-déclaration de la conjointe au sein de la ferme, les différentes formes de violences subies

Il ne s’agit pas de dire qu’il faut abolir la famille ou qu’une paysannerie émancipatrice serait obligatoirement une paysannerie hors du cadre de la famille. Ce que l’écoféminisme paysan apporte c’est un questionnement sur les modalités de faire famille d’une part – notamment en libérant celle-ci de son emprise patriarcale et hétéronormée

Lire aussi | Ils ont 20 ans pour sauver le capitalisme・Léo Coutellec (2019)

Image d’accueil : Jerry Kavan sur Unsplash.

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