Le blog de Francis Pisani
Publié le 22.06.2025 à 19:36
Iran, Israël, US : escalade, enlisement ou trou noir ? ≈071
Comme vous, peut-être, comme beaucoup, j’ai passé plusieurs semaines sidéré par la montée visible, inéluctable du recours à la force, à la violence, à la destruction systématique au cours des derniers mois.Par la dynamique enclenchée en différents endroits de la planète à l’intérieur de multiples pays comme dans les relations internationales.Myriades \ Francis Pisani est une publication soutenue par les lecteurs. Pour recevoir de nouveaux posts et soutenir mon travail, envisagez de devenir un abonné gratuit ou payant.Par son succès apparent et sa capacité à faire tâche d’huile.Chacun avec ses raisons, parfois ses prétextes, Poutine et Netanyahou mènent la danse. Trump les suit tous les deux et, de Kagame (Rwanda) à Modi, Xi et Erdogan, pour ne mentionner que les plus visibles, un nombre croissant de dirigeants et de mouvements politiques nous entrainent dans une dynamique plus dangereuse encore qu’il ne semble. De plus en plus éloignée du droit.Commençons par l’actualité de ce 22 juin 2025.
Simulation par la NASA de ce que pourrait représenter le plongeon dans un trou noir. Pour la vidéo, tapez sur votre moteur de recherche : black hole simulation nasa« Escalade » ?« Escalade » est un des termes les plus couramment employés pour décrire les évènements de ces neuf derniers jours.Indiquant un mouvement vers le haut, il donne une tonalité presque positive à la surenchère combinée de Jerusalem et de Washington que personne, en tous cas aujourd’hui, ne semble pouvoir contenir.

- L’appareil sécuritaire israélien fonctionne, grâce à la maîtrise de sa technologie, à un niveau dont la plupart de ses ennemis n’a pas la moindre notion. Nous l’avons vu à Gaza. De plus, les pratiques et déclarations du Hezbollah que Jerusalem a su tourner, chaque fois à son avantage, l'ont montré de façon limpide. C’est plus surprenant dans le cas de l’Iran mais, quelque soit sa sophistication dans le nucléaire (dont on n’est pas certain qu’elle soit aussi avancée que le prétendent Netanyahou et Trump), elle n’a rien à voir avec celle des technologies de l’heure : drones et intelligence artificielle. Le régime paye son obstination dans ce domaine en même temps que le rejet répandu de son fondamentalisme religieux intolérant et répressif.
- Un suivi attentif de l’évolution d’Israël et de sa façon de mener ses guerres depuis l’attaque terroriste menée par le Hamas le 7 octobre 2023 montre que le recours massif et sans états d'âme à la force, à la destruction et aux massacres paye (à court terme en tous cas). Il est trop tôt pour dire si le programme nucléaire iranien est détruit pour toujours et si le régime tombera. Dans un cas comme dans l’autre, les doutes (de nature différente) sont permis. Mais il est clair, à court terme en tous cas, que le “patron” d’Israël depuis trois décennies peut fêter son triomphe.
- Reconnaissons-le… en précisant que cela risque de se révéler très grave pour le reste de la planète et dans le long terme. Ce qui compte maintenant c’est d’évaluer la dynamique dans laquelle ils ont engagé le Moyen Orient et le reste du monde.
- Chacun.e d’entre nous tend à s’inquiéter, qui des menaces contre l’environnement, qui des dangers de l’intelligence artificielle, qui de la crise économique probable, qui des bouleversements culturels ou géopolitiques. Leurs interactions semblent ouvrir une période d’authentique mutation. C’est peut-être dans ce sens que nous devons essayer de penser et d’agir.
- Les tristes sires (« no King » disent les manifestants américains) mentionnés plus haut montrent chacun, mais de façon implacablement similaire, que leur mépris du droit vaut aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. Ils nous enfoncent dans une période dominée par la logique de la haine, de la violence et de la puissance. Nous pouvons nous y opposer en misant sur la force des relations entre celles et ceux qui agissent en différents lieux, à différents niveaux.
- Que le régime des ayatollahs soit indéfendable ne veut pas dire qu’on a le droit, qu’il soit avisé, de faire ou de laisser tomber sur lui le « Marteau de Minuit » (nom de l’opération lancée par le Pentagone).
- Et quelle ironie destructrice. En même temps, et je choisis mes mots, qu’ils donnaient crédit à l’apparente possibilité de négociation alors que Trump préparait ses frappes, nos dirigeants se sont montrés victimes du biais cognitif bien connu sous le nom de « loi de l’instrument », selon laquelle qui possède un marteau a tendance à tout voir comme un clou !
- Et il y a plus grave. Notre tolérance avec les guerres d’Israël choque un grand nombre d’autres pays et forces de la planète - généralement concentrées au sud - ceux que l’Amérique de Trump expulse, bannit ou cherche à détruire… et que la Chine courtise.
Publié le 07.05.2025 à 08:59
Allô « Résilience », nous avons un problème… ≈070
Bonjour,Le mot « résilience » sonne bien. Un peu trop peut-être. Nous tendons à lui accorder plus de vertus qu’il n’en possède et l’usage abusif que nous en faisons risque de nous faire croire, quand nous l’adoptons, qu’il nous aide à bien poser un problème qu’en fait nous ne faisons que repousser sans nous donner une chance de bien l’aborder.Quel problème ?Le plus important peut-être de notre époque : comment faire face aux exigences de changements qui émergent et s’amoncellent. Comment ne pas seulement résister, voire même s’adapter à ce qui s’annonce, à ce qui nous arrive.Une question trop souvent mal posée.« Nous ne sommes pas arrivés là où nous sommes grâce à la notion de résilience » […], elle « étouffe les mécanismes de croissance et d'évolution » écrit l’économiste Nassim Nicholas Tayeb dans son livre Antifragile. Ce professeur à l’Université Polytechnique de New York est aussi l’auteur de la théorie du cygne noir qui traite des « événements imprévus à grandes conséquences et [de] leur rôle dominant dans l'histoire ». Exactement ce qui nous intéresse aujourd'hui.Mais de quoi parlons-nous?
L’art japonais du kintsugi consiste à réparer une céramique ébréchée ou cassée à l’aide laque et de poudre d’or pour l’utiliser à nouveau. Exposition Entre art et résilience. Maison du Japon à Paris. https://www.mcjp.fr/fr/kintsugi-entre-art-et-resilienceRésistance, résilience, adaptabilité« La résilience est la capacité d’un système à revenir à son état initial après avoir été perturbé, » explique le site Géoconfluences (Ressources de géographie pour les enseignants). « De façon plus précise, l’UNISDR (United Nations International Strategy for Disaster Reduction) définit la résilience comme « la capacité d’un système, une communauté ou une société exposée aux risques, de résister, d’absorber, d’accueillir et de corriger les effets d’un danger (...), notamment par la préservation et la restauration de ses structures essentielles et de ses fonctions de base ».Un progrès quand on se préoccupe de changement dans la mesure où ce terme se propose de dépasser les limites de la résistance qui cherche, par des travaux de correction, comme une digue, à s’opposer à l’aléa, tandis que la résilience vise à en réduire au maximum les effets. « La résistance prétend éliminer les risques en éliminant les aléas, la résilience admet que ce n’est pas possible; […] Elle reconnaît que le dommage n’est plus lié à une relation entre deux facteurs, comme entre aléa et vulnérabilité, mais à un ensemble de facteurs en interaction, à un système. »Partager Myriades \ Francis PisaniL’intérêt principal de cette précision est, à mes yeux, d’introduire une dynamique, une évolution dans la façon de se préparer aux perturbations, aux menaces, aux bouleversements. Elle pose un début de gradation dans la stratégie envisageable au lieu d’enfermer dans une unique acception, d’autant moins utile qu’elle est utilisée à toutes les sauces.Et maintenant que nous sommes lancés, nous n’avons aucune raison de nous arrêter là. Je parie que vous avez pensé à ce troisième terme fort utile: « adaptabilité ».Nous sommes enfin à notre aise. Il s’agit tout simplement de la faculté de s’adapter ou, comme le propose le site Indeed (moteur pour l’offre et la recherche d’emplois), de la « compétence comportementale qui vous permet d'adopter et d'accepter des évolutions ou changements de façon rapide ».Mais comment s’y retrouver avec ces trois notions : résistance, résilience, adaptabilité?Pour m’en sortir j’ai demandé au chat de Mistral.ai de me simplifier tout cela. Voici sa réponse:« En résumé, la résistance concerne la capacité à supporter des pressions sans changer, la résilience concerne la capacité à se remettre d'un choc, et l'adaptabilité concerne la capacité à changer et à s'ajuster à de nouvelles conditions. »Content.e.?Pas moi.La dynamique est enclenchée mais ne s’arrête pas là. Nous sommes toujours dans la réaction.Vers une théorie quantique de l’histoire ?Ce qui manque?L’anticipation d’un changement plus profond, d’une éventuelle mutation ou, mieux encore, d’une conception non-linéaire de l’histoire susceptible de se développer dans de multiples directions.Bizarre? A première vue, bien sûr. Mais le temps est venu de prêter attention à ce qui se présente comme une « théorie quantique de l’histoire » proposée par le philosophe Slovène Slavoj ZIzek. Une approche qui s’appuie sur la physique la plus avancée et rejoint le taoïsme le plus ancien.La « direction » de l’histoire n’est pas déterminable. Elle peut avancer, reculer ou faire un pas de côté résume Nathan Gardels dans Noéma Magazine.C’est, peut-être, cela que nous devons comprendre.J’y reviens aussi vite que je peux.Plus que jamais vos commentaires, suggestions et critiques sont les bienvenus.Abonnez-vous maintenant

Publié le 02.04.2025 à 08:25
Tout casser, tout brûler, le « brokenism » pro Trump ≈069
Xi, Poutine et Trump ont en commun de vouloir «renverser la table», a déclaré Pierre Haski lors de sa récente intervention sur Hors Norme.Image forte et d’autant plus belle que paradoxale.Ils s’attaquent tous les trois à l’ordre international établi à l’issue de la deuxième guerre mondiale sous l’égide des US. On le savait du russe et du chinois dont on comprend facilement qu’ils s’en considèrent les victimes. La surprise tient au fait que Trump les rejoigne au motif que cet ordre ne lui convient plus.Qu’il s’agisse de son besoin de simplicité, de sa sympathie pour les dirigeants autoritaires ou de son hypothétique espoir de séparer les deux autres, les tentatives d’explications les plus courantes me semblent insuffisantes.Suivons le Klash des mots…
Brokenism-MuskChainsaw©EricLee-NYT https://www.nytimes.com/2025/02/21/us/politics/elon-musk-doge-cpac-chainsaw.html
De quelle table parlons nous? Échecs, go, poker… ou golf?Les médias anglo-saxons parlent plus volontiers de renverser l’échiquier «overturn the chessboard». Une image que Poutine peut comprendre mais pas Xi, formé au go, ni le maître de Mar-a-Lago qui ne brille qu’au golf…Il a pourtant dit à Zelensky qu’il n’avait pas toutes les «cartes».Songeait-il au poker? Possible pour un homme de sa génération et de son style. Mais toujours avec son pistolet sur la table.Dialogue vraiment difficile qu’il pourrait croire régler en renversant cette dernière, quel que soit le jeu qui s’y joue.Mais j’ai du mal à imaginer qu’il veuille vraiment «du passé, faire table rase», comme le promettait l’Internationale, cette rengaine que Xi et Putin chantonnent depuis leur plus tendre enfance et à laquelle tout indique qu’ils ont renoncé.Du bluff tout ça? En partie, comme toujours, mais la référence à la brutalité est omniprésente dans le jeu de Trump, plus présente encore dans sa politique interne.Partager Myriades \ Francis PisaniPolitique intérieureIl est courant pour les autocrates (et pas que) de mener des politiques apparemment contre productives, quand on les observe de l’étranger, mais sources de gains en politique intérieure, celle qui compte vraiment.Or les sondages indiquent que 90% des Républicains sont contents des premières actions de leur président qui traite les autres par le mépris, la menace et parfois même la terreur sans la moindre envie de les séduire.Début de piste?J’en ai trouve une dans un débat organisé par le New York Times entre ses quatre chroniqueurs les plus conservateurs invités à répondre à la question : «Pourquoi tant de républicains apprécient-ils la direction que Trump donne au pays?»On y trouve un peu de tout, l’immigration, le fossé grandissant entre parti démocrate et travailleurs, les méfaits du wokisme intolérant, la haine des élites ou le ressentiment généralisé.Mais une explication se détache, formulée par David Brooks : «C'est l'idée que tout est cassé et qu'il faut tout brûler».BrokenismIl la prend dans un début de réflexion théorique formulée voici deux ans sur Tablet.com un «a Jewish magazine about the world» par sa directrice, la new yorkaise Alana Newhouse.Sous le titre « Brokenism » («broken» veut dire cassé) , impossible à traduire, elle proposait une vision de la situation américaine selon laquelle « Le vrai débat aujourd'hui n'est pas entre la gauche et la droite. Il est entre ceux qui s'investissent dans nos institutions actuelles et ceux qui veulent en construire de nouvelles. »En clair :

De quelle table parlons nous? Échecs, go, poker… ou golf?Les médias anglo-saxons parlent plus volontiers de renverser l’échiquier «overturn the chessboard». Une image que Poutine peut comprendre mais pas Xi, formé au go, ni le maître de Mar-a-Lago qui ne brille qu’au golf…Il a pourtant dit à Zelensky qu’il n’avait pas toutes les «cartes».Songeait-il au poker? Possible pour un homme de sa génération et de son style. Mais toujours avec son pistolet sur la table.Dialogue vraiment difficile qu’il pourrait croire régler en renversant cette dernière, quel que soit le jeu qui s’y joue.Mais j’ai du mal à imaginer qu’il veuille vraiment «du passé, faire table rase», comme le promettait l’Internationale, cette rengaine que Xi et Putin chantonnent depuis leur plus tendre enfance et à laquelle tout indique qu’ils ont renoncé.Du bluff tout ça? En partie, comme toujours, mais la référence à la brutalité est omniprésente dans le jeu de Trump, plus présente encore dans sa politique interne.Partager Myriades \ Francis PisaniPolitique intérieureIl est courant pour les autocrates (et pas que) de mener des politiques apparemment contre productives, quand on les observe de l’étranger, mais sources de gains en politique intérieure, celle qui compte vraiment.Or les sondages indiquent que 90% des Républicains sont contents des premières actions de leur président qui traite les autres par le mépris, la menace et parfois même la terreur sans la moindre envie de les séduire.Début de piste?J’en ai trouve une dans un débat organisé par le New York Times entre ses quatre chroniqueurs les plus conservateurs invités à répondre à la question : «Pourquoi tant de républicains apprécient-ils la direction que Trump donne au pays?»On y trouve un peu de tout, l’immigration, le fossé grandissant entre parti démocrate et travailleurs, les méfaits du wokisme intolérant, la haine des élites ou le ressentiment généralisé.Mais une explication se détache, formulée par David Brooks : «C'est l'idée que tout est cassé et qu'il faut tout brûler».BrokenismIl la prend dans un début de réflexion théorique formulée voici deux ans sur Tablet.com un «a Jewish magazine about the world» par sa directrice, la new yorkaise Alana Newhouse.Sous le titre « Brokenism » («broken» veut dire cassé) , impossible à traduire, elle proposait une vision de la situation américaine selon laquelle « Le vrai débat aujourd'hui n'est pas entre la gauche et la droite. Il est entre ceux qui s'investissent dans nos institutions actuelles et ceux qui veulent en construire de nouvelles. »En clair :
- Les «brokenists», [celles et ceux qui se retrouvent dans cette approche] pensent que nos institutions actuelles, nos élites, notre vie intellectuelle et culturelle et la qualité des services dont beaucoup d'entre nous dépendent ont été vidées de leur substance. Pour eux, l'establishment américain, au lieu d'être une force de stabilité, est un enchevêtrement obèse et corrompu de pouvoirs fédéraux et d'entreprises qui menacent d'étouffer le pays tout entier.»
- «Les brokenists viennent de tous les horizons de l'échiquier politique. Ils ne sont pas d'accord entre eux sur les types de programmes, d'institutions et de cultures qu'ils souhaitent voir prévaloir en Amérique. Ce sur quoi ils s'accordent - et c’est plus important que tout le reste - c'est que ce qui fonctionnait auparavant ne fonctionne plus pour un nombre suffisant de personnes.»
Publié le 20.03.2025 à 17:59
Guerre à « guerre » ≈068
Bonjour,Un peu de nouveauté…J’ajoute, à partir d’aujourd’hui, une rubrique consacrée à la guerre des mots et des idées : « Parlons Klash ».Outre Myriades, elle apparaît aussi sur le nouveau site Aquarius.news nouveau media dédié à l’innovation civile au service de la défense et de la protection des citoyens. Une entreprise résolument européenne.
Voici comment je l’y présente:Bonjour et bienvenue sur un champ de bataille où on perd, parfois, la vie et, trop souvent, la tête : la guerre des mots.Mais attention : « Abandonnez toute certitude, vous qui entrez ici ».On ne se baigne jamais deux fois dans le même mot. A nous d’en explorer la plexité (j’y reviendrai), les connexions, les réseaux de sens qu’anciens et nouveaux peuvent ouvrir, de s’y balader, d’en titiller les confins.En bref, il faut se battre avec les mots, contre, pour et sans eux (ça arrive même aux clavitifs).Parlons Klash!« Guerre » ne veut plus rien direChez nous, en Ukraine, la guerre est là.A Varsovie, Berlin, Stockholm ou Chisinau, le mot est sur bien des bouches et dans bien des têtes. Elle guette, elle est proche, présente même.Mais le mot n’a plus de sens. L’utiliser ne fait qu’augmenter la confusion, le brouillard qui l’accompagne toujours dirait-on en anglais (fog of war).Le mot - pas sa réalité - ne veut plus rien dire.Larousse le définit comme une « Lutte armée entre États »… « considérée comme un phénomène historique et social (s'oppose à paix) » précise Le Robert.Ceux qui la font, Poutine, Netanyahou et plein d'autres, se gardent bien d’utiliser le terme qui les obligerait à respecter les règles du droit international.Qui la déclare - George Bush contre la terreur et Macron contre la COVID - s’en prend à des problèmes que la guerre ne saurait résoudre et qu’on ne peut considérer comme réglés. « Une guerre peut prendre fin lorsqu'il y a reddition et capitulation de l'État vaincu » explique le site officiel Vie Publique.L’Ukraine et la Russie sont donc bien « en guerre », même si l’agresseur ne le reconnaît pas. Destructions et victimes sont là pour en porter l’horrible témoignage. Mais l’invasion russe reste, officiellement, une « opération spéciale ».Interrogez votre IA ou votre moteur de recherche préféré et vous verrez qu’à part trois conflits non conclus par des traités de paix, le monde ne connaît pas de guerre officielle en ce moment. Et pourtant, le nombre de conflits armés en cours s’élève à près de 60 pour le Peace Research Institute d’Oslo, à 110 selon la Geneva Academy.PartagerUne piste : « conflagration »Le Figaro nous donne une belle et courte histoire de la vie française du mot « conflagration ».

- Désignant au départ - en 1690 - un « incendie de ville, le terme s’applique aujourd’hui à un « Conflit international de grande envergure ».
- L’évolution s’explique par l’origine latine du terme. « Flagrare » veut dire brûler. Accompagné du préfixe con (ensemble) il indique plusieurs éléments brûlant ensemble.
Publié le 02.03.2025 à 09:46
Dire NON! comme Zelensky ≈067
Bonjour,Difficile de s’y retrouver dans cette actualité secouée par une stratégie trumpienne fondée sur la la menace, le chantage, la peur qu’elles suscitent, sa gueule irascible, ses mensonges assassins.Piégés par la confusion, minés par des années d’impuissance face à ce monde que nous voyons se détruire sans trouver comment l’améliorer, nous avons, à des degrés variables, tendance à nous réfugier dans le déni, la recherche d’un refuge loin de toute hypothèse nucléaire, ou la déprime.Arrêtons.Point n’est besoin d’avoir une réponse claire, de savoir quoi faire et avec qui.Commençons par dire : NON! pour inverser la dynamique.Comme l’a fait Zelensky dans le bureau ovale, au coeur de la Maison Blanche, à la face de Trump, au nez de Vance l’idéologue provocateur d’un président déstabilisé par la fermeté de son interlocuteur ukrainien qu’il pensait manipuler comme une marionnette.Quel courage. Quel force. Et quelle intelligence.Sa marge de manoeuvre étant proche de zéro il a joué la carte de la dignité contre celle du mépris.En disant simplement NON!.Position morale qui ne règle pas tout, mais bon début dont nous avions le plus grand besoin.PartagerCommençons par dire : NON!NON! est le premier mot de toute rébellion comme de toute innovation.
- Galilée n’a pas commencé par affirmer : « Et pourtant elle tourne ». Tout a commencé quand il s’est convaincu du fait que, NON! le soleil ne tourne pas autour de la terre.
- Les colons de Boston on dit NON!, en 1773, aux impôts exigés par le roi d’Angleterre, avant de participer, trois ans plus tard, à la déclaration d’indépendance des États-Unis.
- De Gaulle a dit NON! au renoncement de Pétain avant d’organiser la participation des Français à leur libération.
- Steve Jobs a dit NON! aux ordinateurs tristes et compliqués avant de lancer le Mac.
- C’est en disant haut, fort et publiquement NON! que les femmes ont fait reculer le harcèlement sexuel.
- etc., etc., etc.
- Tous les « NON! » n’ont pas le même sens… Le fait de protester, de refuser, de s’opposer m’est généralement sympathique. Mais il faut faire attention à ceux qui dévient le terme, pour protester contre les vaccinations par exemple.
- Dire NON! ne suffit jamais. Il faut agir après, proposer, dialoguer… Sur de meilleures bases quand on a d’abord fait état de sa capacité et de sa volonté de refuser l’inacceptable.Laissez un commentaire.
Publié le 21.02.2025 à 12:37
Président, et si vous alliez à Pékin lundi ? ≈066
URGENTMonsieur le Président,Si vous voulez être écouté, ça n’est pas à Washington qu’il faut aller lundi, mais à Beijing.Reprenant une formule chère aux innovateurs et aux startups que vous aimez je vous dis : « Et si… » vous aviez l’audace de renverser la table à votre tour ?L’hypothèse : Si vous voulez qu’Europe et Ukraine figurent à la table des négociations Trump-Poutine, qu’elles aient une chance de participer aux décisions concernant leur futur, rendez visite à Xi (il trouvera sûrement un créneau dans son agenda).
Series: Nixon White House PhotographsPourquoi ?

- Parce que vous n’êtes pas assez fort pour faire bouger Trump en le suivant. Vous n’y gagnerez que mépris ;
- Parce qu’il vous respectera si vous lui donnez la preuve que vous avez compris sa vision stratégique ;
- Parce que vous pouvez négocier avec Xi sur des bases d’intérêts mutuels bien compris et donc en tirer quelque chose et marquer l’opinion mondiale avec un geste fort.
- Le maître du Kremlin n’a rien trouvé mieux que de proposer son indéfectible amitié à Xi en échange d’une aide économique et militaire. Il livrait tout son front Est à son plus sérieux adversaire géopolitique. Car, comme le remarque l’ancien diplomate singapourien Kishore Mahbubani le 18 février dans la revue Foreign Affairs : « Quel est le principal rival stratégique de la Russie, l'UE ou la Chine ? Avec qui a-t-elle la plus longue frontière ? Et avec qui sa puissance relative a-t-elle tant changé ? Les Russes sont des réalistes géopolitiques de premier ordre. Ils savent que ni les troupes de Napoléon ni les chars d'Hitler n'avanceront à nouveau jusqu'à Moscou. » A fortiori, vous me l’accorderez, celles et ceux de l’Union Européenne.
- Mais il ne s’agit pas que de l’Eurasie puisque l’ultime affrontement est planétaire. Pourquoi pas inclure l’Afrique pendant qu’on est à table. Maintenant que la France est hors jeu militairement, soutenir Poutine lui permettrait de faire intervenir une puissance expérimentée à moindre frais. Une coopération ne saurait être exclue. Et Poutine pourrait ainsi préserver l’accès aux richesses minières ouvert par l’ancien groupe Wagner.
- Mahbubani conseille à l’Europe de pousser la Chine à participer au développement de l’Afrique afin de réduire les migrations qui lui posent problème. Pas une mauvaise idée venant d’un expert… Vous pourriez juste ajouter que l’expérience française suggère de ne pas être trop gourmand.
- Appuyez vous sur la confirmation du soutien chinois aux accords de Paris abandonnés par Trump. Nos préoccupations sont assez proches en matière d’environnement et de crise climatique. Nos intérêts aussi.
- Quant à l’intelligence artificielle, les perspectives sont immenses. Pékin a signé l’accord conclu au sommet que vous venez d’organiser. Coopérer pour le développement d’IA plus frugales (pensez au Chat de Mistral ou à DeepSeek ) que celles conçues à Silicon Valley intéresserait la pus grande part de l’humanité.
- Si vous faites ce que tout le monde attend de vous, ni l’Ukraine, ni l’Europe n’obtiendront quoi que ce soit de Trump qui ne joue pas, en fait, le match auquel il fait semblant de ne pas vous inviter (sic).
- Surprenez le, Poutine et tout le monde, en demandant à votre pilote de commencer par Beijing. Cet impensable bien pensé vous mettra dans une position, enfin, de surprise et de force. A lui d’être déconcerté.
Publié le 17.02.2025 à 11:24
Souveraineté m’a tuer ≈065
Bonjour,Je commence cette chronique avec un petit sourire jouissif. Elle me permet en effet de m’en prendre « en même temps » à Marine Le Pen et à Jean-Luc Mélenchon tout en égratignant Monsieur Macron soi-même.De quoi s’agit-il ?Du Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle (IA) qui vient de se dérouler à Paris.Mais pas sous l’angle de la tension (trop souvent binaire) entre l’innovation sans frein et contrôle politique voir sociétal. Sous l’angle de ceux qui en font une question de « souveraineté ».
≈065-MurUS-Mex-Nogales_militarytimes.com (Jonathan Clark/Nogales International via AP)Commençons par deux citations tirées de tribunes écrites par les deux leaders politiques évoqués plus haut et publiées le même jour (8 février) par Le Figaro.
≈065-Table négociations_depositphotos.comPeut-être pourrions nous essayer d’autres métaphores inspirées des espaces où l’on cause :

- « Le cœur des questions posées est dans la souveraineté sur les données et les usages qui en sont fait. »
- « Avec une ambition politique forte, fière et souveraine, la France saura être à la hauteur du défi de l’IA. »
- Remise en question de l’importance des États-nations aujourd’hui menacés par la puissance croissante des méga-corporations de l’hyper capitalisme;
- Interdépendance accrue du fait du rôle croissant des échanges en tous genres.
- Multiplication des instances internationales plus ou moins contraignantes.

- La table ronde (du conseil de sécurité);
- La grande salle (de l’assemblée générale);
- Ce qu'il dit et fait colle avec la théorie de Carl Schmitt, philosophe nazi. Selon lui « La distinction spécifique à laquelle les actions et les motivations politiques peuvent être réduites est celle entre ami et ennemi ». Simple : au lieu de causer on cogne.
- Ça s’insère dans une conception qualifiée de « souverainiste » - nous voici de retour à notre point de départ - des relations internationales. Elle consiste à refuser « tout enchevêtrement de règles ou de normes d'autrui qui pourrait limiter l'autonomie absolue d'un État à agir unilatéralement dans son propre intérêt » explique Nathan Gardels dans le magazine Noéma.
Publié le 04.02.2025 à 08:18
Quand l’empire du milieu change de continent et l'IA d'échelle ≈064
Bonjour,« La vraie guerre commence » écrit Jean-Michel Bezat dans sa chronique publiée sur le site du Monde le lundi 3 janvier. Je crois qu’il a raison et que ces quinze derniers jours nous donnent une idée de la façon dont les deux principaux acteurs s’y engagent, en termes symboliques, mais pas que.Le style adopté par Trump pour son retour à la Maison Blanche et l’irruption au timing précis de DeepSeek, une intelligence artificielle chinoise, permet de se faire une idée de comment chacun des adversaires de la grande conflagration géopolitique de cet encore début de siècle (il s’annonce très long) entend passer à l’étape suivante de la confrontation.Un autre Empire du milieu ?Et si le monde venait de basculer, le « moyeu » changer de continent ?Partager Myriades \ Francis PisaniLe pays se vivant comme « Empire du milieu » - immense étendue de terres centrée sur elle-même - est aujourd’hui le nouvel espace impérial conçu et dessiné par Trump2 qui rêve sans doute d’une Amérique « Great Again » pour quelques millénaires.Ses appétits déclarés pour le Canada, le Groenland, Panama et les Philippines visent à mettre les États-Unis au centre d’une masse territoriale protégée par des limbes distantes du centre, auto suffisante en énergie, forte de ses percées en intelligence artificielle et dotée d’un marché permettant à ses plus grosses entreprises de s’enrichir à gogo.En termes symboliques, la mainmise se manifeste par le changement de nom du golfe du Mexique en golfe de l’Amérique. Un pluriel aurait été plus élégant, surtout si on y ajoute la mer qui divise et réunit les Caraïbes et l’Amérique centrale, région que j’ai baptisée Bassin des Ouragans (Cuenca de los huracanes en espagnol) et à laquelle le Secrétaire d’État, Marco Rubio, consacre son premier voyage pour en marquer l’importance.A l’inverse, la suspension de l’aide humanitaire au reste du monde montre le manque d’intérêt et presque le mépris qu’on a pour lui. En se déplaçant, la notion « d’empire du milieu » conserve son sous-texte : tous ceux qui n’en sont pas sont des « barbares ».La Chine module sa stratégieComme si elle voulait souligner ce renversement des rôles (que Trump ne se fasse pas trop d’illusions), la Chine a choisi le même moment pour lancer sur le marché DeepSeek, une mini intelligence artificielle ultra puissante qui a semé la panique à Silicon Valley comme à Wall Street.La technologie pure n’est pas, ici, la partie la plus importante.Les deux points à retenir pour les non-spécialistes sont :
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- Son ouverture. Elle est « open source » ce qui permet à qui veut de copier et adapter les processus utilisés ;
- Sa frugalité. Son gros travail sur la qualité des algorithmes permet d’utiliser des chips moins chers et de consommer moins d’énergie.
- Aux État-Unis mêmes, Trump s’en prend à ceux qui ne sont pas d’accord avec lui… anciens collaborateurs, juges ou médias. On commence à parler de coup d’État;
- Poutine a ouvert le chemin en assassinant Navalny et en envahissant l’Ukraine;
- Le gouvernement de Netanyahou a décidé de « refaçonner le Moyen Orient » quoi qu’il en coûte… aux autres.
- Modi réprime les Musulmans indiens et Xi les Ouïgours, sans états d’âme.
- Les petits en profitent. Kagame, le rwandais, se dépêche de leur emboiter le pas en envahissant une des régions les plus riches du Congo voisin. Qui aura le culot - ils n’en manquent pas pourtant - de le lui reprocher ?


Publié le 23.01.2025 à 11:45
L’armée de Dieu de Trump ≈063
Impérial ! Autoritaire ! Dangereux ! Prometteur ! Historique ! J’en passe et des pires…Malgré l’hyper couverture médiatique et le tintamarre des sonneries d’alarmes tirées de toute part, ce qui nous lisons, voyons, entendons et qui nous inquiète concernant Trump2 reste en dessous de la réalité.La crainte sur laquelle j’attire votre attention aujourd’hui est, qu’en plus, il ouvre les portes à l’éclosion d’une religion fondamentaliste, en gestation depuis plus de 30 ans, et à son armée de croisés.
The Atlantic - Illustration by Nicolás Ortega. Sources: Kevin Liles / Sports Illustrated / Getty; Penta Springs Limited / Alamy.Partager Myriades \ Francis PisaniConnue sous le nom de Nouvelle Réformation Apostolique (NAR en anglais) elle représente une profonde transformation du christianisme américain et son adoption de positions de plus en plus radicales. Le mouvement qui attire des dizaines de millions de personnes de différentes confessions est celui qui croît le plus vite. Plus de 40% des chrétiens (y compris des catholiques) se retrouvent dans ses valeurs. En « guerre » (le terme n’est pas de moi) depuis des années ces gens voient dans le « nouveau » président l’envoyé chargé d’accélérer le retour du royaume de dieu. Ils ont activement participé au soulèvement du 6 janvier 2020. Trump, Musk et le vice-président Vance y puisent tout le soutien qu’ils peuvent.L’armée de dieu sort de l’ombreL’article le plus complet sur la NAR (il n’y en a pas beaucoup) a été publié par The Atlantic sous le titre : The Army of God Comes out of the Shadows (L’armée de Dieu sort de l’ombre). Il est écrit par Stephanie McCrummen, prix Pulitzer (le plus prestigieux) pour ses travaux passés. Comme il est en anglais, et que l’accès est payant, je me permets de vous en signaler les points les plus importants.
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- Il commence par le récit d’une soirée de prières dans une étable en Pennsylvanie deux jours après la victoire électorale de Trump2. Une sorte de « war room » dans laquelle « Au moins une personne, et parfois des dizaines, avaient prié chaque minute de chaque jour pendant plus de 15 ans pour la victoire qui semblait maintenant à portée de main. Dieu était en train de gagner. Le Royaume arrivait. »
- Radicale plus encore que conservatrice, la NAR se donne depuis 1996 pour mission de « construire le Royaume » ce qui veut dire, en termes clairs : « détruire l'État laïque avec des droits égaux pour tous, et le remplacer par un système dans lequel le christianisme est souverain. En pratique, le mouvement a mis toute la force de Dieu du côté de l’économie capitaliste de marché. »
- Issu de cette mouvance et soutenu par J. D. Vance, un livre intitulé Unhumans (Non-humains), décrit les opposants politiques comme des « non-humains » qui veulent « détruire la civilisation elle-même ». Le livre affirme que ces « non-humains » doivent être « écrasés ». « Notre étude de l'histoire nous a amenés à cette conclusion : La démocratie n'a jamais réussi à protéger les innocents contre les non-humains », écrivent les auteurs. « Il est temps d'arrêter de jouer selon des règles qu'ils refusent. »
- Certains chercheurs attentifs à l’évolution de ce mouvement y voient « le mouvement religieux le plus significatif du XXIème siècle », celui qui « fournit les fantassins pour démanteler l’état séculier ».
- Dans un livre intitulé The Violent Take it by Force, Matthew D. Taylor, chercheur à l’Institut d’études islamiques, chrétiennes et juives précise que les leaders de la NAR ont été les « principaux architectes théologiques » de l’insurrection du 6 janvier 2021 dont les acteurs viennent d’être graciés et que leur « [Leur] ordre du jour [agenda en anglais] c’est maintenant Trump ».
Faith leaders, including major figures in the New Apostolic Reformation movement, pray with Donald Trump at the White House in 2019. (Storms Media Group / Alamy)Partager
- Trump, qui se dit (il finira bien par le croire, si ce n’est déjà le cas) « miraculé » depuis l’attentat manqué auquel il a échappé, a toujours bénéficié du soutien des mouvements religieux les plus conservateurs. Cette fois, ça va plus loin.
- Plus grave, parce que plus diffus et donc plus difficile à saisir, il doit une grande partie de son succès politique à la solitude des plus défavorisés, des hommes jeunes, d’un peu tout le monde. Or on n’a rien trouvé de mieux jusqu’à présent que les religions pour donner un sens de communauté.
- Face aux difficultés que la nouvelle administration risque de rencontrer au moment de passer des promesses aux actes, recourir à une foi plus organisée et d’autant plus efficace qu’elle repose sur une structure non hiérarchisée en réseaux, risque d’être particulièrement tentante. Nous en avons vu un exemple lors de ce meeting perturbé où plutôt que de parler de son programme celui qui n’était alors que candidat s’est , tel un preacher, à bercer la foule au son, entre autre, d’Ave Maria.
- Une telle évolution peut parfaitement convenir aux géants de la tech algorithmique qui privilégie l’émotion, donc la montée aux extrêmes et s’accorde à merveille avec la fragmentation et les cassures du monde. Ces géants qui le soutiennent à fond et viennent de manifester leur allégeance.

Publié le 05.01.2025 à 18:51
2034, roman réveil ≈062
Bonne année à toutes et tous…Commençons par un bon livre pour aborder presque sereinement ce qui nous attend (spoiler : je ne parle pas de dissolution).Myriades \ Francis Pisani est une publication soutenue par les lecteurs. Pour recevoir de nouveaux posts et soutenir mon travail, envisagez de devenir un abonné gratuit ou payant.Un roman… Mais je vous préviens, celui-ci imagine comment nous pourrions nous retrouver happés dans l’engrenage d’une conflagration planétaire.Parler de la mort n’a jamais tué personne. Parler de guerre non plus j’espère. Et un bouquin qui tient la route est trop précieux pour être ignoré. Surtout s’il est utile.
Source : Wikipedia2034, le livre2034, tel est le titre, a été publié aux États-Unis en 2021 avec un sous-titre on ne peut plus clair : A Novel of the Next World War, soigneusement gommé de l’édition française par peur, j’imagine, d’inquiéter. C’est pourtant là une de ses vertus principales : il alerte en mettant en scène ce qui pourrait bien arriver… après-demain… ou plus tôt.Les deux auteurs savent ce que « guerre » veut dire.Ancien Marine, Elliot Ackerman a commandé des troupes spéciales en Afghanistan et en Irak. Le New York Times review of Books estime d’un de ses premiers romans qu’il « a fait quelque chose de courageux en tant qu'écrivain et d'encore plus courageux en tant que soldat : il a touché, pour de vrai, la culture et l'âme de son ennemi. » Un art qu’on retrouve dans 2034.Ancien commandant du groupe d'attaque naval mené par le porte-avions Enterprise dans le Golfe Persique de 2002 à 2004, l’amiral James Stavridis a occupé plusieurs postes de commandement en chef dont celui de l’OTAN. Il connaît par coeur les différents théâtres d’opérations traités dans le livre : la mer de la Chine du sud revendiquée par Beijing, Kaliningrad cette obsession russe, ou le détroit d’Ormuz, position stratégique dont le contrôle peut changer les flux mondiaux d’énergie, entre autres.Ensemble, ils nous donnent un vrai thriller structuré autour de l’inévitable affrontement des deux superpuissances de notre époque qu’ils font démarrer par un piège tendu par le Chinois. Les Américains s’y précipitent la tête la première et s’empêtrent, entraînant leurs ennemis dans un emmêlement dont personne ne sait plus comment se dégager.On y voit une femme commodore en charge d’un destroyer américain dont l’escadre est anéantie sans qu’elle comprennent pourquoi, sur le moment.Un pilote de chasse US dont l’avion se fait aspirer au dessus de l’Iran sans, lui non plus, s’expliquer comment.
Escadre-chine-pa-20243110-Zonemilitaire/Opex360.com.jpgUn amiral chinois diplomate en poste à Washington dont je ne vous dirai pas plus.Un ministre de la défense et membre du politburo de Beijing qui s’inspire de Sun Tzu (impossible d’y couper) pour berner une présidente américaine modérée et craignant de paraître trop faible…Un officier irascible des Gardes révolutionnaires iraniens qui, incapable de foutre une simple baffe à son prisonnier, complique la situation, peut-être à dessein.Un analyste américain d’origine indienne qui a le plus grand mal à gérer une crise planétaire en même temps que la garde de sa fille dont il a quitté la mère.Une amiral russe qui, suivant les instructions de Poutine, toujours au pouvoir, profite de la situation pour rattacher Kaliningrad à la mère patrie.Le tout est tissé de tensions et de jalousies familiales, amoureuses ou professionnelles qui, loin d’être le centre du livre, lui donnent une chaleur humaine et en rend la lecture facile.Elle est aussi utile.Thanks for reading Myriades \ Francis Pisani! This post is public so feel free to share it.PartagerLire 2034 permet de comprendre comment :
Carte partagée plus de 4,2 milliers de fois, avec plus de 5 millions de visualisations par le compte X (ex-Twitter) @EndWokeness.Bonne année à toutes et tous…
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- l’affrontement se jouera sur plusieurs théâtres à la fois et fera intervenir des alliances et des rivalités entre puissances secondaires tout aussi surprenantes que les technologies alors que l’Europe, sauf la Russie ne joue pas le moindre rôle;
- une fois lancée, la logique des inter-actions, devient incontrôlable du fait des relations entre les différentes composantes de l’ensemble.
- Parce qu’elle est vraisemblable et que si nous attendons la veille pour nous réveiller il sera trop tard.
- Parce que ces deux militaires américains reconnaissent l’importance des revendications des pays affectés par 5 siècles de domination occidentale et n’hésitent pas à écrire, en plus, que « L'Amérique que nous croyons être n'est plus celle que nous sommes. . . . ». Et la Chine pas encore… Quant aux Européens qui, sauf la Russie, sont inexistants dans cette grande conflagration, ils feraient bien d’admettre que cela vaut pour eux plus encore.
- Deux câbles sous-marins de communication ont été coupés en Mer baltique. Le hasard ne faisant jamais si bien les choses on parle de sabotages dans lesquels seraient impliqués un bateau russe, un chinois et un chinois piloté par un Russe.
- Des Chinois ont hacké le Département Trésor américain (l’équivalent, en France, du Ministère de l’économie et des Finances) et, ainsi, gagné « accès à certains documents non classifiés ».Partager
- Quant à Donald Trump il a souhaité un « joyeux Noël au gouverneur du Canada, Justin Trudeau, dont la fiscalité est beaucoup trop élevée. Si le Canada devenait notre 51ᵉ État, les taxes seraient réduites de plus de 60%, toutes les entreprises doubleraient immédiatement de taille et les Canadiens bénéficieraient de la protection militaire la plus importante au monde. » Idem pour les « habitants du Groenland, qui est nécessaire aux États-Unis pour des raisons de sécurité nationale, et qui veulent que les États-Unis soient là—et nous y serons ! » Et ce n’est pas tout, comme le montre la carte ci-dessous trouvée sur Le Grand Continent sous le titre “Noël avec Empire”.


Publié le 20.12.2024 à 15:11
Trouver l’IA sur la plage ≈061
Autant y aller franco… Marc Andreessen, un des investisseurs les plus puissants de Silicon Valley, se trompe (et/ou nous trompe) quand il proclame - c’est devenu le mantra de toutes celles et ceux qui s’intéressent au sujet - que « le software, » puis que « l’intelligence artificielle va manger le monde ».Nous assistons, au contraire, au fait que le monde est en train de digérer les deux. Je crois vraiment que c’est important.
world-eating-software-JustinGarrison.comLa vraie place de l’IACommençons par une question embarrassante (pour moi) : et si je m’étais trompé en choisissant « Ce truc change tout » comme titre de mon premier billet pour Myriades ?Jolie, cette formule marketing (qui a fait la fortune de l’iPhone) n’aide pas vraiment à comprendre ce qui se passe depuis deux ans (apparition de ChatGPT).Que l’IA et les technologies de l’information (on ne peut les séparer et quand je dis « IA » c’est à ce duo que je me réfère) chamboulent un peu tout ne fait pas de doute.Je persiste et signe.L’erreur pourrait bien se trouver dans le fait que je donne l’impression de mettre le « truc » en question au centre des multiples mutations qui nous emportent. Et là, j’ai des doutes. Me serais-je laisser embobiner par le discours dominant chez les technophiles ?Clairement.Car, si elle est toujours présente quelque part, l’IA n’est pas toujours au premier plan.Elle participe aux mutations planétaires, les accompagne, les amplifie, mais n’est que rarement - encore - la cause de quoi que ce soit d’essentiel sur le temps long.
CAS-er.educause.edu-Credit Mark Allen Miller 2018Le livre n’a pas créé l’époqueL’IA contribue au développement de la médecine, de la politique, de la guerre. Mais ce sont les changements sociaux, climatiques, culturels, économiques et politiques de nos sociétés qui comptent le plus.Ou, plutôt, leurs inter-actions.C’est vrai pour toutes les technologies.Prenons un exemple passé : l’invention de Gutenberg a facilité la circulation des critiques du catholicisme mais n’a créé ni la Réforme ni la Renaissance, auxquelles ont contribué tout autant les « découvertes » de Copernic, Galilée ou Colomb et, plus encore, les mutations sociétales de cette période.Accélérateur de l’extension du phénomène dans le temps et l’espace, le livre n’a pas créé l’époque.On gagne toujours à prendre en compte les composantes technologiques des évènements, mais c’est aux inter-actions (bis repetita…) entre les différentes dynamiques qui les utilisent qu’il faut prêter le plus d’attention.Partager Myriades \ Francis PisaniUn emmêlement de crisesJ’ai du mal à croire, à accepter, que le plus important aujourd’hui - comme le laissent entendre trop d’informations récentes sur l’intelligence artificielle - soit d’être au courant des mille recours d’Elon Musk, Marc Andreessen et le gang des algorithmes et de la data, pour gagner encore plus de milliards.Même leurs incertitudes sur la meilleure façon de pousser leurs technologies au maximum ne me semble pas concerner directement les non-professionnels.Il est un sujet, par contre, auquel nous gagnerions tous à consacrer plus d'attention : l’emmêlement de crises planétaires risquant de dégénérer en violences et destructions paroxystiques.C’est là, il me semble, que l’avenir se joue le plus sérieusement. Là que nous pouvons trouver les motivations (purpose en anglais) les plus fortes. Là qu’il convient de faire attention au rôle joué par l’IA et ceux qui l’utilisent comme levier de puissance. Là que comprendre pour anticiper prend tout son sens.Dès 1976 Edgar Morin a tenté de lancer la « crisologie, » néologisme rugueux mais clair. Pour avancer, il a développé la notion de « polycrises » (Dynamique des relations ≈032) remise en usage récemment par Adam Tooze, professeur à l’Université de Columbia qui précise :« Une polycrise n'est pas seulement une situation où l'on est confronté à des crises multiples. Il s'agit d'une situation telle que […] le tout est encore plus dangereux que la somme des parties » en raison des inter-actions entre ces différentes sources de tensions, voir de conflits, voir de guerres.Prenons deux exemples :


- La crise ukrainienne a facilité le renversement d’Assad, qui relance à son tour les appétits de Daesh sur la Syrie, la montée des tensions entre le gouvernement turc et les Kurdes, l’appétit de Netanyahou pour le Golan et pourrait transformer le pays en nouveau trou noir attracteur d’instabilités armées.
- La crise climatique entraîne une extension de l’ère géographique favorable aux moustiques et donc des victimes potentielles de la malaria ou de la dengue (500 millions de personnes supplémentaires en 2050 selon certaines études). A l’inverse - les crises sont aussi des opportunités disent les chinois - elle pousse certain.e.s d’entre nous à augmenter leurs consommations de fruits et de légumes ce qui est bon pour la santé.
- L’IA peut-être utile (pour prévoir certains développements météo par exemple). Mais nous ne pouvons pas lui faire totalement confiance.
Publié le 18.11.2024 à 17:25
Quand le mensonge est le message ≈060
Bonjour à vous,Reprenons la conversation après quelques semaines de silence de ma part. Rien dans ma vie privée n’y a contribué, mais je dois reconnaître avoir été bouleversé par la gravité des événements les plus récents. J’ai beaucoup lu et relu, écouté, vu, tenté de comprendre. Jusqu’à l’exaspération. Comme vous peut-être.Pour mieux comprendre la tech et l’IA, comment s’en servir et s’en protéger, il me semble essentiel de prendre le temps de la situer dans notre monde qui bouge, pas seulement de son fait. Nous aurons plein d’occasions de revenir sur l’impact du duo Trump-Musk dans ce domaine.Pour le moment, au cœur de nos multiples crises, on trouve la chronique d’une victoire annoncée contre laquelle les mieux intentionnés, chez ceux qui en avaient les moyens, n'ont rien su faire. Facile à critiquer. Mais vain. Comme de traiter Trump ou les Américains de cons. Mauvaise habitude qui ne mène nulle part.Et si on prenait le problème à l’envers me suis-je alors demandé. Peut-être a-t-il du génie ? Peut-être a-t-il compris quelque chose qui nous échappe ?Mais quoi ?Voici mon hypothèse. Parlons-en. Dites ce que vous en pensez. Par mail ou en ajoutant des commentaires que tout le monde peut lire.A vite…Quand le mensonge est le message…
Image trouvée sur Salon.com rappelant que le Washington Post a compté 30.753 contrevérités (untruth) proféré par l’ex et futur président lors de son premier mandatLégions, les arguments avancés pour expliquer le retour triomphal de Trump portent le plus souvent sur le jeu politique : vote des femmes, des hommes jeunes, évolution des noirs et des latino-américains, découpage des circonscriptions électorales ou rôle des médias d’extrême droite, entre autres. Leur nombre même empêche de voir l’essentiel : la variable Trump ! L’homme qui a exploité avec génie (malfaisant de mon point de vue) un secret de la communication : le mensonge comme message.Une martingale restée longtemps dans l’ombre parce que les élites étaient d’accord pour n’en pas abuser. Ne sert-elle pas aussi bien le monde économique que politique ?C’est fini depuis qu’un homme sans surmoi a décidé d’arrêter de faire semblant. Un processus mûrement mis au point au fil des années mais que l’on peut saisir en regardant une courte vidéo révélatrice.Partager Myriades \ Francis PisaniLe jour où il a cessé de faire semblantImaginez un.e prof qui transforme ses cours en rave parties au lieu d’enseigner mais dont les élèves ont le bac avec mention. Y’a un truc ! C’est ce qui s’est passé avec Trump au cours d’un meeting tenu en Pennsylvanie le 14 octobre dernier. Il faisait chaud. Deux personnes se sont évanouies.Ça suffit en a conclu l’ex-président en quête de réélection : « Ne posons plus de questions. Écoutons simplement de la musique. Faisons-en une musique (sic). Who the hell wants to hear questions, right? (Qui donc a envie d'entendre des questions ?) »
South Dakota Gov. Kristi Noem (R) and Donald Trump dance to "Y.M.C.A." in Oaks, Pa.-Washington Post
Ça a duré 39 minutes pendant lesquelles le public s'est remué au son d’Ave Marias et de tubes comme Y.M.C.A tirés de sa playlist de Spotify.Révélateur ? Pas qu’un peu ! Il vide de sens le meeting, moment sacré (mais vite barbant) de toute campagne politique. Il dit aussi clairement que possible « vous n’avez rien à foutre de ce que je pourrais vous dire et moi rien des questions que vous pourriez me poser ». Ce qui compte c’est d’être ensemble, le reste n’est que billevesée, un mensonge auquel nous ne croyons plus.Peurs, incertitudes et désaffectionsLe bonhomme réussit d’autant mieux qu’il s’exprime dans un contexte de crises multiples et atterrantes pour les Américains comme pour le reste de la planète.
Graph produit par le Financial TimesRestait à en profiter.La recetteDeux livres nous disent tout ce qu’il faut savoir. L’un sous forme de roman et l’autre d’essai : Le mage du Kremlin et Les ingénieurs du chaos. Tous deux du même auteur Gerardo da Empoli, l’Ottolenghi de la cuisine politique d’aujourd’hui. A lire.Contentons nous, aujourd’hui, d’une recette express et commençons par ce que nous n’avons pas envie de reconnaître, un peu comme l’épluchage des légumes :


Ça a duré 39 minutes pendant lesquelles le public s'est remué au son d’Ave Marias et de tubes comme Y.M.C.A tirés de sa playlist de Spotify.Révélateur ? Pas qu’un peu ! Il vide de sens le meeting, moment sacré (mais vite barbant) de toute campagne politique. Il dit aussi clairement que possible « vous n’avez rien à foutre de ce que je pourrais vous dire et moi rien des questions que vous pourriez me poser ». Ce qui compte c’est d’être ensemble, le reste n’est que billevesée, un mensonge auquel nous ne croyons plus.Peurs, incertitudes et désaffectionsLe bonhomme réussit d’autant mieux qu’il s’exprime dans un contexte de crises multiples et atterrantes pour les Américains comme pour le reste de la planète.
- Les États-Unis sont effectivement moins dominants qu’avant. Ce que confirme involontairement le dernier mot du slogan « Make America Great AGAIN ». De quoi inquiéter ceux qui y vivent.
- L'accroissement des inégalités fait douter des promesses du système.
- La Chine est décidée à reprendre la place de première puissance mondiale. Et les anciens pays colonisés demandent une profonde remise en question des équilibres mondiaux imposés dans le cadre de cinq siècles de domination occidentale.
- Des millions (des dizaines, des centaines de millions ?) d'humains voudraient s'installer aux États-Unis, pour fuir des crises économiques, politiques ou climatiques. Trump a si bien compris cette dernière qu’il la nie avec l'espoir que sa réalité alternative sera suffisante pour dissuader. Doux rêve mensonger, comme sa promesse « d’arrêter les guerres ». Promesse-mensonge évidente.

- Tout indique, y compris un fascinant entretien accordé à Playboy en 1990 (confirmé par The Apprentice), qu’il est très intimement convaincu que le reste du monde abuse de l’Amérique (je préfère dire États-Unis), que celle-ci doit réaffirmer sa puissance et que pour avancer il faut être tough (dur, fort, coriace), voir brutal, et gagner sans la moindre considération pour tout ce qui casse.
- Depuis sa position de mogul, il sait aborder ce que l’on appelait jadis en France le « petit peuple », donner l’impression de le bien traiter, de l’écouter vraiment. Il utilise sa richesse pour donner l’espoir de réussir à ceux-là même qui n’y parviennent pas.
- Son talent personnel s'appuie sur une longue pratique de la communication.