LePartisan.info À propos Podcasts Fil web Écologie BLOGS Revues Médias
Alain GRANJEAN
Transition écologique, économique et financière

CHRONIQUES DE L'ANTHROPOCÈNE


▸ les 10 dernières parutions

23.06.2025 à 17:30

ZFE une totale absence de méthode tue une bonne idée

Marion Cohen

L’abandon des ZFE (zones à faibles émissions) c’est l’histoire d’un échec. Supprimées par les députés le 17 juin, elles étaient, avec le ZAN et la rénovation énergétique des bâtiments, l’un des trois piliers de la loi Climat et Résilience de 2021. Elles étaient pourtant majoritairement acceptées par les gens concernés,…

The post ZFE une totale absence de méthode tue une bonne idée appeared first on Chroniques de l'Anthropocène.

Texte intégral (4389 mots)

L’abandon des ZFE (zones à faibles émissions) c’est l’histoire d’un échec. Supprimées par les députés le 17 juin, elles étaient, avec le ZAN et la rénovation énergétique des bâtiments, l’un des trois piliers de la loi Climat et Résilience de 2021. Elles étaient pourtant majoritairement acceptées par les gens concernés, totalement bénéfiques pour la santé et avec des dégâts sociaux peu importants et facilement corrigeables. Elles ont été sacrifiées sur l’autel d’un populisme de droite et d’extrême droite utilisant des arguments délirants. L’Etat n’a pas su les contrer. Surtout, les études d’impact sont arrivées trop tard et personne ne les a lues : quasiment aucune collectivité concernée n’avait jamais pensé en réaliser une alors que leurs résultats sont très favorables aux ZFE.

Quinze ans de réflexion, débats parlementaires, rapports et mission diverses pour aboutir à un fiasco

Les différentes méthodes des différents gouvernements français pour mettre en place les ZFE n’étaient pas les bonnes, c’est un euphémisme. Pourtant l’Etat, et surtout les collectivités concernées, ont largement eu le temps de connaitre leurs dossiers et peaufiner leurs stratégies : une première version en 2010 (les ZAPA issues du Grenelle de l’Environnement), une seconde en 2015 (les ZCR et l’instauration des vignettes Crit’Air), une troisième de 2017 (pour Paris et la métropole avec la circulation différenciée), une quatrième sous le nom de ZFE de 2019 (sur injonction européenne puis du Conseil d’Etat car la France trainait des pieds) et, enfin, l’obligation légale pour les villes de plus de 150 000 habitants de 2021.

Soit 15 ans de réflexion. 15 ans de débats parlementaires, de rapports et missions diverses, de polémiques et d’invectives. Et, au bout de 15 ans, parfaite réussite, l’idée était durablement installée dans la tête des Français que les Zones à Faibles Emissions n’étaient en fait que des Zones à Forte Exclusion. Idée en plus assez communément partagée du RN à LFI en passant par LR. Idée d’autant plus partagée que personne n’est allé y voir de plus près. A tel point que, le 28 mai 2025 jour où les ZFE ont été annulées par une commission de l’Assemblée nationale par LFI et le RN, personne n’était vraiment capable de dire quel était l’impact social et économique précis de ces ZFE sur les aires urbaines. Ni l’administration centrale, ni les administrations territoriales, ni les élus des strates du millefeuille territorial concernées, ni les députés et sénateurs.

Un fiasco. Mais aussi un débat totalement à côté de la plaque.

Si la Commission européenne a créé les ZFE ce n’est pas pour le plaisir d’embêter l’heureux propriétaire de la Clio diesel achetée en 2006 mais de limiter sa circulation dans les centres villes des grandes villes : son bon vieux diesel hors d’âge, CritAir3, est l’un des responsables des 48 000 morts prématurés en France pour cause de pollution. Les ZFE sont une mesure de santé publique et sont bâties sur les normes de l’OMS en matière d’émissions essentiellement de dyoxide d’azote qui, si elles étaient respectées éviteraient déjà sur la seule Île-de-France, environ 8 O00 décès par an, selon AirParif[1]. L’exemple le plus parlant pour l’Île-de-France étant celui des deux confinements de 2020 où, en trois mois, les restrictions de circulation ont permis d’éviter respectivement 510 décès en lien avec le monoxyde de carbone et les particules fines. Et en France ce sont 3 500 décès qui ont été évités en 2020[2]. Londres, Madrid, Berlin, Munich ou Lisbonne où des ZFE ont été mises en place et sont respectées (il y en a plus de 300 en Europe actuellement) ont toutes mesuré un effondrement des émissions de carbone. Les hôpitaux allemands à l’intérieur des ZFE ont ainsi enregistré une baisse significative, entre 2 et 4%, du nombre de diagnostics liés à la pollution atmosphérique due à la réduction des maladies cardiovasculaires et respiratoires chroniques. Et A Madrid les émissions ont baissé de 32% depuis l’instauration de la ZFE. Les ZFE c’est donc d’abord moins de morts malgré les dénis du RN (« Non, je suis catégorique : les ZFE n’ont aucun effet positif » a expliqué le député Pierre Meurin dans la revue Causeur)

Des bidouillages de chiffres sans queue ni tête en guise d’enquêtes

Mais la santé n’était pas la préoccupation. C’était l’atteinte liberticide au droit de circuler qui les motivait et ils ont déroulé des arguments de plus en plus délirants sans jamais être contredits. Au RN, le député Pierre Meurin a expliqué que « 13 millions de Français étaient menacés de PV à 68 euros » dès qu’ils mettraient une roue dans une ZFE. Ou que les ZFE c’était l’interdiction pour les ruraux de bénéficier des services publics de santé et de l’accès à l’emploi, « une mesure séparatiste mise en place par des technos-écolos-bobos urbains contre des Français bien élevés qui travaillent » explique-t-il au Monde! L’écrivain Alexandre Jardin a, lui, pris la tête de la jacquerie contre l’« ignominie » des ZFE au nom de ceux qu’il appelle les « gueux » : « on interdit de fait de ville plus de 20 millions de Français qui n’ont pas les moyens de changer de voiture et n’ont pas d’alternative pour aller travailler, se soigner à l’hôpital… vivre ! » écrit-il dans Le Figaro. Les élus de droite ont suivi, Laurent Wauquiez et Bruno Retailleau partant en guerre contre l’écologie punitive le ZAN[3] et les ZFE lors de leur campagne pour la présidence de LR. Et bien sûr les médias : ceux de l’extrême droite, avec le groupe Bolloré pied sur l’accélérateur, mais surtout Le Figaro qui en a fait un de ses chevaux de bataille. L’éditorialiste du quotidien, Yves Théard, homme pourtant modéré, a ainsi repris, sans pincette ni guillemets, les arguments de la Ligue des Conducteurs (elle existe) :« cette politique discriminante à relent bobo, a-t-il écrit le 9 mars, touche une fois de plus les banlieusards au niveau de vie modeste, privés d’autre moyen de transport, mais aussi les artisans, les livreurs, etc. Selon une enquête de la Ligue de défense des conducteurs, elle pourrait coûter leur emploi à un demi-million de personnes ». 500 000 chômeurs de plus, d’un coup d’un seul, pas moins ! Que « l’enquête » en question soit un bidouillage sans queue ni tête de chiffres tirés d’une étude officielle de l’Agence Parisienne d’Urbanisme et d’un sondage CSA, personne ne l’a vérifié. Elle a été largement reprise en février 2025, au moment où la grogne montait et qu’Alexandre Jardin, surfant sur la peur d’un retour des gilets jaunes, courait plateaux de télévision et manifs pour dénoncer la relégation des  « gueux ». Un déferlement de mauvaise foi (là aussi c’est un euphémisme) et d’hystérie anti-bobos accusés de repousser la pollution dans les banlieues pour mieux vivre entre eux dans leur centre-ville comme l’a expliqué l’économiste Pascal Perri dans Les Echos du 19 mai.  

En face ? Rien. On lui parlait exclusion sociale ? Le gouvernement répondait pollution et 48 000 morts prématurées par an. Mais, même là le Rassemblement national rétorqua que c’était totalement faux, que les études étaient biaisées, et il fut soutenu par des économistes pourtant respectables dans des hebdomadaires tout aussi respectables. Ceux qui auraient dû être en première ligne, les élus des métropoles et grandes villes, se sont, eux, réfugiés derrière un prudent « le gouvernement ne nous aide pas ». Alors que c’était à eux de les mettre en place et de connaitre l’impact social et économique des ZFE sur leurs propres villes, ils ne savaient rien. Ou si peu.

Pourtant, à partir du milieu de l’année 2024, alors qu’il était encore temps de contrer le populisme anti ZFE, les premières études sérieuses ont pointé leur nez. Pas beaucoup d’études. Seulement 4 en 6 mois. Mais elles démontraient tout le contraire du duo Jardin-Meurin.

Dans l’ordre de parution : la note d’Hugo Parsons pour l’APUR en août 2024 sur les impacts sociaux et économiques liés à la restriction des véhicules Crit’Air 3 et plus  dans la métropole du Grand Paris, l’étude de Charlotte Liotta sur les inégalités d’accès à l’emploi dans les ZFE en novembre 2024[4], l’étude de Lucie Carriou sur l’opportunité de la ZFE-m dans la communauté d’agglomération de Saint Nazaire en décembre 2024 et l’évaluation des impacts ex ante d’une zone à faibles émissions sur la pauvreté et la vulnérabilité liées aux transports[5] dirigée par Sandrine Mathy en avril 2025 sur la métropole de Grenoble.

Moins de 3 Franciliens sur 100 sont en fait impactés par la ZFE

Ces quatre enquêtes ont un point commun : elles n’ont eu aucun impact médiatique. Même la première, concernant Paris la plus grande et la plus polémique métropole française, a fait un grand flop médiatique. Seule la CCI d’Île-de-France y a réagi. Mieux : alors que l’APUR travaille pour la Mairie de Paris et la Métropole, aucun député parisien ou francilien n’en a tenu compte lors des débats sur les ZFE. Pourtant, il eût été intéressant de savoir qu’il n’y avait dans la métropole du Grand Paris « que » 47 000 ménages qui étaient à la fois en dessous du seuil de pauvreté, propriétaires d’une voiture ne répondant pas aux critères de pollution et assez éloignés d’un transport en commun. 47 000 ménages, c’est 2,69% des ménages de la métropole. Savoir cela a au moins deux avantages : d’une part détruire les arguments des anti ZFE et d’autre part, comme l’on sait enfin de quoi l’on parle et que les dégâts sociaux sont finalement assez limités, permettre à la Métropole de trouver des solutions, des prêts et des dérogations pour ces 47 000. Ou d’en trouver pour les 155 000 travailleurs essentiels vivant dans le périmètre de la ZFE obligés de prendre leurs voitures Crit’Air 3 ou plus à cause de leurs horaires décalés… Mais pour trouver une solution, il fallait connaitre le problème.

Très peu de ménages sont concernés et les solutions sont simples et peu onéreuses

A Grenoble, les résultats sont encore plus nets. L’enquête a été réalisée sur l’agglomération élargie, 822 000 habitants. Cela représente 362 000 ménages dont environ 29 000 (8%) sont réellement concernés par la ZFE : ils n’ont d’autre solution que d’y aller en voiture et la leur n’est plus dans les critères. Là aussi on est loin des assertions anti ZFE. Mais il y a plus intéressant : parmi ces 29 000 ménages, 16 500 ne sont pas des ménages à haut risque. Ils peuvent faire du report modal, du vélo ou acheter une jolie voiture qui va bien car ils sont plutôt aisés. Pour eux pas de problème.  Ensuite 3 770 autres ménages peuvent changer de destination sans souci aucun. En clair changer de supermarché ou de salle de cinéma ; l’enquête étant entre autres appuyée sur les données du CEREMA qui indiquent tous les motifs de déplacement le montre parfaitement. Après, 8 730 ménages (30% des ménages concernés par la ZFE) n’ont eux aucun report modal possible et n’ont d’autre solution que d’acheter une voiture. Pour la plupart (7130 ménages exactement) cela ne pose pas de problème, ils ont les revenus et un jour ou l’autre ils avaient prévu de changer leur voiture

Il en reste 1 600. 1 600 ménages qui n’ont strictement aucun moyen financier et ont obligation de circuler dans la ZFE pour une raison impérative (travail, soins, démarches administratives etc…). Là est le problème. Ils ne représentent « que » 0,4% des ménages de l’agglomération, mais ils ont un revenu par unité de consommation[6] inférieur au seuil de pauvreté (13.500€/an par unité de consommation en 2020) et la part des dépenses de mobilité dans leur revenu est supérieure à deux fois la médiane nationale ! Là, il y a besoin de politiques de soutien. Surtout qu’un cinquième environ de ceux-ci (on ne parle donc plus « que » de 0,08% des ménages de l’agglomération) cumule d’autres vulnérabilités (travail de nuit, grandes distances domicile-travail, structures familiales particulières renforçant la vulnérabilité etc …) qui appellent des aides spécifiques supplémentaires. L’économiste de l’environnement Sandrine Mathy a évalué le montant global de l’enveloppe d’aides financières pour cette catégorie de la population : 6 millions d’euros[7]. 0,8% du budget de la métropole de Grenoble pour corriger les inégalités sociales engendrées par la ZFE, cela devrait être possible.

L’avantage considérable de ces travaux est qu’ils permettent de dire exactement quoi faire pour compenser les effets discriminants des ZFE. Beaucoup d’élus (et d’économistes) se plaignent qu’on a mis en place les ZFE sans les mesures pour les accompagner et que l’Etat ne les aide pas. Mais en quoi est-ce à l’Etat de connaitre les besoins des habitants d’Echirolles ou de Fos sur Mer en matière de mobilité ? Les présidents de la métropole de Lyon ou d’Aix Marseille ne peuvent pas demander de l’aide tout simplement parce qu’ils sont incapables de quantifier leurs besoins. Alexandre Jardin n’a d’ailleurs pas tout le temps tort. Dans tous ses écrits et interviews, il parle, encore et encore, du même exemple qu’il dramatise à l’excès dans Le Figaro du 8 janvier : « je suis allé dans un petit village à côté de chez moi, pas très loin. J’ai discuté avec X qui m’a dit être obligé d’aller à l’hôpital une fois par semaine et en même temps d’aller chercher son enfant pour le ramener chez lui le week-end… Il est trop pauvre, il est au RSA, il a une bagnole de merde, il ne peut plus y aller, il va mourir. Et son fils ne le verra plus ». Alexandre Jardin habite à côté de Narbonne, ville qui a mis en place une ZFE. Le cas qu’il soulève est très exactement le même que ceux qu’analyse Sandrine Mathy à Grenoble. Il aurait pu être traité simplement si le Grand Narbonne avait réalisé ce type d’étude et pris conscience du problème. Alexandre Jardin préfère manifester devant l’Assemblée nationale alors que la solution est à côté de sa porte.

Adapter une ZFE aux besoins est finalement simple, comme à Saint Nazaire

Ce type d’études possède un autre avantage, montrer que chaque agglomération a ses solutions spécifiques. Saint Nazaire ne ressemble ainsi ni à Grenoble ni à Paris : non seulement les ménages les plus modestes se trouvent proches du centre-ville, mais Saint-Nazaire bénéficie en plus d’une offre extrêmement dense en matière de transports en commun. Or 65% des résidents de la ZFE travaillent à St Nazaire et 35% à Montoir de Bretagne qui sont toutes deux des communes parfaitement pourvues en matière de transport en commun : tous les habitants ou presque dont les voitures ne correspondant pas aux critères ont donc une alternative de déplacement. L’étude du CEREMA faite par Lucie Carriou a été réalisée en 2024. Elle montre qu’en cas d’application immédiate de l’interdiction des Crit’Air 4, 5 et NC environ 3600 VL appartenant à des résidents de la ZFE-m seraient interdits de circulation. Mais en cas d’application différée (sous deux ans) il n’y aurait plus que 760 voitures appartenant à des résidents qui seraient concernées. En tenant compte du renouvellement tendanciel du parc local, ce ne serait plus que 100 VU ou VUL appartenant à des résidents ou des professionnels résidents de la ZFE qui resteraient à « traiter » en 2026. C’est peu. Très peu même. Loin des délires populistes.

Reste un souci avec le parc automobile des résidents pauvres de la ZFE-m. Lucie Carriou évalue à 200 le nombre de véhicules concernés. 200 véhicules dont la plupart ne roulent généralement pas pour aller au travail puisque le centre-ville est très bien pourvu en transports en commun, mais que potentiellement leurs propriétaires n’ont pas forcément la possibilité financière de changer. 200 c’est très peu et la batterie de solutions possibles est assez grande : de la dérogation pure et simple (dans l’attente de l’achat d’un nouveau véhicule), aux aides financières en passant par les dérogations pour des cas précis ou la gratuité des transports en commun…. Problème identifié, problème résolu ?

Enfin, à St Nazaire comme ailleurs, les visiteurs occasionnels, les touristes ou les « gueux » de Jardin et Meurin : il en restera un peu plus de 1500 qui en 2026 ne répondront pas aux critères pour accéder à la ZFE. Pour eux une seule solution : laisser leur vieille voiture dans un parking relais à l’entrée de la ZFE puis transports collectifs, covoiturage, vélo etc…. Et des aménagements seront faits pour certains motifs comme les soins médicaux ou les convocations administratives. De même, dans certaines ZFE-m, l’accès à l’offre culturelle, commerciale et de loisirs peut être facilitée le week-end, période où les niveaux de trafic routier sont plus faibles, en modulant la période d’application de la ZFE-m, ou en encourageant le report modal par la gratuité des transports collectifs le week-end. La métropole de Saint Nazaire n’est pas plus une forteresse que les autres.

Aucune collectivité, en France comme en Europe, ne s’est penchée sérieusement sur l’accès à l’emploi dans les ZFE

Quant à l’emploi, c’est une autre problématique. Le sujet ne semble guère intéresser l’Etat ou les collectivités. Une seule étude pour l’instant, celle de l’économiste Charlotte Liotta. C’est d’ailleurs, selon l’économiste, la seule étude jamais réalisée en Europe sur les liens entre les ZFE et l’accès à l’emploi Elle a analysé l’impact attendu des ZFE sur l’accès aux emplois dans huit villes avec ZFE : Grenoble, Marseille, Montpellier, Nice, Reims, Rouen, Strasbourg et Toulouse. Elle a évalué l’accessibilité aux emplois, c’est-à-dire le nombre de postes auxquels peut prétendre un individu en fonction de sa catégorie socioprofessionnelle et de son temps de trajet. Et elle a comparé la situation actuelle (2024) à la situation future, à la date où chaque ville a prévu d’achever sa ZFE. Les résultats ne sont pas enthousiasmants, les pertes d’accessibilité à l’emploi pouvant atteindre plus de 20% en moyenne pour certaines catégories socio-professionnelles à Grenoble, Montpellier, Rouen, ou Strasbourg : certains trajets domicile-emploi deviennent plus longs, le ménage possède un véhicule polluant, l’alternative en transport en commun ou à pied est plus longue etc… En termes d’inégalités, les plus impactés sont les employés et les ouvriers dans 6 des 8 villes (Grenoble, Montpellier, Rouen, Strasbourg, Nice, et Toulouse). Les villes ont des problèmes spécifiques. Ainsi dans deux villes les ZFE n’affectent pas davantage les employés et ouvriers que les autres CSP[8] : Marseille, car les transports en commun sont relativement accessibles aux employés et ouvriers, et à Reims, car les ménages les plus modestes possèdent peu de véhicules polluants et habitent peu dans la ZFE.

Sur le dossier emploi/ZFE chaque ville va donc avoir des solutions différentes, il s’agit d’un travail sur les mobilités et l’intermodalité et l’Etat n’y peut rien. Il peut travailler sur les aides financières pour les véhicules mais le reste dépend des collectivités. Elles ne se sont clairement pas emparées du volet social des ZFE et les députés ont basculé dans le populisme : au sein de la commission de l’Assemblée nationale, le 28 mai 2025, la totalité des députés LFI et RN a voté pour la suppression des ZFE. Aucun ne devait probablement avoir lu une seule des quatre études d’impact.

La remise en cause des ZFE par l’Assemblée nationale est d’autant plus navrante que la même économiste Sandrine Mathy, avec la même équipe et sur le même territoire, avait réalisé en 2022-23 une étude sur l’acceptabilité de la ZFE. Ses résultats avaient montré une acceptabilité relativement élevée, 54% l’estimant acceptable ou très acceptable, que ce résultat était comparable aux niveaux d’acceptabilité dans d’autres villes européennes, et surtout que cette acceptabilité traversait toutes les couches de la population de manière similaire. En d’autres termes une mesure majoritairement acceptée par les gens concernés, bénéfique pour la santé et avec des dégâts sociaux assez peu importants et relativement facilement corrigeables, a été sacrifié sur l’autel du populisme.

Jean-Pierre Gonguet, journaliste.


Notes

[1] https://www.airparif.fr/sites/default/files/document_publication/Rapport-Enquete-Mortalite.pdf

[2] https://www.santepubliquefrance.fr/presse/2021/pollution-de-l-air-ambiant-nouvelles-estimations-de-son-impact-sur-la-sante-des-francais

[3] ZAN – Zéro artificialisation nette. Objectif à 2050 mise en place par la loi Climat et résilience de 2021 pour lutter contre l’artificialisation des sols.

[4] Voir un résumé ici https://www.connaissancedesenergies.org/pollution-zfe-inegalites

[5] Voir un résumé sur The Conversation https://theconversation.com/zones-a-faibles-emissions-au-dela-de-verdir-lautomobile-un-levier-vers-les-mobilites-durables-255638

[6] Pour comparer le niveau de vie des ménages, on divise le revenu global du ménage par le nombre d’Unité de consommation (UC) généralement calculé de la façon suivante : 1 UC pour le premier adulte, 0,5 UC pour les autres personnes de 14 ans ou plus et 0,3 UC pour les enfants de moins de 14 ans. Pour en savoir plus consultez la Fiche Comment mesurer les inégalités monétaires sur la plateforme The Other Economy.

[7] https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2213624X24001639?via%3Dihub

[8] CSP : Catégorie socioprofessionnelle. Définition et liste complète de la nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles sur le site de l’Insee

The post ZFE une totale absence de méthode tue une bonne idée appeared first on Chroniques de l'Anthropocène.

PDF

11.06.2025 à 16:13

Destruction de la vie sur Terre : Donald Trump prend la direction des opérations

Alain Grandjean

Donald Trump mène à marche forcée au niveau fédéral américain des actions de fond pour éliminer toute contrainte (fiscalité, normes, réglementations, interdictions, et les moyens de recherche et de contrôle…

The post Destruction de la vie sur Terre : Donald Trump prend la direction des opérations appeared first on Chroniques de l'Anthropocène.

Texte intégral (5510 mots)

Donald Trump mène à marche forcée au niveau fédéral américain des actions de fond pour éliminer toute contrainte (fiscalité, normes, réglementations, interdictions, et les moyens de recherche et de contrôle qui vont avec) à la libre exploitation – entendre destruction- de la nature par les entreprises. Simultanément, il réduit tout ce qu’il peut au plan de la solidarité et du social. Il cherche aussi à faire adopter cette approche dans le monde entier, notamment en soutenant dans les pays européens les partis d’extrêmes droite qui la partagent[1]. Nous allons dans la suite tenter de mieux comprendre la logique des actions de Donald Trump et en déduire les domaines où doit s’envisager la lutte contre elles.

Cette simultanéité (de l’action anti-sociale et de la destruction du vivant) ne doit rien au hasard. Elle repose sur la psychologie de Donald Trump et sa conception du monde, partagées par une poignée d’ultra-riches[2]. Tout d’abord, une avidité sans limite[3] et une totale absence d’empathie[4] qui le conduisent à ne pas vouloir partager le moindre morceau de pain avec les « déshérités » de la Terre. Ensuite, une incompréhension abyssale des mécanismes biologiques et écologiques, qui lui fait penser qu’il pourra toujours s’en sortir (lui, sa famille et ses copains) même dans un monde où la nature est mise à sac, grâce à ses moyens financiers et à son pouvoir politique. Enfin, un sentiment de toute puissance tel qu’il pense pouvoir imposer cette « conception » au monde entier.

Quelques exemples des mesures prises par Donald Trump
Il nous est impossible ici d’être exhaustif tant l’activité de Trump est compulsive et intense. Limitons-nous à quelques exemples significatifs.
Côté « instruments de mesure », des centaines de professionnels ont été licenciés de la célèbre agence NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration) de la NASA qui vient en outre de se voir imposer de ne plus mettre à jour sa base de données sur les catastrophes climatiques. On peut considérer aussi que les coupes dans les sciences sociales – sous la bannière d’une critique du « wokisme » pour le moins confusante- visent à limiter la connaissance des faits qui le dérangerait.
Côté santé, il a procédé à la suppression de plus de 12 milliards de dollars de subventions fédérales, au démantèlement des agences sanitaires, au retrait brutal de l’OMS et à l’arrêt des programmes USAID.
Côté régulation environnementale, dans la logique de son slogan de campagne « We will drill, baby, drill », il a signé un décret pour « libérer le potentiel extraordinaire des ressources de l’Alaska » (son pétrole), qui condamne le refuge faunique national de l’Arctique[5]. Il vient d’en signer un autre pour accélérer l’exploration et l’exploitation des minerais contenus dans les fonds marins[6], y compris dans les eaux internationales, en violation du droit international.Il a ordonné le maintien en activité de deux vieilles centrales à charbon des années 1960 qui allaient fermer[7]. Il a réduit, dans le budget qui vient d’être approuvé par la Chambre des représentants[8], les aides à la décarbonation mises à place par l’administration Biden[9].
Il a également décidé de mettre à zéro le cout social du carbone[10], utilisé par l’administration dans les études coûts-bénéfices pour intégrer à l’évaluation d’un investissement ou d’une politique publics les impacts que le réchauffement climatique provoqué par les émissions de gaz à effet de serre de cet investissement ou politique causeraient à l’économie. Mettre à zéro ce coût c’est considérer que le changement climatique n’a pas de conséquences économiques négatives[11]. C’est ôter un frein de plus à la non-prise en compte du climat.
Cette mesure s’ajoute au refus de subvention de recherches portant sur le climat (entre autres) et à la réduction drastique des effectifs de l’agence américaine de l’environnement (l’EPA)[12].
Sur le plan international, Trump est aussi actif ; il exerce une forte pression pour que la Banque mondiale et le FMI ne s’occupent plus du climat. Il cherche à affaiblir le pouvoir d’un groupe de travail de haut niveau créé en 2020 pour examiner les risques liés au changement climatique[13].

1. Pénurie physique réelle ou imaginaire ?

Les risques de pénurie physique liées aux limites planétaires pourraient donner un semblant de rationalité à cette « conception ». Comme écrit dans un post[14] de ce blog : « Dans une situation de pénurie, pour que la population ne disparaisse pas entièrement, une minorité doit avoir accès à plus que ses besoins vitaux[15] quand une partie de la population ne peut que manquer du nécessaire. Dans cette situation, l’histoire a montré qu’une caste de dominants (une oligarchie) accapare des ressources en excès, exploite à son profit la peur de manquer de l’immense majorité de la population et use des méthodes les plus brutales pour conserver ses privilèges. »

Arnaud Orain, dans son essai sur le capitalisme de finitude[16] compare la montée de l’impérialisme contemporain (de Xi Ping à Trump en passant par Poutine, Erdogan et autres « apprentis empereurs ») avec des formes passées[17] du capitalisme protectionniste[18], en insistant sur l’idée que dans les deux cas, et contrairement à l’idéologie libre-échangiste, l’économie est vue comme un jeu à somme nulle. Ce qui est pris par l’un ne l’est pas par l’autre alors que l’idéal du libre-échange est la croissance du gâteau.

Citons un extrait de la quatrième page de couverture de son livre: « L’utopie néolibérale d’une croissance globale et continue des richesses est désormais derrière nous. Mais le capitalisme n’est pas mort pour autant. Sa forme actuelle n’est ni réellement nouvelle ni totalement inconnue, car elle est propre à tous les âges où domine le sentiment angoissant d’un monde « fini », borné et limité, qu’il faut s’accaparer dans la précipitation. Ce capitalisme se caractérise par la privatisation et la militarisation des mers, un « commerce » monopolistique et rentier qui s’exerce au sein d’empires territoriaux, l’appropriation des espaces physiques et cybers par de gigantesques compagnies privées aux prérogatives souveraines, qui dictent leurs rythmes. »

Arnaud Orain ne se prononce pas vraiment sur la réalité des tensions matérielles. Or la situation, sur ce plan, est devenue radicalement différente, ce qui fragilise l’analyse d’Orain (sans l’invalider), tant sur le plan des représentations que sur celui des réalités physiques. Jusqu’à la fin de la deuxième moitié du XX° siècle, la Nature était vue comme infinie. Et simultanément, le refus des limites voire la valorisation des transgressions se sont imposés comme valeurs en Occident[19], à l’opposé complet de la morale traditionnelle et de l’idéal chrétien de pauvreté, rappelé obstinément par le pape François et réitéré par Léon XIV. Ce refus des limites est devenu une des causes de la destruction de la nature, et il est évidemment partagé par Donald Trump et les ultra-riches.

Mais ce refus ne doit pas être confondu avec un aveuglement total : ces ultra-riches n’excluent pas une crise majeure -à laquelle ils contribuent[20]– et sont effectivement obsédés par le risque de manquer[21]. Ils en veulent toujours plus, en particulier pour se préparer à cette éventualité. A raison- de leur point de vue-car les limites sont bien là, objectives ; le monde est bien fini et les raisonnements économiques (comme par exemple celui qui fonde la règle de Hotelling[22]) sont tout simplement faux.

Donald Trump pourrait donc se dire que, pour qu’il dispose, lui, de plus de moyens physiques, il serait de bonne politique de réduire la pression anthropique globale sur la Nature, qui réduit la taille du gâteau[23]. Mais ce n’est pas du tout le cas, ce qui révèle une part de son psychisme. Il préfère détruire les instruments permettant de mesurer cette pression et la répartition sociale de ces effets (ce que peuvent faire les sciences sociales, cf encadré ci-avant), et supprimer les outils de régulation dans plusieurs buts :

  • ne pas limiter les gains des milliardaires et des « winners » futurs milliardaires ;
  • réduire la part du gâteau des « losers », les pauvres et déshérités qui sont aux premières loges du changement climatique et de la destruction du vivant ; « tout pour moi, rien pour les autres», c’est assez simple à comprendre.
  • faire cesser la production d’ informations qui seraient contraires à sa pensée et ses intérêts.

Citons sur ce point une récente tribune de Johanna Siméant-Germanos « La démocratie suppose de pouvoir collectivement délibérer d’une situation à partir de faits. Comme le disait Hannah Arendt, « la liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie ». Si les faits ne sont pas connaissables, le débat est une fiction. Celui qui contrôle les récits contrôle en partie l’issue de la délibération. »

Les politiques fiscales et budgétaires qu’il veut mener sont limpides sur ce plan (réduire autant que possible les dépenses sociales et la fiscalité sur les plus riches). Les Etats-Unis se sont retirés de l’accord sur la taxation des multinationales et menacent de représailles les pays taxant les groupes américains[24]. Donald Trump veut faire voter un budget limpide : ce sont les classes sociales des déciles supérieurs qui vont en bénéficier au détriment des classes inférieurs comme le montre un rapport de l’office budgétaire du congrès[25]. Sans rentrer dans les détails, il comporte de très fortes réductions d’impôts et des réductions fortes des dépenses sociales et environnementales.

C’est ainsi qu’on peut également interpréter les mesures hallucinantes prises dans le domaine de la santé (voir encadré ci-avant), au moment même où les mutations de virus grippaux (H5N1[26] et H7N9[27]) alertent la communauté scientifique mondiale sur un nouveau risque pandémique. La conséquence en est inéluctablement des millions de morts, voire beaucoup plus.

2. Les ultra riches s’en sortiront-ils ?

Il peut sembler étonnant que Trump se sente personnellement protégé, tout comme sa famille et la caste des ultra-riches, des conséquences du changement climatique et de la destruction de la nature. C’est là qu’intervient son incompréhension des mécanismes du vivant, que Dieu même ne pourra pas modifier ! Il est assez évident que l’humanité ne peut faire face à des pandémies que par une action concertée au niveau mondial et par l’acquisition d’une immunité collective. Un virus virulent, pas autant qu’Ébola qui tue trop vite les porteurs, mais très contagieux pourrait frapper, sans possibilité de s’emmurer contre lui, la grande majorité des habitants de cette planète. Pour s’en protéger, la richesse ne sera pas une barrière absolue. Quant aux dégâts du changement climatique, il faudra disposer de moyens extraordinaires (dont des moyens de prévisions météos efficaces à tous les horizons de temps pour se réinstaller ailleurs, ce qui suppose de poursuivre les efforts scientifiques dans ce domaine !!!) pour éviter à coup sûr d’en être la victime. Plus globalement, il n’y aura pas la place pour une poignée d’humains même très riches dans une planète dévastée. Mais tout ceci ne pénètre pas dans le cerveau de Trump ni de celui des technophiles Trans humanistes qui l’influencent.

3. Combattre Trump : comment ?

Donald Trump et les ploutocrates qui le soutiennent, mettent bien dans le même sac la destruction de la vie non-humaine et celle des humains qu’ils soient issus des classes moyennes supérieures, moyennes et pauvres.

L’Europe a sa carte à jouer pour limiter la casse. Nous n’aborderons pas ici les mesures à prendre au plan écologique (voir par exemple notre dernier livre) mais nous nous limiterons à celles qui conditionnent leur implémentation.

Ce que nous venons de voir montre bien que l’opposition à Trump doit se faire sur les deux fronts simultanés : limiter sa violence contre la majorité des humains et contre la Nature. C’est aussi à l’évidence stratégiquement bien plus efficace : la Nature, si on s’autorise à la personnaliser, se révolte et nous fait sentir ses « désaccords » avec les préjudices qu’elle subit. Gaia rugit et même beaucoup plus…nous sentons et sentirons toujours plus notre douleur. Mais il est à craindre que cela ne soit guère efficace face à des « Trumps » aveugles et sourds, qui veulent en outre détruire tout instrument de mesure caractérisant l’ampleur de cette réaction. La Nature enfin ne vote pas ; les hommes si, dans les pays démocratiques et, espérons-le, encore pour quelque temps.

4. La séparation des pouvoirs.

Trump nous révèle tout d’abord à quel point il est important de sauvegarder l’essence de nos institutions qui visent à garantir la séparation des pouvoirs. Précisons.

A. La séparation du religieux et du temporel.

A cet égard le media le Grand continent a raison de nous alerter sur le risque de « l’option carolingienne ». Le pouvoir spirituel doit être séparé du pouvoir temporel. Ce n’est pas le cas dans de nombreux pays mais cela l’était aux États-Unis et c’est le cas en France. Or Trump est tenté de prendre le pouvoir sur la nomination des évêques[28] et ainsi de contrôler l’Église catholique aux États-Unis, comme Vladimir Poutine contrôle l’Église orthodoxe en Russie. Cela pourrait sembler anecdotique mais ça ne l’est pas. L’Église catholique bénéficie encore (malgré les scandales sexuels et sa posture moralement rigide) d’une écoute auprès de plus d’1,4 milliard de fidèles (sur 2,4 milliards de chrétiens) notamment dans les pays pauvres et en développement. Or les religions dans leur grande majorité promeuvent des modes de vie sobres.

B. La séparation du politique et de l’économique.

Trump est la caricature de ce qu’il faut éviter. Un businessman qui veut gérer un pays comme une affaire et qui patauge dans les conflits d’intérêt. Pire encore, il ne défend évidemment pas l’intérêt général de son pays, mais l’intérêt du monde des affaires et de ces proches et affidés. Le système politique américain qui a déplafonné les montants des financements de campagne est évidemment une des sources premières de cette situation[29]. Au-delà, l’idée, souvent promue par les milieux d’affaire, qui consiste à faire croire que l’État doit être géré comme une entreprise et que les entrepreneurs sont les mieux placés pour se faire, est fausse et doit être dénoncée.

C. La séparation du judiciaire, du législatif et de l’exécutif.

Cette séparation est bien connue depuis Montesquieu. Elle est menacée aux États-Unis par Donald Trump qui se considère à titre personnel comme au-dessus des lois et a pris plusieurs décisions pour s’inféoder la justice et tout particulièrement la Cour suprême.

D. Le scientifique et le politique.

Les attaques répétées de Trump contre la science[30] vise au premier chef le climat. Mais elles concernent aussi de fait le domaine de la santé et celui des sciences sociales. Il y a fort à parier que, tout comme Staline (avec l’affaire Lyssenko mais pas uniquement), Trump et ses amis milliardaires souhaitent le développement de la science quand elle va dans le sens de leurs intérêts et idéalement privatiser la science.

Cette confusion est éminemment dangereuse. Concernant la santé (et en particulier les vaccinations et actions collectives contre les pandémies), il est évident qu’il s’agit d’un commun mondial et que les actions de Trump vont augmenter drastiquement les risques pour la majorité de la population mondiale. Concernant les sciences du climat et de l’écologie, il est inutile d’argumenter longuement sur le fait que leurs apports sont d’autant plus décisifs qu’il s’agit de domaines où, les impacts étant pour l’instant peu accessibles aux sens, les évaluations des conséquences des dérives climatiques et de l’effondrement de la biodiversité reposent principalement sur les travaux des scientifiques.

5. La synergie entre enjeux démocratiques, sociaux et écologiques.

La clef pour cantonner l’action de Trump se trouve bien chez les classes moyennes supérieures, moyennes et pauvres[31] qui sont les plus exposées à son action. La démocratie reste le seul rempart contre la ploutocratie… Mais nos concitoyens sont trompés par les promesses de ces ploutocrates aux États-Unis comme partout.

Il n’y pas de doute que la bataille contre la « décérébration » d’une grande partie de l’humanité[32] par les industriels du numérique et la bataille pour une science[33] autonome, font donc cause commune avec celle contre la destruction de la nature. C’est l’absence de discernement et la croyance aussi aveugle que stupide dans des leaders charismatiques mégalomanes qui les fait accéder au pouvoir dans les démocraties. La régulation du numérique, des médias, de la publicité, la bataille pour l’autonomie financière de l’activité scientifique… doivent faire partie de tout programme mettant l’écologie en son cœur.

Politiquement donc, on est obligé de conclure, et ce sans aucun apriori idéologique, à la synergie entre une économie plus humaine et une économie plus écologique. C’est le sens de l’Encyclique Laudato Si’ et de la notion d’écologie intégrale qu’elle promeut. L’habitabilité de notre planète est à sauvegarder pour un ensemble de raisons qui en font une nécessité incontournable.

C’est aussi, et avec toute la modestie qui s’impose à nous, le sens de l’association The Other Economy qui a pour mission d’éclairer l’économie pour rendre possible une reconstruction écologique et socialement juste.

Alain Grandjean


Notes

[1] Voir notamment Par un canal officiel, les États-Unis de Donald Trump lancent un appel au changement de régime en Europe, traduction par Le Grand Continent du texte publié le 27/05/25 sur le compte officiel du Département d’État américain.

[2] Voir le post Le scenario NOE 2.0 sur le blog.

[3] A titre d’exemple les affaires du clan Trump et de ses amis sont l’une de priorités de Donald Trump. Comme l’écrit le New York Times les conflits d’intérêt sont sans précédent. Voir par exemple cet article de Mediapart. Son voyage récent au Moyen-Orient est sur ce plan spectaculaire.

[4] Cf ce propos d’Elon Musk le 28 février 2025, dans le podcast The Joe Rogan Experience : “The fundamental weakness of Western civilization is empathy »…

[5] https://www.ledevoir.com/environnement/834913/trump-reve-exploiter-plus-petrole-alaska-industrie-aussi

[6] https://www.humanite.fr/environnement/exploration-miniere/environnement-trump-veut-lancer-le-forage-au-fond-des-oceans-meme-dans-les-eaux-internationales

[7] Coal and Gas Plants Were Closing. Then Trump Ordered Them to Keep Running. New York Times, 6/06/2025

[8] À la date de publication de cet article le budget n’a pas encore été approuvé par le Sénat.

[9] https://www.wsj.com/politics/policy/what-is-in-republican-tax-bill-39809182

[10] La valeur de l’action pour le climat (concept proche du coût social du carbone) a été réévaluée en France par une commission présidée par Alain Quinet (voir La valeur de l’action pour le climat, Rapport de la commission Quinet, 2019). Elle est fixée à en 2030 à 256 euros.

[11] Le New York Times a titré le 10/05/25 “What’s the Cost to Society of Pollution? Trump Says Zero.” (Voir l’article en accès libre sur la plateforme DNYUZ).

[12] Donald Trump veut réduire massivement les effectifs de l’Agence de protection de l’environnement américaine, Le Monde, 26/02/25

[13] Voir cet article du Finantial Times, US pushes financial regulators to backtrack on climate risk project, 9/05/25

[14] Voir sur ce blog La surabondance va-t-elle conduire au retour de la pénurie ?, 10/02/23

[15] C’est dur à accepter mais évident mathématiquement. Si toute la population a moins que le minimum vital alors elle meurt en entier. Mais pour que ce ne soit pas le cas il faut bien que la distribution des ressources soient inégalitaire, certains auront plus que le minimum vital et d’autres moins. Dans les faits, les dominants ont toujours exploité la peur de la famine et se sont accaparés bien plus que le minimum vital.

[16] Le monde confisqué, Essai sur le capitalisme de la finitude (XVIᵉ – XXIᵉ siècle). Flammarion. 2025.

[17]Au XVIᵉ – XVIIIᵉ siècle et de 1880 à 1945.

[18] C’est ainsi qu’il est en général caractérisé dans l’histoire économique.

[19] Voir sur ce blog le post Pourquoi détruisons-nous la vie sur Terre ? 26/07/22.

[20] Voir Trump face au dérèglement climatique : du climatoscepticisme au radicalisme Dark MAGA, The Conversation, 15/05/25

[21] La peur du manque peut être incoercible; tout milliardaire qu’il soit Trump comme les autres a encore peur de manquer.

[22] Voir sur ce blog le post A quand la fin du pétrole ? 14/04/23 et la Fiche La règle de Hotelling, sur la plateforme The Other Economy.

[23] Voir le livre Les Orphelins de la planète de Alain Grandjean, Claude Henry et Jean Jouzel, Grasset, 2025.

[24] Pour en savoir plus sur les mesures de la communauté internationale visant à imposer une taxe minmale aux multinationales voir la fiche Évasion et paradis fiscaux (partie 3.3) sur la plateforme The Other Economy.

[25] Voir Preliminary Analysis of the Distributional Effects of the One Big Beautiful Bill Act, Congressional Budget Office, 20/05/25 et

[26] Voir Pourquoi les scientifiques se préparent à ce que la grippe aviaire devienne la prochaine pandémie, BBC World Service, 25/05/25.

[27] Grippe aviaire : qu’est-ce que la souche H7N9, transmissible à l’homme, qui vient de réapparaître aux Etats-Unis ? France info, 19/03/25

[28] Qui a été conquis de haute lutte par l’Église catholique au tournant du premier millénaire et constitue l’une des clefs de la réussite de la réforme grégorienne. Voir le livre de Gael Giraud, Composer un monde en commun.  Une théologie politique de l’anthropocène, Seuil, 2022.

[29] Notons que la collusion entre politique et monde économique est également bien présente en France malgré les limites imposées dans le domaine du financement des campagnes. C’est notamment lié au phénomène des « portes tournantes » (alternance au cours de la carrière d’une personne entre les positions de haute responsabilité dans le privé et dans la haute administration et/ou les cabinets ministériels) qui facilitent la capture du régulateur par le régulé. Voir par exemple Joël Moret Bailly, Hélène Ruiz Fabri et Laurence Scialom Les conflits d’intérêts, nouvelle frontière de la démocratie, Terra Nova, 2017,

[30] Voir L’anti-science version Trump arrive en France, AOC, 12/05/25.

[31] Même si, comme au moment de la Révolution française, les leaders potentiels de cette révolution ne sont pas issus de ces classes sociales.

[32] Voir entre autres le livre de Gérald Bronner. L’apocalypse cognitive, PUF, 2021

[33] L’anti-science version Trump arrive en France, David Chavalarias, 2025. Il ne s’agit pas ici d’idéaliser l’activité scientifique, qui est, qu’on le veuille ou non, à l’origine des grandes découvertes qui ont permis à l’humanité de dominer puis détruire la nature. Mais l’attaque de Trump ne vise pas à détruire la science, elle vise à la contrôler et à la mettre au service de ses intérêts (ou perçus comme tels plus précisément).

The post Destruction de la vie sur Terre : Donald Trump prend la direction des opérations appeared first on Chroniques de l'Anthropocène.

PDF

14.05.2025 à 11:48

Les orphelins de la planète

Alain Grandjean

C’est à l’automne 2023 que nous écrivons à 6 mains (Claude Henry, Jean Jouzel et moi) un long papier à l’initiative de Claude Henry, qui sera publié en décembre de la même année dans le Monde diplomatique. Nous prenons contact avec Grasset [1] qui nous propose d’en faire un livre court, grand public. Nous acceptons […]

The post Les orphelins de la planète appeared first on Chroniques de l'Anthropocène.

Texte intégral (865 mots)

C’est à l’automne 2023 que nous écrivons à 6 mains (Claude Henry, Jean Jouzel et moi) un long papier à l’initiative de Claude Henry, qui sera publié en décembre de la même année dans le Monde diplomatique. Nous prenons contact avec Grasset [1] qui nous propose d’en faire un livre court, grand public.

Nous acceptons avec enthousiasme. Pauline Perrignon, notre éditrice, aura été exceptionnelle dans tout le travail qui nous conduit à sa publication le 14 mai. Je l’en remercie ici vivement.

Outre l’honneur et la joie que j’ai ressentis de travailler avec Jean Jouzel, la rédaction de ce livre aura été une occasion de plus d’admirer les qualités humaines de Claude, qui va réussir, malgré de très lourds ennuis de santé, à aller au bout du travail et de la relecture des épreuves. Il décède le 17 avril 2025, sans voir son œuvre achevée. C’est pour moi une profonde tristesse de le perdre ; j’aurais tant aimé qu’il voit ce livre dans les librairies. Il aura été exemplaire à mes yeux pendant tous ces mois où il n’a jamais baissé les bras.

Je connais Claude depuis mon passage à l’école polytechnique, où il était professeur d’économie publique. Il était le directeur du laboratoire d’économétrie de l’école quand j’y suis entré. C’est là que j’ai fait ma thèse d’économie de l’environnement qu’il a de fait co-dirigée. Il a été pour moi un maître remarquable puis nous sommes devenus, si j’ose le dire ainsi, compagnons de route.

Au-delà de ses exceptionnelles qualités intellectuelles, j’ai le plus profond respect pour ses qualités humaines tout aussi exceptionnelles, son amitié inébranlable, sa fidélité et son exigence morale. Je suis très fier d’avoir participé avec Jean Jouzel à sa dernière aventure intellectuelle .

Je ne vais pas faire ici de résumé des Orphelins de la planète, mais me contenter de dire que c’est le reflet de l’adage préféré de Claude, attribué à Guillaume d’Orange [2]:

« Point n’est besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer. »

Voici un extrait de la quatrième page de couverture :

De la planète que nous laisserons en héritage à nos enfants et petits-enfants, un médecin dirait que le pronostic vital est engagé. Pronostic engagé mais pas désespéré, car les éléments d’une alternative réaliste à un processus général de dégradation ont été élaborés. Encore faut-il que ceux qui y font obstinément obstacle n’aient pas le dernier mot.

Après des décennies de maltraitance aux mains d’entreprises obsédées par le profit et d’autorités publiques défaillantes ou complices, la planète est secouée par les désordres climatiques, appauvrie en ressources vitales, imprégnée de produits chimiques de synthèse dont la toxicité menace jusqu’à l’enfant dans le ventre de sa mère. Cependant, des pionniers mettent en œuvre des solutions capables de changer la donne : ils montrent en particulier qu’il est possible et nécessaire de travailler avec la nature, et non contre elle. 

L’association The Other Economy que nous avons créée avec Marion Cohen est évidemment en pleine cohérence avec ce livre et son message.

La situation planétaire se dégrade dangereusement pour des centaines de millions d’êtres humains. Nous ne pouvons pas baisser les bras dans le combat qui est le nôtre : éclairer l’économie pour rendre possible une reconstruction écologique et socialement juste !

Alain Grandjean


Les orphelins de la planète, Alain Grandjean, Claude Henry, Jean Jouzel, Grasset, 2025

Notes

[1] Merci à Jean-Pierre Gonguet qui nous a mis en relation avec Pauline Perrignon.

[2] Guillaume d’Orange est connu pour avoir été l’initiateur et le chef de la révolte des Pays-Bas espagnols contre le roi d’Espagne Philippe II au XVIe siècle.

The post Les orphelins de la planète appeared first on Chroniques de l'Anthropocène.

PDF

13.05.2025 à 10:17

Le scénario NOE 2.0

Alain Grandjean

De quoi l’avenir sera-t-il fait ? Cette question nous hante à lecture des travaux du GIEC relatifs aux bouleversements climatiques en cours, qui verront les fluctuations dévastatrices inexorablement s’intensifier bien au-delà de ce que l’on a pu déjà observer, mais aussi à la lecture des travaux de l’IPBES sur la surexploitation des ressources et les destructions […]

The post Le scénario NOE 2.0 appeared first on Chroniques de l'Anthropocène.

Texte intégral (7182 mots)

De quoi l’avenir sera-t-il fait ? Cette question nous hante à lecture des travaux du GIEC relatifs aux bouleversements climatiques en cours, qui verront les fluctuations dévastatrices inexorablement s’intensifier bien au-delà de ce que l’on a pu déjà observer, mais aussi à la lecture des travaux de l’IPBES sur la surexploitation des ressources et les destructions irréversibles de la nature qui sont déjà largement engagées et mesurables.

Pour fournir un éclairage à la question posée, le GIEC et bien d’autres organismes produisent des scénarios car, face à des incertitudes radicales, le scénario est un des outils qui peut nous aider à sortir de la sidération.

Il ne s’agit pas de décrire l’avenir qui est largement indéterminé mais d’imaginer des possibles pour ouvrir les yeux sur ce qui pourrait arriver. Il s’agit de faire émerger des boucles de causalité structurantes, jusque-là insoupçonnées ou insuffisamment documentées, pour être mieux équipé le cas échéant, et prendre les mesures qui s’imposeraient une fois les risques à éviter à tout prix à peu près bien définis.

C’est dans cet esprit que nous allons évoquer ici un scénario[1] original et, comme on le verra,  peu attractif pour l’immense majorité d’entre nous, même s’il nous semble assez plausible. Nous proposerons en conclusion une famille de solutions visant à  éviter qu’il se réalise, mobilisant des leviers économiques, politiques et culturels, donc systémiques. Car c’est bien nos dispositifs institutionnels et leurs faiblesses qui permettent les dérives qui caractérisent les comportements moteurs de ce scénario.

Mais, avant de l’exposer, quelques mots de contexte. Comme on le verra, ce scénario repose sur l’hypothèse que les « ultra-riches », déjà détenteurs du pouvoir industriel et financier, accèdent partout dans le monde à d’autres formes de pouvoir (informationnel et politique, voire aussi judiciaire) et mettent en œuvre des programmes conformes à ce qui leur semble être leur intérêt.

1 Les ultra-riches (UR) de qui s’agit-il ?

Le terme Ultra High Net Worth (UHNW) est utilisé en finance et en gestion de patrimoine pour désigner les individus[2] dont le patrimoine net est extrêmement élevé. Généralement, une personne est considérée comme UHNW si elle possède un patrimoine net de 30 millions de dollars ou plus. On peut en estimer le nombre aujourd’hui à environ 425 000[3]. Une autre caractérisation, davantage médiatisée, consiste à parler en termes de pourcentage de la population mondiale ; et on serait alors quelque part entre les 0,01% et les 0,001% (soit entre 80 000 et 800 000 personnes). Il faut garder à l’esprit que ce tout petit groupe reste lui-même extrêmement hétérogène, une toute petite fraction concentrant bien plus de richesse et de pouvoirs que le reste du groupe.   

Quelques éléments de psychologie

Nous allons dresser ici un portrait sans doute caricatural et dont la généralisation faite ici est excessive. Tous les UR ne se retrouveront pas dans ce portrait[4]. Mais il n’est pas théorique ; il est issu de rencontres avec des personnes ayant fréquenté cette classe sociale et de lectures d’articles sur le sujet.

Le type particulier d’ultra-riche « anxieux » retenu ici partage avec les autres de n’avoir aucune empathie[5] pour les personnes les plus pauvres et de ne manifester aucune solidarité vis-à-vis d’elles. Chacun se trouve là où il mérite d’être, il n’y a pas de meilleur allocataire de ressources que le marché, voilà sa doxa. Ce qui l’inquiète et contre quoi il estime légitime de « se protéger » c’est toute tentative de « confiscation et redistribution ». Il consacre une part significative de son temps et de ses ressources à optimiser la structuration juridique et fiscale de son patrimoine, se plaçant si possible juste à la limite de la fraude ou de l’évasion. Pourquoi, en effet, devrait-il partager ce qu’il a acquis à la sueur de son front et ou par son seul génie entrepreneurial (ou celui de ses parents) et qui lui revient donc de façon méritée? La société se montre souvent ingrate à son égard. N’est-il pas pourtant celui grâce à qui tant d’autres travaillent et vivent[6] ? On devrait lui élever des statues, mais au lieu de cela ce ne sont que critiques voire insultes et poings levés de la part de probables envieux moins méritants. Cette ingratitude qu’il ressent renforce son manque d’empathie à l’égard du reste du corps social. Son rêve est dès lors de faire sécession, et de s’offrir tous les services qui sont fournis par les impôts, en beaucoup mieux, sans en payer, puisque l’impôt profite surtout aux autres.

Jusque-là, rien de bien nouveau. Mais un ultra-riche est typiquement aussi une personne bien informée et toujours prompte à anticiper. Or la situation est nouvelle et préoccupante : l’état précaire de la planète, les risques d’effondrement et de violences à venir, les menaces physiques pesant sur lui et ses enfants, tout cela ne lui a sûrement pas échappé. Dès lors, sa peur de manquer et ne pas en avoir assez n’aura plus de borne; il va devenir anxieux et souffrir de pléonexie[7]. Son drame le plus profond est en effet de ne pas savoir ce que cela risque de lui coûter de pouvoir continuer à bénéficier de ce qu’il y a de mieux possible. Aura-t-il assez ? Comment savoir ? Tout est là, dans cette incertitude radicale.

C’est pour cela, pour calmer cette angoisse, qu’il faut surtout et avant tout en avoir toujours plus. Ce n’est pas pour aller sur Mars, Mars n’est probablement qu’une métaphore, mais c’est pour bénéficier de l’accès aux technologies les plus sophistiquées, aux soins les plus chers, aux moyens de se protéger contre des hordes hagardes et affamées ; en un mot pour garder la possibilité de s’offrir l’accès au cercle des puissants, de ceux qui s’en sortent, mais dont personne ne peut prédire la taille. Car ce serait trop bête, pour lui-même et sa famille, d’avoir travaillé autant et d’échouer ; de tout rater et de mourir avec la masse pour quelques misérables millions ou milliards de dollars qu’il aurait pu assez facilement rajouter à son patrimoine, un petit pourcentage qui pourrait faire la différence.

C’est pourquoi la stratégie la plus « rationnelle »[8] consistera, pour l’ultra-riche anxieux, à utiliser les schémas qu’il connait et maîtrise, ceux qui ont fait sa fortune, et à les exploiter autant que possible pour augmenter ses chances, même si la perpétuation de ces schémas est précisément ce qui accentue les risques systémiques à l’origine de l’angoisse qu’il s’agit de combattre [9].

2 Le scénario NOE 2.0.

Nous allons brosser ce scénario de manière impressionniste par touches successives. Nous n’allons pas tenter de décrire une histoire mais plutôt une ambiance et une dynamique.

Ce qui se trame sous nos yeux

Nous assistons à  la fin de la parenthèse des Lumières, la vérité scientifique est rabaissée au niveau de simple opinion ; l’amour du prochain, la règle d’or[10], la morale de base sont de vieux et vagues souvenirs qui commencent à prêter à sourire, face au cynisme en progression. 

La séparation des pouvoirs disparaît, et la porosité redevient totale entre pouvoir politique et richesse privée. Certains économistes évoquent aujourd’hui l’émergence d’un technoféodalisme[11] qu’on pourrait appeler aussi néotribalisme[12].

Cela n’est pas le fruit du hasard[13] mais plutôt la conséquence d’une colonisation par les UR de nouvelles sphères de pouvoir, informationnelle et politique, celles qui régissent les « valeurs ». La richesse et le pouvoir ne relèvent plus en effet uniquement des territoires ou de taille de populations. Ils reposent sur les données, la technologie dont l’Intelligence Artificielle, la cyberguerre et les robots. La puissance des algorithmes a permis la montée en puissance des géants du numérique qui se sont emparés de plus en plus efficacement des cerveaux des consommateurs pour guider leurs « choix » et renforcer à leur dépends, par leur hébétude consommatrice, les écarts de richesse. Les citoyens consommateurs encore un temps solvables ne sont plus capables de discerner le vrai du faux et ne réagissent qu’à des stimulations faciles à fabriquer. Dans l’esprit des concepteurs d’une telle organisation économique et sociale, ou plutôt dans l’esprit de leurs commanditaires, il s’agit de construire les outils d’une émancipation totale. S’émanciper de la démocratie, on le voit déjà clairement aux USA, mais les Chinois et la Russie ont déjà quelques longueurs d’avance. S’émanciper aussi des problématiques de finitude des ressources qui aura, on le sait tous, et eux aussi, des effets cataclysmiques si l’on ne change pas de cap. S’émanciper enfin progressivement du besoin de s’appuyer sur d’autres humains, au fur et à mesure que des machines plus dociles, plus performantes, et moins chères, apparaitront.  

Contrairement à une idée reçue, on l’a dit, l’UR ne vit pas dans le déni des crises climatiques et environnementales. Sa préoccupation centrale est de sauver sa peau et celle de ses proches et c’est l’un des enjeux majeurs de son désir obsessionnel de faire partie du « club ». Il n’est technophile que parce qu’il pense que c’est, pour lui (et son club), la seule voie de « salut ». L’avenir du reste de l’humanité, il s’en désintéresse complètement ; ou plutôt il veut à tout prix qu’elle ne lui soit pas un obstacle. Dans ses rêves les plus fous, il croit à la possibilité de s’émanciper à terme, si possible, de la mort, la source fondamentale de son angoisse.

Glissement progressif des valeurs

Dans ce scénario, le but n’est pas de « sauver les humains » mais juste quelques humains qui décideront pour tous en attendant d’être arrivés à bon port. Mais qu’est-ce que le « bon port » ? Ce point qui touche aux « valeurs » est capital. L’organisation d’une économie, ou plus largement d’une société, ressemble peu ou prou à un processus d’optimisation[14] d’un objectif (le bien-être général, l’utilité, le PIB… ) sous contraintes de ressources (l’espace, la terre, le financement, les matières premières disponibles, la puissance militaire..), et à l’intérieur d’une « enveloppe » de risques (limiter le risque d’explosion sociale, limiter le risque de perte de souveraineté etc.)

Il s’agit de procéder à cette optimisation tout en respectant, ou en faisant évoluer, certaines « valeurs sociétales» qui sont supposées faire consensus mais qui sont d’autant plus difficiles à expliciter qu’elles correspondent souvent à des synthèses ad hoc et fluctuantes de principes contradictoires (liberté d’entreprendre mais obligation de se comporter en acteur responsable, pluralité d’informations et liberté d’expression mais encadrement des excès, solidarité mais prise en compte du mérite, partage des responsabilités toujours délicat entre public et privé, préférence nationale mais souci de générosité internationale, etc.).

C’est ici qu’avoir la main sur la sphère informationnelle, qui formate l’opinion, est clé. Car plutôt que d’apparaître comme voulant juste égoïstement sauver leur peau, les UR se donnent du coup la possibilité de changer progressivement l’objectif et le narratif accompagnant l’évolution sociétale. Jusqu’ici, on visait toujours à avoir le plus gros PIB possible. Cela avait du sens puisque l’accroissement de la puissance d’une élite passait forcément toujours par un accroissement démographique. Au début des civilisations, il s’agissait surtout d’avoir plus de fermiers et plus de soldats, ensuite on a voulu plus d’ouvriers et d’ingénieurs, et, dans la phase finale, nos grandes multinationales ont voulu toujours plus de consommateurs. Mais, à présent que les robots peuvent supplanter les humains, et que la finitude des ressources devient une évidence, ne devient-il pas urgent de remplacer cette mesure absolue, devenue obsolète et dangereuse, par des mesures d’intensité ? Par exemple, ne serait-il pas plus légitime de chercher à maximiser la richesse (ou le « bonheur ») par habitant plutôt que la somme des richesses de tous les habitants ? Progressivement, il s’agit de passer de l’injonction faite aux masses de grandir (« croissez et multipliez-vous ») à une injonction plus qualitative et individuelle. L’important n’est pas de vivre mais de vivre bien, de trouver son épanouissement personnel[15]. Les ultra-riches trouvent dans la doctrine néo-libérale l’alliée parfaite de cette transformation. Elle permet en effet, sous couvert d’un récit positif permettant à chacun d’être libre de ses décisions[16], de considérer que chacun sera donc aussi responsable de ce qui lui arrive.

Que ce soit en matière d’éducation, de nutrition, de santé, d’épargne, de travail, les dés sont pipés et les pauvres ont peu de chance de faire les bons choix, mais ne pourront se plaindre. Le plaidoyer pour la retraite par capitalisation  (plutôt que par répartition)  et au sein de ce dispositif le remplacement graduel des contrats à prestations définies par des contrats à cotisations définies sont exemplaires de ce raisonnement. L’employé ou l’ouvrier ne pourra plus s’en prendre qu’à lui-même si sa stratégie d’épargne s’avère perdante. On lui donne la « liberté » du choix. Résultat, alors qu’il n’y comprend goutte, et qu’il sera la proie facile de « conseillers en placements » peu scrupuleux, il est forcé de venir « jouer » sur des marchés financiers dans lesquels, en moyenne, il ne fera évidemment pas le poids face à des acteurs bien mieux informés et organisés, capables d’anticiper, et qui prélèveront de ce fait et à ses dépens une manne supplémentaire 

De même, le discours tendant à faire de chaque citoyen le responsable de l’effondrement de la biosphère au travers de ses choix de consommation permet de ne pas s’attaquer au cœur du problème qui est ailleurs, dans la manière dont les intérêts privés et les lobbies ont pris la main sur l’appareil législatif. Les « petits gestes » seuls, on le sait[17], ne suffiront jamais, surtout s’ils imposent des sacrifices quotidiens à ceux qui ont à cœur de les produire.

NB Ceci n’est pas un appel à l’inaction individuelle, qui peut aussi avoir du sens (la sobriété n’est pas pour tout le monde un sacrifice et a des bénéfices bien établis par diverses traditions spirituelles) mais une alerte face à l’instrumentalisation qui en est faite à de fins de domination.

Robotisation et projection démographique : le rêve des UR

Les projections démographiques retenues et traditionnellement utilisées en prospective sont celles de l’ONU dont la dernière en date voit un pic de population vers 10 milliards en 2080 puis une redescente lente. Ces scénarios sont issus d’un raisonnement par continuité : les pays en développement finissent par faire leur transition démographique et les populations des autres pays se maintiennent cahin-caha ou se contractent lentement. Mais si, à horizon de trente ans les projections sont raisonnablement fiables, à plus long terme elles sont beaucoup plus discutables. Pour ne prendre qu’un exemple, une étude de l’université de Shanghaï a montré que la population chinoise pourrait être réduite de moitié d’ici 2100[18]. Si l’humanité se retrouve divisée par 2 à chaque génération (1 enfant par femme n’est pas irréaliste[19]) on se retrouve en 10 générations à une population de quelques millions.

Si l’on arrive à faire cela sans guerre nucléaire, sans troubles sociaux majeurs, sans malaises existentiels profonds que des drogues bien dosées ne pourraient apaiser, quel bonheur! Le rêve d’une super humanité aux effectifs très réduits, vivant une vie heureuse débarrassée du poids mort des masses, et réconciliée avec ce qui restera de Nature, est donc à portée de main. Dit autrement, vu des UR, quel monde est préférable à terme ? Un monde où l’on s’est à tout prix efforcé de maintenir 10 milliards d’humains sur une planète bien incapable de satisfaire leurs appétits bien légitimes de consommation mais au prix de destructions, de violences et de frustrations infinies ? Ou alors un monde où ceux qui y vivront pourront y vivre comme des pachas puisqu’ils seront suffisamment peu nombreux pour que leur empreinte ne soit plus délétère ?

On pourrait parier sur le fait que les technologies vont évoluer, devenir plus propres, et que le nombre d’humains qu’une terre réconciliée avec son espèce dominante pourra supporter sans dommage s’en trouve augmenté au fil des prochaines décennies, mais à quelle vitesse , et quelle probabilité? Ne vaut-il pas mieux, pour le bonheur de tous, utiliser la démographie comme variable d’ajustement ? Ce n’est d’ailleurs pas hors d’atteinte puisqu’elle montre déjà les signes d’un renversement brutal[20] qu’il suffira donc juste d’encadrer et de positiver. Voilà la grande évolution des valeurs et de l’objectif sociétal auxquels il faut s’attendre. Avec une conséquence tout à fait essentielle à bien comprendre pour ce scénario :  si les valeurs évoluent comme il est décrit ci-dessus, son achèvement constituera, ou en tout cas pourra être présenté comme une immense réussite pour l’humanité. L’histoire est écrite par les vainqueurs, et c’est vrai aussi des valeurs.

Quid des retraites ?

Les économistes mainstream continuent à penser qu’il faut des humains pour faire de la croissance, et faire repartir la natalité pour payer les retraites. Or dans le scénario NOE2.0 , le travail est fait par les robots dès qu’ils sont moins chers et plus efficaces que les humains, ce qui est envisageable dans les usines, les champs, mais aussi dans les fonctions administratives, publiques et privées, médicales, dans les cabinets d’avocats et de conseil et, last but not least, sur le théâtre d’opérations militaires[21]. De ce fait, l’UR pense qu’il n’a plus besoin des pauvres et encore moins de leur payer leur retraite. Seulement d’une petite armée de serviteurs zélés à qui il faudra bien laisser quelques miettes du festin. Il se dit que, par ailleurs la planète, à bout de souffle, ne pourra jamais donner à 9 milliards d’individus le niveau de vie des américains. L’UR qui possède les robots va se dire : au nom de quoi devrais-je me priver d’une planète dont je pourrais jouir seul simplement pour que ces armées d' »inutiles » puissent passer leur vie à manger des chips devant des séries Netflix (dans le meilleur des cas à lire des livres, voyager et aller au Musée)? 

Boucle de rétroaction positive

En attendant, l’UR anxieux sera de moins en moins intéressé aux solutions de mitigation (qui demandent de dépenser pour tous car les molécules de CO2 voyagent très facilement) et de plus en plus intéressé aux solutions d’adaptation (on peut plus facilement ne dépenser que pour soi), ce qui ne fera qu’accélérer les dynamiques déjà à l’œuvre. 

Ce raisonnement est sans doute faux. Les effets du changement climatique sont systémiques et difficiles à prévoir précisément (dans le temps et dans l’espace). Les espaces apparemment préservés ne le seront pas éternellement. Pour ne prendre qu’un exemple l’effondrement de l’AMOC, considéré à ce jour par le GIEC comme peu probable d’ici 2100 aurait des conséquences considérables sur de multiples régions du monde.

Mais notre UR considèrera toujours que les solutions d’adaptation sont locales et à sa portée, s’il est assez riche…

L’arche de Noe 2.0

Plus les inégalités s’accroissent, plus l’UR n’entrevoit comme seule stratégie valable, à sa disposition, que de s’enrichir encore le plus possible selon les outils à sa disposition (donc en carbonant encore plus vite et plus fort – « drill baby drill »).

Il contribue aux projets Arche de Noé 2.0[22] (Mars en étant un symbole[23]) sous forme de portions entières de territoires totalement « bunkerisés » en Nouvelle Zélande ou ailleurs et reliés en réseau pour pouvoir se déplacer en fonction des événements climatiques extrêmes qui s’amplifient et pour constituer plusieurs solutions de replis.

3 Pure Science-fiction ? Complotisme ? Ou tout simplement scénario vraisemblable ?

Les éléments de scénario exposés ici ne sont pas de l’ordre de la science-fiction et ne reposent sur aucune invention technologique ou autre ni sur un changement de programme génétique des humains ; même s’ils peuvent sembler s’inspirer d’œuvres de science-fiction (ne serait-ce que le célèbre 1984 de Georges Orwell), ils sont aujourd’hui plutôt vraisemblables comme nous allons  le voir. Ils ne sont pas du tout complotistes : rien de ce qui le fonde n’est caché, rien d’occulte ; tout cela se joue devant nous de manière transparente. Développons.

a) Les démocraties traditionnelles vacillent, tout comme l’indépendance des pouvoirs dans le monde. Aux USA, la confusion entre le pouvoir économique et politique est totale avec Donald Trump dont les propos donnent à penser qu’il souhaite  que la justice ne soit plus indépendante et, plus généralement, éliminer tous les contrepouvoirs ; quant à Elon Musk il utilise le réseau X comme une arme de propagande massive. La Russie est aux mains d’un despote richissime et Xi-Ping est un tyran totalitaire probablement richissime aussi et qui ne supporte les riches que s’ils lui sont inféodés. Plusieurs figures de la gauche française craignent la constitution d’une « internationale » de droite radicale, alors que le vice-président J.D.Vance et Elon Musk expriment ouvertement leur soutien à des formations d’extrême droite européennes[24].

b) Les premières mesures prises par Trump (démantèlement de l’US Aid, licenciement de fonctionnaires et réduction des dépenses publiques « à la hache », mise en place unilatérale de taxes sur les produits importés, mesures contre les immigrés, suppression des programmes d’aide aux vétérans, démantèlement de l’aide alimentaire, suspension des programmes de prévention d’Ebola, etc. vont peser sur les classes moyennes et les plus pauvres. Symétriquement le soutien aux  cryptoactifs va profiter au clan Trump et aux plus riches. Il a promis de réduire le taux d’impôt société (de 21% à 15%) de supprimer l’impôt sur les successions et de supprimer l’impôt fédéral sur le revenu. Toutes ces mesures sont à sens unique et se traduiront par un transfert de richesse des  plus pauvres vers les plus riches. Le journaliste Georges Monbiot[25] montre qu’il arrivera à faire accepter ces mesures en faisant croire à chacun qu’il est moins mal traité que les immigrés et autres « vermines » responsables des problèmes américains.

Le pouvoir américain rentre en conflit ouvert[26] avec les valeurs européennes d’État de droit, de pluralisme, de liberté d’expression (et de ses limites[27]). Il veut également mettre au pas la liberté scientifique et ses règles de fonctionnement.

c) Les ultra-riches ont déjà des comportements « sécessionnistes [28]» et « survivalistes [29]» ; ils sont déjà en quête de « havres de sécurité ». On peut légitimement penser que plus les crises s’enchaîneront et seront brutales, plus ce type de comportements sera renforcé.

d) Ne peut-on pas faire l’hypothèse que l’inaction actuelle face à la dérive climatique est d’ores et déjà la preuve d’un verrouillage politique de tout programme un peu musclé ? L’explication la plus probable à l’insuffisance de l’action se trouve dans la structure de plus en plus inégalitaire du monde.

e) La montée de l’IA pour tout usage (militaire, de contrôle des personnes, etc.), la robotisation et le « crétinisme numérique » s’observent facilement tout comme la puissance financière des grandes entreprises de la tech ; les plus grandes valorisations boursières dépassent les 3000 milliards de dollars.

f) Le malentendu à propos de la Chine commence à se dissiper. L’élite chinoise n’a jamais eu comme horizon politique de permettre à 1.4 milliards de chinois d’accéder à la consommation de masse. La ligne stratégique a consisté à trouver le moyen de rattraper 300 ans de retard technologique en à peine quelques décennies, et de se retrouver en position d’exercer une forme de chantage aussi en se plaçant au cœur et ou en amont des processus industriels. Dès lors, les ploutocrates chinois pourront se comporter comme l’UR décrit ci-dessus et c’est leur but.

Conclusion

Ce scénario n’est bien sûr que l’un des scénarios possibles. L’avenir n’est pas écrit. On pourra lui opposer de nombreuses critiques.

Mais il n’est pas invraisemblable. L’intérêt de le regarder en face est double. D’une part, il donne une clef d’explication assez simple à l’inaction actuelle (ou plus précisément à l’action insuffisante) face au changement climatique et la crise environnementale. D’autre part, il aide à résister en limitant la dépendance aux pouvoirs centraux. Des communautés locales sensibles à l’étouffement des libertés, à commencer par la liberté de pensée, s’organisent pour vivre si ce n’est en autarcie, au moins de la manière la plus autonome possible par rapport au déferlement numérique.

Enfin, il permet de réfléchir à ce qu’il faudrait faire pour qu’il ne se réalise pas. Ce n’est en rien un appel au meurtre[30] ni à la désignation de boucs émissaires[31]. Ce qu’il faudrait faire pour l’éviter est d’ordre politique, économique et fiscal. On ne peut sortir de la domination d’une caste que par l’impôt (sur les revenus, le patrimoine et la succession), par l’existence et le financement démocratique de médias et de leur régulation[32] (au sens large y compris réseaux sociaux), par des systèmes électoraux (tels que le système français mais pas le système américain) qui encadre étroitement les financements privés des campagnes électorales, par l’encadrement strict des activités de lobbying[33] et enfin par la mise en œuvre de politiques économiques efficaces et socialement justes[34] qui ne soient pas au service direct ou indirect de cette caste. C’est sans doute uniquement alors qu’il sera aussi possible d’éviter les scénarios les pires en matière climatique.

Alain Grandjean et Pierre Lenders


Notes

[1] Ce que nous allons exposer ici n’est pas un scénario complet mais ses lignes de force.

[2] Ce sont, pour les plus puissants d’entre eux, surtout des hommes (ou femmes) d’affaires, détenteurs d’empires industriels, technologiques et/ou financiers, mais il s’agit aussi, anecdotiquement, de quelques stars du foot, du cinéma, de la télé ou de la mode. Il peut également s’agir de dirigeants politiques de régimes autocratiques et/ou oligarchiques, contrôlant les richesses du pays qu’ils dominent.

[3] Source : World Ultra Wealth Report 2024.

[4] Comme au sein de toute population, il y a une grande diversité parmi les ultra-riches puisqu’ils sont, pour un temps plus ou moins long encore, les résultats des mêmes hasards génétiques ainsi que d’une certaine mixité historique, culturelle, sociale et éducative. Mais pour les besoins de l’analyse, nous n’allons nous intéresser qu’à la fraction des ultra-riches, appelés ici ultra-riches « anxieux » qui agissent dans le sens du scénario. Les autres types étant soit très minoritaires (comme les vrais philanthropes), soit neutres du point de vue des conclusions (comme les ultra-compétitifs), on trouvera légitime de les ignorer.  

[5] « L’empathie est la faiblesse fondamentale de la civilisation occidentale. » a dit Elon Musk chez Joe Rogan (un célèbre podcasteur conservateur).

[6] L’UR promeut (sans nécessairement y croire) la théorie du ruissellement.

[7] La pléonexie est le  le désir d’avoir plus que les autres en toute chose. Voir le livre éponyme du philosophe Dany Robert-Duffour.

[8] Rationnelle, étant donné les présupposés acceptés par nos UR …

[9] A de rares exceptions près, les milliardaires le sont devenus grâce à des activités menées à grande échelle. Puisque, pour l’essentiel, nos économies sont encore très carbonées et/ou ont des impacts fortement négatifs sur la nature, un accroissement rapide de la richesse des ultra-riches qui n’attendrait pas que de nouvelles technologies, vertes, soient mises en place ne peut passer que par un renforcement de ces externalités.

[10] Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’il fasse, règle qui se retrouve dans la majorité des civilisations.

[11] Voir Cédric Durand Techno-féodalisme – Critique de l’économie numérique. La découverte. 2020

[12] Voir sur ce blog l’article Perte du sens commun et néotribalisme, 2024.

[13] C’est aussi la conséquence de décennies de néolibéralisme adopté par la gauche sociale-démocrate, qui lui ont fait perdre la confiance des classes moyennes et pauvres. L’inefficacité des politiques mises en place, pour corriger l’explosion des inégalités générées par la mondialisation a donné envie aux électeurs de donner leur voix à des tribuns qui ,eux, agissent ou donnent le sentiment qu’ils vont le faire. Voir notamment l’article La concentration des richesses est due à des choix économiques et politiques sur la plateforme The Other Economy.

[14] Ou au moins de mobilisation des énergies vers l’atteinte de cet objectif. Dans les raisonnements économiques un peu formalisés c’est littéralement une optimisation mathématique qui est faite, ce qui est problématique au fond car simpliste. Voir sur ce blog l’article La Nature au cœur du raisonnement économique : l’émergence d’une nouvelle macroéconomie, 2025.

[15] Nombre de multinationales financent des programmes de développement personnel pour leurs employés dans une ambiguïté totale. S’agit-il de rendre ces employés mieux dans leur peau ou plus productifs ? Ne s’agit-il pas aussi de rendre acceptable des situations inacceptables et de faire peser sur l’individu (en l’aidant) le poids d’une structure et d’un système toxiques ?

[16] La valorisation des désirs individuels et la maximisation de l’utilité du consommateur sont des revendications libertaires et néolibérales. Voir le livre de Dany Robert-Duffour Le Divin Marché: La révolution culturelle libérale Gallimard. Poche, 2012.

[17] Voir la note de Carbone4, Faire sa part , 2019 qui montre que les efforts individuels nous font faire au mieux 25% du chemin à parcourir pour atteindre la neutralité carbone.

[18] Voir l’article China’s falling population could halve by 2100, Asiatimes.com, 2024. Le taux de fécondité est de 1,18 en 2022. Un taux réduit à 1 conduit en gros à une division par deux tous les 30 ans.

[19] En Chine le taux de fécondité est de 1,18.

[20] Voir la littérature sur le crash ou l’hiver démographique.

[21] La pénétration des drones et le rôle de l’IA sont déjà manifestes dans les conflits actuels que ce soit au Proche -Orient ou en Ukraine.

[22] La bande dessinée “Arca ou la nouvelle Eden” (2024) dépeint un scénario de ce type où une élite fortunée fuit un cataclysme planétaire à bord d’un vaisseau spatial.

[23] Ironiquement, dans le film Don’t look up , la planète refuge est peuplée de monstres dévorant les quelques humains dès leur arrivée…

[24] Voir par exemple, «L’internationale fasciste se met en place» : l’intervention d’Elon Musk en Europe fait trembler la gauche française, Le JDD, 2024.

[25] Voir ses vidéos sur DDN. Par exemple, REVEALED: Trump & Elon Musk’s BRUTAL Secret, 2025.

[26] Voir Derrière les mots de J. D. Vance à Munich : le décryptage d’un discours qui a sidéré l’Europe, Le Monde, 2025.

[27] La liberté d’expression et ses limites sont définies à l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789.

[28] La “sécession des ultra-riches” fait référence à l’envie de l’UR de se détacher des préoccupations et des obligations communes, notamment fiscales et sociales, créant ainsi une forme de séparation économique et sociale. Voici quelques références explorant ce phénomène : Le Rapport d’Oxfam France (2024), cet article de Reporterre (2024),  cet article de David Rushkoff dans the Guardian.

[29] Les ultra-riches achètent des bunkers et des propriétés privés sécurisées dans des destinations  à la mode : la Nouvelle-Zélande (et la région de Queenstown), le Costa-Rica, des îles privées aux caraïbes ou dans le pacifique sud. Des installations de luxe comme le Survival Condo Project au Kansas, proposent des appartements haut de gamme dans des silos à missiles reconvertis, offrant une protection contre diverses menaces.

[30] L’assassinat du patron de UnitedHealthcare, Brian Thompson,  a fait de  son assassin Luigi Mangione un héros sur le réseaux sociaux. Ce type d’actions est pourtant totalement inefficace, indépendamment de toute considération morale. Il est instantanément remplacé par un autre UR qui appliquera la même politique.

[31] Voir les livres de René Girard sur le sujet et notamment Le bouc émissaire.

[32] La récente décision de Mark Zuckerberg de ne plus modérer Facebook (via le fact checking) est une preuve évidente, s’il en fallait, que dans ce domaine, autant si ce n’est plus qu’ailleurs l’autorégulation par les acteurs concernées est un rêve qui peut se transformer en cauchemar. IL en va de même pour la publicité (voir la fiche sur la publicité sur la plateforme The other Economy )

[33] Selon le média Politico, la Commission européenne a décidé d’interdire l’utilisation de fonds européens pour des activités de plaidoyer et de lobbying menées par les ONG. Voir Marianne Gros et Louise Guillot, « Commission tells NGOs EU money is not for lobbying »Politico, 28 novembre 2024. Cette décision va exactement en sens inverse de ce que nous proposons ici.

[34] Tout un programme ! Les socio-démocrates qui incarnaient les intérêts et les espoirs des classes moyennes ont complètement échoué sur ce plan, sans doute en faisant trop de concessions au  néolibéralisme. La reconstruction idéologique reste à faire. Nous nous y employons au sein de l’association The Other Economy.

The post Le scénario NOE 2.0 appeared first on Chroniques de l'Anthropocène.

PDF

10.02.2025 à 14:05

Nature at the heart of economic reasoning: the emergence of a new macroeconomics

Alain Grandjean

The IMF report Embedded in Nature (October 2024) is a small revolution in the world of macroeconomics: it introduces an original conceptual framework in which Nature is at the heart…

The post Nature at the heart of economic reasoning: the emergence of a new macroeconomics appeared first on Chroniques de l'Anthropocène.

Texte intégral (12367 mots)

The IMF report Embedded in Nature (October 2024) is a small revolution in the world of macroeconomics: it introduces an original conceptual framework in which Nature is at the heart of the economic system. This will hopefully encourage national and international institutions to rethink their usual modelling tools, whose structural weaknesses have been demonstrated time and over again.

You can read the french version of this post here

1. The many flaws in macroeconomic models

Macroeconomics, as an academic discipline, routinely sustains severe criticism. It is sometimes done in a diplomatic way, like when Nobel Prize winner Paul Romer admits it makes him feel « disturbed »[1], while sometimes researchers are more direct, like when Steve Keen bluntly denounces a “failure”[2]. Other criticisms, such as Hyman Minsky’s, are indirect, insisting that despite recurring evidence, most of these models do not even allow for the possibility of endogenous financial crises, as such crises would simply be at odds with their underlying « general equilibrium » analytical framework. As for behavioural economists, they have shown that economic agents are not rational in the sense that such models presuppose, which significantly undermines their realism. Finally, it is notorious that no economist or institution using these models had been able to predict the 2008 financial crisis.

This contestation of the pertinence of macroeconomics also shows through a relative disaffection with the discipline and a renewed interest in empirical economics (also motivated by the growth in data processing capacity) and other disciplines such as ecological economics. Yet, as described in two recent papers by the Chair Energy and Prosperity on IAM models[3], these macroeconomic models are still widely used by governments and by key global institutions and are a determining factor in the conduct of economic policies, be they budgetary, fiscal, monetary or commercial.[4]

Let’s look at a few examples of how important these models have become. The budget trajectories of EU Member States produced by the European Commission as part of the EU economic governance are calculated using rather rustic versions of these macroeconomic models, based on a Cobb-Douglas function[5]. In France, budget forecasts are produced using such models, like the Mésange, Opale (and the tresthor platform) and Saphir ones.

As another example, the Network for Greening the Financial System (NGFS), a network of central banks and financial supervisors, which is studying the impact of climate change on financial stability, uses several of these macroeconomic models (Remind, Message globiom, Nigem)[6], despite their well-known limitations, as described above[7].

The World Bank also relies on numerous hybrid models, notably in its initiative to equip a coalition of finance ministries – the Global Macro Modeling Initiative[8] (GMMI) – and in its assessments of countries’ climate policies, the Country Climate and Development Reports (CCDRs[9]).

These models also play a central role in the work of the IPCC, which aims to provide an economic assessment of the consequences of global warming and/or measures to limit it. In the report Finance in hot house world (2023), Thierry Philipponnat, Chief Economist at Finance Watch, pinpoints the problem: « With the world’s current climate action, our planet is on the road of a +3°C average temperature increase: It is becoming a “hot house world” where more than 3 billion people will have to “adapt” to progressively uninhabitable living conditions. Yet policymakers’ economic models predict only a benign level of economic losses from such climate impacts. The cause of such an obvious quantification problem is that the theories behind these economic models rely on backwards-looking data, make assumptions about economic ‘equilibrium’ and use damage functions that are not suitable for modelling an economy disrupted by climate change. Most importantly, the impact of climate change resulting from economic modelling is not compatible with climate science. Yet, the climate scenario analyses conducted by financial supervisors all use these models.”

Let us clarify that the present analysis is not about judging the efforts made by researchers and practitioners to improve their modeling work and respond to criticism, but to highlight the biases generated by the use of reference models in actual public policies. It should also be remembered that the topic of environmental macroeconomics is in full effervescence, and that it is not possible to account for all these dynamics[10].

The limitations of « dominant » macroeconomic models
Most of these models do not include the role of money or finance, despite their decisive impact in economic terms (as demonstrated by Hyman Minsky, quoted above);
1.Many do not take into account the interactions between nature and the economy;
2.some do so by using damage functions (climate to the economy) which greatly underestimate the damage;
3.Most make the (false) assumption that artificial capital (machines) can replace « natural capital » and labour without limit;
4.Most are based on a production function used to estimate GDP and its variation, who is supposed to measure an economic cost if it is negative or an increase in wealth if it is positive. This supposes adding an arbitrary parameter of total factor productivity, the relevance of which is really debatable, which makes GDP partially exogenous, and therefore in fact partially independent from the impacts of climate change;[11]
5.The state is often absent;
6.Returns are considered to be diminishing or constant, which is contrary to the economic reality;
7.Some model a closed economy, with no international trade (or exchange rates);
8.Many are equilibrium models in the neoclassical sense: the trajectory necessarily converges towards a single equilibrium;
9/The diversity of economic agents is usually not represented, which means that social inequalities are not either;
10.None of them includes tipping points;
11.Most of them are based on ad hoc calibrations and are not backtested;
12.The behaviour of actors is assumed to be « rational » in the neoclassical sense;
13.The results of modelling are generally very sensitive to the choice of discount rate (which reflects a greater or lesser preference for the present), which is basically arbitrary.

For more details on the above problems, which are common to macroeconomic models used in large institutions and to IAM models[12], please consult the Working Paper Les modèles IAMs et leurs limites (IAM models and their limitations) (2024). The same working paper also introduces « coherent stock-flow » models[13] (Coherent in financial terms and in terms of natural resources), which aim to remove some of the above limits (in particular the limits listed as number 1, 2, 8, 10 and 12) and the IF initiative (by Carbone 4, which focuses on biophysical limits and their evolution).

We seem to have reached an impasse: the tools we use for economic reasoning on the biggest issues of our time (climate and the destruction of biodiversity) are unreliable.

We use them because they are the only ones approved by the most academically recognised international economic journals, which gives them institutional pre-eminence and thus reinforced by the influence of the economists[14] who prescribe them or use them.

We also use them for the apparent intellectual comfort they bring by being able to provide figures that maintain an illusion of control, and finally because of the high cost (and time required) of developing new tools.

To get out of this impasse, we need courage and the willingness to wipe the slate clean of these tools. We can therefore only warmly welcome the IMF report Embedded in Nature: Nature-Related Economic and Financial Risks and Policy Considerations (2024), which takes a first step in this direction.

This IMF publication proposes a new conceptual framework[15] (see diagram below), within which, for fundamental reasons explained below, most of the economic models used by institutions today cannot fit.

We will first present some of the most noteworthy advances described in this work, and in the second part we will propose extra ones, that we feel should be made to complete this revolution (whether or not they are implicit in the IMF publication).

The new conceptual framework proposed by the IMF

Source: Embedded in Nature: Nature-Related Economic and Financial Risks and Policy Considerations (2024). Page 7

This diagram is presented as follows (page 5):

« We propose a conceptual framework to analyze nature-related risks and their feedback mechanisms. Drawing on the Dasgupta Review, the macroeconomic framework features four main components (Figure 3). First, it connects the four types of capital (nature, social, produced, and human) to economic and financial flows. Second, it relates these flows to potential states of the world based on production sustainability over time (sustainable, unsustainable, and irreversible collapse), with the last two approaching or exceeding natural capital’s tipping point, risking irreversible damage. Third, it describes the main nature-related risks associated with each state of the world. Fourth, it maps out macroeconomic transmission channels linking nature-related risks to the real economy—including impacts on quantities and prices—and vice versa, and the financial sector, emphasizing the “double materiality” principle whereby financial institutions both affect and are affected by nature-related risks (Figure 4).

2 The IMF report: a rupture with mainstream economic thinking

A. Nature and economics are of two different orders

Human beings are part of Nature. The history of the planet is intrinsically linked to the appearance of life and its evolution, and vice versa[16]. The profound and spectacular interactions between living and non-living organisms[17] are increasingly well known[18]. We also know that the human species, the fruit of 4 billion years of co-evolution, now has a decisive impact on the conditions of habitability of our planet for the human species as well as for the majority of living beings[19]. We are now on the verge to take the planet out of the range of variation of certain parameters[20] which would make it inhospitable to life as a whole.

However, Nature and the services that « we derive from it » are not economic goods for three fundamental reasons:

  • Nature does not charge. Economic exchanges take place between humans and the entities they control.
  • Nature has a use value for us, but above all it has an intrinsic value, and it is quite simply a condition for human life.
  • The irreversible destruction of Nature and the overstepping of planetary limits have no equivalent in economic terms; money is created ex nihilo[21] from accounting entries and then circulates, and human labour is more or less reproduced year after year.

Trying to « bring » Nature into the economy by « internalising externalities », monetising the value of ecosystem services, treating Nature as « economic capital » is a « theoretical power grab » that must be abandoned.

It is implicitly based on equivalences that cannot be made: the postulate of « weak » sustainability or sustainability according to which artificial capital (machines) can replace natural capital[22] has become lethal.

This assumption, the fruit of our feeling of omnipotence based on our technological ‘successes’, is totally illusory. All we need to do to convince ourselves of this is to take a close look at the incredibly complex and subtle interactions at work in ecosystems. As the report states (page 25), quoting Dasgupta[23]:

« The substitutability between natural capital and other forms of capital is limited. There are “little-to-no substitution possibilities between key forms of natural capital and produced capital and for that matter any other form of capital« .

Strong and weak sustainability

« The weak sustainability approach (A) looks at the total sum of capital, including social, manufactured and natural capital, while the strong sustainability approach (B) puts  maintaining the environment in a good state as an essential condition of sustainability. We can apply this representation to the sustainable development objectives (C), where the achievement of sustainability is based on the good state of the four environmental objectives (D).

Source: La soutenabilité forte comme paradigme pour faire le lien entre économie et science de la durabilité, Adrien Comte, IRD (2023)

Abandoning the postulate of « weak » sustainability has many consequences, which are not explicitly mentioned in the IMF report but which it is important to come back to. In particular, it means rejecting the monetisation of ecosystem services as such. This doesn’t necessarily mean to ignore the consequences of their use nor the economic costs of their destruction or « repair/restoration »[24].

This also leads us to reject the use of the « cost-benefit » reasoning for issues as crucial as climate change or the destruction of biodiversity.

It forces us to think carefully about the necessary evolution in accounting, both private or public. Under no circumstances should Nature be considered as an asset (= comparable to any other, from the point of view of financial return).

In business accounting, it could possibly be considered as a liability: this is the option taken in the « multi-capital accounting » approach[25] which is currently in full swing, although it cannot be said today that it is the best solution from an accounting point of view.[26]

In public accounting, it is dangerous to suggest that countries should measure their wealth by including not only physical capital (such as infrastructure) and human capital (education, health), but also natural capital. This is what was proposed by the World Bank when it developed the adjusted net savings or « genuine savings » indicator, which is calculated for France by INSEE[27]. Of course, these adjustments show a value for public assets that is lower than we might think, since when we include the deterioration due to the effects of climate change, public assets lose some value. But the results are highly dependent on the monetary values used to make these adjustments (which are debatable and necessarily based on models). The use of this indicator opens the door to trade-offs between « capitals » that are not acceptable in a logic of strong sustainability. Take just one example: a hectare of « natural » forest in France will always be « worth » less economically than if it could be built on[28]. To protect forests from the need to build or from economic appetites, regulations are needed.

B Global limits and ecological tipping points are at the heart of the conceptual framework proposed in the IMF report.[29]

As we have just seen, human activities are pushing certain vital parameters out of ranges that have been self-regulating for millions of years. These are known as planetary limits. The emblematic case is that of the atmospheric concentration of CO2, which now exceeds the concentration reached 3 million years ago.[30]

The processes that are set in motion are non-linear and can lead to major disasters when what scientists call tipping points are reached, i.e. thresholds which, once crossed, cause the natural system concerned to run out of control.[31]

Economics is incapable of modelling, let alone putting a price or an economic value on such a complex system. The reasons for this are both axiological (it is not its job to do this) and methodological (economics doesn’t have the tools to do this). The fundamental problem stems from the confusion, among most neoclassical economists, on what comes under economic analysis and what comes under ethics or politics. Since Léon Walras, this line of thought has been normative[32] in the sense that the descriptive dimension of the economic system is accompanied by public policy recommendations. It is important to distinguish between the two.

To put it another way, the problem of limits is by definition part of a dogmatic framework, in the sense given to it by the jurist Alain Supiot[33]. It is this framework that legitimises institutions, standards, public prices, the division between the public and the private, the commons, and so on. The relevant framework for thinking about the problem of limits is therefore that of political and collective decision-making, and not the restricted analytical framework of economics. Economics can only intervene once the framework has been established. 

This new conceptual framework leads us to propose public policies in terms of internationally accepted prohibitions and not just in terms of negotiable objectives. The IMF note explains this position as follows:

« In theory, it should be possible for societies to define a set of essential values, including the conservation of nature and the reversal of biodiversity loss, on which citizens can unite. A corollary of such an agreement would be prohibitions on nature-destroying activities, akin to the Protocol on Environmental Protection to the Antarctic Treaty, the current United Nations negotiations on deep-seabed mining regulations, and laws that prohibit human trafficking and other illegal activities.« 

It is the acceptance of planetary limits that underpins the need for the precautionary principle[34], which continues to be misunderstood as a principle of inaction or anti-innovation, when its aim is quite simply « not to play the sorcerer’s apprentice ».

C. We must abandon the use of aggregate production functions to project GDP and of damage functions to assess the cost of climate change.

The macroeconomic models used by international institutions (and those whose results are summarised by the IPCC) use aggregate production functions. The relevance of this representation was criticised very early on, in what economists refer to as the two Cambridges controversy of the 1960s. This is an important economic debate that took place in the 1960s. In short, on the one side, Samuelson and Solow (MIT, Cambridge, USA) defend the idea of the possibility of a single measure of capital. On the other, Robinson and Sraffa (University of Cambridge, England) point out that capital is made up of a heterogeneous set of physical assets (machines, buildings, etc.), the monetary measurement of which depends on relative prices and the rate of profit. This makes prices both an input and an output of these models, since it is these models that enable these relative prices to be calculated, making the underlying economic reasoning self-referential.

The ‘critical’ point of view, embodied at the time by Joan Robinson and Piero Sraffa, was undoubtedly the most coherent, something that even Paul Samuelson (who along with Robert Solow opposed it) came to recognise. This is now widely accepted[35], including by influential economists, such as Jeremy Rudd[36], a member of the Fed Board.

Their remark, technical in nature, turns out to be fundamental to the representation of interactions between the economy and Nature. On the one hand, if it is difficult, if not impossible, to aggregate elements of physical capital in a coherent way, it is even more so for different types of “natural capital” and a fortiori for the total of the two, which is done in the weak sustainability perspective.

On the other hand, GDP projections are indeed made on the basis of these production functions. As these production functions have failed to reflect the real evolution of GDP, they have been « completed » by a factor, the Total Factor Productivity (TFP), about which Jeremy Rudd writes that « even the most carefully constructed estimates of total factor productivity will be meaningless« .

In most macroeconomic models, this TFP is generally set at around 1 to 2% per annum[37]. This suggests that GDP will continue to grow exponentially whatever the state of the planet.

When economists try to assess the impact of global warming on GDP growth, they calculate a damage function that links a certain level of increase in global temperature to a loss of GDP. This damage function is then used to correct GDP growth in a « reference scenario » (in which global warming does not exist), which is calculated using the method described above, i.e. with growth of 1 to 2% per year, forever.

Thus, as stated by the NGFS in its 2024 report on damage functions[38]:

« The world economy is expected to grow by more than 300% by the end of the century (i.e. more than quadrupling). Even assuming a much more conservative growth rate of 1% per year, the world economy is still expected to grow by more than 120%. The 30% loss[39] must be interpreted in the light of these basic growth figures.« 

The massive bias introduced by this type of modelling is easy to understand: as long as we assume that GDP will grow exponentially throughout the 20th century, the losses in GDP linked to global warming (which are drastically underestimated at this stage) do not even lead to a recession. Note that the same method is used for ecosystem services[40].

We can therefore only welcome the position set out in the IMF note:

« Despite the widespread use of the aggregate production function in macroeconomic models, we opt not to use it because of its lack of robust theoretical and empirical foundations. At the theoretical level, it has been shown that the aggregate production function is simply an accounting identity to measure aggregate value added, and does not contain any information on technological relationships in the economy (Rudd 2024, Shaikh 1974, Simon 1979). Indeed, Fisher (1971) shows that the supply side of the economy can only be described using a production function under highly unrealistic conditions. Empirically, Shaikh (1974) and Fisher (1993) show that the fit with the data provided by an aggregate Cobb-Douglas production function with constant returns to scale, for any data, is a mathematical consequence of constant factor shares, an empirical result that is simply due to a law of algebra. Regarding total factor productivity (TFP), Rudd (2024) notes that “labor and capital aggregates that are relevant to production can only exist under conditions that are unlikely to ever be met by a real-world economy,” meaning that “even the most carefully constructed estimates of total factor productivity will be meaningless.” For these reasons, we do not introduce an aggregate production function or TFP in our framework. »

As for the damage functions linking global average temperature growth to GDP, they are questionable (and criticized) for two fundamental reasons. Firstly, their estimation is based on economic models that are incapable of taking into account the complexity of ecosystems and the effects of their current degradation on the economy. Secondly, since the impacts of climate change and the collapse of biodiversity are non-linear and subject to ‘tipping points’, it is impossible for economists to project these functions into a significantly warmer world.

The IMF note (page 6) warns quite clearly about the limitations of the estimates published to date on the impacts of climate and ecological degradation on the economy, and gives several explanations, including the following: « A key reason is the inability of models to represent complex interactions between ecosystem services, and between ecosystem services and the economy. Most models are skewed toward capturing selected ecosystem services that relate to the provisioning of food, water, and bioenergy[41]”.

D. Productivity must be redefined

According to most economists, a country’s economic growth (GDP per capita[42]) is the result of growth in the productivity of the factors of production[43], due to scientific and technical progress and progress in the organisation of work. As we have just seen, economists[44] model this progress using a TFP, whose estimation is, strictly speaking, impossible.

But the notion of productivity poses a deeper problem that the IMF note highlights. To put it simply, it is supposed to result from « ungrounded » mechanisms, i.e. without taking into account the pressure on ecosystems.

As a result, the authors of the notes write (page 28):

« we define productivity as the efficiency of production subject to the preservation of the material basis for the creation of economic value, which encompasses nature. This definition implies that an increase in labor or capital productivity that is associated with nature loss or degradation is an apparent productivity gain rather than an actual one (that is, it overestimates productivity gains), as it has an adverse impact on the material conditions on which economic value creation itself depends. »

This reconsideration of productivity goes further than the abandonment of production functions just mentioned. It calls into question the « dominant paradigm » according to which we must always increase productivity in order to increase the wealth produced and, consequently, the satisfaction of each and every one of us.

We approached this subject from a slightly different angle in a recent article[45], in which we argued for « non-market values » to be taken into account, as well as the productivity of natural resources in the broad sense, to take account of the potential scarcity of these resources. Tomorrow’s economy must become extremely parsimonious with regard to its « consumption of Nature » and must stop trying to optimise the output of human labour and/or its « equipment » without taking account of Nature’s limited capacities, including its capacity to reproduce.

E. The assumptions behind free trade must be challenged

In the IMF note’s, the analysis of difficulties and sometimes impasses for some developing countries calls into question the theoretical virtues of free trade.

Here is an extract (Annex Box 1. page 39):

« Developing economies often rely heavily on nature-degrading exports to obtain foreign exchange, as noted previously. Given the productive structure of these economies and the nature loss embedded in their economic activities and particularly in their exports (Dasgupta and Levin 2023[46]), ultimately one of the consequences of repeated shocks and sovereign and external debt crises will be to increase investments in, and lock infrastructure associated with, nature-loss-inducing (as well as carbon-intensive) activities. For instance, growth in export oriented soy production and mining—largely aimed at addressing balance of payments needs—has led to deforestation and nature loss in Argentina and the Democratic Republic of the Congo, respectively (Dempsey et al 2024[47]). Although efforts are being made in the global governance on nature and climate to take into account these linkages and domestic constraints tied to the international monetary and financial architecture, more needs to be done.

This analysis, where developing countries accumulate external financial constraints – from risks of lock-in in economic models to the effects on Nature of the resulting economic choices – takes us a long way from the idealised views of international trade relations found in standard economic analyses.

F. Some public policy proposals are expressed in mostly qualitative terms, calling into question certain dogmas.

The note makes a number of public policy proposals. Here are a few examples.

1 In theory, it should be possible for societies to define a set of essential values, including the conservation of nature and the reversal of biodiversity loss, on which citizens can unite. […] An institutional change of this magnitude would impose limits on the actions of financial institutions (page 19).

2 A rapid, orderly phasing out of harmful economic activities […], policies, and financing (page 22).

3 Recognize the systemic effects of crossing planetary boundaries and the existence of biophysical tipping points (page 23).

4 Build social and political consensus on transitioning away from non-sustainable economic activities. Second, there is a need to reorient policies to prioritize the rapid transformation of the productive structure of the economy to align with planetary boundaries. (page 23).

5 Further research […] the implications of nature loss for debt sustainability, […] the role of domestic economic and financial constraints related to the international monetary and financial architecture in locking countries into nature-degrading growth models [and the development of] the concept of a “nature Minsky moment” (page 24).

It is clear that these proposals could not have been the result of a standard initial « framing »; they are not the result of a cost-benefit analysis, but are expressed in terms of limitations on activities, of profound interactions between Nature and the economy that cannot be captured by reasoning in terms of negative externalities.

2. Further progress to be made

The IMF note marks substantial progress, but we believe it is crucial to go even further.

A. Robustness versus optimisation

Neoclassical economists are accustomed to thinking in terms of optimisation (of an intertemporal utility function, a cost-benefit trade-off or a cost-efficiency trade-off) on the grounds that the very purpose of economics is to optimise the use of scarce resources[48].

Once we recognise (paragraph 1.A above) that the economy cannot correctly represent the functioning of ecosystems, even though they are decisive in the production and services they provide, it is illusory to seek an economic optimum. What is and what will be the optimum for agriculture in southern Spain once this region is transformed into a desert? What will it be in regions where the « wet temperature » will be so high that it will be lethal for humans?

We agree with Olivier Hamant[49] who says that humanity’s quest for performance has produced the socio-economic crisis we are experiencing. We are going to live in a world that is increasingly fluctuating and uncertain. This is what life has been doing since it first appeared. How has it done so over such a long period of time? Not by looking for optimisations, but for robustness, which enables a stable system to be maintained despite fluctuations. For example, photosynthesis, which has existed for 3.8 billion years, has a « very low » energy yield of 0.3 to 0.8%. This low level of efficiency enables plants to manage biological and luminosity fluctuations, making them very robust.

In macroeconomic terms, this means that we should not be looking for optimisation, but for the capacity of our socio-economic systems to withstand future fluctuations.

This means that the « new economy » must focus on the safety margins in relation to planetary limits and look for indicators that define not a theoretical optimum but an acceptable and truly sustainable state. This doesn’t dilute, on the contrary, economic players’ duty to be as sober as possible and to reduce pressure on nature as much as possible, which presupposes to go beyond mere resilience through innovations in use and processes, and requires setting up dedicated incentives.

For this, we don’t need precise data (with 2 decimal places precision), but orders of magnitude. This primarily concerns the biophysical data that defines whether our ecosystems maintain their capacity to sustain human life and the socio-economic data that defines an acceptable social state – in terms of health, access to basic goods and services whether private or public, social inequalities (monetary and non-monetary, etc.).

B. Abandon GDP as an indicator of social well-being and its decline as a measure of economic cost.

Despite being under constant criticism over the last few decades and the important work carried out at the UN (with the SDGs) and in the wake of the Stiglitz-Sen-Fitoussi report[50], GDP[51] continues to be the most important economic indicator. It is used, for example, to show that Europe is falling behind the United States. As this article in Le Monde puts it: « In 2008, the eurozone and the United States had equivalent gross domestic product (GDP) at current prices of $14,200 billion and $14,800 billion respectively (€13,082 billion and €13,635 billion). Fifteen years on, the Europeans’ GDP is just over $15,000 billion, while that of the United States has soared to $26,900 billion« . However, analysis of other indicators such as life expectancy, drug use, obesity and diet, investment in infrastructure, health spending per capita paints a far less glorious picture of the United States.[52]

Macroeconomic models that aim to compare the « economic cost » of climate action with that of inaction do so by comparing the loss of GDP generated in various scenarios. In this approach, the economic cost is therefore the loss of GDP. This is an extremely narrow understanding of the concept of cost, and it makes us lose sight of what is most important, as we explain in the fact sheet Qu’est-ce qu’un coût ? (What is a cost?) on the platform The Other Economy.[53]

It is time to abandon GDP as an indicator for this purpose: GDP is not relevant as a guide for these broad comparisons. More generally, cost-benefit analyses are only legitimate at the margin of a given economic situation, for example to compare two road or rail development options. But using them to compare two overall macroeconomic situations over long time horizons is illusory, if not inappropriate.

The evaluation of well-being and its evolution must be based on a set of socio-ecological indicators, such as health[54]. This is what the UN has tried to do by promoting the Sustainable Development Goals, albeit with two symmetrical flaws: an excess of indicators[55] and, conversely, an attempt to rank countries by adopting an aggregate score representing all the SDGs[56]. We need a synthetic dashboard, such as what was proposed by the SAS law in France[57].

This in no way detracts from the value of GDP for other purposes, such as calculating tax revenues or measuring market activity. It should also be well noted that acknowledging the limits of GDP doesn’t negate the fact that increases in income are correlated with a feeling of satisfaction – and conversely that poverty is never a positive experience. But for this particular end, Net National Income is preferable to GDP and it needs to be corrected through measures of inequalities in income and wealth[58], and by incorporating the redistributive effects of access to public services[59] and non-monetarized activities[60]. The INSEE has done a great deal of work in this direction, with the notion of augmented accounts. Here is the introductory word on its blog: “Today, the INSEE publishes the first augmented national accounts. This innovation aims to capture economic activity, its consequences for climate disruption, and the distribution of household income all in one place.

The key point is to avoid above all reducing the assessment of a country’s situation to its GDP, or to assess the costs of action or inaction in relation to Nature in terms of GDP. We must reaffirm that we will not be able to generate GDP on a planet that is +5°C or lifeless.

C. Rejection of the dogma of general equilibrium and market efficiency

Although implicit in the text, the dogma of general equilibrium which underlies all neoclassical general equilibrium models[61] and DSGE is not explicitly rejected. Yet this dogma is not only contrary to the facts[62] but also dangerous, since it leads its supporters to believe that the economy spontaneously returns to equilibrium after a shock.

This is obviously not true as the great financial crises of 1929 and 2008 has demonstrated but above all, because of this belief, we don’t pay enough attention to the imbalances that are evident. On the contrary, we need to know quite clearly the margins within which our socio-economic system can operate (in terms of trade deficits, private and public debt, tolerance of social inequalities, destruction of nature, pollution, etc.) in order to deduce when public authorities need to intervene to allow the system to remain within these margins.

In this conception of market efficiency, some of the « failures » of the markets are recognised, as are the problems that result from them. But the ‘solution’ proposed to correct these failures is to put in place mechanisms, such as a carbon tax for climate change, which would allow the markets to solve the problems posed. Public authorities, ill-informed or under-informed, could not solve them any better. This dogmatic vision must be opposed. Even if markets are useful, they cannot achieve socially or environmentally desirable objectives without strong regulation and supervision by public authorities[63].

D. Instead of forecasts, using scenarios broadly outlining a possible future

The economic models we have just been talking about put a spotlight on quantification within a conceptual framework that has become obsolete.

We need attentions to focus on a whole new conceptual framework along the lines outlined in the preceding pages. The most effective method (and it is the one used by the NGFS) is to use scenarios to make us see and, if possible, feel what the possible futures hold.

But these scenarios should not be used to assess the costs associated with a climate drift or losses of nature. They should be used to check that the planetary limits are respected and under what conditions.

E. The use of biophysical modelling and ‘toy models’ for the economy

As we have just seen, the claim that models can reproduce economic data and project it into a world that is increasingly destabilised in ecological and social terms is vain. Nevertheless, it is useful to have simulations that are limited to a given question and a given time horizon. To this end, priority should be given to biophysical simulations[64] that allow us to explore the « distance to the limits » of the economy in various scenarios.

In addition, it is possible to use targeted models which are not intended to represent the entirety of an overly complex reality, but rather one of its aspects. They can be conceptual (known as « toy models ») or calibrated with empirical data, as are energy models, for example.

F. Linking ecological and social issues

Macroeconomic models are generally poor at representing social inequalities and poverty. They often use a “representative agent” supposed to represent an average individual, which is very simplistic and theoretically dangerous: the question of social inequalities and the societal impacts of both the transition and the physical risks of climate change and of the destruction of biodiversity are crucial. The IMF publication we comment on here also tells little about these issues. It reiterates (page 26) the view expressed by Dasgupta:

“Institutions and social capital play a critical role in determining individual and collective preferences, and therefore the economics of nature.

Institutions can be defined as “the humanly devised constraints that structure political, economic and social interaction,” consisting of “both informal constraints (sanctions, taboos, customs, traditions, and codes of conduct), and formal rules (constitutions, laws, property rights)” (North 1991). They are understood to “support values and produce and protect interests” (Vatn 2005, p. 83). Economic policy decisions are shaped by institutions. 

Social capital. Following Helliwell and Putnam (2004), social capital can be defined as the combination of mutual trust, confidence in governments and markets, and more broadly “the institutional arrangements that enable people to engage with one another for mutual benefit.” Trust, cooperation, and social capital form the foundation on which institutions rest. Social capital is therefore central to the economics of biodiversity (Dasgupta 2021, p. 165).”But these words are somewhat ethereal compared to the political and social violence that can be seen in certain countries, and which will be increased by ecological disorders.

It would no doubt be useful to explore the “Doughnut” approach initiated by Kate Raworth[65] and continued by the work of the Doughnut Economic Action Lab and Andrew Fanning, who are, to our knowledge, the most advanced on the need to take into account both planetary limits and social boundaries[66].

Conclusion

We have just highlighted and put into perspective a note from the IMF which we feel makes a significant step towards ensuring that the macroeconomics we need to steer our economies over the medium and long term take serious account of Nature and planetary limits. We have suggested a few ways forward.

The macroeconomic models and concepts discussed here are important because they shape, and are shaped by our leaders’ mental representations. Changing models is necessary, but obviously not sufficient to change decisions or even leaders’ inclinations. In particular, we have not touched upon strategic, institutional, democratic or cultural issues.

The work is far from finished, and it will require courage and perseverance in the face of the force of habit and acquired positions. But it is absolutely essential in the face of the perils we all face.

Alain Grandjean

This note has benefited from the constructive comments of Jean-Marc Béguin, Didier Blanchet, David Cayla, Louis Delannoy, François Meunier, Pierre Viard and Jean-Marc Vittori. I would like to thank them warmly for their contributions, and of course the final content does not commit them in any way.


Notes

[1] See the article Trouble with Macroeconomics, Paul Romer, 2016.

[2] See Steve Keen’s book Debunking Economics, Zed Books editions, 2011 and The New Economics: A Manifesto, Polity, 2021.

[3] See Alain Grandjean, Les modèles IAMs et leurs limites, Chair Energy and Prosperity, 2024 and Alain Grandjean and Gaël Giraud, Comparaison des modèles météorologiques, climatiques et économiques, 2017.

[4] The assessment of trade policies and the effects of free trade agreements is often based on macroeconomic models, some of which are computable general equilibrium models. The best-known example is the Global Trade Analysis Project model.

[5] See Fondement analytique et limites des règles budgétaires européennes on the platform The Other Economy.

[6] See Climate macroeconomic modelling handbook, NGFS, 2024

[7] See Alain Grandjean, Les modèles IAMs et leurs limites, Chair Energy and Prosperity, 2024

[8] See World Bank Group Macroeconomic Models for Climate Policy Analysis, 2022.

[9] See What You Need to Know About How CCDRs Estimate Climate Finance Needs, World Bank (13/03/23)

[10] One example of the dynamism of modeling in this field is Agent Based Models, which are increasingly used in this field. See Juana Castro, Stefan Drews, Filippos Exadaktylos, Joël Foramitti, Franziska Klein, Théo Konc, Ivan Savin, Jeroen van den Bergh, A review of agent‐based modeling of climate‐energy policy, Wiley Interdisciplinary Reviews: Climate Change, 2020. And Francesco Lamperti’s work, see this article by Francesco Lamperti et al. Faraway, so Close: Coupled Climate and Economic Dynamics in an Agent Based Model, Ecological Economics, 2018.

[11] To find out more, read the article La croissance du PIB n’est pas expliquée par les modèles macroéconomiques les plus utilisés on the platform The Other Economy.

[12] Integrated Assessment Models (IAMs) aim to help understand the interactions between human societies, economic development and climate over the long term. The assessment is said to be integrated because these models aim to describe both the economic system and natural systems by coupling modules representing the economy, the energy system and the climate (and sometimes other natural systems).

[13] These include the GEMMES model created by Gaël Giraud and now being developed by the team of economists at the AFD led by Antoine Godin. There is also the work of Yannis Dafermos (who co-developed the SFC DEFINE model) and Tim Jackson.

[14] Without going into an institutional analysis, which is beyond the scope of this note. See Pierre Alayrac – Les économistes, une noblesse d’Europe? Eu !radio, Nov. 2024

[15] It is based on a number of studies, including Sir Partha Dasgupta’s report The Economics of Biodiversity: The Dasgupta Review (2021), but the IMF report goes further than this, and sometimes even breaks with it, as we shall see here.

[16] See the book by Philippe Bertrand and Louis Legendre Earth, Our living Planet – The Earth System and its Co-evolution With Organisms, Springer, 2021. See also Les Attracteurs de Gaia, Editions Publibook, 2008, Philippe Bertrand.

[17] Be they chemical reactions, geological forces, the planet’s internal energy due in part to radioactivity, its magnetism, volcanism, plate tectonics, or the attraction of the sun and the planets of the solar system (from which results the precession of the equinoxes – limited by the presence of the moon – and the major climatic cycles), etc.

[18] Oxygen, the dominant gas in the air, is now indispensable and inseparable from life. However, it was produced by living organisms – who invented photosynthesis, which produces oxygen from carbon dioxide and water – in an environment for which it represented a violent toxic agent: the first living organisms were anaerobic and not equipped to resist its oxidising power. Oxygen production is a fact of life. In 2 billion years, the accumulation of stocks was sufficient to change the oxygen content of the atmosphere from 1% to 21%, the current level. The major cycles (carbon, phosphorus, nitrogen, etc. see the book Les attracteurs de Gaia) are all linked to interactions between living and non-living things.

[19] It’s not for nothing that Pope Francis speaks of our common home (see his encyclical Laudato Si).

[20] To take oxygen as an example, its proportion (21%) in air has been very stable for 10 to 15 million years (see Glasspool, I. J., & Scott, A. C. (2010). Phanerozoic concentrations of atmospheric oxygen reconstructed from sedimentary charcoal, Nature Geoscience). It is now proven that the current biosphere in turn ensures the chemical stability of our atmosphere. But its composition is changing as a result of our propensity to burn fossil fuels on a massive scale. And we also know that an increase of 2 to 3% in the oxygen content of the atmosphere would be enough, by multiplying the number of fires, to trigger sufficient instability to threaten our conditions of survival.

[21] Accounting entries are always balanced; money creation, which is a bank liability, always has a counterpart, such as a receivable. But the terms “created ex nihilo” refer to the fact that money is not always the result of a prior deposit. This being said, the monetary question is a complex one which deserves more than this succinct formulation. See the module La monnaie” on the platform The Other Economy.

[22] This assumption is implicit in Robert Solow’s reasoning and his well-known criticisms of the Meadows report. To find out more, see the articles « La poursuite infinie de la croissance économique serait possible » and « Il suffirait de remplacer les ressources naturelles par du capital artificiel (des machines) » on the platform The Other Economy.

[23] Page 328.

[24] See Doit-on donner un prix à la nature ?, on the platform The Other Economy.

[25] See the work relating to the CARE framework and that of the Ecological Accounting Chair, and the module L’entreprise et sa comptabilité on the platform The Other Economy.

[26] There has been a great deal of discussion about changes to accounting standards and their application, but these are all technical and wide-ranging issues (accounting rules are mandatory for hundreds of millions of companies worldwide).

[27] See L’épargne nette ajustée des effets liés au climat est négative en France. Insee Analyses No. 98. November 2024. And Croissance, soutenabilité climatique, redistribution : qu’apprend-on des « comptes augmentés » ?, Insee blog, Nov. 2024

[28] The report L’approche économique de la biodiversité et des services liés aux éco-systèmes, commissioned by the French government in 2009, estimated that a hectare of natural forest could be worth €35,000 per hectare (by discounting the annual value of €970 per hectare), with a range of a ratio of 4 (between approximately €15,000 and €60,000). Building land in France is worth €100,000 per hectare on average.

[29] See Figure 3, p. 7, and Annex Figures 1.1 to 1.3, pp. 32-34.

[30] For around 800,000 years, the concentration of CO2 in the atmosphere had stabilised at between 180 and 300 ppm. It now exceeds 400 ppm.

[31] Our climate, for example, has a number of tipping points which, once crossed, will trigger chain reactions leading to a runaway increase in global warming: ocean currents come to a halt, Greenland melts, continental glaciers melt, and so on. Similarly, biodiversity balances are complex, and a relatively strong increase in pressure can lead to a sudden collapse in the population of a species.

[32]Let us recall this well-known sentence: « M. Pareto believes that the goal of science is to get closer and closer to reality by successive approximations. But, I believe that the goal of science is to develop a certain ideal model and then to relate reality to that ideal, and that is why I have specified such an ideal” ». Auguste et Léon Walras, Œuvres économiques complètes, Vol. XIII. p. 567 (Walras L. Œuvres diverses) – Pierre Dockès, Claude Mouchot and Jean-Pierre Potier, Economica.

[33] In his book Homo juridicus, Essai sur la fonction anthropologique du Droit , Le Seuil, 2009. Here is an extract from the publisher’s summary: « The aspiration to justice is, for better or for worse, a fundamental anthropological fact, because in order to live together, human beings need to agree on the same meaning of life, whereas there is none that can be discovered scientifically. Legal dogma is the Western way of binding people together in this way. Law is the text in which our founding beliefs are written: a belief in a meaning of the human being, in the power of laws or in the strength of a word given ».

In this respect, Alain Supiot follows Pierre Legendre, who believes that in all societies, human reason has dogmatic foundations. See V. P. Legendre, De la Société comme texte, Linéaments d’une anthropologie dogmatique, Fayard, 2001.

[34] See Parer aux risques de demain: Le principe de précaution, Dominique Bourg and Jean-Louis Schlegel, Seuil, 2009.

[35] For an overview of the literature on aggregate production functions, see Felipe and Fisher, Aggregation in Production Functions: What Applied Economists should Know, Metroeconomica, 2003.

[36] A Practical Guide to Macroeconomics, Jeremy B. Rudd, Cambridge University Press, 2024.

[37] Recently, the figure has been slightly lower for developed countries, but higher for emerging countries, where TFP can be as high as 2 to 4%.

[38] See Damage functions, NGFS scenarios, and the economic commitment of climate change An explanatory note, NGFS 2024, page 29; and Climate macroeconomic modelling handbook, NGFS, 2024.

[39] This loss of 30% is the assessment adopted at this stage by the NGFS of the damage caused by climate change and evaluated using a damage function.

[40] Authors such as Giglio et al (Giglio, Stefano, Theresa. Kuchler, Johannes Ströbel, and Olivier Wang. 2024. The Economics of Biodiversity Loss CEPR Discussion Paper DP19277, National Bureau of Economic Research, Cambridge, MA.) model the production of aggregate ecosystem services using an aggregate production function.

[41] Mathilde Salin, Katie Kedward, and Nepomuk Dunz. « Assessing Integrated Assessment Models for Building Global Nature-Economy Scenarios. » Banque de France. Working Paper No. 959. 2024.

[42] Demographics of course play a decisive role in the evolution of GDP, and this is a major issue both for the development of the least developed countries and, in the long term, for the relationship between mankind and Nature. But here, we are only dealing with the question of per capita GDP growth.

[43] The productivity of a factor of production (capital or labour, for example) is the ratio between the output produced and the factor used to produce it. In practice, labour productivity is easier to define: it is the ratio of hours worked to GDP.

[44] To simplify matters, there is a powerful school of thought, known as endogenous growth, which recognises that growth does not come from « nowhere », but can be explained by education, research and innovation. But in practice, because of the complexity of the subject and the difficulty of accurately measuring some of its parameters (such as the rate of innovation or the return on investment in human capital), the macro models used by institutions are based on production functions and TFP…

[45] Dépenses improductives, dette publique et création monétaire, Chroniques de l’Anthropocène, 2024

[46] Dasgupta, Partha and Levin, Simon, Economic Factors Underlying Biodiversity Loss (February 1, 2023). Philosophical Transactions of the Royal Society B

[47] Dempsey, Jessica, Audrey Irvine-Broque, Tova Gaster, Lorah Steichen, Patrick Bigger, Azul Carolina Duque, Amelia Linett, and others. 2024. « Exporting Extinction: How the International Financial System Constrains Biodiverse Futures. » The Centre for Climate Justice, Climate and Community Project, and Third World Network, University of British Columbia.

[48] It should be noted here that, paradoxically, the accounting tools used in practice and mainstream economic models do not at all lead to an optimized use of natural resources, for the aforementioned reason that resources are not accounted for.

[49] See the TEDx La révolution de la robustesse and his book « La troisième voie du vivant » Odile Jacob, 2022.

[50] See the report by the Stiglitz-Sen-Fitoussi Commission on the Measurement of Economic Performance and Social Progress, 2009. Following the work of this Commission, the Mesures de l’économie chair, co-directed by Catherine Doz and Marc Feurbaey was created at the Paris School of Economics. See also the book by  Marc Feurbaey and Didier Blanchet, Beyond GDP, Measuring Welfare and Assessing Sustainability. Oxford University Press, 2013.

[51] To find out more about GDP, how this indicator is constructed, what it represents and its limits, you can consult the module on PIB, croissance et limites planétaires on the platform The Other Economy.

[52]  37% of U.S. adults can’t afford an unexpected $400 expense on their own (they would have to borrow/sell something or just can’t afford it at all). See Economic Well-Being of U.S. Households in 2023, Fed. In addition, 100 million Americans are mired in medical debt. See 100 Million People in America Are Saddled With Health Care Debt, KFF Health News, 2022. For a wider perspective on this, see also Etats-Unis : Pourquoi Trump ? 10 chiffres clefs sur une société cassée, Le Grand Continent (02/11/24) and Dette, inégalités, démocratie malade : des failles made in America, Alternatives Economiques (27/09/24)

[53] Readers interested in this topic will also find the following article on mitigation costs useful. Köberle, A.C., Vandyck, T., Guivarch, C. et al. The cost of mitigation revisited. Nat. Clim. Chang. 11, 1035-1045 (2021).

[54] On this subject, see Eloi Laurent’s book Et si la santé guidait le monde? L’espérance de vie vaut mieux que la croissance. Les Liens qui libèrent. 2021.

[55] There are 17 SDGs, broken down into 169 targets for the 2015-2030 period, and monitored at international level by 231 indicators (France tracks 98). See Indicateurs pour le suivi national des objectifs de développement durable, Insee (04/07/24).

[56] See the ranking of the world’s countries according to their overall score on the SDGs on the Sustainable report 2024 website.

[57] Passed in 2015 in France, the SAS law requires the government to submit an annual report to Parliament presenting the evolution of new wealth indicators, as well as an assessment of the impact of the main reforms undertaken with regard to these indicators. Following this vote, work began on identifying 10 wealth indicators. In practice, the reports made mandatory by this law have received no media coverage, and are neither known nor used by politicians.

[58] See the article Les inégalités monétaires se sont fortement accrues dans les dernières décennies au sein des pays développés and the Infosheet Comment mesurer les inégalités monétaires? on the platform The Other Economy.

[59] See the article La redistribution de richesses réduit les inégalités, on the platform The Other Economy.

[60] GDP does not include domestic work or voluntary work. Determining whether GDP should be corrected to include this or whether we should structurally give value to what has no price is a fundamental debate.

[61] Neo-Keynesian models introduce market rigidities in the short term but converge towards a general equilibrium in the long term.

[62] There are many reasons for this, which we can’t go into here (see on the platform The Other Economy the article Les marchés financiers seraient efficients), but one of the most important is not always mentioned. General competitive equilibrium theorems are based on the assumption of diminishing returns, whereas in most economic sectors, returns are increasing. In this case, competition leads to the formation of oligopolies or monopolies (economists use the term monopolistic competition, see Michel Volle’s book Iconomie) and does not lead to an optimum.

[63] See the report “Finance to citizens”, Secours Catholique, 2018

[64] This is what Carbone4’s IF initiative is doing.

[65] Doughnut Economics: Seven Ways to Think Like a 21st Century Economist (2017)

[66] See the website A Good Life For All Within Planetary Boundaries, where each country is analysed using the doughnut criteria, and the article Fanning, A.L., O’Neill, D.W., Hickel, J., and Roux, N. (2021). The social shortfall and ecological overshoot of nations. Nature Sustainability.

The post Nature at the heart of economic reasoning: the emergence of a new macroeconomics appeared first on Chroniques de l'Anthropocène.

PDF

31.01.2025 à 18:26

Dette publique : faut-il avoir peur des marchés financiers ?

Alain Grandjean

L’objectif de réduction du déficit public français est justifié par les règles européennes[1] en la matière ainsi que par la peur des marchés financiers. Cette dernière est double. D’une part,  c’est une peur que les marchés financiers exigent des taux plus élevés, augmentant ainsi la charge d’intérêts de la dette…

The post Dette publique : faut-il avoir peur des marchés financiers ? appeared first on Chroniques de l'Anthropocène.

Texte intégral (4910 mots)

L’objectif de réduction du déficit public français est justifié par les règles européennes[1] en la matière ainsi que par la peur des marchés financiers. Cette dernière est double. D’une part,  c’est une peur que les marchés financiers exigent des taux plus élevés, augmentant ainsi la charge d’intérêts de la dette (près de 53 Mds€ en 2023, soit plus de 1,9% du PIB[2]) qui pèse de plus en plus sur le déficit. D’autre part, c’est la peur d’une hausse incontrôlée de la dette publique (de 3101 Mds€ soit 110 % du PIB fin 2023[3]) qui conduit les autorités à adopter une trajectoire budgétaire convergeant vers un excédent primaire[4] nécessaire pour éviter l’effet boule de neige. Cette note vise à montrer que les marchés financiers n’ont pas tous les pouvoirs et que les autorités européennes ont de sérieuses responsabilités dans cette situation et une capacité à agir.

1. La dette publique : épée de Damoclès ou faux problème ?

Avant d’aller plus loin, il est utile de faire état de quatre constats.

La question de la dette publique n’est pas une lubie

Précisons au préalable que l’objet de cet article n’est absolument pas de laisser penser que la dette publique serait un sujet à prendre à la légère. Il y a eu au cours de l’histoire de nombreuses crises de la dette publique avec des conséquences économiques et sociales désastreuses sur les pays concernés. Il est cependant important de comprendre quels sont les contextes économiques et politique à l’origine de ces crises. En effet, sur ce sujet, tous les pays ne sont pas égaux : le fait de disposer d’une monnaie convertible et utilisée par d’autres nations dans le commerce international limite le risque de crise de ce type[5].

Prenons le cas du Liban[6] dont la dette publique est insoutenable à 280 % du PIB et qui a fait défaut en 2020. « Pire crise économique au monde depuis le milieu du XIXe siècle. Voilà ce que vit le Liban depuis 2019, qui a subi une contraction surréaliste de plus de 60% de son Produit intérieur brut en 4 ans, dont la monnaie a perdu 98% de la valeur, qui a souffert de taux d’inflation ayant parfois avoisiné 200%, dont la population au seuil de la pauvreté atteint désormais les 80%. »[7] Les déficits commerciaux incontrôlés qui se terminent en crise de change (en épuisant les réserves de change de la banque centrale) rendent inopérante toute action de la banque centrale, qui comme nous allons le voir peut jouer un rôle important sur le niveau des taux d’intérêt des obligations publiques.

Par ailleurs, notre propos n’est pas non plus d’affirmer qu’il est possible de faire n’importe quoi en matière budgétaire . La première ministre britannique Liz Truss a dû démissionner à la suite de l’annonce d’un « mini-budget » fin 2022, dans lequel des baisses d’impôts très significatives pour les plus aisés n’étaient pas financées. La livre a chuté, les taux d’intérêt sur les bons du Trésor ont augmenté ainsi que les taux sur le marché hypothécaire, menaçant les ménages et exacerbant la crise du logement.

Il n’existe pas de plafond arithmétique de soutenabilité de la dette publique.

Il n’est pas possible de déterminer un ratio de dette publique sur PIB au-delà duquel la dette publique serait insoutenable. Celle du Japon s’élève à plus de 240% du PIB[8] mais elle est détenue majoritairement par les résidents ; le Japon n’est pas en faillite. Le « juge de paix » n’est pas la valeur du taux dette/ PIB mais la capacité des États à se financer. L’Italie par exemple dont la dette est de 130% du PIB place très facilement sa dette[9]. Elle a été sursouscrite 15 fois début janvier 2025.

La baisse du déficit public peut accroître le ratio dette /PIB

La croissance de la dette publique de l’année n à l’année n+1 est environ[10] égale au déficit de l’année n. Pour autant une baisse de ce déficit peut conduire les années suivantes à une hausse du ratio dette/PIB, en réduisant le PIB et les recettes fiscales[11]. C’est qui a été observé dans le cas de la Grèce par exemple : sa dette publique ne s’est jamais significativement réduite en proportion du PIB « malgré » plusieurs plans d’austérité[12].

Les banques centrales jouent un rôle clef

Enfin, les banques centrales jouent un rôle clef. En 2023, les banques centrales d’un panel de 21 pays de l’OCDE détenaient en moyenne 33% de la dette publique de leur pays. Ce niveau atteint près  de 50% pour la Bank of Japon.

Source : Global Debt Report 2024, OCDE, Figure 1.21 A (p. 43)

Conclusion : la dette publique est un sujet à prendre au sérieux mais pas au point de lui subordonner toutes les décisions budgétaires et macroéconomiques, et où la BCE a un rôle clef à jouer.

Passons maintenant à la question centrale. Si la dette publique peut alarmer les marchés financiers c’est à cause de l’effet boule de neige qui se matérialise quand le taux d’intérêt de la dette est supérieur au taux de croissance de l’économie. Dans le cas inverse la dette peut augmenter sans difficulté pour l’État concerné. Il est donc essentiel de comprendre comment se fixe ce taux d’intérêt, sachant qu’il s’agit pour l’essentiel du taux sur des émissions obligataires de 10 ans et plus ; on va se limiter dans le raisonnement à cette maturité.

2. La fixation des taux d’intérêt court et long terme

Constatons tout d’abord que la dette publique française coûte un peu plus cher en ce moment (3,3% pour les obligations à 10 ans fin janvier 2025, alors que leur taux était négatif en 2020 en moyenne annuelle et n’a cessé de croitre depuis[13]). Cette hausse se décompose en deux termes :

  • la hausse du « taux étalon » (celui des obligations allemandes)
  • la hausse de l’écart (le spread) entre la dette allemande et la dette française (0,8% fin janvier 2025).

Le taux étalon a augmenté au cours des derniers mois.

Première raison, prévue et annoncée antérieurement : pour faire face à l’inflation, la BCE a progressivement mis fin à sa politique d’achat de titres sur les marchés financiers (le quantitative easing) à partir de 2022. Elle a arrêté d’acheter de nouvelles obligations publiques en juillet 2022[14]. Son stock a alors cessé d’augmenter. A partir de mars 2023, elle a cessé de réinvestir la totalité des montants venus à échéance pour finalement arrêter totalement les rachats de dettes publiques le 1er janvier 2025[15]. Depuis son stock diminue. L’impact de cette mesure est très significatif. Une étude de la Banque centrale allemande (la Buba) montre qu’un allongement de la période de réinvestissement de 6 mois équivaut à 400 Mds de Quantitative Easing en termes de stimulus à l’économie[16].

La BCE est ainsi revenue à une politique conventionnelle de refinancement des banques commerciales[17]. Désormais, seules les banques et autres investisseurs  achètent des obligations publiques et compensent ainsi la réduction du stock de la BCE en gonflant leur bilan. Mais cela s’accompagne d’une hausse des taux, ces acteurs étant plus gourmands que la BCE et n’ayant plus l’assurance de pouvoir lui revendre les obligations en dernier ressort.

Cela démontre le rôle majeur de la BCE dans la détermination des taux d’intérêt long terme. Face à une forte émission obligataire[18] les « marchés financiers » exercent une pression qui peut donc être plus ou moins contrebalancée par la BCE (en fonction de sa propre décision ).

Deuxième raison, comme les marchés des capitaux sont interconnectés, le taux étalon de la zone euro dépend aussi des taux sur le dollar (en janvier 2025, le taux du bon du Trésor américain à 10 ans est de 4,6% en hausse de presque 1 point par rapport à septembre 2024).

Mais, face à cela, la BCE a également une marge de manœuvre, du fait de la forte baisse de l’inflation à 2,4 % sur l’année 2024. Elle peut continuer à baisser son taux à court terme (2,9% en février 2025[19]). Cette baisse des taux à court terme influence les marchés et le « taux étalon » tant que la BCE fait comprendre qu’elle va poursuivre (ou au moins ne pas renverser) la tendance. Certes, la BCE ne peut mener une politique divergente de celle de la Fed que dans une certaine mesure. Mais l’inflation américaine s’est elle aussi calmée. En outre, le Conseil européen (qui a la compétence dans le domaine de la politique de change) pourrait de concert avec la BCE[20] également envisager de voir baisser le taux de change euro/dollar (aujourd’hui d’environ 1 pour 1).

Conclusion sur ce premier point : l’action de la BCE a une influence forte sur les taux longs ; les marchés financiers ne sont pas tout-puissants face à elle.

Le spread Allemagne-France

Comme indiqué, l’écart de taux entre les obligations allemandes et françaises est de 0,8%. Au début des années 2010, lors de la crise de l’Euro les écarts de taux entre les pays européens ont atteint des sommets : le taux à 10 ans espagnol et le « 10 ans italien » étaient supérieurs, respectivement, de 6, 4% et 5,4 % au « 10 ans allemand ». Cette crise a été stoppée par une phrase de Mario Draghi (la célèbre « whatever it takes) suivie de la mise en place d’un dispositif l’OMT matérialisant la possibilité pour la BCE de se porter prêteur en dernier ressort.

A l’inverse, c’est la BCE qui a mis la Grèce à genoux, fin juin 2015, en réduisant le robinet des liquidités aux banques grecques. Elle l’a fait car les conditions d’activation de la ligne de liquidité d’urgence n’étaient pas remplies. C’était donc une décision prise au sein de l’Eurogroupe.

La BCE dispose depuis 2022, d’un Instrument de protection de la transmission (IPT), qui permet des «achats sélectifs sur le marché secondaire de titres émis dans des territoires connaissant une détérioration des conditions de financement non justifiée par les fondamentaux propres à chaque pays, afin de contrer les risques pesant sur le mécanisme de transmission, dans la mesure nécessaire». Il est prévu que le déclenchement de l’IPT suppose que quatre critères soient satisfaits : 1) le respect du cadre budgétaire de l’Union, 2) l’absence de déséquilibres macroéconomiques graves, 3) une dette publique viable et 4) des politiques macroéconomiques saines et durables.

On voit donc que la BCE n’est pas démunie. Même si elle a décidé de mettre fin aux politiques de QE, elle a encadré la possibilité institutionnelle d’y avoir recours de nouveau. Les règles de l’activation de l’IPT sont faites pour des situations exceptionnelles où malgré le respect des règles budgétaires européennes, la situation de la dette publique d’un État-membre se détériore. Dans ce cas la BCE a la main. Elle ne l’a plus pour un État qui ne respecterait pas les trajectoires budgétaires, c’est-à-dire, précisément, qui serait dans la situation où la procédure de déficit excessif a été menée au bout et où le Conseil déclare que l’État-Membre est en contravention.

Dans ce cas, le Conseil reprend la main et plusieurs options sont imaginables. La force de frappe de la BCE est telle[21] que des solutions seront trouvées in fine pour éviter une crise majeure de la zone Euro. Mais on peut penser d’une part que la BCE (avec l’instruction ou l’accord de l’Eurogroupe) attendra que la pression des marchés financiers fassent leur « boulot » de « discipline » des populations : quelques semaines d’inaction pour faire payer le prix au gouvernement en place et bien faire passer le message aux électeurs ! D’autre part, qu’elle visera un niveau de spread « raisonnablement punitif ». Quoi qu’il en soit la BCE a la capacité de s’opposer au diktat des marchés financiers, en accord avec les dirigeants de l’UE.

Conclusion

Il n’est pas vrai que ce sont les « marchés financiers » qui obligent les États ; ils le font parce que les dirigeants de la zone Euro décident qu’il doit en être ainsi. Ce sont eux qui ont créé « l’ordre de la dette » selon l’expression admirable de Benjamin Lemoine[22] et inscrit dans les Traités européens la logique de la « discipline de marché ». Ce sont nos gouvernements élus qui, faute de réécrire les règles d’intervention des banques centrales, laissent les marchés faire pression aujourd’hui. Loin d’être un sujet purement technique, la question du financement de la dette publique est éminemment politique. Laisser croitre les taux d’intérêt pour « rappeler à l’ordre » des États jugés trop dépensiers est un choix politique aux conséquences sociales, économiques, écologiques et politiques bien réelles.

On comprend bien la nécessité de règles de coordination budgétaires au sein d’une zone qui partage la même monnaie mais où les budgets sont de la responsabilité des États-Membres. On a montré par ailleurs que les règles budgétaires européennes et leur application étaient inadaptées à la situation de récession actuelle et aux besoins d’investissement liés au changement climatique[23].

On vient de voir ici que le mandat de la BCE et ses marges de manœuvre sont articulés étroitement avec ces règles budgétaires. On ne peut donc que constater la cohérence du dispositif mis en place. Mais on a vu aussi que, face aux marchés financiers, les administrations publiques et les politiques ont la responsabilité finale.

Ne serait-il pas temps de revoir la logique même des modalités d’intervention de la BCE tout comme celle des règles budgétaires européennes. La saine gestion des finances publiques ne peut être fondée sur les dogmes du siècle passé. Si l’Union européenne veut conserver une place dans l’ordre géopolitique actuel particulièrement menaçant, elle doit se doter d’un cadre budgétaire et monétaire adapté tant qu’elle le peut encore : se doter des moyens d’investir dans son indépendance en énergie et ressources naturelles (via le développement de moyens sur son sol et la sobriété), dans l’adaptation aux changement majeurs déjà en cours (tempêtes, sécheresse, inondation), dans la reconversion de son agriculture et de son industrie tout en accompagnement les acteurs les plus exposés à ces changement ainsi que dans sa sécurité extérieur.

Alain Grandjean

Je remercie Ollivier Bodin, Stanislas Jourdan et Marion Cohen pour leurs contributions et commentaires sur cet article.


Notes

[1] Pour en savoir plus sur les règles budgétaires européennes consultez les fiches de la plateforme The Other Economy sur la Gouvernance économique européenne et Les fondements analytiques et limites des règles budgétaires européennes. Voir également les tribunes co-écrites avec Ollivier Bodin dans lesquelles nous avons à plusieurs reprises souligné à la fois l’absurdité de ces règles et le fait qu’elles pouvaient être interprétées de manière plus souple que ce qui est habituellement affirmé. L’excès de zèle budgétaire, erreur fatale de Michel Barnier, et Trajectoires budgétaires : prendre en compte les défis européens, Les Echos

[2] Source : Eurostat – BDD Déficit/surplus, dette et données associées du gouvernement, consultée le 31/01/25.

[3] Source : Eurostat – BDD Déficit/surplus, dette et données associées du gouvernement, consultée le 31/01/25. Il s’agit de la dette publique au sens du traité de Maastricht. En effet, d’une institution à l’autre le calcul de la dette publique peut aboutir à des montants différents selon qu’elle est consolidée ou non, et selon les éléments qui sont inclus dedans ou pas. Voir la fiche de The Other Economy

[4] Le solde primaire (qui peut être excédentaire ou déficitaire) est le solde budgétaire hors charges d’intérêt.

[5] Voir l’article Tous les pays ne sont pas égaux face à la dette publique sur la plateforme The Other Economy.

[6] Voir la note de la Direction Générale du Trésor Situation macroéconomique et financière du Liban, 2024

[7] Au Liban, une ultime chance à saisir, Tribune de Michel Santi financier suisse d’origine libanaise, publiée dans La Tribune (13/01/25)

[8] Selon le Panorama des administrations publiques 2023 de l’OCDE la dette publique brute du Japon représentait 245% du PIB en 2021. A noter qu’il s’agit de la dette publique brute telle que calculée par l’OCDE. Il existe d’autres modes de calcul de la dette (et en particulier la dette publique au sens de Maastricht calculée par les services de la Commission européenne pour les pays de l’UE). En savoir plus, dans la fiche Mesurer la dette publique de la plateforme The Other Economy.

[9] Comment l’Italie continue de jouir de la confiance des marchés malgré une dette à 135 % de PIB, Les Echos (17/12/24)

[10] Le déficit public est un besoin de trésorerie et non un déficit comptable dans le calcul duquel on aurait amorti des investissements (comme c’est le cas pour les entreprises privées). Il existe cependant une différence -minime- entre le déficit et l’augmentation de la dette (pour certaines acquisitions ou cessions d’actifs ou pour des raisons techniques, (voir le site Fipeco)

[11] Ces conséquences sont liées à l’effet multiplicateur (voir la fiche sur Le multiplicateur des dépenses publiques sur la plateforme The Other Economy)

[12] La dette publique grecque au sens de Maastricht est passée de 147% du PIB en 2010 au moment du premier « plan de sauvetage » européen à 163% du PIB en 2023. Sur la période, ce taux est monte jusqu’à 189% du PIB (sans prendre en compte les années 2020 et 2021 ou le taux à atteint 209 et 197% du PIB du fait de la récession mondiale liée à la pandémie). Source : Eurostat.

[13] Source : Eurostat – Taux des obligations publiques à 10 ans (critère de convergence l’Union Économique et Monétaire) pour les pays de la zone euro. Taux journalier. Moyenne annuelle.

[14] Dans le cadre du programme d’achats d’actifs (APP) lancé début 2015.

[15] Pour en savoir plus sur l’évolution des rachats de dettes publiques consultez le site des deux principaux programmes de la BCE : l’Asset purchase programme lancé fin 2014 pour faire face à la crise de la zone euro (les rachats ont pris fin en juillet 2023) et le Pandemic emergency purchase programme lancé en mars 2020 pour faire face à la pandémie (les rachats ont pris fin le 1er janvier 2025).

[16] Gerke, Rafael and Kienzler, Daniel and Scheer, Alexander, On the Macroeconomic Effects of Reinvestments in Asset Purchase Programmes (2022). Deutsche Bundesbank Discussion Paper No. 47/2022

[17] Pour en savoir plus sur les politiques monétaires conventionnelles et non conventionnelles voir l’article La politique monétaire et ses limites, du module sur la monnaie de la plateforme The Other Economy ainsi que la fiche Comprendre le quantitative easing.

[18] Car toute la zone euro est concernée. En 2025, les onze principaux pays de la zone euro vont émettre autour de 465 milliards d’euros de dette nette (dont le tiers venant de la France). Dans le même temps, la BCE va laisser arriver à maturité, sans les remplacer, 407 milliards d’euros de dette. L’un dans l’autre, les investisseurs privés vont donc devoir acheter 872 milliards d’euros d’obligations.

[19] Source : Taux directeur de la BCE pour les Opérations principales de refinancement sur la page Les taux monétaires directeurs du site de la Banque de France.

[20] La BCE ne mène pas de politique de change stricto sensu, mais le taux de change est un des paramètres qu’elle prend en considération dans la poursuite de son objectif de contrôle de l’inflation.

[21] Du fait de sa capacité de création monétaire. Voir le module sur La monnaie de la plateforme The Other Economy.

[22] L’ordre de la dette: Enquête sur les infortunes de l’État et la prospérité du marché. La découverte. 2017

[23] Voir notamment l’article Réformer le Pacte de Stabilité et de Croissance sur la plateforme The Other Economy ;  sur ce blog Idéologie, macroéconomie, investissements publics et règles budgétaires ; et le site de Greentervention .

The post Dette publique : faut-il avoir peur des marchés financiers ? appeared first on Chroniques de l'Anthropocène.

PDF
6 / 10
 Persos A à L
Mona CHOLLET
Anna COLIN-LEBEDEV
Julien DEVAUREIX
Cory DOCTOROW
Lionel DRICOT (PLOUM)
EDUC.POP.FR
Marc ENDEWELD
Michel GOYA
Hubert GUILLAUD
Gérard FILOCHE
Alain GRANDJEAN
Hacking-Social
Samuel HAYAT
Dana HILLIOT
François HOUSTE
Tagrawla INEQQIQI
Infiltrés (les)
Clément JEANNEAU
Paul JORION
Michel LEPESANT
Frédéric LORDON
 
 Persos M à Z
Henri MALER
Christophe MASUTTI
Jean-Luc MÉLENCHON
Romain MIELCAREK
MONDE DIPLO (Blogs persos)
Richard MONVOISIN
Corinne MOREL-DARLEUX
Timothée PARRIQUE
Thomas PIKETTY
VisionsCarto
Yannis YOULOUNTAS
Michaël ZEMMOUR
LePartisan.info
 
  Numérique
Christophe DESCHAMPS
Louis DERRAC
Olivier ERTZSCHEID
Olivier EZRATY
Framablog
Tristan NITOT
Francis PISANI
Pixel de Tracking
Irénée RÉGNAULD
Nicolas VIVANT
 
  Collectifs
Arguments
Bondy Blog
Dérivation
Dissidences
Mr Mondialisation
Palim Psao
Paris-Luttes.info
ROJAVA Info
 
  Créatifs / Art / Fiction
Nicole ESTEROLLE
Julien HERVIEUX
Alessandro PIGNOCCHI
XKCD
🌓