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25.04.2025 à 13:22

Sublime ressortie de l'Arkestra à la Fondation Maeght en 1970

L'Autre Quotidien

En juillet et août 1970, le journaliste Daniel Caux organise l'édition la plus radicale du festival. Présentée dans une structure expérimentale gonflable conçue par l'architecte Hans-Walter Müller, elle comprenait des concerts des pionniers américains du minimalisme Terry Riley et La Monte Young, ce dernier se produisant avec Marian Zazeela et le vocaliste-gourou indien Pandit Pran Nath. Caux a également fait appel à deux des artistes les plus iconoclastes de l'avant-garde du jazz.
Texte intégral (1294 mots)

En juillet et août 1970, le journaliste Daniel Caux organise l'édition la plus radicale du festival. Présentée dans une structure expérimentale gonflable conçue par l'architecte Hans-Walter Müller, elle comprenait des concerts des pionniers américains du minimalisme Terry Riley et La Monte Young, ce dernier se produisant avec Marian Zazeela et le vocaliste-gourou indien Pandit Pran Nath. Caux a également fait appel à deux des artistes les plus iconoclastes de l'avant-garde du jazz.

Les 25 et 27 juillet, le saxophoniste Albert Ayler a donné des concerts très appréciés en quintette avec la chanteuse et saxophoniste soprano Mary Parks, le bassiste Steve Tintweiss, le batteur Allen Blairman et - lors d'un seul concert - le pianiste Call Cobbs. Puis, les 3 et 5 août, le festival s'est clôturé par deux concerts extraordinaires de Sun Ra et d'un Arkestra tentaculaire de 18 musiciens.

Il s'agit là d'une programmation astucieuse de la part de Caux. Bien que considérés comme des pionniers du free jazz, Ayler et Ra étaient tous deux des aberrations, chacun ayant une approche et une esthétique tout à fait uniques, qu'aucun autre artiste n'a jamais été en mesure d'imiter : Ayler, le prophète des sermons apocalyptiques imprégnés de folk et de gospel ; Ra, le philosophe cosmique de l'afrofuturisme des Nubiens dans l'espace. De plus, la documentation des concerts d'Ayler et de Ra a connu des histoires remarquablement similaires. Tous deux ont été enregistrés dans leur intégralité par la station de radio publique française ORTF. Ils ont tous deux fait l'objet d'un montage publié sur deux 33 tours par le label parisien Shandar en 1971, sous le titre Nuits de la Fondation Maeght Volumes 1 et 2. Les deux concerts d'Ayler ont été publiés dans leur intégralité et sans montage dans le coffret 4 CD Revelations en 2022. Aujourd'hui, avec Nuits De La Fondation Maeght, les concerts de Ra bénéficient du même traitement exhaustif.

Mais il est frappant de constater à quel point les concerts de l'Arkestra sont accessibles, voire même agréables pour les foules, par rapport à ceux d'Ayler. Bien sûr, Ayler ajoute quelques chansons dont les paroles ont été écrites par sa partenaire Mary Parks : des morceaux comme « Heart Love » et « Oh ! Love Of Life », qui faisaient partie de sa tentative quelque peu malavisée d'atteindre un public plus large au cours de ses dernières années d'existence. Pourtant, ses concerts restent, pour la plupart, des récitations austères d'une gravité déchirante. Il est également vrai que les spectacles de Ra contiennent beaucoup d'actions avant-gardistes enflammées. Une grande partie de cette action émane des interludes en solo de Ra. Au piano, il reste un génie suis generis de la création spontanée, passant de rêveries mélodiques nostalgiques à des irruptions soudaines d'intensité violente et vice-versa.

À la même époque, au tournant des années 1970, il avait également commencé ses explorations tumultueuses du synthétiseur Moog qu'il venait d'acheter. Ici, Ra aborde le synthé non pas comme un substitut de guitare électrique, comme le faisaient à l'époque des contemporains tels que Jan Hammer du Mahavishnu Orchestra, mais comme un générateur furieux de sons et de timbres extraterrestres, comme s'ils étaient téléportés d'un lointain avant-poste galactique. Il y a aussi des improvisations de groupe d'une énergie bouillonnante - souvent dirigées par Ra à l'aide d'un lexique de gestes théâtraux - qui vont de l'avant vers le free jazz le plus coruscant, avec les saxophonistes John Gilmore et Marshall Allen qui s'efforcent d'atteindre les limites du cor.

Et pourtant, les spectacles que l'Arkestra a présentés à la Fondation Maeght en août 1970 étaient accessibles, agréables et, surtout, amusants. Au cours des quatre heures de musique, un large éventail d'ambiances est abordé. Il y a les nombreux hymnes et chants - tels que « Satellites Are Spinning » et « We Travel The Spaceways » - interprétés par la chanteuse June Tyson sur un ton doux et familier, avec des chœurs enthousiastes et déchaînés du reste de l'Arkestra qui expriment la philosophie de science-fiction de Ra. Il y a des ballades spatiales qui flottent, des séances de hard-bop musclées pour grand orchestre et des jams modaux de la forêt tropicale riches en percussions. Chacun des deux programmes du soir ressemble à un voyage sinueux mais complet dans les recoins les plus profonds de l'imagination de Ra, faisant appel à toutes ses obsessions et préoccupations.

Il va sans dire que les spectacles de l'Arkestra ont connu un énorme succès, avec des danseurs, des jeux de lumières et des projections psychédéliques qui ont encore plus enivré le public et provoqué une sensation époustouflante. Ce qui est vraiment étonnant, c'est qu'une décennie et demie après la naissance de l'Arkestra à Chicago au milieu des années 1950, il s'agissait de ses toutes premières représentations en dehors de l'Amérique du Nord.

Depuis leur installation à New York au début des années 1960, Ra et al ont traversé des périodes d'extrême pauvreté et de manque d'opportunités, tout en s'accrochant à une vision intransigeante du potentiel libérateur de la musique. Ces premiers concerts en Europe ont marqué le début d'une nouvelle ère, attendue depuis longtemps, de visibilité, de renommée et de respect, qui - comme pour tant d'autres avatars éternels du jazz - étaient plus facilement accessibles de l'autre côté de l'Atlantique qu’aux États-Unis. En 1970, l'Arkestra n'était pas seulement au sommet de sa forme, c'était aussi la première véritable incarnation de l'Arkestra tant apprécié, qui voyage dans le monde entier, et que Marshall Allen a dirigé avec tant de succès au XXIe siècle. Tout commence ici. Indispensable pour les oreilles ouvertes… 

Jim Jones et son traducteur masqué, le 28/04/2025
Sun Ra – Nuits de la Fondation Maeght - Strut

25.04.2025 à 12:45

Marie Chamant joue des signes et des sons avec une volupté affirmée

L'Autre Quotidien

Plus chercheuse que plasticienne, l’artiste développe une pratique où le signe devient territoire, et la lettre, matière vivante. Dans ses livres d’artiste multicolores et protéiformes, les mots dérivent, s’agrègent, se fragmentent, se répètent ou jaillissent dans toutes les directions. Chaque page est un espace de liberté où le texte se déploie verticalement, horizontalement, à l’endroit comme à l’envers, mêlant majuscules et minuscules dans une chorégraphie visuelle dense et poétique.
Texte intégral (1106 mots)

Plus chercheuse que plasticienne, l’artiste développe une pratique où le signe devient territoire, et la lettre, matière vivante. Dans ses livres d’artiste multicolores et protéiformes, les mots dérivent, s’agrègent, se fragmentent, se répètent ou jaillissent dans toutes les directions. Chaque page est un espace de liberté où le texte se déploie verticalement, horizontalement, à l’endroit comme à l’envers, mêlant majuscules et minuscules dans une chorégraphie visuelle dense et poétique.

Marie Chamant, Lettre arabe, Wao, 1999 — 2000 — Série Lettre arabe Collages et gouache sur papier, caisson — 91 × 111 × 14.5 cm Courtesy of the artist & galerie lilia ben salah, Paris

À travers cette exposition, l’artiste dévoile des séries majeures telles que APOCA ca, apo KAPPA — Creux grec de la main, ainsi que des séries emblématiques comme La Fée Mikado, Écrire inciser cadrer, et son projet collaboratif Centre Poly Cultuel avec les architectes Les Simonnet.

Signes et sons explore la tension entre forme libre et structure invisible, entre écriture et oralité, sonorités du langage et mémoire du signe. L’exposition met en lumière le travail de Marie Chamant sur les signes, les lettres et leur résonance à travers les cultures et les cultes. Son œuvre, engagée en faveur du dialogue spirituel, a donné naissance au projet Centre Poly Cultuel, exposé notamment au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris (1967), à l’UNESCO (1969) et à la mosquée Adda‘Wa (1998).

Une sélection de trois livres d’artiste de Marie Chamant est présentée dans l’exposition—parmi la quinzaine de ses livres qui sont consultables à la bibliothèque Kandinsky du Centre Pompidou et à l’Enseigne des Oudin—permettant au public d’approfondir son expérience de l’univers visuel et poétique de l’artiste.

Marie Chamant nous invite à une traversée sensible de son univers : un espace où le verbe devient souffle, où chaque lettre résonne, et où le langage retrouve sa dimension sacrée, vivante, vibratoire.

Liz Demarre, le 28/04/2025
Marie Chamant - Signes et sons -> 31/05/2025
Galerie Liliah ben salah - 6, avenue Delcassé 750018 Paris

Marie Chamant, Lettre Arabe, Alif, 2000 — Collages et gouache sur papier — 25 x 60 Courtesy of the artist & galerie lilia ben salah, Paris


25.04.2025 à 12:38

Les Alizés de La Réunion, un bol d’air jusqu’en métropole ?

L'Autre Quotidien

Voyons. Quel sentiment peut bien éprouver, au XXIe siècle, l’architecte de la XXIème ENSA, nouvelle école d’architecture de La Réunion, officiellement créée le 1ᵉʳ mars 2025 et dont la livraison toutes voiles dehors est prévue au Port en 2027 ? « Construire ici une nouvelle école d’architecture est une mise en abîme. Je suis architecte et je construis une école d’architecture pour de futurs architectes et pour tous les architectes qui y enseigneront. C’est angoissant ! », indique Olivier Brabant, l’auteur de l’ouvrage.

Créée en 1988 avec une vingtaine d’étudiants comme une antenne de l’école nationale supérieure d’architecture de Montpellier, l’école d’architecture de La Réunion (ENSA La Réunion) est devenue en septembre 2023, sous la houlette conjointe de Rima Abdul Malak, ministre de la Culture, de Sylvie Retailleau, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et de Philippe Vigier, ministre délégué chargé des Outre-mer, la première ENSA en outre-mer, le décret daté du 30 janvier 2025 avec entrée en vigueur depuis le 1er mars 2025 entérinant la naissance officielle.

Après le temps des pionniers et des pirates, celui de la normalisation et de l’administration tatillonne ? Certainement mais l’ENSA La Réunion est cependant parvenue autour du climat tropical de l’île à créer et conserver une identité et des compétences propres qui font sa singularité et qui risquent de se révéler fort utiles dans la France +5°.

Ce d’autant plus que « la faiblesse du pilotage des Ensa par le ministère de la Culture »** et l’isolement géographique devraient laisser une large marge d’autonomie à cette ENSA dans ce domaine. D’où l’importance de l’exemplarité attendue de cette nouvelle école autant que du bâtiment lui-même.

« L’école doit permettre de montrer tout ce que nous avons expérimenté depuis 20 ans. Pour autant elle ne doit pas être un catalogue de type concours Lépine mais un bâtiment référencé : nous devons pouvoir expliquer pourquoi il est sur pilotis, pourquoi les porte-à-faux, rapporter une histoire et des références, etc. », souligne Olivier Brabant. Arrivé de Marseille, diplômé de Luminy, il est installé sur l’île depuis 25 ans et à la tête d’une agence de dix personnes. Il reconnaît volontiers n’avoir rien su de l’architecture tropicale avant son arrivée. Aujourd’hui, il explique « qu’un bâtiment est comme un bateau qui se règle sans machinerie ; un bâtiment en ventilation naturelle, c’est un voilier ».

Il y a plus ou moins 200 architectes à La Réunion – il y en avait une dizaine il y a 50 ans – et la nouvelle école est dimensionnée pour environ 200 étudiants. Le Port, la commune où elle est située, est une ville jeune dans les deux sens du terme (création en 1895 et 47 % des Portois ont moins de 30 ans).

Alors oui, la responsabilité de l’architecte de cette 21ème ENSA est grande.

Jane Coulon, architecte DPLG, est devenue en 2014 la première enseignante titulaire de l’école d’architecture de La Réunion. « J’arrive de Paris en 2002, il n’y avait alors pas autant d’architectes et d’agences mais il y avait beaucoup de travail – il y a toujours beaucoup de travail – avec la défiscalisation certes mais aussi parce qu’il y avait beaucoup de besoins de logements et d’équipements à construire », dit-elle. Elle travaille en agence, commence à enseigner dès 2003 – dans l’école d’architecture conçue par Architecture Studio au détour des années 2000, désormais trop petite – et dirige aujourd’hui une agence d’une quinzaine de personnes.

« Tous les enseignants [de l’ENSA La Réunion] ont une pratique, c’est très très important », assure-t-elle, expliquant que le Groupe de Recherche sur les Espaces et Architectures Tropicaux (GREAT) fédère par ailleurs les enseignants-chercheurs de l’école. « Il s’agit d’un laboratoire destiné à la recherche appliquée, théorique et pratique car nous formons à un métier », dit-elle.

Elle aussi se souvient « tomber des nues » en posant les pieds sur l’île. « Il y avait bien la question du bioclimatisme qui se faisait jour mais en arrivant je ne savais pas construire avec le climat ». Aujourd’hui, en guise de « trucs et astuces », elle estime « exemplaire » la conception de la nouvelle école. « Audacieuse, super-innovante, ouverte sur les vents, la ville, les jardins… La réflexion a été poussée assez loin pour aboutir à des dispositifs simples d’usage et pas coûteux à réaliser. Pour ce petit territoire, il s’agira d’un élément remarquable et, sans la clim, en avance sur son temps », assure-t-elle.

Ce ne sont pas-là vœux paresseux de vacanciers des îles puisqu’Olivier Brabant pour son école travaille en soufflerie avec le laboratoire parisien Aérodynamique Eiffel. L’école sera ventilée comme au XXIe siècle !

Les Alizés sont un « trésor », assure-t-il. « Une richesse », abonde Jane Coulon. « Pour construire ici, il faut un grand chapeau pour protéger du soleil et de la pluie, des bottes étanches (les fondations) et il faut que l’ensemble soit ventilé », dit-elle. L’exercice est certes plus difficile en métropole avec une réglementation thermique et énergétique plus complexe que sous les tropiques. « Nous n’avons pas de problématique d’étanchéité à l’air. Qui plus est, nous disposons de dispositifs de façade et surtoiture peu onéreux », remarque-t-elle. Un modèle pour la RE 2030 en métropole quand la Vendée sera devenue la Camargue et la Camargue un bayou tropical ?

Ce d’autant qu’à La Réunion, les quatre mois d’été – chaleur et humidité – sont au niveau de la mer une punition. D’ailleurs Olivier Brabant se réjouit encore de l’ingéniosité des cases, ou villas, traditionnelles qui, dit-il, sont « magnifiques d’intelligence climatique ». « Les persiennes, les ouvrants, les cloisons d’une certaine hauteur, les basculants, le rapport au jardin… Elles témoignent d’un savoir-faire ancestral, unique. Il suffit de regarder et de réinterpréter et faire évoluer le modèle mais les mêmes bases demeurent : l’Alizé souffle toujours dans le même sens ».

Des études montrent qu’il fera dans le sud de la France, en à peine une ou deux décennies, la température de Séville, en Espagne. Séville est une ville très agréable parce qu’elle est adaptée à son (ancien) climat. C’est une certitude, il fait et fera de plus en plus chaud en Europe et en France, avec des pluies de plus en plus violentes. « Nous avons nous ici l’habitude des pluies torrentielles », remarque sans ironie Jane Coulon qui espère que toutes les recherches et processus développés à La Réunion prospèrent dans les ENSA de métropole pour se révéler savoir-faire utiles. « Il faut que ça percole », dit-elle. C’est aussi le souhait d’Olivier Brabant que cette culture insulaire « infuse ».

Il est clair que, dans l’Hexagone, pourtant dans un autre hémisphère, dans le domaine de l’architecture et de la construction, les femmes et hommes de l’art, les élus et les maîtres d’ouvrage devraient bientôt découvrir des appréciations du risque et des préoccupations d’urgence différentes que celles dont ils ont pris la confortable habitude. Jusqu’à en découvrir les vertus et richesses de l’outre-mer ? Des îles, une nouvelle épice architecturale ?

Bref, en regard de la rapide transformation des conditions climatiques partout dans le monde, en métropole en particulier, la responsabilité de cette école – l’ENSA et l’équipement – est écrasante tant elle a valeur d’exemple et d’un espoir raisonnable.

Et en ce pays, une 21ème école d’architecture (sans compter l’INSA Strasbourg, l’ESA et Confluences), ce n’est sans doute pas trop demander comparé aux 150 écoles de commerce et 200 écoles d’ingénieurs qui leur font concurrence.

Christophe Leray, le 28/04/2025
Chroniques d’archtecture / Alizées Réunion

* Découvrir en images la présentation détaillée du projet : À La Réunion, une ENSA 0 % Matières grasses ; 0 % Morosité ; 100 % Porosité
** In Les écoles nationales d’architecture (ENSA). Étude à l’attention de la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale, par le Haut Conseil à l’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement supérieur (Hcéres) . Avril 2023

Texte intégral (1853 mots)

Voyons. Quel sentiment peut bien éprouver, au XXIe siècle, l’architecte de la XXIème ENSA, nouvelle école d’architecture de La Réunion, officiellement créée le 1ᵉʳ mars 2025 et dont la livraison toutes voiles dehors est prévue au Port en 2027 ? « Construire ici une nouvelle école d’architecture est une mise en abîme. Je suis architecte et je construis une école d’architecture pour de futurs architectes et pour tous les architectes qui y enseigneront. C’est angoissant ! », indique Olivier Brabant, l’auteur de l’ouvrage.

Créée en 1988 avec une vingtaine d’étudiants comme une antenne de l’école nationale supérieure d’architecture de Montpellier, l’école d’architecture de La Réunion (ENSA La Réunion) est devenue en septembre 2023, sous la houlette conjointe de Rima Abdul Malak, ministre de la Culture, de Sylvie Retailleau, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et de Philippe Vigier, ministre délégué chargé des Outre-mer, la première ENSA en outre-mer, le décret daté du 30 janvier 2025 avec entrée en vigueur depuis le 1er mars 2025 entérinant la naissance officielle.

Après le temps des pionniers et des pirates, celui de la normalisation et de l’administration tatillonne ? Certainement mais l’ENSA La Réunion est cependant parvenue autour du climat tropical de l’île à créer et conserver une identité et des compétences propres qui font sa singularité et qui risquent de se révéler fort utiles dans la France +5°.

Ce d’autant plus que « la faiblesse du pilotage des Ensa par le ministère de la Culture »** et l’isolement géographique devraient laisser une large marge d’autonomie à cette ENSA dans ce domaine. D’où l’importance de l’exemplarité attendue de cette nouvelle école autant que du bâtiment lui-même.

« L’école doit permettre de montrer tout ce que nous avons expérimenté depuis 20 ans. Pour autant elle ne doit pas être un catalogue de type concours Lépine mais un bâtiment référencé : nous devons pouvoir expliquer pourquoi il est sur pilotis, pourquoi les porte-à-faux, rapporter une histoire et des références, etc. », souligne Olivier Brabant. Arrivé de Marseille, diplômé de Luminy, il est installé sur l’île depuis 25 ans et à la tête d’une agence de dix personnes. Il reconnaît volontiers n’avoir rien su de l’architecture tropicale avant son arrivée. Aujourd’hui, il explique « qu’un bâtiment est comme un bateau qui se règle sans machinerie ; un bâtiment en ventilation naturelle, c’est un voilier ».

Il y a plus ou moins 200 architectes à La Réunion – il y en avait une dizaine il y a 50 ans – et la nouvelle école est dimensionnée pour environ 200 étudiants. Le Port, la commune où elle est située, est une ville jeune dans les deux sens du terme (création en 1895 et 47 % des Portois ont moins de 30 ans).

Alors oui, la responsabilité de l’architecte de cette 21ème ENSA est grande.

Jane Coulon, architecte DPLG, est devenue en 2014 la première enseignante titulaire de l’école d’architecture de La Réunion. « J’arrive de Paris en 2002, il n’y avait alors pas autant d’architectes et d’agences mais il y avait beaucoup de travail – il y a toujours beaucoup de travail – avec la défiscalisation certes mais aussi parce qu’il y avait beaucoup de besoins de logements et d’équipements à construire », dit-elle. Elle travaille en agence, commence à enseigner dès 2003 – dans l’école d’architecture conçue par Architecture Studio au détour des années 2000, désormais trop petite – et dirige aujourd’hui une agence d’une quinzaine de personnes.

« Tous les enseignants [de l’ENSA La Réunion] ont une pratique, c’est très très important », assure-t-elle, expliquant que le Groupe de Recherche sur les Espaces et Architectures Tropicaux (GREAT) fédère par ailleurs les enseignants-chercheurs de l’école. « Il s’agit d’un laboratoire destiné à la recherche appliquée, théorique et pratique car nous formons à un métier », dit-elle.

Elle aussi se souvient « tomber des nues » en posant les pieds sur l’île. « Il y avait bien la question du bioclimatisme qui se faisait jour mais en arrivant je ne savais pas construire avec le climat ». Aujourd’hui, en guise de « trucs et astuces », elle estime « exemplaire » la conception de la nouvelle école. « Audacieuse, super-innovante, ouverte sur les vents, la ville, les jardins… La réflexion a été poussée assez loin pour aboutir à des dispositifs simples d’usage et pas coûteux à réaliser. Pour ce petit territoire, il s’agira d’un élément remarquable et, sans la clim, en avance sur son temps », assure-t-elle.

Ce ne sont pas-là vœux paresseux de vacanciers des îles puisqu’Olivier Brabant pour son école travaille en soufflerie avec le laboratoire parisien Aérodynamique Eiffel. L’école sera ventilée comme au XXIe siècle !

Les Alizés sont un « trésor », assure-t-il. « Une richesse », abonde Jane Coulon. « Pour construire ici, il faut un grand chapeau pour protéger du soleil et de la pluie, des bottes étanches (les fondations) et il faut que l’ensemble soit ventilé », dit-elle. L’exercice est certes plus difficile en métropole avec une réglementation thermique et énergétique plus complexe que sous les tropiques. « Nous n’avons pas de problématique d’étanchéité à l’air. Qui plus est, nous disposons de dispositifs de façade et surtoiture peu onéreux », remarque-t-elle. Un modèle pour la RE 2030 en métropole quand la Vendée sera devenue la Camargue et la Camargue un bayou tropical ?

Ce d’autant qu’à La Réunion, les quatre mois d’été – chaleur et humidité – sont au niveau de la mer une punition. D’ailleurs Olivier Brabant se réjouit encore de l’ingéniosité des cases, ou villas, traditionnelles qui, dit-il, sont « magnifiques d’intelligence climatique ». « Les persiennes, les ouvrants, les cloisons d’une certaine hauteur, les basculants, le rapport au jardin… Elles témoignent d’un savoir-faire ancestral, unique. Il suffit de regarder et de réinterpréter et faire évoluer le modèle mais les mêmes bases demeurent : l’Alizé souffle toujours dans le même sens ».

Des études montrent qu’il fera dans le sud de la France, en à peine une ou deux décennies, la température de Séville, en Espagne. Séville est une ville très agréable parce qu’elle est adaptée à son (ancien) climat. C’est une certitude, il fait et fera de plus en plus chaud en Europe et en France, avec des pluies de plus en plus violentes. « Nous avons nous ici l’habitude des pluies torrentielles », remarque sans ironie Jane Coulon qui espère que toutes les recherches et processus développés à La Réunion prospèrent dans les ENSA de métropole pour se révéler savoir-faire utiles. « Il faut que ça percole », dit-elle. C’est aussi le souhait d’Olivier Brabant que cette culture insulaire « infuse ».

Il est clair que, dans l’Hexagone, pourtant dans un autre hémisphère, dans le domaine de l’architecture et de la construction, les femmes et hommes de l’art, les élus et les maîtres d’ouvrage devraient bientôt découvrir des appréciations du risque et des préoccupations d’urgence différentes que celles dont ils ont pris la confortable habitude. Jusqu’à en découvrir les vertus et richesses de l’outre-mer ? Des îles, une nouvelle épice architecturale ?

Bref, en regard de la rapide transformation des conditions climatiques partout dans le monde, en métropole en particulier, la responsabilité de cette école – l’ENSA et l’équipement – est écrasante tant elle a valeur d’exemple et d’un espoir raisonnable.

Et en ce pays, une 21ème école d’architecture (sans compter l’INSA Strasbourg, l’ESA et Confluences), ce n’est sans doute pas trop demander comparé aux 150 écoles de commerce et 200 écoles d’ingénieurs qui leur font concurrence.

Christophe Leray, le 28/04/2025
Chroniques d’archtecture / Alizées Réunion

* Découvrir en images la présentation détaillée du projet : À La Réunion, une ENSA 0 % Matières grasses ; 0 % Morosité ; 100 % Porosité
** In Les écoles nationales d’architecture (ENSA). Étude à l’attention de la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale, par le Haut Conseil à l’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement supérieur (Hcéres) . Avril 2023

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