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la Maison commune de la décroissance

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11.08.2025 à 16:00

Michel Lepesant

Texte intégral (5408 mots)

A condition de ne pas la prendre pour une comparaison parfaite, une analogie a des vertus pédagogiques quand elle facilite une compréhension en rapprochant une idée difficile ou nouvelle avec une idée facile ou ancienne.

Je propose donc de faire une analogie entre la permaculture et la politique. Surtout pas parce que la politique devrait trouver dans notre relation à la nature un modèle à imiter pour notre relation à la société. Le fil de l’analogie, ce n’est pas la nature, c’est la permanence.

  • « Permaculture signifiait, à l’origine, « agriculture permanente », puis le concept s’est élargi pour devenir « culture permanente », dans le sens de durable. Il s’agit donc d’une tentative pour imaginer une civilisation qui s’épanouisse durablement dans les limites de la planète Terre » (selon la définition trouvée sur le site de La Ferme du Bec Hellouin[1]).
  • En tant que « socialiste de la vie sociale »[2], je considère que ce n’est ni dans la sphère économique ni dans celle des relations personnelles que l’existence de la vie sociale peut devenir l’objet de la volonté politique, mais dans la sphère de ce que Axel Honneth nomme « la sphère de la formation démocratique de la volonté ». Ce qui veut dire que ce n’est ni dans mes « affaires » ni dans ma vie privée que je prends d’abord soin de la société, mais par engagement politique. Parce que ce qui dans le vivant s’organise spontanément en raison sa structure interne, doit, dans la vie démocratique, « être pris en charge par ses acteurs eux-mêmes » : une société n’est pas un organisme mais une organisation.
  • Par « politique », j’entends tout ce qu’un groupe envisage pour « organiser son organisation ».
    • Cette organisation de la société par elle-même n’a qu’un objectif : ce que les féministes[3] nomment « reproduction sociale »  par le soin (à la différence de la sphère de la production économique, qui est en vue du profit). C’est en cela que la vie sociale est un « bien commun vécu » (François Flahault). S’il n’y a d’existence humaine que sociale, et si la liberté sociale consiste à exercer sa liberté pour et avec les autres, alors c’est que la vie sociale n’a qu’une finalité : la persévérance dans son existence.
    • Je reprends alors facilement une vieille définition de la politique : « La politique est l’art d’établir, de cultiver et de conserver entre les hommes la vie sociale qui les unit » (Johannes Althusius, 1603). Démocratiquement, il devrait s’agir de l’auto-institution d’une société par elle-même (Cornelius Castoriadis).

*

Tel est donc le fil de mon analogie entre permaculture et politique : ce que j’appelle « permapolitique », c’est la politique au soin de la vie sociale. Et qu’est-ce que je mets au bout de ce fil ? Le principe du zonage.

→ En permaculture, il s’agit de distinguer 5 zones, de celle qui demande le plus de soin et d’intervention humaine jusqu’à une zone sauvage.

→ L’analogie permapolitique consiste surtout à définir une zone 5 à partir de 2 caractéristiques : politiquement, c’est la moins fréquentée, mais c’est la plus stratégique.

« C’est la zone politique la moins fréquentée » : je contredis là ce que j’écrivais en 2012 dans Politique(s) de la décroissance (Utopia) quand je plaçais en équilibre les « 3 pieds de l’objection de croissance ». Entre temps, je me suis quand même aperçu qu’il ne s’agissait plus d’objecter à la croissance mais de décroître, c’est-à-dire de repasser sous les plafonds de l’insoutenabilité écologique, et j’ajoute « et de l’insoutenabilité sociale et démocratique ». Autrement dit, des 3 pieds, celui des alternatives, celui de la visibilité politique et celui du projet, il y en a un qui est maltraité : le pied de la théorie est le pied bancal de la décroissance politique[4].

« C’est la plus stratégique » : je reprends ce terme de « stratégie » d’une remarque décisive formulée par Virginie Maris dans La part sauvage du monde (2018, Seuil). « Il ne s’agit pas de réduire la « vraie » nature à sa part sauvage, en négligeant du même coup la nature ordinaire. Mais il y a dans cette part sauvage un extrême – sinon un extrémisme – qui doit éviter de lentement laisser filer nos exigences » S’il ne faut pas partir de la nature ordinaire mais de la nature sauvage c’est parce que « les individus ont tendance à ne pas désirer beaucoup plus que ce qu’ils peuvent obtenir. Ce phénomène d’ajustement des préférences aux conditions réelles est dynamique. Du coup, lorsqu’on se trouve dans une situation qui se dégrade progressivement, on s’habitue à des choses qui auraient semblé inacceptables si elles étaient intervenues brusquement » (p.194).

Pour que ces 2 caractéristiques ne se contredisent pas, je précise que je ne suis pas en train de dire que la zone 5 de la permapolitique doit stratégiquement devenir la plus fréquentée ; je dis juste que quand il va s’agir d’évaluer la politisation des 4 premières zones, il ne faudra pas le faire à partir de la zone 1 (sinon de la zone 0, dans certaines approches du zonage) mais à partir de la zone 5. Celle de la radicalité, celle de la philosophie politique, celle qui ne cède pas à l’injonction de l’activisme précipité, ce qui lui évite de basculer dans les 2 extrêmes de la facilité : l’intransigeance (celle de l’entre-soi, celle des « communautés terribles ») et l’adaptation (fut-elle « radicale » !).

Avant d’en venir à évoquer chacune de ces 5 zones, je précise encore que :

  • L’idée que la théorie politique constitue la « part radicale » de la politisation n’est qu’une modalité de l’attention que nous devons porter à la notion de « part » : pour partager, pour appartenir, pour participer, pour faire sa part, pour recevoir sa part…
  • C’est en partant de cette part radicale que nous pouvons faire l’hypothèse que si la décroissance est singulièrement en déficit – sinon en déni – de politisation, c’est faute d’un degré suffisant d’autocritique, et de place accordée à la conflictualité[5] dans l’élaboration et la défense de nos propositions. Ce déficit est dû, selon moi, à des résidus de « style marxiste »[6] (qui fonde sa doctrine sur la dénonciation des « contradictions fondamentales », mais seulement à l’extérieur, surtout pas en interne).

*

  • Zone 1 : la simplicité volontaire des « petits gestes », de l’écologie intérieure (sinon du développement personnel). Sans se cacher que cette individualisation peut être grosse d’impolitisation, il faut reconnaître que ces petits engagements sont nécessaires pour quiconque veut consolider sa propre ossature morale : faire bien, bien faire les choses, ça fait du bien, parce que les valeurs valorisent. Mais attention au péché de suffisance : cette simplicité est nécessaire mais politiquement elle est insuffisante. Pourquoi ? Parce qu’au moment de préciser sa finalité, c’est la recherche du bonheur qui va prendre le pas sur celle de la liberté : mais si le malheur des uns fait le bonheur des autres (et inversement ?), puis-je être libre si les autres ne le sont pas ? Dans la conception libérale de la liberté, celle qui rapproche indépendance et bonheur, dépendance et malheur, c’est oui. Mais dans une conception plus sociale de la liberté, il y a dans la recherche du bonheur – et pire encore, dans la recherche de plus de bonheur – une pente vers la vie privée que Tocqueville dénonçait avec tant de pertinence comme « individualisme »[7]. Parce que le renvoi à la seule responsabilité individuelle est caractéristique du régime politique de croissance comme régime d’individualisation. Parce qu’en entendant ces critiques d’impolitisation, les défenseurs de cette zone 1 croient s’en sortir en défendant la fable de l’essaimage dont le modèle irénique est « si tous les gars du monde… » : or, si on peut découper des confettis à partir d’une feuille de papier, bon courage pour inverser le procédé et fabriquer des feuilles de papier à partir des confettis. Parce que la fable d’un tout qui se constituerait à partir de ses parties, c’est celle de la fable des abeilles (B. de Mandeville), caractéristique du libéralisme comme processus de séparation et de compétition de « chacun contre chacun ».
  • Zone 2 : les alternatives concrètes, les expérimentations minoritaires héritières du socialisme utopique (monnaies locales, habitats collectifs, amaps, coopératives de consommateurs, écoles alternatives, cafés associatifs… jusqu’aux entités de l’ESS). Là encore, il faut redire que ce qui est nécessaire n’est pas forcément suffisant. Nécessaires parce que ces initiatives sont des expériences du collectif – même s’il faut faire attention à l’entre-soi des « communautés terribles » (Tiqqun[8]). Nécessaires parce que ces « eSpérimentations » n’ont pas besoin de réussir pour être grosses de leçons pour imaginer d’autres mondes – même s’il n’y a pas besoin de les justifier en y voyant des « préfigurations » de futurs mondes désirables, au moins on peut en tirer des leçons négatives sur « ce qui ne se fait pas » et qu’on ne devra pas refaire. Mais insuffisantes parce qu’on ne fait pas la révolution sur 15 km² (Karl Marx). Insuffisantes et peut-être même piégeuses à cause de leur « apolitisme assourdissant » (Atelier Paysan[9]). Insuffisantes et peut-être même piégeuses à cause d’un anti-intellectualisme nourri par un imaginaire de l’activisme qui leur fait souvent préférer l’adaptation à la provocation, la résilience à la résistance, le « faire nombre » au faire sens », la com’ à l’ossature idéologique, les facilités technologiques aux lenteurs militantes, l’affichage de la citoyenneté à la revendication politique… Insuffisantes parce que trop peu autocritiques sur les périls politiques de la relocalisation : d’abord parce qu’en Occident c’est précisément dans un premier mouvement de relocalisation politique dans les Cités italiennes que le capitalisme a démarré à la Renaissance ; ensuite parce que cette relocalisation résulte bien souvent d’une angoisse devant les perspectives apocalyptiques de nos futurs anticipés et que, faute de pouvoir affronter idéologiquement l’avenir, le « ici et maintenant » n’est souvent qu’un refuge d’impuissance qui a seulement l’avantage de nous occuper l’esprit par le « faire » plutôt que par le « théoriser ».
  • Zone 3 : toutes les structurations du mouvement de la décroissance par agrégation ou agglutination, dont le plus large dénominateur commun semble être « l’autrement ». Dans la mesure où cette structuration suppose des regroupements, des interactions entre associations, des montées en généralité, cette zone 3 est beaucoup plus tolérante vis-à-vis d’une visibilité explicitement politique sur le principe de « fédérer l’existant », et surtout de ne pas se contenter du « ici et maintenant » mais au contraire de tisser des convergences, de faire réseau. Pour donner un exemple : en zone 1, j’adhère à une amap ou à une monnaie locale ; en zone 2, je gère la comptabilité de mon amap, j’administre l’association locale ; en zone 3, je m’investis dans Miramap, dans le réseau des MLCC, voire même dans le CAC… Ce qui caractérise cette zone 3 c’est l’hétérogénéité toujours accompagnée par des discours d’autopromotion, comme si, sous le masque de la pluralité, n’existait pas une diversité qui tient plus de l’éparpillement que du commun partagé. On peut retrouver ce même principe d’agrégation dans le format du débat : ah ces « tables rondes » où les intervenants – souvent, un mixte de chercheurs et d’activistes – ont à peine esquissé l’écume de leurs propositions qu’ils doivent déjà se soumettre aux « questions de la salle » qui, d’expérience, sont d’abord l’occasion pour les trolls locaux de monopoliser la parole pour gérer leur frustration de ne pas être à la place des intervenants. Que penser vraiment de ces ouvrages collectifs qui, au nom d’une richesse intrinsèque de l’hétérogénéité, compilent les contributions – là aussi dans un mixte de théorique et de pratique – mais que l’on referme avec un sentiment de fausse espérance, celle de la grenouille qui se prend pour un bœuf ? Pourquoi retourner, année après année, dans ces « foires », « festivals » et autres « forums » qui tiennent plus du cabinet de curiosités et de l’inventaire à la Prévert que d’un cubisme militant qui ferait voir les multiples facettes d’un noyau politique commun et partagé ?
  • Zone 4 : avec un peu de recul pris sur ces 3 zones, on peut s’apercevoir qu’elles ont en commun non seulement un bas degré de politisation mais aussi une forte dose d’entre-soi et surtout une très faible appétence pour les rapports de force, comme si les basculements et autres transitions envisagées comme stratégies allaient pouvoir se réaliser dans un simple esprit de convivialité et d’entente, à la cool. Il ne faut donc pas s’étonner si certaines voix dans la mouvance écologique et décroissante se font entendre pour dénoncer un tel irénisme. Autrement dit, ne peut-on pas distinguer deux types de mobilisations : aux contestations « pour » (celles de la zone 2), ne faut-il pas ajouter les contestations « contre » (par la rue ou par les urnes), celles qui préconisent des rapports de force et l’ouverture de fronts de lutte, et qui constitueraient cette zone 4, dont la politisation se rapprocherait des formes plus traditionnelles d’opposition. C’est la proposition générale de l’Atelier Paysan[10] pour remédier aux faiblesses de la zone 3. C’est aussi le sens de la forte critique de Clément Sénéchal quand il se demande Pourquoi l’écologie perd toujours (2024, Seuil)[11]. Pour autant, faut-il croire qu’il n’y aurait de politisation réelle de la décroissance que par un retour aux rapports de forces ? Parce qu’il faut craindre que ces discussions sur la stratégie politique ne tournent en réalité en rond. La solution de Clément Sénéchal propose de passer d’une stratégie de consensus à une stratégie de clivage. Mais n’est-ce pas oublier que si les voies du « petit geste » (zone 1) et des alternatives concrètes (zone 2) ont été ré-explorées, c’est parce que les stratégies de rupture ont été des impasses ? Pour le dire autrement, c’est l’échec de la révolution du Grand Soir qui a réenclenché les tentatives des petits matins et des petits pas. C’est l’échec révolutionnaire du socialisme scientifique (front principal, luttes des classes, matérialisme historique) qui a redonné vigueur aux stratégies « alternatives » du socialisme utopique. Et comment ne pas constater que les appels répétés à la convergence des luttes – quand ce n’est pas seulement à celle des « colères », sinon des peurs – se font toujours sur ce mode de rassemblement qu’il faut dénoncer comme « unitude » : être ensemble pour « faire nombre » mais sans surtout poser la question du « faire sens » car on ne pourrait y répondre que par une discussion franche qui ne réussirait qu’à condition d’une autocritique roborative sur les finalités et les moyens qui viendrait renverser les prés carrés des petits marquis de la rupture.
  • Zone 5 : d’où l’hypothèse d’une prise de position politique de la décroissance à partir d’un pôle de radicalité, définie par la cohérence. Et de la même façon que la zone 5 de la permaculture est celle de la « part sauvage », celle où l’activité est réduite au maximum, alors cette zone 5 de la permapolitique serait celle où l’injonction à agir et à « passer à l’action » serait reléguée en second au profit d’un travail idéologique dont la visée première serait la résistance et la radicalité, à la recherche de la cohérence plutôt que de l’intransigeance.
    • Si les pratiques des zones 1 à 4 voient dans l’hétérogénéité une richesse plus qu’une dispersion, alors dans la zone 5 il faudrait assumer la priorité accordée à la recherche d’un commun idéologique à partir duquel les partisans de la décroissance pourraient ensuite construire leurs propres variations. Cette zone 5 devrait d’abord être celle d’une recherche qui se soumettrait au principe « pas de variations sans invariant ». a) Reste à dé-couvrir de quoi les diverses apparitions de la décroissance sont les invariants. b) Si cela était fait, alors il me semble que c’est cette zone 5 qui pourraient héberger ce que je pourrais appeler des « traditions d’actualité » : j’entends par là des inspirations nourries de sources antérieures mais reconsidérées à partir d’un noyau commun radical. Par exemple, on peut penser à tous les apports qui nous viendraient de l’ethnologie et de l’anthropologie, des sociétés traditionnelles et vernaculaires, de toutes ces sagesses qui ont inspiré des humanités mais aussi à toutes ces doctrines politiques qui structurent la contestation politique depuis la révolution industrielle (anarchisme, solidarisme…). Bref, cette zone 5 serait celle du pluriversalisme qui renvoie dos à dos et l’universalisme (qui confond l’universalité et l’unicité) et le parcellarisme (qui confond la pluralité et la disparité).Il est essentiel de rappeler au mouvement décroissant qu’il faut radicalement « éviter de lentement laisser filer nos exigences ». L’une des fonctions politiques de cette zone 5 est donc une activité de vigilance. C’est pourquoi c’est de cette zone 5 que s’exprimeront les rappels aux questions de discrimination de classe, de genre, de racialisation, de validisme, d’âge…
    • Il ne s’agit donc pas de réduire la politique à sa part sauvage, radicale, mais d’affirmer, au moment de juger politiquement les activités de 4 premières zones, qu’il faut partir d’une décroissance radicale si l’on ne veut pas s’habituer à la politique de dépolitisation pratiquée par le régime politique de croissance.

*

Je propose maintenant d’utiliser cette graduation des 5 zones de la permapolitique pour jeter un coup d’œil sur 2 programmations estivales : celle de Décroissance, le Festival[12] et celle des Résistantes[13].

Je commence par le survol du premier jour de Décroissance, le Festival :

  • Beaucoup de zone 1 : teinture végétale Tataki Zomé, vivre avec ses émotions, affiches Love Planet, cuillère en bois, autonomie énergétique, zéro déchet, manuel de résilience, sieste, cueillette sauvage, le goûter, travail du bois, envoyer une carte postale, cuisine croque-nature, relaxation, changer d’angle de vue, bar à paillettes…
  • Un peu de zone 2 : vive les arbres et les haies, atelier vélo, territoire robuste, coopérative, coopriété, alerte canicule…
  • Dans la zone 3, c’est forcément plus hétérogène :
    • des fresques : du sexisme, zoofresque, de la mobilité
    • de l’autrement : regard sur les animaux, CNV, habiter, énergie renouvelable, pour convaincre…
    • des spectacles : confinement, entre 2 mondes, l’asile, danse poitevine…
  • Quant à la zone 4, elle semble particulièrement désertée le premier jour. Du coup, j’ai regardé les autres jours et j’ai trouvé : des débats sur les luttes féministes, sur le backlash anti-écologie, sur les municipales 2026, sur le conflit israélo-palestinien, sur la guerre. J’ai décompté les occurrences de « résistance » (1),  « lutte » (1), « résilience » (8), « adaptation » (8), « liberté » (1), bonheur (4).
  • Pour la zone 5 : 1 seule intervention sur la décroissance comme solution politique.

Si on en reste à ce survol, Décroissance, le Festival s’est surtout cantonné aux 3 premières zones : beaucoup d’écologie individuelle, quelques alternatives concrètes, du « faire nombre » dans l’hétérogénéité sous le parapluie d’une décroissance plus mainstream que radicale.

Je ne cache pas que la zone 5 ne m’a semblé occupée que par la présence de la Maison commune de la décroissance. Cette zone est donc en effet très peu fréquentée. Ce qui en soi n’est pas problématique mais nous indique la direction que nous devons prendre pour que cette zone 5, celle de la décroissance radicale, reçoive davantage de considération de la part de tous les autres occupants des autres zones.

Quant à la faible exposition des luttes, celles de la zone 4, peut-être faut-il supposer qu’elles sont en perte de vitesse ; tout simplement parce que les politiques dominantes de dépolitisation font réellement leurs effets.

A contrario et sans surprise, le festival des Résistances présentait un catalogue impressionnant de luttes : TPGB+,  contre l’extrême droite, écologistes, paysannes,  féministes & queer,  sociales, antiracistes et décoloniales. Devant un tel catalogue, le questionnement venant de la zone 5 serait : quel est le dénominateur commun qui fonde ces résistances en dehors du rejet ?

Le site Reporterre a réalisé un reportage[14] sur ce festival, et en a retiré « 6 clés pour redonner du souffle au mouvement écolo » :

  1. Structurer des alliances pour « sortir de l’entre-soi ».
  2. Trouver de nouvelles portes d’entrée vers l’engagement.
  3. Démontrer l’attachement au territoire des combats écologistes.
  4. Organiser des événements de structuration et de convivialité.
  5. « S’apercevoir de notre puissance d’action ».
  6. Visibiliser les victoires des luttes.

Finalement, Reporterre ne semble n’avoir que confirmé une vision mainstream de l’écologie. Y fut-il aussi question de décroissance ?

Heureusement que du point de vue de la zone 5, la décroissance est un chemin ; mais il risque d’être long…

Du coup, je n’ai pas eu le courage d’aller regarder le programme de l’Université d’été des mouvements sociaux et des solidarités[15].

*

Je conclus qu’il ne faudrait surtout pas croire qu’il serait idéal qu’à chaque « rassemblement », les 5 zones soient présentes « à égalité ». Mais il semble inquiétant que l’une des 5 zones soit invisibilisée. Et même dans le cas où le rassemblement se fait thématiquement autour de l’une des 5 zones, il me semble que ce serait mieux si rappel était toujours fait que le paysage complet d’une décroissance politique comporte 5 zones. Il y a de la place pour tout le monde.

On peut ajouter :

  • De la même façon qu’il n’existe une nature ordinaire que parce qu’il existe d’abord une nature sauvage, alors il n’existe les 4 premières zones que parce qu’il existe la zone 5. Et cela vaut pour la permapolitique. Même si la zone de la décroissance radicale est peu fréquentée, elle est la condition de possibilité politique des 4 autres zones.
  • De la même façon que la finalité de la permaculture est la permanence, la finalité de la permapolitique, avec ses 5 zones, est la reproduction de la société en tant que milieu de la vie sociale. Toute ambiguïté sur cette finalité participe du sociocide.

[1] https://www.fermedubec.com/la-permaculture/

[2] Sur mon blog, je peux renvoyer à une conférence de décembre 2017, en Vendée, chez l’ami Jean-Yves : « la décroissance a besoin d’une doctrine socialiste » ; et aussi à ma lecture du livre d’Axel Honneth « L’Idée du Socialisme » (2015).

[3] https://ladecroissance.xyz/2020/07/11/feminisme-pour-les-99-un-manifeste/

[4] Je renvoie à la nouvelle préface de ce livre pour son édition espagnole : https://decroissances.ouvaton.org/2025/07/30/pour-la-traduction-espagnole-de-mon-livre-de-2012-une-nouvelle-preface/

[5] Michel Lepesant, « Pourquoi une cartographie systémique des trajectoires de décroissance » (2024), Mondes en décroissance, n°2, https://revues-msh.uca.fr/revue-opcd/index.php?id=344#tocto1n2.

[6] https://decroissances.ouvaton.org/2025/07/30/la-decroissance-solution-politique/#2_La_methode_du_renversement

[7] Qu’il définissait comme ce « sentiment réfléchi et paisible qui dispose chaque citoyen à s’isoler de la masse de ses semblables et à se retirer à l’écart avec sa famille et ses amis ; de telle sorte que, après s’être ainsi créé une petite société à son usage, il abandonne volontiers la grande société à elle-même », De la démocratie en Amérique (II), Gallimard, 1835, 1961, p.143.

[8] Pour une lecture de ces « thèses sur la communauté terrible » : https://communautedeschercheurssurlacommunaute.wordpress.com/retour-sur-la-communaute-terrible/.

[9] Je renvoie là au chapitre 4 de l’Atelier Paysan (2021), Reprendre la terre aux machines, Seuil. Ma recension du livre : https://ladecroissance.xyz/2022/07/02/il-faut-lire-reprendre-la-terre-aux-machines-par-latelier-paysan/.

[10] « Nous appelons à une repolitisation en profondeur du mouvement pour l’agriculture paysanne dont nous faisons partie. Nous proposons d’articuler la poursuite de nos pratiques alternatives avec un important travail d’éducation populaire, et avec la création de rapports de force autour de trois grandes pistes politiques : la fixation de prix minimum d’entrée pour les produits importés en France ; la socialisation de l’alimentation, avec notamment le projet d’une Sécurité sociale de l’alimentation ; enfin, un mouvement de lutte contre la robotique agricole et pour une désescalade technologique en agriculture », Atelier Paysan, ibid., présentation du chapitre 5.

[11] « La rue comme rampe de lancement d’une écologie enfin majoritaire ? Au moins fait-elle sortir l’écologie de ses anciennes figures imposées pour l’inclure dans le répertoire d’action élémentaire de la contestation. Force en mouvement, elle commence à acquérir une valeur politique réelle », p.102. Ma recension : https://ladecroissance.xyz/2024/10/31/pourquoi-lecologie-perd-toujours/.

[12] https://decroissancelefestival.org/programme-2025

[13] https://lesresistantes.fr/programme/

[14] https://reporterre.net/Six-cles-pour-redonner-du-souffle-au-mouvement-ecolo

[15] https://www.uemss.org/spip.php?page=programme&edition=2025

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07.08.2025 à 13:39

Rédaction

Texte intégral (633 mots)

Pas question de reconnaître le moindre mérite dans la moindre action venant en ce moment de la puissance désinhibée qui se situe de l’autre côté de l’Atlantique. Pas question donc de tenir ces discours ambigus qui glissent de la fausse critique sous couvert de « sidération » à un aveu final pour une certaine « fascination ».

Hier, c’était les 80 ans du crime d’Hiroshima. 80 ans pour oublier l’horrible et repartir dans une course aux nucléaires, militaires comme civils. Autrement dit, 80 ans pour passer de la sidération à la fascination. 80 ans pour dépasser et tenter d’étouffer la « honte prométhéenne » (Günther Anders) – celle de ne pas se sentir à la hauteur des productions inhumaines du « monde de la croissance » – et s’engloutir dans les délires du transhumanisme, de l’IA, qui ne sont que d’autres noms pour désigner « l’obsolescence de l’homme » (Günther Anders).

Car il n’y a vraiment rien de fascinant :

  • dans le spectacle et l’usage de la brutalité à l’encontre du faible (le migrant, l’animal, le vivant, la femme, le pauvre…) ;
  • dans ces rhétoriques qui systématiquement et sans aucune vergogne pratiquent l’art du renversement moral : les bourreaux pourraient je justifier du droit des victimes, toute résistance serait du terrorisme, l’émancipation serait une ruse de la domination, les agresseurs ne feraient que se défendre ou anticiper une future attaque…
  • dans la guerre menée contre la nature et contre tous ceux qui contribuent par leurs pratiques militantes et leurs recherches scientifiques à la respecter ;
  • dans le désarroi de tous les commentateurs économiques qui en sont à répéter leur aveu d’ignorance ; car aucun n’est capable de dire ce qui se passe et encore moins ce qui se passera. Et l’économie apparaît dans sa nudité : elle n’est pas une science, juste une politique.

Mais faut-il vraiment s’étonner si à l’époque de la camelote (c’est-à-dire celle de l’obsolescence), ce sont les camelots qui occupent tout le devant de la scène ? Car aujourd’hui, les camelots sont devenus rois pour traiter les citoyens comme des gogos. C’est maltraitance à tous les étages de la politique : dans les rues, aux frontières, dans les entreprises, aux parlements…

C’est dans ce contexte géopolitique stimulant que se situeront les (f)estives 2025 de la décroissance que nous organisons en Normandie, au milieu du mois d’août (fin juillet, nous serons à Décroissance, le Festival). Et les 2 moments que nous organiserons viendront apporter des éléments de réflexion et de discussion à l’analyse précédente :

  1. La rencontre avec Onofrio Romano : parce qu’il n’y a pas de critique du « régime de croissance » (et donc DES libéralismes) sans plaidoyer en faveur d’une économie politique de la dépense (au sens de G. Bataille).
  2. Le focus sur la propriété : parce que dans la conception libérale, la propriété est le résultat d’un accaparement (appropriation, expropriation) caractéristique d’une vision du monde (bourgeoise, propriétariste) pour laquelle l’autre chose (l’altérité) doit être ramenée  à sa chose, à sa propriété : par la marchandisation, par la mise à disposition générale de toutes les ressources, par leur exploitation. Nous avons besoin d’une conception de l’altérité comme autre chose qu’une marchandise ou qu’une propriété.
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06.08.2025 à 06:27

Nathalie Ovion

Texte intégral (1245 mots)

Retour interrogatif sur la discussion « Pourquoi s’engager ? » , à « Décroissance, le festival », dimanche 27 juillet 2025 de 9h30 à 10h30.

Conversation avec les partenaires du festival autour de l’engagement. Comment s’engager, pour quoi et avec qui ? Parce que l’action est le meilleur remède à la déprime, venez échanger autour de vos aspirations.
Avec des militantes et militants d’Adaptation radicale, Adrastia, Génération Écologie et la Maison commune de la décroissance

L’action est-elle vraiment le meilleur remède à la déprime comme l’annonce l’introduction à cette discussion? Cette affirmation maladroite pourrait laisser croire que le militantisme relève de l’occupationnel thérapeutique, ce qui le dévalorise en lui ôtant d’emblée la notion de choix politique.

Mais rassurons-nous, personne ne semblait être venu pour passer le temps.

Nous avons échangé entre intervenant-e-s et avec les personnes venues assister et participer à cette conversation.

Certain-e-s militant-e-s ont apprécié cet espace de parole qui leur a permis de s’exprimer et d’échanger avec d’autres militant-e-s de la décroissance.

Cette conversation, moment convivial d’échanges entre des militant-e-s sincères et un public très motivé, n’avait d’autre but que de présenter un énoncé de pratiques et de réalités militantes en vue de donner un petit aperçu de différents engagements aux personnes venues y assister.

Pour cette discussion, l’organisation du festival avait invité quatre structures politiques : deux qui agissent pour changer les choses et deux structures effondristes qui accompagnent la population en prévision de phénomènes dûs précisément au fait que ces choses ne changent pas. Des représentant-e-s d’associations d’alternatives concrètes et de lutte manquaient à ce panorama des engagements militants.

Le choix des intervenant-e-s pour cette initiative était surtout représentatif de la présence forte du mouvement effondriste dans le festival.

Il ne s’agit pas de nier l’ influence du mouvement effondriste ni même l’apport de la collapsologie qui a su alerter sur le dépassement des limites planétaires et sur le fait que certaines de ces limites une fois franchies compromettent définitivement des équilibres naturels et un retour à la situation d’origine1.

Mais il faut rappeler que ce mouvement a la particularité de ne proposer aucune alternative pour empêcher ou limiter l’effondrement de notre civilisation thermo-industrielle mais une aide à s’y préparer en préconisant un « néosurvivalisme convivial »2  après la catastrophe.

Ce positionnement est l’expression d’un renoncement à tenter de changer la société. Or le renoncement à changer le monde de la croissance dans lequel nous vivons est un vecteur de dépolitisation.

Et que penser de la sphère décroissante qui contient l’idée du changement de système mais aussi son abandon ?

Que signifie la présence importante du mouvement effondriste à « Décroissance, le festival » ?

Nous sommes dans une époque d’affaiblissement des organisations politiques un tant soi peu écologistes, d’offensives de dépolitisation menées par le monde de la croissance et de décrédibilisation de la décroissance par presque tout le milieu politique.

N’y aurait-il pas un certain pessimisme politique dans le mouvement décroissant et donc aussi chez les organisateurs du festival, qui considéreraient que le mouvement effondriste est devenu incontournable devant l’impuissance de la sphère politique et militante à faire changer la société, même devant l’urgence écologique ?

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Notes et références
  1. Référence au livre fondateur de la collapsologie « Comment tout peut s’effondrer : petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes » est un essai de Pablo Servigne et Raphaël Stevens. Sur notre site, un survol de 3 livres auxquels a participé Servigne et qui témoignent de la continuité de sa conviction effondriste : https://ladecroissance.xyz/2020/05/09/une-autre-fin-du-monde-est-possible-de-pablo-servigne-raphael-stevens-et-gauthier-chapelle/
  2. Terme employé dans l’article « Quels effets les discours effondristes produisent-ils ? », de Danièle Garet, S!lence n°487 mars 2020
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14.07.2025 à 17:45

Rédaction

Texte intégral (993 mots)

Ce à quoi nous assistons aujourd’hui c’est à la bipolarisation du monde en 2 camps : il y a les pays qui font déjà la guerre et il y a tous les autres qui s’y préparent. Les uns au prétexte de la « guerre préventive », les autres au nom du principe Si vis pacem, para bellum.

Bref, la guerre partout. Concrètement, des budgets militaires en croissance.

Mais alors, pourquoi la guerre plutôt que la paix ?

Si on écarte les explications de facilité de type essentialiste – « c’est dans la nature de l’homme d’être un loup » – on peut quand même en proposer 2 :

  1. Quand l’idéologie dominante – le libéralisme et ses variantes comme le néolibéralisme et l’hyperlibéralisme – impose une conception individualiste de la liberté (selon laquelle seule une autre liberté peut venir limiter la mienne) alors il ne faut pas s’étonner que, pour un libéral, la première des libertés, c’est la sécurité. Sauf que la sécurité, ce n’est pas la paix. On garantit sa sécurité contre ses ennemis ; on fait la paix avec ses ennemis. C’est sans étonnement que nous retrouvons là la conception libérale de l’interaction comme Marché (organisé par la main invisible de la concurrence, c-à-dire par la lutte de chacun contre chacun). C’est sans étonnement que les décroissant.e.s défendent une conception socialiste de la liberté au sein d’une société organisée à partir du partage pour et avec les autres.
  2. C’est chez George Bataille que nous pouvons trouver une explication supplémentaire. Quand il fait remarquer qu’une société produit toujours plus qu’il n’est nécessaire à sa subsistance, qu’elle dispose toujours d’un excédent. « C’est précisément l’usage qu’elle en fait qui la détermine ». D’où la question politique envisagée du point de vue de ce que Bataille appelle « économie générale » : car, selon lui, il n’y aurait que 3 façons de dissiper ce surplus : la croissance, la guerre ou la dépense. Or aujourd’hui, les dominants ont enregistré que nous étions entrés dans le monde de la finitude des ressources (Arnaud Orain, Le monde confisqué, Essai sur le capitalisme de la finitude), qu’il n’y en aurait pas pour tout le monde ; et comme ils ne veulent pas de la solution partageuse de la dépense commune (Quinn Slobodian, Le capitalisme de l’apocalypse, ou le rêve d’un monde sans démocratie), il ne reste plus que la voie de la guerre. Et c’est la guerre tous azimuts.

C’est dans ce contexte géopolitique que se situeront les (f)estives 2025 de la décroissance que nous organisons en Normandie, au milieu du mois d’août (fin juillet, nous serons à Décroissance, le Festival). Et les 2 moments que nous organiserons viendront apporter des éléments de réflexion et de discussion à l’analyse précédente :

  1. La rencontre avec Onofrio Romano : parce qu’il n’y a pas de critique du « régime de croissance » (et donc DES libéralismes) sans plaidoyer en faveur d’une économie politique de la dépense (au sens de G. Bataille).
  2. Le focus sur la propriété : parce que dans la conception libérale, la propriété est le résultat d’un accaparement (appropriation, expropriation) caractéristique d’une vision du monde (bourgeoise, propriétariste) pour laquelle l’autre chose (l’altérité) doit être ramenée  à sa chose, à sa propriété : par la marchandisation, par la mise à disposition générale de toutes les ressources, par leur exploitation. Nous avons besoin d’une conception de l’altérité comme autre chose qu’une marchandise ou qu’une propriété.
La rencontre : Onofrio Romano, critique du régime de croissance
Au cœur de la définition, par la MCD, de la décroissance comme opposition politique à la croissance, il y a la critique du « régime de croissance ». Cette critique est portée depuis des années par Onofrio Romano, que nous considérons comme un "compagnon de la MCD" : les 2 premiers jours des (f)estives 2025 lui sont entièrement consacrés.
Le focus : la décroissance et la question de la propriété
Critique radicale de la propriété privée (individualisme, exclusivité, disponibilité), alternatives concrètes (d'autres modes de circulation des biens), références anthropologiques (sociétés sans inégalités ni classes) et historiques (médiévales, en particulier) seront nos 4 sources pour imaginer ce que pourrait être une position décroissante sur la propriété.
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