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28.04.2025 à 11:59

On aime #106

L'Autre Quotidien

Vous n’êtes pas un homme si vous ne savez pas dire non à une mauvaise parole. Proverbe malgache
Lire plus (401 mots)

Audrey Hepburn

L'air du temps

Andy Stott - Butterflies

Le haïku de dés

Le seau
Rempli d’eau de pluie
Assez pour aujourd’hui

Santoka

L'éternel proverbe

Vous n’êtes pas un homme si vous ne savez pas dire non à une mauvaise parole.

Proverbe malgache

Les mots qui parlent

Il n'est pas douteux que beaucoup d'interdits ne sont édictés que pour étayer la puissance de ceux qui peuvent en châtier et en pardonner la transgression.

Élias Canetti, Masse et puissance

27.04.2025 à 16:52

The Brutalist de Brady Corbet : Monument, impair et manque

L'Autre Quotidien

« Monumental » clame en chœur la critique comme un aboiement dit « dépendance, dépendance » selon Gregory Bateson. Après tout, The Brutalist fait tout pour. Tous les moyens mobilisés y appellent en effet la validation unanime du monument supposé : le format 70 mm. (inefficient puisqu'aucune salle ou presque ne peut en garantir la projection), le sujet (l'art après les camps), la star (Adrian Brody dans la suite du Pianiste), la musique (un thème de quatre notes, ronflant et ressassé), l'intermission même puisque le film dépasse les 200 minutes (avec le sentiment d'un costard plus grand que son couturier), jusqu'à la dédicace à Scott Walker, ce géant qui n'en méritait pas tant. À quoi bon d'emblée dévisser la Statue de Liberté, cul par-dessus tête, quand le déboulonnage est une opération aussi démesurément boulonnée ? Une seule ligne du Disparu de Franz Kafka est un glaive taillant en pièce de pareils effets de manche.
Texte intégral (1544 mots)


« Monumental » clame en chœur la critique comme un aboiement dit « dépendance, dépendance » selon Gregory Bateson. Après tout, The Brutalist fait tout pour. Tous les moyens mobilisés y appellent en effet la validation unanime du monument supposé : le format 70 mm. (inefficient puisqu'aucune salle ou presque ne peut en garantir la projection), le sujet (l'art après les camps), la star (Adrian Brody dans la suite du Pianiste), la musique (un thème de quatre notes, ronflant et ressassé), l'intermission même puisque le film dépasse les 200 minutes (avec le sentiment d'un costard plus grand que son couturier), jusqu'à la dédicace à Scott Walker, ce géant qui n'en méritait pas tant. À quoi bon d'emblée dévisser la Statue de Liberté, cul par-dessus tête, quand le déboulonnage est une opération aussi démesurément boulonnée ? Une seule ligne du Disparu de Franz Kafka est un glaive taillant en pièce de pareils effets de manche.

Proust parlait déjà d'un art-monument que Gilles Deleuze et Félix Guattari ont repris pour leur compte en posant que le monument est moins une affaire de mémoire et de commémoration que de fabulation, s'offrant aux persistances d'un événement dont le monument est le composé. Il est vrai que le film légende (son architecte est de pure fiction) mais la fabulation carrèle une concaténation de motifs au service du devoir de mémoire, cette religion laïque de notre temps que lui-même vient pourtant de récuser. 

L'architecture y est dans les grandes largeurs en effet le tombeau bétonné des douleurs encore innommables de l'après-guerre et son chef-d'œuvre crypté est une crypte pour l'Amérique qui est alors invitée à devoir céder son bail de terre de rédemption à Israël.

Le monument ment (Israël n'est la rédemption des uns qu'en étant l'enfer génocidaire des autres) en servant surtout une puérile entreprise d'auto-consécration (la fin est apocalyptique avec Adrian Brody vieilli et grotesque, Ariane Labed sollicitée pour l'explication de texte, le thème musical en cerise disco sur un gâteau en béton et le « One for You, One for Me » de La Bionda dont on se souvient surtout pour le Régilait). 

Les impairs perpétrés par le film ont le gigantisme des carrières de marbre italiennes. Le monument ? Impair et manque - tout sauf un « monumanque » (Jacques Derrida).

Qu'il se dissolve et s'anéantisse comme ces colosses

On peut l'écrire encore autrement : le troisième film de Brady Corbet est colossal au sens où l'entendait Émile Benveniste quand, étudiant les lois religieuses de Cyrène, il relevait que les colosses, ces statuettes funéraires de cire jetées au feu pour rappeler aux colons leurs obligations, sont des substituts rituels, des doubles érigés au nom des absents. Le film justifierait ainsi son recours au grand-angulaire, aussi maladif que chez Yorgos Lanthimos et Pablo Larrain, sa grande séquence dans les carrières de marbre de Carrare, sa vue aérienne d'un accident de train recouvert des nuages de cendres nazis.

Aucun espace en effet n'y est donné aux absents de l'Histoire, « la souffrance toujours renouvelée des hommes, leur protestation recréée, leur lutte toujours reprise » comme l'écrivent encore Deleuze et Guattari. Tout au contraire part au comblement des trous, tout s'écrit en majuscule (l'Art et l'Histoire). Les prestations sont grimaçantes ou hurlées (un festival signé Adrian Brody), les poncifs pèsent leur pesant de quintaux (le club de jazz et l'héroïne), la forme fait rimer néoclassique avec pachydermique (on fait des courbettes à Coppola, on rivalise avec Paul Thomas Anderson). Toutes les preuves de l'authenticité corrompue par le recours hypocrite à l'IA en sont les publicités truquées.

Loin de se dédier aux absents auxquels l'art rend ses comptes, les grandes orgues du film les brutalisent en les bétonnant des meilleures intentions qui se révèlent les pires. Quand le grand art et la grande histoire convergent seulement dans le tout petit nombril d'un artiste à l'ego disproportionné, on ne peut alors que se rappeler la loi de Cyrène qui prévenait précisément de ceci : « Celui qui n'est pas fidèle à son serment et se parjure, qu'il se dissolve et s'anéantisse comme ces colosses, lui, sa race et ses biens ».

L'homme au bras dur, la brute au bras mort

S'il y a un seul sentier relativement intéressant à emprunter dans la carrière d'un film qui se pose en apothéose de celle de son jeune auteur, c'est celui qui passe par le trou du sexe puisqu'il est celui par où tout le film s'abolit. Le poster haut en couleur d'un autre homme au bras d'or après celui d'Otto Preminger, architecte héroïnomane qui se débat avec les démons de l'époque, est mité par l'acidité d'une libido très mal jugulée.

Une scène de fellation avec une prostituée finit en astiquage de vit en plastique et déballage d'abdos et de pectoraux qui détonnent affreusement pour le rescapé des camps. Les retrouvailles avec l'aimée tardant à retrouver le héros en Pennsylvanie se soldent par une hystérie féminine mêlée de culpabilisation masculine, c'est dire le gruau. Plus tard encore, le héros sera violé par son mécène qui n'a pas besoin qu'on le lui rappelle trop pour qu'il sorte du champ sans se faire prier. Seul un film porno vintage semble affecté d'une paradoxale ingénuité qui fait tant défaut au Brutalist, lui qui après tout est à sa façon un monument de pornographie auteuriste - son tombeau en béton.

Le brutalisme définit un style architectural issu du Bauhaus, massif et minimaliste, refusant l'ornement et recourant à des matériaux bruts à l'instar du béton, et qu'ont représenté Marcel Breuer et Le Corbusier. Il existe toutefois d'autres brutalismes aussi. L'homme au bras dur a le bras mort quand son art tient massivement du bétonnage. Et si l'on sait avec Anselm Jappe que le béton est une arme de construction massive pour le capitalisme, le brutalisme conduit à la brutalisation faite au cinéma comme au spectateur, sommé de parachever la consécration de la chape qui lui écrase le front. On rappellera alors que Brady Corbet a interprété dans sa jeunesse l'un des deux anges pervers du remake US de Funny Games de Michael Haneke, autre expert en brutalisme.

Peut-on enfin avouer que, devant The Brutalist, notre ennui aura été monumental, un bâillement colossal ? On corrigerait déjà en citant Jean-Marie Straub qui disait que l'on était responsable de son ennui. C'est dire alors que nos responsabilités sont immenses face à un tel film et une démission critique qui tient de l'agenouillement cimenté (on imagine que Michel Ciment aurait adoré lui aussi mais son nom l'y aurait prédisposé).

Des nouvelles du front cinématographique

20 février 2025


Des nouvelles du front cinématographique, comme autant de prises de positions, esthétiques, politiques, désigne le site d’un agencement collectif d'énonciation dont Alexia Roux et Saad Chakali sont les noms impropres à définir sa puissance, à la fois constituante et destituante. L'Autre Quotidien collabore avec cette revue en ligne autour du cinéma, mais pas que, puisque nous partageons avec elle d'autres passions et prises de position.

26.04.2025 à 17:33

Le voyage au bout de la nuit de Jean-Claude Delalande

L'Autre Quotidien

La soudaine disparition de Jean Claude Delalande, prix Viviane Esders 2024, nous frappe de plein fouet, c’est pourquoi nous avons décidé de porter un hommage plus particulier au sens que nous donnons à sa photographie sur plus de quarante années de production.
Texte intégral (5510 mots)

La soudaine disparition de Jean Claude Delalande, prix Viviane Esders 2024, nous frappe de plein fouet, c’est pourquoi nous avons décidé de porter un hommage plus particulier au sens que nous donnons à sa photographie sur plus de quarante années de production.

SCÈNES DE LA VIE QUOTIDIENNE, ©JC DELALANDE

Cet hommage est également, pour celui qui est devenu prix Viviane Esders 2024, le dévoilement d’un combat qui n’a jamais vraiment dit son nom et que l’auteur revendiquait à l’occasion, dans ce tropisme d’un communiste de gauche, comme il aimait à se nommer en privé, non conformiste pour le moins, libertaire, prenant en son dévers la face lisse d’une histoire personnelle et familiale vue au prisme de cet humour décalé, en son théâtre très privé, parlant silencieusement assez fort de la couleur de cette vie des envers à l’ambivalence notoire, sur un ton politiquement très incorrect. C’est bien ce qui nous a séduit.

Merci, Jean Claude de ce travail qui nous a réjoui, pour ce voyage au bout de la nuit…

LE VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT DE JEAN CLAUDE DELALANDE, UNE OEUVRE ABRASIVE ET PROLIFIQUE.

« J’ai commencé à pratiquer la photographie à l’âge de 17 ou 18 ans et je ne me suis jamais arrêté depuis. Je m’étais rendu compte qu’il y avait chez moi peu de photo de mes parents jeunes ou de moi enfant. Au départ, j’ai donc photographié mes proches, pour conserver une trace. Dès cette époque, je fais des autoportraits avec cette arrière-pensée que j’allais vieillir, disparaître, et qu’il fallait conserver la mémoire de ce temps présent. »

On pourrait croire Jean Claude Delalande sorti d’un film de Marcel Carné, personnage taciturne, à la Prévert, issu des Enfants du Paradis, d’Hôtel du Nord, comme on l’entend dans la bouche d’Arletty,: « c’est un caractère, ct’homme là »; c’est un peu de ce Paris ouvrier et populaire, dans la voix aigrelette, gouailleuse, à l’accent trainant du titi parisien de MénilMontant qui s’exprime dans ces mémoires familiales, chroniques parisiennes de vie d’un couple sur quarante ans et du roman acerbe de cette vie…

LA VIE PARISIENNE

Rien d’étonnant que cet employé d’assurances ait commencé sa vie en passant par la photographie, voulant remplir de photos cet album manquant de la famille, mais pas n’importe comment. Il commence à photographier cette vie d’employé en noir et blanc, en noir plutôt, très tôt, très vite, dans une subversion de classe; cette respiration lui devient nécessaire.

Amateur passionné, il travaille son écriture, son style, tire le portrait, construit un cadre rigoureux, raconte des histoires qu’il diffuse dans un cercle d’amis, puis plus largement, dans le milieu. Faire rire ou sourire est devenu un vecteur d’intégration, de sociabilité, avec cet humour froid, surréalisant, c’est un buffet froid, en tout point.

Le photographe travaille chaque semaine à une nouvelle idée de situations, inclut personnages, lieux, parle du champ clos de la famille. Les proches, toujours, sont les agents de ce théâtre privé où il se met en scène au premier plan de l’image; auto-fiction, auto-biographie, jeux de rôle, « faut qu’on s’marre… », dira-t-il en rigolant. Il s’attache à ses quotidiens, croquer la vie, inventer, le roi Ubu n’est pas si loin, décrire ces scènes de la vie ordinaire pour en même temps réfléchir une histoire sociale, individuelle globale au fil du temps, pour se souvenir plus tard aussi…il a 30 ans, puis 35, sa vie se fait, il rencontre, il épouse, il devient chef de famille, s’embourgeoise, achète un grand pavillon en proche banlieue parisienne.

Certains soirs on pressent un coup de grisou, une angoisse monte, il faut s’y coller sans tarder, urgences, photographier, respirer, faire feu.

SCÈNES DE LA VIE QUOTIDIENNE, ©JC DELALANDE

QUARANTE ANS

Quelques quarante années après ces débuts, un corpus de plus de cinq cents photographies rend compte de ces Quotidiens, cinq cents scènes spectrales, joviales, froides, au génie muet, parlent dans ce paradigme de l’inadapté, de la difficulté d’être, de cet employé modèle, traversant la vie qui va (5 galeries sur le site de l’artiste), la vie d’un couple sans enfant, puis avec enfant, un seul, un garçon issu de cette middle class de la banlieue parisienne, de leurs vacances, de leurs rendez-vous, de tous les moments retenus par le photographe, ici, scrupuleusement détournés de leurs vocations premières. Ces évènements extraordinaires sont entre autres, les aventures et les situations de couple,  la naissance du fils, et tout ce qui l’accompagne, les courses, les vacances, les fêtes familiales, la « bagnole », ces quotidiens où se dit aussi l’éternel malaise de la vie en société et ses conflits au boulot, la mélancolie, la déception, l’ennui, cette vie qui fait poids, est matière lourde, fissible, atomique.

Il faut alors rejouer systématiquement la partition, prendre le large, voyager dans sa photographie, points secrets, matriciels, pour vivre plus haut, faire roman, s’insurger. Pamphlétaire séditieux, sarcastique, le photographe est Dada, prêt à épouser la cause ubuesque, pour qui sait bien ce que tout ça vaut … Sa photographie est un état d’âme, se venge des contraintes, des « bonjour Madame », on regarde ce désastre là, en pieds nickelés quand un tropisme de classe se fait ferment d’une conscience plus socialisante que politique. Delalande engage une croisade d’images personnelles contre ces conformismes, prend la parole, gueule en silence par le champ de sa photographie, s’insurge, fait spectacle, dynamite les conventions, ne cesse de convoquer ce nous, à travers le miroir de la sphère privée, de la famille nucléaire et de ses relations aux différents groupes sociaux.

TU NOUS VOIS LÀ!

Jean Claude Delalande photographie toujours au présent cette vie qu’il subit dans son conformisme, dans un décalage où il met en scène ce nous restreint, restrictif, avec la complicité de ses proches. Prisme de l’écrivain public, il donne une vision pleine d’humour grinçant à cette chronique, distribuant les rôles comme des cartes à jouer, comme un magicien, sorte de Mandrake, bannissant l’illusion des lendemains qui chantent dans cette thérapie acerbe, inflammable et partagée, histoire de rire en douce et sous le coude, comme si nous étions à la foire du trône et qu’un bonimenteur nous invitait à entrer dans un cabinet bien particulier, un jeu de chamboule-tout, par un coup de pied au cul!

BONIMENTEUR!

Dans cette charge, Jean Claude Delalande se libère, se « bourjouffle » rit de lui même, auto-fiction, certes mais auto-dérision aussi, c’est un humoriste qui reste le personnage central de ces représentations à guichet fermé, il est libre, travaille à sa joie, interpelle le spectateur du regard, du geste souvent, tel un bonimenteur; sa photographie se construit à travers cette auto-fiction dans la provocation, l’extravagance des situations. Les grands humoristes aux quels il fait référence sont implicitement Devos, Pierre Dac, et leurs journaux, l’Os à Moelle, le Canard Enchainé, les bandes dessinées, les Pieds Nickelés, la Rubrique à Brac, l’Écho des Savanes, et bien d’autres… il rejoue en loucedé, en aparté, ces sentences de cinéma burlesque et caustique à la Keaton,  aux frères Marx.

Agent d’assurances en semaine, il ne cesse d’occuper son temps libre, les week-end, les vacances, à faire voyager tout son petit monde par l’objectif de la chambre photographique; ici le jardin, là, la campagne ou la mer, en hiver, autour du sapin de Noël, au supermarché ou lors des fêtes familiales, la chambre à coucher, le sexe, l’enfant, la maison et ses séances de bricolage (l’armoire Ikéa), toutes situations inflammables avec leurs charges d ‘exaspération latente poussée à bout pour dé-lire et pointer ces crises en jachère, s’en emparer, les rendre plus soutenables, plus légères, passages de témoins, virtuosités assassines afin de poser ce nous qui monte sur la table …Il semble dire en parallèle de cette production: « si vous n’aimez pas la mer, si vous n’aimez pas la montagne, si vous n’aimez pas la ville….allez vous faire foutre! » Pierrot le fou, Jean Luc Godard.

SCÈNES DE LA VIE QUOTIDIENNE ©JC DELALANDE

TICTAC, TIC TAC, TIC TAC…

Dans sa déréliction, Jean Claude Delalande, met en scène cet aveu de non conformité, d’insurrections, de grotesque et d’improbable. Tout le réel se décale d’un poil, devient soluble, appréciable, opérations joyeuses et magiques, s’il en est, noueuses du rêve du Grand Soir, ici et maintenant à l’aune du salon, du jardin, de la table, de quoi dé-régler ce chronomètre qui tourne mécaniquement et qui angoisse, tic, tac, tic tac, tic-tac, tout file à vitesse grand V, « tout va disparaitre, et Merde! « Concède t-il. Une formule dystopique d’une anthropologie sociale est née, devient virale, née de l’angoisse de la mort et pour autant de la vie sociale dans cette société française dans son conformisme étriqué.

DE FEMME AU BORD DE LA CRISE DE NERFS À L’ART BRUT

Pour assumer son message, le photographe ne cesse de jouer avec les codes, fait glisser ces compositions vers plus de clins d’œil, de complicités, d’interrogations parfois quasi métaphysiques, en creux. Il y a du Devos, de l’absurde dans ce travail de solitudes plus dérangeant que la seule charge explosive des situations photographiées et des signes éruptifs qui en signalent la charge potentiellement dangereusement explosive. On retrouve ici cette forme de théâtre brut de l’absurde, ni Ionesco, ni Beckett, bien qu’appréciés en tant qu’auteurs, Art Brut déjà, parfois gai, parfois moins, c’est un curieux matériau qui résiste, en tout cas, une bombe à retardement!

BUFFET FROID, FEUX!

Comment ne pas voir alors que Jean Claude Delalande se réveille en plein cauchemar, au milieu de la nuit, s’allume une clope, boit un coup, décroché du sommeil, voyage au bout de sa nuit, insomnies chroniques, pense à sa prochaine photo, l’ombre de Bardamu plane dans la cuisine du pavillon de banlieue, un chien se met à gueuler au loin, ses rêves littéraires ne s’épuisent pas, tant mieux!  Ils signent cette constance d’avancer toujours au cœur de la nuit, sans fourcher, sans sourciller, même si l’âge vient, si le chemin se creuse, si l’ombre s’épaissit.

Plus il affirmera ce nous en creux, alors, meilleures seront ces photographies, plus pertinentes devant le naufrage général de l’époque. Je le vois assis, prostré, au centre de la nuit quand tout le monde dort paisiblement alentour… “comment c’est possible! “ se demande t-il. le photographe semble répondre, dans une tribune improbable de sa photographie des quotidiens et de ce qu’ils comptent de frustrations et d’ironies, de convocations au scandale de l’époque, en vain.

Ça lance comme une rage de dent, aille! …Ça fait mal…les forces de la dissolution opèrent toujours au cœur de la nuit, c’est sans doute pourquoi le photographe construit son image à l’équilibre, comme un prestidigitateur, un funambule, un homme de la balle, ce clown blanc, triste, qui vous regarde au fond de l’âme, comme un corps (é)perdus dans le décor… et qui vous somme d’être là, entier, tout entier, pas à moitié, non, non, tout à fait là, branché, pertinent, fervent pour supporter sa démarche, entrer dans ce voyage au bout de la nuit, son voyage, certes, mais aussi celui de tous, inconscients que nous sommes devant la certitude que tout fout le camp!

Il faut pour cela en revenir au regard du personnage central et à son auto-fiction, regard fixe qui déborde, incendiaire, contrefacteur, ubuesque, illusionniste, portant droit dans les yeux le témoignage de ce refus global de toute cette France défaite partiellement dans sa beaufitude et à l’impossibilité de s’y soustraire… Jean Claude Delalande cherche, en communiste de gauche, en anarcho, en son spectateur, l’approbation d’un kamarade, d’un frère, d’un complice, toujours ému de son spectacle, quelle qu’en soit la qualité, pour dire silencieusement toute la charge mentale de sa présence au monde, de son irréalité, de son amabilité, de sa foi d’homme du quotidien à l’ouvrage, de son engagement pour défaire le réel de ces »conneries », voire de son ignominie.

De cet Art Brut incendiaire, également art de la rue, art du temps, anthropologie sociale de gauche, le nous contre le je, nait la réponse du berger à la bergère: sa photographie est une réponse à la voix du JT de Gicquel, qui déverse dans le poste les informations du 13h, du 20H, logorrhée mortifère du constat de cette France du milieu sans panache, veule, prise dans le remugle de sa grisaille et de sa connerie réactionnaire. C’est à n’en pas douter l’essence de son implication d’auteur libertaire qui fustige les apparences de ce théâtre désespérant, en tendant le miroir de ses photographies à ce conformisme ambiant, trouble, cette lente disparition du génie français, de cette désagrégation du peuple de gauche voguant vers le mal absolu.

SCÈNES DE LA VIE QUOTIDIENNE ©JC DELALANDE

L’ARMOIRE IKEA!

Dans les photographies de Jean Claude Delalande, tout fluctue, tout tangue, tout s’affirme pour s’inscrire dans l’épaisseur de la réalisation de chaque scène, scènette, à y inclure l’heure, l’humeur, le contexte, la fiction, ce qu’il se passait à ces moments là. Pour exemple le montage de l’armoire Ikea tournerait bien au drame dans l’injonction de monter l’armoire, jeu de construction, bricolage… ça sent la crise à plein nez, tout déraille soudain ou pourrait dérailler, si le photographe ne mettait en scène, assez justement ces « bugs » des quotidiens, quand la crise de nerfs est au rendez-vous et que ça aurait pu, hors champ, tourné vinaigre, vraiment… cette charge s’inscrit dans un scénario probable, s’il avait réalisé, en place de sa photographie des court-métrages, dans le même ton. Au moment de photographier, l’image s’ouvre sur un avant et un après,  la charge mentale de l’explosion est alors désamorcée, tout s’aplanit.

C’est aussi là que tout un public se retrouve, adule, applaudit, adopte cette montée soudaine de l’image par sa capacité à faire exploser les réactions épidermiques face à ce qui embarrasse les week-ends, leurs obligations, les travaux domestiques, tondre la pelouse, le bricolage, etc. Jean Claude Delalande dynamite ce confinement mental dans les injonctions/disjonctions/explosions, pour trouver une sorte de paix, a minima, contre la télé, l’inadapté, le non performatif; que disent ces  photographies alors des joies solitaires du pêcheur à la ligne ou de celles plus emmerdantes du déjeuner dominical … sans oublier les courses, le supermarché et tout le toutim, quand on est fatigué et qu’on n’a pas envie!

JOVIAL RESPECT!

Au final ce qui est réjouissant dans ce corpus d’images est le dynamitage des repères sociaux dans leurs conventions, cette révolution de l’image et la rédemption sauvage qu’en retirent les acteurs s’échappent de l’image, circulent dans le réseau proche des amis, fait rire, fait scandale; voilà qui fait révolution, théâtre, film, photographie, prestige de ce noir et blanc allant aux yeux du spectateur en un partage définitif de ce politiquement incorrect, acerbe abrasif, viral, délirant et jouissif.

On sent que le photographe n’est pas peu fier de ses dispositifs de mise en scène et de sa réussite en matière de photographie, quand il a, grâce aux circonstances, fait entrer tout son monde dans la boite et qu’il a pris les commandes de sa réalisation en choisissant chaque positionnement, minutieusement, afin de marquer l’histoire de cette famille de l’anneau même des lieux et du temps; puis, ensuite de ranger cette épreuve, manie de collectionneur en son album, à sa place.

Saluons l’homme qui a su transcender toutes ces années folles par la sagesse inflammable de ces photographies, il nous offre le plaisir de la dispute, de la discorde, du désaccord, de la joie de l’incendie de tous les repaires caduques d’une société bourgeoise et marchande dans ses désaveux nombreux face aux bonheurs promis, il ne reste du contrat social qu’inhumanités, pollutions, attitudes réactionnaires dans leur volonté de conditionner et de soumettre cette liberté grande qui fait naufrage.

SCÈNES DE LA VIE QUOTIDIENNE ©JC DELALANDE

C’est pourquoi les déflagrations qui sont à l’œuvre dans le livre à venir ne resteront pas sans réponse et sans respiration. Tant qu’il y aura encore cet espoir de l’humour noir, critique, pour pourfendre les conventions dans leur absurdité, les faux-semblants, tout n’est pas perdu, encore faut-il entrer dans la juste habilité de vivre selon ses propres valeurs, en sociopathe plus qu’en égoïste si nécessaire, hors de l’agression de cette bêtise devenue gangrène sociale. Le champ restreint de cette famille nucléaire offre la possibilité du pestacle, contestation habile, en réactions à cette société du vertige, pour le meilleur des messages dans l’humour revigorant de l’oeuvre.

Il se pourrait que l’on entende plus qu’on ne voie à l’image cette attention portée contre les habitus des quotidiens. Cette chronique évoque l’humeur vagabonde du cinéma de Renoir, la fuite hors des usines hurlantes des foules de travailleurs, de prolos, parce qu’il serait encore possible de lutter ensemble, de vivre ensemble plus haut, plus chaleureusement, sans avoir à renoncer à quoique ce soit de cette liberté de soi, ce nous désormais devenu grand mythe de gauche dans la résurgence des photographies de 1936, celles des Capa, Doisneau, Bresson, Roger-Viollet, G.Krull, Ronis, Chim, Lievin, Stein qui font liens sous-jacents avec ces autres scènes acides de la famille nucléaire en son écrin des quotidiens, en ce mode de vie consumériste, dans le couple sous la forme d’un repli et d’une tautologie identitaire, very selfish…tout ça me semble très présent en cette photographie de l’intimité vue à travers le regard socialisant de l’auteur et de sa capacité à s’en emparer, incluant le registre de propre appartenance sociale au régime des conventions petites bourgeoises, pour s’en dé-prendre justement.

C’est ce que Jean Claude Delalande, né dans un milieu populaire, démontre ici avec brio, sur ces quarante années de production d’une mémoire individuelle à valeur collective, politique et sociale, dans une perspective abrasive et critique, à travers ce nous, subsumé par les rapports sociaux, ici, élégamment sollicité pour faire manifeste et inclure la part de l’immédiateté éruptive, base de son humour, du lien désormais socialisant du rire qui en nait et du décollement du réel qu’il produit en un seul instant, en un éclair… un coup de foudre dira t-on qui met en lumière ce qui était déjà douteux, ce cancer général du narcissisme, pour en dynamiter la puissance de dissolution afin, grâce au rire, d’inventer à nouveau cet air qui nous est si nécessaire pour respirer ensemble autre chose que l’air pollué et nauséeux des conformismes de tout poil, voire pire.

Qu’il est bon de se reconnaitre dans ces scènes de vie quotidienne, de s’y lire, d’en jouir et d’en rire, sans plus désormais à avoir s’en inquiéter, au moins pour quelques temps, encore…Jean Claude Delalande nous a offert, tout au long de ces années la possibilité et le plaisir de la dispute, de la discorde, de l’insurrection, du vertige et de l’équilibre keatonien, de la magie du clown blanc, et somme toute de sa Liberté, commute de la notre, mais fécondante en retour sur les deux.

Grâces soient rendues aux acteurs de ces quotidiens, à sa compagne et à son fils, qui accompagnent tous ces choix dans la ferveur la plus spectaculaire.

Pascal Therme,  28/05/2025.
Le voyage au bout de la nuit de Jean-Claude Delalande

http://www.jeanclaudedelalande.eu/

https://prixvivianeesders.com/

SCÈNES DE LA VIE QUOTIDIENNE ©JC DELALANDE

25.04.2025 à 13:22

Sublime ressortie de l'Arkestra à la Fondation Maeght en 1970

L'Autre Quotidien

En juillet et août 1970, le journaliste Daniel Caux organise l'édition la plus radicale du festival. Présentée dans une structure expérimentale gonflable conçue par l'architecte Hans-Walter Müller, elle comprenait des concerts des pionniers américains du minimalisme Terry Riley et La Monte Young, ce dernier se produisant avec Marian Zazeela et le vocaliste-gourou indien Pandit Pran Nath. Caux a également fait appel à deux des artistes les plus iconoclastes de l'avant-garde du jazz.
Texte intégral (1294 mots)

En juillet et août 1970, le journaliste Daniel Caux organise l'édition la plus radicale du festival. Présentée dans une structure expérimentale gonflable conçue par l'architecte Hans-Walter Müller, elle comprenait des concerts des pionniers américains du minimalisme Terry Riley et La Monte Young, ce dernier se produisant avec Marian Zazeela et le vocaliste-gourou indien Pandit Pran Nath. Caux a également fait appel à deux des artistes les plus iconoclastes de l'avant-garde du jazz.

Les 25 et 27 juillet, le saxophoniste Albert Ayler a donné des concerts très appréciés en quintette avec la chanteuse et saxophoniste soprano Mary Parks, le bassiste Steve Tintweiss, le batteur Allen Blairman et - lors d'un seul concert - le pianiste Call Cobbs. Puis, les 3 et 5 août, le festival s'est clôturé par deux concerts extraordinaires de Sun Ra et d'un Arkestra tentaculaire de 18 musiciens.

Il s'agit là d'une programmation astucieuse de la part de Caux. Bien que considérés comme des pionniers du free jazz, Ayler et Ra étaient tous deux des aberrations, chacun ayant une approche et une esthétique tout à fait uniques, qu'aucun autre artiste n'a jamais été en mesure d'imiter : Ayler, le prophète des sermons apocalyptiques imprégnés de folk et de gospel ; Ra, le philosophe cosmique de l'afrofuturisme des Nubiens dans l'espace. De plus, la documentation des concerts d'Ayler et de Ra a connu des histoires remarquablement similaires. Tous deux ont été enregistrés dans leur intégralité par la station de radio publique française ORTF. Ils ont tous deux fait l'objet d'un montage publié sur deux 33 tours par le label parisien Shandar en 1971, sous le titre Nuits de la Fondation Maeght Volumes 1 et 2. Les deux concerts d'Ayler ont été publiés dans leur intégralité et sans montage dans le coffret 4 CD Revelations en 2022. Aujourd'hui, avec Nuits De La Fondation Maeght, les concerts de Ra bénéficient du même traitement exhaustif.

Mais il est frappant de constater à quel point les concerts de l'Arkestra sont accessibles, voire même agréables pour les foules, par rapport à ceux d'Ayler. Bien sûr, Ayler ajoute quelques chansons dont les paroles ont été écrites par sa partenaire Mary Parks : des morceaux comme « Heart Love » et « Oh ! Love Of Life », qui faisaient partie de sa tentative quelque peu malavisée d'atteindre un public plus large au cours de ses dernières années d'existence. Pourtant, ses concerts restent, pour la plupart, des récitations austères d'une gravité déchirante. Il est également vrai que les spectacles de Ra contiennent beaucoup d'actions avant-gardistes enflammées. Une grande partie de cette action émane des interludes en solo de Ra. Au piano, il reste un génie suis generis de la création spontanée, passant de rêveries mélodiques nostalgiques à des irruptions soudaines d'intensité violente et vice-versa.

À la même époque, au tournant des années 1970, il avait également commencé ses explorations tumultueuses du synthétiseur Moog qu'il venait d'acheter. Ici, Ra aborde le synthé non pas comme un substitut de guitare électrique, comme le faisaient à l'époque des contemporains tels que Jan Hammer du Mahavishnu Orchestra, mais comme un générateur furieux de sons et de timbres extraterrestres, comme s'ils étaient téléportés d'un lointain avant-poste galactique. Il y a aussi des improvisations de groupe d'une énergie bouillonnante - souvent dirigées par Ra à l'aide d'un lexique de gestes théâtraux - qui vont de l'avant vers le free jazz le plus coruscant, avec les saxophonistes John Gilmore et Marshall Allen qui s'efforcent d'atteindre les limites du cor.

Et pourtant, les spectacles que l'Arkestra a présentés à la Fondation Maeght en août 1970 étaient accessibles, agréables et, surtout, amusants. Au cours des quatre heures de musique, un large éventail d'ambiances est abordé. Il y a les nombreux hymnes et chants - tels que « Satellites Are Spinning » et « We Travel The Spaceways » - interprétés par la chanteuse June Tyson sur un ton doux et familier, avec des chœurs enthousiastes et déchaînés du reste de l'Arkestra qui expriment la philosophie de science-fiction de Ra. Il y a des ballades spatiales qui flottent, des séances de hard-bop musclées pour grand orchestre et des jams modaux de la forêt tropicale riches en percussions. Chacun des deux programmes du soir ressemble à un voyage sinueux mais complet dans les recoins les plus profonds de l'imagination de Ra, faisant appel à toutes ses obsessions et préoccupations.

Il va sans dire que les spectacles de l'Arkestra ont connu un énorme succès, avec des danseurs, des jeux de lumières et des projections psychédéliques qui ont encore plus enivré le public et provoqué une sensation époustouflante. Ce qui est vraiment étonnant, c'est qu'une décennie et demie après la naissance de l'Arkestra à Chicago au milieu des années 1950, il s'agissait de ses toutes premières représentations en dehors de l'Amérique du Nord.

Depuis leur installation à New York au début des années 1960, Ra et al ont traversé des périodes d'extrême pauvreté et de manque d'opportunités, tout en s'accrochant à une vision intransigeante du potentiel libérateur de la musique. Ces premiers concerts en Europe ont marqué le début d'une nouvelle ère, attendue depuis longtemps, de visibilité, de renommée et de respect, qui - comme pour tant d'autres avatars éternels du jazz - étaient plus facilement accessibles de l'autre côté de l'Atlantique qu’aux États-Unis. En 1970, l'Arkestra n'était pas seulement au sommet de sa forme, c'était aussi la première véritable incarnation de l'Arkestra tant apprécié, qui voyage dans le monde entier, et que Marshall Allen a dirigé avec tant de succès au XXIe siècle. Tout commence ici. Indispensable pour les oreilles ouvertes… 

Jim Jones et son traducteur masqué, le 28/04/2025
Sun Ra – Nuits de la Fondation Maeght - Strut

25.04.2025 à 12:45

Marie Chamant joue des signes et des sons avec une volupté affirmée

L'Autre Quotidien

Plus chercheuse que plasticienne, l’artiste développe une pratique où le signe devient territoire, et la lettre, matière vivante. Dans ses livres d’artiste multicolores et protéiformes, les mots dérivent, s’agrègent, se fragmentent, se répètent ou jaillissent dans toutes les directions. Chaque page est un espace de liberté où le texte se déploie verticalement, horizontalement, à l’endroit comme à l’envers, mêlant majuscules et minuscules dans une chorégraphie visuelle dense et poétique.
Texte intégral (1106 mots)

Plus chercheuse que plasticienne, l’artiste développe une pratique où le signe devient territoire, et la lettre, matière vivante. Dans ses livres d’artiste multicolores et protéiformes, les mots dérivent, s’agrègent, se fragmentent, se répètent ou jaillissent dans toutes les directions. Chaque page est un espace de liberté où le texte se déploie verticalement, horizontalement, à l’endroit comme à l’envers, mêlant majuscules et minuscules dans une chorégraphie visuelle dense et poétique.

Marie Chamant, Lettre arabe, Wao, 1999 — 2000 — Série Lettre arabe Collages et gouache sur papier, caisson — 91 × 111 × 14.5 cm Courtesy of the artist & galerie lilia ben salah, Paris

À travers cette exposition, l’artiste dévoile des séries majeures telles que APOCA ca, apo KAPPA — Creux grec de la main, ainsi que des séries emblématiques comme La Fée Mikado, Écrire inciser cadrer, et son projet collaboratif Centre Poly Cultuel avec les architectes Les Simonnet.

Signes et sons explore la tension entre forme libre et structure invisible, entre écriture et oralité, sonorités du langage et mémoire du signe. L’exposition met en lumière le travail de Marie Chamant sur les signes, les lettres et leur résonance à travers les cultures et les cultes. Son œuvre, engagée en faveur du dialogue spirituel, a donné naissance au projet Centre Poly Cultuel, exposé notamment au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris (1967), à l’UNESCO (1969) et à la mosquée Adda‘Wa (1998).

Une sélection de trois livres d’artiste de Marie Chamant est présentée dans l’exposition—parmi la quinzaine de ses livres qui sont consultables à la bibliothèque Kandinsky du Centre Pompidou et à l’Enseigne des Oudin—permettant au public d’approfondir son expérience de l’univers visuel et poétique de l’artiste.

Marie Chamant nous invite à une traversée sensible de son univers : un espace où le verbe devient souffle, où chaque lettre résonne, et où le langage retrouve sa dimension sacrée, vivante, vibratoire.

Liz Demarre, le 28/04/2025
Marie Chamant - Signes et sons -> 31/05/2025
Galerie Liliah ben salah - 6, avenue Delcassé 750018 Paris

Marie Chamant, Lettre Arabe, Alif, 2000 — Collages et gouache sur papier — 25 x 60 Courtesy of the artist & galerie lilia ben salah, Paris


25.04.2025 à 12:38

Les Alizés de La Réunion, un bol d’air jusqu’en métropole ?

L'Autre Quotidien

Voyons. Quel sentiment peut bien éprouver, au XXIe siècle, l’architecte de la XXIème ENSA, nouvelle école d’architecture de La Réunion, officiellement créée le 1ᵉʳ mars 2025 et dont la livraison toutes voiles dehors est prévue au Port en 2027 ? « Construire ici une nouvelle école d’architecture est une mise en abîme. Je suis architecte et je construis une école d’architecture pour de futurs architectes et pour tous les architectes qui y enseigneront. C’est angoissant ! », indique Olivier Brabant, l’auteur de l’ouvrage.

Créée en 1988 avec une vingtaine d’étudiants comme une antenne de l’école nationale supérieure d’architecture de Montpellier, l’école d’architecture de La Réunion (ENSA La Réunion) est devenue en septembre 2023, sous la houlette conjointe de Rima Abdul Malak, ministre de la Culture, de Sylvie Retailleau, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et de Philippe Vigier, ministre délégué chargé des Outre-mer, la première ENSA en outre-mer, le décret daté du 30 janvier 2025 avec entrée en vigueur depuis le 1er mars 2025 entérinant la naissance officielle.

Après le temps des pionniers et des pirates, celui de la normalisation et de l’administration tatillonne ? Certainement mais l’ENSA La Réunion est cependant parvenue autour du climat tropical de l’île à créer et conserver une identité et des compétences propres qui font sa singularité et qui risquent de se révéler fort utiles dans la France +5°.

Ce d’autant plus que « la faiblesse du pilotage des Ensa par le ministère de la Culture »** et l’isolement géographique devraient laisser une large marge d’autonomie à cette ENSA dans ce domaine. D’où l’importance de l’exemplarité attendue de cette nouvelle école autant que du bâtiment lui-même.

« L’école doit permettre de montrer tout ce que nous avons expérimenté depuis 20 ans. Pour autant elle ne doit pas être un catalogue de type concours Lépine mais un bâtiment référencé : nous devons pouvoir expliquer pourquoi il est sur pilotis, pourquoi les porte-à-faux, rapporter une histoire et des références, etc. », souligne Olivier Brabant. Arrivé de Marseille, diplômé de Luminy, il est installé sur l’île depuis 25 ans et à la tête d’une agence de dix personnes. Il reconnaît volontiers n’avoir rien su de l’architecture tropicale avant son arrivée. Aujourd’hui, il explique « qu’un bâtiment est comme un bateau qui se règle sans machinerie ; un bâtiment en ventilation naturelle, c’est un voilier ».

Il y a plus ou moins 200 architectes à La Réunion – il y en avait une dizaine il y a 50 ans – et la nouvelle école est dimensionnée pour environ 200 étudiants. Le Port, la commune où elle est située, est une ville jeune dans les deux sens du terme (création en 1895 et 47 % des Portois ont moins de 30 ans).

Alors oui, la responsabilité de l’architecte de cette 21ème ENSA est grande.

Jane Coulon, architecte DPLG, est devenue en 2014 la première enseignante titulaire de l’école d’architecture de La Réunion. « J’arrive de Paris en 2002, il n’y avait alors pas autant d’architectes et d’agences mais il y avait beaucoup de travail – il y a toujours beaucoup de travail – avec la défiscalisation certes mais aussi parce qu’il y avait beaucoup de besoins de logements et d’équipements à construire », dit-elle. Elle travaille en agence, commence à enseigner dès 2003 – dans l’école d’architecture conçue par Architecture Studio au détour des années 2000, désormais trop petite – et dirige aujourd’hui une agence d’une quinzaine de personnes.

« Tous les enseignants [de l’ENSA La Réunion] ont une pratique, c’est très très important », assure-t-elle, expliquant que le Groupe de Recherche sur les Espaces et Architectures Tropicaux (GREAT) fédère par ailleurs les enseignants-chercheurs de l’école. « Il s’agit d’un laboratoire destiné à la recherche appliquée, théorique et pratique car nous formons à un métier », dit-elle.

Elle aussi se souvient « tomber des nues » en posant les pieds sur l’île. « Il y avait bien la question du bioclimatisme qui se faisait jour mais en arrivant je ne savais pas construire avec le climat ». Aujourd’hui, en guise de « trucs et astuces », elle estime « exemplaire » la conception de la nouvelle école. « Audacieuse, super-innovante, ouverte sur les vents, la ville, les jardins… La réflexion a été poussée assez loin pour aboutir à des dispositifs simples d’usage et pas coûteux à réaliser. Pour ce petit territoire, il s’agira d’un élément remarquable et, sans la clim, en avance sur son temps », assure-t-elle.

Ce ne sont pas-là vœux paresseux de vacanciers des îles puisqu’Olivier Brabant pour son école travaille en soufflerie avec le laboratoire parisien Aérodynamique Eiffel. L’école sera ventilée comme au XXIe siècle !

Les Alizés sont un « trésor », assure-t-il. « Une richesse », abonde Jane Coulon. « Pour construire ici, il faut un grand chapeau pour protéger du soleil et de la pluie, des bottes étanches (les fondations) et il faut que l’ensemble soit ventilé », dit-elle. L’exercice est certes plus difficile en métropole avec une réglementation thermique et énergétique plus complexe que sous les tropiques. « Nous n’avons pas de problématique d’étanchéité à l’air. Qui plus est, nous disposons de dispositifs de façade et surtoiture peu onéreux », remarque-t-elle. Un modèle pour la RE 2030 en métropole quand la Vendée sera devenue la Camargue et la Camargue un bayou tropical ?

Ce d’autant qu’à La Réunion, les quatre mois d’été – chaleur et humidité – sont au niveau de la mer une punition. D’ailleurs Olivier Brabant se réjouit encore de l’ingéniosité des cases, ou villas, traditionnelles qui, dit-il, sont « magnifiques d’intelligence climatique ». « Les persiennes, les ouvrants, les cloisons d’une certaine hauteur, les basculants, le rapport au jardin… Elles témoignent d’un savoir-faire ancestral, unique. Il suffit de regarder et de réinterpréter et faire évoluer le modèle mais les mêmes bases demeurent : l’Alizé souffle toujours dans le même sens ».

Des études montrent qu’il fera dans le sud de la France, en à peine une ou deux décennies, la température de Séville, en Espagne. Séville est une ville très agréable parce qu’elle est adaptée à son (ancien) climat. C’est une certitude, il fait et fera de plus en plus chaud en Europe et en France, avec des pluies de plus en plus violentes. « Nous avons nous ici l’habitude des pluies torrentielles », remarque sans ironie Jane Coulon qui espère que toutes les recherches et processus développés à La Réunion prospèrent dans les ENSA de métropole pour se révéler savoir-faire utiles. « Il faut que ça percole », dit-elle. C’est aussi le souhait d’Olivier Brabant que cette culture insulaire « infuse ».

Il est clair que, dans l’Hexagone, pourtant dans un autre hémisphère, dans le domaine de l’architecture et de la construction, les femmes et hommes de l’art, les élus et les maîtres d’ouvrage devraient bientôt découvrir des appréciations du risque et des préoccupations d’urgence différentes que celles dont ils ont pris la confortable habitude. Jusqu’à en découvrir les vertus et richesses de l’outre-mer ? Des îles, une nouvelle épice architecturale ?

Bref, en regard de la rapide transformation des conditions climatiques partout dans le monde, en métropole en particulier, la responsabilité de cette école – l’ENSA et l’équipement – est écrasante tant elle a valeur d’exemple et d’un espoir raisonnable.

Et en ce pays, une 21ème école d’architecture (sans compter l’INSA Strasbourg, l’ESA et Confluences), ce n’est sans doute pas trop demander comparé aux 150 écoles de commerce et 200 écoles d’ingénieurs qui leur font concurrence.

Christophe Leray, le 28/04/2025
Chroniques d’archtecture / Alizées Réunion

* Découvrir en images la présentation détaillée du projet : À La Réunion, une ENSA 0 % Matières grasses ; 0 % Morosité ; 100 % Porosité
** In Les écoles nationales d’architecture (ENSA). Étude à l’attention de la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale, par le Haut Conseil à l’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement supérieur (Hcéres) . Avril 2023

Texte intégral (1853 mots)

Voyons. Quel sentiment peut bien éprouver, au XXIe siècle, l’architecte de la XXIème ENSA, nouvelle école d’architecture de La Réunion, officiellement créée le 1ᵉʳ mars 2025 et dont la livraison toutes voiles dehors est prévue au Port en 2027 ? « Construire ici une nouvelle école d’architecture est une mise en abîme. Je suis architecte et je construis une école d’architecture pour de futurs architectes et pour tous les architectes qui y enseigneront. C’est angoissant ! », indique Olivier Brabant, l’auteur de l’ouvrage.

Créée en 1988 avec une vingtaine d’étudiants comme une antenne de l’école nationale supérieure d’architecture de Montpellier, l’école d’architecture de La Réunion (ENSA La Réunion) est devenue en septembre 2023, sous la houlette conjointe de Rima Abdul Malak, ministre de la Culture, de Sylvie Retailleau, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et de Philippe Vigier, ministre délégué chargé des Outre-mer, la première ENSA en outre-mer, le décret daté du 30 janvier 2025 avec entrée en vigueur depuis le 1er mars 2025 entérinant la naissance officielle.

Après le temps des pionniers et des pirates, celui de la normalisation et de l’administration tatillonne ? Certainement mais l’ENSA La Réunion est cependant parvenue autour du climat tropical de l’île à créer et conserver une identité et des compétences propres qui font sa singularité et qui risquent de se révéler fort utiles dans la France +5°.

Ce d’autant plus que « la faiblesse du pilotage des Ensa par le ministère de la Culture »** et l’isolement géographique devraient laisser une large marge d’autonomie à cette ENSA dans ce domaine. D’où l’importance de l’exemplarité attendue de cette nouvelle école autant que du bâtiment lui-même.

« L’école doit permettre de montrer tout ce que nous avons expérimenté depuis 20 ans. Pour autant elle ne doit pas être un catalogue de type concours Lépine mais un bâtiment référencé : nous devons pouvoir expliquer pourquoi il est sur pilotis, pourquoi les porte-à-faux, rapporter une histoire et des références, etc. », souligne Olivier Brabant. Arrivé de Marseille, diplômé de Luminy, il est installé sur l’île depuis 25 ans et à la tête d’une agence de dix personnes. Il reconnaît volontiers n’avoir rien su de l’architecture tropicale avant son arrivée. Aujourd’hui, il explique « qu’un bâtiment est comme un bateau qui se règle sans machinerie ; un bâtiment en ventilation naturelle, c’est un voilier ».

Il y a plus ou moins 200 architectes à La Réunion – il y en avait une dizaine il y a 50 ans – et la nouvelle école est dimensionnée pour environ 200 étudiants. Le Port, la commune où elle est située, est une ville jeune dans les deux sens du terme (création en 1895 et 47 % des Portois ont moins de 30 ans).

Alors oui, la responsabilité de l’architecte de cette 21ème ENSA est grande.

Jane Coulon, architecte DPLG, est devenue en 2014 la première enseignante titulaire de l’école d’architecture de La Réunion. « J’arrive de Paris en 2002, il n’y avait alors pas autant d’architectes et d’agences mais il y avait beaucoup de travail – il y a toujours beaucoup de travail – avec la défiscalisation certes mais aussi parce qu’il y avait beaucoup de besoins de logements et d’équipements à construire », dit-elle. Elle travaille en agence, commence à enseigner dès 2003 – dans l’école d’architecture conçue par Architecture Studio au détour des années 2000, désormais trop petite – et dirige aujourd’hui une agence d’une quinzaine de personnes.

« Tous les enseignants [de l’ENSA La Réunion] ont une pratique, c’est très très important », assure-t-elle, expliquant que le Groupe de Recherche sur les Espaces et Architectures Tropicaux (GREAT) fédère par ailleurs les enseignants-chercheurs de l’école. « Il s’agit d’un laboratoire destiné à la recherche appliquée, théorique et pratique car nous formons à un métier », dit-elle.

Elle aussi se souvient « tomber des nues » en posant les pieds sur l’île. « Il y avait bien la question du bioclimatisme qui se faisait jour mais en arrivant je ne savais pas construire avec le climat ». Aujourd’hui, en guise de « trucs et astuces », elle estime « exemplaire » la conception de la nouvelle école. « Audacieuse, super-innovante, ouverte sur les vents, la ville, les jardins… La réflexion a été poussée assez loin pour aboutir à des dispositifs simples d’usage et pas coûteux à réaliser. Pour ce petit territoire, il s’agira d’un élément remarquable et, sans la clim, en avance sur son temps », assure-t-elle.

Ce ne sont pas-là vœux paresseux de vacanciers des îles puisqu’Olivier Brabant pour son école travaille en soufflerie avec le laboratoire parisien Aérodynamique Eiffel. L’école sera ventilée comme au XXIe siècle !

Les Alizés sont un « trésor », assure-t-il. « Une richesse », abonde Jane Coulon. « Pour construire ici, il faut un grand chapeau pour protéger du soleil et de la pluie, des bottes étanches (les fondations) et il faut que l’ensemble soit ventilé », dit-elle. L’exercice est certes plus difficile en métropole avec une réglementation thermique et énergétique plus complexe que sous les tropiques. « Nous n’avons pas de problématique d’étanchéité à l’air. Qui plus est, nous disposons de dispositifs de façade et surtoiture peu onéreux », remarque-t-elle. Un modèle pour la RE 2030 en métropole quand la Vendée sera devenue la Camargue et la Camargue un bayou tropical ?

Ce d’autant qu’à La Réunion, les quatre mois d’été – chaleur et humidité – sont au niveau de la mer une punition. D’ailleurs Olivier Brabant se réjouit encore de l’ingéniosité des cases, ou villas, traditionnelles qui, dit-il, sont « magnifiques d’intelligence climatique ». « Les persiennes, les ouvrants, les cloisons d’une certaine hauteur, les basculants, le rapport au jardin… Elles témoignent d’un savoir-faire ancestral, unique. Il suffit de regarder et de réinterpréter et faire évoluer le modèle mais les mêmes bases demeurent : l’Alizé souffle toujours dans le même sens ».

Des études montrent qu’il fera dans le sud de la France, en à peine une ou deux décennies, la température de Séville, en Espagne. Séville est une ville très agréable parce qu’elle est adaptée à son (ancien) climat. C’est une certitude, il fait et fera de plus en plus chaud en Europe et en France, avec des pluies de plus en plus violentes. « Nous avons nous ici l’habitude des pluies torrentielles », remarque sans ironie Jane Coulon qui espère que toutes les recherches et processus développés à La Réunion prospèrent dans les ENSA de métropole pour se révéler savoir-faire utiles. « Il faut que ça percole », dit-elle. C’est aussi le souhait d’Olivier Brabant que cette culture insulaire « infuse ».

Il est clair que, dans l’Hexagone, pourtant dans un autre hémisphère, dans le domaine de l’architecture et de la construction, les femmes et hommes de l’art, les élus et les maîtres d’ouvrage devraient bientôt découvrir des appréciations du risque et des préoccupations d’urgence différentes que celles dont ils ont pris la confortable habitude. Jusqu’à en découvrir les vertus et richesses de l’outre-mer ? Des îles, une nouvelle épice architecturale ?

Bref, en regard de la rapide transformation des conditions climatiques partout dans le monde, en métropole en particulier, la responsabilité de cette école – l’ENSA et l’équipement – est écrasante tant elle a valeur d’exemple et d’un espoir raisonnable.

Et en ce pays, une 21ème école d’architecture (sans compter l’INSA Strasbourg, l’ESA et Confluences), ce n’est sans doute pas trop demander comparé aux 150 écoles de commerce et 200 écoles d’ingénieurs qui leur font concurrence.

Christophe Leray, le 28/04/2025
Chroniques d’archtecture / Alizées Réunion

* Découvrir en images la présentation détaillée du projet : À La Réunion, une ENSA 0 % Matières grasses ; 0 % Morosité ; 100 % Porosité
** In Les écoles nationales d’architecture (ENSA). Étude à l’attention de la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale, par le Haut Conseil à l’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement supérieur (Hcéres) . Avril 2023

25.04.2025 à 11:48

Les espaces urbains somptueusement recoloriés d'Agostino Iacurci

L'Autre Quotidien

Les peintures murales d'Agostino Iacurci donnent vie à des bâtiments ternes grâce à leurs couleurs vives, leurs motifs ludiques, tout de blocs coloré et de symétrie. Qu'il peigne directement sur les briques et le plâtre ou qu'il conçoive d'immenses gaines de tissu pour recouvrir les échafaudages de construction, les compositions vibrantes de l'artiste animent les coins de rue et les artères urbaines.
Texte intégral (1471 mots)

Les peintures murales d'Agostino Iacurci donnent vie à des bâtiments ternes grâce à leurs couleurs vives, leurs motifs ludiques, tout de blocs coloré et de symétrie. Qu'il peigne directement sur les briques et le plâtre ou qu'il conçoive d'immenses gaines de tissu pour recouvrir les échafaudages de construction, les compositions vibrantes de l'artiste animent les coins de rue et les artères urbaines.

Grüne Oase” (2024). Frankfurt am Main, Germany. Photo by Ivan Murzin

“COINCIDENCES.” Ensorinstituut, Oostende, Belgium. Produced by The Crystal Ship

L’antiporta” (2021), paint on wall, dimensions variable. Biblioteca Ugo Tognazzi, Pomezia. Curated by Marcello Smarrelli and Pastificio Cerere for Sol Indiges. Photo by Lorenzo Palmieri

Iacurci met souvent l'accent sur les motifs géométriques, la flore, les vases classiques et les niches qui abritent des objets ou des figures symboliques. Vous pouvez consulter l'ouvrage Mural Masters de Gingko Press, qui présente la nouvelle génération d'artistes de rue, et en savoir plus sur le site web et l'Instagram d'Iacurci. Des bâtiments colorés et du verty sur les tois et autour, une autre idée de la ville à venir- dumoins, on l’espère… 

JP Simard avec Colossal Mag, le 28/04/2025
La ville coloriée d’Agostino Iacurci

Landscape n.1” (2021), wall painting, 27.7 x 7.1 meters. Las Vegas, Nevada. Commissioned by Life is Beautiful

25.04.2025 à 11:30

Avancer avec Coover, mais pas à découvert

L'Autre Quotidien

Une fête, aussi luxueuse que mystérieuse, au sommet d’un immeuble new-yorkais. Une foule d’invités et de pique-assiettes qui ne savent pas trop pourquoi ils sont là, mais qui sont bien décidés à en profiter. Le décor d’une farce échevelée, tragique et comique. Le formidable dernier coup d’archet de l’un des grands post-modernes de la littérature.
Texte intégral (3758 mots)

Une fête, aussi luxueuse que mystérieuse, au sommet d’un immeuble new-yorkais. Une foule d’invités et de pique-assiettes qui ne savent pas trop pourquoi ils sont là, mais qui sont bien décidés à en profiter. Le décor d’une farce échevelée, tragique et comique. Le formidable dernier coup d’archet de l’un des grands post-modernes de la littérature.

« Moi je crois que je laisserais pas un endroit pareil grand ouvert avec toutes ces babioles qui traînent », dit Cookie, montrant les peintures à l’huile sur les murs, les chandeliers en cristal, l’argenterie qui pèse son poids. Il avait précisé qu’il n’y aurait pas de verrous aux portes, à ce qu’il avait compris, et il n’y en avait pas. La porte donnant sur la rue était ouverte, pas de concierge, une pancarte au niveau de l’ascenseur indiquait à tout le monde le chemin jusqu’ici, ce penthouse au dernier étage, qui n’était pas fermé à clé. « Les riches ils s’en tapent », lâche la bonne femme.
« Tout ça c’est peut-être bidon », je dis, mais j’ai bien envie de piquer quelques trucs intéressants. Cette statuette coquine en jade, par exemple, avec son cul bien dessiné et ses nibards qui pointent. Ça doit coûter un bras. Cookie, comme l’appelle cette femme – sans doute son proxo – s’est fait embaucher comme traiteur pour la soirée, et on est arrivés tous les trois assez tôt pour installer tout le bazar. Perché sur ses béquilles, le cuistot prépare la bouffe, la femme l’apporte sur les chauffe-plats et fait passer les amuse-gueule sur des plateaux en argent, et moi je m’occupe des boissons. On attend pas mal de monde, donc pas de service à table. Dommage. Le service à table ne va pas sans règles, l’horaire à respecter, les pochtrons bien tranquilles à leur place. Quand ils peuvent aller où ils veulent, c’est chez moi qu’ils finissent tous par atterrir en jouant des coudes. Y a de la casse. Ça renverse. Les esprits s’échauffent. Le mien, notamment.

Au sommet d’un gratte-ciel new-yorkais, un somptueux appartement, l’un de ces penthouses à vues panoramiques multiples et à gigantesque toit-terrasse (qui se révèlera, le moment venu, être celui de tous les dangers). En ce lieu auquel conduit un ascenseur qui s’obstine à ne fonctionner qu’en montée (comme on le découvrira également en temps utile), une fête luxuriante et aussi, à la marge toutefois, quelque peu luxurieuse. Les invités sont arrivés là par calcul, par aubaine, par inadvertance, par curiosité, par hasard, et peut-être aussi – qui sait ? – par nécessité supérieure. Une brigade de cuisine et de service bricolée à la hâte – on ne saura rien, malgré toutes les tentatives occasionnelles, de leur commanditaire – met en œuvre un savoureux et pléthorique buffet dînatoire, richement arrosé comme il se doit, tandis qu’un trio de jazz assemblé à la va-comme-je-te-pousse massacre allègrement – mais avec un brio indéniable – un piano, une contrebasse et un saxophone, pour le plus grand plaisir auditif – ou non – de la foule assemblée, ou plutôt répandue dans cette myriade de pièces en enfilades circulaires, foule que l’on découvre au fur et à mesure particulièrement bigarrée, entre agente immobilière, pickpocket bien entraîné, compositeur de musique sérielle passée de mode, cow-boy de pacotille, brasseur d’affaires, adolescente dure-à-cuire, expert en vins, bibliothécaire retraitée, et on en passe, et de bien meilleures et meilleurs, jusqu’à une nonne discrètement omniprésente qui se révèlera lorsqu’il sera temps en catalyseur et en détonateur d’un cataclysme qu’il sera alors difficile de nommer précisément. Avec l’ironie chère dans d’autres contextes à un Bernard Lavilliers, il semblerait bien que : « Tout ce que la ville a de sportif et de sain avait rendez-vous là ». Et elle vous dit : « Viens ! ».

Cookie, cigarette noire pendouillant à la lèvre inférieure, allume le four. Il déballe maladroitement les premiers amuse-gueule pour les réchauffer quand débarque un trio de musiciens, sous la houlette d’un type gros et moche avec un étui à saxo ténor tout cabossé. Les deux autres se dirigent dans le salon à côté vers une contrebasse et un piano vernis classieux dont la plaque est ornée d’une lyre. Du sacré beau matos, je l’ai tout de suite repéré en arrivant, pour aussitôt me demander comment ils avaient fait pour monter ça ici. Et dans cette pièce. Est-ce qu’ils ont dû le démonter et le remonter, ou est-ce que le penthouse a été construit autour ? Ca rentre pas dans ma poche, mais je sais reconnaître un objet de qualité quand j’en vois un. Même la plaque on pourrait la mettre au clou.
Le saxophoniste vient quémander un truc à boire pendant que je suis encore en train de tout installer, me dit qu’il a besoin de s’arroser l’anche, et je lui demande combien il est payé. « Aucune idée, mec, sûrement pas assez, râle-t-il. T’façons, ce soir ce sera pas de la vraie zique, juste de quoi remplir c’te putain de pièce avec ces deux crétins que j’avais jamais croisés. Du coup, mec, faut que tu me concoctes un vrai remontant pour m’aider à tenir le coup. » Le barman hausse les épaules et dévisse le bouchon d’une bouteille de whisky, m’en jette un sur un tas de glace. Un vaurien avec juste la peau sur les os, planqué derrière une barbichette et des favoris, le genre cool mais renfrogné. Son truc à lui sans doute un boucan du diable, quelque chose qui cogne. Ce que je sais faire, mais juste en guise d’échauffement. La tempête avant le calme.
Failli l’oublier, ce plan. J’étais en plein bœuf dans un bar miteux et hors de prix, quelque part dans le centre, accompagné d’un tocard à dreadlocks qui martelait furieusement le piano du bastringue, et j’espérais que quelqu’un finirait par nous offrir un truc à boire, ne serait-ce que pour qu’on la mette en veilleuse, quand je me suis soudain souvenu que j’avais du taf ce soir. Pas moyen de me remémorer les détails, le prix du cacheton notamment, mais ces derniers temps ont été duraille dans le bizz de la musique, pas question de faire la fine bouche, alors je me suis tiré et jeté dans le premier taxi, le maestro du râtelier s’invitant par la même occasion. Le chauffeur nous a largués devant un immeuble d’un kilomètre de haut, et en suivant les panneaux on a pris l’ascenseur jusqu’à ce penthouse au dernier étage, où on est tombés sur un sac d’os renfrogné et tout avachi sous sa tignasse soyeuse dans l’entrée. Le type n’a pas dit un mot, s’est contenté de nous suivre comme s’il nous attendait. Aucun de nous d’eux ne le connaissait. Je lui ai souri, histoire de le faire chier. Coup de bol, le mec jouait de la basse. Sauf qu’il était venu les mains dans les poches ; heureusement on a trouvé une contrebasse à l’intérieur avec un piano à queue pour le jeune Dreads. D’un coup on était devenu un trio. Cool. Mon trio.

Un peu comme si « La Ronde » d’Arthur Schnitzler avait été multipliée par dix ou cent, et trafiquée par le William Gaddis de « JR », de façon à rendre le plus souvent imperceptible le glissement d’un locuteur à un autre, en multipliant les points de vue et les temporalités légèrement décalées, cette presque fête du siècle (qui n’est toutefois pas tout à fait celle de Niccolò Ammaniti), conçue par le grand Robert Coover, dernier roman publié de son vivant, en 2023, magistralement traduit par Stéphane Vanderhaeghe (dont on rappelle au passage à quel point le « P.R.O.T.O.C.O.L. » constitue une salutaire lecture) pour Quidam éditeur en janvier 2025, illustre peut-être bien à la perfection certains des traits les plus marquants, et les plus convaincants, de ce que le touffu et salutaire courant littéraire foisonnant et mobile du post-modernisme a tenté d’incarner pendant plus de soixante ans.

Comme l’écrit Stéphane Vanderhaeghe dans sa superbe – et émouvante – préface, « Ainsi construit sur les vestiges d’autres textes ou vestiges littéraires – à l’image de cette œuvre d’art composite et changeante qui tapisse un mur entier du salon -, Mascarade ne dissimule pas ses artifices ». Si les clins d’œil discrets à ses confrères et consœurs en écriture tels que John Barth, William Gaddis, Donald Barthelme, Thomas Pynchon, Kathy Acker, Richard Powers, ou encore William Gass, pour n’en citer que quelques-uns, sont nombreux au fil de ces 160 pages, ils ne s’immiscent pourtant jamais dans le flot impétueux de cette party at ground zero de l’Amérique dans tout ce qu’elle a de potentiellement glaçant, malgré les élans de sympathie qu’elle peut toujours provoquer. Ici, pas de « Las Vegas Parano » proprement dite, même si l’on imaginerait aisément, emprunté à Hunter S. Thompson, un sautillant Raoul Duke, sous les traits de Johnny Depp, se glisser de pièce en pièce d’une vraie-fausse télé-réalité, et même si « The Entertainer » de Scott Joplin, l’inoubliable hymne rétro de « L’Arnaque », pourrait être joué par l’orchestre jusqu’au bout.

La farce, y compris lorsqu’elle mobilise certains effets scatologiques ou pornographiques, tient ici avant tout par la langue : une langue dont les innombrables variations argotiques infiltrent monologues intérieurs et confidences in petto de tous les protagonistes – de tous les figurants, pourrait-on aussi écrire -, une langue qui englobe tous les appétits irrépressibles, des plus menus et anodins aux plus effroyablement gourmands de cette humanité qui ne sait pas s’arrêter de profiter, quelles que soient les circonstances, une langue dont les barbelures, aussi fines qu’acérées, transforment la folle ronde en tragédie sociale et politique à la fois insidieuse et spectaculaire. Et c’est ainsi que Robert Coover, maniant aussi bien l’affrontement – et l’affront – direct que les circonvolutions délicates (dans le chaos presque total) des coqs-à-l’âne apparents, des sous-entendus et des ellipses diaboliques, peut nous offrir les derniers mots du roman, « Bref, j’ignore encore ce que vais faire », en guise de pied-de-nez particulièrement somptueux et définitif jeté à la face de l’inéluctable avidité qui nous précipite dans l’abîme – depuis notre toit-terrasse commun.

Une énorme bonne femme, qui pue le parfum bon marché et a planté un nœud lilas dans sa permanente, se pointe en se dandinant et se met à déblatérer sur le trio de jazz, alors je me carapate discrètement dans la pièce d’à côté, où ces foutus musiciens sont à l’oeuvre et font subir les derniers outrages à une chanson bien innocente. À moins qu’ils ne s’en donnent à cœur joie sur trois chansons différentes, qu’ils font tourner en même temps. Un travestissement, dans un cas comme dans l’autre. Le bassiste, tête penchée sur ses jointures qui s’affairent, m’offre un truc à prix spécial, une antiquité de violoncelle, si j’ai bien compris ce qu’il m’a dit. De toute évidence, un refourgueur de biens privés, tout comme moi. Je lui demande combien, mais la réponse qu’il dissimule se noie sous les bêlements du saxophoniste et le martèlement du gars qui y va des poings sur son piano, et sous les hoquets incessants des rires creux et des bavassages à pleins tubes, alors je trace mon chemin tout en me demandant pourquoi je ne porte pas de chaussettes. Et en me demandant par la même occasion à qui peut bien être cette propriété plutôt classe, quoique éthérée ; et je me rends compte, tandis que je me force un passage de pièce en pièce dans ce mélange de fumées festives, que d’autres se posent plus ou moins la même question, avec moins de sobriété toutefois, moins de perspicacité. Les visages me sont de plus en plus familiers, mais d’une manière assez générique, restant difficilement reconnaissables. Je fais une pause, histoire de faire quelques poches pour en apprendre un peu plus, ce faisant, sur l’identité de ces gens, sur leur embarras. Quelqu’un me complimente sur les exquis feuilletonnés et frittatas de homard de « mon » chef, s’imaginant selon toute vraisemblance que c’est moi le responsable de ce buffet, et donc, lorsque l’agente immobilière au long pif me met enfin le grappin dessus, je lui demande à combien elle estime ma propriété.
« Quoi ? Vous voulez dire que cet appartement est le vôtre ? » demande-t-elle, souffle coupé et regard incrédule fixé sur moi. Cette idiote est presque trop ivre pour tenir debout, mais elle peut encore m’être utile. Il y a un bureau dans cette pièce. Qui doit servir d’étude. je lui retourne un regard froid et lui communique mon prix. « Nom d’une pipe ! Mais vous croyez que… ça va tomber du ciel ? »
– C’est un appartement très atypique, je lui réponds d’un ton glacial. Où est-ce que vous allez en trouver un autre comme celui-ci ? Mais il va me falloir la somme intégrale en liquide – ce soir !
– Oh non ! Vous n’allez quand même pas partir… ?
– Histoire habituelle : une fourbe, qui était de mèche avec la justice, je n’ai pas d’autre choix que de mettre les voiles au plus vite. Je veux bien jeter une oreille sur les offres qu’on me fera, mais je vous fais confiance pour me trouver la totalité du montant. Il y en a ici qui sont riches comme Crésus et pour qui cette somme n’est qu’un peu d’argent de poche. Vous pourrez garder un tiers de ce que vous parviendrez à leur tirer. »
Elle dessoûle sur-le-champ. « C’est qu’il va me falloir le titre…
– Oui, bien sûr, il se trouve dans le coffre mural, ici, dans mon bureau. » Je fais tinter quelques clés à la provenance incertaine sous son nez, et pointe vaguement dans mon dos, dans l’espoir qu’il puisse y avoir un coffre là-bas quelque part. « Vous avez trente minutes. »

Hugues Charybde, le 28/04/2025
Robert Coover - Mascarade - éditions Quidam

l’acheter chez Charybde, ici

10.04.2025 à 11:20

Le Kiniata de Kin'Gongolo dépotte grave

L'Autre Quotidien

Si ces dernières années, vous n’avez pas été bercé par les punks congolais de Konono Nº1 et Staff Benda Bilili, vous n’avez pas pigé comment l’Afrique du son récup fonctionne. Avec allégresse et de manière tonitruante. Le nouvel épisode de l’avancée se nomme Kin’Gongolo, du son que font les bidons entrechoqués portés par les vendeurs d’huile à lampe pendant les pannes d’électricité des années précédentes. Envoi !
Texte intégral (1811 mots)

Si ces dernières années, vous n’avez pas été bercé par les punks congolais de Konono Nº1 et Staff Benda Bilili, vous n’avez pas pigé comment l’Afrique du son récup fonctionne. Avec allégresse et de manière tonitruante. Le nouvel épisode de l’avancée se nomme Kin’Gongolo, du son que font les bidons entrechoqués portés par les vendeurs d’huile à lampe pendant les pannes d’électricité des années précédentes. Envoi !

Depuis 2023 et la sortie de leur premier EP, Moto, les jeunes Kin'Gongolo Kiniata se sont fait remarquer par des concerts en Europe et aux États-Unis. Avec la sortie de leur premier album Kiniata, la voie semble tracée pour une exposition et une appréciation encore plus grandes de leur musique vibrante, qui, remodelant les frontières de la musique congolaise, reste consciente et respectueuse de ses origines. Leur musique s'est nourrie de la vie frénétique des rues et en est le reflet. Fabriquant leurs instruments à partir d'objets recyclés, leur exploration des textures sonores a créé un son afro-pop expérimental et inédit, qui fusionne également l'électro et les rythmes congolais, soulignés par l'énergie du punk congolais.

Sur Kiniata, non seulement la palette sonore est rafraîchissante et unique, mais il y a aussi un engagement, évident à travers les paroles rebelles et transformatrices prononcées en lingala, l'une des langues les plus parlées au Congo, pour mettre en lumière les luttes, les espoirs et les triomphes de la vie quotidienne. Ces aspects politiques et émotionnels, exprimés à travers des chansons faisant référence aux sans-abri, à la guerre et au besoin urgent de changement et de justice sociale, tout en célébrant la résilience radicale des Kinois (habitants de Kinshasa), sont des éléments clés de la raison d'être du groupe.

Les quatre chanteurs principaux du groupe sont Leebruno, chant et percussions métalliques artisanales ; Mille Baguettes, chant et télébatterie ; Ducap, chant et percussions en plastique recyclé, Djino, chant et basse à deux cordes raccourcie, ainsi que Bebe Mingé, chœurs, harpe et guitare à une corde, les crédits indiquant que tous les morceaux sont écrits et composés par Julien Ekutshu Sambu, Mafuta Mingi Hassam Sabiti, Jonas Kipanga Bende, Ange Ludiata Mbongo, Junior Mulenga Kasongo, leurs noms de naissance.

Des percussions d'un autre monde, des rythmes contagieux et des chants délimitent l'ouverture explosive de Toye Mabe (We Are Bad). Il n'est probablement pas nécessaire de chercher plus loin que la description de la chanson pour se faire une idée de son contenu, voire de celui de l'album : « Bienvenue à tous ! » Ce titre est une invitation à entrer dans le monde vibrant de KinGongolo Kiniata. Un son qui accueille nos fans avec énergie, signalant notre arrivée en force. Il n'y a pas de place pour l'ennui, nous sommes là pour électriser la scène et vous plonger dans une atmosphère explosive ! Une déclaration d'intention pleinement étayée par ce qui suit.

Kingongolo est une chanson inspirée de l'histoire des vendeurs de pétrole de Kinshasa décrite plus haut, les paroles soulignant aussi symboliquement la lumière qui perce l'obscurité. Un mélange de sons assaille les oreilles, les composants individuels tissant des motifs intrigants tandis que des voix complexes interagissent entre eux, un peu comme des étincelles allumant ces lumières.

Sur Angoisse, ils explorent la dualité de l'amour et la douleur et l'anxiété engendrées par l'abandon et la séparation. "J'avoue que je suis anxieux, j'avoue que je suis anxieux. Tu as tout déchiré... Reste avec moi, reste avec moi, oui. Oh, maman, s'il te plaît, ne me quitte pas." D'abord beaucoup plus lent en tempo et plus sanguin, le morceau est caractérisé par un jeu de basse phénoménal et frontal, la voix transmettant l'inquiétude exprimée dans les paroles, créant ainsi six minutes de musique merveilleusement hypnotique et fluide.

Joyeusement entraînant et énergique, avec des voix à plusieurs niveaux, Liseki Te raconte l'histoire d'un jeune homme qui ouvre son cœur à une femme qu'il aime. Exigeant des preuves de ses intentions et de son affection, il n'a que des mots pour la convaincre : « pas de mensonges, pas de faux-semblants »

La première proposition ouvertement politique/sociale de l'album est Toko Lemba Te (We Won't Be Tired), où le groupe élève ses voix collectives pour dénoncer la guerre qui fait rage depuis des décennies dans la région orientale de la RDC, enflammée par l'avidité pour les ressources naturelles du pays. Une fois de plus, préparez-vous à des notes de basse extraordinairement puissantes sur un morceau qui illustre parfaitement le son du groupe et qui se termine par une formidable fin de type dub-plate, alors qu'ils délivrent leur message au monde : "Nous disons non à cette guerre ! Nous ne nous lasserons pas d'exiger la paix et la stabilité sociale pour le peuple congolais afin que chacun puisse enfin vivre dans la dignité."

Par rapport au reste de l'album, Fina, Fina se présente comme relativement calme et retenu, mais certainement pas décontracté. Les percussions intenses, les effets d'écho de type wah-wah, ponctués par des notes de basse profondes et résonnantes, et les voix répétitives « fina fina » produisent un son séduisant et hypnotique.

Avec des harmonies vocales qui rappellent les groupes vocaux des townships de Soweto et des sons musicaux qui rappellent le gamelan indonésien, Lowi raconte l'histoire intrigante d'un enfant abandonné par son père qui, fortuitement, trouve un autre « parent » dans la rue, qui le guide, le nourrit et l'éduque jusqu'à l'âge adulte. Mais qui doit-il aider : son père biologique ou son père adoptif ?

Moto se caractérise par un chant rauque, parfois d'une ferveur presque religieuse, avec des appels et des réponses ululantes, sur un motif de cordes vibrant et répété et des percussions frénétiques. Il n'est donc pas surprenant que « Moto », qui signifie « feu », soit un mot fréquemment utilisé métaphoriquement dans les églises évangéliques comme prière pour brûler et éradiquer les forces du mal. Cependant, par un habile jeu de mots, nous apprenons également que « Moto » fait référence à « la chaleur et l'énergie contagieuses que KinGongolo Kiniata enflamme sur scène ». Une atmosphère ardente où chaque représentation allume un feu sacré et passionné dans le cœur du public. Moto Epele - Allumez le feu !".

Elengi Ya Ko Vivre (Le goût de la vie) est une autre chanson qui s'inscrit dans un contexte social, adressée à une faction particulière de leurs compatriotes congolais, alors que le groupe exhorte les gens à laisser les gangs derrière eux et à trouver un travail qui ait du sens. Le message est clair : aucun travail n'est insignifiant, il n'y a pas de honte à travailler honnêtement, évitez l'oisiveté, et il s'inscrit dans un cadre musical urgent et rapide, avec des sons plus incroyables de la basse à deux cordes, des percussions insistantes et pulsantes, une guitare à une corde palpitante et des voix plus contagieuses de type appel et réponse.

Bunda (Fight), un hommage à la résilience, est un autre morceau à haute teneur en énergie, avec des notes de basse lancinantes et floues accompagnées de motifs de guitare à une corde psychédéliques, spatiaux et répétés, et de voix stridentes, en colère et criées, qui reflètent le sujet, le tout contribuant à créer un effet proche de la transe.

Le dernier morceau, Tekiara, contraste avec ce qui précède. Les notes introductives, qui rappellent un kalimba, et les premiers mots, prononcés avec douceur, annoncent une mélodie séduisante et douce et des voix délicieusement harmonieuses, le tout souligné par des notes de basse pulsées, illustrant le fait que le groupe est loin d'être un simple poney politique/social à un seul coup.

Avec Kiniata, Kin'Gongolo Kiniata creuse avec succès un nouveau sillon audacieux dans le monde de la musique congolaise et au-delà.

Avec leur éthique du bricolage et leur fusion passionnante et sans complexe des rythmes urbains de Kinshasa avec des influences contemporaines, leur intention avouée d'utiliser le pouvoir de la musique pour provoquer le changement tout en permettant à l'âme de Kinshasa de résonner dans le monde entier se concrétise de plus en plus avec cet album. Le son du printemps lumineux est là. Et ça décoiffe !

JP Simard, le 14/04/2025
KIn’Gongolo - Kiniata - Hélico

10.04.2025 à 10:23

Avec Vivid Reliquaries, Stan Squirewell superpose portraits anonymes et textiles à motifs

L'Autre Quotidien

À travers des collages intimes et mixtes, Stan Squirewell exhume les histoires de ceux qui pourraient autrement être perdus dans l'anonymat. L'artiste recueille des images dans les archives du Smithsonian et auprès d'amis et de membres de sa famille, qu'il réinterprète ensuite à l'aide d'imprimés et de motifs vibrants. En superposant des passés inconnus et des ajouts actuels, Squirewell explore la manière dont les traditions et les rituels quotidiens perdurent à travers les générations.
Texte intégral (1645 mots)

À travers des collages intimes et mixtes, Stan Squirewell exhume les histoires de ceux qui pourraient autrement être perdus dans l'anonymat. L'artiste recueille des images dans les archives du Smithsonian et auprès d'amis et de membres de sa famille, qu'il réinterprète ensuite à l'aide d'imprimés et de motifs vibrants. En superposant des passés inconnus et des ajouts actuels, Squirewell explore la manière dont les traditions et les rituels quotidiens perdurent à travers les générations.

“Girls on Saturn” (2025)

Son nouvel ensemble d'œuvres, Robitussin, Hotcombs & Grease, évoque des produits omniprésents tels que le décongestionnant en vente libre et les soins capillaires. « En grandissant, j'ai été façonné par les aînés qui m'entouraient, et les objets quotidiens tels que Robitussin, Hotcombs et la graisse sont devenus les réceptacles des rituels qui m'ont ancré dans mon héritage », explique l'artiste. « Ces objets transcendent leur usage banal : ils incarnent des traditions transmises de génération en génération, m'ancrant dans une identité collective. »

“Teddy” (2024), artist-printed photos collaged with paint and glitter in a hand-carved shou sugi ban frame, 43 x 35 x 3 inches

Squirewell découpe et colle des images et des tissus de sa collection avant de photographier la composition, qui est ensuite soumise à un processus d'édition numérique. Chaque pièce est complétée par un cadre élaboré, avec des bords shou sugi ban carbonisés - une technique de brûlage japonaise - et des détails sculptés à la main. Les côtés portent diverses inscriptions reliant le passé et le présent, notamment des lignes de poèmes de Langston Hughes et des glyphes de langues africaines ancestrales tombées en désuétude.

L'identité et l'histoire de nombreux sujets étant inconnues, le travail de Squirewell confère une nouvelle pertinence à leurs images. Comment les pratiques domestiques quotidiennes et l'héritage des générations précédentes ont-ils influencé le présent ? Et comment ces traditions créent-elles une expérience collective plus large ? Enracinées dans ces questions, les œuvres dignes deviennent des reliquaires qui honorent ce qui a été transmis et la façon dont cela continue à informer la vie aujourd'hui.

Robitussin, Hotcombs & Grease est exposé jusqu'au 24 mai à la Claire Oliver Gallery à Harlem. En savoir plus sur Squirewell sur Instagram.

John Patitucco, le 14/04/2025
Stan Squirewell - Vivid Reliquaries

Teddy’s Lil Sisters” (2024), artist-printed photos collaged with paint and glitter in a hand-carved shou sugi ban frame, 29 x 24 x 2 inches

10.04.2025 à 10:11

Tatu Panda, le tatoueur hyperréaliste de Miami

L'Autre Quotidien

Tatu Panda, de son vrai nom David Cubero, est un tatoueur originaire de Miami, reconnu pour ses micro-tatouages hyperréalistes qui transforment la peau en véritables œuvres d’art. Dès l’âge de 14 ans, il commence à tatouer dans les marchés aux puces de Miami, développant rapidement une passion et une expertise remarquables. Sous la tutelle de son mentor, Felipe « Pride » Bustos, Tatu Panda a affiné son art et créé un style unique alliant photoréalisme et finesse du détail. Choc des yeux !
Texte intégral (1239 mots)

Tatu Panda, de son vrai nom David Cubero, est un tatoueur originaire de Miami, reconnu pour ses micro-tatouages hyperréalistes qui transforment la peau en véritables œuvres d’art. Dès l’âge de 14 ans, il commence à tatouer dans les marchés aux puces de Miami, développant rapidement une passion et une expertise remarquables. Sous la tutelle de son mentor, Felipe « Pride » Bustos, Tatu Panda a affiné son art et créé un style unique alliant photoréalisme et finesse du détail. Choc des yeux !

Aujourd’hui, propriétaire et opérateur de son propre salon, le Panda Tattoo MIA, situé au 7814 NE 4th Ct, Miami, FL 33138, sa clientèle comprend des célébrités comme Lil Pump, Marc Anthony, Jake Paul et 6ix9ine, témoignant de la qualité exceptionnelle de son travail.

Ses créations se distinguent par leur précision photographique et leur capacité à raconter une histoire sur une surface aussi réduite que la peau humaine. Son compte Instagram, suivi par plus de 463 000 abonnés, présente une galerie impressionnante de ses œuvres, allant de portraits détaillés à des motifs délicats en fine ligne. ​

Paul Morriskey, le 14/04/2025
Tatu Panda, tatoueur hyperréaliste

10.04.2025 à 09:56

« Lorsqu’on parle de manga en France, il est impossible de ne pas parler de bande dessinée » Interview de Maxime Gendron pour son ouvrage Mangashi

L'Autre Quotidien

Avec un angle autour du succès des mangashi japonais comme le Weekly Shonen Jump, Maxime Gendron propose un essai pour retracer l’historique et les enjeux des magazines de prépublication de bande dessinée du Japon jusqu’en France. Entretien avec l’auteur en pleine campagne de financement participatif.
Texte intégral (3189 mots)

Avec un angle autour du succès des mangashi japonais comme le Weekly Shonen Jump, Maxime Gendron propose un essai pour retracer l’historique et les enjeux des magazines de prépublication de bande dessinée du Japon jusqu’en France. Entretien avec l’auteur en pleine campagne de financement participatif.

Maxime Gendron

Vous avez peut-être déjà croisé Maxime Gendron sur sa chaine Youtube L’Archipel Otageek lancée en 2016 avec Antoine Bonnici lancée autour de One Piece, qui s’est depuis diversifiée autour de la pop culture au sens large ; mais aujourd’hui on s’intéresse à un projet de livre, un essai sur l’histoire de la prépublication de bande dessinée depuis le Japon jusqu’en France.

Sur 272 pages, il propose un historique de prépublication de manga au Japon puis en France, en détaillant certains moments clefs et exemples de publications avant de questionner les nouveaux modèles de pré-publications à l’ère du numérique. Avec quelques réflexions sur la paupérisation des artistes, les modèles media mix japonais ou encore la prépublication de manga en France qui connaît un véritable essor [lire aussi notre interview Interview de Robin Emptaz autour du magazine Konkuru].

Le livre est disponible en soutenant la campagne sur Ulule, jusqu’au 8 avril 2025 mais pour en savoir plus, je vous propose un échange avec son auteur. 

Le sujet est à la fois très spécifique, mais dans l’air du temps parce que beaucoup de lecteurices connaissent le Weekly Shonen Jump, est-ce que tu peux nous donner le point de départ de ce livre ? 

Maxime Gendron : Depuis un moment maintenant, on entend que la France est le deuxième pays consommateur de manga après le Japon. Quand j’ai commencé à m’intéresser à l’histoire et à l’économie du manga, j’ai vite compris que les magazines de prépublications sont indissociables du marché japonais. 

Je me suis alors demandé pourquoi nous n’en avons pas en France, même les plus connus comme le Shonen Jump. Ce dernier publie pourtant des blockbusters comme Naruto, One Piece ou Dragon Ball qui rencontrent un grand succès dans l’hexagone. C’est à partir de là que j’ai commencé les recherches.

Pourquoi consacrer un livre sur les magazines de prépublication, les mangashi, mais également la presse en France ? 

M. G. : Cela peut sembler curieux d’accorder autant de place à la bande dessinée franco-belge dans un livre consacré au manga. Néanmoins, lorsqu’on parle de manga en France, il est impossible de ne pas parler de bande dessinée, dans le sens large. 

Au cours de mes recherches, j’ai constaté que les tentatives de mangashi à la française ont échoué alors que le pays a aussi connu un âge d’or de la prépublication de la BD avant de disparaître. Les deux étaient forcément liés. L’histoire de la BD en France est un élément nécessaire pour ensuite comprendre celle du manga.

Tu avais déjà travaillé sur le sujet avec un livret Le guide des magazines de prépublication, qui était proposé en bonus lors de la campagne Ulule Shōnen ! et Shōjo ! dirigés par Julie Proust Tanguy, c’était une amorce de ce livre ? 

M. G. : À ce moment-là, je travaillais déjà sur le livre qui était encore au stade du mémoire universitaire. Le guide a été l’occasion de faire une première synthèse des sources rassemblées jusqu’ici.

Ton livre arrive au moment où Claude Leblanc publie une histoire du magazine Garo et à travers son livre sur Shōtarō Ishinomori, ses recherches sur Com, deux mangashi dont les auteurices ont une résonance particulière en France. Pourquoi selon toi, le marché s’ouvre pour ce type d’ouvrages ? 

M. G. : C’est une analyse totalement subjective, mais je pense qu’il y a un double phénomène depuis quelques années. D’abord, les mangas deviennent de plus en plus un divertissement grand public dans le sens où ils ne sont plus seulement lus et achetés par des fans de manga. Désormais, une personne qui a aimé un anime va peut-être lire la suite, mais ne lire aucun autre manga après celui-ci. 

Ensuite, je pense que les fans sont de plus en plus curieux des coulisses, ils ont envie de comprendre son histoire, son processus de création. On a observé le même phénomène avec la BD il y a plusieurs années. Tous les acheteurs de BD ne sont pas des passionnés et c’est une bonne chose ! Cela en fait un moyen d’expression artistique accessible à quiconque est un minimum curieux. 

À l’inverse, il y a des passionnés de longue date, des spécialistes qui produisent et lisent des livres plus pointus pour analyser les différents aspects de la BD, avec une grande production autour de l’œuvre de Hergé, entre autres. Le manga n’en est pas encore à ce stade, mais je pense qu’il s’y dirige avec de plus en plus d’ouvrages sur le sujet.

Tu évoques également un point qui me paraît important, la paupérisation des artistes en France, qui ont perdu l’écosystème des magazines et la prépublication, est-ce que tu as des chiffres là-dessus ? Est-ce que tu peux expliquer la différence avec le Japon par exemple ? 

M. G. : Je n’ai pas de chiffres précis, en tout cas pas en France, mais grâce à la prépublication, les auteurs perçoivent deux rémunérations : à la page et sur les ventes. Ils sont payés à la planche pour la publication dans les magazines puis un pourcentage sur les ventes des albums distribués en librairie.

Aucune des deux n’est suffisante pour vivre, sauf en cas de gros succès, mais rare et difficile à prévoir. En privant les auteurs de la rémunération à la page, ils ont perdu leur source de revenu la plus stable.

Le système japonais fonctionne de la même manière, mais même comme ça, la somme perçue pour les planches ne suffit généralement pas à couvrir les dépenses pour les produire. Les mangakas sont dépendants de la publication en recueil puis de la vente des droits dérivés pour commencer à être rentables.

Dans Mangashi, il y a un focus sur des initiatives françaises, des magazines qui prépublient ou publient du manga ; mais aussi sur le numérique, quelles sont les pistes les plus pertinentes pour l’avenir de la prépublication selon toi ? 

M. G. : À l’origine, la prépublication a émergé au Japon parce que c’était le moyen le plus rapide et le moins coûteux pour divertir les enfants après la guerre. Aujourd’hui, le numérique me semble être l’évolution naturelle de ce système, il n’y a pas plus rapide et il ne coûte presque rien quand il n’est pas gratuit. Les ventes numériques ont d’ailleurs surpassé celles du papier (uniquement pour les magazines) depuis 2017. 

Concernant la France, je ne sais pas. Est-ce que la prépublication n’a pas fonctionné parce que personne n’a jamais trouvé la bonne formule ? Ou alors parce qu’elle n’est pas adaptée au public ? Les projets actuels nous apporteront sûrement une réponse dans les mois et années à venir.

Le livre est en cours de financement sur Ulule, ce sera le seul moyen de se le procurer ou il sera dispo en librairie après ? 

M. G. : Je ne suis pas distribué, il va donc être très difficile de me retrouver en librairie. Je travaille déjà à organiser une petite tournée de dédicaces, mais le plus sûr pour avoir le livre est de le commander avant la fin de la campagne.

Et pour la suite, tu prépares déjà les prochains projets ? 

M. G. : Je travaille déjà sur deux nouveaux projets sur lesquels je vais pouvoir me concentrer lorsque la campagne sera finie. Je ne peux pas en dire plus pour l’instant, mais l’un d’eux est une forme de suite à ce livre.

▶️ Pour acheter Mangashi et soutenir Maxime Gendron, ce sera sur Ulule, jusqu’au 8 avril 2025

Tous les visuels sont © Maxime Gendron / Kriss

Thomas Mourier, le 14/04/2025
Interview de Maxime Gendron pour son ouvrage Mangashi

-> Les liens renvoient au site Bubble où vous pouvez vous procurer les ouvrages évoqués.

10.04.2025 à 09:44

Solitude et spleen de l’architecte français : comment résister ?

L'Autre Quotidien

Il est plus facile à l’éditorialiste de faire part de son désarroi face à l’état du monde qu’à l’architecte qui, quels que soient les tarifs douaniers et les circonstances humaines, climatiques et politiques du moment, n’en doit pas moins pour autant engager sa responsabilité pour un projet à 2, 5, 10, 50 ou 500 millions de dollars. Les enjeux pour l’un et l’autre ne sont pas les mêmes, ni pour aujourd’hui, ni pour demain. Cela dit, en tant qu’observateur, quelques remarques.
Texte intégral (1577 mots)

Il est plus facile à l’éditorialiste de faire part de son désarroi face à l’état du monde qu’à l’architecte qui, quels que soient les tarifs douaniers et les circonstances humaines, climatiques et politiques du moment, n’en doit pas moins pour autant engager sa responsabilité pour un projet à 2, 5, 10, 50 ou 500 millions de dollars. Les enjeux pour l’un et l’autre ne sont pas les mêmes, ni pour aujourd’hui, ni pour demain. Cela dit, en tant qu’observateur, quelques remarques.

Comment pour les architectes en leur nom propre résister quand un système administratif débile basé sur des critères absurdes empêche d’accéder à la commande ceux qui ont justement quelque chose à dire, notamment les jeunes saisis par l’urgence écologique et climatique ? Comment sauront-ils développer les compétences qui leur permettront de concourir face aux agences internationales qui trustent les projets prestigieux (et encore…) ?

Comment résister aux normes édictées sans rémission par le CSTB et autres bureaux de contrôle aux intérêts bien compris et validées pour le climat d’hier et non pour celui de demain ? Le confort d’été, ne s’agit-il pas enfin d’y penser ? Dans dix ou quinze ans, sous la canicule quatre mois dans l’année, l’étanchéité à l’air, un piège redoutable ? Mortel ?

Commet résister à l’appauvrissement du discours architectural désormais pollué par l’accessoire bien pensant, l’essentiel – architecte, c’est un métier n’est-ce pas ? – de plus en plus flou ?

Comment résister quand l’architecture, l’expression même de la société dans laquelle elle naît, est devenue une équation de bonnes intentions qui pavent l’enfer ?

Comment résister quand l’architecture, l’expression même de la société dans laquelle elle naît, est devenue une équation financière qui pave le paradis de mauvaises intentions ?

Comment résister à l’aggiornamento des grosses structures d’architecture mariées à de grosses structures d’ingénierie qui s’emparent de l’essentiel des marchés toujours plus hauts de villes en développement en Afrique, en Asie, au Moyen-Orient, en Amérique ? Et s’apprêtent à s’emparer des marchés à venir de Riviera et autres luxury Ecolo lodges en pays chauds mal inspirés ? Comment résister à la pensée qu’il s’agira peut-être bientôt pour nombre de ces ouvrages d’éléphants blancs déshérités ou honteux légués à l’histoire ? Comment ne pas désespérer de La Défense ?

Comment résister à l’aura, parmi d’autres, d’un Gehry vieillissant qui impose encore, comme à Arles, ses tours anachroniques à grands roulements de tambour ?

Comment résister aux confrères et consœurs cyniques, procéduriers et sans autre intérêt général que le leur ? Comment résister à l’ambition hargneuse des moins doués ?

Comment résister à la vanité de maîtres d’ouvrage qui tiennent à laisser leur nom à une œuvre, comme s’ils en étaient les auteurs, tel André Santini à Issy-les-Moulineaux ? Mais Daniel Libeskind, vraiment ?

Comment résister à la pression de maîtres d’ouvrage privés aussi bienveillants qu’ils sont bien en cour ?

Comment résister à la pression des maîtres d’ouvrage privés malveillants qui financent la cour ?

Comment résister à l’incompétence de fonctionnaires pressés (au mieux) ou incultes (au moins pire) ou méchants (au pire) ?

Comment résister et garder son sang-froid face à l’impéritie politique et au déluge, l’une et l’autre inéluctables ? Prévoir sans doute dans chaque bâtiment l’arche de Noé des insectes…

Comment résister et construire pour 50 ou 100 ans tout en subodorant que d’ici dix ans à peine, les circonstances humaines, politiques et environnementales seront très éloignées des besoins et préoccupations du jour ? Comment garder la foi envers soi-même sans craindre le vertige ?

Comment résister au découragement quand, sous couvert de compétition équitable, le candidat concurrent gagne moins pour sa créativité, son talent et son expertise que pour son entregent, son réseau et sa capacité à épouser parfaitement l’air du temps non genré avec des bâtiments qui dureront le temps fugace de la mode ? No future, comme dirait Sid Vicious ?

Comment résister quand la crise, provoquée loin de sa rue, conduit à la mise en liquidation ou redressement judiciaire de l’agence locale ?

Comment résister à l’ignorance et la sottise ? Pourquoi cela est-il si difficile aux architectes, pourtant le plus souvent gens curieux, sensibles, cultivés et ayant fait au minimum cinq ans d’études ? Ils sont certes soumis au prince… Comment toutefois parler d’un futur technique et poétique à un maître d’ouvrage persuadé, avec son industrie de moutons à cinq pattes, que la terre est plate ?

Comment résister, pour les architectes distingués, à l’attrait pécuniaire et la célébrité des « rich and famous » pour loger trafiquants et pirates en pays exotiques  ? Comment, pour les autres, résister à l’abîme du déclassement pour payer le loyer ?

Comment résister à l’emballement du monde ? Comment résister aux bombes physiques, chimiques et virtuelles dont l’humanité en général, notre civilisation en particulier, est assaillie ?

Comment résister aussi bien aux irresponsables non coupables qu’aux coupables irresponsables, comme se demandent des Français de sang dans les hôpitaux normands ?

Comment résister si Trump, avec une récession mondiale, devient le meilleur avocat de la décroissance et en conséquences le nouvel ami de la nature et des écolos ?

Humpty Dumpty était assis sur un mur,
Humpty Dumpty fit une grosse chute.
Tous les cavaliers et tous les fantassins du roi
Ne parvinrent pas à recoller Humpty Dumpty.

Ainsi va la comptine anglaise du XVIIesiècle ?

Il faudra pourtant bien reconstruire avec ceux qui seront encore-là. D’ailleurs le dernier couplet de la comptine indique.

Humpty Dumpty a compté jusqu’à dix
Humpty Dumpty a tout reconstruit
Tous les cavaliers et fantassins du roi
Sont heureux que Humpty Dumpty soit rétabli.

Il n’y a pas de fatalité. Quand les cons auront tout bien saccagé, la raison, qui comme la nature a horreur du vide, reprendra ses droits. Il faudra bien alors des architectes qui connaissent leur métier.

D’ici-là, l’architecture doit être, pour ceux qui s’en prévalent, un acte de résistance à la normalisation, un acte de foi envers l’avenir, une volonté d’affirmer que le monde reste régi par la gravité et qu’il revient aux architectes, en dépit des circonstances et difficultés qui leurs sont propres, d’envisager protection pour leurs semblables pour les décennies à venir. Dans les règles de l’art si possible.

Christophe Leray, le 14/04/2025 pour Chroniques d’architecture
Solitude et spleen de l’architecte français : comment résister ?

10.04.2025 à 09:30

(Back to my) Roots avec Barthélémy Toguo

L'Autre Quotidien

Roots  est une série de quinze nouvelles linogravures à laquelle viennent s’ajouter des bas-reliefs en bois de la suite « Bilongue » (2015). Ces linogravures, où se mêlent figures mutantes et motifs végétaux, explorent la relation entre l’humain et la nature dans une tension à la fois onirique et organique. Par leur traitement graphique, elles évoquent les tampons monumentaux de l’artiste : même économie de moyens, même force des lignes, où chaque empreinte devient un acte symbolique de narration et d’engagement
Texte intégral (1059 mots)

Roots  est une série de quinze nouvelles linogravures à laquelle viennent s’ajouter des bas-reliefs en bois de la suite « Bilongue » (2015). Ces linogravures, où se mêlent figures mutantes et motifs végétaux, explorent la relation entre l’humain et la nature dans une tension à la fois onirique et organique. Par leur traitement graphique, elles évoquent les tampons monumentaux de l’artiste : même économie de moyens, même force des lignes, où chaque empreinte devient un acte symbolique de narration et d’engagement

Barthélémy Toguo,  Roots XI & Roots VI, 2025 Linogravure, 50 × 36 cm chacun Courtesy de l’artiste et galerie Lelong & Co. Paris

En écho à ces nouvelles estampes, quelques pièces de la suite « Bilongue » complètent l’exposition. Ces bas-reliefs en bois, avec leur matérialité brute et leurs motifs incisifs, prolongent une réflexion sur les dynamiques entre mémoire collective et récits personnels. Issue d’un projet initié par Barthélémy Toguo en 2015 avec certains habitants de la banlieue éponyme de Douala au Cameroun, « Bilongue » rend hommage à ces personnes par une galerie de portraits qui vient commémorer leurs vies et leurs combats.

Présentées ensemble, ces deux séries dialoguent autour de l’idée d’empreinte — qu’elle soit imprimée ou sculptée — dans une mise en scène où tradition et expérimentation se rejoignent pour interroger les liens entre corps, nature et histoire.

Barthélémy Toguo - Roots I

Barthélémy Toguo est né à Mbalmayo au Cameroun en 1967. S’il s’installe en Europe, devenant citoyen français, il reste profondément enraciné au Cameroun où il retourne très régulièrement. Il y a créé Bandjoun Station, une fondation inaugurée en 2013 destinée à accueillir en résidence, dans des logements-ateliers, des artistes et des chercheurs du monde entier pour développer des propositions en adéquation avec la communauté locale.

L’art de Barthélémy Toguo a suscité beaucoup d’intérêt ces dernières années. Ses œuvres ont rejoint les collections de plusieurs institutions privées et publiques importantes au Royaume-Uni, en Europe et aux États‑Unis. Il est l’artiste invité du Musée de la BnF (site Richelieu, Paris) de la saison 2024-2025.

« Roots » est la septième exposition que la Galerie Lelong consacre à Barthélémy Toguo depuis 2010 à la suite de « The Lost Dogs’ Orchestra » (Paris, 2010), « Hidden Faces » (Paris, 2013), « Strange Fruit » (Paris, 2017), « Urban Requiem » (New York, 2019), « Partages » (Paris, 2021) et « Water is a Right » (Paris, 2023).

Amos Tutualo, le 14/04/2025
Barthélémy Toguo - Roots -> 30/04/2025

Galerie Lelong & Co 13, rue de Téhéran – Second espace au 38, avenue Matignon 75008 Paris

10.04.2025 à 09:21

Perec de 8 à 10

L'Autre Quotidien

L'Œil ébloui continue son exploration non de Perec, mais des nombreux Perec qu'écrivains et artistes ont reçu en héritage plus ou moins oblique. Trois nouveaux titres paraissent cette semaine, les numéros 8, 9, 10 (plus que 43 titres à paraître !)
Texte intégral (847 mots)

L'Œil ébloui continue son exploration non de Perec, mais des nombreux Perec qu'écrivains et artistes ont reçu en héritage plus ou moins oblique. Trois nouveaux titres paraissent cette semaine, les numéros 8, 9, 10 (plus que 43 titres à paraître !)

Le numéro 8 nous donne à voir les photos que pris l'ami de Perec, Pierre Getzler, lors de deux des trois glorieuses journées d'octobre 1974, quand l'écrivain s'assit à une table de café et tenta de capter tout ce qui se passait et ne se passait pas place Saint-Sulpice. Chaque photo cadre un pan d'espace, plus ou moins habité, où souvent n'advient qu'un temps figé, souvent barré par une verticale (un arbre, un poteau, un panneau) comme si, telle une aiguille marquant un éternel midi, l'espace-temps était balisé par de concrets fuseaux horaires. Des voitures, des bus, des passants: une place qui ne laisse place qu'à elle-même, mais qu'il faut quand même décrire, c'est-à-dire, écrire, autrement dit déplier l'image en segments syntaxiques, tout comme les photos de Getzler réécrivent un ensemble en le sectionnant en parties.

Le numéro 9, signée Sophie Coiffier s'efforce de lire certaines images à la lueur de l'œuvre de Perec. En partant de la grille mi-conceptuelle mi-ludique qu'est le jeu de taquin (en gros un puzzle aux pièces carrées ménageant une case vide par où faire passer les autres pièces), l'auteure de L'éternité comme un jeu de taquin, opère donc des rapprochements – comme on fait coïncider des bords – afin que le sens, magnétisé, attire d'autres aventures formelles. Ce pourrait être un exercice, c'est en fait une quête, entre vide et plein, où Perec, de cavalier seul, devient arpenteur de cases.

Le numéro 10, qui s'intitule Le timbre à un franc, est signé par le pataphysicien Jean-Louis Bailly. Il égrène divers croisements avec l'œuvre et l'homme, entre autres comment le chapitre XXII de La Vie mode d'emploiI (qui était alors en cours d'écriture) lui est arrivé par la poste, suite à une démarche que Bailly avait faite auprès de GP, afin de publier un de ses textes dans une revue au titre rousselien, Nouvelles Impressions. C'est aussi, en creux (et en bosses, aussi) un portrait cubiste de Bailly, dont certains angles entrent en relation géométrico-affective avec les textes de Perec.

______________

Pierre Getzler, Place Saint-Sulpice les 18 & 19 octobre 1974

Sophie Coiffier, L'éternité comme un jeu de taquin

Jean-Louis Bailly, Le timbre à un franc

tous trois parus à L'Œil ébloui, dans la série des 53 Perec.

Claro, le 14/06/2025

10.04.2025 à 08:58

Avec / grâce à Sandra Moussempès, sauvons l'ennemie !

L'Autre Quotidien

Un nouveau recueil décisif de Sandra Moussempès, saisissant quart de tour d’une poésie souterraine toujours neuve et toujours profondément cohérente dans son chant subtil et intense.
Texte intégral (3232 mots)

Un nouveau recueil décisif de Sandra Moussempès, saisissant quart de tour d’une poésie souterraine toujours neuve et toujours profondément cohérente dans son chant subtil et intense.

« Exercices d’incendies » (1994), « Vestiges de fillettes » (1997), « Captures » (2004), « Biographie des idylles » (2008), « Photogénie des ombres peintes » (2009), « Acrobaties dessinées » (2012), « Sunny Girls » (2015), « Colloque des télépathes » (2017), « Cinéma de l’affect » (2020), « Cassandre à bout portant » (2021), « Fréquence Mulholland » (2023), et à présent « Sauvons l’ennemie » (publié chez Poésie Flammarion en ce début 2025) : en poésie contemporaine, fort peu de travaux parviennent à créer, dans l’enchaînement même de leurs titres – en avant de leurs contenus patiemment distillés -, tissés d’inquiétante étrangeté et de malice rusée, les contours d’une œuvre au long cours, toujours renouvelée sans jamais s’oublier ni se renier.

C’est bien de cela dont il s’agit à chaque fois que l’on évoque Sandra Moussempès : en une trentaine d’années et une douzaine de recueils, une quête en profondeur s’est élaborée, quête jouant pourtant de la légèreté et du diaphane, quête jamais achevée dont chaque étape s’offre à la fois comme une percée et comme une surprise de lumière cohérente. 

Mes périodes préférées – l’ère victorienne & le Hollywood des années 70 – se télescopent sans cesse en crash karmique
personne ne sait où nous irons nous réemboîter ni pour qui
(p 103)

Dès l’origine, son accélérateur personnel de particules provoque à dessein des télescopages d’univers réputés disjoints, en vue d’une fusion charnelle éventuelle, ou de la création d’hybrides surprenants. Les pondérations ou les coefficients – dont ces différents microcosmes, à l’étendue variable, sont affectés – varient au fil des entreprises, bénéficient de zooms occasionnels portant une investigation plus précise, mais reprennent ensuite leur place dans une ronde toujours subtilement autobiographique, dans laquelle deux d’entre eux se distinguent indéniablement, par leur constance et par leur épaisseur échafaudée au fil de l’écriture récurrente : l’ère victorienne et le Hollywood des années 70, mais très précisément ni n’importe quelle ère victorienne ni n’importe quel Hollywood seventies. 

Ère victorienne toute prise dans ses corsets et ses engoncements, mais riche de ses échappées spirites éventuellement malicieuses et de ses interstices secrets que ne renierait pas une A.S. Byatt, Hollywood maladif, cinéphile et trompeur, tissé d’étoffe lynchienne, bien sûr (on y  reviendra ci-dessous), mais sachant aussi mêler presque inextricablement les bas-fonds non linéaires d’un James Ellroy aux arpentages presque oniriques d’un Steve Erickson (« Zéroville » ou « La mer est arrivée à minuit », leur densité et leur onirisme assumé, ne sont parfois pas si loin).

Au-delà de ses localisations, identifiées ou diffuses, la masse fissile critique qu’élabore Sandra Moussempès dans ses multiples creusets repose discrètement sur une multitude de tractations et d’échanges, entre vivants, fantômes, pas tout à fait vivants et presque morts. On y trouve des pactes et des trahisons, des cercles secrets et des emprises, officialisées ou non sous leurs formes sectaires. On y trouve surtout, avec ce recueil-ci, une dureté nouvelle mais pourtant sereine, tranquille serait-on tenté de dire, du côté corollaire de certaines fausses promesses sororales (au risque de faire grincer quelques dents à l’occasion) et de celui des ruptures parfois fort nécessaires.

Les bons sentiments à l’eau de ronce et les sucres d’orge empoisonnés sont les dénominateurs communs à la dissertation géante
retrouvée des dizaines d’années avant les faits
les jeunes séquestrées
les adeptes devenues dyslexiques entraînant la créativité ou le chaos
les réalités à ne pas dire
tout cela devait tisser une immense toile constituant
le premier guet-apens pour les plus adaptés
au monde commun
(p 128)

L’amour sous hypnose étant le boudoir typique d’ébats naturalisés
L’ennemie en tailleur se souvient très bien de sa phase « fée décousue »
(p 102)

De fausses sisters nous comprendront – mais tireront à vue sans réddition –
la sororité est flageolante
(p 100)

Placé directement sous les feux de la rampe lors du recueil précédent (« Fréquence Mulholland », 2023), David Lynch hante à nouveau en joueuse majesté « Sauvons l’ennemie ». Ses figures les plus connues comme celles plus secrètes se glissent dans le décor, en une danse de pics jumeaux et de velours bleus, à savourer pour leurs vertus ici nettement propitiatoires.

Tout a explosé avec la recherche de la Vérité
dans un décor de campus imaginaire et de sectes hippies
là où d’inquiétantes étudiantes disparaissent
aspirées par une forêt de doublures cinéphiles
(p 131)

Si Cindy Sherman est sans équivoque une autres des figures-clé dans le panthéon doucement obsessionnel de Sandra Moussempès, c’est qu’elle offre à son tour une forme de fil d’Ariane dans ce tourbillon de miroirs et de labyrinthes où s’esquissent, borgésiens en diable au-delà des apparences, tant de chemins qui bifurquent.

Parfois je me sauve d’une vie en poudre
Appelée Cindy la femme-tige
Je la laisse glisser sur mes épaules
Après l’avoir rendue liquide
je bois la vie dont personne ne voulait
en ajoutant un ingrédient clé
la vie sans prénom se transforme en gel compact
appelé alors nostalgie de la complexité
en complément de Cindy femme-fantôme
Cindy la-pute-qui-se-maquille
Cindy Cindy
Pleine de grâce qui êtes aux cieux
(p 177)

Musée d’elle-même
la narratrice augmente le volume dans son esprit
assise avec les corps invisibles en cercle de jeunes exorcisées
NOUS AUTRES créatures en fil à retordre
Invoquant un protocole sonore
pour chaque dépendance affective en herbe
On entend les voix au loin dans une forêt de tessitures
les techniques divinatoires sont plus vivaces que la cinéphilie
(p 134)

« Sauvons l’ennemie » ne serait sans doute pas complet, si n’y rôdaient en toute liberté les musiques et les voix de l’intérieur et de l’ailleurs, les chants sachant devenir incantations qui font désormais partie intégrante, subtilement centrale, de l’œuvre de Sandra Moussempès. Mais les fantômes de cantatrices et d’icônes rock savent aussi s’y faire sorcières lorsque ce glissement est salutaire, voire requis dans certains cas.

Pour trois bouteilles remplies de vide et d’aiguilles roses
je fais le vœu amer
de me refléter plus tard dans la bouteille mauve fermée grâce aux ventouses
je lui donnerai en offrande un œil de serpent
buvez votre potion avec dévotion
priez sans une princesse que vous ne voulez plus dans votre vie
(p 139)

Les fantômes qu’invoque toujours avec une grâce inquiète Sandra Moussempès, dans toutes leurs transmutations et leurs réincarnations, savent en effet se faire prophétesses maudites ou pythies discrètes (Cassandre, même hors de son recueil « à bout portant » de 2021, n’est jamais très loin), enchanteresses ou empoisonneuses, diseuses d’aventure pas nécessairement bonne, concocteuses de philtres et mixeuses de flow, combattantes diaphanes et guerrières innocentes, dénonciatrices résolues et incantatrices mystérieuses. La magie de ces entreprises toujours paradoxales (dont le titre lui-même, « Sauvons l’ennemie« , témoigne avec rigueur) irrigue avec une douce férocité ces 180 pages.

Ma voix se justifie
Par l’écriture
Ma vie se justifie
Par l’assemblage
Cette façon de boire le thé bouillant
Sans me brûler
(p 27)

Peut-être encore davantage que dans ses recueils précédents, Sandra Moussempès nous offre ici une poésie profondément féministe, intime et politique, une poésie soigneusement codée pour éviter les impasses de la trace directe – dont trop de ses sœurs restent friandes -, une poésie qui force le langage à détecter, incarner et traduire l’étrangeté même qui se terre au cœur des icônes les plus emblématiques d’une culture patriarcale sachant, comme le capitalisme, toujours se réinventer derrière de nouveaux masques et de nouvelles modes à consommer. Un travail au long cours, précieux et éblouissant, de justesse, d’inventivité et de passion maîtrisée, de surprise et d’humour.

Hugues Charybde, le 14/04/2025
Sandra Moussempès - Sauvons l’ennemie - éditions Flammarion

L’acheter chez Charybde, ici

08.04.2025 à 11:59

On aime #105

L'Autre Quotidien

J'ai la nostalgie du café de ma mère, du pain de ma mère, des caresses de ma mère... Et l'enfance grandit en moi, jour après jour, et je chéris ma vie, car si je mourais, j'aurais honte des larmes de ma mère ! Mahmoud Darwich, La Terre nous est étroite
Texte intégral (606 mots)

Autoportrait avec ma fille et présence d'un homme pendu. Guerrero Mexique. Une semaine après l'enterrement de Beto, j'ai pris Itzel à la maternelle. En chemin, elle m'a regardé et m'a dit : "Papa, je peux te dire de quoi j'ai rêvé hier ?" Je lui ai dit oui. Elle m'a dit qu'elle avait très peur, qu'elle rêvait qu'elle tombait vers un endroit très sombre et que personne ne la tenait ; j'étais perplexe et mon cœur battait intensément, je la regardais dans les yeux et lui souriais, tu n'as pas à avoir peur, ma fille, aimerais-tu faire une photo de ton rêve ? Mais tu n'as pas à t'inquiéter parce que cette fois je serai dans ton rêve et j'attendrai que tu te tiennes dans tes bras. © Yael Martinez (voir notre article)

L'air du temps

Grand Blanc - Bosphore

Le haïku de dés

A coup de poing, à coup de pied,
J'ai voulu tuer mon passé.
C'est lui qui me prend à la gorge.

Julien Vocance

L'éternel proverbe

On ne doit pas faire du monde un fardeau à porter sur la tête.

Proverbe bambara

Les mots qui parlent

J'ai la nostalgie du café de ma mère, du pain de ma mère, des caresses de ma mère... Et l'enfance grandit en moi, jour après jour, et je chéris ma vie, car si je mourais, j'aurais honte des larmes de ma mère !

Mahmoud Darwich, La Terre nous est étroite

03.04.2025 à 16:04

Les Sirens of Lesbos reviennent avec un troisième envoi : Helvète velvet !

L'Autre Quotidien

Le duo helvète d’adoption Sirens Of Lesbos, centré autour des deux sœurs  chanteuses Jasmina et Nabyla Serag, revient avec son 3e album 'i got a song, it's gonna make millions”. Ce projet met en avant leur vision musicale étendue, s'inspirant d'artistes tels que Childish Gambino, Trick Daddy, Gangsta Boo, Dungeon Family ou Goodie Mob; tout en mélangeant des influences de la pop des années 90, d'afrobeat, de musique électronique, et de groupes indie lo-fi comme Mk.ge. Check the vibe !
Texte intégral (812 mots)

Le duo helvète d’adoption Sirens Of Lesbos, centré autour des deux sœurs  chanteuses Jasmina et Nabyla Serag, revient avec son 3e album 'i got a song, it's gonna make millions”. Ce projet met en avant leur vision musicale étendue, s'inspirant d'artistes tels que Childish Gambino, Trick Daddy, Gangsta Boo, Dungeon Family ou Goodie Mob; tout en mélangeant des influences de la pop des années 90, d'afrobeat, de musique électronique, et de groupes indie lo-fi comme Mk.ge. Check the vibe !

Elles déclaraient le mois dernier à FIP ceci à propos de leur inspiration du moment :
”On a beaucoup tourné l’an dernier, et on a passé presque tout notre temps sur la route, mais on avait aussi l’ambition de pouvoir sortir de nouvelles choses donc on est contentes de pouvoir enfin le faire (rires). Je dirais que les morceaux que nous avons enregistrés ces derniers mois parlent non seulement de notre histoire personnelle, mais aussi de notre façon de percevoir la vie d'une manière très spécifique, autour de là où nous voulons aller et d’où proviennent nos influences. Les artistes avec qui nous jouons sur Call Me Back par exemple viennent du sud global et incarnent une approche très forte sur le plan artistique et musical, comme les Kabusa Oriental Choir qui sont issus de la diaspora nigériane ou SadBoi qui est une chanteuse noire très affirmée. Donc l’idée est aussi d’introduire aujourd'hui dans notre musique des projets auxquels nous nous sentons vraiment connectées, que nous écoutions déjà parce qu’ils nous parlent et qu’ils sont cool, tout simplement.”

Cet album répond à la définition de la pop de 2025; à savoir il trouve sa raison et son allant en empruntant partout - dans le monde- aux sons et aux rythmes de l’actualité. Actualité aussi musicale que politique en écran large à tisser des liens entre hip-hop, techno, rock barré et, évidemment, afrobeat pour danser. Méfiez-vous donc de tous ceux qui n’appliquent pas cette règle, à côté de la plaque, ils finiront tous sur Tik Tok , sans existence prope, produits manufacturés autant que déjà oubliés. On ne dira pas cela de cet album. Poiur uen fois, sa facilité d’accès repose sur l’écoute du monde qui l’entoure et de ce qu’il évoque pour nos deux sirènes. Go !

Jean-Pierre Simard, le 10/04/2025
Sirens of Lesbos - i got a song, it's gonna make millions - Sirens of Lesbos

03.04.2025 à 12:51

Le Magritte affichiste des années 20

L'Autre Quotidien

Le peintre belge René Magritte est surtout connu pour son art. Mais avant de quitter Bruxelles pour Paris en 1927 et de fréquenter André Breton) et d’autres surréalistes, Magritte travaillait comme dessinateur publicitaire. A cette époque, il réalisait des affiches et des pochettes de musique Art déco, le style tendance du moment.
Texte intégral (1395 mots)

Le peintre belge René Magritte est surtout connu pour son art. Mais avant de quitter Bruxelles pour Paris en 1927 et de fréquenter André Breton) et d’autres surréalistes, Magritte travaillait comme dessinateur publicitaire. A cette époque, il réalisait des affiches et des pochettes de musique Art déco, le style tendance du moment.

En 1924, Magritte a commencé à travailler pour le créateur de mode belge d’avant-garde Norine, dirigée par Honorine « Norine » Deschrijver et son mari Paul-Gustave Van Hecke. Par chance, Van Hecke possédait également des galeries d’art, notamment la Galerie L’Époque à Bruxelles, et a été un fervent partisan du surréalisme. Magritte a accepté que Van Hecke le rémunère pour peindre et commercialiser ses œuvres. Les présentations des collections Couture Norine étaient des événements mondains, souvent agrémentés de jazz. Par exemple, le samedi 25 juillet 1925, le Gala des Choses en Vogue a été organisé au Kursaal d’Ostende. Evelyne Brélia y a interprété la chanson Norine Blues (ci-dessus). Les paroles ont été écrites par Georgette et René Magritte, et la musique composée par son frère Paul Magritte. René Magritte en a également réalisé les illustrations.

Ces expériences dans le domaine commercial ont sans doute influencé la vision artistique de Magritte, lui permettant de jouer avec les codes visuels et de développer le langage surréaliste qui le rendra célèbre. Ainsi, avant de défier nos perceptions avec ses peintures énigmatiques, Magritte a su maîtriser l’art de séduire le public à travers des créations graphiques élégantes et innovantes. Toutes tentatives pour s’éloigner au plus de l’Art Déco en en redéfinissant les usages et les buts. Evidemment, la suite aura lieu à Paris à s’ouvrir sur le monde des rêves - et des cauchemars .

Jimmy Soprano, le 10/04/2025
René Magritte affichiste bruxellois

03.04.2025 à 12:17

Une tour et Maud Caubet, les femmes architectes avec elle, de faire front ?

L'Autre Quotidien

Même s’il ne s’agit pas tout à fait de la première, Maud Caubet a une nouvelle tour dans son sac à main. Il s’agit d’une réhabilitation, livrée en 2024 à Paris (XIIe) : la Tour Racine. L’occasion de revisiter l’époque ?
Texte intégral (2732 mots)

Même s’il ne s’agit pas tout à fait de la première, Maud Caubet a une nouvelle tour dans son sac à main. Il s’agit d’une réhabilitation, livrée en 2024 à Paris (XIIe) : la Tour Racine. L’occasion de revisiter l’époque ?

C’est Christian de Portzamparc qui, lors de la visite de presse de Sorbonne Nouvelle* au printemps 2022, m’a mis la puce à l’oreille. Il avait expliqué que la tour existante, telle qu’elle serait rénovée et surélevée par Maud Caubet Architectes, était un élément important de son projet du fait de sa position en tête de pont du terrain. C’est en effet sa présence et sa forme qui lui permettaient, avec une ondulation en S, d’ouvrir le projet au quartier selon diverses directions.

Février 2025, je retrouve Maud Caubet au pied de la tour réhabilitée. L’ancien siège de l’Office National des Forêts (ONF) – un petit IGH (Immeuble de Grande Hauteur), d’architecture brutaliste conçu en 1970 par les architectes Deschler, Thieulin et de Vigan – a été totalement transformé, une mise en œuvre lumineuse ayant créé un objet élégant.**

Nous sommes là pour parler de la tour mais, puisque c’est une rencontre, l’entretien, qui se déroule dans un petit troquet sur l’espace public au pied de l’immeuble, devient vite une conversation. Et, comme si c’était inévitable dès lors qu’elle s’engage en confiance, la discussion en vient rapidement au statut de la « femme architecte ». Au moins parce qu’une tour et le Prix Femmes Architectes 2024 valent à Maud Caubet, même si elle n’était pas totalement inconnue, un nouvel accès de notoriété.

Nul besoin de rappeler en détail comment le métier est our elles particulièrement difficile d’accès : une majorité d’étudiantes, une minorité de cheffes d’entreprises, etc. Pour autant, les femmes architectes, ou architectes femmes, ont tendance, comme avant elles Zaha Hadid, à mettre en exergue dans leur biographie les écueils particuliers de leur accès à la commande. De fait, combien de femmes architectes pour combien de tours ? Dans le monde ? En France ? À Paris ? D’évidence, les badges de courage ne sont pas superflus.

Surtout, ce n’est pas gagné pour elles.

Le fait est que le « masculinisme » fait un retour en force partout dans le monde dans le sillage d’un Trump triomphant et illuminé. Tous les freins politiques et moraux levés, il entraîne dans son sillage Poutine, Erdogan, Netanyahou, Bolsonaro qui respire encore, Modi, et partout dans le monde les ayatollahs de toutes obédiences qui se croient maintenant tout permis, autant de vieux mâles blancs qui rêvent encore d’empire. C’est un comble que Xi Yiping apparaisse soudain comme le moins frappadingue des patrons de grandes puissances. À moins bien sûr qu’il ne profite de la confusion pour envahir Taïwan.

Je n’oublie pas l’architecture. Trump lui-même a dès le premier jour signé un décret intimant que tous les bâtiments fédéraux soient construits avec une « architecture traditionnelle », et tous les autres bâtiments officiels – écoles, collèges, tribunaux, prisons, etc. tous les symboles de la république – de se plier au diktat, l’architecture contemporaine réservée à ses tours de verre et de béton et ses parcours de golf pour lesquels il faut « Forer, baby, forer !!! » Et partout la guerre, détruire jusqu’à l’anéantissement pour reconstruire des Riviera, business is business. Trump sait que l’architecture est la démonstration du pouvoir. Si le pouvoir est imbécile, l’architecture le sera idem.

Le tout donc accompagné d’une posture virile qui fait désormais florès chez nous, y compris chez les blondes, les nabots, les bouffons et les vieillards cacochymes : il n’est que de voir l’influence bravache et empoisonnée de l’alliance de nos archéo-chétiens et fachos de souche pour préserver la race blanche qui, en effet à les regarder, n’est pas lui faire honneur. Ceux-là mêmes qui se fichent de l’État de droit comme de leur premier salut nazi trouvent leurs affidés dans la basse-cour des petits, des moches, des bas, des cyniques, des arrivistes et des frustrés.

Les virilistes, n’en doutons pas, sauront désormais se faire bien voir, comme tous ces patrons de la Silicon Valley, suivis par la vallée des similis cons franchouillards, le doigt sur la couture avec leur programme de natalité pour toutes les femmes qui, quand même, devraient bien comprendre que la croissance de l’économie dépend d’elles ! Encore deux ans, Poutine avait conquis l’Europe et Depardieu était tranquille.

Bref, ceux-là sont prêts à renvoyer tout droit bobonne à sa cuisine et aux gosses et ne s’en cachent pas. Faut dire qu’entre bobonne et Sandrine Rousseau les vieux mâles blancs préfèrent l’utile au désagréable. Cela pour rappeler que, d’évidence, les années à venir pour les femmes, y compris dans nos sociétés donc, ne seront pas pavées de bonnes intentions par les pouvoirs déjà en place ou ceux qui s’excitent à le devenir.

Ce qui nous ramène à l’architecture. Dans la vision de cette architecture traditionnelle – ah les traditions… – déjà que les ouvrages les plus prestigieux – musées, Palais de justice, prisons, etc. – échappent encore aujourd’hui aux femmes architectes même les mieux armées, s’il leur était laissé encore volontiers, par bienveillance, les lycées et collèges, bientôt ne leur restera plus à construire que les maternelles et les crèches, pour les « tout-petits », et peut-être encore un peu de design d’intérieur, pour que les maîtresses des riches et puissants puissent faire semblant de bosser. À travers la rétrogradation des femmes architectes, c’est toute l’architecture qui est en danger.

Le fait est que, à écouter ces femmes architectes évoquer au fil des ans leurs réalisations, chacun entend bien tous les mots de l’architecture contemporaine. Rien d’autre en fait que ce que déclare n’importe quel architecte non genré. Les mêmes mots, le même travail. Une forme de féminisme revanchard sous-jacent demeure pourtant. Et pourquoi pas ? Se souvenir qu’il a fallu une Zaha Hadid pour que le RIBA puis le Pritzker, pas avant 2004, prennent note. Noter que la France est encore plus en retard que le Pritzker : à quand la première femme en son nom propre Grand Prix National d’architecture ? Aux calendes grecques désormais que les masculinistes reprennent le pouvoir ? Cocorico ?

Sans doute ces femmes architectes nous rappellent-elles aussi qu’il n’est pas si éloigné le temps où les femmes tout court en France n’avaient pas le droit de vote, ni même d’avoir un compte en banque. Peut-être que sans les deux innovations majeures du XXe siècle – la machine à laver et la contraception – nul ne serait aujourd’hui en train de s’émouvoir de ce que deviennent les étudiantes qui ont pris d’assaut les universités, et pas que les ENSA. Alors quand la droite en ordre de bataille jusqu’à l’extrême, ne craignant plus le ridicule et l’ignominie, maintient l’ambiguïté quant au droit à l’avortement et à l’éducation et la culture, entre autres programmes réactionnaires prônant la censure et l’autodafé, peut-être que ces femmes architectes, comme toutes les femmes, ont raison de se mobiliser afin de sauvegarder leurs droits si nouveaux en regard de l’histoire. Peut-être ont-elles raison de penser que rien n’est acquis. D’autant que les collabos sont déjà-là, à visage découvert, arrogants, défiant l’État de droit et l’entendement. D’aucuns se souviennent dans quel état ceux-là ont laissé le pays, et le monde, la dernière fois qu’ils étaient à l’œuvre. Aujourd’hui il est question de « réarmement démographique » : tout est dit !

C’était en 2016 au Pavillon de l’Arsenal à Paris, lors de la remise du prix femmes Architectes, le gouvernement était représenté par Laurence Rossignol, ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des Femmes. À un moment de la soirée, alors que se posait – déjà – la question de savoir si un prix « femme architecte » était une bonne idée pour les femmes, la ministre fut d’une grande sincérité. « Pourquoi une ministre des droits des femmes pour remettre le prix des femmes architectes ? Parce que les femmes ne gagnent pas les prix, parce que l’histoire gomme leurs contributions. Je suis moi-même issue de la parité et cela me dérange moins que de n’être pas du tout là », dit-elle.

Ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des Femmes, elle était, de fait, parfaitement à sa place. C’était en 2016. Aujourd’hui, les virilistes n’ont même plus que faire de la parité, pour commencer.

Concomitamment, en cette matinée de février 2025, Maud Caubet remarque qu’« architecte est un métier en train de disparaître si on ne se mobilise pas ». « Sans une volonté politique de l’État… ». Elle ne finit pas sa phrase. Elle a raison, il y a un effet de cause à effet.

« L’architecture est la solution principale du vivre ensemble et un outil extraordinaire pour réconcilier tous les enjeux de la société : l’architecture est politique, le dessin et la poésie sont des actes politiques… L’architecte essaye de construire différemment, modifie le rapport à l’espace, aux saisons. Je dis que nous, architectes, avons des superpouvoirs, on affecte la vie des gens », s’enflamme-t-elle, persuadée, optimiste, que la créativité, l’humour et la dérision permettent de questionner les intentions.***

Pour la population mâle, blanche et vieillissante inquiète de sa place dans l’histoire et craignant le ridicule, il y a là apparemment un message. Si l’architecture est un vocabulaire, de l’importance de garder vivants les messagers, en tout genre.

Christophe Leray pour Chroniques d’architecture le 10/04/2025

* Lire notre article Pour Sorbonne Nouvelle, à Paris, le luxe c’est l’espace et le jardin de Babylone
** Lire la présentation À Paris, Tour Racine couronnée par Maud Caubet
*** Voir le documentaire Unissons, dont Maud Caubet est à l’initiative et lire Unisson(s) : pour que les architectes diffusent une esthétique bas-carbone

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