Michel Lepesant
A condition de ne pas la prendre pour une comparaison parfaite, une analogie a des vertus pédagogiques quand elle facilite une compréhension en rapprochant une idée difficile ou nouvelle avec une idée facile ou ancienne.
Je propose donc de faire une analogie entre la permaculture et la politique. Surtout pas parce que la politique devrait trouver dans notre relation à la nature un modèle à imiter pour notre relation à la société. Le fil de l’analogie, ce n’est pas la nature, c’est la permanence.
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Tel est donc le fil de mon analogie entre permaculture et politique : ce que j’appelle « permapolitique », c’est la politique au soin de la vie sociale. Et qu’est-ce que je mets au bout de ce fil ? Le principe du zonage.
→ En permaculture, il s’agit de distinguer 5 zones, de celle qui demande le plus de soin et d’intervention humaine jusqu’à une zone sauvage.
→ L’analogie permapolitique consiste surtout à définir une zone 5 à partir de 2 caractéristiques : politiquement, c’est la moins fréquentée, mais c’est la plus stratégique.
« C’est la zone politique la moins fréquentée » : je contredis là ce que j’écrivais en 2012 dans Politique(s) de la décroissance (Utopia) quand je plaçais en équilibre les « 3 pieds de l’objection de croissance ». Entre temps, je me suis quand même aperçu qu’il ne s’agissait plus d’objecter à la croissance mais de décroître, c’est-à-dire de repasser sous les plafonds de l’insoutenabilité écologique, et j’ajoute « et de l’insoutenabilité sociale et démocratique ». Autrement dit, des 3 pieds, celui des alternatives, celui de la visibilité politique et celui du projet, il y en a un qui est maltraité : le pied de la théorie est le pied bancal de la décroissance politique[4].
« C’est la plus stratégique » : je reprends ce terme de « stratégie » d’une remarque décisive formulée par Virginie Maris dans La part sauvage du monde (2018, Seuil). « Il ne s’agit pas de réduire la « vraie » nature à sa part sauvage, en négligeant du même coup la nature ordinaire. Mais il y a dans cette part sauvage un extrême – sinon un extrémisme – qui doit éviter de lentement laisser filer nos exigences » S’il ne faut pas partir de la nature ordinaire mais de la nature sauvage c’est parce que « les individus ont tendance à ne pas désirer beaucoup plus que ce qu’ils peuvent obtenir. Ce phénomène d’ajustement des préférences aux conditions réelles est dynamique. Du coup, lorsqu’on se trouve dans une situation qui se dégrade progressivement, on s’habitue à des choses qui auraient semblé inacceptables si elles étaient intervenues brusquement » (p.194).
Pour que ces 2 caractéristiques ne se contredisent pas, je précise que je ne suis pas en train de dire que la zone 5 de la permapolitique doit stratégiquement devenir la plus fréquentée ; je dis juste que quand il va s’agir d’évaluer la politisation des 4 premières zones, il ne faudra pas le faire à partir de la zone 1 (sinon de la zone 0, dans certaines approches du zonage) mais à partir de la zone 5. Celle de la radicalité, celle de la philosophie politique, celle qui ne cède pas à l’injonction de l’activisme précipité, ce qui lui évite de basculer dans les 2 extrêmes de la facilité : l’intransigeance (celle de l’entre-soi, celle des « communautés terribles ») et l’adaptation (fut-elle « radicale » !).
Avant d’en venir à évoquer chacune de ces 5 zones, je précise encore que :
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Je propose maintenant d’utiliser cette graduation des 5 zones de la permapolitique pour jeter un coup d’œil sur 2 programmations estivales : celle de Décroissance, le Festival[12] et celle des Résistantes[13].
Je commence par le survol du premier jour de Décroissance, le Festival :
Si on en reste à ce survol, Décroissance, le Festival s’est surtout cantonné aux 3 premières zones : beaucoup d’écologie individuelle, quelques alternatives concrètes, du « faire nombre » dans l’hétérogénéité sous le parapluie d’une décroissance plus mainstream que radicale.
Je ne cache pas que la zone 5 ne m’a semblé occupée que par la présence de la Maison commune de la décroissance. Cette zone est donc en effet très peu fréquentée. Ce qui en soi n’est pas problématique mais nous indique la direction que nous devons prendre pour que cette zone 5, celle de la décroissance radicale, reçoive davantage de considération de la part de tous les autres occupants des autres zones.
Quant à la faible exposition des luttes, celles de la zone 4, peut-être faut-il supposer qu’elles sont en perte de vitesse ; tout simplement parce que les politiques dominantes de dépolitisation font réellement leurs effets.
A contrario et sans surprise, le festival des Résistances présentait un catalogue impressionnant de luttes : TPGB+, contre l’extrême droite, écologistes, paysannes, féministes & queer, sociales, antiracistes et décoloniales. Devant un tel catalogue, le questionnement venant de la zone 5 serait : quel est le dénominateur commun qui fonde ces résistances en dehors du rejet ?
Le site Reporterre a réalisé un reportage[14] sur ce festival, et en a retiré « 6 clés pour redonner du souffle au mouvement écolo » :
Finalement, Reporterre ne semble n’avoir que confirmé une vision mainstream de l’écologie. Y fut-il aussi question de décroissance ?
Heureusement que du point de vue de la zone 5, la décroissance est un chemin ; mais il risque d’être long…
Du coup, je n’ai pas eu le courage d’aller regarder le programme de l’Université d’été des mouvements sociaux et des solidarités[15].
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Je conclus qu’il ne faudrait surtout pas croire qu’il serait idéal qu’à chaque « rassemblement », les 5 zones soient présentes « à égalité ». Mais il semble inquiétant que l’une des 5 zones soit invisibilisée. Et même dans le cas où le rassemblement se fait thématiquement autour de l’une des 5 zones, il me semble que ce serait mieux si rappel était toujours fait que le paysage complet d’une décroissance politique comporte 5 zones. Il y a de la place pour tout le monde.
On peut ajouter :
[1] https://www.fermedubec.com/la-permaculture/
[2] Sur mon blog, je peux renvoyer à une conférence de décembre 2017, en Vendée, chez l’ami Jean-Yves : « la décroissance a besoin d’une doctrine socialiste » ; et aussi à ma lecture du livre d’Axel Honneth « L’Idée du Socialisme » (2015).
[3] https://ladecroissance.xyz/2020/07/11/feminisme-pour-les-99-un-manifeste/
[4] Je renvoie à la nouvelle préface de ce livre pour son édition espagnole : https://decroissances.ouvaton.org/2025/07/30/pour-la-traduction-espagnole-de-mon-livre-de-2012-une-nouvelle-preface/
[5] Michel Lepesant, « Pourquoi une cartographie systémique des trajectoires de décroissance » (2024), Mondes en décroissance, n°2, https://revues-msh.uca.fr/revue-opcd/index.php?id=344#tocto1n2.
[6] https://decroissances.ouvaton.org/2025/07/30/la-decroissance-solution-politique/#2_La_methode_du_renversement
[7] Qu’il définissait comme ce « sentiment réfléchi et paisible qui dispose chaque citoyen à s’isoler de la masse de ses semblables et à se retirer à l’écart avec sa famille et ses amis ; de telle sorte que, après s’être ainsi créé une petite société à son usage, il abandonne volontiers la grande société à elle-même », De la démocratie en Amérique (II), Gallimard, 1835, 1961, p.143.
[8] Pour une lecture de ces « thèses sur la communauté terrible » : https://communautedeschercheurssurlacommunaute.wordpress.com/retour-sur-la-communaute-terrible/.
[9] Je renvoie là au chapitre 4 de l’Atelier Paysan (2021), Reprendre la terre aux machines, Seuil. Ma recension du livre : https://ladecroissance.xyz/2022/07/02/il-faut-lire-reprendre-la-terre-aux-machines-par-latelier-paysan/.
[10] « Nous appelons à une repolitisation en profondeur du mouvement pour l’agriculture paysanne dont nous faisons partie. Nous proposons d’articuler la poursuite de nos pratiques alternatives avec un important travail d’éducation populaire, et avec la création de rapports de force autour de trois grandes pistes politiques : la fixation de prix minimum d’entrée pour les produits importés en France ; la socialisation de l’alimentation, avec notamment le projet d’une Sécurité sociale de l’alimentation ; enfin, un mouvement de lutte contre la robotique agricole et pour une désescalade technologique en agriculture », Atelier Paysan, ibid., présentation du chapitre 5.
[11] « La rue comme rampe de lancement d’une écologie enfin majoritaire ? Au moins fait-elle sortir l’écologie de ses anciennes figures imposées pour l’inclure dans le répertoire d’action élémentaire de la contestation. Force en mouvement, elle commence à acquérir une valeur politique réelle », p.102. Ma recension : https://ladecroissance.xyz/2024/10/31/pourquoi-lecologie-perd-toujours/.
[12] https://decroissancelefestival.org/programme-2025
[13] https://lesresistantes.fr/programme/
[14] https://reporterre.net/Six-cles-pour-redonner-du-souffle-au-mouvement-ecolo
[15] https://www.uemss.org/spip.php?page=programme&edition=2025
Rédaction
Pas question de reconnaître le moindre mérite dans la moindre action venant en ce moment de la puissance désinhibée qui se situe de l’autre côté de l’Atlantique. Pas question donc de tenir ces discours ambigus qui glissent de la fausse critique sous couvert de « sidération » à un aveu final pour une certaine « fascination ».
Hier, c’était les 80 ans du crime d’Hiroshima. 80 ans pour oublier l’horrible et repartir dans une course aux nucléaires, militaires comme civils. Autrement dit, 80 ans pour passer de la sidération à la fascination. 80 ans pour dépasser et tenter d’étouffer la « honte prométhéenne » (Günther Anders) – celle de ne pas se sentir à la hauteur des productions inhumaines du « monde de la croissance » – et s’engloutir dans les délires du transhumanisme, de l’IA, qui ne sont que d’autres noms pour désigner « l’obsolescence de l’homme » (Günther Anders).
Car il n’y a vraiment rien de fascinant :
Mais faut-il vraiment s’étonner si à l’époque de la camelote (c’est-à-dire celle de l’obsolescence), ce sont les camelots qui occupent tout le devant de la scène ? Car aujourd’hui, les camelots sont devenus rois pour traiter les citoyens comme des gogos. C’est maltraitance à tous les étages de la politique : dans les rues, aux frontières, dans les entreprises, aux parlements…
C’est dans ce contexte géopolitique stimulant que se situeront les (f)estives 2025 de la décroissance que nous organisons en Normandie, au milieu du mois d’août (fin juillet, nous serons à Décroissance, le Festival). Et les 2 moments que nous organiserons viendront apporter des éléments de réflexion et de discussion à l’analyse précédente :
Nathalie Ovion
Retour interrogatif sur la discussion « Pourquoi s’engager ? » , à « Décroissance, le festival », dimanche 27 juillet 2025 de 9h30 à 10h30.
Conversation avec les partenaires du festival autour de l’engagement. Comment s’engager, pour quoi et avec qui ? Parce que l’action est le meilleur remède à la déprime, venez échanger autour de vos aspirations.
Avec des militantes et militants d’Adaptation radicale, Adrastia, Génération Écologie et la Maison commune de la décroissance
L’action est-elle vraiment le meilleur remède à la déprime comme l’annonce l’introduction à cette discussion? Cette affirmation maladroite pourrait laisser croire que le militantisme relève de l’occupationnel thérapeutique, ce qui le dévalorise en lui ôtant d’emblée la notion de choix politique.
Mais rassurons-nous, personne ne semblait être venu pour passer le temps.
Nous avons échangé entre intervenant-e-s et avec les personnes venues assister et participer à cette conversation.
Certain-e-s militant-e-s ont apprécié cet espace de parole qui leur a permis de s’exprimer et d’échanger avec d’autres militant-e-s de la décroissance.
Cette conversation, moment convivial d’échanges entre des militant-e-s sincères et un public très motivé, n’avait d’autre but que de présenter un énoncé de pratiques et de réalités militantes en vue de donner un petit aperçu de différents engagements aux personnes venues y assister.
Pour cette discussion, l’organisation du festival avait invité quatre structures politiques : deux qui agissent pour changer les choses et deux structures effondristes qui accompagnent la population en prévision de phénomènes dûs précisément au fait que ces choses ne changent pas. Des représentant-e-s d’associations d’alternatives concrètes et de lutte manquaient à ce panorama des engagements militants.
Le choix des intervenant-e-s pour cette initiative était surtout représentatif de la présence forte du mouvement effondriste dans le festival.
Il ne s’agit pas de nier l’ influence du mouvement effondriste ni même l’apport de la collapsologie qui a su alerter sur le dépassement des limites planétaires et sur le fait que certaines de ces limites une fois franchies compromettent définitivement des équilibres naturels et un retour à la situation d’origine1.
Mais il faut rappeler que ce mouvement a la particularité de ne proposer aucune alternative pour empêcher ou limiter l’effondrement de notre civilisation thermo-industrielle mais une aide à s’y préparer en préconisant un « néosurvivalisme convivial »2 après la catastrophe.
Ce positionnement est l’expression d’un renoncement à tenter de changer la société. Or le renoncement à changer le monde de la croissance dans lequel nous vivons est un vecteur de dépolitisation.
Et que penser de la sphère décroissante qui contient l’idée du changement de système mais aussi son abandon ?
Que signifie la présence importante du mouvement effondriste à « Décroissance, le festival » ?
Nous sommes dans une époque d’affaiblissement des organisations politiques un tant soi peu écologistes, d’offensives de dépolitisation menées par le monde de la croissance et de décrédibilisation de la décroissance par presque tout le milieu politique.
N’y aurait-il pas un certain pessimisme politique dans le mouvement décroissant et donc aussi chez les organisateurs du festival, qui considéreraient que le mouvement effondriste est devenu incontournable devant l’impuissance de la sphère politique et militante à faire changer la société, même devant l’urgence écologique ?
Rédaction
Ce à quoi nous assistons aujourd’hui c’est à la bipolarisation du monde en 2 camps : il y a les pays qui font déjà la guerre et il y a tous les autres qui s’y préparent. Les uns au prétexte de la « guerre préventive », les autres au nom du principe Si vis pacem, para bellum.
Bref, la guerre partout. Concrètement, des budgets militaires en croissance.
Mais alors, pourquoi la guerre plutôt que la paix ?
Si on écarte les explications de facilité de type essentialiste – « c’est dans la nature de l’homme d’être un loup » – on peut quand même en proposer 2 :
C’est dans ce contexte géopolitique que se situeront les (f)estives 2025 de la décroissance que nous organisons en Normandie, au milieu du mois d’août (fin juillet, nous serons à Décroissance, le Festival). Et les 2 moments que nous organiserons viendront apporter des éléments de réflexion et de discussion à l’analyse précédente :
Bon Pote
Actu-Environnement
Amis de la Terre
Aspas
Biodiversité-sous-nos-pieds
Bloom
Canopée
Décroissance (la)
Deep Green Resistance
Déroute des routes
Faîte et Racines
Fracas
F.N.E (AURA)
Greenpeace Fr
JNE
La Relève et la Peste
La Terre
Le Lierre
Le Sauvage
Low-Tech Mag.
Motus & Langue pendue
Mountain Wilderness
Negawatt
Observatoire de l'Anthropocène