Clément Sénéchal, Pourquoi l’écologie perd toujours (2024), Seuil.
Le titre est attirant parce qu’il sort de cette ambiance bienveillante et même irénique au sein de la mouvance écolo, qui voudrait que même les critiques les plus acerbes devraient se plier à une formulation cool. D’autant que la critique vient d’un connaisseur de l’intérieur puisque Clément Sénéchal a été porte-parole de Greenpeace. Ce qui explique en particulier cette première partie si bien informée sur les logiques, on devrait dire les psychologiques, qui ont conduit à l’avènement de cette ONG sur la scène médiatique.
C’est un livre de journaliste dans la mesure où son texte est avant tout un récit bien informé, une chronologie des interventions accomplies au nom de ce qu’il appelle une « écologie du spectacle » (p.17).
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Pour cerner les critiques que Clément Sénéchal adresse à une certaine écologie, le plus amusant est de relever les qualificatifs qu’il emploie, et ils sont explicites.
« Quand la cause environnementale prend la forme du spectacle, la radicalité se cantonne donc invariablement au sensationnalisme… [comme s’il suffisait] de montrer les choses pour les changer. L’écologie du spectacle peut alors ne se revendiquer d’aucun camp, puisqu’elle flotte au-dessus de la réalité sociale » (p.57-58).
« Un environnementalisme œcuménique, compassionnel et moralisant, surpassant la conflictualité de classes dans un universalisme abstrait largement occidentalo-centré. Un environnementalisme individualiste aussi… » (p.62).
A propos de Nicolas Hulot : « une écologie de la figuration » (p.75).
A propos des ONG : « elles ont fini d’édifier une écologie dépolitisée, situant le rapport de force dans une confrontation illusoire entre quelques activistes notoires et des mastodontes économiques plutôt que dans la construction politique » (p.92).
« Les écogestes renvoient à une écologie du luxe et de la volupté, cultivée comme un art de vivre raffiné, innocemment teinté de mépris de classe, calibré pour les adeptes du bio et du vélo électrique » (p.95).
« A l’instar des syndicats réformistes, la société civile environnementale ne prend pas parti. Elle propose une écologie qui s’abstient. Une économie qui a le temps, parce qu’elle a de l’argent » (p.143).
« L’écologie institutionnelle cherche encore à « convaincre le gouvernement » et entretenir le récit d’une transition pourtant introuvable. Elle se condamne ainsi à refluer vers sa zone de confort, où elle ne surprend plus personne et finit de dépolitiser son objet » (p.148).
A propos de Greenpeace et des Amis de la Terre : « elles vont se concentrer essentiellement sur une version édulcorée de leur répertoire d’action classique : le banderolisme et le spectacle de rue » (p.161).
« Une écologie récréative se répand dans l’espace public. Dans les modes de représentation choisis, sur le ton de l’humour ou de la farce, l’écologie du spectacle renchérit. Un peu comme si, face à l’échec général, elle ne faisait même plus semblant de faire semblant » (p.165).
A propos du « plaidoyer » : « on croit dans un premier temps que la communication sert les objectifs de campagne ; on finit par s’apercevoir que les campagnes servent essentiellement à communiquer… L’approche du plaidoyer elle-même affaiblit la conscience des enjeux, en ce sens qu’elle pousse à la spécialisation par thématique » (p.172). « Le plaidoyer constitue donc l’envers du spectacle » (p.174).
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Mais alors que serait selon l’auteur une écologie qui gagnerait1 ?
« La rue comme rampe de lancement d’une écologie enfin majoritaire ? Au moins fait-elle sortir l’écologie de ses anciennes figures imposées pour l’inclure dans le répertoire d’action élémentaire de la contestation. Force en mouvement, elle commence à acquérir une valeur politique réelle » (p.102).
A propos d’Extinction Rebellion (XR), et de Dernière Rénovation (DR) ou Just Stop Oil, qui sont des « mouvements déprofessionnalisés, décloisonnés et plus spontanés dans leurs moyens… décentralisé, horizontal, sans dirigeants ni porte-parole attitrés, le mouvement propose une écologie inclusive à un nouveau public souvent méfiant envers les vieilles structures » (p.106).
A propos des marches climat et des grèves de la jeunesse : « la cause s’ouvre enfin et la perspective d’un front utile au rapport de force écologique semble se profiler » (p.108).
A propos des Soulèvements de la Terre (SLT) qui « prennent leur essor, en popularisant des luttes clairement situées dans une rupture avec le régime capitaliste. Peu à peu, on voit l’écologie du clivage s’imposer sur l’écologie du consensus » (p.149). « Ils assument ainsi le fait que l’écologie relève d’une guerre de position2 : afin de défaire l’emprise économique du capitalisme et dépasser les postures défensives, il faudra bien reprendre la terre, au sens propre, pour gagner » (p.180).
« Dans une certaine mesure, les appels au calme et à la non-violence qui quadrillent le répertoire de l’écologie assermentée doivent être questionnés… en définitive, l’acquis stratégique le plus prometteur des SLT réside dans le renversement d’hégémonie qui s’opère au sein du champ environnemental. C’est l’entrée en majorité du « flanc radical » » (p.182-183).
« Seules les classes populaires… incarnent la possibilité d’une authentique révolution progressiste… Sans elles, sans leurs colères, nul potentiel de changement radical » (p.195).
« D’où la nécessité d’une écologie décoloniale et antifasciste… d’une « écologie pirate » » (p.198).
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Que penser et du diagnostic et du remède ? Que nous partageons le premier mais que nous sommes plus circonspects quant au second.
Pourquoi ?
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Comment peut-on justifier une telle sévérité vis-à-vis de la voie entrouverte par l’auteur ?
Suffit-il de connaître les méfaits de la croissance économique pour s’en émanciper ? Suffit-il de s’engager dans des « alternatives concrètes » pour (se) raconter que le monde d’après se préfigure déjà à l’horizon ? Suffit-il de disposer d’indicateurs alternatifs pour échapper à l’emprise du PIB ? Suffit-il d’opposer de « nouveaux imaginaires » pour croire (pouvoir) s’être débarrassé des attachements et des héritages qui enserrent nos modes de vie, nos modes d’emploi, nos modes de consommation et loisirs ? Suffit-il d’ajouter une dose de lutte et de colère à nos rêves pour se réveiller des aliénations subies quotidiennement ? Suffit-il de s’enfermer dans les bulles roses de l’« autrement » pour justifier que la décroissance aurait déjà gagné le combat culturel et qu’elle serait d’ores et déjà désirable et désirée par « les gens » ?
Non, non, non, non… Certes tous ces essais (et erreurs) sont nécessaires ; au moins pour ne pas (trop) désespérer. Mais ils ne sont pas politiquement suffisants. Certes, nous pouvons les regrouper en tant que résistance contre-croissante ; mais attention alors à ne pas en profiter pour esquiver la question politique : celle du trajet pour passer d’un monde que nous rejetons (la croissance et son régime) à d’autres que nous espérons (la post-croissance). Car ce trajet, c’est précisément stricto sensu, la décroissance.
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C’est dans ce contexte d’indignation et de résistance que la Maison commune de la décroissance invite à se rencontrer pour analyser, controverser, discuter : en 2025, le thème des « réflexives » sera celui de la propriété.
Inscription : 20 €. Dormir dans le bâtiment (15 €/nuitée), ou en tente personnelle (6 €/nuitée). 7,00 € par repas (prix indicatif). Nous disposerons de la cuisine en gestion libre : confection des repas et mise en place se font en auto-organisation.
A partir du lundi 18: mise en place de l’organisation de la semaine. Les « rencontres » débuteront le mardi 19 ; et les réflexives finiront la semaine.
Pour toute information complémentaire, contactez :
Fleur : 06 69 49 42 07 ou : contact@ladecroissance.xyz
Ni une conférence, ni une table ronde mais une succession (de 9h à 18 h) de courtes conférences de 20 minutes chacune pendant laquelle l’intervenant.e croisera son domaine de compétence avec l’un des trois renversements choisis par la Maison Commune de la Décroissance MCD pour cette 1ère édition de la Caravane :
→ le refus de l’illimitisme : plutôt que l’injonction d’aller « vers l’infini et au-delà »
→ l’anti-individualisme et la priorité accordée à la vie sociale : plutôt qu‘une vision de la société comme agrégat d’individus juxtaposés qui sont en compétition,
→ une économie politique de la dépense : plutôt qu‘une économie mainstream définie comme gestion de la rareté (pour la majorité) et du luxe (pour une minorité).
Qu’est ce que la décroissance ? Une somme de moyens techniques pour gérer des effondrements ? Un nouveau dogme économique ? Un régime politique punitif ? Un mode de vie bucolique réservé aux bobos ?
Aux antipodes de ces idées reçues, il faut oser assumer que la décroissance est l’opposition politique à la croissance et à son monde : un trajet démocratiquement préparé pour sortir nos sociétés de l’emprise de l’économie.
Cette définition s’appuie sur 3 renversements :
Ni une conférence, ni une table ronde mais une succession (de 9h à 18 h) de courtes conférences de 20 minutes chacune pendant laquelle l’intervenant.e croisera son domaine de compétence avec l’un des trois renversements choisis par la MCD pour cette 1ère édition de la Caravane : le goût des limites et le refus de l’illimitisme, l’anti-individualisme et la priorité accordée à la vie sociale, une économie politique de la dépense.
Ces mini-conférences seront regroupées par séries de trois (en 1 heure donc) et chaque série sera a) brièvement introduite pour cadrer les thématiques, b) suivie par un interlude artistique (musique, graphisme…).
2 séries (de 3 mini-conférences) le matin, 2 autres l’après-midi, qui s’enchaînent sur un même canevas.
Pour cette première édition, nous nous limitons à 3 étapes.
Nous espérons pouvoir en faire un rendez-vous tous les 2 ans.
Lors de la Caravane contre-croissance, militants, chercheuses et associations exploreront ces trois pistes en intégrant leur engagement singulier dans ce cadre de recherche fourni par la Maison commune de la décroissance. Avec Alter Kapitae, le CAC, Michel Lepesant, Gabriel Malek, Baptiste Mylondo, l’Observatoire de la Marchandisation de l’Action Associative, le collectif Travailler moins, Élodie Vieille-Blanchard et bien d’autres…
Rendez-vous à Paris le 16 novembre à l’Académie du Climat
à Nantes le 30 Novembre à la salle de conférence de la Manu
à Clermont-Ferrand le 14 décembre (lieu à confirmer)
En 2021, nous écrivions à 8 mains un Abécédaire de la décroissance : 28 entrées de A à Z, de Alimentation à Zoo, en passant par Autonomie, Féminisme, Kapitalismus, Limites, Partage, Socialisme, Technologie, Youtube… chacune des entrées étant traitée sous un angle décroissant.
En 2024, ce travail a été repris par des décroissants Albigeois, Bruno et Marie, qui en ont fait un moment de l’émission Commun lundi sur Radio Albigés (merci à eux, ainsi qu’à Wil de la radio, qui a permis d’ouvrir cet espace de décroissance sur les ondes locales).
Voilà un bel exemple d’élaboration d’un langage commun, auquel la MCD, élaboratoire d’idées décroissantes, travaille depuis des années.
Aujourd’hui, nous transformons ce travail en podcast, à raison d’un épisode par semaine.
#1 Alimentation « Certains agronomes tel que Marc Dufumier, estiment que la quantité de nourriture disponible dans le monde serait suffisante pour nourrir l’humanité… »
Et merci à Jean-Luc Coudray dont les dessins impertinents nous ravissent toujours…
Une conférence gesticulée de Matthieu du Collectif Travailler Moins.
Une remarque, une question ou une proposition ? écrire à : mfleur@pm.me
→ Livres
→ Films et vidéos
Le caméraman s’excuse pour la mise au point qui devient plus ou moins flou en cours de vidéo. Mes excuses à Matthieu et à nos chers spectateurs..
Merci à Thierry Caminel pour la recension de ce livre de Jean Latreille qui remet avec pertinence sur la table de discussion la notion de PIB. Pas question évidemment d’y trouver un plaidoyer en faveur du PIB comme « boussole ». Pour autant, faut-il se précipiter à se passer d’une « mesure de la démesure » ? Pour l’écrire encore plus directement : il est formidable qu’il existe d’autres indicateurs de richesse qui peuvent servir, eux, de boussole mais pour réorienter l’économie peut-on se passer d’un « baromètre » qui mesure la fièvre ? L’intérêt politique de ces questions est multiple : a) une « indication » n’est pas forcément un « indicateur », il y a dans une « mesure » une certaine objectivité dont il faut tenir compte 1 ; b) d’autant que les travaux (de Timothée Parrique en particulier) démontent très clairement le mythe d’un découplage entre PIB et GES ; mais si le PIB n’indique rien, alors sur quoi porte la critique du découplage ; c) et puis osons une expérience de pensée : imaginons une économie parfaitement vertueuse d’un point de vue écologique mais dont le PIB serait encore couplé à un dépassement du plafond écologique, pourquoi faudrait-il encore décroître ?
Le débat autour du Produit Intérieur Brut (PIB) comme indicateur de la richesse et du progrès d’une nation suscite depuis longtemps des controverses, en particulier au sein des mouvements décroissants qui cherchent à remettre en question les fondements de notre modèle économique actuel. Dans ce contexte, l’ouvrage de Jean Latreille, « Le PIB, ou La mesure de notre démesure », apporte une perspective nuancée sur cette question épineuse.
Latreille développe une analyse qui se démarque à la fois des défenseurs inconditionnels de cet indicateur et de ses détracteurs les plus virulents. Dans un contexte où le PIB est de plus en plus remis en question, notamment par des d’économistes décroissants reconnus tels que Timothée Parrique, Éloi Laurent ou Dominique Méda qui, face aux défis écologiques et sociaux contemporains, plaident pour l’abandon du PIB au profit de nouveaux indicateurs de bien-être et de durabilité.
L’auteur reconnaît les limites évidentes du PIB. Cependant, il met en garde contre une condamnation hâtive de cet indicateur, arguant qu’il pourrait, paradoxalement, s’avérer un outil précieux dans la transition vers une économie plus soutenable.
Latreille, agrégé en économie, s’appuie en particulier sur une relecture des travaux fondateurs de l’économie politique. Il cite et recontextualise notamment les publications de Thomas Malthus et Adam Smith, mettant en perspective leurs réflexions sur la croissance et les limites des ressources avec les défis contemporains. Cette approche lui permet de rappeler que le PIB a été conçu initialement comme un outil de comptabilité nationale, mesurant l’ensemble des revenus distribués sur un territoire donné pendant une période spécifique. Ce n’est que par une interprétation économique ultérieure qu’il est devenu un indicateur de la richesse produite.
Pour Latreille, la sortie de ce qu’il nomme « l’enfer productiviste » nécessite de rompre avec quatre cercles vicieux interconnectés : la marchandisation, la concurrence, la productivité et les innovations. Il argue que ces dynamiques, au cœur du système économique actuel, sont les principaux moteurs de la croissance insoutenable du PIB et des dégradations environnementales qui en découlent.
La marchandisation, selon l’auteur, pousse à la monétisation croissante des relations sociales et des ressources naturelles. La concurrence incite les acteurs économiques à une course effrénée à la baisse des coûts, souvent au détriment de considérations sociales et environnementales. La recherche constante de gains de productivité conduit à une exploitation toujours plus intense des ressources humaines et naturelles. Enfin, l’innovation, telle qu’elle est actuellement conçue, repose souvent sur l’obsolescence programmée et la création de nouveaux besoins, alimentant ainsi un cycle de consommation non durable.
Latreille propose de rompre avec ces dynamiques en utilisant paradoxalement le PIB comme un outil de guidage vers une économie plus soutenable. Il souligne notamment que la forte corrélation entre l’évolution du PIB et celle des émissions de CO2 fait de cet indicateur un outil efficace pour mesurer notre impact environnemental. Il argue donc qu’une utilisation intelligente du PIB, visant sa réduction contrôlée, serait plus efficace pour guider les politiques économiques vers la durabilité que la création de nouveaux indicateurs potentiellement trompeurs.
Plutôt que de chercher à remplacer cet indicateur, il suggère d’en faire un baromètre de notre progression vers la décroissance nécessaire dans les pays développés. Cette approche implique d’accepter et même de viser une baisse contrôlée du PIB, en réduisant les revenus dans les secteurs jugés dispensables tout en maintenant ceux des activités essentielles.
Cette perspective va à l’encontre des propositions des économistes qui plaident pour l’adoption de nouveaux indicateurs composites intégrant des dimensions sociales et environnementales. Latreille considère que cette quête de nouveaux indicateurs pourrait être une manière détournée d’éviter de confronter la nécessité d’une véritable décroissance économique. Il va même jusqu’à reprendre le concept de « collapswashing », un néologisme emprunté à Vincent Mignerot, qui désigne une forme d’occultation inconsciente des effets indésirables d’un effondrement possible. Latreille suggère que la recherche effrénée de nouveaux indicateurs économiques pourrait relever de ce phénomène, détournant l’attention des véritables enjeux de la transition écologique.
En conclusion, « Le PIB, ou La mesure de notre démesure » de Jean Latreille offre une perspective originale et provocatrice sur le débat autour des indicateurs économiques. En proposant de réhabiliter le PIB non comme un objectif à maximiser mais comme un outil de pilotage vers la décroissance, l’auteur ouvre de nouvelles pistes de réflexion sur la mesure du progrès économique et social dans un contexte de limites planétaires. Cette approche, qui pourrait sembler contre-intuitive à première vue, invite à repenser en profondeur notre relation à la croissance économique et aux moyens de la mesurer dans un monde aux ressources finies. Latreille conclut en suggérant que plutôt que de chercher à tout prix de nouveaux indicateurs de croissance qui masqueraient les véritables enjeux, il serait plus judicieux d’accepter et d’organiser la baisse des revenus marchands dans une optique de préservation environnementale.
---------------Quel modèle social quand on sort de la croissance, c’est-à-dire quand on sort d’un modèle dans lequel la croissance de la production promet de satisfaire a) le plein-emploi (plus de production, donc plus d’emploi) et b) de réduire la pauvreté (en augmentant la taille du gâteau) ?
Baptiste a distingué 2 écoles d’objection de croissance :
C’est ainsi que dans une société post-croissance, le temps libéré (# temps libre) nous libère de la peur du vide et de la peur du vice, nourrit notre quête d’autonomie et nous émancipe de la tyrannie du temps (vitesse et accélération, H. Rosa).
La semaine dernière, Emmanuel Macron, commentant les commentaires sur la cérémonie d’ouverture des JO, prétendait que « la France, ça n’est ni le wokisme, ni le conservatisme ». À la MCD, nous osons défendre l’inverse : la décroissance est un conservatisme et un wokisme, mais elle n’est ni réactionnaire, ni libérale-progressiste.
À l’instar de Günther Anders, nous pensons « qu’il ne suffit plus de transformer le monde ; avant tout il faut le préserver. Ensuite, nous pourrons le transformer, beaucoup, et même de façon révolutionnaire. Mais avant tout, nous devons être conservateurs au sens authentique, conservateurs dans un sens qu’aucun homme qui s’affiche comme conservateur n’accepterait.» C’était aussi l’intuition d’Albert Camus quand il disait que sa génération avait pour mission « d’empêcher que le monde ne se défasse », plutôt que de le refaire.
Mais que devons nous conserver ? Les communs préalables aux individus : la nature (nous sommes donc écologistes) et la société (nous sommes donc socialistes).
Cette attention à ce dont nous héritons, à ce qui précède notre naissance, ne nous empêche pas de valider qu’il existe des commun négatifs, dont le patriarcat et la domination coloniale constituent le pire. Ce sont des héritages dont nous voulons sortir, tout comme nous voulons sortir du monde de la croissance qui s’est largement appuyé, à l’instar du capitalisme, sur l’invisibilisation et l’exploitation gratuite de trois « ressources » considérées comme illimitées : la nature, les femmes et les colonies. La décroissance est donc woke, parce que systématiquement du côté de ces dominées, et ce, sans concessions.
C’est alors sur une ligne de crête que se tiennent les décroissant.es : ne pas céder aux sirènes du libéralisme, aujourd’hui bien implanté à gauche, jusque dans les mouvements féministes et écologistes, sous la forme de l’horizontalisme, du relativisme, du nombrilisme, de la promotion de l’innovation et de l’accélération sociale et technologique… sans dégringoler du côté de la réaction et du mythe d’une nature humaine immuable et unique, encensant un ordre ancien mythifié au service de la justification des inégalités. Bon courage,
Amitiés révolutionnaires
On pourrait croire que le thème des (f)estives cette année – le travail – était un thème de transition. Après six éditions (2017-2023) consacrées à « une critique radicale de l’individualisme », et avant la prochaine thématique générale (2025-2027) « radicalisons la décroissance » (la propriété, le féminisme et la voie méditerranéenne), il est pourtant facile de relier le thème du travail à toutes ces recherches passées et futures que la MCD mène avec l’intention affichée de constituer un corpus théorique pour le mettre à disposition de la mouvance décroissance.
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Avant d’écouter Guillaume Borel nous retracer une histoire idéologique du travail, Baptiste Mylondo nous présenter ses deux derniers livres sur Ce que les salaires disent de nous et sur Travailler sans patron et Matthieu Fleurance pour une conférence gesticulée, la valeur-travail, lol, nous avons posé quelques cadres définitionnels et référentiels et explicité trois références idéologiques (John Locke, Friedrich Hegel et Karl Marx, Hannah Arendt) qui structurent au moins implicitement tout débat politique sur le travail.
Tout ce « travail » préalable reposait sur une thèse simple : il faut remettre le travail à sa place : refuser d’en faire une catégorie générale (un « genre ») pour penser toute activité humaine et renverser le discours « travailliste » dominant (à gauche comme à droite, dans le capitalisme comme dans l’anticapitalisme) en faisant du travail une « espèce » d’activité. C’est le travail qui est une espèce d’activité, ce n’est pas l’activité qui est une espèce de travail.
Dans les courants de la critique de la valeur (Wertkritik) et de la critique de la valeur-dissociation (Wert-abspaltungskritik), on trouve la critique la plus robuste dirigée « Contre le travail ». Et pourtant, il y a dans ces courants un je-ne-sais-quoi qui empêche de reprendre sans discussion toutes leurs analyses.
D’un côté, on trouve dans ces textes une solide critique de la fable bourgeoise, celle qui raconte que le travail serait une catégorique anhistorique ; à raison, ces critiques du travail affirment que le « travail » est une catégorie historiquement déterminée, par le capitalisme qui a besoin de fétichiser la marchandise en décrivant la finalité de l’économie comme une production de valeur d’échange (et pas de valeur d’usage), par le travail abstrait (et pas par le travail concret). Toutes ces analyses semblent donc placer l’activité comme genre et le travail comme espèce d’activité, historiquement déterminée.
Mais d’autre côté, comment comprendre qu’à propos de la proposition de « revenu universel garanti », Anselm Jappe lui-même (dans la préface à Ne travaillez jamais, d’Alastair Hemmens (2019, Crise & Critique, p.14), après avoir déjà caricaturé cette proposition en en faisant une proposition technophile et étatiste, en arrive à lui reprocher de payer « les gens à ne rien faire ». Badaboum, car cette critique n’a de sens qu’en faisant du « travail » la catégorie générale de l’activité. Effectivement, il y a des gens qui ne « travaillent » pas mais de là à leur dire qu’ils ne font rien, c’est tout simplement tenir pour nulles et négligeable toutes les autres activités qu’ils pratiquent quotidiennement ; c’est retomber dans la question travailliste par excellence – « et toi qu’est-ce que tu fais dans la vie ? » – en attendant pour réponse une « profession » ! Leurs critiques du travail ne s’en sortent donc pas parce qu’elles commettent un double sophisme ; a) ne pas voir que la fable bourgeoise consiste effectivement à faire confondre le travail « comme acte de transformer les matériaux bruts présents dans la nature en vue de la survie » avec le travail comme « production capitaliste de la valeur » : mais c’est le tour de passe-passe qu’il faut critiquer, pas la définition du travail comme « transformation » ; b) ne pas défendre jusqu’au bout que c’est l’activité qui est le genre et pas le travail, qu’il soit défini comme activité laborans ou comme production de valeur d’échange.
Nous avons procédé en trois étapes. Nous avons commencé par une discussion ouverte pour choisir dans une liste le terme qui nous semblait le plus général.
Rappel de méthode : quand un terme est général, c’est qu’il est un « genre », c’est-à-dire le terme le plus apte à englober des « espèces ». Quand on hésite entre deux termes, le procédé est très simple : on se demande lequel des deux est inclut dans l’autre.
Exemple : personne n’irait défendre qu’un meuble est une espèce de chaise ; parce qu’une chaise est une espèce de meuble. Et qu’il y a d’autres espèces de meubles, chacun avec sa spécificité : si une chaise est un meuble pour s’asseoir, un lit est un meuble pour dormir, une armoire est un meuble pour ranger. Qu’on puisse dormir sur une chaise ou dans une armoire ne fait pas qu’en réalité une chaise ou une armoire est devenu un lit.
Dans la liste suivante – accouchement, activité, affaire, besogne, boulot, bricolage, business, corvée, emploi, entreprise, exercice, fonction, gagne-pain, industrie, job, labeur, métier, occupation, œuvre, opération, ouvrage, production, profession, tâche, turbin – c’est le terme « activité » qui a été choisi après un court échange comme terme le plus général.
Pour répondre, nous sommes partis des deux grandes réponses fournies par des « jeunes » au moment de choisir une voie d’orientation : soit la vocation, soit le revenu. Nous nous sommes alors mis à la recherche des quatre cas possibles, en partant du plus évident :
Restait à trouver les deux espèces d’activités rémunérées (≠ gratuites) :
Mais où est l’emploi ? Il est facile de constater qu’à Pôle Emploi, on ne proposait ni des activités de bénévolat ni de l’esclavage, mais dans le meilleur des cas, un emploi qui correspondait à votre métier, sinon un travail. Ce que le métier et le travail ont en commun, c’est d’être une activité rémunérée ← voilà donc la définition de l’emploi.
Aujourd’hui « Pôle Emploi » est devenu « France Travail » : à chacun.e d’en déduire le sens de cette reformulation.
Ce tableau 2 lignes (gratuit/rémunéré), 2 colonnes (choisie, subie) des activités semble systématique mais comment ne pas s’apercevoir que la plus grande partie des activités humaines n’y est pas.
Autrement dit, ce tableau invisibilise la part principale des activités ; pourquoi cette invisibilité ? Parce que ce que l’on appelle les activités de la reproduction sociale – c’est-à-dire les activités qui ont pour fonction sociale de permettre à la vie sociale de se continuer – sont la véritable « plateforme » (Christine Delphy, Françoise d’Eaubonne) sur laquelle s’appuient les activités viriarcales, celles de la production économique (marchande ou non).
Voilà d’ores et déjà l’un des enjeux majeurs pour justifier la remise à sa place du travail : quand on accepte de dire que les activités assignées aux femmes dans la société moderne sont du « travail », on ne peut s’en sortir face à l’objection que cette activité n’est pas rémunérée (sans être stricto sensu ni du bénévolat, ni de l’esclavage), qu’en faisant du « travail » non pas une espèce d’activité, mais un genre.
C’est donc cette usurpation « travailliste » qu’il faut dénoncer si on veut reconnaître aux activités de la reproduction sociale d’être la véritable « infrastructure » sur laquelle s’appuient la structure économique et la superstructure politique.
Pour la décroissance, s’attaquer à la centralité de la valeur-travail, c’est contribuer à se décoloniser de l’imaginaire économiciste.
Quiconqu.e a déjà participé à une discussion critique sur le travail a rencontré, plus ou moins explicitement, trois types de références :
Académiquement, on peut relier ces trois références à : John Locke, Karl Marx via Friedrich Hegel et Hannah Arendt.
John Locke, Second Traité du Gouvernement civil (1690), II, §27.
Friedrich Hegel, Phénoménologie de l’Esprit (1804).
Karl Marx, Manuscrits de 1844, « le travail aliéné ».
Karl Marx, Le capital (1867).
Hannah Arendt, La condition de l’homme moderne (1958).
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Rhétoriquement : a) ne pas se laisser avoir en laissant le « travail » prendre toute la place. Le meilleur exemple de cette colonisation de l’activité par le « travail », c’est la fameuse question « et toi qu’est-ce que tu fais dans la vie ? » dont la réponse attendue est une profession. b) Savoir distinguer les divers emplois du terme « travail » : le travail est d’abord une activité pénible, que l’on préférerait éviter ou déléguer à un.e autr.e 1 ; mais c’est aussi ce que les temps modernes ont politiquement mis en valeur en prétendant que le « travail » avait un triple sens : utilité sociale, cohérence éthique et capacité d’agir.
Politiquement : reprocher aux travaillistes, de gauche comme de droite, de ne pas voir que le « travail » n’est que le doublon du « capital » : jamais l’un sans l’autre. Et donc l’abolition de l’un doit signifier l’abandon de l’autre : sortir du capitalisme, c’est sortir du travaillisme, et réciproquement. Savoir repérer et dénoncer le double jeu du travaillisme qui tente toujours de faire passer une pratique historiquement déterminée pour un invariant anthropologique 2.
Finalement, si l’on veut remettre le travail à sa place, il faut encore :
Bon Pote
Actu-Environnement
Amis de la Terre
Aspas
Biodiversité-sous-nos-pieds
Bloom
Canopée
Décroissance (la)
Deep Green Resistance
Déroute des routes
Faîte et Racines
Fracas
France Nature Environnement AR-A
Greenpeace Fr
JNE
La Relève et la Peste
La Terre
Le Lierre
Le Sauvage
Low-Tech Mag.
Motus & Langue pendue
Mountain Wilderness
Negawatt
Observatoire de l'Anthropocène
Reporterre
Présages
Reclaim Finance
Réseau Action Climat
Résilience Montagne
SOS Forêt France
Stop Croisières