Il faut parfois se réveiller au milieu de la nuit ou se rendre disponible en début d’après-midi, en stoppant d’autres activités :
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J’étais très peu disponible pour ce genre de demandes durant la tournée du film en France et en Europe occidentale, et pour cause : entre les projections, mes journées étaient remplies par les déplacements quotidiens, les interventions scolaires et, souvent, les rendez-vous militants sur des lieux de luttes.
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Mais maintenant que je suis de retour en Grèce et que le convoi solidaire entre dans sa dernière phase, je reprends ma vieille habitude : assurer des débats en visio pour des projections organisées à des milliers de kilomètres.
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Quand la technique va, tout va, ou presque ! Mais le réseau internet est très faible en Crète, loin des villes principales. Du coup, ce n’est pas toujours facile. Parfois, il faut supprimer l’image et se contenter du son. Il arrive aussi que les difficultés techniques soient en amont, dans les pays depuis lesquels on m’appelle : « Attends un peu, Yannis, on a un problème avec les baffles, on te rappelle dans 5 minutes ». Pire encore : il est arrivé qu’une projection-débat soit interrompue par une descente de la police ou encore, une autre fois, perturbée par une visite fasciste à l’entrée du local où était réuni le public.
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Il arrive aussi que la traduction soit un peu compliquée. Dans ce cas, je finis parfois par parler anglais quand je remarque que l’interprète comprend mieux la langue d’Emma Goldman que celle de Louise Michel.
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Parfois, je ne vois pas du tout le public, du coup j’ai du mal à percevoir les réactions : l’écoute attentive ou pas, l’envie d’en savoir plus ou, au contraire, de passer à une autre question, ou encore l’effet réussi ou pas d’une remarque humoristique égratignant le pouvoir.
Bref, je vous avoue que je préfère la rencontre physique, au même endroit, avec tout ce qu’elle apporte convivialité, de sourires, d’émotions. Et puis, surtout, on se comprend mieux, il me semble, quand on se voit. D’où le problème avec internet et, en particulier, nos échanges tronqués sur les réseaux (a)sociaux.
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Cet après-midi, je suis l’invité du Festival du film militant de l’île de La Réunion. Je dois cesser mes activités et être prêt à 17h, heure grecque. À 17h05 précisément, les organisateurs vont me contacter sur zoom pour lancer le débat, juste après le film.
Les trois films précédents ont eu beaucoup de succès sur tout le continent américain, dans certains pays d’Afrique et d’Asie, et jusqu’en Océanie. Du Brésil à l’Indonésie et du Canada à l’Algérie, par exemple, mais aussi des petites îles improbables ou des villages de montagne perchés au-dessus des nuages. Ce quatrième film semble parti pour faire pareil, comme le montrent les nombreuses demandes de projections dans l’hexagone depuis un an.
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Reste à se rendre disponible, ce qui n’est pas toujours facile, par rapport à mes autres activités (professionnelles, militantes, familiales…). L’autre dilemme, c’est que je ne veux surtout pas me laisser aspirer dans ce qui pourrait ressembler à de la starification : le pouvoir, l’argent et la célébrité sont des pièges qui peuvent rapidement nous faire tourner le dos à nos valeurs. « Le pouvoir corrompt » affirmait Louise Michel. Il en va souvent de même avec l’argent et la célébrité. Avec d’autres personnes un tout petit peu connues, nous nous disons parfois : « attention à ce que certains éloges ne nous montent pas à la tête, attention aussi à trop de médiatisation, pour garder la tête froide et pour bien nous concentrer sur ce que nous faisons, imposons-nous des pauses, des parenthèses, aussi longues que possible, faisons-nous oublier. » Ou encore, pour reprendre la devise d’Elisée Reclus : « Travaillons à nous rendre inutiles. »
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L’objectif des prochains jours est d’assurer une vingtaine de visios plus ou moins lointaines, à des heures très diverses, à commencer par La Réunion aujourd’hui. D’ici quelques jours, un petit compte-rendu photographique du convoi solidaire sera diffusé et le film sera enfin mis en ligne sur internet avec ses nombreuses langues simultanément (nous sommes enfin prêts ou presque).
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Puis vous me permettrez de disparaître quelques temps, excepté lors d’un bref passage en France fin juin-début juillet. J’ai dit non à plusieurs festivals et autres demandes estivales. Je suppose que vous me comprenez. J’en ai besoin pour moi, pour mes proches, pour les autres activités qui m’occupent, mais aussi et surtout, c’est primordial pour ne pas finir en homme-sandwich ou en porte-parole de je ne sais quoi. Juste un Terrien parmi tant d’autres.
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Fraternelle pensée à vous toutes et tous, au plaisir de vous revoir,
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