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la Maison commune de la décroissance

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18.04.2024 à 11:20
Fleur Bertrand-Montembault
Lire plus (433 mots)

« Personne en France ne réclame un droit à la paresse » : c’est avec ces mots que Gabriel Attal s’est adressé à l’Assemblée Nationale lors de sa déclaration de politique générale. Réformes successives du chômage, baisse des montants et des durées de l’allocation, bénévolat contraint pour les bénéficiaires du RSA, requalification de Pôle Emploi en France Travail, remise en cause du congé parental, renforcement des contrôles… que ces mesures soient effectives, testées ou seulement annoncées par le gouvernement, elles vont toutes dans une même direction : « remettre la France au travail ». D’où une guerre contre le chômage qui se transforme en guerre contre les chômeurs : traque administrative, culpabilisation, responsabilisation individuelle… Le message est clair : celui qui ne travaille pas est un parasite social, celle qui ne travaille pas ne contribue pas à la vie de la société.

Mais peut-on vraiment considérer que ne pas travailler c’est « ne rien faire » ? Et quand bien même il arriverait à celles et ceux qui ne travaillent pas de « ne rien produire », devons nous continuer à propager l’idée que cela ne contribue pas à la vie sociale ? Que seules compteraient les activités productives et marchandes ?

Ce qui compte vraiment, ce sont les activités de reproduction sociale : celles qui permettent à la vie de la société de se perpétuer dans le temps, de se conserver et de se reproduire : les activités de soin, de subsistance, de lien, de partage… plus nous travaillons, moins nous avons de temps à y consacrer, plus ces activités sont remises aux mains du marché, et plus cela nous fragilise collectivement : c’est alors un effondrement social qui nous menace.

Alors oui, réclamons un droit à la paresse, comme nous y incitait Paul Lafargue dès 1880, ou comme le remet au centre de son programme le candidat imaginaire du livre Paresse pour tous

Le droit à la paresse, ça n’est pas un privilège réservé à une minorité qui a les moyens de « faire faire » (ses courses, son ménage, ses livraisons du resto thaï…), c’est une revendication sociale en faveur d’un droit inconditionnel au temps libre, que nous pourrions commencer à exercer en participant aux (F)estives 2024 de la décroissance, car s’extraire du travail c’est aussi retrouver du temps et de l’espace pour la discussion politique.

Amitiés anti-travaillistes

12.04.2024 à 09:33
Fleur Bertrand-Montembault
Texte intégral (1547 mots)

Le 4 avril 2024 était envoyée sur les listes d’Attac une lettre ouverte de la Commission Genre expliquant pourquoi elle cesse ses activités au sein d’Attac. Cet article exprime son soutien à ce qui est défendu par la Commission Genre dans son texte.

Si nous souhaitons publier sur notre site cette lettre ouverte de la Commission Genre d’Attac, c’est qu’elle recoupe nombre de nos préoccupations. D’abord, parce qu’elle pointe la dérive militante de plus en plus marquée de privilégier le « faire », « l’activisme » voire « l’action coup de poing » au détriment du travail d’élaboration théorique et de production d’idées. La MCD est née du MOC (Mouvement des Objecteurs de Croissance), justement parce que des « militants » décroissants de longue date faisaient l’analyse qu’un mouvement politique (ou social) sans outillage théorique et sans corpus commun ne pouvait aller bien loin dans le renversement du rapport de force, fut-ce en s’appuyant sur des convergences partidaires ou la multiplication des luttes locales et des alternatives concrètes : il fallait aussi mener la bataille des idées. Pourtant, combien de fois nous voyons-nous rétorquer quand nous exposons les raisons d’être de la MCD, que « oui d’accord c’est bien beau, mais quand même il faut agir » : réfléchir n’a pas bonne presse dans le monde militant, et la figure de l’intellectuel.le engagé.e et investi.e dans les combats de son temps par le travail des idées n’est plus une figure structurante du champ politique comme elle a pu l’être au XXème siècle. Le régime de croissance est profondément anti-intellectualiste et c’est l’une des hégémonies qu’il exerce sur la vie politique : l’injonction à faire plutôt qu’à discuter et à controverser.

Pourtant, nous ne défendons pas une posture « coupée du monde » mais revendiquons d’être des militant.es chercheur.es : il s’agit de conceptualiser la pratique de la décroissance, d’élaborer une pensée à partir des milieux. Pour cela, comme le souligne si bien la Commission Genre, il faut des espaces dédiés et des rencontres : en un mot il faut pratiquer la discussion, seul lieu permettant le travail d’élaboration et de production en commun d’une pensée collective et structurée, qui permette de défendre des positions collectives et partagées, tout en sachant les nuancer individuellement. À la MCD, ce rôle revient au groupe appelé « la Mutuelle ». À Attac, il est bien regrettable que la Commission Genre, qui incarnait cette possibilité, doive se résoudre à disparaître : cela en dit long sur le fonctionnement d’un mouvement, qui, sous couvert de pratiquer l’horizontalité absolue, instaure en réalité d’autres formes de pouvoir et d’autoritarisme, dont l’un des aspects est très justement souligné dans le texte : celui de la police du langage et des comportement, police que nous avons eue à subir lors de l’Université des Mouvements Sociaux 2023.

J’avais alors été passablement choquée par la multiplication des affiches (portes, couloirs, et même dans chaque toilettes ! ) nous incitant à nous débarrasser de nos comportement de domination (sexistes, validistes, racistes, grossophobes, transphobes…), à les repérer chez les autres, et à intervenir ou à prévenir « l’équipe oppression » en cas de besoin : cela m’avait révoltée, et j’avais beau partager de tout mon cœur la cause, je ne pouvais me résoudre à accepter ces méthodes « paramilitaires » digne d’une « brigade des mœurs » inversée !

Dans le même registre anxiogène, un document de repérage des mécanismes d’oppression avait été distribué.

J’avais alors commencé à écrire un texte intitulé « De retour des Universités des Mouvements Sociaux » qui aurait mentionné, entre autres, ce malaise qui m’avait poursuivi même après la fin de l’événement ; sans parvenir à trouver le ton juste, j’y avais renoncé : la police des comportements a des effets à long terme, jusque dans nos capacités à exercer notre esprit critique ou à en partager les analyses…

Par ailleurs, la Commission Genre inscrit sa pensée dans un courant large de luttes contres les systèmes de domination, dont le libéralisme est peut-être l’un des plus pervers, puisqu’il a réussi à convaincre que pour s’émanciper il fallait penser le monde à partir de soi : et de la libéralisation de la circulation des capitaux, qu’ordinairement « à gauche » nous dénonçons, nous voilà promotrices (règle de majorité) de la version sociale de ce « laisser faire économique » : légitimation de la prostitution, parcellisation et morcellisation des identités de genre, promotion de l’individualisme…

Nous espérons que le travail théorique de la Commission Genre pourra être poursuivi et visible en dehors d’Attac, et que de telles initiatives soulignant l’importance du travail de politique soit entendue… Aujourd’hui il est peut-être temps de clamer : penseur.es de tous les pays, unissez-vous !

10.04.2024 à 12:04
Rédaction
Lire plus (311 mots)

La semaine se divise en 2 moments : les rencontres et les réflexives :

  1. Les « rencontres », le mardi 16 et le mercredi 17 au jeudi 10 (arrivée possible dès le lundi 15 dans la journée) : la décroissance en est le thème général → cette année, nous consacrerons une première journée à partager des interrogations sur la question des limites. Si la décroissance est une opposition politique à l’illimitisme, alors il peut être fécond de a) présenter la notion d’espace écologique et b) de s’interroger sur nos rapports sociaux et politiques aux limites écologiques.
  2. Les (f)estives, du jeudi 18 au dimanche 21 (vers midi) : là, il y a un thème plus précis qui, cette année, est celui de «la décroissance et la question du travail ».

Pour bien lire le programme, cliquer dessus.

10.04.2024 à 12:04
Rédaction
Texte intégral (1497 mots)

La semaine se divise en 2 moments → les rencontres (2j) et les réflexives (4j) :

  1. Les « rencontres », le mardi 16 et le mercredi 17 au jeudi 10 (arrivée possible dès le lundi 15 dans la journée) : la décroissance en est le thème général → cette année, nous consacrerons une première journée à partager des interrogations sur la question des limites. Si la décroissance est une opposition politique à l’illimitisme, alors il peut être fécond de a) présenter la notion d’espace écologique (plancher-plafond) et b) de s’interroger sur nos rapports sociaux et politiques aux limites écologiques.
  2. Les « réflexives », du jeudi 18 au dimanche 21 (vers midi) : là, il y a un thème choisi qui, cette année, est celui de «la décroissance et la question du travail ».

Les inscriptions sont ouvertes.

Pour ces (f)estives 2024 de la décroissance, nous n’entamons pas un nouveau cycle comme pour les 6 (f)estives précédentes → parce que nous voulons creuser le sillon idéologique dans lequel nous plaçons la MCD :

  1. Pour la MCD, il y a une définition simple de la décroissance : c’est l’opposition politique à la croissance. Il nous faut donc creuser ce sillon politique.
  2. Pour la MCD, en définissant la décroissance comme opposition politique à la croissance, nous étendons très fortement (la critique de) la croissance : surtout ne pas la réduire au domaine de l’économie mais ajouter une critique culturelle (sur les modes de vie, les valeurs, les normes, les récits, les imaginaires) et aller un cran plus loin que cette critique culturelle : par une critique du « régime de croissance » comme dispositif politique de la modernité, comme dispositif libéral et néolibéral, dont l’hégémonie s’exerce par l’emprise de la « forme » horizontaliste, c’est-à-dire par la neutralisation institutionnelle de la question du sens de la vie, que ce soit au niveau individuel ou au niveau de la vie sociale.

Il s’agit donc toujours de poursuivre notre critique systémique de l’individualisme : non, au commencement, il n’y a pas des individus isolés et indépendants qu’il s’agirait de relier ; au commencement, il y a des relations et des interdépendances.

Les 4 jours de réflexives sont précédés de 2 jours de rencontres

  • Par rapport aux années précédentes, la logistique – dormir, manger – est maintenant commune et aux rencontres et aux « réflexives ». Le principe est toujours de participer collectivement à la cuisine et à la mise en place des repas.
  • Cela nous permet d’uniformiser les prix (indicatifs) des repas et des logements.
  • Les 2 jours de « rencontre » sont consacrés à des thèmes explicitement et fortement portés par la MCD.
  • Pendant les « réflexives », la MCD est davantage en position de fournir un support aux discussions (et aux controverses) plutôt que de présenter son corpus.
  • Pendant cette semaine, Sofian devrait encore une fois proposer de filmer une série de courtes interventions où chacun.e est encouragé.e à venir proposer son point de vue.

Informations pratiques

Covoiturage

Tableau des covoiturages proposés : cliquer sur le lien

Y aller

  • Où : à Saint-Dié (Vosges). A la MFR du Grand-Est , 88490 PROVENCHERES ET COLROY
    C’est ici.

→ Voiture : axe Saint-Dié / Strasbourg par le col de Saâles

→ ligne A08 : Strasbourg > Saâles > St-Dié-des-Vosges > Épinal (s’arrêter à la gare de Saâles)

→ Ligne L13 : Épinal / St-Dié-des-Vosges (Strasbourg)

→ Gare de Saâles à 400m (ligne St-Dié / Strasbourg)

https://www.ter.sncf.com/grand-est/se-deplacer/fiches-horaires

MFR de Saint-Dié (Vosges)

La participation financière

Inscription aux (f)estives : 15 € (Gratuit pour les moins de 14 ans et aussi pour les adhérents de la MDC qui assistent à leur première (f)estives).
Paiement : sur place, dès votre arrivée

ou

Paiement par chèque : à l’ordre de Maison commune de la décroissance, envoyé à Festives/c/ Véronique Rocher, 509 Le Bois 14200 Hérouville-St-Clair

Le logement

  • Nous disposons d’une quarantaine de lits dans le bâtiment (vous devez apporter votre sac de couchage), et nous avons obtenu l’autorisation pour des tentes.
  • Dans le bâtiment (12 € dans des chambres de 4-5 personnes et 15 € pour des chambres de 2 personnes max), ou en tente personnelle (6 € – prix indicatif mais déjà calculé au plus près) la nuitée par personne.

Les repas

  • Le repas :
    6,00 € par repas de midi et du soir (prix indicatif mais déjà calculé au plus près).
  • Nous disposerons de la cuisine en gestion libre : confection des repas et mise en place se font en auto-organisation.

Pour tout contact et informations complémentaires, contactez :
Fleur : 06 69 49 42 07
ou : contact@ladecroissance.xyz

Formulaire d’inscription

Vous pourrez vous inscrire en ligne (ci-dessous ou directement par framaform) ou nous envoyer par courrier le formulaire d’inscription (cliquer ici pour imprimer ce formulaire) à imprimer et à poster (Festives/c/ Véronique Rocher, 509 Le Bois 14200 Hérouville-St-Clair).

10.04.2024 à 12:04
Rédaction
Texte intégral (691 mots)

Une grande partie des polémiques sur cette question du travail provient d’un flou définitionnel. C’est pourquoi nous proposons à chacun.e de se livrer à deux petits exercices et de se poser une question :

Exercice 1 : dans la liste suivante, quel est le terme (on va le désigner par X, dans la suite) qui vous semble le plus général ?

Accouchement, activité, affaire, besogne, boulot, bricolage, business, corvée, emploi, entreprise, exercice, fonction, gagne-pain, industrie, job, labeur, métier, occupation, œuvre, opération, ouvrage, production, profession, tâche, turbin.   

Exercice 2 : quand on demande à un élève de terminale quels sont ses critères pour choisir une orientation, il y en a surtout deux : la vocation, le revenu. Si X est le terme que vous avez retenu dans l’exercice 1, alors on peut construire un tableau dans lequel en colonne on va trouver : X gratuit.e ou X rémunéré.e, et en ligne : X choisi.e ou X contraint.e. Comment alors remplir les 4 cases ?

Xgratuit.eRémunéré.e
choisi.e (choix délibéré)
contraint.e (lien de subordination)
Mais où est le travail ?

Une question : où placer les activités de soin, d’entretien de la vie sociale, de care, de subsistance, toutes ces « activités » qui sont assignées comme « travail des femmes » ?

Pour information, voici une liste d’antonymes de « travail » (source : cnrtl) : amusement, capital, chômage, congé, distraction, divertissement, délassement, désoeuvrement, grève, inaction, loisir, oisiveté, paresse, passe-temps, pause, repos, récréation, vacances.


Déjà sur le site de la MCD

Travailler moins pour vivre mieux, par Céline Marty
Peut-on encore chercher l’épanouissement dans des activités de production nécessairement destructrices des …
Travailler moins, travailler autrement ou ne pas travailler de tout, par Serge Latouche
Un précédent ouvrage de Serge Latouche, « L’abondance frugale comme art de vivre. …
Le revers de la médaille du néolibéralisme, entre productivisme et abrutissement…
Nous relayons ici la critique du film En attendant le carnaval car …
Travail
Le travail jouit d'un tel prestige dans nos mondes modernes que même …
06.04.2024 à 17:21
Michel Sourrouille
Texte intégral (2474 mots)

Les mots de la MCD. Nous publions cette prise de position de Michel Sourrouille pour au moins deux raisons. Premièrement, même si elle nous semble insuffisante, elle alimente parfaitement le débat que mérite la question pacifiste pour la décroissance. Nous avons déjà eu l’occasion d’écrire que ce débat mérite mieux que des caricatures, des simplifications, des révisions historiques… Il mérite des discussions avec des arguments et avec des principes, il mérite de la cohérence. Et là, dans ce texte, il y a deux principes forts – 1) le droit inconditionnel à l’objection de conscience, 2) « si tu veux la paix, prépare la paix » -, des arguments étayés historiquement et théoriquement, et des conséquences personnelles qui sont explicitement assumées. Pour le second principe, la discussion serait de savoir par quel type d’institution il pourrait être garanti, à moins de croire qu’il ne serait mis en oeuvre que par les bonnes volontés de tous et non pas par une instance au-delà des nations et de leurs nationalismes. Deuxièmement, la discussion permet à la MCD de dire pourquoi elle n’est pas totalement d’accord avec ce texte. D’abord, c’est que l’objection de conscience est un droit individuel : il ne s’agit pas de priver l’individu de droits, mais juste de prendre position sur une priorité à accorder à la vie sociale sur la vie individuelle (car on ne peut pas faire comme si la sphère individuelle et la sphère publique étaient totalement séparées, et c’est un peu ce que fait ce texte). A ne pas reconnaître une telle priorité, le risque est de se retrouver dans la position du passager clandestin = celui qui profite des bienfaits d’une collectivité mais en se dispensant d’en assumer sa part. Disons aussitôt que c’est plus compliqué que cela : car, en cas de conflit, assumer la position pacifiste d’être le seul à refuser sa collaboration mérite reconnaissance sociale. Ensuite, parce que reconnaître un droit individuel de résistance, c’est éviter de répondre à la question d’un droit collectif de résistance, c-à-dire la question de la défense face à un agresseur, et celle des moyens de cette défense. Suffit-il d’être « en paix avec sa conscience » pour bien vivre dans un monde en paix ? Ajoutons encore que c’est plus compliqué que cela : parce que défendre un idéal sans poser la question des moyens, c’est peut-être trop facile ; aussi parce que même individuellement, même pour se défendre, peut-on justifier de tuer un autre être humain ? Individuellement, ne faut-il pas toujours plutôt subir que commettre (c-à-dire se laisser tuer plutôt que de tuer) ? Enfin, c’est l’articulation entre la place de d’individu dans un collectif et les devoirs que cela implique qui nous semble trop peu abordée et cela a des conséquences directes sur ce que nous entendons par « décroissance » : a) la décroissance peut-elle faire reposer sa réalisation sur des pratiques individuelles qui relèvent, sinon de l’héroïsme, au moins d’une sorte d’exemplarité et donc de virtuosité ? Peut-on réduire l’action collective à la somme des actions individuelles ? b) A comprendre la décroissance du point de vue de l’individu, la réponse au dépassement des plafonds (écologiques et sociaux) ne va-t-elle pas se réduire à une critique du « trop nombreux » au lieu de s’attaquer aux modes de vie, à ses imaginaires et à ses valeurs ?

Se déclarer objecteur de conscience est un droit fondamental. L’objection au service militaire repose sur l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui garantit le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ou de conviction. En France, le statut légal de l’ « objecteur de conscience » a été créé en 1963 pour les jeunes se déclarant opposé à l’usage personnel des armes pour des motifs de conscience. Cela faisait suite aux oppositions à la guerre d’Algérie. J’ai obtenu ce statut en novembre 1971. Le jugement d’Albert Einstein me semblait aller dans le bon sens :

« La pire des institutions grégaires se nomme l’armée. Si un homme peut éprouver quelque plaisir à défiler en rang au son d’une musique, il ne mérite pas un cerveau humain puisqu’une moelle épinière le satisfait. Je hais violemment l’héroïsme sur ordre, la violence gratuite et le nationalisme débile. Je soutiens que le moyen violent du refus du service militaire reste le meilleur moyen. »

Je croyais naïvement à l’époque que j’étais à l’avant-garde d’un mouvement pacifiste qui allait nous transformer en cosmopolites de tous les pays : fini les guerres tribales entre nations artificiellement institutionnalisées. La fin de la guerre froide allait permettre un désarmement assumé internationalement. A mon grand étonnement les puissances nucléaires ont continué à faire comme si de rien n’était et l’ordre international n’a jamais été assuré par l’ONU. En 1947, le Japon introduisait dans sa Constitution un article par lequel il « renonce pour toujours à la guerre en tant que droit souverain de l’État et à la menace ou l’emploi de la force comme instrument pour résoudre les conflits internationaux ». Mais les « forces d’autodéfense », institutionnalisée en 1954, sont peu à peu devenues une armée à part entière. Adoptée en 1949, le préambule de la Loi fondamentale de la République fédérale d’Allemagne stipule que le « peuple allemand » est « animé de la volonté de servir la paix du monde ». Mais le chancelier Olaf Scholz a affirmé, en juin 2022, que la hausse des dépenses militaires allait conduire l’Allemagne à avoir « la plus grande armée conventionnelle d’Europe ». Car aujourd’hui, depuis février 2022, il y a cette guerre absurde de Poutine en Ukraine qui entraîne un réarmement international. Les pacifistes ont désormais mauvaise presse, ils sont accusés d’être des bisounours inconscients des réalités d’un monde militarisée et violent. Pire, ils sont devenus inaudibles. La Suède vient de rejoindre en mars 2024 l’Alliance atlantique et se remilitarise à marche forcée. Le gouvernement a même supprimé les aides aux organisations œuvrant pour la paix et le désarmement. En France le président Macron pouvait dire le 14 mars 2024 : « La guerre est à nos portes, il y a entre Strasbourg et Lviv moins de 1 500 kilomètres. Nous devons donc être prêts sans rien exclure, pas même le déploiement de militaires français sur le territoire ukrainien. » La guerre de Poutine fait peur. Donc on ne valorise que le principe « si tu veux la paix, prépare la guerre » sans aucune considération du principe alternatif « si tu veux la paix, prépare la paix. » Depuis la colonne de tanks russe vers Kiev, il n’y a plus de place pour la complexité, on se comporte comme si l’Allemagne, la Suède, la France… avaient été attaqués et qu’aucune divergence d’opinion ne pouvait être tolérée.

Alors, faut-il rester objecteur de conscience malgré une opération spéciale lancée par Poutine qui a tourné à la guerre de tranchées ? II serait dangereux de se laisser aller à un antimilitarisme sommaire : un peuple a le droit et le devoir de se défendre contre une agression extérieure. Il ne suffit pas de dire comme John F Kennedy : « La guerre existera jusqu’au jour lointain où l’objecteur de conscience jouira de la même réputation et du même prestige que ceux du guerrier aujourd’hui. » Restons pragmatique. Selon les militaires férus de stratégie rétroactive, les Alliés auraient du réagir très vite, dès que furent connus les préparatifs guerriers du Kremlin. Si les membres éminents de l’OTAN avaient décidé de déployer aussitôt des armes nucléaires tactiques sur le territoire ukrainien, cette démonstration aurait calmé les ardeurs belliqueuses du maître du Kremlin en l’empêchant de foncer vers Kiev. En conséquence quelques dizaines de milliers d’Ukrainiens et de Russes seraient encore en vie. C’est là une illustration du principe « si tu veux la paix, prépare la guerre ». Un principe inopérant. La preuve, le jour de Noël 2023 la Biélorussie avait fini d’installer dans ses arsenaux les armes nucléaires promises par Poutine en mars 2023. Le dictateur de ce pays, Alexandre Loukachenko, s’est empressé de déclarer : « Tout est à sa place, prêt à être utilisé. » L’hiver nucléaire est toujours une possibilité. L’histoire des conflits armés montrent que les belligérants font tant qu’ils le peuvent preuve de surenchère, y compris aux prix de millions de morts.

A mon avis le principe le plus fiable reste donc celui des non violents : «  Si tu veux la paix, prépare la paix. » Si les Ukrainiens avaient laissé les chars russes arriver à Kiev sans intervenir, un gouvernement pro-Poutine aurait été mis en place, mais il n’y aurait eu aucun mort. Certes une dictature peut perdurer, mais cela ne dure que si les citoyens font preuve de soumission volontaire. Aucune dictature n’est éternelle, d’autant plus qu’elle repose le plus souvent sur une seule personne. Hitler, Staline ou Poutine n’ont que leur temps, ils ne maîtrisent pas l’avenir. Le problème n’est donc pas l’absence temporaire de démocratie réelle dans un pays, mais l’inertie des peuples. Combien de Navalny en Russie ? Les militaires ont le pouvoir parce qu’ils sont institutionnalisés, ce sont les citoyens qui payent des impôts pour les équiper et les nourrir. On pourrait refuser de payer les impôts qui vont au budget militaire. Une population d’objecteurs de conscience ne se laisserait pas faire, elle aurait la capacité de résister à toute situation imposée à mauvais escient. Une armée composée d’individus qui déterminent par eux-mêmes pour quoi et pour qui il faut se battre ne pourrait être utilisée par aucun pouvoir politique. Un pays œuvrant pour la paix et non pour la guerre n’aurait pas besoin d’armée. Avec des citoyens profondément objecteurs de conscience, nous n’aurions pas en France suivi les fantasmes de gloire de Napoléon, nous ne serions jamais intervenus militairement en Indochine ou en Algérie, nous n’aurions pas envoyé des supplétifs en Afghanistan ou en Côte d’Ivoire, ni des avions sur la Libye, ni intervenus au Mali. La France aurait été un pays déterminant au niveau international pour éliminer toutes les armées et construire une paix durable.

La non violence intégrale de René Dumont, né en 1904 et premier des candidats écologistes à la présidentielle de 1974, est pour moi une référence incontournable. Le pacifisme constituait son seul dogmatisme. En toutes circonstances, il est contre les guerres, y compris dans des cas limites comme la guerre contre l’Allemagne nazie ou quand un ses chers peuples du tiers-monde se soulève. Nazisme ou pas, la guerre lui apparaissait comme l’ennemie numéro un. Il s’abstiendra complètement pendant la Deuxième Guerre mondiale. Lui, le militant antifasciste, se retire dès qu’il faut prendre une arme, même pour son camp. Quelle que soit sa « compréhension » des révoltes, l’agronome en appelle systématiquement à des stratégies non-violentes à la Gandhi. Il signe à tour de bras les manifestes pacifistes et anticolonialistes, comme celui des 121 contre la guerre d’Algérie en 1960. Faire la moindre concession à la guerre revient pour lui à encourager son développement.  « La guerre est un crime organisé, les militaires en sont les ordonnateurs et les bras. »  Ses diatribes montrent la force de ses convictions :

« Les militaires sont la plus grande source de gaspillage, ils gaspillent du travail, de l’espace, de l’énergie, des minéraux rares, ils polluent les airs et les eaux… Il en coûterait cinq fois moins pour protéger la planète que pour continuer à préparer sa destruction… Réduction des dépenses d’armement jusqu’à leur intégralité. »

Lors de son enterrement le 19 juin 2001, la dernière volonté de René Dumont consista à faire entendre « Le Déserteur » chanté par Boris Vian. J’aimerais que son message de refus des armées puisse être entendu par les écologistes du monde entier, et par tous les citoyens, qu’ils soient Français, Russes, Ukrainiens…

Je précise quand même ma pensée profonde. Je reste opposé à l’usage des armes, mais au niveau collectif seulement. Personnellement je veux conserver mon droit individuel à me défendre arme contre arme ; l’État ne peut m’imposer le sacrifice de ma vie en toutes circonstances, ou un cambrioleur menacer ma famille. Mon commentaire à destination du monde.fr à propos de la guerre en Ukraine a été censuré plusieurs fois par la « modération » du journal. Pourtant mon point de vue me paraît justifié et publiable:

«Bien qu’objecteur de conscience, si je vivais dans l’Allemagne nazie, j’essaierai de tuer Hitler. Si je vivais en Russie… Le refus de l’usage collectif des armes n’empêche par le réalisme : depuis La Boétie en l’an 1576, on sait que le pouvoir des dictateurs ne résulte que de la servitude volontaire des dirigés. Si les apprentis tyrans savaient qu’ils sont à la merci de n’importe lequel de leurs soutiens, ils feraient en sorte de modérer leur décision et l’idée d’envahir l’Ukraine ne leur effleurerait même pas l’esprit. »

Aujourd’hui je reste objecteur de conscience, mais je suis aussi devenu objecteur de croissance, pour la décroissance du niveau de vie de tous ceux qui vivent à l’occidentale, pour la décroissance démographique dans tous les pays, et pour la décroissance des armées…

Michel Sourrouille

27.03.2024 à 16:45
Michel Lepesant
Texte intégral (826 mots)

A la MCD, nous défendons l’idée que la mouvance décroissante dans sa diversité repose sur un noyau idéologique commun dans lequel nous trouvons des politiques d’autolimitation, de la vie sociale et de la dépense. Cette position politique est quelquefois caricaturée comme une forme de dogmatisme ; à quoi nous répondons a) qu’il ne s’agit pas de nier qu’il y ait des variations dans la décroissance mais que nous n’arrivons pas à imaginer des variations sans invariant ; b) que cette image d’un cadre est associée à celle de rayons émergeant de ce noyau ; mieux, ces rayons peuvent même être diamétralement opposés, ils peuvent quand même constituer des trajectoires de décroissance.

C’est là que nous nous posons en ce moment la question du pacifisme : bien sûr à cause des guerres de colonisation dont l’Ukraine et la Palestine sont aujourd’hui les victimes. Comment ne pas faire un « deux poids, deux mesures » ? Comment condamner inconditionnellement toute agression d’un État contre un peuple, agression caractérisée sans aucune ambigüité par le mépris de frontières internationalement définies ?

Il est facile de montrer que l’exigence de la paix peut se déduire du noyau de la décroissance : parce qu’il n’y a de paix que dans l’autolimitation et que l’illimistisme est une forme de violence, parce que la vie sociale ne peut s’entretenir que dans et par la paix, parce qu’une politique socialisée de la dépense est précisément une forme de canalisation sociale de la violence.

Mais de quelle paix va-t-il s’agir ? Juste de la paix ou de la paix juste 1 ?

Dans le premier cas, la paix signifie juste la fin des hostilités : mais de quels types d’hostilité s’agit-il alors ? Dans le second cas, la paix suppose un jugement de valeur à double face, bénéfique pour l’agressé, punitif pour l’agresseur.

La difficulté redouble quand on se rappelle la critique marxiste dirigée contre la simple déclaration de droits formels : car c’est bien beau de proclamer une valeur et de crier « paix, paix » en sautant comme un cabri, mais si les conditions matérielles et juridiques de réalisation ne sont pas garanties, alors il n’y a là qu’abstraction, bourgeoise, c’est-à-dire une loi du plus fort déguisée en moralisme.

La difficulté triple quand on rappelle que dans ces questions internationales de « guerre et paix », il n’y a pas d’arbitre. Dans un sport collectif, c’est l’arbitre qui décide s’il y a faute ou non, s’il y a but ou non. Et dans ce cas, comme il vaut mieux un mauvais arbitre que pas d’arbitre du tout, alors la paix ne va pas dépendre d’un arbitre juste, mais juste d’un arbitre.

Mais la guerre n’est pas un sport collectif, c’est un rapport de forces.

Et un rapport de forces, ce n’est pas simplement un rapport matériel entre des forces matériellement définies, c’est un affrontement entre les forces des moyens  matériels et les forces de l’idéal.

En tant que décroissants, c’est donc la paix juste que nous défendons.

Méfions-nous alors de ces pacifistes hémiplégiques qui crient si fort leur désir de « paix à tout prix » qu’ils oublient que ce prix est payé par des humain.e.s. Car dans ce cas, ils ne défendent ni la décroissance ni le pacifisme.

Heureusement, le pacifisme a suffisamment de profondeur historique et théorique pour ne pas être inquiété par ce genre de diversion et d’appropriation usurpatoire. Mais ce n’est pas le cas pour la décroissance qui n’a pas cette profondeur, ni historique ni théorique ; surtout quand elle est aujourd’hui parasitée, pour des raisons électoralistes, par des fumées révisionnistes et complotistes.


Les notes et références
  1. Référence à un Propos du philosophe Alain, du 18 avril 1923 et qui commence par : « Où donc la justice ? »
19.03.2024 à 14:31
Bruno Barbay
Texte intégral (760 mots)

Le mot de la MCD : l’Abécédaire de la décroissance, publié en août 2021, fut le premier livret de notre collection auto-éditée « Mais Comment Décroître » dont vous pouvez acheter les différentes éditions sur notre librairie en ligne. C’est un livret écrit collectivement par certains des membres de la Mutuelle de la décroissance : l’un des deux groupes (avec la Coopérative) constitutif de la MCD. La Mutuelle est un outil de discussion politique, dont l’objet est de co-produire du commun décroissant pour apprendre ensemble, pas à pas, mot après mot, à parler dans un langage commun s’appuyant sur une argumentation fondée factuellement et sur un raisonnement articulé, et donc communément audible? Car sortir de l’invisibilité passe par sortir du brouillard intellectuel qui entoure la décroissance. Discuter, c’est faire ouvrage collectivement afin que nos débats politiques soient l’occasion de construire une pensée décroissante qui puisse être à la fois portée et défendue collectivement, et argumentée et nuancée individuellement, parce qu’elle aura été co-construite et partagée. Pourquoi avoir commencé par écrire un Abécédaire ? Parce que le préalable à toute bonne discussion, c’est la définition des termes : en plus d’une langue commune, il faut savoir de quoi on parle. Alors dans cet Abécédaire, se côtoient Alimentation, Zoo, Émancipation, Féminisme, Obésité, YouTube…. Bonne écoute !

Vous trouverez ici-bas les liens vers les émissions « Commun Lundi » de Radio Albigès qui diffuse les enregistrements de l’Abécédaire. J’avais l’idée de produire une petite chronique radiophonique régulière sur les activités de la MCD et le format était idéal ! Ma proposition de lire un article de l’Abécédaire chaque semaine ayant été rapidement retenue par la radio, elle l’a programmée dans l’émission « Commun Lundi » (RDV d’actualités locales et nationales avec des reportages et des messages d’auditeurs et auditrices). J’ai donc commencé les enregistrements de ma voix avec un micro prêté par la radio et je me suis installé mon petit « home studio » dans mon grenier. Avec ma petite bande, j’ai proposé de bosser un jingle mais aussi de varier les voix, et on entend donc celles de Charlotte, Marie, Sam, Ugo…

Vous pouvez donc désormais écouter tous les lundis sur Radio Albiges, ou sur le site de la MCD en décalé, ces petites lectures hebdomadaires, piqûres de rappel des réflexions décroissantes ! Et qui sait si l’aventure ne se prolongera pas avec l’Abécédisme en cours d’écriture ?!

Bruno Barbay, en direct d’Albi.

Lundi 11 mars « Effondrement » à partir de 41:36

Lundi 04 mars 2024 « Démographie » à partir de 41:10

Lundi 26 février « Convivialité » à partir de 42:38

Lundi 19 février « Autonomie » à partir de 36:23

Lundi 12 février « Bonheur » à partir de 52:25

Lundi 22 janvier « Alimentation » à partir de 1:00:58

04.03.2024 à 10:29
Rédaction
Texte intégral (816 mots)

Proposition politico-culturelle : concourons à la décolonisation de nos imaginaires par un exercice de style sur une forme ancienne, la nouvelle.

Préambule

Toujours déterminé.es à privilégier tout ce qui pourra nous inciter à décoloniser nos imaginaires et à nous écarter des récits de l’idéologie de la croissance et son monde, nous vous proposons cette année encore de participer à notre concours de nouvelles, an 3.

L’idée, c’est de réfléchir à de « nouveaux récits », ceux de la décroissance. C’est parce que l’on souhaite la décrue après l’inondation, la décolonisation après le pillage, le repos après l’agitation, le retour du sens après l’absurdité… que la décroissance est toujours une bonne nouvelle !

En s’appuyant sur l’intuition de l’Oulipo (selon qui des contraintes formelles ne brident pas la liberté d’écriture), la Maison commune de la décroissance (MCD) vous invite à écrire.

Alors à vos claviers ou à vos pupitres !

UtoPistes d’écriture

Vous devrez commencer et finir votre nouvelle ainsi :

Intro

« Moi les élections j’y crois plus beaucoup.

– Eh bien moi, je m’intéresse quand même à la politique, d’abord parce que je suis décroissant / décroissante et qu’on ne peut pas défendre la décroissance sans faire de politique.

– Ohlala ça sonne bien ce que tu dis, mais je sais pas….Déjà avant le Covid j’y croyais moyen au changement, mais après qu’on nous a promis que « rien ne serait plus jamais comme avant » dans « les mondes d’après » alors qu’en réalité tout est mille fois pire, je ne vois pas comment vous pouvez encore espérer convaincre de la décroissance en 2024 ? »

[…]

Final : Vous m’avez convaincu / convaincue.

L’une, au moins, de ces trois objections doit obligatoirement se retrouver dans la nouvelle :

  • ça sert à rien, faire de la politique c’est parler dans le vide, personne n’écoute.
  • De toute façon, c’est irréalisable !
  • En plus la décroissance ça sera triste pour tout le monde.

Règlement du concours de nouvelles organisé par la MCD

Article 1 Date limite d’envoi

Les textes devront être envoyés avant le 15 MAI 2024 soit :

Maison commune de la décroissance

Chez Véronique Rocher, 509 le Bois, 14200 Hérouville Saint-Clair

Article 2 Format du récit

  • Le texte devra faire entre 8 000 et 14 540 caractères espaces compris (plus ou moins 10%).
  • Le logiciel des textes envoyés par mail devra être OpenOffice/LibreOffice ou à défaut via l’ogre Microsoft et son Word.
  • Le texte aura obligatoirement un titre qui figurera sur la première page, accompagné du nombre de caractères.
  • Format : A4 recto verso avec 2,5 cm de marge à droite et à gauche, en haut et en bas.
  • Police : Times New Roman 12
  • Au texte sera jointe une feuille comportant le nom et le prénom de l’auteur/autrice ainsi que ses adresses postale et électronique. 

Tout le monde peut participer au concours.

Article 3 Membres du jury 

Le jury est constitué d’adhérent.es de la MCD. Il est souverain.

Article 4 Gratifications

Le ou la lauréat.e du concours sera invité.e aux prochaines (F)estives 2024.

En fonction du nombre de textes, les nouvelles classées aux premières places et/ou recevant des prix spécifiques (par vote au jugement majoritaire) seront éditées dans un livret de la Maison commune de la décroissance.

Vous pouvez retrouver ici les nouvelles sélectionnées en 2022, et ici les nouvelles sélectionnées en 2023

1https://www.oulipo.net/ 

03.03.2024 à 10:25
Michel Lepesant
Texte intégral (2160 mots)

Atte Oknasen, citoyen franco-finlandais, a publié il y a quelques mois un livre dans lequel le terme de « décroissance » n’apparaît jamais mais qui attire quand même l’attention, au moins par son titre : Le bien-être, un projet politique (aux éditions Utopia, nov. 2022).

En effet, le bien-être n’est-il pas l’une des réponses possibles à la question : « pourquoi décroître ? ».

A la MCD, nous ne faisons pas mystère que nous nous opposons frontalement à la réponse « déterministe »1, celle selon laquelle, la décroissance serait inévitable, nécessaire, inéluctable… Dans la même veine, nous ne sommes pas certains qu’il soit très habile de présenter le choix pour la décroissance comme un choix entre une décroissance subie et une décroissance choisie : car ce qui est subi, c’est la croissance, ce n’est pas la décroissance ; dit autrement, une décroissance qui n’est pas démocratiquement choisie devrait se trouver un autre nom.

Par conséquent, défendre la décroissance, c’est le faire pour de « bonnes raisons ». Et dans ce cas, le bien-être paraît une réponse tout à fait désirable.

  • D’où la définition acceptable de la décroissance comme « réduction planifiée démocratiquement de la production et de la consommation, pour retrouver une empreinte écologique soutenable, pour réduire les inégalités, pour améliorer la qualité de la vie ».
  • C’est dans cette veine que l’économiste Éloi Laurent après avoir distingué « trois écoles de sortie de la croissance : la décroissance (degrowth), l’économie du donut (doughnut economy) et l’économie du bien-être (well-being economy) » va jusqu’à écrire qu’« on peut regrouper ces trois courants sous l’appellation « post-croissance » ou « économie du bien-être » »2.

*

Voilà donc pourquoi ce livre qui propose une « révolution du bien-être » est tout à fait sympathique. Il se compose d’une introduction, de trois chapitres et d’une conclusion.

L’introduction essaie d’expliquer pourquoi la Finlande arrive en tête du Rapport mondial du bonheur publié tous les ans par l’ONU. L’auteur en retient 2 :

  1. Les finlandais recherchent moins le « bonheur » que le « bien-être ». S’en suit une définition de ce « bien-être » sous la forme d’un agrégat : « c’est le fait d’être bien avec soi, avec les autres. C’est la cohésion sociale, l’égalité, l’équilibre de vie ». C’est aussi la non-destruction de la planète, l’équilibre entre l’humain et la nature » (p.17). « Le terme évoque une forme de sobriété et d’harmonie, y compris avec la nature » (p.47).
  2. Les finlandais croient encore au progrès social.

Il en déduit que « le monde entier peut s’en inspirer » pour porter une révolution du bien-être. D’autant qu’il précise bien qu’il « s’agit d’un acte collectif et donc politique. Il s’agit de sortir le bien-être de la sphère purement privée pour en faire un objet politique » (p.19).

Le premier chapitre est consacré à répéter cette politisation du bien-être. Son argument principal semble être que le système actuel – le « néolibéralisme, qui est en gros le capitalisme poussé à son extrême » (p.27) – « nous rend malheureux » (p.34).

C’est pourquoi, au lieu de suivre le néolibéralisme qui fait « reposer la responsabilité du bien-être de chaque individu sur l’individu lui-même » (p.38), pour Atte Oksanen, « nos sociétés ne pourront pas avancer vers le bien-être si nous ne consolidons pas les cadres collectifs qui nous protègent » (p.40).

Le deuxième chapitre liste les 7 « droits du bien-être » qui font de la Finlande le « pays du bonheur » (p.42).

  1. Le droit à un équilibre de vie (égalité hommes-femmes et vie de famille).
  2. Le droit à un environnement sain (particularité finlandaise, le « droit d’accès à la nature », jokamiehenoikeus).
  3. Le droit à une juste redistribution des richesses (consentir à l’impôt).
  4. Le droit à l’éducation (gratuité, autonomie).
  5. Le droit au logement.
  6. Le droit à la santé.
  7. Le droit à une démocratie saine et représentative (proposition citoyenne de loi, forte syndicalisation.

Le dernier chapitre se propose de réfuter les « trois mythes » qui feraient de la Finlande une exception et empêcheraient de croire à « l’exportation de cette révolution du bien-être » (p.63) :

  1. Le mythe de la taille de la population : le problème français serait plutôt celui de sa centralisation.
  2. Le mythe de la diversité de la population. Mais la Suède est comparable à la Finlande et pourtant 19,5% de sa population est née à l’étranger.
  3. Le mythe « culturel » : mais en Finlande, l’égalité hommes-femmes est plus important qu’en France, les violences conjugales y sont nombreuses…

L’auteur peut alors dans sa conclusion plaider en faveur d’une « Révolution française du bien-être ».

  • D’abord parce que la France a des atouts : paysages, climat tempéré, art de vivre… (p.73).
  • Surtout parce qu’elle dispose de marges de progression : retrouver une imposition des ultra-riches, repartir dans une politique d’investissement des services publics : éducation, petite enfance…, installer une politique du bien-être (horaires et conditions de travail, environnement sain, démocraties participative, représentative et directe.

*

Si nous devions formuler des réserves, elles seraient de 2 ordres :

Premièrement, la comparaison avec la Finlande et de façon plus large avec les autres pays nordiques (Danemark, Norvège, Suède) est-elle aujourd’hui encore pertinente. Comment en effet ne pas constater les dernières victoires électorales de l’extrême-droite dans l’Europe du Nord (et on peut y ajouter les Pays-Bas, et l’Islande fait exception) ? Avec les participations de partis démocratiquement infréquentables dans les gouvernements : en Finlande, le Parti des Finlandais (ex-Vrais Finlandais) est au gouvernement ; depuis octobre 2022, le parti d’extrême droite les Démocrates de Suède soutient le gouvernement ; en Norvège, le Parti du Progrès a fait partie de la coalition au pouvoir avec le Parti conservateur entre 2013 et 2020. Malgré des différences idéologiques, toutes ces formations nationalistes convergent autour d’une conception nativiste et anti-immigration. Et au Danemark, les sociaux démocrates sont revenus au pouvoir en adoptant le langage de l’extrême-droite sur l’immigration.

D’où une interrogation : en quel sens ce qui a pu être un modèle nordique de politique du bien-être a pu être l’une des causes de cette droitisation ? Ou, sans être une cause, ce modèle n’a pas su faire barrage, pourquoi ?

Seconde réticence, plus politique, plus théorique, plus conceptualisée : attention à ne pas trop s’enthousiasmer devant l’exemple finlandais. Une politique décroissante doit-elle vraiment juger qu’une « politique du bien-être pour tou.te.s » est inspirante ?

Car une politique qui défend le « bonheur de tous » (p.25) ou le « bonheur commun » (p.26) a déjà un nom, c’est l’utilitarisme.

D’où l’extension de mon interrogation bien au-delà de ce bref ouvrage. Dans quelle mesure la décroissance devrait accepter de se laisser définir comme un courant de l’économie du bien-être ?

  • Parce que ce serait malheureusement réduire la décroissance à une politique économique. alors que la critique décroissante s’étend bien au-delà de l’économie. D’abord au « monde » et de ce point de vue, l’objectif du bien-être permet en effet de reprocher au monde actuel d’être un monde du malheur.
  • Mais quand la décroissance assume d’être une critique politique, elle doit en venir à se demander pourquoi ses meilleurs arguments ne lui permettent pas d’obtenir une « hégémonie culturelle ».
  • Je suggère alors d’étendre la critique contre la croissance pour y voir bien plus d’une économie ou un modèle social mais un régime politique.
  • Et ce régime politique est intrinsèquement libéral au sens où le libéralisme est cette doctrine politique dont toutes les variantes possèdent un noyau commun, celui d’une injonction à la neutralité institutionnelle, ce qui signifie que les institutions doivent d’un côté maximiser les conditions matérielles et juridiques pour permettre à chaque citoyen de disposer de sa conception privée du bien-être et d’un autre côté ces institutions doivent (prétendre) rester neutres quant à la valeur de ces conceptions privées.
  • De ce point de vue-là, malheureusement le livre d’Atte Oksanen est insuffisamment fondé : s’il défend bien une définition politique du bien-être commun – et en ce sens, c’est de l’utilitarisme – il n’empêche que l’imprécision règne quant à savoir jusqu’où des politiques publiques doivent descendre dans les vies privées : car si ces politiques affichent une neutralité au moment de juger les modes de vie, alors elles seront libérales-compatibles.
  • Patrick Viveret le reconnaît d’ailleurs dans sa préface : il veut bien critiquer le néo-libéralisme mais à condition de préserver les « acquis du libéralisme politique et culturel » » (p.8).
  • De telles démarcations entre libéralisme et néolibéralisme, entre libéralisme et utilitarisme, sont-elles politiquement fondées si l’on veut échapper à l’emprise du régime de croissance : il faut se poser des questions.

Au moins une : quelle est la cohérence politique qui est défendue dans ce livre ? Peut-on vraiment défendre un idéal libéral mais anti-néolibéral ? Ce livre s’appuie sur une critique utilitariste du néo-libéralisme (parce qu’il nous rend malheureux alors que nous devrions chercher collectivement le bien-être) alors qu’il faudrait une critique anti-utilitariste du libéralisme (qui défend une conception neutre du bien-être alors que nous cherchons collectivement une vie sensée).

Dans sa pièce de théâtre, Nekrassov, créé au Théâtre Antoine en 1955, Jean-Paul Sartre écrivait deux répliques célèbres : « Il ne faut pas désespérer les pauvres » et « Désespérons Billancourt ».

La contraction des deux a inventé une formule devenue fameuse : « Il ne faut pas désespérer Billancourt. » Aujourd’hui, une décroissance politique doit se demander, à lire ces critiques de la croissance mais aussi défenseurs du bien-être (et du donut) : « Faut-il désespérer les post-croissants » ?


Les notes et références
  1. Cette opposition est explicitement défendue comme « conclusion provisoire » de la fin de la première de La décroissance et ses déclinaisons (Utopia, juin 2022), première partie consacrée à dénoncer les « clichés et malentendus » qui brouillent la portée politique de la décroissance.
  2. Éloi Laurent, Économie pour le XXIe siècle, Manuel des transitions justes (2023), La Découverte, p. 187 et p.190.
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