02.07.2025 à 18:36
Contre la construction d'un nouveau Centre de rétention administrative à Goussainville !
Dans le cadre du projet d'extension des capacités de rétention à 3000 places, des nouveaux CRA sont en projets partout en France.
À Goussainville, c'est dans les tuyaux et dans l'ombre depuis quasi 2 ans.
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Dans le cadre du projet d'extension des capacités de rétention à 3000 places, des nouveaux CRA sont en projets partout en France.
À Goussainville, c'est dans les tuyaux et dans l'ombre depuis quasi 2 ans.
02.07.2025 à 13:12
Émeutes « noires » aux USA à partir du 2 juillet 1964
Rappel de ce qu'ont été les émeutes des Afro-Américains des banlieues étatsuniennes au début des années 1960.
Texte intégral (1582 mots)

Rappel de ce qu'ont été les émeutes des Afro-Américains des banlieues étatsuniennes au début des années 1960.
Été 1964
New York. Dans le quartier de Harlem, l'agitation suit l'assassinat d'un jeune black de 15 ans par un policier blanc qui n'était pas en service.
Le jeune aurait menacé le flic d'un couteau. Les manifestations se transforment en émeutes : les voitures brûlent, les magasins sont pillés, les pavés, les barres de fer et les cocktails Molotov sont les (faibles) moyens utilisés pour affronter les forces de l'ordre. Les affrontements dans la rue durent pendant quatre nuits et trois journées, puis la vague déborde le quartier de Manhattan pour toucher le quartier de Brooklyn, dans le quartier black de Bedford-Stuyvesant.
D'autres villes sont également touchées ; il y a ainsi des émeutes dans le ghetto de Rochester dans le nord-ouest de la ville de l'État de New York, après que deux policiers blancs aient arrêté deux jeunes blacks alcoolisés. Le bilan de ces dix journées « chaudes » de New York et Rochester : 7 morts, 800 blessés, dont 48 policiers, plus de 1 000 arrestations, des millions de dégâts.
Ces mois « chauds » ont résonné dans tous les USA.
En été 1965
Du 11 au 16 août, c'est le quartier black de Watts, à Los Angeles, qui flambe. Avec comme prétexte l'arrestation d'un black prétendument alcoolisé par des policiers blancs. La presse WASP (white anglo-saxon protestant) se déchaîne contre la « plèbe noire ». Résultat : 35 morts, 800 blessés, 700 maisons incendiées, dévastation sur un périmètre de 77 km², 500 millions de francs de dégâts.

L'été 1966
Ce sont plus d'une vingtaine de villes qui se soulèvent dans tous les USA. Entre autres : Jacksonville en Floride, Sacramento en Californie, Omaha au Nebraska, New York, Los Angeles, San Francisco, Chicago. Dans cette dernière ville, le prétexte a été que la police avait chassé des enfants qui profitaient d'une bouche à incendie pour se rafraîchir. Le point culminant de cet été a été à Cleveland, dans l'Ohio : violents affrontements avec la garde nationale. À la fin de cet été, il y avait 12 morts et 400 blessés.
En 1967
Dans le quatrième « été brûlant », plus de 100 villes étaient touchées par les soulèvements. Notamment Newark (dans le New Jersey, pas loin de New York) et Detroit.
À Newark, les heurts durèrent du 12 au 17 juillet après qu'un chauffeur de taxi black ait été arrêté. À peine arrêtées des centaines de personnes se rassemblent et jettent des pierres et des bouteilles sur la police. Cette ville de 405 000 habitants se transforme en champ de bataille, il y eut 27 morts (dont 25 noirs), 2 000 blessés. En 60 endroits il y avait des incendies, des blocs de maisons étaient criblés de balles, les magasins du centre-ville avaient été pillés, des engins blindés patrouillaient dans toute la ville avec des soldats armés de pistolets-mitrailleurs, 1 500 noirs sont envoyés en prison.
Mais ce qui se passa du 24 au 28 juillet 1967 à Detroit dépassa tout cela. Robert Kennedy parla « de la plus grande crise américaine depuis la guerre civile », le Washington Post de « la plus grande tragédie dans la longue histoire des explosions des ghettos de couleur ».
Après une razzia de la police contre un café clandestin black, c'est l'émeute et la répression. Les tanks sont dans les rues avec des parachutistes en formation, on tire contre les gens dans les rues et sur les places. Des dizaines d'hélicoptères mitraillent les fenêtres. Des pans entiers de la ville sont en feu, les rues dévastées. Dans les quatre journées et nuits d'affrontements, la police, la garde nationale et les parachutistes de la 82e et 101e division (qui s'étaient illustrés au Viêt-nam) reprennent le terrain, rue par rue, dans ce qui est tout de même la cinquième plus grande ville US, la capitale mondiale de l'automobile.
Le système judiciaire fut totalement débordé. La prison de Detroit, prévue pour 1 200 prisonniers, en accueille 1 700.
Dans les prisons pour mineurs prévues pour 120 personnes sont entassés 600 jeunes. Un garage souterrain de la police a été transformé en prison pour 1 000 personnes. D'autres gens furent bloqués plus de 24 heures dans des bus : donc pas de toilettes, pas de médecin, pas de droits, aucun contact avec des avocats.
41 personnes sont mortes à Detroit ces jours-là, 2 000 blessées, 3 200 arrêtées, des milliers sans endroit pour dormir. Ce sont 1 500 magasins qui pillés, 1 200 bâtiments incendiés, et la production automobile arrêtée. Il y eut pour plus de 7 milliards de francs de dégâts. H. Rap Brown, ancien leader estudiantin black, dit : « avant la ville s'appelait Detroit, maintenant elle s'appelle Destroyed [détruite] ».

- Ces soulèvements n'étaient pas des soulèvements organisés, mais ce qui les caractérise tous c'est que leur prétexte fut une confrontation avec la police. À chaque fois, une intervention de police fait déborder le vase. Les gens résistent à la police qui appelle des renforts, qui reçoivent des pierres et des bouteilles ; suivent les pillages. Les symboles de la société blanche — magasins et flics — étaient attaqués.
- Porteurs de cette vague : les jeunes. C'est parce qu'ils appartenaient à une minorité opprimée que la majorité des Noirs américains étaient surexploités, devaient occuper les pires emplois, être les premiers licenciés et vivre dans des taudis.
Aux USA, le chômage frappait à l'époque deux fois plus les travailleurs noirs que les blancs. La population noire était d'autant plus exaspérée que la jeunesse noire payait un lourd tribut dans la guerre du Viêt-nam.
Cette jeunesse noire exaspérée était porteuse de ces révoltes, car les jeunes étaient plus conscients du racisme spécifique à l'encontre des noirs, ne croyaient pas en une action au sein des institutions, avaient déjà souvent participé à des actions politiques.

Article d'abord publié sur rebellyon.info
02.07.2025 à 12:30
Insécurité sous la plume d'un barbare
Le vendredi 25 juin 2010, la Cour de Cassation déboute le ministère de l'Intérieur dans son acharnement à poursuivre Hamé, du groupe La Rumeur, pour diffamation envers la police nationale. Initiée en 2002 par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, la plainte vise un texte intitulé « Insécurité sous la plume d'un barbare » (Texte publié dans La Rumeur Magazine, publication gratuite distribuée gratuitement chez les disquaires au printemps 2002), évoquant les violences policières en parlant à leur sujet d' « assassinats ».
Texte intégral (1813 mots)

Le vendredi 25 juin 2010, la Cour de Cassation déboute le ministère de l'Intérieur dans son acharnement à poursuivre Hamé, du groupe La Rumeur, pour diffamation envers la police nationale. Initiée en 2002 par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, la plainte vise un texte intitulé « Insécurité sous la plume d'un barbare » (Texte publié dans La Rumeur Magazine, publication gratuite distribuée gratuitement chez les disquaires au printemps 2002), évoquant les violences policières en parlant à leur sujet d' « assassinats ».
Voici le texte dont il est question :
l'insécurité sous la plume d'un barbare
Ça y est, les partisans chevronnés du tout sécuritaire sont lâchés. La bride au cou n'est plus et l'air du temps commande aux hommes modernes de prendre le taureau par les couilles. Postés sur leurs pattes arrières, les babines retroussées sur des crocs ruisselant d'écume, les défenseurs de « l'ordre » se disputent à grands coups de mâchoires un mannequin de chiffon affublé d'une caquette Lacoste.
Sociologues et universitaires agrippés aux mamelles du ministère de l'intérieur, juristes ventrus du monde pénal, flics au bord de la crise de nerfs en réclamation de nouveaux droits, conseillers disciplinaires en zone d'éducation prioritaire, experts patentés en violences urbaines, missionnaires parlementaires en barbe blanche, journalistes dociles, reporters et cinéastes de « l'extrême », philosophes amateurs des garden-parties de l'Élysée, idéologues du marché triomphant et autres laquais de la plus-value ; et bien évidemment, la cohorte des responsables politiques candidats au poste de premier illusionniste de France... tous, jour après jour, font tinter en prime-time le même son de cloche braillard :
« Tolérance zéro » !!!
« Rétablissement de l'ordre républicain bafoué dans ces cités où la police ne va plus ».
Ils sont unanimes et hurlent jusqu'à saturation, à longueur d'ondes et d'antenne, qu'il faut « oser » la guerre du « courage civique » face aux hordes de « nouveaux barbares » qui infestent la périphérie de nos villes. Qu'on en finisse avec le diable !!! l'ennemi intérieur, fourbe et infâme, s'est immiscé jusque dans nos campagnes et y a pris position. Ne craignons pas les contrats locaux de sécurité, les couvre-feux, l'abaissement de l'âge pénal à 13 ans, l'ouverture de nouveaux centres de détention pour mineurs, la suppression des allocations familiales aux familles de délinquants... Que la caillera se le tienne pour dit, la République ne laissera pas sombrer le pays dans le chaos apocalyptique des vols de portables, du recel d'autoradios ou du deal de shit sous fond de rodéos nocturnes...
La République menacée, la République atteinte mais la République debout !!! Quelle leçon d'héroïsme ! Quelle lucidité d'analyse ! Et quel formidable écran de fumée !! A la table des grand-messes, la misère poudreuse et les guenilles post-coloniales de nos quartiers sont le festin des élites. Sous les assauts répétés des faiseurs d'opinion, les phénomènes de délinquance deviennent de strictes questions policières de maintien de l'ordre ; les quartiers en danger se muent en quartiers dangereux dont il faut se protéger par tous les moyens ; et les familles immigrées victimes de la ségrégation et du chômage massif, endossent la responsabilité du « malaise national ».
La crème des auteurs de la pensée sécuritaire joue à l'idiot à qui on montre la lune du doigt et qui regarde le doigt. Exit les causes économiques profondes. Exit les déterminismes sociologiques. Exit le risque que le débat prenne un jour l'aspect d'un réquisitoire contre les vrais pourvoyeurs d'insécurité : ceux-là même qui ont réduit des centaines de milliers de famille à vivre avec 4000 francs par mois ; ceux-là même qui appellent de leurs vœux les plus chers la marche forcée vers « l'économie de marché débridée ».
Nous ne lirons pas, dans la presse respectable, que les banlieues populaires ont été, depuis une vingtaine d'années, complètement éventrées par les mesures économiques et sociales décidées depuis les plus hautes sphères de l'État et du patronat pour pallier à la crise sans toucher à leur coffre-fort.
Nous n'entendrons pas sous les luminaires des plateaux de télévision, qu'à l'aube maudite du mitterrandisme, nos parents et nos plus grands frères et sœurs ont été les témoins vivants d'une dégradation sans précédent de leur situation déjà fragilisée.
Qui parmi les scribouillards du vent qui tourne s'indignera de l'opacité entretenue vis-à-vis de la vallée de larmes et de combats que fut l'histoire de nos pères et grands-pères ? Parmi ces hommes de paille éructant la « croisade républicaine », combien déclareront la guerre du « courage civique » devant les ravages psychologiques du mépris de soi chez des générations qui atteignent la vingtaine avec 8 ans d'échec scolaire et 3 ans de chômage ? Les logiques d'autodestruction (toxicomanie, alcoolisme, suicide...) où certains d'entre nous sont conduits par pur désespoir et complète perte de foi en l'avenir, mériteront-elles quelconque voix au chapitre de l'insécurité ?
Les pédagogues du dressage républicain n'auront pas en ce sens la critique fertile. Ils n'esquisseront nulle moue face à la coriace reproduction des inégalités sociales au travers des échelons du système scolaire, ni l'élimination précoce du circuit de l'enseignement de larges franges de jeunes qui ne retiennent de l'école que la violence qui leur a été faite. Les rapports du ministère de l'intérieur ne feront jamais état des centaines de nos frères abattus par les forces de police sans qu'aucun des assassins n'ait été inquiété. Il n'y figurera nulle mention de l'éclatement des noyaux familiaux qu'ont provoqué l'arsenal des lois racistes Pandraud-Pasqua-Debré-Chevènement et l'application à plein rendement de la double peine.
Les études ministérielles sur la santé refermeront bien vite le dossier des milliers de cancers liés à la vétusté de l'habitat ou au non-respect des normes de sécurité sur les chantiers de travail. La moyenne effroyablement basse de l'espérance de vie dans nos quartiers ne leur semblera être, elle aussi, qu'un chiffre indigne de tout commentaire. Bref, ils n'agiteront jamais au vu de tous le visage autrement plus violent et criminel de l'insécurité. Aux humiliés l'humilité et la honte, aux puissants le soin de bâtir des grilles de lecture.
À l'exacte opposée des manipulations affleure la dure réalité. Et elle a le cuir épais. La réalité est que vivre aujourd'hui dans nos quartiers c'est avoir plus de chance de vivre des situations d'abandon économique, de fragilisation psychologique, de discrimination à l'embauche, de précarité du logement, d'humiliations policières régulières, d'instruction bâclée, d'expérience carcérale, d'absence d'horizon, de repli individualiste cadenassé, de tentation à la débrouille illicite... C'est se rapprocher de la prison ou de la mort un peu plus vite que les autres... Les hommes et les femmes qui dirigent ce pays savent tout cela. Ils savent aussi que la libéralisation massive de la vie économique française est en très bonne voie. Ils savent que les privatisations, les fusions, les délocalisations de nombreux secteurs d'activité vont se généraliser comme va se généraliser la paupérisation. Ils savent que la nouvelle configuration du marché exige la normalisation du salariat précaire et l'existence d'une forte réserve de chômeurs et de sans-papiers.
Et ils savent surtout que les banlieues populaires (parce qu'elles subissent de plein fouet et avec le plus d'acuité les mutations de la société française) sont des zones où la contestation sociale est susceptible de prendre de radicales formes de lutte si elle trouve un vecteur qui l'organise. On comprendra qu'il est de nécessité impérieuse d'installer toujours plus d'instruments de contrôle et de répression « éclair » au sein de nos quartiers. On comprendra que le monde du pouvoir et du profit sans borne a tout intérêt à nous criminaliser en disposant de notre mémoire et de nos vies comme d'un crachoir.
Pour aller plus loin :
Interview télé des membres de la Rumeur qui s'expriment sur leur procès, le rap, Skyrock, SOS Racisme etc.. : https://youtu.be/SIM6GFHJYQY
Interview de la Rumeur et de leur vision du rap comme pratique de l'amitié et culture contestataire : https://sous-culture.com/interview-la-rumeur/
02.07.2025 à 11:30
Haussmann ou le triomphe (toujours actuel) de la pensée bourgeoise de la ville
Sous le Second Empire (1852-1870), parallèlement à une des politiques les plus autoritaires et répressives du XIXe siècle, Napoléon III dirige la modernisation d'ensemble de Paris, avec l'aide du baron Haussmann. Avec ses immenses percées, son architecture régulière, ses parcs et ses grandes places, la capitale aérée et assainie connaît un nouveau prestige et une splendeur que peu lui refusent. Le Paris d'Haussmann est sublime. Considérations esthétiques importantes, mais banales. On oublie trop souvent les enjeux stratégiques de cette rénovation d'ensemble, plus ou moins revendiqués par Haussmann lui-même.
Texte intégral (2761 mots)

Sous le Second Empire (1852-1870), parallèlement à une des politiques les plus autoritaires et répressives du XIXe siècle, Napoléon III dirige la modernisation d'ensemble de Paris, avec l'aide du baron Haussmann. Avec ses immenses percées, son architecture régulière, ses parcs et ses grandes places, la capitale aérée et assainie connaît un nouveau prestige et une splendeur que peu lui refusent. Le Paris d'Haussmann est sublime. Considérations esthétiques importantes, mais banales. On oublie trop souvent les enjeux stratégiques de cette rénovation d'ensemble, plus ou moins revendiqués par Haussmann lui-même.
Les remettre à la lumière semble d'autant plus important que ces aspects problématiques traduisent une vision de la ville toujours largement dominante : une ville doit profiter aux plus méritants ; une ville ne doit pas s'abandonner à l'émeute ; une ville doit pouvoir assurer la circulation des hommes et des marchandises. Cette vision de la ville est en première instance celle de la bourgeoisie, méritante, effrayée par le désordre et n'empruntant la rue que pour aller d'un confort à un autre.
Article initialement publié sur Lundi matin.
Évincer les classes populaires
Sur le plan social, Haussmann se fait le porte-parole de la bourgeoisie industrielle : des gares et des grands axes pour faire circuler les marchandises, des appartements haussmanniens pour ceux qui en ont les moyens, Paris devient une « ville bourgeoise » qui se vide de ses classes populaires. Le confort et la modernité haussmanniens profitent aux bourgeois et aux classes moyennes. Les classes populaires quittent les anciens faubourgs, chassées par l'élévation du prix des loyers dans la capitale. Elles s'en vont vers ce qui deviendra la « banlieue », dans des logements le plus souvent insalubres et sans accès à l'eau. Cette éviction radicale n'est pas un effet secondaire, une conséquence accidentelle et involontaire d'un projet humaniste. Haussmann écrit lui-même à Napoléon III qu'il faut « accepter dans une juste mesure la cherté des loyers et des vivres […] comme un auxiliaire utile pour défendre Paris contre l'invasion des ouvriers de la province ». Depuis les années 1830, les ouvriers réclament une place dans la société et deviennent la principale figure des rébellions politiques et sociales. Le critique littéraire Saint Marc Girardin illustre cette crainte des pauvres dans un article de 1831, quand il compare les ouvriers aux barbares de l'Empire romain : « les Barbares qui menacent la société ne sont point au Caucase, ni dans les steppes de la Tartarie. Ils sont dans les faubourgs de nos villes manufacturières ». Dans Le Droit à la ville, au premier chapitre, Henri Lefebvre montre que l'haussmannisation est une première étape dans l'éviction des classes populaires, poursuivie au XXe siècle : dés les années 1920, la bourgeoisie expulse les classes populaires de l'enceinte de la ville et les banlieues pavillonnaires se multiplient : les pauvres sont exclus de la réalité urbaine (commerces, cafés, gares, lieux de culture, etc.). La 3e étape que distingue Lefebvre est la période d'après-guerre : l'État prend en charge cette politique, avec la création des grands ensembles, politique qui se satisfait d'assurer à leurs habitants un toit - pire encore que le pavillon qui, au moins, assurait à son propriétaire une relative liberté dans la gestion de son espace. Lefebvre propose une distinction radicale entre habitat, c'est-à-dire le lieu pour dormir et consommer), et habité, qui implique une appropriation de l'espace, avec des lieux de vie, d'échange, comme des cafés - le philosophe constate tristement l'absence radicale de cafés dans les ensembles pavillonnaires. On pourrait définir une quatrième étape toute contemporaine : la gentrification. Aujourd'hui, la gentrification accomplit cette éviction massive des classes populaires et des étrangers du Paris d'Haussmann : la bourgeoisie expansive, lasse du boulevard Saint-Germain, s'installe à Barbès-Rochechouart.
Anne Clerval, maîtresse de conférences en géographie à l'université Paris-Est, travaille sur cette gentrification. « Depuis Haussmann, écrit-elle, les pouvoirs publics ont cherché à valoriser ou revaloriser le centre, favorisant la gentrification selon différentes modalités [1] ». Son travail, aussi bien théorique que cartographique, nous montre à quel point la bourgeoisie finit ce qu'Haussmann avait commencé : chasser les pauvres de la ville.
Contrôler la capitale
Le XIXe siècle est aussi le siècle d'une agitation révolutionnaire quasi permanente et dont il est difficile pour nous d'imaginer la violence - nos manifestations autorisées, avec leurs parcours et leurs horaires, sont particulièrement peu violentes à cet égard. Dans ce contexte insurrectionnel, qui connaît son acmé avec les révolutions de 1830 et 1848, le « despotisme napoléonien » s'exprime de plusieurs manières : judiciairement, bien sûr, avec, par exemple, la loi de sureté générale, qui permet d'interner ou d'expulser sans nouveau jugement toute personne condamnée pour des motifs politiques depuis 1848 (ancêtre des lois liées au fichage au S ou aux « associations de malfaiteurs »), c'est-à-dire concrètement plusieurs centaines de républicains ; mais aussi plus subtilement dans la rénovation de Paris. Les visées stratégiques d'Haussmann, politiquement revendiquées, consistent à éviter l'érection de barricades par la percée d'avenues très larges et donnant la possibilité, par leur rectitude, de contrôler les mouvements insurrectionnels, à partir des places où l'on construit aussi des casernes. Les avenues sont conçues pour réprimer les émeutes : l'armée doit pouvoir se déplacer plus rapidement et tirer de loin sur les manifestants. Les émeutes et les révolutions (grâce auxquelles, rappelons-le, deux régimes sont tombés, alors qu'ils étaient en plein durcissement) terrifiaient les classes aisées, qui devaient leur confort aux régimes en place. Une lettre de propriétaires du quartier Panthéon, adressée au préfet Berger en 1850, réclamait des voies larges et droites afin de faciliter le déplacement des troupes. En démolissant et réorganisant le vieux centre de Paris, Haussmann a déstructuré les foyers de contestation, par exemple autour du faubourg Saint-Denis, quartier des émeutes éventré par le boulevard Sébastopol, ou près du canal Saint-Martin avec le boulevard Richard Lenoir. Haussmann a « peigné Paris avec des mitrailleuses », selon le mot de l'écrivain surréaliste Benjamin Péret. Le fait est qu'il faudra attendre la Commune de 1871 pour que l'on se remette à dresser des barricades dans Paris, essentiellement sur les faubourgs non haussmannisés, voire sur les avenues haussmanniennes, mais d'une manière alors nécessairement monumentale, les barricades s'élevant souvent jusqu'aux deux premiers étages des immeubles. L'écrasement de la Commune, la Semaine sanglante (autour de 20 000 communards exécutés par l'armée) est une démonstration radicale de l'efficacité du dispositif haussmannien. Aujourd'hui, les émeutes ne sont pas moins rendues impossibles, paralysées et condamnées par ce même dispositif. La pratique policière de la nasse - qui signifie littéralement piège - est permise par ce quadrillage de la ville. On remarque par ailleurs que les émeutes qui échappent à la police sont le plus souvent dans des quartiers non haussmanisés, en after des manifestations autorisées, ou alors elles sont monumentales. Paris est une ville quadrillée. A contrario, Naples par exemple, est une ville monstrueuse. Ses rues sinueuses empêchent la police de contrôler les émeutes, toujours débordantes [2].
Privilégier la circulation à l'appropriation de l'espace
Cet aspect, bien que moins concret que l'éviction des classes populaires de la ville par exemple, en est pourtant inséparable, et participe d'une même pensée productiviste de la ville. Lefebvre, dans Le Droit à la ville, et les situationnistes dans leurs différents articles, insistent particulièrement sur cet aspect et ont fourni une analyse impressionnante de la ville industrielle occidentale dont le Paris haussmannien est, à bien des égards, un modèle sans précédent : il s'agit, notamment par la percée de grands axes et la construction de nombreuses gares, de transformer la ville comme foyer urbain, œuvre du temps, en système de flux pour assurer une meilleure circulation des hommes et des marchandises. Napoléon et Haussmann revendiquent largement cette importance de la circulation qui signifie en fait une primauté de la productivité et de l'efficacité sur la vie elle-même. La rue n'est plus du tout habitée ni même habitable. Il suffit de comparer les corps qui défilent sur l'avenue très haussmannienne et très vide du président Wilson dans le XVIe arrondissement, aux désordres festifs de certains quartiers populaires ou même dans les rues sinueuses du Quartier latin, curieusement abandonné par la haussmannisation. Il existe toujours des îlots de résistance, c'est-à-dire des ilots qui résistent à l'arraisonnement intégral de la ville à des fins marchandes. Le Pigalle, une histoire populaire de Paris, documentaire sur le quartier de Pigalle, réalisé par David Dufresne, témoigne justement de ce monde qui disparait, dont Pigalle fut une des traces : l'histoire de Pigalle est aussi l'histoire de la transformation d'un lieu de vie qui faisait grimacer toutes les formes et couleurs, en vitrine consumériste, en couloir d'un centre commercial fatigué. À cet égard, David Dufresne reproduit à son échelle ce qu'avait fait Victor Hugo avec sa Cour des Miracles dans Notre-Dame de Paris : rendre hommage à des angles morts du développement bourgeois, que certains appellent « progressisme » - et qui fait de Victor Hugo un situationniste avant l'heure, lui même qui s'attristait de la rénovation haussmannienne. Désormais, l'on est presque condamné à n'emprunter la rue que pour aller d'un point A à un point B : l'autoroute est l'horizon indépassable de la rue. Tout conspire à réduire la rue à sa pure fonction de circulation. À cet égard, la multiplication effrénée de l'usage de trottinettes électriques - bien que celui-ci ne se soit pas encore totalement généralisé - est une étape supplémentaire dans cette dépossession de la rue ; elle est un avatar de la pensée bourgeoise de la ville au XXIe siècle : la rue n'est plus cet espace habité, celui du jeu, de la fête ou de la rencontre (ni celui de l'émeute), mais un simple circuit. À moins qu'on n'utilise la Lime autrement que pour se déplacer rapidement (bien que lourde, elle peut très aisément servir de bouclier ou de projectile), celle-ci nous propose la fast life, en échange du droit à la rue - et ne propose cette mobilité qu'à ceux qui bénéficient d'un smartphone riche d'une carte bancaire, par où la multiplication de leur usage abandonne la rue aux autres, les vagabonds et les misérables.
Le philosophe Walter Benjamin consacre un chapitre de Paris, capitale du XIXe siècle aux visées stratégiques du baron Haussmann :
« Haussmann ou les barricades »
J'ai le culte du Beau, du Bien, des grandes choses,
De la belle nature inspirant le grand art,
Qu'il enchante l'oreille ou charme le regard ;
J'ai l'amour du printemps en fleurs : femmes et roses !
Baron Haussmann, Confession d'un lion devenu vieux.
L'activité de Haussmann s'incorpore à l'impérialisme napoléonien, qui favorise le capitalisme de la finance. À Paris la spéculation est à son apogée. Les expropriations de Haussmann suscitent une spéculation qui frise l'escroquerie. Les sentences de la Cour de cassation qu'inspire l'opposition bourgeoise et orléaniste, augmentent les risques financiers de l'haussmannisation. Haussmann essaie de donner un appui solide à sa dictature en plaçant Paris sous un régime d'exception.
En 1864 il donne carrière à sa haine contre la population instable des grandes villes dans un discours à la Chambre. Cette population va constamment en augmentant du fait de ses entreprises. La hausse des loyers chasse le prolétariat dans les faubourgs. Par là les quartiers de Paris perdent leur physionomie propre. La « ceinture rouge » se constitue. Haussmann s'est donné à lui-même le titre « d'artiste démolisseur ». Il se sentait une vocation pour l'œuvre qu'il avait entreprise ; et il souligne ce fait dans ses mémoires. Les halles centrales passent pour la construction la plus réussie de Haussmann et il y a là un symptôme intéressant. On disait de la Cité, berceau de la ville, qu'après le passage de Haussmann il n'y restait qu'une église, un hôpital, un bâtiment public et une caserne. Hugo et Mérimée donnent à entendre combien les transformations de Haussmann apparaissaient aux Parisiens comme un monument du despotisme napoléonien. Les habitants de la ville ne s'y sentent plus chez eux ; ils commencent à prendre conscience du caractère inhumain de la grande ville. L'œuvre monumentale de Maxime Du Camp, Les Convulsions de Paris, doit son existence à cette prise de conscience. Les eaux-fortes de Meryon (vers 1850) prennent le masque mortuaire du vieux Paris.
Le véritable but des travaux de Haussmann c'était de s'assurer contre l'éventualité d'une guerre civile. Il voulait rendre impossible à tout jamais la construction de barricades dans les rues de Paris. Poursuivant le même but Louis-Philippe avait déjà introduit les pavés de bois. Néanmoins les barricades avaient joué un rôle considérable dans la révolution de février. Engels s'occupa des problèmes de tactique dans les combats de barricades.
Haussmann cherche à les prévenir de deux façons. La largeur des rues en rendra la construction impossible et de nouvelles voies relieront en ligne droite les casernes aux quartiers ouvriers. Les contemporains ont baptisé son entreprise : « l'embellissement stratégique ».
Walter Benjamin
[1] (https://journals.openedition.org/ espacepolitique/1314)
[2] Cette dimension insaisissable des mouvements insurrectionnels napolitains est présente dans les romans et nouvelles de l'écrivain italien Erri de Luca, notamment dans le recueil Le Contraire de un.
01.07.2025 à 14:00
Les cantines végétaliennes : un positionnement politique
Les cantines végétaliennes sont des outils de lutte historique du mouvement antispéciste (comme le sabotage et les libérations). Elles s'inscrivent dans une stratégie de propagande par l'exemple. Ils s'agit de montrer que l'on peut avoir accès à une alimentation équilibrée, agréable et accessible sans utiliser de produits issus directement de l'exploitation d'animaux non-humains.
Texte intégral (2099 mots)

Les cantines végétaliennes sont des outils de lutte historique du mouvement antispéciste (comme le sabotage et les libérations). Elles s'inscrivent dans une stratégie de propagande par l'exemple. Ils s'agit de montrer que l'on peut avoir accès à une alimentation équilibrée, agréable et accessible sans utiliser de produits issus directement de l'exploitation d'animaux non-humains.
Introduction
Au moment où ce texte est écrit, la majorité des cantines dans les espaces de luttes anarchistes ou autonomes en fRance sont végétaliennes. C'est-à-dire qu'ielles ne servent pas de produits d'origines animales (viande, lait, œuf, miel…).
Cette situation pourrait amener à croire qu'il s'agit d'une certaine forme de « victoire » ou en tout cas d'une reconnaissance des théories et des luttes du mouvement antispéciste au sein des espaces anarchistes, autonomes ou de la « gauche radicale ». Ce n'est pourtant pas le cas.
Les cantines végétaliennes sont des outils de lutte historique du mouvement antispéciste (comme le sabotage et les libérations). Elles s'inscrivent dans une stratégie de propagande par l'exemple. Ils s'agit de montrer que l'on peut avoir accès à une alimentation équilibrée, agréable et accessible sans utiliser de produits issus directement de l'exploitation d'animaux non-humains.
Pourquoi cet outil de diffusion ne semble pas fonctionner au sein des espaces radicaux ?
Une dépolitisation du choix de l'alimentation végétale
Cet échec est profondément lié au fait que la mise en place des cantines végétaliennes au sein des espaces radicaux s'est faite par la dépolitisation du contenu théorique et la disparition des idées antispécistes pourtant à l'origine des cantines végétaliennes. Revenons sur quelques pratiques de dépolitisation courantes.
Absence de communication sur le sujet
De nombreux lieux ou espaces n'indiquent pas explicitement que les cantines sont végétales dans leur communication. Parfois même en justifiant que le dire explicitement amènerait certaines personnes à ne pas venir. Cette prétendue ouverture envers des personnes imaginaires permet donc de faire disparaître les positionnements et des choix politiques (ou leur absence) dans l'alimentation.
De même, il est exceptionnel de voir des flyers antispécistes sur les tables de ces cantines. Pourtant le choix de l'alimentation végétalienne, comme celui du prix libre ou encore de l'auto-gestion sont des choix politiques. Il s'agit d'essayer de créer ici et maintenant le monde futur.
Le faux argument de l'inclusion
Lorsqu'il s'agit de justifier le choix de l'alimentation végétale, un argument qui ressort souvent, c'est qu'il s'agit d'un mode d'alimentation collective qui permet de respecter les contraintes alimentaires les plus courantes des personnes qui viennent se nourrir à la cantine : hallal, casher, vegan…
Cet argument conduit à mettre sur le même pied l'adhésion à des croyances religieuses que des positionnements s'opposant à l'exploitation et au massacre continuel de milliards d'animaux. Pourtant, les arguments antispécistes ne sont pas issus de règles absurdes et contradictoires édictées par des figures d'autorités, mais des choix basés sur des connaissances et analyses scientifiques et émancipatrices.
Si l'inclusion est un faux argument, c'est bien parce que peu d'efforts sont réellement déployés concernant l'inclusion au-delà du contenu de l'assiette. Alors que les menus sont parfois connu à l'avance, ils ne sont quasiment jamais indiqués ou diffusés. Ce qui serait pourtant important pour les personnes ayant des régimes alimentaires spécifiques (allergies, intolérances, condition médicale autre…). La liste des ingrédients et allergènes est rarement présente, et peu d'attention est portée à éviter les contaminations croisées.
La double pratique
La double pratique, c'est d'avoir une cantine végétalienne ET en même temps des aliments issus de l'exploitation animale à proximité. Cette double pratique prend de nombreuses formes. Parfois, il s'agit d'avoir une version végétalienne et une version spéciste d'un même plat, par exemple un stand de crêpes. Lors d'un événement, il peut s'agir d'avoir des cantines végétaliennes le midi et le soir, mais des petits-déjeuners et goûters avec des produits issus de l'exploitation animale.
Cette double pratique est particulièrement vicieuse puisqu'elle permet d'inclure les personnes véganes (qui peuvent en effet se nourrir) tout en disqualifiant leur positionnement politique, réduit à un simple choix personnel et non comme un moyen d'action s'insérant dans une lutte contre une domination structurelle.
Mécanismes de la dépolitisation
Les pratiques de dépolitisations précédemment citées ne viennent pas de nulle part, mais sont la conséquence logique de stratégies et de visions du monde. En retour, ces pratiques influent aussi sur les stratégies et les visions du monde.
Un premier point, c'est de remarquer que les cantines militantes sont rarement composées entièrement ou majoritairement d'antispécistes. Le choix du végétalisme correspond donc non pas à l'expression des positions politiques des cuisinnier·eres mais à un choix lié à un rapport de prestataire à client. Ainsi, l'absence de communication sur le végétalisme s'explique parce que pour la cantine/les organisateurices, ce n'est pas un choix, mais une contrainte inhérente à la présence de végétariens/végétaliens au sein des luttes et des espaces radicaux.
Le second point, c'est une stratégie plus globale d'une partie du mouvement de s'allier avec des structures spécistes. Qu'il s'agisse des Soulèvements de la terre avec la Confédération Paysanne ou des mouvements locaux avec certains éleveureuses, des fédérations de pêche ou des chasseurs. Une alliance qui se fait forcément sur le dos des non-humains et des antispécistes. Aussi bien dans la pratique que dans la théorie. Ainsi, l'analyse des ravages écologiques du spécisme est remplacée par une dichotomie agro-industrie/élevage paysan. Une division fictive du point de vue des non-humains qui finissent à l'abattoir, mais aussi quand il s'agit de s'intéresser aux conséquences environnementales de l'élevage.
Le troisième point, c'est la nécessité du maintien du déni pour l'immense majorité des personnes qui fréquentent ces cantines. La dépolitisation permet d'éviter de les confronter aux conséquences de leurs choix quotidiens en matière d'alimentation ainsi qu'à leurs propres contradictions.
Repolitiser les cantines
S'il paraît important de repolitiser la question des cantines, il ne s'agit pas simplement de défendre une position morale. Oui, arrêter de torturer et de tuer des êtres sensibles pour les manger est évidemment plus juste moralement que de justifier ou d'ignorer leurs souffrances au nom du plaisir gustatif. Mais le spécisme ne se réduit pas à la question de l'exploitation des non-humains, il se combine avec de nombreux autres systèmes de domination.
C'est parce que le système spéciste considère que la vie de la majorité des animaux ne vaut rien et qu'ils peuvent être éliminés en masse sans remords que l'animalisation de groupes humains est un outil au service des génocidaires. La fabrique du spécisme et celle des prétendues races humaines s'entremêle.
La construction de la masculinité se réalise en partie à travers la pratique du contrôle et de la violence sur les non-humains : chasse, consommation de viande, combat de chiens/coqs, dressage, violence contre les animaux dits domestiques.
C'est un exemple parmi d'autres de la société carcérale.
C'est le reflet d'une société anti-écologiste, qui au nom du plaisir de quelques élites condamne le reste des individus à la souffrance et à la mort. Ainsi, environ 10 % des émissions de gaz à effets de serre sont liées à l'élevage.
C'est un exemple de comment la société capitaliste vise à transformer les animaux humains comme non-humains en simple outil au service du pouvoir des possédants : chiens policiers/militaires, animaux de traits, cobayes de laboratoire…
Faire le choix d'une cantine végétalienne, c'est donc une manière de se positionner clairement dans la lutte contre le pouvoir et le ravage écologique. C'est participer à créer et à renforcer des liens entre les individus et entre les luttes. C'est ne pas séparer les actions individuelles des luttes globales, le quotidien de l'horizon révolutionnaire.
Repolitiser les cantines, c'est ne plus les considérer comme simplement un moyen de s'alimenter, mais comme un morceau d'un projet plus vaste de bouleversement du monde.
Plusieurs propositions :
- Une communication claire en amont et sur place
- Un texte de positionnement politique expliquant ce choix et/ou un infokiosque antispéciste sur place
- La sensibilisation des participant·es à ces questions, par exemple lors d'un point avant la cuisine elle-même
- Un refus de la « double pratique »
- Le refus de participer à des événements qui refusent de prendre en compte les réflexions antispécistes ou qui ont des discours/pratiques spécistes
- Lier l'antispécisme de la cantine au sujet abordé lors de l'évènement.
Quelques ressources :
Audios :
- La série de podcasts Comme un poisson dans l'eau
Sites internets :
- Unoffensive Animal – unoffensiveanimal.is
- Animal Liberation Front supporters group – alfsg.org.uk
Brochures :
- Idée de Nature, humanisme et négation de la pensée animale – infokiosques.net
- Entretien avec une militante antispéciste anarchiste brésilienne – leseditionscafarnaum.noblogs.org
- Le néo-carnisme de Jocelyne Porcher – infokiosques.net
Livres :
- Animal Radical de Jérôme Segal
- Un éternel Treblinka de Charles Patterson
- La politique sexuelle de la viande de Carol J. Adams
Texte mis en page pour impression :
Brochure :

Page par page :

01.07.2025 à 11:30
À la porte l'assassin ! Quand les anarchistes voulaient exclure le roi d'Espagne de la Société astronomique de France
Retour sur un épisode historique où se mêlent science, politique et religion…
Texte intégral (3386 mots)

Retour sur un épisode historique où se mêlent science, politique et religion…
Nous voulons briser entre ses mains encore sanglantes d'assassin le télescope, emblème de la Science, et lui en jeter les morceaux rompus sur sa face de jésuite et d'inquisiteur [1].
C'est par ces mots que le militant anarchiste Serge Bernard exprime le sentiment des membres démissionnaires de la Société astronomique de France (SAF) à l'égard du roi d'Espagne Alphonse XIII (1886-1941), à la suite de l'exécution du célèbre pédagogue libertaire Francisco Ferrer (1859-1909), le 13 octobre 1909.

Ce dernier a en effet été accusé par la monarchie espagnole d'être un des instigateurs des événements qui se sont produits au mois de juillet de la même année à Barcelone, et qu'on nommera plus tard la « Semaine tragique ». La ville connaît alors durant plusieurs jours une situation de grève générale insurrectionnelle – très durement réprimée –, dont l'événement déclencheur est la guerre coloniale au Maroc.
Malgré l'absence totale de preuves de son implication et une très large mobilisation internationale en sa faveur, Ferrer est néanmoins condamné à mort puis exécuté. L'émoi suscité dans les milieux révolutionnaires, ainsi que chez de nombreux intellectuels, est considérable, le roi d'Espagne Alphonse XIII devenant aux yeux de ces derniers un véritable tyran sanguinaire, symbole de l'obscurantisme et de la réaction catholique [2].
Il se trouve que parmi les nombreux amis et soutiens de Ferrer, certains sont adhérents de la SAF, dont est également membre Alphonse XIII ! Celui-ci a en effet rencontré Camille Flammarion, célèbre vulgarisateur et fondateur de la société en 1887, lors de l'éclipse de Soleil du 28 mai 1900 visible en Espagne. C'est à cette occasion que le roi adhère à la SAF, moyen alors répandu chez certaines personnalités françaises et européennes de s'offrir une image de savant, tout en apportant en retour par leur nom un certain prestige à la société dont ils deviennent membres.
Plus importante association française d'astronomes amateurs, la SAF compte en 1909 plus de 5 000 membres. La société entretient également des relations étroites avec le monde des scientifiques professionnels ; plusieurs d'entre eux se retrouvent ainsi au sein du bureau de la société, à commencer par son président Benjamin Baillaud, directeur de l'observatoire de Paris. Parmi les autres postes de direction, un des vice-présidents se trouve être le mathématicien anarchiste Charles-Ange Laisant (1841-1920), proche ami de Francisco Ferrer et un des principaux animateurs de son comité de soutien en France. Il apparaît alors inadmissible à ses yeux que le responsable de l'exécution de son ami puisse rester membre de l'association. Avec Jean Couture (1884-1973), un ouvrier métreur lui-même anarchiste et adhérent de la SAF, il prend l'initiative d'un « Comité d'exclusion d'Alphonse XIII ». Une lettre ouverte au président de la société est d'abord envoyée, puis l'exclusion du roi d'Espagne est formellement demandée auprès du bureau de la SAF. Selon le comité, cette exclusion doit se faire au nom des valeurs morales portées par la société, qui ne saurait accepter un assassin dans ses rangs.
Cette demande est néanmoins rejetée, le bureau considérant qu'il s'agit là d'une question « politique », qui conformément aux statuts ne doit pas interférer dans les activités de la société. Après cette fin de non-recevoir, Laisant et Couture annoncent dans une nouvelle lettre publique leur démission de la SAF, aux côtés d'une dizaine d'autres membres parmi lesquels on trouve Anatole France, Jean Grave (le directeur de l'hebdomadaire libertaire Les Temps nouveaux) ou encore les anarchistes Serge Bernard, Frédéric Stackelberg et Aristide Pratelle [3].
L'affaire aurait pu en rester là, mais Couture rédige et fait publier au nom du comité d'exclusion une brochure intitulée À la porte l'assassin ! [4], qu'il semble réussir à faire parvenir à un grand nombre d'adhérents de la SAF en la glissant au milieu des feuillets de préparation de l'assemblée générale d'avril 1910 [5]. Récapitulant les étapes du conflit et les arguments en faveur de l'exclusion du roi, le ton y est acerbe : « Le contact d'Alphonse XIII nous cause la même répulsion que pourrait nous causer la vue d'une vipère. » La brochure se conclut par un appel des signataires « à tous les hommes de cœur […], dont ils attendent un effort de solidarité, dont ils espèrent l'aide généreuse [6] » afin d'atteindre leur but. L'effort reste vain : si quelques démissions supplémentaires sont enregistrées, la position du comité semble rester très largement minoritaire au sein de la SAF, voire marginale [7]. Alphonse XIII ne sera jamais exclu et Flammarion justifie de nouveau ce refus devant l'assemblée générale en invoquant la neutralité politique de la SAF. Le conseil de la société décide également de publier dans son bulletin des lettres d'adhérents qui s'indignent d'avoir reçu une telle brochure :
« Nous avons été péniblement surpris de voir la politique sectarienne et démoralisante chercher à se glisser dans la Société astronomique de France […]. Cette insulte portée au chef d'un gouvernement européen est honteuse [8]. »

Cette affaire nous apparaît comme révélatrice de la complexité des dynamiques politiques et sociales traversant le monde de « l'astronomie populaire [9] », dont se revendiquent la plupart des acteurs évoqués jusqu'ici. En effet, Camille Flammarion, loin d'être un défenseur de l'Église catholique, est plutôt proche des réseaux de la Libre-Pensée et a même publié un ouvrage d'initiation à l'astronomie dans une collection dirigée par Charles-Ange Laisant, qui prône lui-même une éducation libertaire et anticléricale [10]. Cependant, le prestige de la SAF repose non seulement sur la liste des personnalités mondaines qui en sont membres, mais aussi sur une certaine reconnaissance de la part des astronomes professionnels [11]. Ces derniers, qui sont devenus depuis la fin du XIXe siècle les acteurs essentiels d'une science d'État [12], occupent une place singulière au service de la Troisième République. Le président de la SAF étant également directeur de l'observatoire de Paris, on peut tout à fait imaginer qu'une prise de position officielle de la société à l'encontre d'Alphonse XIII aurait pu avoir des conséquences tant sur le plan politique que diplomatique. Si cette (non-) prise de position peut être perçue comme un soutien implicite de la société au roi d'Espagne, elle doit également être comprise comme un réflexe d'autopréservation de la part de ses dirigeants. Mais surtout, le milieu des astronomes amateurs demeure essentiellement un cadre de sociabilité mondain et bourgeois [13], ce qui explique que l'initiative des démissionnaires ait trouvé si peu d'écho en interne. L'immense majorité des membres de la SAF est ainsi peu encline à s'associer à la critique d'un symbole de l'ordre établi. Cet épisode révèle néanmoins la présence d'une minorité d'anarchistes en son sein.
L'affaire Ferrer sonne le glas de leur participation à la SAF. Œuvrant déjà en dehors de la société aux côtés d'autres militants révolutionnaires, Couture, Laisant, Pratelle et Stackelberg ont par ailleurs été à l'initiative de plusieurs actions en faveur de l'enseignement de l'astronomie auprès des milieux populaires, dans le cadre cette fois d'un programme d'éducation directement mené par le mouvement ouvrier. On comprend alors que cette « astronomie populaire », sur laquelle les amateurs de la SAF n'ont pas eu le monopole, a pu également être envisagée comme un outil parmi d'autres au service de l'émancipation du prolétariat.
Florian Mathieu
Pour aller plus loin :
[1] Lettre au Comité des catalanistes républicains, citée dans Jean Couture, À la porte l'assassin !,Paris, Société nouvelle, 1910.
[2] Lire également au sujet de la mobilisation en faveur de Ferrer en France et au niveau international : Guillaume Davranche, « 1909 : L'Affaire Ferrer soulève les foules contre l'Église catholique », article publié sur le site de l'Union communiste libertaire, mis en ligne le 07/11/2010, https://www.unioncommunistelibertaire.org/1909-L-Affaire-Ferrer-souleve-les-foules-contre-l-Eglise-catholique (consulté le 21/04/2020) ; ainsi que Marie-Catherine Talvikki Chanfreau, « Dénonciation d'un crime d'État : l'exécution d'une figure sacrificielle de la Libre Pensée, Francesc Ferrer i Guàrdia, martyr du cléricalisme », América, 2014, n° 44, http://journals.openedition.org/america/673 (consulté le 21/04/2020).
[3] Nous avons pu reconstituer cet épisode à partir de la consultation des bulletins de la SAF de cette période et de plusieurs titres de la presse quotidienne nationale, notamment La Petite République du 18 octobre, L'Humanité du 25 novembre ainsi que la Gazette de France du 27 novembre 1909.
[4] Jean Couture, À la porte l'assassin !,Paris, Société nouvelle, 1910. Nous remercions vivement le service des bibliothèques de l'université de San Diego en Californie, qui a accepté de reproduire et de nous envoyer gracieusement une version numérisée de ce pamphlet.
[6] Jean Couture, À la porte l'assassin !, op. cit., p. 7.
[7] Le nombre d'adhérents entre les années 1909 et 1910 passe même de 5 199 à 5 668. Bulletin de la SAF, 1911, p. 658.
[8] Bulletin de la SAF, 1910, p. 207-210 et 212-214.
[9] Dans son acceptation la plus large, cette expression renvoie à tout ce qui concerne l'astronomie non professionnelle.
[10] Camille Flammarion, Initiation astronomique, Paris, Hachette, 1908.
[11] Bernadette Bensaude-Vincent, « Camille Flammarion : prestige de la science populaire », Romantisme, 1989, n° 65, p. 93-104.
[12] Arnaud Saint-Martin, « L'astronomie française à la Belle Époque. Professionnalisation d'une activité scientifique », Sociologie du travail, 2011, vol. 53, n° 2, http://journals.openedition.org/sdt/7958 (consulté le 21/04/2020).
[13] Arnaud Saint-Martin, « L'office et le télescope : une sociologie historique de l'astronomie française, 1900-1940 », thèse de doctorat, université de Paris 4, Paris, 2008, p. 479-480.
Billet initialement publié sur le carnet de recherche AmateurS – Amateurs en sciences (France, 1850-1950) : une histoire par en bas : https://ams.hypotheses.org/1500
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