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09.12.2025 à 10:08

Comment Shenzhen est devenu l'atelier du monde

En 1980, en guise de premier acte de sa réouverture économique, la Chine inaugure la zone économique spéciale de Shenzhen, destinée à attirer les multinationales du monde entier. La ville deviendra la capitale de la mondialisation dans les années 1990, avec son côté obscur en termes d'exploitation des travailleurs, et le berceau de multinationales chinoises comme Huawei et BYD. Extrait de Multinationales. Une histoire du monde contemporain.
En 1979, la Chine décide d'ouvrir son économie (…)

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Texte intégral (1403 mots)

En 1980, en guise de premier acte de sa réouverture économique, la Chine inaugure la zone économique spéciale de Shenzhen, destinée à attirer les multinationales du monde entier. La ville deviendra la capitale de la mondialisation dans les années 1990, avec son côté obscur en termes d'exploitation des travailleurs, et le berceau de multinationales chinoises comme Huawei et BYD. Extrait de Multinationales. Une histoire du monde contemporain.

En 1979, la Chine décide d'ouvrir son économie au monde. Deng Xiaoping se rend en visite aux États-Unis où il rencontre des investisseurs et des patrons de grandes entreprises. L'année suivante, le gouvernement chinois officialise l'ouverture d'une première zone économique spéciale, à Shenzhen, à proximité immédiate de Hong Kong et de Macao – ces deux territoires sont encore sous administration britannique pour le premier (jusqu'en 1997) et portugaise pour le second (jusqu'en 1999) – pour attirer les investissements occidentaux. Aujourd'hui, Shenzhen abrite une population de 17,5 millions de personnes (chiffre 2020) et est devenue la troisième ville de Chine après Pékin et Shanghai.

La zone économique spéciale de Shenzhen offre aux entreprises du monde entier un territoire d'implantation doté de son propre port et de ses propres règles. Elle leur offre aussi l'accès à une quantité immense de travailleurs migrants venus du monde rural chinois.

Un premier projet de zone industrielle voué à l'exportation est porté sur place par le groupe China Merchants, mais l'ambition est désormais bien plus vaste. Directement inspirée du modèle des zones franches et profitant du développement rapide de la conteneurisation, la zone économique spéciale de Shenzhen offre aux entreprises du monde entier un territoire d'implantation doté de son propre port, de droits de douane réduits, d'une fiscalité avantageuse et de ses propres règles. Elle leur offre aussi l'accès à une quantité immense de travailleurs migrants venus du monde rural chinois, dont les droits sociaux sont réduits à portion congrue et qui logent dans des dortoirs appartenant à leurs employeurs. Le tout est entouré de fils barbelés et de checkpoints pour contrôler les mouvements de population.

Forte de ses atouts, Shenzhen ne tarde pas à attirer entreprises et investisseurs, tout d'abord depuis Hong Kong et Taïwan, puis depuis le reste du monde. Les grandes marques occidentales y sous-traitent progressivement leur production à des entreprises chinoises ou du reste de l'Asie. Le port de Shenzhen devient l'un des plus importants du globe et envoie ses conteneurs aux quatre coins de la planète, approvisionnant notamment les supermarchés et enseignes de vêtements nord-américains et européens. On y produit de tout : des objets de consommation courante, des appareils électroménagers, des machines, des poupées Barbie pour Mattel, des chaussures pour Nike, des vêtements et des jouets pour Disney.

Un sous-traitant très puissant

L'installation du groupe taïwanais Foxconn, en 1988, est une étape cruciale dans le développement des industries électroniques à Shenzhen. L'entreprise fondée en 1974 par Terry Gou y ouvre cette année-là sa première usine hors de Taïwan. Elle se spécialise dans la production d'appareils ou de composants pour toutes les grandes marques américaines, européennes, japonaises et chinoises, de BlackBerry et Apple à Xiaomi en passant par Nokia, Samsung, Nintendo, Sega et Sony. Foxconn et Shenzhen se font connaître du grand public occidental dans les années 2000 et 2010 comme l'un des principaux lieux de production de l'iPhone d'Apple. On a estimé en 2012 que le groupe taïwanais fabriquait 40 % de tous les gadgets électroniques vendus dans le monde. Si Foxconn possède désormais des usines également au Brésil, en Inde et en Europe, la Chine reste son principal site de production.

Foxconn et d'autres sous-traitants opérant à Shenzhen sont régulièrement épinglés par des organisations non gouvernementales et des journalistes pour les conditions de vie et de travail drastiques qu'ils imposent à leurs employés, particulièrement à l'approche des ventes de Noël en Occident, ainsi que pour le recours au travail de mineurs.

Le modèle des zones économiques spéciales est ensuite exporté ailleurs dans le monde au bénéfice des entreprises chinoises dans le cadre des « nouvelles routes de la soie ».

L'un des objectifs de la création de la zone économique spéciale était de constituer un terrain d'expérimentation en vue de l'introduction du capitalisme et des marchés internationaux en Chine d'une manière qui soit compatible avec les valeurs du « communisme » étatique chinois et le maintien du contrôle par le parti unique. Le succès de Shenzhen pousse le gouvernement chinois à créer d'autres zones économiques spéciales et d'autres dispositifs similaires le long du littoral et des grands fleuves. L'une des plus connues est le quartier de Pudong à Shanghai. Leur localisation coïncide souvent avec celle des ports sous concession étrangère du XIXe siècle, mais la nature des relations sino-occidentales a radicalement changé. Le modèle des zones économiques spéciales est ensuite exporté ailleurs dans le monde au bénéfice des entreprises chinoises dans le cadre des « nouvelles routes de la soie ».

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Le berceau de Huawei et BYD

Shenzhen est aussi le lieu de naissance et le siège social de nombreuses multinationales chinoises. Huawei y voit ainsi le jour en 1987. L'entreprise s'inspire des équipements téléphoniques occidentaux qui sont produits ou revendus dans la zone économique spéciale pour développer ses propres modèles et partir ensuite, avec le soutien de l'État, à la conquête du marché chinois, puis du marché mondial. Le constructeur de véhicules électriques BYD est également fondé à Shenzhen en 1995, initialement comme producteur de batteries pour le compte de donneurs d'ordres internationaux.

Le contrôle social n'empêche pas des grèves souvent massives.

Aujourd'hui, le PIB de Shenzhen dépasse celui de Hong Kong. La ville est l'une de celles qui abritent le plus de milliardaires de la planète. Les autorités mettent l'accent sur sa spécialisation dans la finance et la haute technologie, en passant sous silence les centaines de milliers d'ouvriers qui continuent à y trimer. Les activités industrielles à faible valeur ajoutée sont de plus en plus délocalisées dans d'autres pays où les salaires sont plus bas. Shenzhen reste aussi extrêmement surveillée, les fils de fer barbelés ayant cédé la place à des milliers de caméras de vidéosurveillance. Ce contrôle social n'empêche pas des grèves régulières souvent massives dans la région, comme dans des ateliers fournissant le groupe textile japonais Fast Retailing (Uniqlo, Comptoir des cotonniers…) en 2005, ou de la part d'ouvrières produisant des chaussures Adidas, Nike ou New Balance en 2011, ou des ouvriers d'IBM en 2014. En 2023, l'organisation indépendante China Labour Bulletin (basée à Hong Kong) recense plus de 500 conflits sociaux dans la région de Guangdong, dont Shenzhen fait partie, soit un tiers des protestations sociales recensées dans l'ensemble de la Chine.

(c) La Découverte, tous droits réservés

09.12.2025 à 10:00

Lever Brothers, ancêtre d'Unilever : une prospérité bâtie sur l'huile de palme et sur le Congo belge ­

Unilever est aujourd'hui, avec Nestlé, l'un des géants mondiaux de l'agroalimentaire, détenteur de dizaines de grandes marques omniprésentes dans les supermarchés. Sans le Congo belge et sa population, invisible dans l'histoire officielle de l'entreprise, elle ne serait jamais devenue ce qu'elle est. Extrait de Multinationales. Une histoire du monde contemporain.
Unilever constitue aujourd'hui l'une des multinationales à laquelle il est difficile d'échapper, tant ses multiples marques (…)

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Texte intégral (1364 mots)

Unilever est aujourd'hui, avec Nestlé, l'un des géants mondiaux de l'agroalimentaire, détenteur de dizaines de grandes marques omniprésentes dans les supermarchés. Sans le Congo belge et sa population, invisible dans l'histoire officielle de l'entreprise, elle ne serait jamais devenue ce qu'elle est. Extrait de Multinationales. Une histoire du monde contemporain.

Unilever constitue aujourd'hui l'une des multinationales à laquelle il est difficile d'échapper, tant ses multiples marques sont omniprésentes dans le secteur agroalimentaire (Amora, Ben & Jerry's, Carte d'Or, Knorr, Lipton…), les produits ménagers et l'hygiène (Cif, Dove, Rexona, Signal…). Unilever emploie 128 000 personnes dans le monde, est présente dans quasiment tous les pays et réalise plusieurs milliards d'euros de bénéfices. Elle affiche aussi fièrement son siècle et demi d'histoire, avec à son origine un modèle de réussite à la britannique.

William Lever est l'un des premiers à commercialiser des savons dans des emballages individuels et en soigner le marketing.

Cette histoire commence à Bolton, cœur de l'industrie textile britannique, non loin de Manchester et Liverpool. En 1866, à l'âge de seize ans, William Lever quitte l'école pour travailler à l'épicerie familiale. Il lui vient l'idée de commercialiser des savons dans des emballages individuels – à l'époque le savon se coupe dans des gros blocs et se vend au poids. Il en soigne le marketing, crée la marque Sunlight et fait appel à des artistes pour ses affiches publicitaires. L'entreprise Lever Brothers (que William gère avec son frère) se développe vite, les fabriques de savon se multiplient, notamment grâce aux politiques hygiénistes qui accompagnent l'urbanisation. Il fonde même une petite ville en 1888, Port Sunlight, près de Liverpool qui se veut une cité ouvrière « idéale », avec maisons individuelles, terrains de sport, bibliothèque, sous la surveillance étroite de l'entrepreneur. En 1915, Lever Brothers met la main sur sa principale concurrente, les savons Pears, à l'époque l'une des marques les plus connues dans le monde.

En 1912, William Lever a déjà accumulé une fortune personnelle de trois millions de livres sterling. Au sortir du premier conflit mondial, il est élu maire de Bolton puis est anobli par la Couronne britannique. Lord Lever s'éteint en 1925. Fragilisée par la crise de 1929, son entreprise fusionne alors avec une compagnie néerlandaise de l'agroalimentaire, Margarine Unie, pour former Unilever. À ce récit du petit épicier de Bolton, précurseur en matière de marketing, entrepreneur plutôt philanthrope, devenu un lord millionnaire, il manque cependant un chapitre, et non des moindres. Celui qui permet à la firme de William Lever de prendre un essor sans précédent et de s'imposer sur le marché occidental : celui de ses affaires au Congo belge.

Travail forcé

L'huile de palme qui permet la fabrication du savon Sunlight arrive à Liverpool depuis les forêts ouest-africaines et le golfe de Guinée (les huiles d'olive et d'arachide du pourtour méditerranéen arrivant, elles, à Marseille). En 1911, Lever Brothers négocie à des conditions très favorables des concessions au Congo belge (futur Zaïre puis République démocratique du Congo). L'État belge vient d'« hériter » de cet immense territoire qui s'étend de l'Atlantique au centre de l'Afrique. Le Congo belge avait auparavant été reconnu par les empires coloniaux européens, l'Empire ottoman et les États-Unis, comme une possession personnelle de Léopold II de Belgique. La future Unilever se voit octroyer, au cœur des forêts et savanes congolaises, cinq cercles d'un rayon de 60 km chacun, où les palmiers à huile sont foison. L'entreprise loue ainsi un territoire équivalent à deux fois et demie la Belgique.

L'entreprise loue ainsi un territoire équivalent à deux fois et demie la Belgique.

Une filiale dédiée – les Huileries du Congo belge – est créée, et même une ville, Leverville (aujourd'hui Lusanga, à 500 km de la capitale Kinshasa). La population congolaise, déjà fortement éprouvée par l'exploitation et le pillage de ses terres – pour le caoutchouc et l'ivoire notamment – pendant la colonisation privée du roi Léopold II, est mise à contribution avec une brutalité équivalente. Des villageois sont expropriés, des milliers de Congolais sont recrutés de force pour travailler comme porteurs ou récolteurs, pour un salaire misérable de 25 centimes par jour (soit à peine 0,5 % de ce que leur travail rapporte à Unilever sur une journée), trimant souvent sous la menace d'une arme à feu.

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Sans le Congo belge et sa population, invisible dans l'histoire officielle de l'entreprise, Unilever ne serait jamais devenue ce qu'elle est.

« Chaque jour, ils devaient se débrouiller pour trouver cinq à huit régimes mûrs [de noix de palme]. Il leur fallait pour cela grimper à des troncs sans branches, souvent à plus de trente mètres de hauteur et, une fois arrivés en haut, détacher un régime à l'aide d'une machette. Les exploitants d'Unilever partaient du principe que tous les Noirs pouvaient se livrer sans difficultés à ce genre d'acrobaties, alors qu'un tel exercice exigeait une adresse particulière que tout le monde était loin de posséder. Il y eut des morts », raconte l'historien David Van Reybrouck dans Congo. Une histoire (Actes Sud, 2012) à partir de témoignages qu'il a recueillis. Une fois les noix de palme récoltées, elles sont transportées par des femmes, à pied, sur des distances pouvant atteindre 30 km le long de chemins forestiers, chaque régime de noix de palme pesant entre 20 et 30 kg. Avec la crise de 1929, le prix de l'huile de palme est divisé par quatre. Unilever répercute cette baisse sur les travailleurs congolais, en divisant le salaire journalier par dix ! Cette situation, en plus du poids de la domination coloniale, provoque en 1931 des révoltes au sein des Bapendé, le peuple dont est issue une large part de la main-d'œuvre pour les palmiers à huile. Des symboles du pouvoir blanc et de l'administration coloniale sont détruits. Un collecteur d'impôts belge est tué dans la région de Kikwit. La répression par l'armée fait plus de 400 morts.

Sans le Congo belge et sa population, invisible dans l'histoire officielle de l'entreprise, Unilever ne serait jamais devenue ce qu'elle est. Cent ans plus tard, la multinationale, comme d'autres géants (Nestlé et Colgate notamment), est toujours mise à l'index par les défenseurs des droits humains à cause des conditions de travail dans les plantations, en Afrique mais aussi désormais en Indonésie et en Malaisie. Unilever ne gère plus directement de plantations mais se fournit auprès des nouveaux géants du secteur, comme Wilmar ou Olam.

Un extrait de Multinationales. Une histoire du monde contemporain, co-dirigé par Olivier Petitjean et Ivan du Roy, éditions La Découverte, 2025, 860 pages, 28 euros.

(c) La Découverte, tous droits réservés

09.12.2025 à 09:53

L'histoire de Heinz, ou pourquoi le ketchup est si sucré

Derrière le ketchup tel qu'on le connaît aujourd'hui, il y a un homme d'affaires de Pittsburgh, fils d'immigrés allemands, pionnier de l'industrie agroalimentaire : Henry Heinz. Extrait du livre Multinationales. Une histoire du monde contemporain.
En plus d'être le berceau du taylorisme et de la sidérurgie, la ville de Pittsburgh est aussi celui de Henry J. Heinz, qui, à travers l'entreprise qui porte son nom, joue un rôle tout aussi important dans la naissance de l'industrie moderne. (…)

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Texte intégral (1252 mots)

Derrière le ketchup tel qu'on le connaît aujourd'hui, il y a un homme d'affaires de Pittsburgh, fils d'immigrés allemands, pionnier de l'industrie agroalimentaire : Henry Heinz. Extrait du livre Multinationales. Une histoire du monde contemporain.

En plus d'être le berceau du taylorisme et de la sidérurgie, la ville de Pittsburgh est aussi celui de Henry J. Heinz, qui, à travers l'entreprise qui porte son nom, joue un rôle tout aussi important dans la naissance de l'industrie moderne.

Né le 11 octobre 1844, ce fils d'immigrés allemands puritains fonde une première entreprise vendant des bouteilles de sauce au raifort, un radis piquant cultivé dans la ferme familiale. On dit que ce sont les traditions familiales rigoristes qui le sensibilisent aux principes d'hygiène qu'il appliquera ensuite à la commercialisation de denrées alimentaires à grande échelle.

Heinz contribue à fixer le goût du ketchup en y ajoutant une quantité importante de sucre, qui favorise sa conservation.

C'est avec son frère John et son cousin Frederick qu'il crée en 1876 la société F.&J. Heinz, rebaptisée H.J. Heinz Company en 1888, pour commercialiser du ketchup. Initialement appelée catsup, cette sauce est connue depuis au moins le XVIIe siècle en Grande-Bretagne puis aux États-Unis, dans des versions très différentes (certaines utilisent des champignons). L'inspiration initiale serait venue de marins britanniques ayant rapporté d'Asie une sauce de saumure proche du nuoc-mâm vietnamien. Heinz contribue à fixer le goût caractéristique du ketchup tel qu'on le connaît aujourd'hui, notamment en y ajoutant une quantité importante de sucre, qui favorise en outre sa conservation.

Pour que le ketchup Heinz devienne plus tard la sauce la plus consommée au monde, il aura fallu une série d'innovations industrielles, technologiques et commerciales pour la produire à grande échelle et sans problème de contamination bactérienne. Dès 1890, Heinz met en place dans son usine des techniques d'assemblage modernes, comme la soudure automatique de ses boîtes de conserve. Comme beaucoup de conserveries de l'époque, les usines Heinz emploient surtout des femmes, moins payées que les hommes à travail équivalent, ce qui permet au dirigeant de se réserver un taux de profit conséquent.

Sécurité alimentaire

Pour assurer la qualité de ses produits, Henry Heinz va jusqu'à s'immiscer dans l'hygiène personnelle de ses employés, en les incitant à prendre des douches et en payant une manucure hebdomadaire aux ouvrières qui manipulent les matières premières. Dans cette période d'exode urbain, les enjeux de sécurité alimentaire sont cruciaux. Les besoins de conservation des aliments explosent sans que les pratiques d'hygiène adaptées soient toujours mises en place. Les consommateurs peuvent mourir intoxiqués par les conservateurs dangereux présents dans certaines conserves, comme le formaldéhyde. D'où le recours au sucre. Pour faire face à la défiance des clients potentiels, le groupe Heinz a en outre l'idée de proposer un modèle de bouteille transparente, afin de rassurer sur le contenu. Ce sera l'une de ses marques de fabrique jusqu'à aujourd'hui.

Avec les soupes Campbell, les sauces Heinz sont les symboles de ce nouvel âge de l'industrie agroalimentaire.

En 1905, Heinz produit déjà 5 millions de bouteilles de ketchup. L'année suivante, un scandale sanitaire secoue toute l'industrie agroalimentaire. Dans son roman La Jungle, Upton Sinclair révèle les conditions sanitaires déplorables qui règnent dans les abattoirs de Chicago, et notamment l'usage de viande avariée pour fabriquer des saucisses ou pour des conserves. Le Congrès américain adopte alors la première loi de protection des consommateurs, le Pure Food and Drug Act, qui fixe des normes sanitaires plus strictes pour les produits alimentaires aux États-Unis et commence à réguler la vente et l'usage de drogues et de médicaments. Il met également en place une agence publique chargée de superviser les secteurs agroalimentaire et pharmaceutique, la Food and Drug Administration (FDA), qui ne cesse de grandir au cours du siècle.

Avec sa culture hygiéniste, Henry J. Heinz mène campagne en faveur de la nouvelle loi et en influence le contenu. Il accueille d'autant plus favorablement cette volonté de standardisation et de contrôle qu'elle lui permet de mettre un frein aux pratiques d'industriels concurrents moins scrupuleux en termes de production, d'étiquetage ou de traçabilité. Avec les soupes Campbell, les sauces Heinz sont les symboles de ce nouvel âge de l'industrie agroalimentaire.

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L'entreprise continue de croître au fil des années. Elle devient un acteur majeur de la filière étatsunienne puis mondiale de la tomate, issue de champs et d'usines où les conditions de travail sont souvent problématiques. La mécanisation progressive de la production permet de réduire constamment les coûts. Porté par un marketing ingénieux – comme la mise en avant du chiffre 57, totalement arbitraire mais censé suggérer la richesse des ingrédients de la sauce –, Heinz conquiert le monde à la faveur de la Seconde Guerre mondiale. À la Libération, les Français découvrent le ketchup parmi d'autres produits emblématiques venus d'outre-Atlantique.

Porté par un marketing ingénieux, Heinz conquiert le monde à la faveur de la Seconde Guerre mondiale.

Devenu un géant qui vend, outre des sauces, des soupes, des conserves de pâtes cuisinées et des baked beans, Heinz est racheté par le milliardaire Warren Buffet en 2013 puis fusionne avec le groupe de charcuterie et fromages Kraft Food Groups, pour former Kraft-Heinz en 2015, qui devient alors le cinquième groupe alimentaire mondial. La recherche par les consommateurs d'une nourriture moins transformée et moins sucrée et des difficultés économiques contraignent Kraft-Heinz à des restrictions budgétaires et à la fermeture d'usines. Pour mieux coller à son époque, l'entreprise commercialise aujourd'hui du ketchup bio ou une déclinaison de son produit phare... réduite en sucre.

Un extrait de Multinationales. Une histoire du monde contemporain, co-dirigé par Olivier Petitjean et Ivan du Roy, éditions La Découverte, 2025, 860 pages, 28 euros.

(c) La Découverte, tous droits réservés

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