Pourquoi venir aux (f)estives ?
Comme d’habitude, nous proposerons des emplacements de tente ou de dormir dans le bâtiment, et pour la confection des repas, nous serons en autogestion culinaire (arrivée possible dès le lundi 18 dans l’après-midi et départ jusqu’au dimanche 24, après le repas).
Il est important de rappeler que ces 5 journées seront pleinement consacrées à la réflexion et à la discussion. Pendant les (f)estives,il n’y a pas d’atelier « marmite norvégienne » ou « dentifrice DIY »… mais il y a des conférences (dont une sera « gesticulée »), des arpentages, des analyses de textes, des disputations, des partages de savoir…
Tout aussi important, les soirées ne sont pas studieuses mais festives : on joue, au théâtre, aux cartes, on dessine, on chante…
Si on reprend l’image classique de l’iceberg, l’économie constitue la partie émergée de la croissance. Mais Serge Latouche a eu raison de nous avertir : quand, dans une société, l’économie devient une économie de croissance, alors nous ne vivons pas dans une société avec la croissance comme boussole économique, nous vivons dans une société de croissance. La partie immergée de la croissance, c’est ce monde, qui est aussi celui de l’aéroport, du portable, de la voiture, du tourisme, du nucléaire, des métropoles, de la publicité…
Mais alors, suffirait-il de changer d’indicateurs économiques ou de produire de nouveaux récits ou de nouveaux imaginaires pour rompre avec l’emprise de la croissance ? Pour le croire il faudrait réduire l’hégémonie de la croissance au seul encastrement de nos sociétés modernes dans l’économie. Mais dans ce cas-là, comment expliquer pourquoi la croissance a réussi à imposer son hégémonie ?
Si on revient à l’image de l’iceberg, ne faut-il pas chercher cette explication en se demandant dans quel milieu flotte l’iceberg de la croissance ?
L’hypothèse posée par Onofrio Romano d’un régime de croissance fournit-elle cette explication ? Ce régime politique de croissance est-il le milieu dans lequel nous fait baigner la croissance ?
A manquer de (ce) cran politique dans la critique de la croissance, et donc à en rester à réduire la décroissance à une décrue (économique) et une décolonisation (de nos imaginaires), les décroissant.e.s ne s’enferment-ils pas à chérir les causes dont ils déplorent les effets ?
C’est à partir de ce faisceau d’interrogations que ces deux jours de rencontre seront consacrés à échanger et discuter avec Onofrio Romano.
Une présentation du livre d’Onofrio Romano, Towards a Society of Degrowth (Routledge, 2020, la traduction française, Critique du régime de croissance, est parue en 2024 chez Liber) : https://decroissances.ouvaton.org/2024/02/24/jai-lu-towards-a-society-of-degrowth-donofrio-romano/
Une interview d’Onofrio Romano parue dans le n°3 de la revue Mondes en décroissance : http://revues-msh.uca.fr/revue-opcd/index.php?id=412
Une conférence de Michel Lepesant aux rencontres « Décroissance, le Festival », en juillet 2024 : Pourquoi faut-il renverser le régime de croissance ?
Onofrio Romano se revendique de la pensée de George Bataille. Une présentation de La part maudite (1949) : https://decroissances.ouvaton.org/2017/08/12/jai-relu-la-part-maudite-de-georges-bataille/
Dans Adieux au capitalisme (2014, La Découverte), Jérôme Baschet énumère 4 sources de « l’imaginaire utopique » (p.86-87). 1/ Le « refus autant viscéral que raisonné » du capitalisme. 2/ Les alternatives concrètes et minoritaires. 3/ La « connaissance des sociétés traditionnelles ». 4/ « L’évaluation aussi lucide que possible des expériences historiques nées du désir d’émancipation »1.
Chacune voit bien alors que, pendant nos 6 demi-journées où le focus de nos (f)estives va se diriger sur la question de la propriété, il sera impossible d’espérer boucler les discussions. Il ne s’agit pas pour autant d’en déduire qu’il faudra se contenter d’enregistrer chaque élément des interventions comme d’une énième variation, pour se satisfaire au final d’avoir su s’ouvrir à la multiplicité des cas particuliers2.
Il va donc falloir appréhender la diversité des approches (les 5 premières demi-journées) et tenter ensuite de les ordonner (le samedi après-midi).
Voici un aperçu de la diversité de ces approches.
→ Repérer et dégager le plus clairement possible la doctrine dominante actuelle de la propriété, et plus particulièrement de la propriété privée.
→ S’apercevoir que la notion de propriété privée est une invention spécifique dans l’histoire de l’humanité.
*
De quoi lire, avant d’en discuter
→ Pour chacune des références inventoriées ci-dessous, il y a un lien vers l’article ou le podcast mais aussi un résumé qui donne déjà un aperçu du contenu.
→ https://laviedesidees.fr/spip.php?page=recherche&recherche=propri%C3%A9t%C3%A9+priv%C3%A9e
Lu dans l’article « propriété privée » de Wikipedia : Selon David Graeber et David Wengrow, les recherches ethnologique et archéologique ont mis en évidence que la notion de « propriété privée » est récente dans l’histoire de l’humanité. Si le terme de « propriété privée » et plus précisément celui de « propriété foncière » s’attache à des choses matérielles (la terre, les pierres, l’herbe, les clôtures, les bâtiments de ferme, les greniers à grain), en revanche, ces mots ne désignent rien d’autre que la prétention d’un individu à jouir d’un accès exclusif à toutes ces choses sur un territoire donné. Il revendique en conséquence un pouvoir de contrôle sur elles. Dans la pratique, cela revient autant à lui reconnaître juridiquement le droit d’interdire à quiconque d’y pénétrer que de les détruire s’il en a envie. Cela revient à entendre qu’un territoire « appartient » réellement à un individu que si personne ne le lui dispute, ou s’il a la possibilité d’utiliser les armes pour intimider ou attaquer ceux qui protestent ou qui entrent sans permission et refusent de partir. « Cette attitude n’apparaît légitime que si le reste de la société veuille bien admettre que vous êtes dans votre bon droit pour le faire. Autrement dit, la « propriété foncière », ce n’est pas la terre, les pierres ou l’herbe ; c’est une notion juridique entretenue au moyen d’un subtil mélange d’impératif moral et de menace d’emploi de la force. La logique est similaire à celle qui sous-tend la définition de l’État par Rudolf von Jhering (le monopole de l’usage légitime de la violence sur un territoire donné), sauf que le territoire considéré est beaucoup plus restreint que celui d’un État-nation. »
Comment est apparue la notion de propriété privée ? Faut-il un temps où elle nʹexistait pas? Est-ce que les inégalités sont les filles de la propriété privée ? Tribu en parle avec Christophe Darmangeat, économiste. Podcast du 8 septembre 2021 : https://www.rts.ch/audio-podcast/2021/audio/aux-origines-de-la-propriete-privee-25222713.html.
Alain Testart, « Propriété et non-propriété de la Terre », Études rurales [En ligne], 165-166 | 2003, URL : http://journals.openedition.org/etudesrurales/8009.
Cet article critique la conception classique des droits relatifs à la terre dans les sociétés traditionnelles, l’exemple de référence étant l’Afrique précoloniale. Selon cette conception, il n’y aurait pas eu de véritable droit de propriété mais seulement une sorte d’usufruit, ce droit serait essentiellement collectif, et son titulaire serait la Terre elle-même, en tant que divinité. L’auteur soutient au contraire qu’il existait un véritable droit de propriété en Afrique, mais qu’il ne portait pas sur la même chose qu’en Occident : en Afrique, seule la terre cultivée était susceptible d’appropriation.
Alain Testart, « Propriété et non-propriété de la terre », Études rurales [En ligne], 169-170 | 2004, URL : http://journals.openedition.org/etudesrurales/8060.
Tandis que la première partie de cet article examinait la question de la propriété de la terre indépendamment de la royauté, cette deuxième partie envisage les conséquences de l’institution royale sur la propriété, l’Afrique précoloniale restant toujours l’exemple de référence. La première est l’apparition de domaines royaux qui, bien que constitués sur la base de la conception traditionnelle de la propriété africaine, en modifie considérablement la teneur du régime foncier. La seconde est la superposition sur la même terre de droits fonciers et de droits fiscaux. La confusion entre les uns et les autres a conduit à une interprétation aberrante en termes de « féodalité », dont la critique constitue le cœur de l’article. Celui-ci se termine en évoquant les causes possibles de transformation du régime de propriété foncière.
→ Entretien avec Sandrine Clavel, Propos recueillis par écrit en avril 2020 par Maduraud, A.-L. (2020). Le Sens de la Propriété. L’exemple des Peuples Autochtones. Délibérée, 10(2), 43-49. https://doi.org/10.3917/delib.010.0043.
L’intérêt croissant de la communauté internationale pour la préservation de l’environnement s’est accompagné d’une reconnaissance de droits aux peuples autochtones, victimes immédiates des catastrophes écologiques et porteurs d’un rapport à la terre qui ne peut être entièrement saisi par les catégories juridiques dominantes. Interroger les droits fonciers de ces peuples et leur effectivité, c’est observer les conflits d’intérêts – environnementaux, éthiques, culturels, économiques – en présence dans ce domaine. Et mesurer les impasses d’une société organisée autour d’un droit de propriété conçu comme exclusif, absolu et individuel.
→ Sandrine Clavel. Les droits fonciers des peuples autochtones. Le droit entre ciels et terres. Mélanges en l’honneur du professeur Laurence Ravillon., Pedone, pp.373-391, 2022, 9782233010063. https://hal.science/hal-03115010/document
I- La consistance des droits fonciers des peuples autochtones. A- Droit de propriété foncière. B- Droit d’usage. C- Droits immatériels. II- La protection des droits fonciers des peuples autochtones. A- La revendication des droits fonciers des peuples autochtones. B- L’inaliénabilité des terres ancestrales des peuples autochtones.
Pierre Crétois, « La propriété foncière, une fiction occidentale », À propos de : Danouta Liberski-Bagnoud, La souveraineté de la terre. Une leçon africaine sur l’habiter, Seuil. La Vie des idées , 21 juin 2023. URL : https://laviedesidees.fr/Liberski-Bagnoud-souverainete-terre
Dans la région de la Volta, la propriété du sol n’existe pas, la terre n’est pas l’objet de transactions marchandes mais de partages. D’où vient alors que, dans nos sociétés, nous considérions comme parfaitement légitime ce droit à s’approprier une partie du territoire ?
Jean-Fabien Spitz, « Les apories de la propriété », À propos de : Rafe Blaufarb, L’invention de la propriété privée. Une autre histoire de la révolution, Champ Vallon. La Vie des idées , 4 octobre 2019. URL : https://laviedesidees.fr/Rafe-Blaufarb-L-invention-de-la-propriete-privee
La propriété privée est aujourd’hui sacrée ; et sa définition très stricte interdit que l’on puisse remédier aux inégalités et aux défis environnementaux. Mais elle n’a pas toujours été conçue de cette manière : c’est la Révolution française qui l’a inventée.
Pierre Crétois, « Éloge de l’impropriétaire », À propos de : Catherine Malabou, Il n’y a pas eu de Révolution, Payot & Rivages . La Vie des idées , 12 mars 2025. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/Catherine-Malabou-Il-n-y-a-pas-eu-de-Revolution
Proudhon affirme qu’il n’y a pas eu de révolution. Cela s’explique, Catherine Malabou le montre éloquemment, parce qu’un trait essentiel du pouvoir féodal s’est maintenu : le « droit d’aubaine ». L’expression « droit d’aubaine », Catherine Malabou y insiste de façon originale et éclairante, est empruntée au droit féodal. Il s’agit du droit que se réserve le seigneur de confisquer les biens des étrangers morts sans héritiers. C’est donc un droit de dépossession. C’est à ce point notamment que se joue la continuité entre Ancien Régime et période postrévolutionnaire, car le droit de dépossession des dominants n’a pas disparu. La bipartition entre exploiteur et exploité, entre dominants et dominés ne s’est pas abolie mais, bien que transformée, s’est maintenue.
Entretien avec Sarah Vanuxem, Propos recueillis par écrit par Vincent Sizaire. (2020). Protéger la Diversité Juridique Pour Préserver le Projet Politique Des communs. Délibérée, 10(2), 12-18. https://doi.org/10.3917/delib.010.0012.
La notion de « communs », de plus en plus plébiscitée dans le discours politique de gauche, serait porteuse d’un projet à même de dépasser le capitalisme et vient bousculer une certaine conception de la propriété. Il n’est cependant pas aisé de la définir ni de l’articuler avec celle de propriété. Pire, selon certaines critiques , elle pourrait bien être mobilisée dans une optique néolibérale. Dans cet entretien, Sarah Vanuxem* nous alerte sur la nécessité de promouvoir la pluralité de modèles de propriété à même de servir un projet politique émancipateur.
Pierre Crétois, (2024). La Tragédie des Communs Comme Justification Idéologique de L’accaparement Privatif. Dans T. Boccon-Gibod et T. Perroud Les communs sans tragédie Écologie, démocratie, sphère publique (p. 107-124). Hermann. https://doi.org/10.3917/herm.bocco.2024.01.0107.
Il existe deux façons de justifier le droit de propriété qui sont tout à fait distinctes sur le plan conceptuel. Selon la première ligne de justification, le droit de propriété ferait partie des droits naturels, en quoi il serait moralement justifié en lui-même avant même l’instauration des gouvernements. Selon la seconde, la propriété serait une institution introduite dans un contexte donné pour ses effets avantageux. Elle ne serait donc pas justifiée en elle-même, mais relativement à ses conséquences favorables. Dans son célèbre cours sur la biopolitique, Foucault faisait la différence entre l’approche juridico-déductive, prêtée à Rousseau, qui pose des droits fondamentaux pour en déduire un système normatif et l’approche par la pratique gouvernementale des radicaux anglais pour qui la question centrale est celle de l’utilité. Sans que l’on puisse ramener à Rousseau ou aux radicaux anglais ces deux tendances dont la présence théorique est plus mêlée et partagée aux XVIIe et XVIIIe siècles, il faut admettre qu’elle permet d’éclairer la structure conceptuelle des justifications de la propriété.
Si la pensée de Locke doit plutôt être classée du côté de la méthode juridico-déductive dans la mesure où elle pose, au fondement du droit, l’existence de droits naturels dont la propriété privée, celle de Hobbes, en revanche, offre une justification conséquentialiste et presque utilitariste du droit de propriété. Ce dernier en justifie l’introduction pour éviter une situation de guerre de tous contre tous…
Fabienne Orsi, (2014). Réhabiliter la Propriété Comme Bundle of Rights : Des Origines à Elinor Ostrom, Et Au-Delà ? Revue internationale de droit économique, t. XXVIII(3), 371-385. https://droit.cairn.info/revue-internationale-de-droit-economique-2014-3-page-371?lang=fr.
La définition de la propriété en termes de bundle of rights, ou faisceau de droits, constitue le cœur d’une puissante doctrine juridique américaine dont le développement au cours du XXe siècle a conduit à une véritable révolution dans la conception même de la propriété aux États-Unis. Bien qu’objet d’âpres controverses, cette conception de la propriété est progressivement devenue une nouvelle « orthodoxie ». Toutefois, l’usage de cette notion a évolué dans un sens bien précis, où le droit d’exclure s’est imposé comme le critère déterminant de la propriété. Ce faisant, ce sont les fondements mêmes de la notion de propriété, comme faisceau de droits, qui se trouvent annihilés, neutralisant de fait sa portée en tant que définition alternative de la propriété. Celle-ci mérite d’être réhabilitée. C’est la tâche que s’assigne cet article. Pour cela, nous revenons sur ses origines en mettant l’accent sur le rôle des fondateurs du réalisme juridique et de l’économie institutionnaliste. Nous mettons ensuite en perspective l’usage des bundle of rights par la théoricienne des communs et « prix Nobel » d’économie, Elinor Ostrom. Notre objectif est ainsi de montrer en quoi la contribution majeure d’Ostrom constitue un renouveau de la conception originelle de la propriété comme faisceau de droits et lui restitue toute son ampleur.
Sandra Lavroff-Detrie, De l’indisponibilité à la non-patrimonialité du corps humain, Thèse de droit privé soutenue en 1997, https://theses.fr/1997PA010251.
Résumé : Le statut juridique du corps humain est ambigu. Le corps se confond avec la personne humaine dont il est le support et l’expression, mais il en est distinct avant la naissance et après la mort. Les progrès de la biologie et de la médecine conduisent à utiliser le corps comme une chose. La question de la réification du corps humain a été largement renouvelée par l’adoption des lois du 1er et 29 juillet 1994 sur la bioéthique. Le corps humain est absent du code civil, mais l’interprétation doctrinale et jurisprudentielle de l’article 1128 du code civil a permis de mettre en évidence un principe d’indisponibilité du corps humain. Cette règle fut largement admise durant le XIXème et le début du XXème siècle. Le principe d’indisponibilité du corps humain a permis de sanctionner les atteintes les plus nettes a l’intégrité du corps humain. Les progrès en matière biomédicale ont multiplié les cas dans lesquels le corps humain était un objet d’échange à titre gratuit et parfois à titre onéreux. Une partie de la doctrine en vint à contester l’existence du principe d’indisponibilité, alors que le juge suprême l’affirma solennellement. Les lois sur la bioéthique marquent une étape décisive dans la détermination de la nature juridique du corps humain. Le principe d’indisponibilité du corps humain a été remplacé par la règle légale de la non-patrimonialité. Le corps de la personne humaine est défini comme dénue de valeur patrimoniale et ne pouvant pas être l’objet d’acte à titre onéreux. La loi établit des règles protectrices contre les risques de réification, tout en faisant la part de l’intérêt légitime des personnes qui peuvent bénéficier de dons d’organes, d’éléments ou produits humains. La libre volonté est fondamentale et le juge intervient afin d’interdire les atteintes a la non-patrimonialité du corps humain. Cet ensemble législatif comporte des insuffisances, mais constitue un progrès.
Les juristes anarchistes : https://youtu.be/euMwL2nZX3M?si=93QsBdZQ6xPGHrt4 (à partir de 17 :30 sur la propriété privée).
« On n’abolit pas la propriété sans abolir le désir de propriété »! C’est Mathieu Burnel, de l’équipe de lundi matin, qui nous le rappelle dans un podcast (lien en commentaire) consacré à l’ouvrage collectif « Les juristes anarchistes », sorti en ce début d’année. Trois contributions stimulantes de ce livre y abordent la question de la propriété sous l’angle (1°) des communs, (2°) de la propriété d’usage et (3°) de la liberté d’habiter.
Cette question du désir de propriété est essentielle. Aujourd’hui, l’idéologie propriétaire bénéficie en effet d’un verrou propriétariste fermé à triple tour. Premièrement, la promotion, par les pouvoirs publics, de la propriété privée, suscite un désir de propriété au sein de la population, l’accession à la propriété étant vue comme un signe de réussite sociale et d’accomplissement individuel. Deuxièmement, des politiques publiques encouragent et facilitent l’accès à la propriété d’une partie de la population (politiques incitatives, prêts à taux réduits, etc.). Troisièmement, cette majorité de propriétaires (58% des ménages sont propriétaires de leur résidence principale), fait obstacle à toute remise en cause (fiscale ou juridique) de la propriété privée individuelle et lucrative.
Marc Goetzmann, « L’idéologie propriétaire », À propos de : Pierre Crétois (2020), La part commune. Critique de la propriété privée, Éditions Amsterdam. La Vie des idées , 1er janvier 2021. URL : https://laviedesidees.fr/L-ideologie-proprietaire
L’individu possède-t-il un droit absolu sur les choses dans lesquelles il met son travail ? La proposition paraît aller de soi, mais elle est pourtant contestable. Pour délimiter la propriété individuelle, il faut un accord entre nous, donc des valeurs communes.
Pierre Crétois, (2023). La Copossession du Monde. Revue du MAUSS, 61(1), 53-64. https://doi.org/10.3917/rdm1.061.0053.
Dans cet article, nous interrogeons la possibilité d’une critique libérale du droit de propriété. En effet, le libéralisme économique nous a plutôt invité à voir dans le droit de propriété le fondement ultime de l’ordre social mutuellement bénéfique permis par le marché. Pourtant, cette thèse interprétative fait peu de cas d’autres façons libérales de relativiser la propriété exclusive notamment parce qu’elle met en danger le droit que les démunis ont d’accéder aux ressources nécessaires à une vie véritablement libre. L’approche que nous proposons dans cet article consiste à penser l’entrelacement du propre et du commun ou à penser le propre sur la base de ce que nous appellerons la copossession du monde. Une telle copossession du monde n’est pas conçue comme un renversement du libéralisme politique classique mais comme un renouvellement de celui-ci dans une perspective qui soit compatible avec les défis sociaux et environnementaux de notre époque.
→ Aurélien Berlan (2017), « Anatomie du chez-soi, De l’usage commun à la spéculation immobilière, analyse de la propriété foncière », paru dans la Revue itinérante d’enquête et de critique sociale Z n°11 – Automne 2017.
La propriété telle que nous la connaissons aujourd’hui n’a pas toujours existé. La bête noire de la critique sociale du XIXe siècle – le « vol » dénoncé par le théoricien anarchiste Proudhon – n’en est qu’un type bien particulier : la propriété bourgeoise, ou purement marchande. Mais la notion de propriété foncière est composée de plusieurs strates, sédimentées par l’histoire, qu’il s’agit ici de déplier pour penser la garantie d’un « chez-soi » à l’heure où la majorité est dépossédée de tout, contrainte de se vendre pour habiter quelque part.
Comme la plupart des idées que nous employons tous les jours, celle de propriété est constituée de plusieurs couches. On peut au moins en repérer trois : elle présente une dimension existentielle, une dimension juridique et une dimension marchande. Si l’on veut comprendre ce qui caractérise notre conception de la propriété, et ce en quoi elle est critiquable, il me semble indispensable de commencer par bien distinguer ces diverses significations, même si elles sont intimement liées dans nos esprits.
→ Lire la contribution d’Aurélien Berlan au livre collectif Habiter sans posséder de la foncière Antidote dans lequel il distingue trois niveaux du concept de propriété (existentiel, juridique et économique), qu’il croise avec les trois groupes de droits de la propriété (l’usus, l’usage, le fructus, le fruit et l’abusus, la cession ou l’abus). https://www.revuesilence.net/numeros/517-Lieux-collectifs-reinventer-la-propriete/la-propriete-c-est-l-abus
Chloé Rébillard, (2023). La Foncière Antidote. Socialter, hors-série(HS15), 102-103. https://shs.cairn.info/magazine-socialter-2023-HS15-page-102?lang=fr.
Défier le tout-puissant droit de propriété et pérenniser les luttes en recourant à un fonds de dotation : voilà l’idée ingénieuse de la foncière Antidote, qui soude peu à peu des lieux collectifs autogérés dans toute la France.
Si la propriété d’une collectivité « reste toujours privée à l’égard de tous ceux qui ne font pas partie de cette collectivité », peut-on se débarrasser du carcan de la propriété ? Oui, pour Benoît Borrits, à condition de privilégier deux leviers de changement : la socialisation des revenus (déjà entamée par l’essor des cotisations sociales) et l’institution d’un secteur bancaire socialisé (en phase avec le déclin de l’investissement sur fonds propres).
Il s’agirait donc de refuser toute idée de « propriété collective des moyens de production », au profit de la socialisation des revenus ? Au travers d’une synthèse historique, l’auteur revient sur les dérives du mouvement coopératif et les raisons de l’échec de diverses expériences socialistes (le soviétisme, l’anarchisme espagnol, l’autogestion yougoslave…). Inspiré notamment par le régime de sécurité sociale tel qu’il avait été envisagé à la Libération, il propose ensuite une « économie des communs », où les travailleurs et/ou les usagers gèrent une production socialement et écologiquement utile. Des mécanismes de mutualisation de revenus et un financement d’investissement socialisé permettraient de se passer définitivement des fonds propres, et donc, in fine, de la propriété.
On peut lire aussi : Louise Roblin, (2019). A propos de Benoît Borrits (2018), Au-Delà de la Propriété, la Découverte. Revue Projet, 368(1), 90-92. https://doi.org/10.3917/pro.368.0090.
Margot Verdier, (2022). Une Nature Ingouvernable la Polémique Sur les Ressources Inappropriables Dans la Zad de Notre-Dame-des-Landes. Revue Française de Socio-Économie, 29(2), 71-89. https://doi.org/10.3917/rfse.029.0071.
L’expérience de l’occupation de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes est souvent présentée comme un exemple emblématique d’« autogouvernement des communs ». De nombreux conflits opposent pourtant les occupant·e·s qui promeuvent la gestion collective des ressources naturelles à celles et ceux qui défendent le caractère inappropriable des non-humains. Cet article interroge le rôle de cette polémique dans l’évolution de l’organisation économique et politique du mouvement d’occupation.
Les occupant·e·s se sont en effet rassemblé·e·s autour de l’idéal d’une émancipation radicale de tous les rapports d’obligation économique susceptibles de restreindre la liberté politique des individus. Il ne s’agissait donc pas d’instaurer une gestion collective des ressources mais de garantir l’indépendance d’individus et de groupes qui ne partagent pas les mêmes modes de subsistance. L’une des grandes controverses qui a animé l’histoire de l’occupation de la ZAD porte en effet sur les formes d’appropriation de la nature : la plupart des occupant·e·s promeuvent le développement de pratiques agricoles qu’ils/elles considèrent indispensables à la construction d’une indépendance matérielle vis-à-vis du marché capitaliste ; une partie du mouvement appelle au contraire à réduire l’intervention de l’homme sur le territoire en limitant les remises en culture et en favorisant la croissance des forêts.
Mélanie Plouviez, maîtresse de conférences en philosophie sociale et politique à l’université de Côte d’Azur, ressuscite, dans L’Injustice en héritage. Repenser la transmission du patrimoine (La Découverte, 368 pages, 23 euros), les réflexions oubliées et souvent surprenantes des penseurs de la fin du XVIIIe et du XIXe siècles sur la transmission héréditaire des biens. Autrice d’un ouvrage passionnant, cette spécialiste de philosophie sociale et politique, explore, dans un entretien au « Monde », la diversité et la radicalité des pensées du XIXᵉ siècle qui remettent en cause le principe de la transmission familiale.
Le XIXe siècle est, écrivez-vous, le « siècle des pensées de l’héritage ». Comment les philosophes de l’époque abordent-ils la question ? Cet immense corpus est traversé par une idée qui nous est devenue étrangère : aux yeux de Robespierre, des saint-simoniens ou de Durkheim, la propriété individuelle doit s’éteindre avec la mort du propriétaire. Ces auteurs ne nient pas tout droit de propriété individuelle mais ils le restreignent à la durée de vie de son détenteur. Ce faisant, ils inventent une théorie de la propriété hybride : individuelle durant la vie, sociale après la mort. Cette conception n’est pas sans intérêt pour aujourd’hui : elle permet en effet de concilier notre attachement moderne à la propriété individuelle avec une destination plus élevée que le seul intérêt individuel ou familial. Si ce que je possède de manière privée, je le possède par concession sociale pour mon seul temps de vie, je ne peux pas en user de manière absolue. Dans un monde frappé par le dérèglement climatique et la destruction de la biodiversité, ce bouleversement théorique pourrait en particulier conduire à remettre en question les usages privatifs qui engendrent des dégradations pour tous.
Coopriétaires3 est un projet de société coopérative visant à constituer un vaste parc de logements coopératifs, en habitat diffus, dans un premier temps au sein de l’agglomération lyonnaise.
Avec Coopriétaires, nous voulons contribuer à faire sauter le verrou propriétariste. Parce qu’un logement c’est fait pour habiter, pas pour spéculer, et parce qu’effectivement nous n’abolirons pas la propriété sans abolir le désir de propriété, nous proposons un nouveau statut, celui de « coopriétaire ». Dans la droite ligne des coopératives d’habitant.e.s, nous misons sur une propriété immobilière coopérative, c’est-à-dire collective et non-lucrative, bref, sur une propriété d’usage non-marchande. Mais à la différence des coopératives d’habitant.e.s (et en complément de leur approche), nous ne voulons pas construire en marge du marché, mais racheter, pour la dernière fois, les biens existants afin de les sortir définitivement de la sphère marchande et constituer progressivement un vaste pot commun de logements.
Cela permettrait de concrétiser un véritable droit d’habiter, combinant droit au logement (accès à un logement décent et abordable), droit à la ville (lutte contre les mécanismes de relégation socio-spatiale) et droit de cité (pouvoir politique sur son cadre de vie).
En Patagonie, un éleveur a été reconnu coupable de « dommage aggravé » sur l’environnement après avoir écrasé des manchots adultes, des poussins et des œufs en procédant à l’excavation d’une partie de son terrain. Dans son verdict, le tribunal de Chubut élabore un argument sans précédent : l’éleveur « ne peut être considéré comme propriétaire de la flore autochtone et en particulier des nids des animaux sauvages, d’autant plus s’ils sont, eux et leur habitat, protégés par des lois locales et internationales ». Cet argument pourrait faire jurisprudence ailleurs en Argentine, notamment dans les dossiers de déforestation dans le Gran Chaco (nord) ou dans ceux de construction de projets immobiliers ou d’élevage dans le delta du Parana (80 km au nord de Buenos Aires).
---------------C’était il y a 5 ans, nous avions proposé cette tribune qui avait ensuite été largement enrichie par les un.e.s et les autr.e.s. Cinq années plus tard, nous acceptons de passer l’épreuve de la relecture. Et bien, pas sûr que nous devions changer grand chose. Un vrai pincement : que 5 ans après, certain.e.s de nos ami.e.s décroissant.e.s n’aient pas réussi à rester sur la crête ; et dans ce cas, ils dégringolent.
Tribune publiée dans Libération le 28 avril 2020. Dans ce journal elle peut être mise en perspective entre une tribune provocatrice de Laurent Joffrin, « Joies de la décroissance », et la tribune de Paul Ariès, « La décroissance n’est pas le confinement ». Pour l’un comme pour l’autre, être ou ne pas être le confinement, serait la question pour la décroissance. Les signataires de cette tribune pensent que la réalité politique de la décroissance est plus « sur la crête » que cela, entre des vécus très différents et des idéaux comportant des nuances.
C’était un mardi, à midi, et nul ne l’avait prédit. Sans guère de résistance, nous avons accepté le bouleversement. Une autolimitation collective puis individuelle, ou l’inverse. Ce n’est pas « le pas de côté » que nous autres décroissants espérions. N’est-il pas évident que les mesures du confinement telles que nous les subissons révèlent en amont de la pandémie la faillite des politiques publiques qui en aval se traduit par une gestion autoritaire et techno-scientiste. Ce sont-là les deux faces d’une même biopolitique de croissance, gestionnaire, élitaire, indécente et insensible. Néanmoins, il y a dans le confinement comme un pas suspendu de la cigogne. Et ce n’est pas à dédaigner ! Après le confinement, il y aura encore la récession, des rebonds et des répliques ; mais pendant la période du confinement, conjoncturellement, il y a une espèce de décroissance ; oui, mais alors laquelle ?
Il s’agit d’un moment historique, parce que subitement c’est l’impératif économique de l’accélération et de la démesure qui est suspendu, mis entre parenthèses. Une parenthèse ouverte le 17 mars 2020 en France. Parenthèse qui se refermera peut-être en mai, ou juin, mais ouverte, maintenant, en plein cœur de la mondialisation et dans le monde entier. Plus de la moitié de la population mondiale est confinée ! Parenthèse partout ouverte sur moins de production, moins de consommation, et par conséquent moins d’extraction, moins de déchets, moins de pollutions, moins de déplacements, moins de bruit, moins de travail et donc moins de revenus, mais aussi plus du tout de vacances, plus du tout de musée ou de concert, plus du tout de rencontres sportives ni de « matchs » : plus rien qu’un « essentiel » qui reste à redéfinir…
Que nous vivions à la campagne ou en ville, une qualité de vie est maintenue, avec des degrés très inégaux de « résilience » (jardin ou balcon ou fenêtre ?) et de souffrance qu’il ne faut pas écarter : décroissance à demi-subie, décroissance à demi-choisie. Dans des conditions encore plus difficiles de vie pour les plus vulnérabl-e-s – en particulier dans le cas des violences familiales –, la sobriété se fait néanmoins plus présente, nos relations sociales, familiales, amicales sont nos précieux remèdes. Nous entendons parler relocalisation, circuits-courts, ralentissement, renoncement. Nous participons ou assistons à des manifestations de solidarité, de créativité, nous contemplons l’éveil du printemps. Bref une joie simple d’exister se manifeste, et cela grâce à… notre organisation sociale commune, fruit d’un minimum de vie démocratique depuis 1945, qui garantit encore l’essentiel : une certaine paix sociale. Certes le Président Macron a déclaré « Nous sommes en guerre. ». Mais ce n’est pas une guerre parce qu’il n’y a aucun ennemi à vaincre ni aucun humain à tuer, à moins de tordre le sens des mots, à des fins biopolitiques. Certes il y a des morts : c’est donc peut-être une demi-guerre, mais nul ennemi à l’horizon. demi-guerre, et donc demi-paix très largement assurée par les personnels des services publics et du soin à la personne qui limitent la pandémie en permettant l’accès des malades aux soins. Services publics mais aussi tous ces emplois – cette « France d’en bas » dont beaucoup hier étaient sur les ronds-points – qui sont aujourd’hui mis « en première ligne de corvée » : sans effondrement général. Même pas un effondrement de l’État, pourtant comme abasourdi par son audace d’avoir pris la décision politique d’un coup de frein économique ; malheureusement il se rassure en poussant le plus qu’il peut son autorité policière et ses expérimentations juridiques d’exception.
Demi-guerre avec la mort qui rôde, demi-paix parce qu’il est devenu interdit de rôder. La mort – qui est la limite de toute vie – fait peur. Surtout en régime politique de croissance prétendument infinie, croissance qui peut être interprétée comme l’organisation sociale du déni de la mort. La mort peut faire peur, et une mauvaise peur est toujours bonne à prendre pour tout pouvoir qui veut se conserver : d’où la demi-guerre.
Leçon pour la décroissance : si elle touche en quoi que ce soit avec une mauvaise peur, alors elle s’effondre. La décroissance, c’est une parenthèse mais dans la paix.
Confinés, accordons-nous quand même un temps de réflexion sur ce constat : « l’imprévisible est advenu ». Prenons-en pleine conscience : par le confinement, les gouvernants ont choisi d’épargner des vies plutôt que l’économie. Le pas suspendu de la vergogne ? Quelle que soit la diversité de nos conditions sociales de vie, et elles sont évidemment loin d’être aussi faciles pour tou-te-s, osons goûter finement ces moments : l’allègement de l’empreinte écologique, la texture des liens qui nous unissent, l’épaisseur des silences, l’air qui s’allège, la couleur de nos vies, le bruissement du vivant. Carpe diem ! Gardons cette saveur en mémoire, celle du sel, du sens à notre vie commune. Carpe dies relegationis !
Bref, ce confinement est une demi-décroissance : osons affirmer que rien n’a jamais ressemblé plus à la décroissance que ce moment consenti de confinement ; d’autant qu’il y a aussi une part de rationnement pour (presque) tous.
Notre empreinte écologique décroit globalement et pacifiquement pour le moment. « Par le fait », ce moment est écologiquement un peu plus soutenable par l’humanité. Le bilan écologique de cette parenthèse décroissante sera irréfutable : « c’était un temps de répit, un temps de repos. » Mais après le confinement, à quoi s’attendre ?
Économiquement, il est évident que ce sera une autre histoire. Pire, socialement, notre attention à l’autre et notre souci de l’autre nous obligent à dénoncer sans concession le côté obscur de ce confinement. Force est de constater que la pandémie va surtout atteindre les démunis, les appauvris par le système économique. Et surtout l’indécence des ultra-riches, certes confinée, n’a pas disparu. Aucun miracle de la part des gouvernements. Pas (encore ?) question de siphonner les richesses des enrichis (par des prélèvements exceptionnels sur les patrimoines et les revenus comme en temps d’après-guerre) pour assurer le partage et le bien-vivre de toutes et tous dans une société socialement décente. La décroissance des inégalités ce n’est pas encore maintenant.
Pour le moment, c’est plutôt changement d’heure… et d’année au programme : 1984 te voilà ! Big Brother est vraiment là, il nous regarde, nous envoie des SMS, nous surveille, nous enregistre, nous parle du haut de son drone, nous traque via notre ordiphone, nous dissocie, nous individualise. Le sens de la technique est bien politique… Télétravail, télémédecine, télé-enseignement, skype-apéro, etc. Les écrans étriquent nos mondes sensibles. Accélération des réseaux sociaux qui ne peuvent relier que celles et ceux qui sont préalablement séparé-e-s. Là non plus, petit détail politique, nul miracle en ce qui concerne le partage des pouvoirs : les gouvernements continuent de décider seuls, sans nous, donc contre nous. Partout la démocratie est placée en quarantaine. La potion de cheval est là : ordonnances à tout va ! Ce n’est pas la joie démocratiquement parlant. Surtout quand nous nous rappelons qu’on nous a déjà fait le coup de l’état d’urgence qui s’infiltre dans la loi ordinaire.
Ce sont, là, pour le moment, des leçons du confinement. a/ Ce confinement a ouvert une parenthèse. Chères décroissantes, chers décroissants, ayons-le bien présent à l’esprit. Nous ne sommes pas en train de rêver : notre rêve de décroissance est donc possible. En ce sens, la décroissance serait une période particulière entre parenthèses, un trajet auto-organisé vers des sociétés écologiquement soutenables, socialement décentes et démocratiquement organisées, passant par les baisses de l’extraction, de la production, de la consommation, de la circulation et des déchets. b/ Quand la parenthèse du confinement va officiellement se refermer, nous savons bien que nous n’arriverons pas miraculeusement dans un monde décolonisé par l’imaginaire de la croissance, que l’économie aura beau jeu de réimposer ses narratifs, ses dettes, ses réajustements, qu’elle instrumentalisera une relocalisation cosmétique au service d’une souveraineté biaisée… Mais même à l’heure de leur revanche, nous disposerons d’un nouvel argument : oui, le politique peut prendre la décision de donner un coup de frein à l’économie. Nous en aurons vécu l’expérience dans notre chair.
La décroissance, c’est le bon sens pour (re)pauser le monde à l’endroit.
Olivier Zimmermann (Suisse), Élodie Vieille-Blanchard, Jacques Testart, Mathilde Szuba, Christian Sunt, Agnès Sinaï, Michel Simonin, Luc Semal, Onofrio Romano (Italie), Olivier Rey, Christine Poilly, Irène Pereira, Jean-Luc Pasquinet, Baptiste Mylondo, Karine Mauvilly, Vincent Liegey, Michel Lepesant, Bernard Legros (Belgique), Francis Leboutte (Belgique), Stéphane Lavignotte, Antony Laurent, François Jarrige, Mathilde Girault, Maële Giard, Loriane Ferreira, Guillaume Faburel, Robin Delobel (Belgique), Alice Canabate, Thierry Brulavoine, Thierry Brugvin, Geneviève Azam, Alain Adriaens (Belgique).
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Crédit photo. Avec l’aimable autorisation de Philippe Verspeek : Dans le cadre du Collectif Cov’Art initié par http://cn2r.fr/covart/
L’argument principal s’appuie sur l’hypothèse que tout logiciel impérialiste repose sur la conception d’un humain tronqué, parce que dépourvu de rationalité morale, celle qui exige de respecter les accords conclus, le droit international, celle qui se fonde sur le partage d’un certain nombre de valeurs. Mais attention, je ne prétends pas pour autant qu’il suffirait d’imposer nos valeurs pour que la paix revienne ; pourquoi ? Parce que le conflit géopolitique que nous subissons aujourd’hui est beaucoup plus profond qu’un conflit des valeurs. Parce qu’aujourd’hui, il serait même plus réaliste d’affirmer qu’il n’y a pas de conflit des valeurs ; pourquoi ? Parce que le régime politique sur lequel s’appuie la croissance économique repose sur un « régime de croissance » dont l’objectif et l’effet premier sont la neutralisation de tout conflit des valeurs.
Pourquoi est-il plus facile pour la Russie de Poutine de coloniser le narratif de Trump que de réussir sa guerre d’agression contre l’Ukraine ? Et inversement : en quoi la reprise par Trump et son administration du narratif russe n’est-elle qu’un nouvel épisode d’une économisation du monde qui accompagne depuis quelques siècles l’emprise que la croissance exerce sur nos vies ?
Commençons par reconnaître que même le comportement le plus irrationnel peut toujours être interprété a posteriori comme une logique ; car interpréter n’est ni prédire ni expliquer. C’est pourquoi une interprétation repose très souvent sur une analogie.
Reconnaissons aussi que si nous cherchons une analogie pour interpréter le comportement de « Trump et son monde », alors il y a pléthore :
Mais il ne faudrait surtout pas croire que l’ami Donald n’est qu’un enfant gâté au milieu d’un monde d’adultes, qui ne tarderont pas à lui rappeler quelques principes de bonne civilité.
Parce qu’aujourd’hui, et plus exactement depuis près de 4 siècles, le monde des adultes a glissé lentement mais sûrement au bas de la pente de l’économisation généralisée de toute vie humaine : et si le logiciel trumpiste est aujourd’hui si facilement colonisé par le logiciel poutiniste, c’est d’abord parce que tous ces logiciels partagent une même vision tronquée de ce qu’est un être humain.
Cette vision tronquée est partagée aussi bien par les régimes totalitaires que par l’économie libérale de marché. Cela peut sembler une incongruité, sinon une absurdité, mais pourtant c’était déjà la thèse soutenue par Karl Polanyi dans La Grande Transformation (1944) quand il cherchait à expliquer comment l’échec du marché autorégulateur (qui reposait sur des fictions, celles qui marchandisaient le travail, la nature et la monnaie) avait abouti à la montée des fascismes tant en Italie qu’en Allemagne.
« C’est la réalité d’une société de marché que l’on perçoit dans le totalitarisme. »
Karl Polanyi, Écrits, p.386
Pas de société encastrée dans l’économie sans la fiction d’un individu réduit à ne plus agir qu’en vue du « gain », que pour son intérêt personnel. A partir d’une telle fiction anthropologique, qui est celle de l’homo œconomicus, il faut remarquer que la priorité accordée à la rationalité utilitaire, technique, permet d’envisager le marché comme ce dispositif économique où toutes les actions humaines peuvent être rendues équivalentes et ramenées à un calcul. Du coup, l’emprise de l’économie devient une emprise politique.
C’est ainsi que Karl Polanyi faisait le lien entre la victoire des fascismes dans l’entre-deux guerres et l’effondrement de l’économie de marché : en quelque sorte, le fascisme est toujours une tentative de réponse politique à la désocialisation générale provoquée par le marché autorégulateur mais cette réponse n’est envisageable que parce que le marché et le fascisme reposent sur un même réductionnisme anthropologique, celui qui ne voit dans l’humain qu’un automate insensible et calculateur dont les actions sont seulement déterminées par l’appât du gain, sans plus guère d’usage de la rationalité dans sa dimension morale c’est-à-dire raisonnable au sens premier de capable d’être raisonné par des arguments raisonnables.
C’est le constat de cette incapacité à être raisonné par le raisonnable – dans le spectacle délirant d’une inversion et du rapport au réel et du rapport au droit international – qui nous saisit quand nous ne pouvons que juger que les narratifs trumpistes et poutiniens se rejoignent, dans une négation commune et affichée de ce que peut vraiment dire la « paix ».
Du coup, il n’y a plus de raison de s’étonner de ne pas réussir à faire beaucoup de différences entre :
Car ce qu’ils partagent tous, c’est le même imaginaire colonisé, celui d’un être humain dénué de sens moral et qui réduit la réalité aux seuls rapports de force. Quand le juste devrait toujours être la défense du faible contre le fort, quand la démocratie devrait toujours être le respect des minorités, quand la paix ne devrait être conceptualisée que par des anciens dominés (suivant l’intuition géniale d’Hannah Arendt), on voit à quel point aujourd’hui la perte de la capacité de « se mettre à la place de tout autre être humain » (Kant) est une catastrophe anthropologique, parce qu’elle devrait être la faculté humaine la plus respectée et la plus défendue.
Au lieu de cela, fleurissent partout les discours identitaires, qui alimentent une xénophobie généralisée (parmi les mesures proclamées aux USA, il faut ajouter : il n’y a plus qu’une seule langue officielle, il n’y a plus officiellement que 2 genres), qui défendent les inégalités de fait, qui tissent une internationale des individus tronqués, mobilisés par la peur et le ressentiment.
Cela promet de beaux jours !
Une pensée pour les pacifistes prorusses qui depuis 3 ans nous expliquent que l’Ukraine n’est que la marionnette de l’impérialisme américain et de l’agressivité de l’Otan. Ces trois années de guerre pendant lesquelles l’Otan a été aux abonnés absents ont juste prouvé qu’il y a bien un marionnettiste…
Nous reprenons un article de notre ami Claude Le Guerrannic qu’il vient de publier dans le premier numéro (février-mars 2025) d’un petit journal qu’il vient de lancer : Un Courrier Cordais. Comment ne pas penser en lisant la dernière phrase à ce titre de Léon Bloy : Le sang du pauvre, c’est l’argent ?
« Ce ne sont pas les illusions à la Balzac qui concernent les individus en particulier dont il est question ici mais les illusions d’une société dans son ensemble, » « quoi que… »
Illusion autour d’un progrès technologique illimité et tout azimut que rien ne pourrait arrêter. Comme si ce progrès n’était que bénéfice pour l’humanité. Cependant les catastrophes en série que ce soi-disant progrès provoque, sautent de plus en plus aux yeux de tous. Ces catastrophes sont climatiques, environnementales, guerrières, humanitaires et même sociales, aujourd’hui il n’est plus permis d’en douter, les preuves et les constats s’accumulent. Les innovations du début du siècle sont concentrées autour de l’industrie numérique avec pour dernier développement l’intelligence artificielle, ce qui conduit notre société tout droit vers l’enfer, ce dont la jeunesse n’a certainement pas conscience. L’addiction qu’une connexion presque permanente chez les jeunes entraîne annihile tout recul et discernement et entretient l’illusion d’un monde rêvé et sans alternative. Le livre de Fabien Lebrun « Barbarie numérique » aux Éditions de l’Échappée, nous offre un tout autre regard, beaucoup plus sombre et réaliste grâce à sa scrupuleuse enquête, il invite à réagir vite, avant que le navire ne sombre complètement. L’industrie numérique est tout sauf virtuelle, Fabien Lebrun qui détaille les trafics en tout genre de l’exploitation minière au Congo est là pour nous le rappeler.
L’auteur trace l’histoire du Congo à partir des premiers convois esclavagistes vers l’Amérique au 16ème siècle, et la poursuit jusqu’à nos jours. Pourquoi le Congo, précisément parce qu’il se situe sur un territoire que d’aucuns considèrent comme un véritable scandale géologique, tellement il est riche en ressources de toute nature : végétales (le caoutchouc et le bois), hydrocarbures (pétrole) et surtout minerais (coltan, cobalt, germanium, cuivre et diamant). Le Congo détient près de 80 % des réserves mondiales de cobalt à lui seul !
Des enfants dans les mines du Congo
Ces différents minerais entrent tous dans la composition de tout ce qui se fabrique dans le monde, que ce soit dans l’industrie, la pharmacologie, l’aéronautique, le spatial, la communication et le numérique. Le Congo est un concentré de guerres meurtrières pour l’acquisition de ces ressources, cela donne une idée de ce qui peut se passer partout dans le monde où une ressource quelle qu’elle soit attirera la convoitise, comme l’eau par exemple.
Minerai de cuivre
Les guerres coloniales actuelles (Ukraine, Palestine, Congo) et celles qui menacent par l’entremise de la nouvelle administration américaine ont toutes pour motif souvent caché la main mise sur les ressources. Ce sont des guerres engendrées par le capitaliste mondial. Derrière chaque guerre cherchez l’intérêt, le profit qui s’y cache.
Ces guerres, aux alliances changeantes s’expliquent par la volonté de s’accaparer la jouissance de ces ressources minières indispensables à nos smartphones, ordinateurs, GPS, aux satellites et autres engins de l’exploration spatiale. Sans ces précieux métaux, tous nos gadgets connectés ne pourraient pas fonctionner. Pourtant, aucun des dirigeants politiques et encore moins économiques de la planète ne font allusion à la fin inéluctable de ces ressources. Certains de ces métaux précieux seront remplacés par d’autres, mais la tension autour de l’approvisionnement ira en augmentant, fatalement. On ne veut pas savoir, qu’il s’agisse du modeste utilisateur de téléphone portable aux plus grands décideurs, personne ne veut savoir. On ferme les yeux sur les conditions de travail de ces fameux creuseurs du Congo. On entretient l’illusion de ressources sans limites, on entretient l’illusion par la mise en œuvre d’un développement durable c’est à dire de la poursuite du saccage de la planète par des moyens que l’on croit plus vert.
En attendant qui fait tourner cette machine infernale ? Et bien nous tous, des milliardaires véreux et criminels aux populations désinformées tout en bas de l’échelle sociale, les milliardaires en spéculant et en cherchant toujours davantage de profits par l’exploitation de la misère humaine, les États par une surveillance généralisée et en imposant une numérisation de la moindre de nos démarches administratives, mais aussi chacun de nous par une consommation effrénée du moindre objet connecté.
Pourtant nous, consommateurs lambda, avons le pouvoir énorme d’influer sur les choix sociétaux par nos achats et nos pratiques, mais nous ne l’utilisons pas la plupart du temps parce que nous sommes pris par une sorte d’addiction. Une curiosité naturelle nous pousse à aller vers le nouveau, le « jamais vu », le « jamais fait » le « toujours plus » sans en mesurer à aucun moment les conséquences, ce que les fabricants, les commerciaux s’échinent à nous cacher le plus soigneusement du monde. Nous cédons au miroir aux alouettes comme des enfants qui n’ont pas encore appris le discernement.
Des chercheurs sincères et honnêtes tentent de nous alerter, de nous donner l’information qui nous manque, mais comme l’avait si bien dit Jacques Chirac à Johannesburg, le monde brûle et nous regardons ailleurs. Ce qui, soit dit en passant, ne l’empêcha pas de poursuivre une politique si peu écologique ! Les belles promesses n’engagent que ceux qui y croient.
Extrait du livre de Fabien Lebrun :
« Au Congo, les mineurs sont dénommés creuseurs, du fait d’une extraction manuelle dite « artisanale » : « Le creuseur semble incarner le Congolais du XXIe siècle, l’homme de la débrouille individuelle, celui qui affronte la crise ne comptant que sur ses propres forces. » Des carrières désaffectées ou délaissées par les investisseurs, ils creusent pour leur compte, équipés d’une pelle et d’une pioche, dotés au mieux de bottes, sinon pieds nus ou chaussés de tongs. Les creuseurs sont d’anciens ouvriers qualifiés, techniciens spécialisés ou enseignants. Ils ont quitté le commerce et l’agriculture avec des conséquences dramatiques : « La population katangaise creuse, exploite et juge ingrat le travail de la terre, ce qui provoque des pénuries de nourriture dans les cités minières et une explosion de la malnutrition. » page 297 plus loin : on estime le nombre de creuseurs au Congo à 2 millions.
Sans creuseurs et les mines du Congo la Tesla n’existe pas. Nos smartphones sont tachés de sang mais nous ne le savons pas.
Claude Le Guerrannic
Pourquoi diffuser sur notre site ce communiqué du MAN ? A l’époque des fakes et des « faits alternatifs », nous apprécions particulièrement l’effort qui y est fait de montrer que l’usage des mots n’est jamais arbitraire et surtout qu’il ne peut avoir de commun dans la communication qu’à condition de respecter des distinctions : parce que les distinctions sémantiques sont des conditions de la clarté politique.
Ainsi, « otage » n’est pas l’antonyme de « prisonnier » mais une espèce de prisonnier : tous les prisonniers ne sont pas des otages mais tous les otages sont des prisonniers. Au sens strict, un « otage » est un prisonnier traité comme un « moyen », de pression, de chantage, d’échange… Dès qu’un prisonnier est traité comme un moyen de pression, c’est un « otage ».
Il en va de même pour « terroriste » et « résistant » : tous les résistants ne sont pas des terroristes, mais il y a des résistants qui le sont, et ils le sont parce qu’ils pratiquent une politique au moyen de la terreur. C’est cette pratique qui fait le terroriste et c’est pourquoi un État peut l’être. Et surtout l’antonyme de « résistance » n’est pas « terrorisme » mais « collaboration ».
Voici donc quelques rappels de vocabulaire pour montrer qu’aujourd’hui à Gaza et en Cisjordanie, l’asymétrie n’est pas que militaire, elle est aussi sémantique. Voilà pourquoi, ici en France, il faut rappeler qu’une information qui se fait dans les termes de la propagande ne respecte pas sa déontologie.
« Dans cette guerre de tous les records avec le plus d’enfants tués au 21ème siècle, le plus de journalistes tués, le plus de bombes lancées, le plus d’espaces civils détruits
Dans cette guerre où chaque action d’un civil peut engendrer surveillance, intimidation, censure, emprisonnement et torture le MAN ne peut que souligner la trêve actuelle dans tout ce qu’elle peut apporter d’amélioration des conditions de survies des populations impactées et inciter à la poursuite de tous les mouvements de mobilisation pour que cette tragédie ne devienne pas un fait de plus dans l’actualité.
Cette trêve est également l’occasion de revisiter nos perceptions de la situation, d’alerter sur une utilisation réactive de termes chocs dans les médias.
Distinguons les termes d’otage et de prisonnier, de terroriste et de résistant.
Quel pays est occupé ? Dans quel territoire sont enlevés des civils et par qui ?
Comment appelle-t-on un groupe qui combat pour résister à une occupation ?
Quels sont les intérêts en jeu pour les dénommer résistant ou terroriste ?
Quels sont les droits d’un prisonnier de guerre ?
Le terrorisme désigne une technique d’action violente utilisée contre des civils par un groupe clandestin dans le but de faire valoir des revendications politiques (J_M Muller, Dictionnaire de la non-violence) mais si l’on prend en compte l’histoire du conflit israélo-palestinien plutôt que la date particulière du 7 octobre 2023, les points de vue, l’analyse et la façon d’en parler se modifie… et ouvre à utiliser les dénominations autrement.
Le terrorisme est aussi le fait d’un État qui sème la terreur en bombardant les populations civiles. Et pourtant, il est rare d’entendre cette qualification dans les médias…
Sans s’aveugler sur la fragilité de la trêve et des négociations en cours, Le MAN croit fermement aux analyses qui ouvrent des espaces de résolutions, d’avancée… vers plus d’humanité. »
Xavier Dormont, porte-parole du MAN
Contact : Maeva Rougé, coordinatrice fédérale du MAN : man@nonviolence.fr
Nous diffusons sans retenue ce rapport de Terre de Liens sur l’état de l’agriculture en France. Il met parfaitement en lumière les absurdités d’une approche productiviste et exportatrice d’une agriculture qui aujourd’hui marche largement sur la tête. Nous ne cachons pas non plus notre inquiétude quand on voit les résultats des dernières élections professionnelles ainsi que l’adoption par le Parlement du projet de loi d’orientation agricole.
« À l’approche du Salon de l’agriculture et alors que la tension dans le monde agricole est toujours palpable, le Sénat devrait adopter mardi, la loi d’orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture.
Dans son 4ème rapport sur l’état des terres agricoles en France publié lundi 17 février, Terre de Liens révèle que la France a perdu la capacité à nourrir sa population. En l’état, la nouvelle Loi qui devrait être adoptée ne devrait qu’aggraver 75 ans de déconnexion politique entre agriculture et alimentation.
Avec un potentiel nourricier de 130 %, la France dispose en théorie d’assez de terres agricoles pour nourrir sa population. Mais dans son nouveau rapport sur l’état des terres agricoles, Terre de Liens révèle que cette prétendue souveraineté alimentaire est aujourd’hui réduite à une chimère politique. Tandis qu’elle exporte la production de 43 % de ses terres (12 millions d’hectares), la France importe aujourd’hui l’équivalent de 10 millions d’hectares de terres, la surface de l’Islande, pour notre alimentation. Dans ces conditions, en France, la surface de terres nourricières est réduite à 2 100 m2 par habitant, quand il en faudrait le double pour nourrir une personne.
Les pâtes illustrent l’absurdité de la situation : avec nos 250 000 hectares de blé dur cultivés chaque année, nous pourrions aisément produire 15 kg de pâtes par personne, surpassant la consommation moyenne de 8,5 kg/personne. Hélas, le blé produit sur deux tiers de ces surfaces est vendu hors de nos frontières et de nos estomacs. Résultat : la France importe trois quarts des pâtes et semoules qui nourrissent sa population.
Ou encore le lait. Tandis que Lactalis réduit sa collecte de lait de 9 % en France, laissant sur le carreau plusieurs centaines d’éleveurs laitiers, il n’a pas fait mystère de son intérêt pour le lait en poudre néo-zélandais, dont l’importation est facilitée par un récent accord de libre-échange.
La situation de l’agriculture française se résume en un triste palmarès : accro aux intrants importés pour produire en masse et tenir la cadence des exportations, la France ne cesse d’accroître ses importations pour remplir nos assiettes. Elles ont doublé en 20 ans.
D’un côté de la chaîne, les agriculteurs·trices crient leur désespoir d’un revenu indigne face à la concurrence mondiale. De l’autre, la précarité alimentaire des Français augmente et les conséquences de notre alimentation sur notre santé se chiffrent en milliards.
Dans son rapport, Terre de Liens dresse un état des lieux effarant : entre agriculture et alimentation, 75 ans de déconnexion politique ont conduit à la situation que nous connaissons aujourd’hui. À l’heure où la France entend se doter d’une loi d’orientation agricole pour “préserver” sa souveraineté alimentaire, Terre de Liens appelle le gouvernement à prendre acte que cette dernière n’est plus. Ce dont il s’agit aujourd’hui, c’est de mettre en cohérence production agricole et besoins alimentaires, de toute urgence. Les leviers sont éminemment politiques :
En l’état, la loi qui devrait être adoptée mardi passe à côté de son objectif : des terres et des agriculteurs·trices pour une souveraineté alimentaire préservée. Sans moyens sur l’enjeu de renouvellement des générations et de la résilience des fermes (le long terme qui devrait être central dans une loi d’orientation), elle a fait semblant de donner des gages aux agriculteurs•trices par un abaissement généralisé des normes qui ne règlera pas leur problème de revenu et consacre dans le même temps une vision de la souveraineté alimentaire calquée sur la balance commerciale de la France. »
RAPPORT :
SYNTHÈSE :
Dans notre dernière lettre en date du 7 janvier et intitulée « La xénophobie est à la mode », nous nous inquiétions de la banalisation du rejet et de la peur de l’autre. Certains des messages reçus après cette lettre nous confortent dans l’idée qu’il y a là une bataille politique à mener : celle de la question sociale, qui se préoccupe de l’égalité, contre la question sociétale, qui se préoccupe de l’identité. La décroissance a donc quelques pistes pour « grand remplacer » l’extrême-droite :
Si ces belles valeurs veulent pouvoir arriver à réellement contrer celles de l’extrême-droite, à cette époque de grande insensibilité politique, il faut se demander pourquoi aujourd’hui personne ne les écoute : c’est tout l’intérêt de réfléchir aux racines du mal : celle de la domination du régime de croissance, qui neutralise les effets du discours des valeurs par toute une série d’outils de dépolitisation (individualisme, neutralisme institutionnel, horizontalisme…)
Amitiés xénophiles renouvelées
Bon Pote
Actu-Environnement
Amis de la Terre
Aspas
Biodiversité-sous-nos-pieds
Bloom
Canopée
Décroissance (la)
Deep Green Resistance
Déroute des routes
Faîte et Racines
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JNE
La Relève et la Peste
La Terre
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Le Sauvage
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