04.09.2023 à 18:19
Groupe Dassault : Charles Edelstenne prépare son départ d’ici la fin de l’année
Marc Endeweld
Texte intégral (1877 mots)
C’est une surprise. Selon mes informations, Charles Edelstenne, tout puissant président directeur général du groupe industriel Marcel Dassault (GIMD) quitterait la présidence du groupe dès la fin de l’année (ou au plus tard en début d’année), soit un an tout juste avant la date statutaire de la fin de son mandat prévu pour la fin 2024. GIMD détient les participations de la famille dans Dassault Aviation (62%), Thales (25%), Dassault Systèmes (40%), mais aussi Immobilière Dassault, Artcurial, Dassault Wine Estates ou encore le Groupe Figaro.
« Le dossier s’accélère. Edelstenne part plus vite que prévu », me confie ainsi une source bien informée du processus en cours. Aujourd’hui âgé de 85 ans, Charles Edelstenne, le véritable taulier de la maison Dassault, avait obtenu l’année dernière un répit de deux ans supplémentaire à la tête du groupe, en l’absence d’un successeur désigné. Début 2022, il avait donc été décidé de repousser la limite d’âge pour son poste jusqu’à 87 ans.
Départ anticipé pour mieux imposer son successeur
Ce départ anticipé ne signifiera pas une perte d’influence de celui qui a commencé sa carrière comme expert comptable avant de se hisser au plus haut niveau. Bien au contraire : car si Edelstenne a finalement décidé de partir avant la fin de son mandat, c’est pour mieux peser sur le profil de son successeur et le contrôle du groupe, notamment face à la famille Dassault.
De fait, en écourtant son dernier mandat, le patron du groupe essaye d’imposer le profil de son remplaçant pour mieux maintenir son influence au sein du groupe après son départ. Le nom d’Olivier Costa de Beauregard, l’actuel directeur général de GIMD, est évoqué. « Car face à Edelstenne la course est engagée, et tous les actionnaires familiaux ont leur petite idée, la plupart souhaite nommer un profil extérieur à l’éco système Dassault. Il y a des hypothèses extravagantes et en plus ils sont divisés », m’explique mon interlocuteur. Laurent Dassault, qui bataille ainsi depuis de nombreux mois contre Charles Edelstenne, préconise de nommer l’ancien patron d’ATOS, Thierry Breton, actuellement commissaire européen au Marché intérieur.
L’État refuse que la famille joue un rôle
Sauf que le groupe Dassault, qui n’a jamais été aussi riche et puissant industriellement qu’aujourd’hui, n’est pas une entreprise familiale comme une autre. Constructeur du Rafale, l’État reste son premier client et son premier agent commercial à l’étranger. Et l’État, traditionnellement, refuse que la famille joue un quelconque rôle : « L’idée que les enfants Dassault dirigent est une fausse idée, me souligne ainsi un haut fonctionnaire de la Défense. La famille est là pour toucher du fric mais ne commande pas ». D’autant plus que GIMD est l’actionnaire de référence du groupe de Défense Thales, et contrôle de ce fait Naval Group. Ces dernières années, Charles Edelstenne avait d’ailleurs l’habitude de dire aux enfants : « vous êtes les actionnaires, moi le patron, je m’occupe de l’industriel, vous, de vos dividendes ».
De fait, au sein de l’État, les hauts fonctionnaires commencent à perdre patience. Tous aimeraient être fixés sur leur prochain interlocuteur à la tête d’un groupe si stratégique. Mais remplacer Charles Edelstenne n’est pas chose facile. L’homme qui n’est pas un simple manager a su se constituer un véritable pouvoir depuis cinquante ans, et détient tous les secrets du groupe. Ainsi, au-delà de sa personne, c’est la perpétuation du système Dassault qui se pose. « Suite au scandale Agusta en Belgique, Edelstenne est devenu l’homme qui gère les relations avec les responsables politiques. Son remplaçant va devoir se coltiner les politiques », assure un observateur. Irremplaçable Charles Edelstenne ? Le haut fonctionnaire de la Défense que j’ai interrogé n’est pas loin de le penser : « C’est un homme remarquable. Et c’est un mec qu’on ne baise pas sur les chiffres ». Depuis que Marcel et Serge Dassault lui ont proposé d’investir au capital de Dassault Systèmes, une filiale devenue un fleuron de l’électronique qu’il a contribué à créer dans les années 1980, Charles Edelstenne a amassé une sacrée cagnotte : selon Forbes, c’est la 26e fortune professionnelle de France en 2021, avec près de 2,5 milliards d’euros. Cet été, ce patron et redoutable financier a d’ailleurs acheté de nouvelles actions de Dassault Systèmes pour 7 millions d’euros.
Mettre un terme au statu quo historique ?
Dans la bataille qui oppose cet homme de pouvoir à la famille, un premier épisode s’est déroulé au début de l’été. Alors que les enfants avaient tenté de placer l’ancien ministre Alain Lambert à la tête du comité des sages du groupe, Charles Edelstenne avait finalement réussi à imposer Henri Proglio, l’ancien patron de Veolia et d’EDF, à la présidence dudit comité, lieu clé pour contrôler la future succession. De son coté, Henri Proglio serait intéressé de succéder à Charles Edelstenne, mais sans grande illusion : il sait que le président Emmanuel Macron l’a inscrit depuis longtemps sur sa liste noire. À moins que le rapport de force n’ait évolué avec le temps ?
À son époque, Serge Dassault avait d’ailleurs envisagé de nommer Henri Proglio, un profil pour le moins politique, pour succéder à Charles Edelstenne. En attendant, la famille n’a pas dit son dernier mot. Certains souhaiteraient mettre un terme au statu quo historique, et renverser la table. En coulisses, Laurent Dassault caresse toujours l’idée de proposer à Vincent Bolloré d’entrer dans GIMD comme partenaire minoritaire, comme je l’avais dévoilé l’année dernière dans Marianne, espérant ainsi avoir enfin son mot à dire face à l’État.
02.08.2023 à 12:16
Atos / Eviden : les doutes de la "place de Paris"
Marc Endeweld
Texte intégral (2116 mots)
La descente aux enfers du cours de bourse d’Atos continue. Depuis la présentation des résultats semestriels jeudi dernier, la valeur du titre du groupe informatique a en effet chuté près de moitié. Hier matin, la direction d’Atos a tenté de réagir en publiant un long communiqué pour annoncer officiellement le début des négociations exclusives avec Daniel Kretinsky pour le rachat de la filiale Tech Foundations et la participation du milliardaire tchèque à une augmentation de capital du groupe (qui sera appelé Eviden après cession de Tech Foundations), une opération que j’avais annoncée dans mon article dès lundi, « Rien ne va plus chez Atos : vers un démantèlement ? ».
Un nouveau conseil d’administration convoqué en urgence
Dans cet article, j’y soulignais également que le groupe informatique traversait en réalité une grave crise de liquidité, et qu’il était à deux doigt de se retrouver en défaut de paiement, faute de cash. Et ce, malgré les cessions réalisées ces derniers mois ou annoncées prochainement (la direction évoque depuis jeudi dernier de vendre encore pour 400 millions d’euros d’actifs sans préciser lesquels). Pire, je dévoilais qu’Atos allait devoir rembourser sa dette avant la fin 2024. Celle-ci se monte désormais à 2,32 milliards d’euros.
Selon mes informations, Bertrand Meunier a dû convoquer en urgence un nouveau conseil d’administration entre lundi et mardi pour entériner l’officialisation des négociations avec Daniel Kretinsky (qui sera associé dans l’opération à venir du milliardaire Marc Ladreit de Lacharrière), ainsi que la nomination d’un nouveau directeur financier en la personne de Paul Saleh, histoire de calmer les marchés. Ce coup de com’ un 1er août est loin d’avoir convaincu, et ce matin, le cours de bourse d’Atos continuait de chuter. « C’est la panique ! », me confie un cadre du groupe.
Il faut dire que le communiqué d’Atos est particulièrement alambiqué, alternant entre méthode Coué et demi mea culpa. On y apprend ainsi que « le groupe cherchera ainsi à étendre ses échéances et à réduire sa dette, tout en poursuivant la normalisation de son fonds de roulement ». Atos reconnaît donc implicitement que le groupe se retrouve pour l’instant face à de véritables difficultés tant concernant ses liquidités qu’en ce qui concerne sa capacité à rembourser sa dette… à temps.
Dans le fameux communiqué, le groupe tente toutefois de rassurer actionnaires, investisseurs et marché, en réaffirmant que les cessions à venir, ainsi que l’opération avec Daniel Kretinsky, va lui permettre de se rétablir. Une fois séparé de Tech Foundations, le groupe, devenu Eviden, assure pouvoir envisager « d'accélérer sa création de valeur », et se positionner comme « un leader à forte croissance sur les marchés du numérique, du cloud, de la cybersécurité et de l'advanced computing ». Et d’ajouter que le groupe « est confiant dans sa capacité à réaliser ces cessions rapidement.»
Plus de questions que de réponses…
En attendant, on apprend aussi que l’opération à venir avec Daniel Kretinsky et Marc Ladreit de Lacharrière aura « un impact positif net sur la trésorerie de 0,1 milliard d'euros ». Au regard des enjeux globaux, cette dernière remarque est particulièrement grotesque, et démontre bien la situation particulièrement critique du groupe concernant sa trésorerie. Comme le souligne Le Monde, ces 100 millions d’euros attendus après la cession de Tech Foundations est « une somme extrêmement faible au regard de la taille de Tech Foundations, qui réalise 5,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires et emploie 52 000 salariés dans le monde ».
Au final, le communiqué d’Atos apporte donc plus de questions que de réponses. Si on comprend que l’augmentation de capital s’élèvera finalement à 900 millions d’euros avec la participation à la hauteur de 217,5 millions d’euros pour Kretinsky et Lacharrière, soit 7,5 % d’Evidian, on a du mal à voir comment l’actuelle direction va pouvoir convaincre le reste des actionnaires de mettre au pot pour compléter cette augmentation de capital. Par ailleurs, dans le cadre de la cession de Tech Foundations, on ne sait pas pour le moment quelle est la part de dette du groupe qui reviendra à l’acheteur… La dette est-elle reprise par Daniel Kretinsky ? Dans quelle proportion ?
Des perspectives de croissance irréalistes ?
Atos l’assure pourtant, avec cette cession, « le groupe bénéficierait d'une situation de liquidité nettement améliorée avec une génération de flux de trésorerie positive, grâce à sa performance opérationnelle et à des charges de restructuration nettement inférieures ». Le groupe informatique annonce ainsi qu’Eviden vise en 2023 « une accélération de sa croissance organique (par rapport à 2022) et une amélioration de sa marge opérationnelle (par rapport à 2022) ». Les objectifs annoncés à terme apparaissent quelque peu ambitieux : « L'ambition d'atteindre une croissance annuelle moyenne de 7% du chiffre d'affaires sur la période 2022-2026, avec une marge opérationnelle d'environ 12 % en 2026. »
Or, comme je l’avais rappelé dès le printemps dernier, dans cet article (« Le fiasco du projet de découpage d’Atos »), cette perspective sera particulièrement difficile à réaliser. À l’origine, pour engager ce découpage, Bertrand Meunier pariait en effet sur des résultats positifs issus de la filiale Evidian (qui deviendra donc Eviden), et justifiait le bradage de Tech Foundations par des mauvais résultats attendus. Las ! Les résultats 2022 d’Atos sont venus totalement chambouler ses plans : avec une sous performance inattendue d’Evidian, obtenant une marge opérationnelle de 5,3 % (et non de 10 % comme espérée), bien en deçà de la concurrence (Capgemini est par exemple à 13 % en 2022), et avec une stabilisation de la situation de Tech Foundations.
La consternation sur la place de Paris
Après ces dernières circonvolutions de communication de la part d’Atos, nombre d’observateurs sont restés sur leur faim. Pire, tous ont perçu la panique ambiante et le manque manifeste de clarté de la part de la direction d’Atos. Autre élément d’étonnement : le silence particulièrement pesant des pouvoirs publics et de l’AMF sur ce dossier pourtant hautement stratégique.
Sur la place de Paris, c’est la consternation. En off, les critiques fusent contre Bertrand Meunier. Même des acteurs éloignés du secteur numérique craignent désormais que le règlement de ce dossier, comme celui de Casino, révèle une nouvelle fois auprès des investisseurs étrangers, et notamment anglo américains, les faiblesses de la place de Paris, tant au niveau de son opacité que de la continuation des petits arrangements entre l’État et les dirigeants.
Beaucoup s’interroge également sur le rôle des banquiers d’affaires dans ce dossier. Comme je l’avais exposé dans mon premier article, la banque Rothschild est particulièrement pointée, comme dans le dossier Casino : ainsi, la banque d’affaires conseille officiellement Atos alors que l’un de ses principaux banquiers, Grégoire Chertok, travaille également pour Daniel Kretinsky. Un mélange des genres dans la grande tradition française et parisienne…
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