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12.10.2025 à 21:00

Regard sur la Roumanie

Jean-Sylvestre Mongrenier

Comprendre ce pays est essentiel pour les équilibres de puissance dans la région. Un pacte de défense franco-roumain devrait être envisagé.

<p>Cet article Regard sur la Roumanie a été publié par desk russie.</p>

Texte intégral (1148 mots)

La victoire électorale en Moldavie des forces politiques favorables à l’intégration européenne et au pivot occidental est un événement de bon augure. Il n’en reste pas moins que ce pays, rattaché à l’URSS à l’époque du pacte germano-soviétique (23 août 1939), est toujours dans le viseur du Kremlin, Vladimir Poutine n’ayant renoncé à rien. Le sort final de la Moldavie dépendra en grande partie du devenir et de la direction politique prise par la Roumanie. Comprendre ce pays est essentiel pour les équilibres de puissance dans la région, pendant de la Pologne dans le Sud-Est européen. Un pacte de défense franco-roumain devrait être envisagé.

État le plus important des Balkans, la Roumanie (240 000 km² ; 22 millions d’habitants) est un pays riverain de la mer Noire, aujourd’hui membre de l’OTAN (2004) et de l’Union européenne (2007). Historiquement formé à partir d’un noyau ethnique dace, ce peuple de langue indo-européenne fut partiellement romanisé au IIe siècle, à la suite des conquêtes de l’empereur Trajan (celui-ci règne de 98 à 117). Dans les siècles qui suivent le retrait romain de la région, les Romaï, de rite catholique-grec, se retrouvent entourés de peuples slaves. Ils sont aussi confrontés aux Hongrois puis aux Ottomans, qui vassalisent les deux principautés roumaines existantes, celle de Valachie, au nord du Danube, et celle de Moldavie, plus à l’est (jusqu’au Dniestr). En 1861, ces deux principautés forment un État dont le congrès de Berlin reconnaît ensuite l’indépendance (1878). Lors de la Première Guerre mondiale, la Roumanie combat victorieusement aux côtés de la Triple Entente, ce qui lui permet de doubler sa surface territoriale (acquisition de la Transylvanie et de la Bessarabie, qui correspond peu ou prou à la Moldavie d’aujourd’hui).

Dans l’entre-deux guerres, la Roumanie est membre de la Petite Entente, ce système d’alliances que la France met sur pied, dans le dos de l’Allemagne et de la Hongrie révisionnistes d’une part, de l’autre face à l’URSS et au Komintern, qui travaillent à l’expansion de la « Révolution mondiale ». En 1940, la Roumanie est contrainte de céder la Bessarabie à l’URSS, Berlin et Moscou s’étant provisoirement entendus sur la question (par le Pacte germano-soviétique du 23 août 1939). Elle récupère cette région l’année suivante, dans le prolongement de l’offensive Barbarossa (22 juin 1941), mais doit céder la Transylvanie à la Hongrie, autre alliée de l’Allemagne. Conquise par l’armée soviétique en 1944, la Roumanie devient un satellite de l’URSS. Si elle récupère la Transylvanie, elle perd à nouveau la Bessarabie, érigée en république soviétique de Moldavie ; le sud de la Dobrogée (Dobroudja) va à la Bulgarie, elle-même satellisée.

Après la guerre froide, la Roumanie, bientôt membre des instances euro-atlantiques (cf. supra), entretient des rapports difficiles avec la Russie post-soviétique : les relations roumano-russes achoppent sur le devenir de la Moldavie, devenue indépendante en 1991. Moscou instrumentalise la question de la Transnistrie et de sa population russophone – une région moldave devenue un « quasi-État » placé sous domination russe –, pour interdire à la Moldavie de rejoindre l’Union européenne. En retour, Bucarest soutient la pleine souveraineté de la Moldavie et accorde la nationalité aux anciens ressortissants roumains qui la demandent. Depuis le rattachement manu militari de la Crimée à la Russie (2014), la Roumanie redoute plus encore ce qu’elle nomme déjà sans fard l’impérialisme russe. Aussi compte-elle particulièrement sur les États-Unis et l’OTAN pour assurer sa sécurité.

Si le renforcement de la « présence avancée » concerne plus particulièrement la Pologne et les États baltes, la Roumanie et la mer Noire ne sont pas oubliées. Une brigade multinationale de l’OTAN (entre 3 000 et 4 000 soldats) est désormais stationnée à Craiova) et, bien que le projet d’une flotte de la mer Noire n’ait pas été retenu lors du sommet de Varsovie (8-9 juillet 2016), l’OTAN et ses États membres ont accru leur présence dans cet espace. Cela va de pair avec un accroissement des dépenses militaires roumaines qui atteignent les 2 % du PIB. Enfin, le site de Deveselu, en Roumanie méridionale, accueille des éléments de la défense antimissile de l’OTAN.

Bien entendu, la grande offensive russe du 24 février 2022 sur l’Ukraine (dite « opération militaire spéciale ») joue plus encore en ce sens : la Roumanie devient le bouclier de l’OTAN dans le sud-est de l’Europe et son territoire s’avère essentiel au soutien militaire à l’Ukraine, tandis que le port de Constanta (Constantza) permet d’évacuer une partie de la production ukrainienne de blé et d’autres produits agricoles exportés sur les marchés mondiaux. L’armée américaine renforce sa présence et ses positions sur le plateau de la Dobroudja, qui domine la mer Noire. Précédemment utilisée lors des engagements en Afghanistan et en Irak, la base aérienne de Mihail-Kogălniceanu (dite « MK »), implantation la plus orientale de l’OTAN en Europe, monte en puissance afin d’accueillir plus d’avions de combat des États-Unis et de leurs alliés (la Roumanie a également acquis des F-16 auprès de la Norvège).

Dévolue à la protection aérienne du « flanc Est » de l’OTAN, « MK » surveille la mer Noire (la péninsule de Crimée se trouve dans son voisinage). Cette base est aussi un « hub » (une plaque tournante) pour les troupes françaises déployées à Cincu, dans le centre de la Roumanie, où Paris assure le commandement d’un bataillon multinational (la France agit en tant que « nation-cadre » de l’OTAN). Enfin, l’aérodrome civil de « MK » assure la liaison avec Constanta.

S’il en était besoin, les violations régulières de l’espace aérien roumain par des drones ou d’autres engins russes mettent en évidence le caractère volatil de la situation régionale et l’importance de la Roumanie sur le plan stratégique et géopolitique. Aussi serait-il bon de songer à renforcer le multilatéralisme européen et atlantique par des liens bilatéraux resserrés avec ce pays, en premier lieu dans le domaine de la défense. Il faut penser et concevoir ce que pourrait être un pacte de défense franco-roumain.

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12.10.2025 à 21:00

La guerre sans fin de Poutine : ambitions impériales et moment de vérité pour l’Europe

Borukh Taskin&nbsp;et&nbsp;Aaron Lea

Un régime fondé sur le rejet de toutes les normes internationales est un régime extrémiste qui ne peut être « convaincu » que par la force. 

<p>Cet article La guerre sans fin de Poutine : ambitions impériales et moment de vérité pour l’Europe a été publié par desk russie.</p>

Texte intégral (4808 mots)

Selon les auteurs, le régime de Poutine a besoin d’une guerre permanente afin de garantir sa longévité grâce à la distribution aux élites des produits de la rapine, tels que les expropriations des sociétés étrangères ou le pillage de sa propre population. Ainsi, Poutine se retrouve le débiteur de sa nouvelle élite de la guerre, qui forme l’ossature de son pouvoir. Il est obligé de poursuivre la redistribution et l’expropriation afin de la nourrir et d’assurer son soutien. Un régime fondé sur le rejet de toutes les normes internationales est un régime extrémiste qui ne peut être « convaincu » que par la force. 

Sans l’Ukraine, la Russie cesse d’être un empire, mais avec la conquête et la soumission de l’Ukraine, elle redevient automatiquement un empire.

Zbigniew Brzeziński (2012)

Dans une remarquable interview donnée récemment, Alexandre Morozov, réfléchissant à l’échec de l’initiative de paix de Trump, reformule une fois de plus les exigences de Poutine, auxquelles celui-ci ne peut renoncer et que le monde entier ne peut (pour l’instant) lui imposer d’abandonner :

  • la neutralité de l’Ukraine ;
  • le recul de l’OTAN aux frontières de 1991 ;
  • la création effective d’un ordre mondial centré sur la Russie.

Morozov estime que la guerre d’usure sans fin n’est pas un résultat, mais un objectif de Poutine, car elle maintient l’Ukraine dans un état de déstabilisation et les Russes dans un état de mobilisation permanente, et empêche l’intégration de l’Ukraine dans l’OTAN, atteignant ainsi ses objectifs sans occuper complètement l’État voisin. La propagande du Kremlin, qui présente la guerre comme un affrontement entre la civilisation russe unique, partie intégrante du « Sud global » (n’est-ce pas paranoïaque de penser ainsi pour un peuple si nordique ?), et « l’Occident décadent », martèle cette idée dans l’esprit des citoyens malheureux, ralliant la société russe et la forçant à s’habituer à la guerre sans fin et au programme impérial de Poutine.

Au fond, la guerre de Vladimir Poutine en Ukraine est une « croisade » de tout le peuple russe vers le passé. Dans ce mouvement de recul qui s’accélère, les bienfaits et les valeurs de la civilisation que l’on avait acquis autrefois disparaissent peu à peu : les principes démocratiques et la tolérance, les approches libérales pour résoudre les problèmes économiques et sociaux, la diversité religieuse, l’éducation modernisée ; en arrière toute, retournons vers une grandeur imaginaire fondée sur la peur et la force, faisons machine arrière !

Comment ne pas tenter de balayer la souveraineté de l’Ukraine ? Le pays voisin, sorti du même trou, avance de plus en plus vite dans la direction opposée, et son peuple courageux montre clairement qu’il n’est en aucun cas frère des Russes et défend son chemin de toutes ses forces, jusqu’au bout. Poutine semble penser que par cette résistance, par son existence même, l’Ukraine défie le discours impérialiste de Moscou, alors qu’elle n’aurait rien à voir avec les prétentions moscovites si l’agresseur russe ne l’avait pas attaquée. Mais il l’a attaquée, considérant la soumission de l’Ukraine, ou du moins une guerre permanente, comme un objectif existentiel pour lui-même.

Dans cet article, nous développons les idées de Morozov, dont le style d’analyse et de synthèse direct et sans ambiguïté, si peu caractéristique de la plupart des analystes politiques, nous impressionne beaucoup, et nous proposons une perspective inhabituelle pour interpréter les motivations et les intentions du Kremlin.

L’extrémisme politique et l’ère de la rancœur personnelle

Pour discuter honnêtement de ce qui se passe, il faut cesser de jouer aux « subtilités de la diplomatie » et qualifier le régime du Kremlin d’ « extrémisme politique », estime Morozov. Il ne s’agit pas d’un tempérament ou d’un « style autoritaire », mais d’une méthode de gestion et même de diplomatie : les promesses deviennent des consommables, la norme devient un décor et les faits deviennent de la pâte à modeler.

Une scène caractéristique d’incohérence politique et de mensonges manipulateurs a été enregistrée à Pratica di Mare le 28 mai 2002 : après la réunion constitutive du Conseil Russie-OTAN, debout à côté de Silvio Berlusconi et du secrétaire général de l’OTAN Lord Robertson, Poutine déclarait : « L’Ukraine est un État souverain et a le droit de décider de manière indépendante de son adhésion à l’OTAN. » Aujourd’hui, cette position a été renversée : « l’OTAN aux frontières » a été déclaré casus belli, donc c’est désormais « faites vos valises et partez ».

On retrouve la même technique dans la formule utilisée après la rencontre avec Trump en Alaska : « il n’y a pas de pays hostiles, il y a des élites hostiles dans ces pays » ; mais alors, qu’est-ce que cette liste officielle des « États hostiles » approuvée par le gouvernement ? Le fossé entre le mot et l’institution n’est pas ici une coïncidence, mais une technique : « à l’extérieur », l’intonation est normale, « à l’intérieur », l’hostilité est juridiquement consacrée, et tout cela ensemble constitue l’idéologie du régime.

L’extrémisme se manifeste également dans le démantèlement des accords multilatéraux de sauvegarde. Le retrait de la Russie du Conseil de l’Europe et de la Convention européenne des droits de l’homme, la suspension de sa participation au traité New START, le rejet des conventions internationales, y compris la Convention contre la torture, ne sont pas des « signaux » diplomatiques, mais des obus lancés contre la normalité qui a vu le jour dans le monde d’après-guerre.

Parallèlement, on assiste à l’exportation de normes et d’instruments de gouvernance autoritaires, que les politiciens contemporains de différents pays regardent parfois avec envie : des boîtes à outils juridiques telles que la « loi sur les agents étrangers », qui sont déjà exportées vers des régimes voisins, ou des réseaux d’influence politique dans lesquels sont pris au piège les politiciens européens – un travail de longue haleine visant à « légaliser » les pratiques répressives dans le domaine démocratique. Les chercheurs spécialisés dans les régimes hybrides (par exemple, Levitsky et Way) décrivent cette diffusion depuis déjà deux décennies ; le concept de sharp power (NED, Christopher Walker et Jessica Ludwig) explique comment les autocraties exploitent l’ouverture des démocraties : elles corrompent les médias, les tribunaux et les partis de l’intérieur ; Guriev et Treisman montrent les « spin dictatures » qui combinent répression douce, marketing et appropriation des ressources. C’est là l’« Internationale » de la séduction autoritaire : les politiciens qui aiment l’idée d’ « interdire la presse » et de « retirer les licences » se voient fournir un ensemble prêt à l’emploi d’outils, de solutions et d’excuses qui légalisent de telles actions dans la sphère publique.

D’ailleurs, selon le modèle de Guriev et Treisman, Poutine a commencé comme « spin dictateur », s’appuyant sur une façade de compétence et de propagande, et lorsque cette approche a cessé de fonctionner, il est passé progressivement à une phase d’extrémisme politique : expropriation, guerre, pression directe au lieu des manipulations habituelles.

La Russie n’est pas l’URSS : les chiffres, la carte et le ressentiment comme moteur de l’agression

Le rituel de substitution est simple : l’héritier de l’URSS doit être une puissance de premier plan. Mais les faits sont impassibles, et la Russie compte aujourd’hui environ 140 millions de citoyens ; selon des estimations indépendantes, compte tenu de l’émigration et des astuces statistiques, ce chiffre est peut-être bien inférieur : 120 millions. À titre de comparaison : le Pakistan compte près de 260 millions d’habitants (et c’est aussi une puissance nucléaire), le Brésil et le Nigeria plus de 210 millions, le Bangladesh compte environ 170 millions d’habitants, le Mexique et l’Éthiopie plus de 130 millions, et l’Iran environ 90 millions. La représentation cartographique de l’immense Russie induit également en erreur les personnes peu informées et les ultra-patriotes : la projection de Mercator gonfle les latitudes nordiques, mais la « gigantesque » Russie est en réalité presque deux fois plus petite que l’Afrique (respectivement, 17 millions de km² et 30 millions de km²) et seulement deux fois plus grande que l’Australie (7,6 millions de km²).

Mais le Kremlin et le peuple qui lui est soumis aiment à rappeler sans cesse la taille de la Russie comme fondement de sa grandeur, en occultant par exemple le fait que les deux tiers de son territoire sont recouverts de pergélisol et que la superficie habitable est inférieure non seulement à celle de la Chine et des États-Unis, mais aussi à celle du Brésil et de l’Australie (bien que ces derniers aient eux aussi leurs étendues désertiques). Ces espaces gigantesques ne sont pas un avantage, mais une malédiction pour la Russie, qui la prive de cohésion et augmente sans cesse les coûts en matière d’infrastructure : gazification, électrification, réseaux de transport, communications et, enfin, défense des frontières. Les États compacts peuvent concentrer leurs ressources sur le développement du capital humain, tandis que la Russie est contrainte (elle le serait si elle était un État civilisé) de disperser ses moyens sur des étendues de vide.

Si l’on part du principe simple que l’État existe pour les gens et non les gens pour l’État, alors le principal indicateur de la puissance économique, du résultat, du point de vue des objectifs de l’État lui-même, est le PIB par habitant. En Russie, il est déjà inférieur à celui du Kazakhstan voisin, de 500 dollars. Les discussions favorites du Kremlin sur le PIB en PPA ne changent rien à la réalité, elles ne font que la déformer (par exemple, dans le classement du PIB en PPA, les pays les plus riches, Monaco et le Liechtenstein, occupent respectivement les 208e et 209e places) : car ce qui importe aux gens, ce sont les revenus réels, la médecine, l’éducation, et non les rapports comptables.

Dès 1989, Douglas North et Barry Weingast ont expliqué que la croissance reposait sur la protection des droits et des règles prévisibles, politiques, économiques et sociales, et que les institutions ne fonctionnaient que là où le pouvoir est limité par des obligations. Daron Acemoglu et Simon Johnson, s’appuyant sur des données empiriques, ont montré que là où les élites peuvent arbitrairement priver les citoyens du PIB produit, le développement cède la place à la dégradation. Lorsque la Russie a été invitée à la « grande table » – d’abord au format du G7, qui est devenu presque le G8, puis au Conseil « Russie-OTAN » et à d’autres forums prestigieux –, cela s’est fait plutôt par inertie : en tant qu’héritière de l’URSS, et non en tant que puissance égale en termes d’influence. Mais très vite, il est apparu que cette table réunissait des pays dotés d’une longue expérience politique, d’économies incomparablement plus puissantes et d’une influence technologique que la Russie ne pouvait offrir. Leurs dirigeants étaient ancrés dans des générations de tradition politique et de mémoire institutionnelle, tandis que Poutine n’apportait au G8 que de la rhétorique, des références au passé et le cliquetis de l’héritage soviétique, notamment l’arsenal nucléaire et les stocks d’armes soviétiques.

Dans les discussions concrètes sur les investissements mondiaux, les règles commerciales ou les changements institutionnels, Poutine n’avait rien à dire, car la Fédération de Russie était assise sur un tabouret au milieu des fauteuils.

C’est de là qu’est née sa rancœur : on l’avait invité à la table par respect pour la mémoire, mais il s’est avéré être le parent pauvre, n’offrant au monde rien d’autre que des menaces. Ce sentiment d’impuissance a motivé la stratégie extrémiste du Kremlin : compenser l’absence de contribution réelle à la civilisation par la destruction des règles et la déstabilisation, car c’est la seule façon pour lui d’attirer l’attention des « nations adultes ».

La rupture du tabou civilisationnel, ou l’expropriation comme politique

La guerre offre de nombreux avantages à l’autocratie, dont la suppression de toute opinion alternative et l’exploitation de sentiments nationalistes généralement dangereux. Et c’est précisément cette guerre en Ukraine et la menace d’une extension de l’agression de la Fédération de Russie à d’autres pays qui servent d’appui au régime de Poutine, en créant des incitations économiques et politiques inattendues (apparues littéralement de nulle part, c’est-à-dire de la guerre elle-même) tant pour les élites que pour la population. Tout ce discours idéologique sur le « monde russe », la création de la Novorossia et autres illusions dangereuses ont une justification plus claire, une motivation compréhensible pour Poutine : ce n’est qu’en déclenchant la guerre, en utilisant les récits élaborés et en les implantant dans l’esprit de la majorité des Russes, qu’il a pu légitimement chasser les entreprises occidentales de Russie et les dépouiller de leurs meilleurs actifs en Fédération de Russie.

La nationalisation des actifs étrangers, estimée à plus de 50 milliards de dollars selon les calculs de l’université de Yale, enrichit les fidèles du Kremlin et finance depuis longtemps directement les efforts militaires. Ce chiffre est très trompeur, car en 2021, le volume total des investissements étrangers directs accumulés en Russie s’élevait à environ 500 milliards de dollars, et compte tenu du solde toujours positif des opérations d’exportation et d’importation de la Fédération de Russie grâce à l’exportation de ressources énergétiques et de minéraux à faible valeur ajoutée, on peut parler d’une contribution disproportionnée au PIB des investissements réalisés par des étrangers. Vladislav Inozemtsev qualifie cela de « pillage du siècle » et estime la valeur des actifs spoliés à 120-170 milliards de dollars, ce qui est plus proche de la vérité.

Cette économie déterminée par la guerre, que Inozemtsev a judicieusement qualifiée de smertonomika ( « l’économie de la mort »), engendre un « piège de loyauté » dans lequel les élites, enrichies grâce aux actifs confisqués et aux contrats militaires, risquent de se retrouver perdantes, car si le monde civilisé oblige la Fédération de Russie à mettre fin à la guerre, cela entraînera des réparations et des restitutions, c’est-à-dire l’effondrement de tout le système actuel. Ainsi, la paix future menace non seulement Poutine, mais aussi toute la classe dirigeante, d’où le cycle auto-entretenu d’agressions et de nouveaux conflits.

Au XXIe siècle, il semble impossible qu’un État puisse, par un simple décret, saisir les biens de sociétés multinationales et déclarer qu’il s’agit d’une « politique ». Mais c’est précisément ce qui est devenu la norme dans la Russie de Poutine : il s’agit des actifs de sociétés multinationales de « pays hostiles » telles que Fortum, Air Liquide, Danone, Carlsberg, la société turque Anadolu Efes, les actifs appartenant à des Russes vivant à l’étranger, etc. ; des entreprises extractives, des banques, des usines de production de voitures modernes, des chaînes de restauration rapide et des secteurs industriels entiers. Ce n’est pas une exception, mais une stratégie rendue possible par la haine particulière que le Kremlin voue aux engagements internationaux, non seulement dans le domaine humanitaire et politique, mais aussi dans le domaine économique.

Toute participation à des conventions et à des institutions implique non seulement des droits, mais aussi des obligations : protection des droits de propriété, des droits individuels, indemnisation des pertes résultant de décisions erronées, exécution des décisions des tribunaux internationaux. C’est précisément ce que Poutine évite en quittant le Conseil de l’Europe, en suspendant les traités sur les armements, en renonçant aux conventions sur les droits de l’homme et en dénonçant de nombreux autres accords internationaux et institutions contractuelles. Chaque sortie le libère de ses obligations et ouvre la voie à de nouvelles expropriations, dans le domaine commercial ou humanitaire. Il s’agit littéralement de cancel culture.

Le processus de démantèlement des obligations internationales s’étale dans le temps, c’est une campagne à long terme qui a également une dimension propagandiste. Le Kremlin explique minutieusement qu’il s’agit de « mesures de rétorsion », mais l’initiateur est toujours le même : lui-même. Toujours la même politique du mensonge et de la substitution : détruire les normes et présenter cette destruction comme une réaction forcée.

À l’intérieur du pays, la substitution est depuis longtemps la nouvelle norme, peut-être depuis l’affaire Ioukos, où l’essence même des lois régissant les relations économiques a été dérobée. Mais telle est la logique établie : les élites proches du Kremlin, de différents types et de différentes tailles, et maintenant aussi les « vétérans de l’opération militaire spéciale », exigent et obtiennent « légalement » quelque chose de l’exproprié, s’enrichissent d’intérêts commerciaux et d’obligations conceptuelles (et non légales) au nom de la préservation du système qui les nourrit. L’expropriation est un outil de survie du régime du Kremlin : en violant les tabous civilisationnels, Poutine a commis un vol (article 161 du Code pénal de la Fédération de Russie : vol ouvert de biens appartenant à autrui), et le vol n’est plus une honte, mais un outil, une partie des nouvelles règles sur la voie du retour en arrière.

Nouvelles « alliances »

Poutine est depuis longtemps passé de l’utilisation de l’arme « énergétique » à des méthodes sournoises visant à diviser les pays, les alliances, les élites et la population. Morozov, en définissant « l’extrémisme politique » de Poutine, montre comment celui-ci s’emploie à construire minutieusement des alliances avec la Chine, l’Inde et le Sud global, en soutenant ce travail par des campagnes de désinformation à plusieurs voix visant à gagner la sympathie et à éviter l’isolement.

Et le Kremlin s’en sort plutôt bien jusqu’à présent, surtout si l’on tient compte des activités du « grand pacificateur » outre-Atlantique. Mais, comme dans le cas de la politique intérieure et des engagements internationaux, ces nouvelles alliances sont trompeuses et fallacieuses : le véritable objectif de Poutine, comme l’a clairement montré sa visite à Trump en Alaska, son désir profond, son rêve, est d’être parmi les principaux acteurs de la politique mondiale, c’est-à-dire avant tout sur un pied d’égalité avec les États-Unis. Il ne fait aucun doute que Pékin le comprend bien.

Pour l’instant, les cyberguerres, les diversions et le sabotage restent les principaux instruments d’une escalade cachée, et les attaques contre les infrastructures ukrainiennes et occidentales visent à déstabiliser et à épuiser le soutien dans le même but : une guerre sans fin, une Ukraine brisée, dépourvue de souveraineté, un « nouveau Yalta » aux conditions de Moscou.

L’impératif occidental : des mesures radicales pour survivre

Morozov insiste sur le fait qu’aujourd’hui, une réponse radicale de l’Occident aux chimères géopolitiques du Kremlin est nécessaire, une réponse qui va au-delà des actions progressives.

Par exemple, il a été proposé de déployer l’aviation de l’OTAN en Roumanie (ce qui est particulièrement pertinent après les dernières manœuvres de drones) et de protéger le ciel au-dessus de l’Ukraine ; de créer un commandement cyber unifié et de détruire les réseaux de désinformation du Kremlin. Une attaque directe contre la flotte fantôme de la Russie – les navires qui contournent les sanctions pétrolières – pourrait également étouffer son économie mortifère.

L’avertissement de Brzeziński concernant la vengeance géopolitique de Poutine exige de l’Europe un soutien pratiquement illimité à l’Ukraine afin d’empêcher les triomphes autocratiques au sein même de l’UE, qui pourraient continuer à inspirer les révisionnistes mondiaux.

Extrémisme institutionnel

La guerre en Ukraine est devenue une bataille décisive pour l’ordre international fondé sur les valeurs européennes communes. L’Europe doit démanteler la machine militaire russe, dénoncer la nature conflictuelle de sa (pseudo)alliance avec le Sud global et neutraliser ses campagnes de cyber-ingérence et de désinformation.

L’échec de cette stratégie ne fera que confirmer le pari de Poutine sur l’agression, condamnera l’Ukraine à de nouvelles souffrances et fera pencher la sécurité mondiale vers l’autocratie. Et alors, le prix à payer pour l’Europe sera inévitable. Un régime fondé sur le mensonge et la suppression des tabous civilisationnels ne peut mettre fin à la guerre sans se détruire lui-même. Toute sa logique repose sur l’expropriation et la destruction des normes : tout pas vers la paix signifierait un retour au champ institutionnel, où s’appliquent les droits de propriété, la restitution et les compensations. Cela impliquerait de devoir répondre devant les tribunaux internationaux et les entreprises dont les actifs ont été confisqués, ce qui, pour un système qui vit de spoliation, équivaut à un suicide.

(Il est possible que l’idée suprême de Poutine soit d’imposer aux pays démocratiques sa conception archaïque et prédatrice de la culture des relations et, sur cette nouvelle base, de revenir à une société (dé)civilisée.)

À l’intérieur du pays, la dépendance du système à l’égard de l’expropriation ne fait que s’accentuer. Soulignons-le encore une fois : la guerre en Ukraine, appelée en Russie « opération militaire spéciale », a créé une nouvelle génération de personnes qui réclament leur part précisément auprès des autorités. Ils disent avoir défendu le Kremlin, s’être battus pour préserver le régime, et avoir désormais des prétentions « légitimes » à une récompense : des sièges au parlement, des postes dans l’exécutif, l’accès aux actifs…

Poutine se retrouve leur débiteur. Il est obligé de poursuivre la redistribution et l’expropriation afin de nourrir la nouvelle élite de la guerre. Il s’agit d’une récidive historique : à leur époque, la Tchéka et le NKVD avaient également transformé l’appareil répressif en une classe sociale intégrée à la structure même du pouvoir.

La science politique occidentale a depuis longtemps expliqué ce mécanisme. Dans leur livre The Rise of Competitive Authoritarianism, Levitsky et Way ont montré que les autocraties hybrides conservaient la façade des institutions démocratiques et, en les utilisant pour légitimer l’arbitraire, se maintenaient précisément grâce à la création de nouveaux groupes dépendants, intégrés dans le système par des ressources et des privilèges. Cela ne fragilise pas le régime, mais le renforce : en détruisant les institutions, il se stabilise paradoxalement grâce à de nouvelles élites loyales. Daron Acemoglu et James Robinson ont décrit cela comme une forme d’État extractif qui existe non pas pour le développement, mais pour la redistribution de ce qui a été capturé, ce qui conduit généralement à la stagnation et à la crise, en raison de la perte de confiance des masses.

Ainsi, toutes les initiatives pacifiques du Kremlin et les initiatives soutenues par le Kremlin, sont vouées à l’échec dès le départ. On ne peut proposer aux extrémistes qu’un cadre rigide de dissuasion et de vérification. C’est précisément pour cette raison que l’Europe, comme le souligne à juste titre Morozov, doit se préparer à la guerre – afin de défendre les normes, les droits, la propriété et le sens même des institutions.

Encore une fois : la guerre de Poutine n’est pas une campagne avec des objectifs pratiques, mais une forme d’existence du régime, qui ne peut faire autrement que la guerre. Nous ne sommes pas face à une « voie particulière », mais à une construction politique érigée sur une échelle temporelle : rancœur, mensonges, démantèlement des règles, expropriation, exportation de normes autoritaires, impossibilité d’une paix sans contrainte extérieure.

C’est de l’extrémisme politique à l’état pur. Et plus vite le monde renoncera à l’illusion de « convaincre » Poutine, plus le chemin vers une sécurité réelle, tant aux frontières qu’au sein même des démocraties, sera court.

Traduit du russe par Desk Russie

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12.10.2025 à 21:00

Mur de drones et réalité de la guerre hybride : un défi pour la sécurité européenne

Valentin Smoliak

Pour être efficace, le « mur » devrait être intégré à l’espace aérien ukrainien.

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Texte intégral (2341 mots)

Pour l’auteur, la conception du « mur de drones » ne prend pas pleinement en compte l’espace aérien ukrainien, l’Ukraine étant attendue surtout comme fournisseur d’expertise. Au fond, l’UE cherche à se protéger des retombées d’un conflit voisin tout en confiant à l’Ukraine le rôle de « bouclier » et de principal facteur de dissuasion face à la guerre hybride multidimensionnelle menée par la Russie. Or, pour être efficace, le « mur » devrait être intégré à l’espace aérien ukrainien.

Malgré ses défaites stratégiques et l’impossibilité de mener des opérations offensives d’ampleur capables de rompre la défense ukrainienne, la Russie poursuit une guerre dont les méthodes rappellent celles de la Première Guerre mondiale, caractérisée par des bombardements d’artillerie massifs, des lignes de fortifications et des avancées territoriales limitées à quelques kilomètres. Parallèlement, l’armée russe s’adapte progressivement aux exigences du champ de bataille moderne. Malgré son attachement aux schémas traditionnels, elle développe activement des capacités technologiques avancées : renseignement, drones, systèmes de guerre électronique et complexes automatisés de contrôle du feu. Cette évolution est lente mais constante, combinant le modèle de mobilisation soviétique avec des outils numériques contemporains.

Comme le souligne le général Valeriy Zaloujny dans son article « Le rôle de l’innovation comme fondement d’une stratégie de résistance durable, afin de priver la Russie de la possibilité d’imposer ses conditions par la guerre », la guerre de position actuelle sur le front résulte de la convergence de deux dynamiques parallèles : l’épuisement des ressources et la révolution technologique. Sans adoption continue d’innovations – systèmes autonomes, intelligence artificielle, gestion numérique et armement de haute précision – le conflit risque de s’enliser dans ce que Zaloujny qualifiait dès 2023 d’« impasse positionnelle ». C’est dans ce contexte que la Russie déploie activement diverses technologies pour tenter de sortir de cette situation et de maintenir ses capacités opérationnelles sur le terrain.

Dans ce cadre, la question de la « défense anti‑drones » revêt une importance stratégique particulière. Il ne s’agit pas seulement de neutraliser techniquement les drones, mais de renforcer une autonomie stratégique plus large : celle de l’Europe à s’adapter aux nouvelles formes de guerre, où le drone constitue l’une des principales menaces, agissant de concert avec d’autres méthodes d’agression hybride : cyberattaques, opérations informationnelles, pressions économiques et sabotages.

Le projet de l’Union européenne visant à établir un « mur de drones » sur son flanc oriental est présenté comme un instrument de renforcement de la sécurité régionale. Officiellement, il vise à détecter et neutraliser les menaces aériennes aux frontières de l’UE et de l’OTAN. Pourtant, cette initiative soulève plusieurs questions critiques, surtout dans le contexte de la guerre à grande échelle menée par la Russie contre l’Ukraine. En réalité, le projet se concentre davantage sur la prévention d’une agression potentielle contre les États membres de l’UE que sur la neutralisation de « provocations » ponctuelles sous forme de drones isolés.

La conception du « mur de drones » ne prend pas pleinement en compte l’espace aérien ukrainien, l’Ukraine étant attendue principalement comme fournisseur d’expertise. Ce décalage révèle un certain cynisme : l’UE cherche à se protéger des retombées d’un conflit voisin tout en confiant à l’Ukraine le rôle de « bouclier » et de principal facteur de dissuasion face à la guerre hybride multidimensionnelle menée par la Russie.

Sur le plan militaire, ces choix révèlent des limites significatives : les drones peuvent pénétrer via le territoire ukrainien et contourner les lignes de défense établies aux frontières de l’UE. Sans une intégration, même partielle, des capteurs ukrainiens, le « mur de drones » risque de rester avant tout symbolique, offrant une illusion de sécurité plutôt qu’un dispositif réellement efficace contre les menaces. À cela s’ajoute la lenteur de mise en œuvre. L’UE, traditionnellement prudente dans ses décisions de défense, a annoncé le projet sans préciser de calendrier, de budget ni d’architecture coordonnée. Pendant ce temps, la Russie intensifie rapidement la production de drones d’attaque peu coûteux et affine ses tactiques combinant frappes massives et désinformation. Dans ce contexte, le cycle décisionnel de Bruxelles risque de perdre de sa pertinence : l’adversaire adapte ses méthodes plus vite que les systèmes de protection ne peuvent être déployés.

La vulnérabilité principale réside dans l’asymétrie des coûts : lorsqu’un drone d’attaque ne coûte que quelques centaines de dollars tandis que son système de neutralisation atteint des dizaines de milliers, la défense se retrouve économiquement désavantagée. C’est pourquoi l’expérience ukrainienne – solutions de guerre électronique à bas coût, capteurs acoustiques et drones‑intercepteurs – doit être pleinement intégrée à l’architecture de la nouvelle défense, et non se limiter à de simples recommandations marginales. À cela s’ajoutent les divergences juridiques et procédurales entre les États membres de l’UE : des règles différentes sur l’usage du brouillage, l’emploi des moyens d’interception ou le fonctionnement des systèmes de défense aérienne compliquent la coordination opérationnelle. Combinées aux risques de corruption, de fuites de données et d’opérations d’influence, ces contraintes font peser sur le « mur de drones » le risque de n’être qu’une coûteuse illusion de protection.

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Exercice international sur l’interopérabilité des systèmes anti-drones, septembre 2023 // nato.int

Un scénario typique d’attaque hybride pourrait se dérouler ainsi :

  • Phase 1 — collecte de renseignement : recrutement, corruption et compromission d’individus, interception de métadonnées, fuite de coordonnées.
  • Phase 2 — préparation de l’attaque : combinaison d’un grand nombre de leurres et d’un contingent de drones réels, appuyée par des mesures de brouillage électromagnétique.
  • Phase 3 — frappe : lancement synchronisé de missiles et de vagues de drones/leurres, visant à disperser les défenses et épuiser les capacités de défense antiaérienne.

Ainsi, lorsqu’un « mur » n’est pas intégré à l’espace aérien ukrainien, il se révèle particulièrement vulnérable. Les systèmes linéaires et statiques peuvent être contournés facilement par des corridors non protégés ou trompés par des leurres, détournant l’interception vers de fausses cibles. Sans couverture complète et logique de priorisation des menaces synchronisée, la défense risque d’être rapidement submergée par des tactiques d’illusion à faible coût et par l’asymétrie économique qui avantage l’attaquant.

Les mesures pratiques proposées par des analystes (New America, Dedrone, CNA, Defense One) reposent sur le développement technologique et la recherche de solutions opérationnelles pour contrer l’évolution rapide du conflit :

  1. Contre‑espionnage et protection des chaînes de données : réduire au minimum les risques de corruption et de fuite – contrôles renforcés du personnel, authentification multifactorielle pour les données de navigation et de ciblage, audit des accès. La prévention des fuites constitue la première barrière.
  2. Validation des cibles et corrélation multimodale : croiser les données RF, radar, acoustiques et optiques et vérifier les informations auprès de sources multiples pour diminuer le risque de « fausses cibles ».
  3. Effecteurs peu coûteux et « drone contre drone » : intercepteurs‑suicide, drones autonomes de protection, brouillage local, systèmes HPM et armes laser pour réduire l’avantage économique de l’attaquant.
  4. Automatisation de la priorisation avec opérateur humain : assistance IA pour trier les signaux tout en maintenant le contrôle humain des décisions critiques afin d’éviter des frappes contre des biens civils.
  5. Pièges d’ingénierie de l’illusion à plusieurs niveaux : création de canaux factices et de leurres pour identifier espions et sources compromises.
  6. Synchronisation politique et juridique : conclusion rapide de mémorandums entre l’UE et l’Ukraine sur l’échange de données, règles communes de réaction et coordination opérationnelle.

Bien avant l’annexion de la Crimée et l’arrivée des forces russes dans les oblasts de Donetsk et Louhansk, les méthodes hybrides – corruption de forces politiques, leviers économiques, propagande et promotion de narratifs pro‑Kremlin – se manifestaient principalement comme un soft power de faible intensité. Après l’annexion de la Crimée et l’occupation partielle du Donbass, ces pratiques se sont organisées davantage. Avec l’invasion à grande échelle de 2022, la guerre hybride est devenue une composante parallèle et indissociable de la campagne d’agression : elle structure le champ d’action, soutient les opérations offensives et complique la réponse défensive. Aujourd’hui, ce type d’agression dépasse largement le cadre de l’Ukraine et s’étend à l’Europe : violations de l’espace aérien, cyberattaques, campagnes d’influence – autant de phénomènes qui ne peuvent plus être considérés comme locaux ou négligeables. La guerre hybride en Europe joue un double rôle : à la fois « interrupteur » et indicateur ; elle peut signaler une escalade imminente tout en créant les conditions pour un affrontement direct entre la Russie et l’OTAN.

Pour prévenir la transformation de provocations en conflit ouvert, pour lequel l’Europe n’est pas pleinement préparée et où la Russie pourrait tirer parti de son expérience en Ukraine, l’Europe et l’Ukraine doivent mettre en place un système intégré et multi‑niveaux, dépassant la simple juxtaposition de lignes de défense isolées. Seule l’Ukraine, forte de son expérience directe de la lutte contre l’agression russe, est en mesure de contrer efficacement ces méthodes. Sans approche globale, le « mur de drones » risque de demeurer une coûteuse illusion de sécurité – fragmentaire, vulnérable aux manipulations et économiquement inefficace – et toute imitation de protection ne ferait que renforcer les risques d’une nouvelle escalade.

Références

  1. Kallenborn, Zachary et Plichta, Marcel, “Breaking the Shield: Countering Drone Defenses”, Joint Force Quarterly 113, n° 2, 2024.
  2. Singer, Peter W. et Graham, Tye, “China’s Counter-UAV Efforts Reveal More than Technological Advancement”, New America, 2 mai 2025.
  3. Ditter, Timothy, “PRC Concepts for UAV Swarms in Future Warfare”, Arlington, VA, CNA (Center for Naval Analyses), juillet 2025.
  4. Tucker, Patrick, “The Pentagon Plan to Americanize Drone Warfare”, Defense One, 21 août ,025.
  5. Tucker, Patrick, “Future AI Drone Defenses Will Need to Act First, Ask Later, Commander Says”, Defense One, 6 août 2025.
  6. “Dedrone by Axon: Delivering on LAND 156 with Australia’s First National Counter-Drone Network”, Blog de Dedrone, 19 août 2025.
  7. Zaloujny, Valeriy, « Le rôle de l’innovation comme fondement d’une stratégie de résistance durable, afin de priver la Russie de la possibilité d’imposer ses conditions par la guerre », traduit et commenté par Valentin Smoliak, Dzerkalo Tyjnia (Mirror of the Week), 24 septembre 2025.
  8. Zaloujny, Valeriy, “Modern Positional Warfare and How to Win in It”, The Economist, novembre 2023.
  9. Zaloujny, Valeriy, “The Evolving Nature of Warfare Has Redefined the Fundamental Principles of Global Security”, Ukrainian World Congress, avril 2025.
  10. Zaloujny, Valeriy, “Drones Are Responsible for Nearly 80% of Losses on the Front Line”, Censor.net, septembre 2025.
  11. Guerassimov, Valeri, « La valeur de la science réside dans la prévoyance », Voenno-promychlenny kourier, février 2013.
  12. Guerassimov, Valeri, « La guerre moderne et les questions actuelles de la défense du pays », Krasnaïa Zvezda, mars 2019.

Les articles de Valeri Guerassimov sont mentionnés à titre d’analyse des doctrines russes contemporaines, sans citation directe.

<p>Cet article Mur de drones et réalité de la guerre hybride : un défi pour la sécurité européenne a été publié par desk russie.</p>

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