30.04.2025 à 11:08
Nadim Fevrier
Depuis les élections fédérales du 21 mai 2022, l’Australie est dirigée par Anthony Albanese, chef du Parti travailliste et Premier ministre du Commonwealth. Après neuf ans de gouvernement de la « Coalition », regroupant les différents partis conservateurs du pays, l’Australie a connu une alternance fortement attendue. Alors que les Australiens doivent se rendre aux urnes ce 3 mai, l’Insoumission se penche aujourd’hui sur le bilan du gouvernement travailliste, les leçons à tirer de son action, et les perspectives tracées par le spectre du retour de la Coalition au pouvoir. Notre article.
C’était la promesse d’Anthony Albanese lors de son discours de victoire donné aux militants et électeurs de l’ALP (Australian Labor Party, Parti travailliste australien) le soir du 21 mai 2022. Le contraste avec le gouvernement libéral sortant saute aux yeux. Le gouvernement de Scott Morrison, champion d’impopularité dans l’histoire politique australienne récente, a essuyé un camouflet considérable, alors que le Labor a remporté à lui seul une majorité absolue des sièges à la Chambre des Représentants.
Déjà en 2019, Morrison a été qualifié de « miraculé », tant la troisième victoire consécutive de la Coalition aux élections fut surprenante. « Un gouvernement aussi courageux, travailleur et attentionné que le sont les Australiens. » affirmait alors « Albo », devant une foule euphorique. Quelles sont les raisons d’une victoire aussi attendue que retentissante ?
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En 2022, la Coalition (regroupant le Parti Libéral, le Parti National, le Parti Libéral National du Queensland et le Parti Libéral Rural du Territoire du Nord), au pouvoir depuis 2013, se trouva fort dépourvue lorsque l’heure du bilan fut venue. Scott Morrison, Premier ministre entre 2018 et 2022, est surtout connu en France pour l’affaire des sous-marins, lors de laquelle l’Australie tourna le dos à la France pour une commande de sous-marins, préférant acheter ceux-ci aux États-Unis.
Un revers pour la bonne entente entre notre pays et l’Australie. Sur le plan national, la coalition sortante n’a pas brillé par la grandeur de son bilan. Entre 2018 et 2022, le gouvernement Morrison a dû faire face aux crises liées à la pandémie de Covid-19, à l’augmentation du coût de la vie et aux mégafeux qui ont ravagé les forêts du pays entre décembre 2019 et janvier 2020. Une catastrophe climatique d’ampleur record qui interroge la capacité de l’Australie à faire face à la multiplication à venir des épisodes de ce genre.
C’est finalement la question climatique qui a tranché le choix de bon nombre d’électeurs australiens à l’approche du scrutin de mai 2022. Une promesse d’Anthony Albanese de réduire de 43 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 a permis, parmi bien d’autres éléments, la victoire de l’ALP.
La persistance de la crise du logement, et sa prépondérance dans la vie des jeunes Australiens, a aussi eu un rôle déterminant dans le choix de ces derniers dans l’isoloir. Les Australiens âgés de 12 à 35 ans sont les plus susceptibles de faire face au sans-abrisme. Par ailleurs, d’année en année, de plus en plus d’Australiens âgés de 15 à 24 ans font le choix de rester dans le foyer familial à l’issue de leurs études (42 % en 2021 contre 38 % en 2011), faute d’un logement décent et abordable (chiffres : Australian Housing and Urban Research Institute, 2023).
Enfin, le gel des salaires, qui a persisté entre 2012 et 2022 sous l’égide de la Coalition, a transformé les bulletins de paie en oboles, et a durablement affecté la santé financière des foyers australiens. ABC News Australia estimait en mars 2025 que la stagnation salariale décidée par la Coalition est responsable d’une différence de 12 000 dollars australiens (A$) par an entre le niveau actuel des salaires, et celui qu’ils auraient atteint sans le gel.
Plus encore, ce gel aurait atteint un niveau si sévère que son rôle dans la crise du logement est devenu l’une des causes principales de sa persistance. En somme, les années Morrison furent une période d’attaque de la qualité du niveau de vie des Australiens, et d’inaction face à la multiplication des catastrophes climatiques qui ont touché le pays.
Le système électoral australien est bien différent du système français. Ni scrutin proportionnel, ni scrutin à deux tours : le pays d’en bas est doté d’un système dit « préférentiel ». Sur un seul bulletin, chaque électeur vote deux fois, en classant les candidats par préférence. Un chiffre est attribué à chaque candidat (1, 2, 3…) et les trois candidats en tête sont départagés dans un deuxième vote selon les préférences exprimées par les électeurs. Cela peut donner lieu à des situations particulières. Le second tour instantané est systématique et peut faire s’affronter un candidat ayant obtenu la majorité absolue au premier décompte, avec le candidat arrivé en deuxième ou troisième position.
Ainsi en 2022, dans la circonscription de Grayndler où est élu Anthony Albanese, celui-ci s’est hissé en tête avec 54 % des suffrages exprimés. Le second tour instantané lui a permis de s’imposer, d’une part face au candidat des Verts (67 % contre 33 %) arrivé en deuxième position au premier tour avec 22 % des voix, et face au candidat de la Coalition (79 % contre 21 %) arrivé en troisième position avec 16 % des voix. Le système préférentiel permet donc aux Australiens de s’exprimer sans contrainte.
Il donne lieu à des scénarios originaux, mais aussi à une scène politique de plus en plus diversifiée. En 2022, le parti des Verts d’Australie (Australian Greens) est parvenu à gagner 4 sièges à la Chambre et 6 sièges au Sénat. Ils pourraient être les faiseurs de roi ce 3 mai, alors que ni l’ALP, ni la Coalition ne sont certains de maintenir, ou de reconquérir une majorité absolue des sièges à la Chambre des Représentants. D’autres candidats, notamment les « Teal Independents » (Indépendants Turquoise, centristes progressistes), sont aussi parvenus à gagner des sièges dans l’actuelle législature.
Le Parlement australien est composé d’une Chambre des Représentants de 151 sièges (150 pour l’élection de 2025) et d’un Sénat de 76 sièges. Pour le moment, l’ALP dispose de 77 sièges sur 151, contre 53 sièges pour la Coalition, et 19 sièges pour les « crossbenchers », c’est-à-dire les députés ne s’insérant ni dans la majorité, ni dans l’opposition.
Deux sièges sont vacants : un gagné par la Coalition en 2022, l’autre par l’ALP. Le défi de l’ALP sera de maintenir sa majorité absolue, alors que, de leur côté, les Verts d’Australie et certains indépendants entendent le mettre en situation de majorité relative, et décider de la future majorité à l’issue de ce scrutin incertain. Sur quel bilan l’ALP peut-il s’appuyer pour que les Australiens lui renouvellent leur confiance ?
Après neuf ans de gouvernement de Coalition, les chantiers étaient nombreux et vastes. Emploi, santé, environnement, droits des Aborigènes… Anthony Albanese avait de la Vegemite sur la tartine. Trois ans plus tard, que tirer de son action ? Les critiques à l’égard du gouvernement travailliste, venant de la gauche comme de la droite, sont-elles injustes ? Infondées ? Légitimes ? Anthony Albanese fut confronté à une situation sociale tendue, dans un pays en voie de précarisation. Comment a évolué la situation héritée de l’action de la Coalition ?
Dans 82 % des circonscriptions électorales australiennes, la majorité des foyers sont en situation de « stress financier », contre seulement 8 % en 2022 : boucler les fins de mois, payer le loyer à temps, faire les courses sans stresser… deviennent des tâches de moins en moins anodines. Une situation sociale persistante qui pourra coûter des voix à l’ALP le 3 mai, alors que de plus en plus d’Australiens vivent d’un bulletin de paie au suivant avec pas ou peu de possibilité d’épargne.
L’inflation est persistante, mais en baisse. Certes, ce phénomène n’a épargné personne. Le gouvernement « Albo » a donc pris une série de mesures pour y faire face. La mesure principale vise les jeunes Australiens et concerne l’annulation d’une partie de la dette étudiante. En novembre 2024, Albo annonçait une annulation moyenne de la dette de 5 500 A$ par étudiant, ou au moins 20 % par étudiant. En avril 2025, il a annoncé l’augmentation des salaires au-dessus du taux d’inflation. Le salaire minimum horaire avait déjà été augmenté d’1 A$ dès l’arrivée de l’ALP au pouvoir. Le résultat semble concret : l’inflation annuelle est tombée à environ 2 % en 2025. Anthony Albanese affirme donc dans un discours le 5 novembre 2024 que « le pire est derrière nous » concernant la vague d’inflation.
Rappelons que l’inflation n’a pas commencé sous le gouvernement Albanese, mais s’inscrit dans la continuité du long bilan de la Coalition au pouvoir. En novembre 2024, le journal The Guardian indiquait que le taux d’inflation était déjà de plus de 6 % avant la victoire de l’ALP. En somme, Albo et l’ALP soulignent que l’on ne peut pas défaire en trois ans ce que la Coalition a fait en neuf ans.
Cependant, le malaise persiste. En effet, de nombreux Australiens, de tous les âges et de tous les horizons, se sentent délaissés par le gouvernement travailliste actuel. Ainsi une majorité d’électeurs considèrent encore que le coût de la vie est leur préoccupation principale en pensant à l’élection à venir. La crise du logement demeure.
Cependant, la Coalition peine à s’imposer, d’une part, comme étant capable de revenir au pouvoir après trois ans dans l’opposition, et d’autre part, comme une vraie alternative à Albo. La Coalition, c’est un lourd bilan de neuf années de casse sociale et de détricotage d’un système de santé déjà fragile. Depuis 2022, elle est menée par Peter Dutton, député de Dickson (Queensland) et ancien ministre de la Santé. Le chef de file du Parti Libéral pour ces élections assure vouloir apporter du changement en Australie, en tirant à boulets bleus sur le bilan du Premier ministre sortant. Toutefois, il serait trop facile d’espérer revenir aux commandes en faisant oublier le lourd bilan de son parti.
Le 11 février 2025, Mark Butler, ministre travailliste de la Santé et des Personnes âgées et député d’Hindmarsh (Australie du Sud), mettait la Coalition face à son bilan en matière de santé. Ce jour-là, Terry Young, député libéral de Longman (Queensland), l’interpella sur les difficultés des Australiens à avoir recours au tiers-payant chez leur médecin généraliste.
Celui-ci répondit : « Pourquoi y a-t-il une crise du tiers-payant en Australie ? Qui a dit qu’il existait trop de services médicaux gratuits dans ce pays ? Qui a essayé d’abolir le système de tiers-payant dans son ensemble ? Qui […] a gelé les remboursements de Medicare pendant six longues années ? » De quoi rougir pour un parti faisant campagne sur la hausse du coût de la vie en Australie. Alors, qui est responsable de cela ? Nul autre que Peter Dutton, prétendant libéral à la chefferie du gouvernement australien.
Par ailleurs, au fur et à mesure que la campagne avance, Peter Dutton et les membres de son cabinet fantôme (NB : ce que serait le gouvernement en cas de victoire de la Coalition) se voient souvent reprocher de faire du Donald Trump, en version édulcorée. C’est simple. Pour éviter toute question sur un possible retour sur certaines avancées sociales, la Coalition lance des paniques morales futiles et dépourvues de sens dès que cela est possible.
Récemment, Jacinta Price, membre du Parti Libéral Rural et ministre fantôme aux Affaires autochtones, a affirmé le 12 avril vouloir « Make Australia Great Again » en écho au slogan signature du 47e président américain. Un avant-goût de ce à quoi auront droit les Australiens pendant les trois prochaines années si Peter Dutton arrive aux commandes.
Plus largement, Peter Dutton fait tout simplement peur. Ce sont les mots d’une enquête menée auprès de l’opinion publique australienne par les équipes de l’ALP. « Extrême, flippant [sic], agressif, sans charme, trop “Trumpesque”, (…) un branleur [sic] » Rien de positif pour le chef de l’opposition. Dans un article du 5 avril 2025, le Daily Telegraph d’Australie rapporte les dires d’un électeur de la circonscription de Leichhardt (Queensland) : « Je n’aime pas le chef actuel du Parti Libéral, Peter Dutton. Il ne soutient pas son propre programme, il ne fait que parler. Il dit beaucoup de choses juste pour faire le même effet que Trump. Il me fait peur. »
L’effet Trump semble donc ne fonctionner qu’aux États-Unis. Le souhait des électeurs d’avoir un Premier ministre capable de tenir tête à ce dernier, dans un contexte de guerre commerciale accrue et de volonté expansionniste du locataire de la Maison-Blanche, semble favoriser le gouvernement travailliste sortant.
L’ALP n’est pas le seul parti de gauche existant en Australie. Encore heureux, si l’on en croit le chef des Verts Australiens, Adam Bandt. Le député de Melbourne (Victoria) souligne que le programme et l’action de l’ALP, malgré le contraste évident avec le bilan de la Coalition, restent insuffisants. Est-ce vraiment le cas ? Le programme des Verts Australiens semble en effet se rapprocher le plus de celui d’une gauche de rupture, dans un pays où crise sociale et crise climatique ne font qu’une dans la vie quotidienne des habitants.
Lors d’une session de questions au gouvernement, le 27 mars 2025, Adam Bandt affirmait en réponse à la proposition de budget du gouvernement Albanese : « Si vous êtes inquiets par la hausse du coût de la vie, vous n’êtes pas seuls. Si vous vous demandez comment vous, ou vos enfants, pouvez être en mesure d’acheter une maison, vous n’êtes pas seuls. Si vous pensez que dans un pays riche comme le nôtre, tout le monde devrait pouvoir vivre décemment, vous n’êtes pas seuls. »
Les questions sociales sont donc au cœur du programme des Verts, contrairement à ce qu’avance la droite, selon laquelle ces derniers sont des sortes de hippies utopistes sans véritable horizon politique. Adam Bandt parvient donc à lier social et climat, en voulant par exemple taxer de manière conséquente les géants pétroliers australiens, qui gagnent de l’argent en compromettant la santé des Australiens, et en saccageant les terres ancestrales des Aborigènes. Une mesure longtemps rejetée par l’ALP.
En 2022, le parti écologiste a su faire bonne impression auprès des électeurs, avec 12 % des voix, quatre députés et six sénateurs élus (un gain de trois sièges dans chaque chambre du Parlement). Dans son même discours du 27 mars 2025, Adam Bandt affirmait : « Nous aurions pu faire beaucoup de choses si le Labor (…) avait travaillé avec les Verts pour obtenir des résultats tout de suite. »
En effet, le chef des Verts affirme sans cesse que l’ALP ne va pas assez loin. Plus encore, il semble que certaines mesures adoptées, ou promises par ce dernier, ne le sont que grâce à la pression exercée par les Verts. C’est le cas de deux mesures. Dans le budget 2025, l’ALP a fait adopter une mesure permettant de consulter gratuitement un médecin généraliste, et une autre effaçant une partie de la dette étudiante. Ces deux mesures, initialement non prévues par l’ALP, ont été adoptées grâce à l’intervention des Verts dans le débat budgétaire.
Adam Bandt, chef des Verts, tient aussi une ligne claire sur la condamnation du génocide à Gaza en demandant la prise de sanctions contre Netanyahu. Le 20 avril, il déclarait : « Non, il n’est pas exagéré de dire que notre gouvernement est complice du génocide en cours à Gaza. Le droit international est clair : en cas de génocide, les nations doivent tenter de l’arrêter. Pourtant, le Parti travailliste poursuit son commerce d’armes avec Netanyahou sans agir ni imposer de sanctions. C’est de la complicité. »
Par ailleurs, dans le cadre de la campagne électorale, Anthony Albanese a récemment affirmé vouloir adopter une loi bannissant les marges indues sur les prix des denrées alimentaires, et sur toute une gamme de produits de la vie quotidienne. C’est une mesure que les Verts australiens ont soutenue depuis que le phénomène s’est répandu ces trois dernières années.
Dans le cadre de la campagne électorale, une large partie de l’opinion publique s’accorde à dire qu’il semble très compliqué pour l’ALP de renouveler sa majorité absolue à la Chambre des Représentants. Dès lors, les résultats obtenus par les Verts, ainsi que de certains indépendants, le 3 mai, seront cruciaux pour déterminer la balance politique au Parlement australien et décider de la direction que prendra l’Australie durant les trois années à venir.
Une partie de la jeunesse compte se rendre aux urnes avec ce message en tête : « Verts en premier, Labor en deuxième, Libéraux jamais. » Un moyen efficace et effectif de faire pression sur un gouvernement qui vient de loin, mais à qui l’on doit imposer, dans un combat parlementaire toujours inachevé, d’aller plus vite, avec plus d’audace.
Par Bastien
Crédits photo : « Official portrait of Australian Prime Minister Anthony Albanese », Australian Government, Wikimedias Commons, CC BY 4.0, pas de modifications apportées.
30.04.2025 à 07:59
aleaument
29.04.2025 à 17:34
Nadim Fevrier