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01.07.2025 à 06:00

L'Arabie saoudite menacée par l'hégémonie israélienne au Proche-Orient

Umer Karim

Malgré d'indéniables succès stratégiques, l'Arabie saoudite est désormais confrontée à une remise en cause de sa doctrine sécuritaire en raison de l'émergence d'Israël comme seule puissance dominante de la région. Depuis la guerre de juin 1967, le Proche-Orient est marqué par la supériorité militaire du seul acteur régional non arabe, Israël. Cette supériorité, combinée à ses ambitions coloniales et territoriales, a assigné à Tel-Aviv un rôle d'acteur de premier plan, mais sans modifier à (…)

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Texte intégral (2164 mots)

Malgré d'indéniables succès stratégiques, l'Arabie saoudite est désormais confrontée à une remise en cause de sa doctrine sécuritaire en raison de l'émergence d'Israël comme seule puissance dominante de la région.

Depuis la guerre de juin 1967, le Proche-Orient est marqué par la supériorité militaire du seul acteur régional non arabe, Israël. Cette supériorité, combinée à ses ambitions coloniales et territoriales, a assigné à Tel-Aviv un rôle d'acteur de premier plan, mais sans modifier à lui seul l'équilibre des forces, y compris après les accords de paix avec l'Égypte (1979) et la Jordanie (1994).

Dans la péninsule arabique, Israël est resté politiquement insignifiant. Même les accords d'Abraham (2020) qui ont mené à la normalisation d'Israël avec les Émirats arabes unis, le Bahreïn, le Maroc et, à un moindre niveau, le Soudan, n'ont pas permis de l'intégrer dans les dynamiques régionales avec un véritable impact stratégique. Les tentatives de la plupart des États du Golfe de se rapprocher de l'Iran, et la réconciliation entre celui-ci et l'Arabie saoudite le prouvent.

Mais les attaques lancées par le Hamas le 7 octobre 2023 contre Israël ont entériné un changement de la position israélienne dans le paysage politique régional. Cela est dû à la capacité d'Israël à projeter sa toute-puissance militaire et à imposer son autonomie stratégique, non seulement au Levant mais aussi des deux côtés, arabe et iranien, des voies maritimes du Golfe. La dernière attaque d'Israël contre l'Iran, qui a débuté le 13 juin 2025, est l'aboutissement de sa supériorité stratégique dans la région, entérinée par les États-Unis. Cette évolution a des conséquences évidentes pour l'équilibre régional, en particulier pour l'Arabie saoudite, qui veut conquérir une position de leader régional.

Le tournant syrien

L'Arabie saoudite a conquis un rôle régional prépondérant depuis la fin de l'Égypte nassérienne en 1970. Malgré l'apparition de « challengers » arabes occasionnels, comme la Libye de Mouammar Kadhafi ou l'Irak de Saddam Hussein, la place dominante du royaume saoudien dans le monde arabe sunnite, grâce à sa puissance financière fondée sur le pétrole et à son soft power religieux, n'a jamais été vraiment contestée. Il a toutefois été confronté à un test après les révolutions arabes de 2011, quand l'Iran a réussi à étendre son influence sur quatre capitales régionales — Beyrouth, Damas, Sanaa et Bagdad — tandis que le Qatar et la Turquie défiaient également, mais en vain, son influence régionale. Surtout, la faiblesse militaire de l'Arabie saoudite est apparue au grand jour avec son intervention militaire au Yémen (2015) et son incapacité à déloger les Houthistes de la capitale yéménite, Sanaa.

Avec la chute du régime de Bachar Al-Assad le 8 décembre 2024 et la prise de pouvoir des rebelles sunnites en Syrie, Riyad a acquis à Damas un nouvel allié, renforçant son influence, cette fois aux dépens de l'Iran. Toutefois, comme en 1967 quand elle a profité du coup porté par Israël à l'Égypte et à la Syrie, sa nouvelle position est le résultat indirect des opérations militaires israéliennes. Mais aujourd'hui Israël ne se contente plus d'influer épisodiquement sur l'architecture sécuritaire de la région. Il veut dicter ses conditions en tant qu'unique hégémon1 régional grâce à sa force militaire et technologique incontestée. L'attaque contre l'Iran est un exemple éclatant de cette stratégie. Or son hégémonie ne peut que menacer la gouvernance économique des États du Golfe ainsi que les tentatives d'intégration régionale de l'Iran2.

Ces dernières années, l'Arabie saoudite a tenté un début d'engagement avec Israël tout en dénonçant fermement ses actions dans la région, critiques qui se sont accentuées depuis le 7 octobre 2023. Elle préside le groupe de contact arabe sur Gaza mandaté lors d'une session extraordinaire par la Ligue arabe et l'Organisation de la coopération islamique (OCI) pour dialoguer avec les parties prenantes internationales afin de mettre fin à la guerre3. De même, Riyad a dirigé les efforts arabes pour proposer en mars 2025 une contre-initiative de reconstruction du territoire palestinien — financée par les États du Golfe — comme solution de rechange au plan du président américain Donald Trump de transformer la bande de Gaza en « Riviera du Proche-Orient », un projet qui signifierait le nettoyage ethnique de ses habitants.

Peser sur l'administration américaine

La plus grande victoire politique de Riyad vis-à-vis d'Israël est sans doute advenue le 13 mai 2025, lorsque le prince héritier Mohamed Ben Salman (MBS) a réussi à convaincre Donald Trump de lever les sanctions imposées à la Syrie. Ainsi, en utilisant judicieusement son levier économique et celui de ses investissements, l'Arabie saoudite a, pour la première fois, réussi à peser sur une administration américaine afin qu'elle change un pilier de sa politique régionale dans un sens contraire aux intérêts d'Israël. C'est précisément ce qui manque à Israël dans ses relations avec les États-Unis : elles restent en grande partie une voie à sens unique même si la dynamique perdure.

L'Arabie saoudite a bien compris que la stabilité et la paix dans la région étaient primordiales pour atteindre les objectifs de son plan Vision 2030, attirer des investissements à grande échelle et faire du royaume un hub pour des projets de connexion inter et intra-régionaux comme le Corridor économique Inde-Moyen-Orient-Europe (IMEC)4. Ce qui a contraint l'Arabie saoudite à adopter l'approche « zéro problème »5 avec tous les acteurs de la région, d'où son rapprochement avec le Qatar, la Turquie, l'Iran, et la trêve avec les rebelles houthistes au Yémen.

Violation de la souveraineté aérienne du Qatar

L'attaque israélienne contre la République islamique a déclenché une cascade d'événements ayant abouti au bombardement par les États-Unis, dans la nuit du 21 au 22 juin, des installations nucléaires iraniennes, suivi de tirs symboliques de missiles, en riposte, contre une base américaine au Qatar. Pour l'instant, cette confrontation n'a pas dégénéré en une guerre régionale qui aurait pu entraîner le ciblage des infrastructures pétrolières à la fois en Iran et dans le Golfe, ainsi qu'une éventuelle tentative iranienne de bloquer le trafic maritime dans le détroit d'Ormuz, un passage stratégique. Cela dit, elle a conduit à la violation par Téhéran de la souveraineté aérienne d'un État du Golfe, le Qatar. Un tel épisode a le potentiel de saboter les efforts de l'Arabie saoudite pour parvenir à un rapprochement avec l'Iran.

Il est également certain que le bénéfice politique que l'Arabie saoudite a obtenu avec la chute de Bachar Al-Assad et l'affaiblissement de l'Iran, et qu'elle tente d'exploiter pour engranger des dividendes politiques et économiques grâce à la paix et à la stabilité régionales, est mis à l'épreuve. Avec le risque d'une reprise des hostilités entre l'Iran et Israël toujours à l'horizon, l'ambitieuse stratégie saoudienne de transformer le royaume en un hub de connexion et d'investissements pourrait devenir difficile à atteindre. En outre, le relatif affaiblissement du régime iranien encouragera davantage Israël à imposer sa vision de l'ordre régional dans tout le Proche-Orient. On a pu en avoir un exemple lorsque le ministre israélien des finances, Bezalel Smotrich, a exigé des États arabes du Golfe et des Européens qu'ils partagent les coûts de la guerre contre l'Iran, des propos vivement condamnés par les Émirats arabes unis.

En outre, en cas de futures tensions avec Israël, l'armée de l'air saoudienne, même si elle est bien mieux équipée et plus professionnelle que son homologue iranienne, reste dépendante des États-Unis. Et puisque Washington continue de soutenir l'ascension d'Israël comme l'hégémon de la région, l'Arabie saoudite devra diversifier ses relations en matière de sécurité. Si l'on tire les leçons des exemples de l'Iran et de l'Ukraine, on constate que leur faille principale a été l'absence de dissuasion crédible de leur part.

Tandis que l'Arabie saoudite est confrontée à cette nouvelle réalité régionale, elle devra aussi réviser son approche sécuritaire. Il lui faut chercher de nouveaux partenaires pour sa sécurité qui ne l'assisteront pas seulement dans le secteur de la défense mais qui pourront aussi l'aider à atteindre un niveau de dissuasion minimum crédible.

Cependant, ces choix vont forcément compliquer les relations entre Riyad et Washington. Ils plongent les dirigeants saoudiens dans un dilemme stratégique sans précédent : si la menace systémique contre le royaume s'est réduite, le nouvel hégémon régional, Israël, ne saurait être considéré comme un véritable partenaire.


1Se dit d'une puissance qui domine sans partage.

2«  An unrestrained Israel is reshaping the Middle East  », The Economist, 26 mars 2025.

3Il est composé de la Jordanie, de l'Égypte, du Qatar, de l'Arabie saoudite, du Nigeria, de l'Indonésie, de la Palestine, de la Turquie ainsi que des secrétaires généraux des deux organisations.

4India-Middle East-Europe Economic Corridor est un projet de couloir logistique décidé lors du sommet du G20 de 2023 à New Delhi, destiné à relier l'Inde, le Proche-Orient et l'Europe par le chemin de fer, des lignes maritimes, des oléoducs et des câbles à haut débit.

5Andrew Hammond, «  Why Saudi Arabia's future now depends on 'zero problems with neighbours'  », Middle East Eye, 20 septembre 2024.

30.06.2025 à 06:00

Gaza. La caravane maghrébine au piège des rivalités libyennes et de l'Égypte

Driss Rejichi

Dans le cadre de la Marche mondiale vers Gaza censée briser le siège imposé par Israël via l'Égypte, la caravane Soumoud est partie le 9 juin de Tunis, avec plusieurs centaines de militants maghrébins dans ses rangs. Mais le voyage a tourné court en Libye. Après la récupération politique du clan de Abdel Hamid Dbeibah, est venu le temps du blocage imposé par les forces du maréchal Khalifa Haftar, allié du président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi. Les images sont impressionnantes : le 9 (…)

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Dans le cadre de la Marche mondiale vers Gaza censée briser le siège imposé par Israël via l'Égypte, la caravane Soumoud est partie le 9 juin de Tunis, avec plusieurs centaines de militants maghrébins dans ses rangs. Mais le voyage a tourné court en Libye. Après la récupération politique du clan de Abdel Hamid Dbeibah, est venu le temps du blocage imposé par les forces du maréchal Khalifa Haftar, allié du président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi.

Les images sont impressionnantes : le 9 juin aux aurores, sur l'avenue Habib Bourguiba au cœur de Tunis, des milliers de personnes agitent des drapeaux palestiniens autour de dizaines d'autobus et de voitures. La foule est venue célébrer le départ de la caravane Soumoud1 un convoi humanitaire à destination du poste-frontière de Rafah. « Nous allons nous dresser contre l'entité sioniste et faire entrer l'aide dans Gaza », explique sur Mosaïque FM un porte-parole de la Coordination pour l'action commune pour la Palestine, une organisation créée fin 2024 et à l'origine du projet.

Comme pour la Flottille de la liberté, la caravane Soumoud avait l'ambition d'attirer l'attention sur le blocus humanitaire imposé par Israël aux Gazaouis. Traversant la Libye, le convoi devait rejoindre les participants à la Marche mondiale vers Gaza censés arriver simultanément au Caire par avion, avant de se diriger vers le poste-frontière de Rafah qui sépare l'Égypte de la bande de Gaza. Un objectif ambitieux au regard des divisions politiques qui traversent le Maghreb et de la politique du Caire. Sur les 1 700 participants au départ de Tunis le 9 juin, il y avait environ 200 Algériens, en plus de quelques ressortissants marocains et mauritaniens, rejoints par la suite par quelques Libyens.

« J'étais persuadée qu'on nous arrêterait avant de rejoindre Rafah », explique Souad (le prénom a été modifié), une Tunisienne ayant participé au convoi, même si elle se souvient que « d'autres participants étaient sûrs qu'on atteindrait la frontière, et espéraient même entrer à Gaza ». La jeune femme anticipait une réaction hostile du régime égyptien du président Abdel Fattah Al-Sissi, connu pour sa proximité avec Israël — même si des tensions émergent depuis le début de l'année. En réalité, la caravane Soumoud ne quittera même pas le territoire libyen : après une traversée mouvementée de la Tripolitaine, elle est bloquée à Syrte par l'Armée nationale libyenne (ANL) du maréchal Khalifa Haftar, qui contrôle l'Est et le Sud du pays.

Carte de la Libye montrant les zones contrôlées par différentes factions.
Carte de la Libye et de sa répartition entre le Gouvernement d'unité nationale (GUN), dirigé par Abdel Hamid Dbeibah, et l'Armée nationale libre (ANL) commandée par le maréchal Khalifa Haftar.

Accueil chaleureux et « tentative d'instrumentalisation »

Les premières images de l'entrée en Libye sont pourtant encourageantes. Après avoir traversé la Tunisie du nord au sud en étant rejoint par d'autres militants à chaque étape, le convoi passe le poste-frontière de Ras Jedir le 10 juin. Complètement acquise à la cause palestinienne à l'Ouest comme à l'Est, la population libyenne lui réserve un accueil chaleureux. Les scènes de liesse s'enchaînent dans les différentes villes de la Tripolitaine. « Les gens sur la route nous donnaient des paquets de sucre, ils nous jetaient des pétales ou aspergeaient les voitures d'eau de rose », se souvient Souad.

Le Premier ministre Abdel Hamid Dbeibah publie également un post Facebook le 11 juin où il explique être « fier de son peuple » et de « cette initiative humanitaire fraternelle ». Un acte loin d'être dénué d'arrière-pensées, alors que les manifestations s'enchaînent depuis un mois pour réclamer sa démission. Des combats ont même repris quelques jours avant l'entrée de la caravane à Tripoli et Sabratha, les 6 et 8 juin, entre des groupes armés opposés au premier ministre et des milices affiliées au gouvernement. S'il est célébré, le convoi Soumoud traverse donc un territoire sous tension, et avec une lourde escorte.

Des bus en cortège, des passagers agitant des drapeaux et souriant.
La caravane Soumoud entre à Tripoli en s'engageant sur le périphérique, pour contourner le centre-ville, le 11 juin 2025.
Page Facebook de la coordination de l'action commune pour la Palestine.

Souad se souvient « avoir vu une panoplie d'uniformes et d'unités impressionnantes », notamment des véhicules de la Force antiterroriste (Counter Terrorism Force, CTF), une milice de Misrata. Puissants soutiens du clan Dbeibah, les groupes armés de cette ville côtière située à 180 km à l'est de Tripoli sont vivement critiqués par les opposants au Gouvernement d'union nationale (GUN). « Il y a eu une tentative d'instrumentalisation politique », déplore un représentant de l'assemblée communale de Souq Al-Jomaa. Ce quartier populaire de Tripoli, épicentre de la contestation contre le premier ministre, a été contourné par l'itinéraire de Soumoud. Pourtant, la population de cette zone « soutient avec force ce convoi » selon le représentant communal qui regrette de ne pas avoir pu se rendre lui-même à la rencontre des militants.

Lors de son arrivée à Misrata le 12 juin, la caravane est également accueillie par des banderoles où l'on peut lire « La ville de la résistance accueille la caravane de la résistance ». Quatre chamelons sont sacrifiés pour un grand banquet auquel sont conviés tous les militants du convoi. « C'était exceptionnel. C'est la ville où l'on a été accueilli de la manière la plus organisée et la plus institutionnelle », se souvient Souad. Après ce dernier point d'étape en Tripolitaine, direction Syrte le soir même.

Du Caire à Syrte, les militants bloqués et arrêtés

La ville marque l'entrée en Cyrénaïque, région contrôlée par l'ANL. Mais le convoi n'a même pas le temps de l'atteindre : il est bloqué par un barrage de soldats, une vingtaine de kilomètres avant. Il fait nuit, un bouchon énorme se forme, les véhicules de la caravane se mettent sur le bas-côté. Les soldats annoncent vouloir simplement vérifier les papiers des militants. La veille, le ministère des affaires étrangères basé à Benghazi a publié un long communiqué expliquant « prendre note » de la position du gouvernement égyptien qui, de son côté, a invoqué « la nécessité d'obtenir des autorisations préalables pour des visites » dans « la zone frontalière avec Gaza ». Allié au clan Haftar depuis 2014 et la guerre contre les groupes islamistes en Libye, Abdel Fattah Al-Sissi continue d'apporter un important soutien politique et militaire à Benghazi, notamment en entraînant des unités de l'ANL, tandis que les entreprises égyptiennes se jettent depuis 2023 sur les marchés de reconstruction de la Cyrénaïque.

Dans les faits, des hommes de l'ANL en armes encerclent le convoi. La tension commence à monter. Finalement, les militants n'ont d'autre choix que de planter leurs tentes là, en plein désert. La caravane va passer deux nuits dans ce campement improvisé, sans possibilité d'être ravitaillée par l'extérieur ou de continuer sa progression. « Les conditions étaient horribles, sans toilettes ni douches », décrit Souad, « le réseau internet et de téléphonie était coupé à 50 kilomètres à la ronde ». Le 13 juin, une dizaine de membres du convoi sont même interpellés et détenus par des soldats de l'ANL, tandis que son porte-parole Wael Naouar assure avoir été frappé.

Le blocage du convoi coïncide avec les premières arrivées de militants à l'aéroport du Caire, où la police égyptienne arrête et expulse de nombreux voyageurs, notamment tunisiens et algériens, venus participer à la Marche vers Gaza. Pour justifier cette répression, l'Égypte invoque dans un communiqué « l'importance de respecter les lois et les réglementations régissant l'entrée sur son territoire », un argument également utilisé par les autorités de Benghazi pour bloquer le convoi. « Nous avons négocié plus de cinq heures avec les organisateurs », explique une source diplomatique de l'Est libyen, tout en assurant que « les voyageurs du convoi ne disposaient pas d'autorisations sécuritaires », un document que le gouvernement de Benghazi exige en temps normal pour tout visiteur étranger, même exempté de visas.

Un rassemblement nocturne avec des bus, des drapeaux et des personnes célébrant.
Des soldats de l'ANL font face aux militants du convoi Soumoud, près de Syrte, dans la nuit du 12 au 13 juin 2025.
Page Facebook de la coordination de l'action commune pour la Palestine.

Fait rare, un rassemblement est organisé à Benghazi le 15 juin pour dénoncer les crimes israéliens et soutenir la population de Gaza, mais confirmant le refus de voir la caravane Soumoud entrer dans cette région du pays. « Les gens ici n'y sont pas favorables, car la caravane n'a pas respecté les procédures de sécurité », explique un journaliste de Benghazi. Une source diplomatique précise que cette réaction se comprend aussi par « l'attachement profond du peuple de l'Est à la paix et à la stabilité en Libye », la région étant encore marquée par les stigmates des dernières guerres civiles. Sur les réseaux sociaux libyens, plusieurs publications et commentaires accusent même le convoi Soumoud d'avoir cherché à « détériorer les relations entre Libyens ».

Un Maghreb toujours divisé

Une fois lancées, ces accusations permettent de légitimer le blocage du convoi à Syrte, malgré l'alignement de l'opinion sur la cause palestinienne. « Des gens ont commencé à dire que la frontière israélienne commence à Syrte », rapporte Souad. Selon elle, la publication de fausses informations a participé à la montée des tensions. Après trois jours de bras de fer, la caravane fait demi-tour à contrecœur le 14 juin au soir, tout en exigeant la libération complète des détenus avant de rentrer en Tunisie. Ils le seront trois jours plus tard.

En Algérie comme en Tunisie, deux régimes officiellement soutiens de la Palestine, aucune déclaration officielle sur les cas de citoyens arrêtés, que ce soit au Caire ou à Syrte. Le président tunisien, Kaïs Saïed, affiche pourtant régulièrement un soutien ferme à la cause palestinienne. Quelques jours après le 7 octobre 2023, le chef d'État avait d'ailleurs assuré que « le soutien aux Palestiniens ne devrait pas se limiter aux déclarations »2. Des manifestations pour exiger la libération des détenus et le passage du convoi ont lieu pourtant le samedi 14 juin dans différentes villes tunisiennes. Dans la capitale, des centaines de personnes interpellent le chef de l'État sur son manque de soutien à la caravane. Rien de tel en Algérie, où les appels à la mobilisation populaire sont d'habitude fermement réprimés.

La diplomatie tunisienne n'est d'ailleurs pas plus engagée sur le dossier de la Marche vers Gaza au Caire, où des citoyens tunisiens ont également été arrêtés. Depuis son premier déplacement en Égypte en avril 2021, Kaïs Saïed affiche une proximité constante avec Al-Sissi, et le président tunisien n'a jamais critiqué la position égyptienne sur le conflit.

Sur les réseaux sociaux égyptiens, l'on crie au « complot » contre le pays et accuse de « traîtrise » ceux qui soutiennent la caravane Soumoud. Même son de cloche du côté des défenseurs du régime marocain : à Rabat, qui entretient depuis 2021 des relations officielles avec Israël, le président de la très officielle Ligue marocaine pour la défense des droits de l'homme (LMDH), Adel Tchikitou, a déploré « la présence d'infiltrés téléguidés par des régimes comme celui de l'Algérie, qui manipule la cause palestinienne », après que la photo d'un véhicule de Soumoud arborant une carte du Maroc sans le Sahara a été diffusée en ligne. La LMDH, réputée pour sa proximité avec le régime, ne doit pas être confondue avec l'Association marocaine des droits de l'Homme (AMDH), qui avait au contraire publiquement critiqué « la répression des autorités égyptiennes » contre les initiatives populaires pour Gaza.

L'absence de soutien officiel aux initiatives populaires pour Gaza témoigne de la dérive des régimes d'Afrique du Nord vers l'autoritarisme. Au Maroc comme en Égypte, les appels à manifester contre la politique de normalisation des gouvernements sont surveillés avec attention. En Algérie et à Benghazi, la société civile dispose depuis des années d'un espace d'expression extrêmement réduit, sur tous les sujets. Même en Tunisie, où d'importantes manifestations rassemblant les différents courants politiques ont été organisées dès octobre 2023, les activistes propalestiniens sont désormais soumis à une répression croissante. Wael Naouar avait d'ailleurs déjà fait l'objet d'une perquisition violente fin 20243. S'il affirme aujourd'hui vouloir relancer l'initiative Soumoud à l'avenir, ses chances de succès semblent toujours aussi minces sans un réel réveil démocratique dans la région4.


1NDLR. Le terme soumoud n'a pas d'équivalent exact en français. Il renvoie au fait de tenir bon dans la résistance.

2«  Kaïs Saïd : “Notre soutien aux Palestiniens ne devrait pas se limiter aux déclarations”  », L'Économiste Maghrébin, 9 octobre 2023.

3Nesrine Zribi , «  “Ce sera votre dernière manifestation” : la répression des activistes pro-Palestine en Tunisie  », Inkyfatada, 29 novembre 2024.

4«  Wael Nawar : Il y aura un Soumoud 2, 3… jusqu'à la levée du blocus  », La Presse de Tunisie, 19 juin 2025.

27.06.2025 à 06:00

En Jordanie, la fin du théâtre ?

Sara Al-Ramahi

Embryonnaire dans les années 1960, émergente dans les années 1970, politique et prolifique dans les années 1990 et 2000, la proposition théâtrale en Jordanie connaît aujourd'hui un effilochement. De renaissance en constat d'échec, le secteur veut se structurer et refuse le tomber de rideau. Une fois encore, Musa Hijazin monte sur scène pour interpréter le personnage de Somaa, bien connu du public jordanien pour ses critiques humoristiques mêlant politique et vie quotidienne. Employé au (…)

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Embryonnaire dans les années 1960, émergente dans les années 1970, politique et prolifique dans les années 1990 et 2000, la proposition théâtrale en Jordanie connaît aujourd'hui un effilochement. De renaissance en constat d'échec, le secteur veut se structurer et refuse le tomber de rideau.

Une fois encore, Musa Hijazin monte sur scène pour interpréter le personnage de Somaa, bien connu du public jordanien pour ses critiques humoristiques mêlant politique et vie quotidienne. Employé au Café du Peuple, un modeste établissement fréquenté par les habitants du quartier, Somaa a pour habitude de s'interroger à voix haute sur les sujets qui le préoccupent, tandis que les clients cherchent à le faire taire. Sa spontanéité finit par l'envoyer en prison où, là aussi, les détenus lui reprochent son indocilité et son refus obstiné d'être « un citoyen sur commande ». Face au responsable de la division « Pain et Fourrage », il n'hésite pas à s'écrier : « Jadis, ce pays était l'un des greniers à blé de Rome, et vous, vous le laissez mendier une miche de pain… libérez le pain pour que les gens se libèrent. »

La pièce, dont la première a eu lieu en 1997, évoque les émeutes du pain qui avaient éclaté en Jordanie l'année précédente. Écrite et mise en scène par Mohammed Al-Chawaqfeh, elle fait partie d'un recueil de textes politiques satiriques produit par le duo Al-Chawaqfeh et Hijazin entre 1992 et 2006. Les deux hommes s'étaient rencontrés alors qu'Al-Chawaqfeh venait d'achever ses études en Yougoslavie. Celui-ci avait fait forte impression sur Hijazin, qui appréciait sa culture et saluait son souci de justice sociale autant que sa volonté d'œuvrer à une production culturelle de qualité en Jordanie.

Le renouveau du Théâtre du Soleil

C'est en 1992 que le duo produit sa première pièce, intitulée Hey, America. Les deux artistes avaient déjà connu le succès avec Zaman al-chaqlaba Le temps de la pirouette »), une œuvre de Nabil Al-Machini qui, après une tournée triomphale en Jordanie, avait été jouée dans cinq États américains. Ils collaborent ainsi durant plusieurs années, avançant tous les frais et comptant sur la billetterie pour couvrir les coûts de production (location de la salle, salaires des comédiens, éclairage, décor, etc.). Avec un public au rendez-vous, puisqu'ils font salle comble partout. Cette popularité, qui constitue à leurs yeux la meilleure preuve de réussite, leur permet de multiplier les représentations dans les pays arabes et à l'international jusqu'à la fin des années 1990. Al'an fahmatkoum Maintenant, je vous ai compris »), est la dernière pièce dans laquelle ait joué Hijazin, en 2011 et 2012. Écrite par Ahmad Hassan Al-Zoubi et mise en scène par Mohammed Al-Damour, l'œuvre traite des révoltes d'alors dans le monde arabe, les fameux « printemps ». Après cela, le rideau est tombé sur la scène du Théâtre Concorde, jusqu'à ce qu'en 2017 le dramaturge Abdelssalam Qabilat décide de reprendre la salle sous le nom de Masrah Al-Chams (Théâtre du Soleil).

Qabilat est revenu de Russie, où il s'était installé, avec l'intention d'investir dans un théâtre qui proposerait des représentations permanentes, à la manière du théâtre de répertoire, dans le but de relancer la production culturelle locale. Persuadé que les bouleversements politiques survenus dans la région sont favorables à une telle entreprise en Jordanie, l'artiste compte sur l'État pour prendre son projet en charge. Il n'en est rien et, huit années durant, il puise dans ses deniers personnels sans retour financier. « Je m'attendais naïvement à ce que l'État s'intéresse à ce projet. Dans les années 1980 et 1990, le théâtre avait commencé à se développer en Jordanie, mais l'aventure a rapidement tourné court », déplore Qabilat.

Pour restaurer le Théâtre du Soleil, il a fallu se raccorder aux réseaux d'eau et d'électricité, reconstruire la scène, remplacer les fauteuils de bois et ajouter des salles de répétition et des coulisses. Trois mois de travail intense pour pouvoir proposer une formule autre que celle des festivals qui, selon Qabilat, a détourné des salles un public censé être le socle de la production théâtrale. Les politiques culturelles de ces vingt-cinq dernières années ont en effet imposé un modèle aux allures de performance donnée par des artistes privés de public, déplore l'artiste. « Le public allait au théâtre parce qu'on y racontait des histoires qui le concernent, mais aujourd'hui il en est totalement exclu. »

Plus qu'un besoin de fonds, un besoin d'intérêt

La naissance du cadre théâtral remonte à 1962, au moment de la fondation de l'université jordanienne, avec la Famille du Théâtre universitaire, troupe créée entre autres par Nabil Al-Machini, Nabil Suwalheh, Souha Awad et Qamar Al-Safadi, puis avec le Cercle de la culture et des arts en 1966, puis la Famille du Théâtre jordanien. Dans les années 1970, les contours d'une scène locale se précisent, avec le retour de nombreux artistes partis se former à la comédie et à la dramaturgie dans des établissements arabes et internationaux. Plus tard sont créés le département d'arts dramatiques à l'université de Yarmouk et le centre de formation aux arts dépendant du ministère de la culture. Dans les années 1990, les relations du royaume avec certains pays de la région ayant souffert de la guerre du Golfe, la demande d'œuvres jordaniennes diminue dans le monde arabe. Les artistes se tournent alors vers le théâtre local, tandis que, de son côté, le ministère de la culture subventionne de nombreuses productions.

Au milieu des années 1990, la troupe Al-Fawanis (Les Lanternes) avait tenté d'instaurer un espace de liberté avec les Journées théâtrales d'Amman, un festival indépendant qui programmait des troupes arabes et internationales. Mais au bout de seize éditions, le manque de soutien financier, matériel et logistique a eu raison de l'événement.

Avec quelque 11 millions de dinars jordaniens (13,5 millions d'euros), le ministère dispose cette année d'un budget en hausse, alors que celui-ci était tombé en 2020 à son plus bas niveau, 7 millions de dinars (8,5 millions d'euros). Si la plus grande part des dépenses concerne des projets de développement culturel — diversification des formations artistiques, parrainage des jeunes talents et soutien à des projets et à des instances culturelles —, les intervenants du théâtre n'ont constaté aucune incidence concrète sur leur situation, regrette le metteur en scène Abdelsalam Qubailat. Pour celui-ci, le problème va au-delà du volet financier et réside surtout dans le peu d'intérêt accordé au théâtre et à la création en général.

Un modèle de financement à trouver

Pour Hayat Jaber, directrice exécutive du Théâtre du Soleil, c'est le public qui joue un rôle déterminant dans la pérennité du théâtre. Non seulement en sa qualité, essentielle, de critique, mais aussi en tant que source de financement. En ce sens, l'existence d'une billetterie fixe permettrait de restaurer la relation avec les spectateurs en les amenant à intégrer le théâtre dans leur vie. En payant leur place, ils éviteraient au secteur de dépendre de l'octroi de fonds. De l'avis de Hayat Jaber, une telle dépendance est désastreuse, dans la mesure où elle fait de l'artiste un « sujet » dont la production doit répondre aux directives du financeur. L'artiste se retrouve ainsi dans la position de l'intellectuel de cour qui se soumet aux conditions imposées par le pouvoir financier. Dans la situation actuelle, les subventions sont sans doute nécessaires pour maintenir la production, reconnaît Hayat Jaber. Mais en comptant sur ce seul moyen de fonctionnement, l'institution culturelle risque de se retrouver en décalage avec les mutations en cours dans le monde arabe.

Dans son dernier ouvrage1, Hanan Toukan, chargée d'études sur le Moyen-Orient au Bard College Berlin, évoque les incidences politiques sur le secteur de l'art et de la culture dans le monde arabe. Bien que cela soit généralement mal perçu, le recours aux financements étrangers peut, selon elle, permettre de créer de nouvelles formes d'art qui ne correspondent pas nécessairement aux préférences du public local. Car ce qui intéresse le donateur, c'est de soutenir un art « alternatif ». En choisissant de financer un certain genre de films ou de spectacles vivants au détriment du théâtre dit « traditionnel », et sans se préoccuper de savoir si cela attirera un large public local, il participe à l'émergence de nouvelles formes artistiques, et donc d'un nouveau type de public, plus élitiste. De fait, le changement est notable à Amman ces trente dernières années, favorisé par le recours aux fonds internationaux dans différents secteurs, et non pas seulement en matière de culture.

Si quelques-unes des troupes créées au cours des dernières décennies ont disparu, d'autres existent toujours, comme celle d'Al-Rahhala (Les Voyageurs) et la troupe du Théâtre national jordanien fondée par Hijazin et Al-Chawaqfeh dans les années 1990. De même que la troupe des Lanternes, créée dans les années 1980 par Nader Omran, Khaled Al-Tarifi et Amer Madi, mais aussi de nombreux groupes animés par de jeunes artistes émergents. Ces derniers sont contraints, pour la plupart, d'exercer un travail à côté de leur activité théâtrale, qui leur demande d'importants sacrifices personnels.

Sur les quelque 1 300 membres du Syndicat des artistes spécialisés dans l'écriture, la composition, la pratique d'un instrument, le chant, la scénographie, l'interprétation et les métiers techniques, bon nombre enseignent à l'université ou dans des écoles et instituts privés, indique leur représentant, Mohammed Youssef Obeidat. Le syndicat supervise trois festivals principaux à l'adresse des enfants, des jeunes et des adultes, et six festivals pour des troupes privées affiliées au syndicat, tandis que des troupes d'amateurs organisent un ou deux autres événements. En dehors de cette dizaine de grandes manifestations qui, selon Obeidat, n'attirent pas les foules, il n'existe pas d'activité théâtrale pérenne sur l'année. Une situation qui s'expliquerait par les problèmes financiers récurrents du syndicat, dont les rentrées sont constituées uniquement des taxes professionnelles, largement insuffisantes.

Depuis cinq ans, la situation financière de l'association est mise à mal : en raison tout d'abord de la pandémie de Covid-19 et de son cortège de fermetures et d'annulations, puis du fait de l'offensive israélienne contre Gaza, qui a impacté l'organisation des festivals et la venue d'artistes étrangers. Si l'ensemble des secteurs culturels a pâti de cette situation, le théâtre a particulièrement souffert. Les comédiens ont dû se tourner vers la télévision et le cinéma, qui, même s'ils ne sont pas épargnés par le contexte d'austérité, offrent de meilleurs salaires et une audience plus large.

Une nécessaire volonté politique

Après avoir assisté depuis 2007 à toute une série de changements dans les cursus d'arts dramatiques, Joyce Raie, enseignante d'arts dramatiques à l'université de Jordanie, à Amman, se félicite de l'excellente qualité du programme actuel, comparable à ceux des facultés de théâtre les plus renommées, avec des séjours pratiques et des enseignements théoriques préparant à une véritable professionnalisation. Mais alors que seulement quelques dizaines d'élèves sont admis chaque année dans la classe d'arts dramatiques, ceux qui obtiennent leur diplôme sont encore moins nombreux : les abandons sont en effet fréquents, en raison de la difficulté du cursus et de l'absence de débouchés. Mais pour Joyce Raie, le problème ne réside pas tant dans le faible nombre de lauréats que dans la capacité de ceux-ci à produire un travail de qualité dans la conjoncture.

Si l'adoption de politiques injustes dans un secteur donné contribue à son affaiblissement, l'absence totale de politiques peut produire les mêmes effets. Pour relancer le théâtre jordanien, qui a aujourd'hui perdu toute influence, il faudrait une volonté politique d'admettre l'importance de la culture et d'écouter les intervenants du milieu de la création, estime Qubailat.

Les artistes et les troupes travaillent actuellement chacun dans leur coin, en l'absence d'un espace de réseautage et de collaboration, déplore le comédien et dramaturge Ahmed Sorour. Une organisation officielle s'impose d'urgence, selon lui. Bien que membre du Syndicat des artistes depuis 2011, le comédien confie ne pas bien savoir quel rôle est censée jouer cette institution.

Plusieurs guides et pères du théâtre sont aujourd'hui décédés : le comédien et dramaturge Khaled Al-Tarifi, qui a influencé des générations entières d'artistes, ou le metteur en scène Hussein Nafie. Ou bien se sont exilés : le comédien et dramaturge palestinien Ghannam Ghannam a quitté la Jordanie pour rejoindre les Émirats arabes unis, afin de réaliser les projets artistiques qu'il ne pouvait mener à bien dans son pays. Les auteurs dramatiques s'accordent sur la nécessité de reconnaître la valeur du travail artistique et de réhabiliter le rôle du département de la culture. Mais la valse des ministres ne facilite pas cette tâche. Ahmed Sorour : « Si l'on me demande quel ministre de la culture je souhaite, je dirais que je veux quelqu'un qui soit issu du milieu artistique et connaisse les auteurs par leur nom… Je ne devrais pas être obligé de me présenter à chaque remaniement ministériel. »

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Cet article a été publié initialement sur 7iber

Ce dossier a été réalisé dans le cadre des activités du réseau Médias indépendants sur le monde arabe. Cette coopération régionale rassemble Assafir Al-Arabi, BabelMed, Mada Masr, Maghreb Émergent, Mashallah News, Nawaat, 7iber et Orient XXI.


Traduit de l'arabe par Brigitte Trégaro.


1The Politics of Art, Stanford University Press, 2021.

27.06.2025 à 06:00

Ce qu'ils ont vécu pendant 12 jours, nous le vivons depuis près de deux ans

Rami Abou Jamous

Rami Abou Jamous écrit son journal pour Orient XXI. Ce fondateur de GazaPress, un bureau qui fournissait aide et traduction aux journalistes occidentaux, a dû quitter en octobre 2023 son appartement de Gaza-ville avec sa femme Sabah, les enfants de celle-ci, et leur fils Walid, trois ans, sous la menace de l'armée israélienne. Réfugiée depuis à Rafah, la famille a dû ensuite se déplacer vers Deir El-Balah et plus tard à Nusseirat, coincés comme tant de familles dans cette enclave miséreuse (…)

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Texte intégral (1895 mots)

Rami Abou Jamous écrit son journal pour Orient XXI. Ce fondateur de GazaPress, un bureau qui fournissait aide et traduction aux journalistes occidentaux, a dû quitter en octobre 2023 son appartement de Gaza-ville avec sa femme Sabah, les enfants de celle-ci, et leur fils Walid, trois ans, sous la menace de l'armée israélienne. Réfugiée depuis à Rafah, la famille a dû ensuite se déplacer vers Deir El-Balah et plus tard à Nusseirat, coincés comme tant de familles dans cette enclave miséreuse et surpeuplée. Un mois et demi après l'annonce du cessez-le-feu, Rami est enfin de retour chez lui avec sa femme, Walid et le nouveau-né Ramzi. Pour ce journal de bord, Rami a reçu le prix de la presse écrite et le prix Ouest-France au Prix Bayeux pour les correspondants de guerre. Cet espace lui est dédié depuis le 28 février 2024.

Et à la fin, Nétanyahou a frappé l'Iran. Une frappe « préventive ». L'enfant gâté des États-Unis et de l'Occident a décidé que personne ne devait avoir la bombe atomique dans la région, à part Israël. Comme d'habitude, la fameuse phrase a été sortie : « Israël a le droit de se défendre. » Parce que Nétanyahou nous répète depuis plus de 20 ans que l'Iran va avoir la bombe dans deux semaines. En réalité, c'est Israël qui a attaqué l'Iran, mais l'Iran, lui, n'a pas le droit de se défendre.

Israël a mobilisé ses propagandistes partout dans le monde. On a entendu, répété en boucle, le vocabulaire qui signe l'absence de compassion avec le peuple iranien. L'Iran est réduit au « pays des mollahs », à un « régime qui impose le voile aux femmes », alors qu'il faut au contraire accepter la norme occidentale et refuser aux femmes la liberté de porter le voile ou non et leur imposer l'obligation du maillot de bain et de la minijupe...

Les hommes et les femmes du monde entier doivent se comporter comme des Européens. Sinon, il est légitime de les bombarder « préventivement ». De toute façon, le « régime » iranien n'est pas démocratique, donc ce n'est pas grave de bombarder le pays. On l'a vu en Irak et en Afghanistan, avec pour résultat le chaos.

Quelques jours avant son intronisation, Donald Trump a publié une vidéo montrant un économiste célèbre, Jeffrey Sachs, traitant Nétanyahou de « sombre fils de pute » et l'accusant d'entraîner les États-Unis « dans des guerres sans fin » au Proche-Orient. Mais, aujourd'hui, Trump fait la même chose.

Israël frappe là où il a encouragé les Gazaouis à se réfugier

Ce qui m'intéresse, dans cette « guerre des douze jours », c'est la couverture médiatique de la riposte iranienne à l'agression israélienne. Pendant ces douze jours, on nous a entretenus avec minutie des quelques missiles qui ont atteint Israël, dont on savait où ils allaient tomber, et comment les Israéliens disposaient de nombreux abris pour se protéger. De nombreux journalistes nous ont raconté leurs nuits sans sommeil, à cause des sirènes et des explosions.

Je les comprends, parce que, ce qu'ils ont vécu pendant douze jours, nous le vivons depuis près de deux ans, multiplié par mille. Nous sommes visés 24 heures sur 24, et 7 jours sur 7. Nous ne savons pas où vont tomber les missiles et les bombes, nous ne savons pas où les drones vont tirer. Nous n'avons comme « abris » que les écoles de l'Unrwa, qu'Israël bombarde régulièrement, et nous n'avons ni eau ni nourriture. Israël frappe aussi l'endroit où il a encouragé les Gazaouis à se réfugier, la « zone humanitaire » d'Al-Mawassi, au sud. Quant aux « centres de distribution d'aide humanitaire », ils servent eux aussi de piège mortel, les Israéliens tirant froidement sur les foules affamées qui s'y précipitent.

Pendant cette courte guerre, des reportages nous ont montré l'hôpital israélien de Soroka, légèrement endommagé par un missile iranien. Nétanyahou a traité de « barbares » ceux qui visaient un hôpital où il y avait des patients. Les Iraniens ont affirmé qu'ils n'avaient pas visé Soroka, mais ma première réaction a été d'en rire. Comme on dit chez nous, le chameau ne voit pas sa bosse. À Gaza, l'armée israélienne a bombardé presque tous les hôpitaux, délibérément et avec précision. Quatre-vingt-dix pour cent d'entre eux sont hors service. Certains ont été entièrement rasés, comme l'Hôpital turc, spécialisé dans le traitement des cancers. Mais quand les destructions sont israéliennes, c'est justifié, c'est tolérable, que ce soit en Iran ou à Gaza — où il faut bien choisir ses mots et ne pas parler de génocide.

Bien sûr, c'est affreux ce que vivent les Palestiniens, mais c'est la faute du Hamas, n'est-ce pas, et non celle de Nétanyahou. De même, si l'Iran bombarde Israël, c'est par méchanceté, pas à cause de Nétanyahou qui ne veut pas arrêter les guerres, car sinon ce serait la fin de sa vie politique.

Les doubles nationaux israéliens vs les doubles nationaux palestiniens

J'ai vu aussi comment les Israéliens possédant la double nationalité, israélienne et française, étaient accueillis par la France. Comment ils ont été invités sur les plateaux de télévision, où ils racontaient combien cela avait été difficile de les faire sortir, l'aéroport étant fermé. Et où ils blâmaient l'ambassade de France en Israël, qui ne les avait pas évacués assez vite à leur goût.

Je ne veux pas généraliser, mais la majorité des médias n'ont pas été aussi attentifs, au début de la guerre israélienne contre Gaza, au sort de doubles nationaux palestiniens de Gaza, dont les Israéliens retardaient le départ, ni à celui d'Ahmed Abou Chamla, cet employé de l'Institut français de Gaza qui était sur une liste d'évacuation, mais pour qui Israël reportait sans cesse son feu vert. Il a fini par être tué le jour où il était enfin autorisé à partir. On n'invite pas non plus, aux heures de grande écoute, des Palestiniens sortis de Gaza à décrire leur enfer, réel celui-là.

Personnellement, je suis d'accord pour que les populations civiles soient protégées, et pour que l'on parle de toutes les souffrances humaines. Mais trop souvent, quand il s'agit des Palestiniens, l'humanité disparaît. On félicite l'enfant gâté qui est en train de se disputer avec tout le monde dans le quartier. On a l'impression que c'est un orphelin menacé, alors le monde entier doit lui servir de parent. Cet enfant-là est venu du monde entier occuper un territoire qui n'était pas à lui, mais dont il affirmait être le propriétaire. Dès le début, il a utilisé la violence, les massacres, les boucheries. Cela continue, de 1948 à nos jours. Mais « il a le droit de se défendre ».

Je sais que, malgré cette vision médiatique biaisée en Occident, des membres des sociétés civiles, des intellectuels, des journalistes relaient la vérité, et je les remercie. Un jour, ils auront raison. L'enfant gâté perdra le soutien des Occidentaux, évacuera les territoires occupés. Les Palestiniens vivront alors sur leurs terres, dans leur propre État, un État palestinien reconnu par le monde entier. Nous reconstruirons tout ce que l'enfant a détruit. Et Gaza sera une Riviera, mais construite et gouvernée par les Palestiniens.

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Journal de bord de Gaza
Rami Abou Jamous
Préface de Leïla Shahid
Présentation de Pierre Prier
Éditions Libertalia, collection Orient XXI
29 novembre 2024
272 pages
18 euros
Commander en ligne : Librairie Libertalia

26.06.2025 à 06:00

Gaza. Affamer-expulser, expulser-affamer

Gadi Algazi

À travers la très mal nommée Gaza Humanitarian Foundation (GHF), Israël conditionne depuis le 26 mai l'acheminement de l'aide. Ce monopole est en réalité utilisé pour forcer les habitants de Gaza à se déplacer vers le sud, dans des « zones de concentration ». Ce plan de transfert par la famine a commencé à s'enliser, mais cela ne fait qu'augurer d'une plus grande brutalité. Les massacres des Palestiniens qui se sont intensifiés autour des centres de distribution alimentaire (516 morts, 3 (…)

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Texte intégral (4086 mots)

À travers la très mal nommée Gaza Humanitarian Foundation (GHF), Israël conditionne depuis le 26 mai l'acheminement de l'aide. Ce monopole est en réalité utilisé pour forcer les habitants de Gaza à se déplacer vers le sud, dans des « zones de concentration ». Ce plan de transfert par la famine a commencé à s'enliser, mais cela ne fait qu'augurer d'une plus grande brutalité.

Les massacres des Palestiniens qui se sont intensifiés autour des centres de distribution alimentaire (516 morts, 3 799 blessés et 39 disparus au 25 juin)1, révèlent, encore une fois, l'ampleur du mépris de l'armée israélienne pour la vie humaine. Ce mépris s'exprime aussi dans la mise en place de ces centres : Israël n'en a créé que quatre pour plus de deux millions de personnes, au lieu des deux cents qui avaient été mis en place par des organisations internationales expérimentées. C'est ainsi qu'on affame et humilie les survivants.

L'emplacement de ces centres est tout aussi important : l'un se trouve au centre de la bande de Gaza et les trois autres à l'extrême sud, à l'ouest de Rafah. Sur la carte publiée (voir carte ci-dessous) par le porte-parole de l'armée israélienne, on constate qu'il n'y a aucun lien entre l'emplacement de ces centres et la localisation de la population. Car l'objectif est de favoriser le « déplacement de la population » vers le sud, de préférence vers les « zones de concentration ». Mais il est nécessaire de prendre des mesures pour dissimuler ce qui relève d'un crime contre l'humanité. Pour cela, il fallait d'abord éliminer les organisations humanitaires qui pouvaient fournir de la nourriture aux habitants (et produire de la documentation fiable à ce propos) et confier la distribution à des organisations sans expérience et qui sont des instruments aux mains de l'armée.

Carte des centres de distribution d
Carte de l'armée israélienne montrant l'emplacement des centres de distribution d'aide.
Porte-parole de l'armée israélienne

Dès le 11 mai, le quotidien israélien Maariv rapportait les propos du premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou lors d'une réunion à huis clos de la commission des affaires étrangères et de sécurité du parlement : « L'octroi de l'aide serait conditionné au non-retour des Gazaouis qui en bénéficieraient vers les lieux d'où ils seraient venus. » C'est cet espoir qui a poussé le ministre des finances d'extrême droite Bezalel Smotrich à s'y rallier alors qu'il s'opposait jusque-là à toute forme d'aide.

Cette logique a été confirmée par Tammy Caner, directrice du département droit et sécurité nationale à l'Institut des études de sécurité nationale (INSSI) de Tel-Aviv. L'institut est un think tank de l'establishment sécuritaire, très proche de l'armée. Dans une interview publiée sur la chaîne YouTube de l'Institut, elle a dévoilé la décision d'interdire à toute personne du nord se rendant dans le sud de retourner chez elle et auprès de sa famille.

Avec sa collègue, l'avocate Pnina Sharvit-Baruch, ancienne haute responsable du bureau du procureur militaire et qui était chargée auprès du ministère de la défense de donner un vernis de légalité aux mesures illégales, elles ont mis en garde : « L'évacuation et le déplacement de la population », tout comme la promotion du programme d'« émigration volontaire », pouvaient être considérés comme des crimes contre l'humanité2. Il ne fait aucun doute que certaines personnes de haut rang craignent d'être un jour traduites en justice…

L'arme de la faim

Ce qui se joue ici, c'est le fait qu'Israël veut avoir le monopole de la distribution de l'aide pour l'utiliser contre la population civile. La famine et la distribution selon les conditions imposées par l'occupant sont deux moyens complémentaires d'utiliser la nourriture comme arme.

L'arme de la faim utilisée de manière systématique contre des populations civiles lors de guerres totales est une pratique qui a une longue histoire. Le « déplacement de population » par la création ou l'exploitation de pénuries graves, ainsi que l'utilisation de l'approvisionnement comme mesure de coercition ne sont pas non plus des nouveautés en Israël. Dans une étude à paraitre, j'ai documenté que, dans les années 1950, les autorités israéliennes ont utilisé la privation de produits essentiels comme un moyen de pression contre les Palestiniens déplacés pour prévenir leur retour, mais aussi dans une moindre mesure contre les juifs (principalement des Mizrahim, juifs originaires des pays arabes) que l'État tentait de transformer en colons dans les régions frontalières. La privation de produits de première nécessité et leur fourniture conditionnelle sont des armes efficaces précisément parce qu'elles n'impliquent ni tirs ni bombardements.

« Nous détruisons de plus en plus de maisons »

Il n'est pas encore sûr que le programme « affamer-transférer » puisse atteindre ses objectifs. Les rapports provenant de la bande de Gaza indiquent que ce sont les plus forts qui se rendent aux centres de distribution, ceux qui peuvent marcher des kilomètres pour transporter un colis pour une semaine entière. Enfin, Israël n'est pas parvenu à convaincre les centaines de milliers de Palestiniens présents dans le nord de la bande de Gaza de faire le long trajet vers le sud, ni à les empêcher d'y revenir. Qui partirait dans la chaleur torride pour un long voyage afin d'apporter de la nourriture sans pouvoir la livrer à ses proches qui se trouvent là où ils sont ? Et les Palestiniens font preuve une fois encore de leur attachement à leur maison, même quand celle-ci est en ruines. D'autre part, la nourriture, comme on peut s'y attendre dans des conditions de pénurie extrême, tombe entre les mains de gangs violents, souvent soutenus par Israël.

Cela signifie-t-il que le danger diminue, que le plan de transfert par la famine ne fonctionne pas ? Il est trop tôt pour le dire, mais, à terme, la détresse pourrait faire son œuvre. La réponse à l'échec des mesures coercitives prises est déjà une intensification de la destruction et des meurtres, comme ce à quoi on assiste dans le nord. D'après les derniers rapport, tels que ceux recueillis par Meron Rapoport et Oren Ziv3, qui citent les témoignages de soldats israéliens, le but de la destruction systématique et aveugle de toutes les infrastructures vitales et du plus grand nombre possible de bâtiments est de forcer les habitants à partir sans pouvoir revenir.

On trouve également une confirmation explicite de cela dans les propos de Nétanyahou évoqués plus haut :

Nous détruisons de plus en plus de maisons, ils n'ont nulle part où retourner. La seule conséquence logique sera que les Gazaouis voudront émigrer hors de la bande de Gaza. Notre principal problème réside dans les pays d'accueil.

Pour procéder à une déportation définitive, il ne suffit pas d'expulser les gens. Il faut les déraciner et leur enlever toute possibilité de revenir, comme cela a été le cas après 1948. C'est ce que permettent les bombardements systématiques qui poursuivent les vagues de destruction des mois précédents. Le grand projet israélo-américain de transfert reste d'actualité et différents courants de la droite israélienne, au sein du gouvernement comme en dehors, y prennent part.

Trois « zones de concentration »

Où iront les gens s'ils ne supportent pas une telle pression ? Depuis des mois, Israël négocie avec des « pays d'accueil », mais ceux cités (Congo, Tchad, Rwanda) ont démenti. En attendant, les autorités israéliennes parlent de trois « zones de concentration » dans l'enclave palestinienne. Trois de ces zones sont marquées sur la carte publiée par le Times et le Sunday Times le 17 mai, sur la base de sources diplomatiques. Toutefois, cette carte est trompeuse : elle ne prend pas en compte le fait que toute une bande le long de la frontière a déjà été évacuée et que les bâtiments y ont été systématiquement détruits. Selon les déclarations officielles, les Gazaouis n'y seront pas autorisés à y vivre.

Carte colorée des zones militaires et civiles à Gaza, avec des corridors et des terminaux.
Carte publiée le 17 mai 2025 par le Times sous le titre «  Leaked map shows Israeli proposal to force Gazans into strips of land  »

Sur la carte publiée dans le journal Haaretz (25 mai), les « zones de concentration » sont encore plus petites. Selon une estimation approximative, la zone autour de la ville de Gaza mesure environ 50 km² ; celle des camps du centre environ 85 km² et celle de Mawasi, le long de la plage du sud, environ 8 km², soit au total moins de 150 km², alors que la bande de Gaza s'étend sur 365 km². Avant la guerre, la densité de population (5 935 habitants au km²) était comparable à celle de Londres (5 598 habitants au km²). Les zones identifiées par les organisations humanitaires qui travaillent sur place sont encore plus étroites4. Si ce plan israélien était réalisé, elle atteindrait alors 15 000 habitants au km², soit une densité proche de celle des îles riches et luxueuses comme Macao (20 569 habitants au km²) et Singapour (8 128 habitants au km²). La taille réduite de ces « zones de concentration », l'interdiction d'en sortir, l'absence de moyens de subsistance et d'infrastructures permettent de parler de camps de concentration.

Carte de Gaza montrant trois zones de déplacement pour la population civile.
Carte publiée dans Haaretz, le 25 mai 2025 dans l'enquête de Yaniv Kubovich «  IDF : 75% of Gaza to Be Occupied in Two Months  ; 2 Million Civilians to Be Concentrated in Three Zones  »

Ces cartes doivent servir d'indications, mais les lignes peuvent changer en fonction des conditions, des pressions et des initiatives locales ; elles indiquent la tendance générale. Pour les généraux et les politiciens, la divulgation de cartes a également un autre rôle : tester l'opinion, mesurer si des gens s'indignent pour protester, voir jusqu'où on peut aller sans sanctions. Peut-être parviendront-ils à rassembler les survivants palestiniens dans trois « zones de concentration » ; peut-être que le résultat final sera différent. Voulons-nous vraiment attendre le résultat final ?

Purification ethnique — ou pire encore

Si les Palestiniens ont toujours affirmé que la Nakba n'est pas un événement, mais un processus continu, l'étape actuelle est particulièrement périlleuse.
Au cours de l'histoire, l'expulsion et la dépossession des Palestiniens ont connu un rythme variable avec des périodes d'escalade, d'autres de ralentissement, voire des années de stabilisation. Il y a même eu des moments où un retour modeste a eu lieu, notamment à la suite de l'expulsion de masse de 1948, mais aussi après l'occupation de la Cisjordanie et de Gaza en 1967. Mais actuellement, nous assistons à une accélération inouïe du processus qui entraîne un niveau de cruauté inconnu.

Le passage de la répression à l'expulsion, du nettoyage ethnique à l'extermination, se fait lorsque rien n'arrête les forces armées qui accélèrent le processus. En temps de guerre, en l'absence de contrôle international et dans le brouillard du combat, un transfert bloqué peut dégénérer en massacre.

Le déplacement répété d'un endroit à un autre dans le territoire restreint de la bande de Gaza vise à déraciner les gens et à détruire le tissu de leur vie ; certains meurent « d'eux-mêmes » et d'autres deviennent un « problème » qu'il faut résoudre par des moyens de plus en plus brutaux. La destruction systématique crée une nouvelle situation : des zones impropres à la vie qui peuvent justifier pour des « raisons humanitaires » l'expulsion et le transfert forcé vers des « zones de concentration ».

Si les Palestiniens veulent échapper à cette pression insupportable, on peut leur ouvrir la porte vers l'extérieur. Néanmoins, il s'agit d'un voyage sans retour. De même, les conditions de vie insupportables dans les « zones de concentration » peuvent, à un moment donné, pousser la population à résister par tous les moyens. De tels affrontements pourraient alors donner lieu à des opérations de « maintien de l'ordre » et à des actes de vengeance, voire à des massacres qui accéléreront encore le processus. Il est probable que, face à l'échec des tentatives visant à parquer les gens dans d'énormes enclos, la dynamique meurtrière passe à un niveau supérieur.

Le XXe siècle offre plusieurs exemples effrayants de la radicalisation rapide des forces armées dans leurs actions contre la population civile dans le cadre de guerres sans merci. C'est cette dynamique qui propulse à des postes de commandement et de direction ceux qui sont déterminés à exterminer, à l'image du colonel Yehuda Vach, un colon radical selon lequel « il n'y a pas d'innocents à Gaza »5. L'homme est aussi accusé de crimes de guerre : le 21 mars 2025, il aurait ordonné à la 252e division, l'unité qu'il commande, la destruction de l'hôpital pour le traitement du cancer à Gaza6. Pour passer d'une opération de transfert ratée à un nettoyage ethnique meurtrier, pour que le désastre dépasse l'entendement, nul besoin d'un plan élaboré. Le silence suffit.

Je tiens à remercier Amira Hass, Liat Kozma, Lee Mordechai, Alon Cohen-Lipschitz, Gerardo Leibner et Meron Rapoport pour leur précieuse aide et leurs commentaires pertinents.

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Article publié initialement le 13 juin 2025 sur +972 sous le titre « The planned expulsion of Gaza's population is already underway » Traduction de l'anglais par l'auteur


1Chiffre du Bureau gouvernemental de l'information de Gaza.

2«  Operation “Gideon's Chariots”. Crossing Red Lines  », INSS, 4 mai 2025.

3«  Render it unusable : Israel's mission of total urban destruction  », +972, 15 mai 2025.

4Gaza Population Movement Monitoring, CCM Cluster, Flash-Update, n° 16, 3 juin 2025.

5Yaniv Kubovich, «  'No Civilians. Everyone's a Terrorist' : IDF Soldiers Expose Arbitrary Killings and Rampant Lawlessness in Gaza's Netzarim Corridor  », Haaretz, 25 mai 2025.

6Yaniv Kubovich, «  IDF Investigating if Commander Demolished Nonfunctioning Hospital in Gaza Without Authorization  », Haaretz, 24 mars 2025.

25.06.2025 à 11:19

Entre le Burundi et l'Arabie saoudite, des travailleuses victimes d'un trafic d'êtres humains

Africa Uncensored, La rédaction d'Afrique XXI, Ukweli Coalition Media Hub

Enquête En quelques années, au moins 17 000 Burundais ont officiellement pris la route de Riyad à la recherche d'une vie meilleure. Alors que le Burundi et l'Arabie saoudite ont signé en 2021 un accord censé encadrer cette émigration, un véritable trafic de travailleuses, souvent privées de tous leurs droits sur place, s'est organisé, pour le bénéfice d'intermédiaires peu scrupuleux et avec la bienveillance de l'État burundais et de quelques-uns de ses apparatchiks.

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Enquête En quelques années, au moins 17 000 Burundais ont officiellement pris la route de Riyad à la recherche d'une vie meilleure. Alors que le Burundi et l'Arabie saoudite ont signé en 2021 un accord censé encadrer cette émigration, un véritable trafic de travailleuses, souvent privées de tous leurs droits sur place, s'est organisé, pour le bénéfice d'intermédiaires peu scrupuleux et avec la bienveillance de l'État burundais et de quelques-uns de ses apparatchiks.

25.06.2025 à 06:00

Il était une fois… Gaza avant le 7 octobre

Eva Sauphie

Le nouveau film des frères Nasser, Once Upon a Time in Gaza, nous plonge dans le quotidien de trois Gazaouis en 2007, au moment du blocus de la bande de Gaza imposé par Israël. Le long-métrage, en salles ce mercredi 25 juin, a été présenté à Cannes peu de temps avant la mort de la photojournaliste palestinienne Fatima Hassouna, tuée par un missile israélien et qui était au cœur du film Put Your Soul on Your Hand and Walk de Sepideh Farsi, lui aussi présenté au festival. Le chant des (…)

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Le nouveau film des frères Nasser, Once Upon a Time in Gaza, nous plonge dans le quotidien de trois Gazaouis en 2007, au moment du blocus de la bande de Gaza imposé par Israël. Le long-métrage, en salles ce mercredi 25 juin, a été présenté à Cannes peu de temps avant la mort de la photojournaliste palestinienne Fatima Hassouna, tuée par un missile israélien et qui était au cœur du film Put Your Soul on Your Hand and Walk de Sepideh Farsi, lui aussi présenté au festival.

Le chant des oiseaux et le son des vagues habillent le générique d'ouverture. Puis une voix familière se fait entendre, celle de Donald Trump. « Le potentiel de la bande de Gaza est incroyable. On a l'opportunité d'en faire quelque chose de phénoménal. »

C'est avec cette énième sortie du président étatsunien qui annonçait, en février 2025, vouloir transformer l'enclave palestinienne en station balnéaire que commence le film des frères Nasser. Leur troisième long-métrage Once Upon a Time in Gaza Il était une fois à Gaza ») a été tourné bien avant cette déclaration. Mais Arab et Tarzan Nasser1 en ont ajouté des bribes en toute fin de montage pour rendre compte de l'absurdité et du mépris jusqu'au-boutiste dont témoigne Trump à l'égard des Palestiniens. Et du silence de la « communauté internationale ». Arab Nasser, que nous rencontrons à quelques heures de l'avant-première parisienne, fustige :

Après plus d'un an de souffrance, d'humiliation et d'enfermement, Trump est arrivé au moment le plus douloureux pour les Palestiniens, celui du génocide, pour nous dire de quitter notre terre, et nous suggérer une relocalisation en Indonésie. C'est le plus grand cri de racisme et de violence jamais perpétré à l'encontre des Palestiniens. On en entend des absurdités depuis des années, mais je crois que Trump est le plus créatif.

Derrière le sarcasme du cinéaste se cache l'épuisement. Épuisement devant l'immobilisme généralisé face à la situation des Gazaouis — près de 56 000 personnes tuées par les bombardements israéliens depuis le 7 octobre 2023, sans compter les corps toujours ensevelis sous les décombres. Mais l'histoire que dépeignent les jumeaux gazaouis, qui prennent toujours Gaza comme cadre pour leurs films, n'est pas celle du 7 octobre, même si elle permet d'en comprendre l'avènement. Once Upon a Time in Gaza brosse avant tout le portrait d'une population qui ne compte pas capituler.

Une prison à ciel ouvert… avant la peine de mort

Nous sommes en 2007, au moment de la prise de pouvoir du Hamas et du blocus de la bande de Gaza imposé par Israël. Yahya est un étudiant un peu paumé et Oussama est dealer. Ensemble, ils se lancent dans un trafic de médicaments en falsifiant des ordonnances. Du bricolage, en somme, pour vivre et survivre dans cette bande de terre où s'achève la construction par Israël d'un mur de 60 km, qui finit de mettre les Gazaouis dans un état d'enfermement physique et psychologique. Aux côtés du duo, un troisième personnage : Abou Sami. Ce policier corrompu exerce son petit pouvoir en intimidant Oussama, jusqu'à commettre l'irréparable. Quant à Yahya, il se voit recruté par le gouvernement pour jouer le héros martyr d'un film d'action.

J'ai choisi cette date plus ou moins officielle, car elle correspond au moment où les Israéliens ont déclaré Gaza comme zone ennemie. Ce mur n'est que le miroir d'un apartheid violent. À partir de 2007, deux millions de personnes, deux millions de rêves, deux millions d'idées ont été officiellement mis dans une prison à ciel ouvert. C'est comme si on avait dit aux Gazaouis d'attendre leur jugement avant la peine de mort. Et voilà, maintenant : la peine de mort.

C'est aussi en réponse à l'amnésie générale que le duo a choisi cette année-là : « On a l'impression que les gens ont oublié ce qu'il se passait à Gaza avant le 7 octobre, qu'il y avait un siège israélien. » « Il était une fois à Gaza » n'est pas un titre en forme de conte. Il a été choisi pour rappeler que, fut un temps, il y avait des gens qui essayaient de s'en sortir sur le territoire.

Bande-annonce de Once upon a time in Gaza, des frères Tarzan et Arab Nasser

Les trois protagonistes, écrits à l'image du western spaghetti Le Bon, la brute et le truand (Sergio Leone, 1966), n'ont rien d'héroïque. Ils sont tantôt du côté du bien et de la bonté, tantôt du côté du mal et de la brutalité. Non par choix personnel, mais bien parce que le contexte de l'occupation les y oblige. « Je ne sais pas quoi faire de ma vie. Je t'ai suivi dans un monde qui n'est pas le mien », lance Yahya à son camarade. « Tu crois que c'est le mien ? », rétorque Oussama. Cet échange-clé du film illustre la situation dans laquelle est plongé le trio. Tout comme le reste de la population, les personnages du film essaient tant bien que mal de poursuivre le cours de leur existence.

Montrer l'avant 7 octobre 2023

Tourné en Jordanie, ce film de méta-cinéma, où s'imbriquent l'histoire du tournage d'un film de propagande et des incursions de journaux télévisés, retranscrit la vie quotidienne d'une population dont l'humanité a été niée. Il tente d'en capter la normalité malgré les bombardements filmés en toile de fond. Les frères Nasser se sont toutefois interrogés sur le bien-fondé de leur récit.

L'écriture du scénario débute en 2015, un an après la guerre de 2014. Parallèlement, le duo planche sur la réalisation de Gaza mon amour, sorti en 2021. Quand survient le 7 octobre 2023, ils interrompent l'écriture de Once Upon a Time pendant cinq mois. Arab rembobine :

Revenir à la fiction était trop difficile face aux images réelles de corps lacérés et de meurtres qu'on recevait chaque jour. On s'est demandé, avec mon frère, ce qu'on pouvait bien raconter face à cette réalité-là. Puis on a réalisé qu'il fallait continuer à écrire pour montrer cette période d'avant le 7 octobre, pour montrer la vie de ces prisonniers, comment ils vivaient et comment ils luttaient aussi.

Cette lutte se traduit aussi dans les petites choses, comme dans cette volonté de construire du lien. Si Gaza mon amour racontait une histoire d'amour sous les bombes, Once upon a time in Gaza décrit une histoire d'amitié. « Quand il y a des coupures d'électricité, qu'il n'y a plus rien à faire, on va chez un pote. La conversation nous maintient en vie. Pour moi, c'est un luxe de pouvoir être avec un ami et que l'échange soit préservé », raconte le cinéaste qui a quitté Gaza, en 2012 pour la Jordanie.

Depuis juin 2017, Arab et Tarzan Nasser ont le statut de réfugiés à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Une grande partie de leur famille est encore à Gaza. Elle a refusé de se déplacer vers le sud de la bande, et vit toujours dans le nord, qui souffre le plus de la famine imposée par Israël. Seuls leurs frères Amer, coscénariste du film, et Abboud, graphiste sur le projet, sont sur le sol français. Amer et Abboud ont bénéficié, après le 7 octobre, d'une bourse délivrée par le dispositif Pause dédié à l'accueil d'urgence de chercheurs et d'artistes en exil. Ce programme, créé en 2017 au sein du Collège de France, financé par deux ministères français et soutenu par le comité Ma'an for Gaza artists — lancé par les chercheuses françaises Marion Slitine, compagne de Arab, et Charlotte Schwarzinger —, permet d'obtenir un visa talent. Aujourd'hui, 12 des 59 lauréats palestiniens sélectionnés sont toujours bloqués à Gaza. En mai 2025, une tribune dans Le Monde intitulée « Lauréats de Pause, un programme français d'accueil, des chercheurs et artistes palestiniens sont toujours bloqués à Gaza », signée notamment de l'historien Patrick Boucheron et du sociologue Didier Fassin, dénonçait le fait que « le gouvernement français […] ne mette pas tout en œuvre » pour l'accueil des lauréats du programme, après la mort de l'un d'entre eux — Ahmed Shamia, architecte de 42 ans — grièvement blessé quelques jours auparavant dans un bombardement israélien. « Le processus passe par le consulat, et c'est très long », tient à souligner Arab.

« Un misérabilisme mal venu »

Avant de rejoindre Paris avec son frère Tarzan pour l'avant-première de Once Upon a Time in Gaza, Arab Nasser a d'abord présenté le film au Festival de Cannes, dans la section Un certain regard. Pour le cinéaste, si l'Académie du festival a été contrainte de parler de Gaza, c'est uniquement en raison de la sélection du film Put Your Soul on Your Hand and Walk Mettez votre âme sur votre main et marchez ») de Sepideh Farsi consacré à la photojournaliste palestinienne Fatima Hassouna. Un mois avant le festival, le 16 avril 2025, celle que l'on surnommait Fatem a été tuée avec sa famille par un missile israélien ayant frappé sa maison. Pour Arab Nasser, Cannes a en réalité invisibilisé Gaza :

Pour d'autres causes, il y a eu des dénonciations, des discours, mais quand ça touche les Palestiniens il y a une sorte d'omerta. Et ça ne concerne pas seulement Cannes. Les prises de parole sont faibles et témoignent d'une empathie et d'un misérabilisme souvent mal venus.

Le discours bien timide de Juliette Binoche, présidente de la 78e édition du festival, en est un parfait exemple : rendre hommage à Fatima Hassouna, tout en évitant soigneusement de mentionner la responsabilité israélienne.

Une conférence en l'honneur de la photojournaliste a bien été organisée à l'initiative de Sepideh Farsi, en présence de plusieurs ONG, dont Médecins sans frontières. Mais là encore, le bât a blessé. Alors qu'elle devait se tenir au prestigieux Hôtel Majestic, où le cortège de stars internationales a coutume de loger et de défiler, l'événement a finalement eu lieu au Pavillon Palestine. Un rétropédalage qui n'a rien d'étonnant pour le réalisateur gazaoui. Il signera, aux côtés de plus de 300 personnalités du monde du cinéma, la tribune intitulée « À Cannes, l'horreur de Gaza ne doit pas être silenciée », publiée sur le site de Libération le 12 mai, à la veille du lancement du festival. Le réalisateur s'interroge :

Je ne sais pas ce qu'attend le monde pour réagir. Nous n'avons pas besoin de soutien par pitié. Je voudrais que les gens nous soutiennent parce qu'ils croient en notre cause et en la justice. Comment peut-on rester silencieux alors qu'on est témoin d'images d'enfants démembrés tous les jours ? Les populations se mobilisent, mais quand est-ce que ceux qui ont les décisions en main vont réagir ?

S'il ne peut se substituer aux décideurs, Arab Nasser espère que le cinéma a au moins encore un impact sur les consciences.

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Affiche de film colorée avec des personnages masculins sur fond urbain.

Once upon a time in Gaza
Réalisé par Tarzan Nasser et Arab Nasser
Avec Nader Abd Alhay, Majd Eid et Ramzi Maqdisi
Sortie le 25 juin 2025
1h27


1NDLR. Pseudonymes professionnels de Mohamed et Ahmed Abou Nasser.

24.06.2025 à 06:00

Cisjordanie. Journées ordinaires à Massafer Yatta

Erella Dunayevsky

Dans les territoires occupés, la violence des colons et de l'armée s'abat quotidiennement sur les habitants. Dans cette lettre que nous publions ici, l'autrice — militante israélienne du Villages Group, une association venant en aide aux villageois palestiniens — témoigne de cette brutalité banale, qui a redoublé d'intensité — et d'impunité —depuis le 7 octobre 2023. Mardi 3 juin 2025. Najah et Abou Saddam, deux personnes âgées, vivent seuls à la périphérie de Susya à quelque distance (…)

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Dans les territoires occupés, la violence des colons et de l'armée s'abat quotidiennement sur les habitants. Dans cette lettre que nous publions ici, l'autrice — militante israélienne du Villages Group, une association venant en aide aux villageois palestiniens — témoigne de cette brutalité banale, qui a redoublé d'intensité — et d'impunité —depuis le 7 octobre 2023.

Mardi 3 juin 2025.

Najah et Abou Saddam, deux personnes âgées, vivent seuls à la périphérie de Susya1 à quelque distance du bourg, là où aucune voix ne se fait entendre. Le mercredi 28 mai 2025, dans la nuit, le couple a été attaqué par des hommes de la colonie israélienne toute proche. Les colons ont brisé des fenêtres et lancé des gaz lacrymogènes dans la pièce où le couple était assis. Lorsque Najah est sortie de la pièce, les agresseurs l'ont frappée aux bras et au dos avec des barres de fer, ils ont détruit une partie du magnifique jardin du couple et sont partis. Najah a été hospitalisée et soignée. Vendredi [30 mai], nous avons rendu visite au couple à leur domicile. Nous avons beaucoup toussé, car l'espace était encore rempli de gaz lacrymogènes. Nous sommes allés dans leur beau jardin.

Un camp avec tentes, végétation et réservoir d
Le jardin d'Abou Saddam et de Najah vers 2019, bien avant le pillage par les colons

Abou Saddam nous a dit que les fauteurs du pogrom étaient Shem Tov et sa bande. Shem Tov est le fils du vieux Gadi qui a fondé sa propre ferme familiale tout près de Sussya, au début des années 1980. Au fil des ans, Gadi le colon et sa femme se sont liés d'amitié avec Najah et Abou Saddam. C'est ainsi que Gadi « a permis » à Abou Saddam de faire paître son troupeau sur ses propres terres [celles d'Abou Saddam], aux abords de la ferme de Gadi. Ils ont partagé des repas préparés par Najah, ils se sont entraidés pour l'usage de plantes médicinales lorsque l'un d'eux attrapait les fâcheuses infections hivernales.

Le lendemain de l'attaque, le vieux Gadi, son fils Shem Tov et sa bande se promenaient près du jardin d'Abou Saddam. Abou Saddam et Najah étaient là. Leurs regards se sont croisés. « Nous sommes amis », a rappelé Abou Saddam à Gadi (bien que ce dernier ait mis fin à cette amitié depuis un certain temps). « Nous avons partagé le pain », a poursuivi Abou Saddam. Pour un vrai fermier, manger ensemble crée un lien fort, mais un seul d'entre eux est un vrai fermier. Le silence de Gadi signifiait que les paroles d'Abou Saddam restaient inaudibles. Shem Tov, le fils, témoin de la scène, ne cessait de crier à Abou Saddam et Najah : « Allez-vous-en ! Allez à Yatta ! » [Une ville palestinienne voisine]. Najah nous a confié que cela lui faisait encore plus mal que les coups.

Carte détaillée de la région autour de Yata, avec routes et limites géographiques.
Carte de la vallée de Masafer Yatta (cliquez sur l'image pour l'agrandir)
liveuamap.com

J'ai réussi, tant bien que mal, à calmer ma rage, à contenir la douleur physique de Najah, la toux et la douleur de l'humiliation et de l'avilissement qu'ils subissaient. Je l'ai serrée dans mes bras et je l'ai apaisée avec des paroles réconfortantes. Une douceur régnait entre nous, un rappel que cette terre, devenue si maléfique, peut encore contenir l'amour.

Armée et colons, main dans la main

Quelle chance que cela se soit produit ce jour-là : quatre jours plus tôt, j'aurais été incapable de maîtriser la tempête intérieure provoquée par ce que j'ai vu. C'était le lundi 26 mai. Nous avons visité le village Khallet Al-Dabaa. Trois semaines plus tôt, le 5 mai, l'armée avait détruit l'essentiel du village. Nous sommes arrivés dans l'après-midi. Les colons occupaient le village, dévasté, ses habitants refusant de le déserter. Les assaillants ont sorti le vieil Abdallah de sa grotte, celle qu'il avait restaurée, pour y ériger un avant-poste improvisé. Abdallah a convoqué la police et l'armée, il s'est présenté comme le propriétaire légal du terrain, leur montrant des documents officiels. Ils lui ont dit que la grotte et les environs ne lui appartenaient plus, l'ont arrêté et emmené au poste de police de Kiryat Arba2.

Ils l'ont libéré tard dans la soirée et lui ont infligé une amende de 2 000 shekels (497 euros). J'ai surmonté le dégoût qui me nouait déjà l'estomac et j'ai fait de mon mieux pour aider. J'ai discuté avec Jaber, et j'ai pris contact avec un avocat. Yoav et Asaf [deux membres de Villages Group] , qui étaient avec moi, prenaient des photos. J'ai regardé autour de moi et j'ai soudain réalisé que, de toutes parts, des centaines de moutons appartenant au villageois de Khallet Al-Dabaa étaient dispersés par les « jeunes des collines », nourris de la dose quotidienne de haine dispensée par leurs aînés. Les bandes de jeunes affluaient vers le village. C'était la folie. Je me suis figée. Impossible de bouger. Ces adolescents auraient pu être des écoliers de n'importe où, ils auraient pu être des amis de Rian, le fils de Jaber, qui a plus ou moins leur âge. Au lieu de cela, ils affichaient une expression vide et stupide, riant comme s'ils étaient les seigneurs du pays. C'était insupportable. Certains d'entre eux sont venus au point d'eau de Jaber. Ils n'ont pas abreuvé le troupeau, juste versé l'eau en vain, pour signifier qu'ils avaient le contrôle total de la zone.

Les habitants n'ont pas osé les arrêter, et nous non plus. Trop vieux, trop peu nombreux. Yoav et Asaf étaient occupés à filmer, tandis que j'essayais de maîtriser ma nausée face au mal implanté chez ces jeunes — messagers d'un pouvoir impitoyable et sans entraves. Une nausée de ce que je voyais, et surtout un profond dégoût de moi-même, prise en otage, impuissante, les bras paralysés : ils ne pouvaient serrer personne. Il m'était interdit de dispenser des paroles réconfortantes, et comme un tigre en cage je courais dans les moindres impasses de mon cœur.

Je déambule ainsi dans ma maison depuis une semaine. Je n'arrive pas à apaiser mon esprit. Les bombardements dans la bande de Gaza résonnent comme s'ils étaient là, chez moi, ajoutant le péché au crime. Difficile de mener une vie routinière.

Hier [1er juin], alors qu'Ehud [membre de Villages Group] et moi étions en route pour Khallet Al-Dabaa, nous avons appris que l'endroit avait été déclaré zone militaire fermée. Nous avons rencontré Jaber à At-Tuwani, car il allait déposer une plainte au commissariat de Kiryat Arba pour dénoncer le harcèlement des colons dans le village. « La police a expulsé tous les colons du village. Même ceux qui avaient établi un avant-poste dans la grotte d'Abdallah et ses environs. Et les bergers, et les troupeaux. Tout le monde », a-t-il dit. Pour la première fois depuis plusieurs semaines, j'ai vu dans ses yeux une lueur qui m'a rappelé son sourire plein de sagesse. « Si l'interdiction de l'entrée au village est le prix à payer pour que les colons ne soient plus là, je veux bien l'accepter », lui ai-je dit en essayant de sourire. « Ne t'inquiète pas, tu retourneras au village, et eux aussi, mais, pour l'instant, il y a une pause », m'a-t-il répondu avant de poursuivre sa route pour déposer sa plainte.


1NDLR. Susya est un village palestinien situé au sud des collines de Hébron, dans la vallée de Masafer Yatta, dans le sud de la Cisjordanie.

2NDLR. Kiryat Arba est une colonie israélienne située dans la banlieue d'Hébron.

24.06.2025 à 06:00

Accord d'association avec Israël. L'Union européenne dos au mur

Andrea Teti

Le Conseil des affaires étrangères de l'Union européenne (UE) a décidé, le 20 mai 2025, la révision de l'accord d'association avec Israël, qui fait de celui-ci un partenaire privilégié de l'UE. Le service diplomatique de l'UE a présenté lundi 23 juin un rapport accablant, confirmant les accusations contre Israël de plusieurs crimes internationaux. Pour autant, rien ne garantit que cela aboutira à sa suspension. Après près de 20 mois de dévastation sans précédent à Gaza, il est normal — et (…)

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Le Conseil des affaires étrangères de l'Union européenne (UE) a décidé, le 20 mai 2025, la révision de l'accord d'association avec Israël, qui fait de celui-ci un partenaire privilégié de l'UE. Le service diplomatique de l'UE a présenté lundi 23 juin un rapport accablant, confirmant les accusations contre Israël de plusieurs crimes internationaux. Pour autant, rien ne garantit que cela aboutira à sa suspension.

Après près de 20 mois de dévastation sans précédent à Gaza, il est normal — et humain — d'accueillir favorablement le vote de 17 États membres de l'Union européenne1 pour réévaluer l'accord d'association avec Israël2. Toute mesure susceptible de mettre fin à cette destruction désolante, toute action qui reconnaît les droits humains des Palestiniens et qui affirme que le droit international est réellement le même pour tous, ne peut qu'être saluée.

Cependant, les signaux d'alarme retentissaient déjà à la veille du vote. En effet, évaluer l'accord n'est pas — ou ne devrait pas être — une nouveauté. Comme tous les accords d'association avec des pays tiers, celui avec Israël comporte des « conditionnalités », c'est-à-dire des critères qui doivent être évalués chaque année et qui peuvent conduire à un approfondissement de la coopération ou à des reculs. L'article 2 de l'accord avec Israël stipule que les relations bilatérales dépendent du respect des droits humains.

L'UE est donc tenue de procéder à ce type d'évaluation. Ce qui est extraordinaire, ce n'est pas le vote pour une révision de l'accord, mais le fait qu'une telle évaluation sérieuse n'ait jamais été effectuée auparavant. Et que la litanie des violations des droits humains et du droit international, bien avant 2023 — sans parler des 20 derniers mois — n'a jamais déclenché l'application de ces critères.

Une ambiguïté structurelle

L'UE n'a, en réalité, jamais eu l'intention réelle de rendre ces « conditionnalités » effectives, puisqu'elle n'a jamais défini clairement les paramètres des évaluations annuelles. Les 17 États signataires et l'Union dans son ensemble ont donc systématiquement fermé les yeux sur des décennies de violations des droits humains en Israël/Palestine — ainsi que dans tous les autres pays avec lesquels l'UE a signé des accords d'association. Et rien n'indique qu'ils soient prêts à changer de cap avec ce vote.

Israël ne bénéficie pas d'un traitement de faveur en ce qui concerne la « souplesse » intrinsèque à la structure des accords d'association ; il en bénéficie, en revanche, en termes de non-application flagrante du droit international et du droit international humanitaire. Au contraire, cette flexibilité — ou ambiguïté — est une caractéristique structurelle de ce type d'accords, qui profite également, par exemple, au régime égyptien. Malgré la répression extrême dont il fait preuve, celui-ci demeure pour l'UE un « partenaire sûr ».

Tout aussi creuses sont les déclarations du gouvernement britannique, qui suspend les négociations commerciales avec Israël — mais pas les échanges commerciaux eux-mêmes — et convoque l'ambassadeur israélien, tout en menant quelques heures plus tard un énième vol de renseignement au-dessus de Gaza, l'un des plus de 500 vols effectués en soutien à Israël depuis octobre 20233. Londres continue également de fournir des armes à Israël. Il en va de même pour le communiqué « ferme » de la France, du Canada et du Royaume-Uni, qui ne s'oppose qu'à une intensification de la dévastation — non à la dévastation elle-même ni aux violations flagrantes du droit humanitaire international commises jusqu'à présent.

En apparente contradiction, la déclaration du premier ministre espagnol Pedro Sánchez selon laquelle son pays « ne fait pas affaire avec un État génocidaire » a été rapidement contredite par la députée Podemos et ancienne ministre Ione Belarra, qui a énuméré plus de 40 contrats toujours en vigueur entre l'État espagnol (ou des entités privées) et l'État israélien, dans les domaines de l'armement et du renseignement. Des accords signés avant et après la déclaration du gouvernement Sánchez, selon laquelle les contrats de fourniture d'armes vers Israël — ainsi que les achats à Israël — seraient suspendus. Une coopération militaire et technologique que poursuivent également l'Allemagne et l'Italie, rendant ainsi ces gouvernements légalement complices des crimes commis par les forces israéliennes.
Le vote du Conseil des affaires étrangères de l'UE, tout comme les prises de position mentionnées ci-dessus, apparaît ainsi comme totalement superficiel, sans conséquences concrètes. L'Allemagne et l'Italie y ont par ailleurs opposé un refus.

Appliquer le droit international

Si les gouvernements européens veulent vraiment envoyer un message clair, ils doivent commencer par faire ce à quoi ils sont déjà légalement tenus, à la fois en vertu des dispositions de l'accord et de celles du droit international humanitaire, à savoir :

  • 1. Suspendre les contrats de fourniture d'armes et de technologies de surveillance avec les entreprises israéliennes publiques, parapubliques ou privées ;
  • 2. Suspendre le soutien et la coopération en matière de renseignement ;
  • 3. Appliquer les normes de l'UE déjà en vigueur concernant les échanges commerciaux, culturels et de recherche avec les institutions israéliennes publiques et privées présentes dans les territoires palestiniens occupés.

Ils devraient également soutenir l'application du droit international, à commencer par les procédures devant la Cour internationale de justice et la Cour pénale internationale, y compris l'exécution des mandats d'arrêt émis par cette dernière.

C'est pourquoi il faut tirer la sonnette d'alarme : tous les engagements mentionnés ci-dessus sont des obligations que l'UE est déjà censée respecter, mais qu'elle ignore depuis des décennies. Depuis octobre 2023, ce silence et cette inaction se sont traduits par une interminable litanie de responsabilités légales et morales dans la destruction la plus systématique et dévastatrice d'une population que ce siècle a connue. Reste à savoir si le rapport accablant présenté par la diplomatie européenne devant les États membres et qui accuse notamment Israël de crimes de famine, de torture, d'attaques indiscriminées et d'apartheid contre les Palestiniens conduira enfin à des décisions concrètes.

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Traduit de l'italien par Christian Jouret.


1NDLR. Sur les 27 ministres européens des affaires étrangères, 17 ont soutenu la proposition présentée par Kaja Kallas. Il s'agit des ministres de la Belgique, de la Finlande, de la France, de l'Irlande, du Luxembourg, du Portugal, de la Slovénie, de l'Espagne, de la Suède, de l'Autriche, du Danemark, de l'Estonie, de Malte, de la Pologne, de la Roumanie, de la Slovaquie et de la Lettonie. En revanche, la Bulgarie, la Croatie, Chypre, la République tchèque, l'Allemagne, la Grèce, la Hongrie, l'Italie et la Lituanie s'y sont opposées, tandis que la Lettonie s'est abstenue.

2NDLR. Signé en 1995 et entré en vigueur en 2000, cet accord permet le libre-échange dans plusieurs secteurs de biens commerciaux entre l'UE et Israël, notamment industriels et agricoles. Il a été signé par les 15 membres de l'époque : l'Allemagne, l'Autriche, La Belgique, le Danemark, l'Espagne, la Finlande, la France, la Grèce, l'Irlande, l'Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni et la Suède

3Iain Overton, «  Britain sent over 500 spy flights to Gaza  », Declassified UK, 27 mars 2025.

23.06.2025 à 06:00

De Gaza à l'Iran. Quand les démocraties poussent à la guerre

Alain Gresh, Sarra Grira

Le dernier round du prétendument inéluctable « choc des civilisations », entre la « civilisation judéo-chrétienne » et le monde islamique, se jouerait avec l'entrée en lice des États-Unis pour soutenir l'attaque israélienne contre l'Iran. Certes, nous explique-t-on, Tel-Aviv dispose également de la bombe atomique et d'un programme nucléaire qui n'a jamais été contrôlé par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Mais, voyez-vous, contrairement à la République islamique, Israël (…)

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Le dernier round du prétendument inéluctable « choc des civilisations », entre la « civilisation judéo-chrétienne » et le monde islamique, se jouerait avec l'entrée en lice des États-Unis pour soutenir l'attaque israélienne contre l'Iran. Certes, nous explique-t-on, Tel-Aviv dispose également de la bombe atomique et d'un programme nucléaire qui n'a jamais été contrôlé par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Mais, voyez-vous, contrairement à la République islamique, Israël est une démocratie, qui plus est occidentale – que l'on excuse le pléonasme. Et ce postulat – qui ne tient même pas compte du fait qu'il s'agit d'un État apartheid où l'inégalité entre les citoyens est inscrite dans les lois fondamentales — suffit pour blanchir Israël de toute violation du droit international. Celui-ci agit en effet au nom de la démocratie et du Bien, et pas au nom d'une idéologie islamiste qui est celle de l'Iran.

Comme le rappelait Bertrand Badie sur le plateau de France 24 le soir du début de l'agression israélienne, « le seul pays qui a utilisé l'arme atomique dans l'histoire, c'était une démocratie ». Preuve, s'il en fallait, que cette forme de gouvernement, toute vertueuse qu'elle soit, n'immunise pas contre la barbarie. Il suffit d'ailleurs d'observer le chaos dans lequel Israël – et par extension les États-Unis et l'Europe – ont plongé la région pour se demander : quels pays représentent véritablement aujourd'hui une menace pour le Proche-Orient, voire pour le reste du monde ? Et qui peut croire que Benyamin Nétanyahou, inculpé par la Cour pénale internationale de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité n'utilisera pas la bombe atomique pour « se défendre » ?

Depuis 20 mois, l'Iran a fait preuve de retenue dans sa réaction aux opérations israéliennes, dans le but d'éviter une guerre régionale, quitte à lâcher un de ses principaux bras armés, le Hezbollah. Même son de cloche en avril 2024, lorsque sa mission diplomatique et consulaire est bombardée par Israël à Damas : Téhéran répond, presque pour sauver les apparences, par l'envoi annoncé de 200 drones et d'une centaine de missiles qui font essentiellement des dégâts matériels, tout en indiquant clairement qu'il veut éviter une guerre totale avec Israël – et donc avec les États-Unis. Avec Washington, et malgré le précédent de 2018 où le même Donald Trump se retire de l'accord de 2015 sur le nucléaire et renforce les sanctions économiques, la République islamique accepte de revenir à la table des négociations et fait montre de bonne volonté pour faire aboutir les discussions. C'est au moment où il est en pourparlers avec Washington et les Européens, qu'il est bombardé, ce qui n'empêche pas les Occidentaux de lui demander de retourner à la table de négociations qu'il n'a jamais quitté. Dont acte. Ironiquement, c'est l'Iran qui souligne la violation par Washington du droit international et de la charte des Nations unies.

À l'heure où, après les tergiversations médiatiques de Donald Trump, les États-Unis s'engagent officiellement dans cette guerre aux côtés d'Israël, un constat s'impose : tous les régimes autoritaires de la région, de Téhéran à Riyad, aspirent à la stabilité et condamnent les massacres et les attaques israéliennes de Gaza jusqu'à l'Iran, en passant par le Liban et la Syrie. Et leur inquiétude grandit face à un Proche-Orient dominé par un Israël sûr de lui et dominateur, qui a perdu tout sens de la mesure. Quant aux démocraties occidentales et à l'Union européenne, elles soutiennent le génocide en cours à Gaza, malgré les déclarations lénifiantes de certains, et refusent de prendre des sanctions contre leur auteur. L'abîme dans lequel Israël plonge la région rend la dissonance de plus en plus aiguë entre les valeurs qu'elles proclament et leurs politiques.

La vraie barbarie

Justifier l'ouverture d'un nouveau front par Israël en invoquant le principe de la guerre préventive, le soutenir militairement (les États-Unis) et politiquement (la France et plus largement l'Union européenne), tout en contribuant à l'invisibilisation du génocide en cours à Gaza et en refusant toute mesure de sanctions contre un État, voilà la vraie barbarie. Elle est le fait non pas du « régime des mollahs » mais des démocraties occidentales.

L'Occident a la mémoire courte. À la veille de la guerre contre l'Irak de 2003, les responsables américains annonçaient que leurs soldats seraient accueillis avec des fleurs et les mêmes intellectuels français qui aujourd'hui soutiennent Donald Trump et Israël, promettaient des lendemains qui chantent en Irak. Résultat, une interminable guerre, la destruction de l'État irakien et des centaines de milliers de victimes.

Comme l'écrivait l'historien des idées Tzvetan Todorov, dénonciateur, il y a 20 ans, des guerres de changement de régime au Proche-Orient au nom du « messianisme du Bien » :

Il est temps de changer notre vision : la « communauté internationale » ne se réduit plus au bloc occidental, l'ère de l'hégémonie universelle d'un seul groupe de pays est révolue. Jouer au gendarme du monde n'est ni possible ni souhaitable ; un équilibre multipolaire, sans être une panacée, ouvre de meilleures perspectives. Une intervention militaire provoque toujours des victimes et d'innombrables autres dégâts. […] Éradiquer le mal de la surface de la terre est un objectif inatteignable, contentons-nous d'être prêts à repousser toute agression. Le génocide chez nos voisins peut justifier une exception à cette règle ; malheureusement, nous ne sommes pas intervenus lors des derniers génocides, au Cambodge et au Rwanda, alors que nous avons invoqué de faux génocides pour justifier nos interventions ailleurs1.


1Tzvetan Todorov, «  La démocratie par les armes  » in Lire et vivre, Robert Laffont/Versilio, 2018.

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