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🖋 Outside Dana Hilliot

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27.09.2025 à 18:34

Unite the kingdom : le désir néofasciste d’ordre et de purification

danah

Cette manif aux allures de coup d’état populiste fasciste, Unite the Kingdom, me plonge dans une terreur absolue. Toutes ces images de foules vociférantes qui reviennent, en noir et blanc (et parfois en couleur) à lire ici par exemple dans The Guardian. (et : avez-vous vu ces yellow jackets en tête de cortège ? Un…

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Texte intégral (1332 mots)

Cette manif aux allures de coup d’état populiste fasciste, Unite the Kingdom, me plonge dans une terreur absolue.
Toutes ces images de foules vociférantes qui reviennent, en noir et blanc (et parfois en couleur)

à lire ici par exemple dans The Guardian.

(et : avez-vous vu ces yellow jackets en tête de cortège ? Un hommage peut-être ?)
(et, cette femme qui brandit la photo du martyr Charly Kirk)
(et, tiens, y’avait Zemmour à la manif)

C’est une manifestation raciste pure et dure. De suprématistes nationalistes blancs. (et internationalistes d’une certaine manière)

ah, le peuple ! Vive le peuple ! Ce fantasme pourri décrépi qu’on brandit à droite comme à gauche. Vous verrez quand ledit peuple, sympathique par définition, viendra vous lyncher pour une raison ou pour une autre.

On est en Grande-Bretagne, un pays qui pratique, à l’instar de ses voisins européens une politique migratoire complètement raciste – qui date d’au moins deux décennies. Où la plupart des racisés sont des descendants des populations colonisées à l’époque où la Grande Bretagne avait établi un empire d’une extension jamais vue dans l’histoire du monde, asservissant et exploitant des centaines de millions d’êtres humains, et pillant leur environnement. Un empire dont l’héritage est révoltant : la partition de l’Inde, le bourbier Israelo-Palestinien, et bien d’autres catastrophes géopolitiques dont les effets s’étalent encore, interminables, voilà leur œuvre à ces génies, Churchill et ses amis, viscéralement racistes.

Un empire dont on ne sait plus rien outre Manche, sinon qu’on en regrette la fierté qu’il inspirait quand le royaume dominait la terre. Dont on a effacé soigneusement les horreurs : les génocides notamment, commis bien après la fin de la seconde guerre mondiale, comme celui des Mau Mau au Kenya.

Lisez sur cet Empire le livre implacable que Caroline Elkins lui a consacré, Legacy of violence : a history of the British empire, New York : Alfred A. Knopf, 2022.
Ou bien celui de Priya Satia, Times Monster. History, Conscience and Britains Empire (Havard University Press 2020)

Qu’on soit clair. Ces manifestants qui s’en prennent aux politiques migratoires se foutent de nous : la forteresse européenne est déjà raciste, de bout en bout. Non, leur plainte, c’est : « ON N’EST PLUS CHEZ NOUS » – et s’ils ne se sentent plus chez eux, c’est à cause de la présence des racisés, des gens d’une autre couleur de peau que la leur. Des gens qui ne sont pas « nous ». Qui les embarrassent, les indisposent, les révulsent, leur donnent envie de vomir. Ils voudraient rester entre blancs. Voilà tout. Sans eux, ça irait mieux.

Ils ont perdu leur fierté d’être blancs, d’être des sujets de sa Majesté. La menace, c’est la couleur. Ces other others, ces autres qui, parmi tous les autres, ne seront jamais « nous ». Leur nationalisme dégouline de haine et sert de prétexte à la fabrication d’un « nous » délirant. D’une foule unie dans la même scansion haineuse.

Ah, la fierté perdue ! Assommés, humiliés, crétinisés, après des décennies de néolibéralisme, les voilà qui, n’ont d’autre priorité que s’en prendre aux racisés. Et qui veulent un leader, un qui parle fort, un bien viril, qui hurle tout haut ce qu’on les contraignait soit-disant à taire (alors que le racisme est devenu complètement mainstream en quelques années, mais peu importe).

Voilà en tous cas une vraie manifestation fasciste (et dieu sait que j’emploie le terme avec prudence, une prudence que j’assume), qui remplit toutes les cases, y compris l’appel au guide et au sauveur. (L’extrême droite américaine ne s’y est pas trompé qui en fait des tonnes pour encourager le pays cousin sur cette voie).

Ah, encore un mot : que cette manif ait lieu alors que gouverne l’aile droite du labour, c’est-à-dire une soit-disant gauche qui ressemble comme deux gouttes d’eau à n’importe quel gouvernement néolibéral en Europe, cela n’est pas anodin. Car on soupçonne Starmer, à tort, de favoriser les racisés et l’immigration, alors que dans ce domaine et bien d’autres, il ne diffère en rien de ses prédécesseurs. Mais voilà, c’est le labour. C’est une menace, comme le Parti Démocrate aux États-Unis (qu’ils soit néolibéral jusqu’à l’os n’y change rien).

Bref, tout cela est horrible.

Parce qu’évidemment, l’exemple britannique n’en est qu’un parmi d’autre, impressionnant, mais qui ne fait que confirmer le poids désormais majoritaire de l’extrême droite dans les population‧ Ajouté aux votes conservateurs, que reste-t-il aux gauches européennes ? Que reste-t-il, quand, à gauche, les partis populistes « de gauche » sont les seuls à surnager un peu ?

Rien.
Le néant.
On a ou bien des partis nationalistes populistes à droite, des partis populistes à gauche, une alliance néolibérale et néoconservatrice au centre, et quelques partis plus ou moins de gauche ou écologistes qui rêvent d’un capitalisme vert à visage humain.
Tous nationalistes en diable d’ailleurs, le patriotisme chevillé au programme.

(PS : et n’allez pas me parler du 10 septembre ce soir, j’ai pas l’humeur à la plaisanterie, et je bloque à tour de bras en ce moment
Ou de l’influence irrésistible des médias de masse.
Sans déconner : je connais des tas de gens qui regardent la télévision et que ça n’a jamais conduit à devenir raciste.

Et la fierté perdue. Moi, qui suis un vrai précaire, un vrai déclassé, je ne me suis jamais senti fier d’être banc, d’être un mâle, d’être français, bien au contraire. J’ai toujours détesté ce pays, son arrogance. J’ai toujours haï toute forme de patriotisme.

Il faut arrêter avec cette histoire d’influence comme si les gens n’étaient pas assez cons pour être racistes et décréter qu’ils ne prendront soin de personne, excepté leurs proches et ceux qui leur ressemblent, et surtout pas des autres, des racisés, des plus pauvres qu’eux, de la planète, etc..
J’en ai ma claque de ces explications par l’influence. Internet n’existait pas dans l’Italie pré-mussolinienne, ou l’Allemagne pré-nazie. Il n’y avait pas besoin de médias de masse pour entraîner des populations entières derrière un leader fasciste nationaliste.
La gauche se fourre le doigt dans le nez jusque dans l’omoplate en restant bloquée sur des explications aussi minables. Elle ferait mieux de contempler sa propre stupidité et mesurer l’étendue de son impuissance.
Bref sortez de vos obsessions nationales et locales, dépassez les frontières de vos esprits sclérosés et constatez l’extension du désastre.
Il est trop tard. Et ça fait longtemps qu’il est trop tard. Comme pour la catastrophe climatique.

 

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27.09.2025 à 18:31

Quand le néolibéralisme « touche le sol »

danah

Dans la liseuse, le passionnant essai de l’historien marxiste Harry Harootunian, Marx after Marx, History and Time in the Expansion of Capitalism (2015), dans lequel il tire les enseignements d’une vie consacrée à l’étude de la vie sociale et intellectuelle japonaise au XXème siècle pour « déprovincialiser » Marx, en se dégageant d’une explication purement européano-centrée du…

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Texte intégral (1361 mots)

Dans la liseuse, le passionnant essai de l’historien marxiste Harry Harootunian, Marx after Marx, History and Time in the Expansion of Capitalism (2015), dans lequel il tire les enseignements d’une vie consacrée à l’étude de la vie sociale et intellectuelle japonaise au XXème siècle pour « déprovincialiser » Marx, en se dégageant d’une explication purement européano-centrée du capitalisme, au profit d’un ancrage en Asie, Afrique et Amérique Latine.

cup.columbia.edu/book/marx-aft

Cet ouvrage rejoint nombre d’études qui se sont engagées dans cette voie ces dernières années : je songe par exemple au livre de Sandro Mezzadra et Brett Neilson, The Politics of operation, Excavating Contemporary Capitalism, qui m’a bien occupé cet été (et tant d’autres ces dernières années qui m’ont permis de comprendre le caractère polymorphe et hybride du capitalisme, ses capacités à absorber les différentes manières d’habiter le monde, les formes multiples de la violence par laquelle il assujettit environnement et populations pour en extraire la valeur, et les formes tout aussi multiples de résistance qu’il rencontre et engendre.

dukeupress.edu/the-politics-of

EDIT : si vous vous intéressez à la question des théories néolibérales qui ont émergé dans les pays du Global South au XXè siècle, notamment dans la période décolonial, je vous conseille le recueil d’études Market Civilizations: Neoliberals East and South, qui fournit des points de départ pour s’orienter dans ce domaine embarrassant (pour les tenants d’une théorie purement top-down – du genre, les néolibéraux occidentaux qui imposent leurs thèses sur des « dehors » vierges de toute théorie politiques et économiques antérieures. Beaucoup d’intellectuels des colonies ont fait leurs études en Europe notamment, et les versions du capitalisme néolibéral post-colonial émergent la plupart du temps de ces interactions. D’où les variations observables quand le capitalisme ou le néolibéralisme « touchent le sol » en Asie, en Afrique, en Amérique Latine etc.. Le capitalisme japonais n’est pas le capitalisme chinois qui n’est pas le capitalisme à l’indonésienne ou le capitalisme au Chili etc… Ces différences se fabriquent dans le croisement de l’histoire et de la géographie locales, mais relèvent aussi des productions intellectuelles locales.

press.princeton.edu/books/hard

Tout cela est captivant, mais voilà, ça m’a amené à me tourner et retourner dans les draps jusqu’à 3 heures du matin. Faudrait peut-être revenir à des rituels de lecture/heure du coucher un peu moins sauvages parce que le lendemain matin, le lecteur de la veille n’est pas beau à voir. 😭

Toujours aussi fasciné par la richesse de l’œuvre de Marx, qui se déploie au fur et à mesure de la publication de ses textes, et les fruits qu’on peut tirer de ses observations notées sur un carnet, des intuitions qui émerge de son inlassable curiosité.

 

Un extrait (traduit vite fait) de l’introduction :

« La théorie sociale moderne n’a pas seulement cherché à protéger le présent des contaminations du passé historique en les dissociant définitivement, dans la pure tradition moderniste, dans la mesure où le présent capitaliste était reconnu comme ayant déjà absorbé ses antécédents. En faisant appel à une logique binaire d’oppositions telles que moderne et prémoderne, avancé et arriéré, rationnel et irrationnel, voire à des différenciations géographiques entre l’Occident et l’Orient, la contrainte de cette organisation dyadique a rendu obligatoire de considérer le passé comme un continent historique dont le présent moderne devait désormais se séparer et qu’il devait éliminer, car il ne pouvait y avoir de mélange adultéré ou de signes persistants d’un passé survivant. Le souvenir de ces vestiges serait immédiatement considéré comme une interférence (ou une contradiction rétrograde) avec la modernité ou le capitalisme. Une façon d’empêcher la « contagion » de l’histoire de s’insinuer dans le présent moderne était de considérer celui-ci, ainsi que son autre non-moderne, le passé, comme appartenant à des registres temporels différents, même s’ils pouvaient paradoxalement être immanents l’un à l’autre ou simplement coexister chronologiquement. À cet égard, la théorie sociale moderne et sa traduction en sciences sociales opérationnelles semblaient excessivement désireuses de maintenir le présent à distance et à l’abri de la contamination historique que représentait le passé.

(…)

Ce que propose l’appel à la conceptualisation marxiste de la subsomption formelle, c’est une issue à la fois à la vulgate marxiste et aux récits historiques bourgeois modernisateurs contraints de remplir les agendas téléologiques du capitalisme qui ont prétendu à une trajectoire unique partout dans le monde. Une telle perspective nous oblige à prendre en compte la nécessité concomitante de voir l’« efficacité » des pratiques et des institutions, ainsi que le rôle joué par les temporalités inégales produites par l’incorporation et la métabolisation des passés dans le présent. À cet égard, les multiples exemples de la manière dont la logique du développement a été pensée et médiatisée par une réflexion approfondie sur les circonstances historiques héritées et les conditions locales contemporaines ont révélé la forme possible d’une histoire mondiale que Marx avait annoncée plus tôt et qui restait à écrire. La très grande inégalité partagée par différents présents remet en question l’affirmation illusoire de l’inévitable accomplissement du capitalisme partout dans le monde et ses prétentions à l’uniformité, et incite à considérer les exemples attestant de résistances réussies aux formes dominantes du capitalisme au-delà de l’Euro-Amérique. L’attention portée aux différentes façons dont le capitalisme s’est développé dans des lieux et à des moments singuliers et spécifiques confirme la décision de Marx de privilégier la scène mondiale reflétée dans la formation du marché mondial comme principe organisateur principal dans la conception de toute histoire mondiale possible. L’examen des différences indiquées par les différentes histoires, comme l’ont proposé les philosophes de Kyoto avant la Seconde Guerre mondiale, et les combinaisons inégales de vestiges capitalistes et précapitalistes exigeaient de prendre en compte leurs histoires singulières et spécifiques, dont les significations échappaient aux contaminations de la « raison de l’histoire » afin de restaurer la contingence dans le texte historique. Si le capitalisme n’a pas réussi à contrôler complètement le mélange inégal, les pratiques et les institutions incarnant les différentes temporalités historiques qu’il a conservées du passé pour servir la poursuite de la valeur, c’est parce qu’il avait besoin de produire de l’inégalité comme condition de sa propre pérennité. »

(Harry Harootunian, Marx after Marx, History and Time in the Expansion of Capitalism (2015)

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27.09.2025 à 18:28

Cette ville où je vis

danah

Choses vue et entendues ce matin à la promenade en ville (les rues au-dessus de chez moi) (ce pourquoi j’adore cette ville) Une dame qui nettoie le pare-brise de sa voiture avec une éponge – j’ai à peine le temps de dire bonjour (on ne se connaît pas), elle m’explique : « J’ai bien fait d’attendre…

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Texte intégral (585 mots)

Choses vue et entendues ce matin à la promenade en ville (les rues au-dessus de chez moi)

(ce pourquoi j’adore cette ville)

Une dame qui nettoie le pare-brise de sa voiture avec une éponge – j’ai à peine le temps de dire bonjour (on ne se connaît pas), elle m’explique : « J’ai bien fait d’attendre l’orage avant de nettoyer les crottes de pigeon ! Maintenant, avec ce qui est tombé hier, elle est propre comme un sou neuf. J’ai juste à fignoler ! »

Un peu plus loin, par la fenêtre d’un de ces très chouettes logements sociaux (des immeubles bourgeois restaurés par les offices HLM qui ont fière allure – pas de gentrification ici), une voix un peu cassée, un peu traînante, au téléphone (je tends l’oreille) : « Ce matin j’étais allé chercher mon pain tranquillement et ça s’est bien passé, tu vois, j’étais pas excité. Je crois que c’est la bonne dose non ? »

Plus bas, en empruntant un des innombrables escaliers qui se faufilent entre les ruelles, j’entends ahaner et pester : un monsieur, casquette vissée sur la tête, qui fait une pause en soufflant fort en me croisant. Je lui fais : « elle est dure cette ville hein ! Vous venez de tout en bas ? » Lui : « Oui. C’est là qu’on se dit qu’on a bien vieilli »

Et, dans une courette, je vois un jeune homme en survêtement se glisser hors d’une fenêtre du deuxième étage, et avec une souplesse étonnante, descendre en prenant des appuis gracieux sur une poutre en bois, puis un affleurement rocheux avant de se laisser tomber, en arrivant sur ses deux jambes, sur le trottoir, et repartir tout joyeux comme si c’était là une manière tout à fait normale de se déplacer dans la ville (je connais cette fenêtre : il y a deux jeunes adolescentes qui s’y montrent parfois et que je salue quand je vais promener Iris : un rendez-vous galant peut-être ? Mais aussi, éventuellement, puisque je connais ce jeune homme pour le croiser tous les jours et que j’ai eu vent de ses activités la livraison d’une marchandise illicite ? Ou bien les deux !)

Ensuite, forcément, les chats du quartier qui viennent quémander leur câlin quotidien à grands renforts de miaou – ça grince un peu dents parce que je n’ai que deux mains et qu’ils sont trois. Doucement les loustics ! Y’en aura pour tout le monde !

Note : cette nuit, les militants du 10 septembre ont collé leur affiches (sur les poubelles). L’une d’elle est franchement très réussie. Et surtout, pas de slogan « dégagiste », pas de « machin dehors ». Pas mal !

Si vous êtes curieuses ou curieux de savoir à quoi ressemble cette ville, je prends régulièrement des photographies que je présente en vrac ici :

outsiderland.com/photography/i

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27.09.2025 à 18:23

La responsabilité inter-générationnelle (avec Stephen Gardiner)

danah

« Il y a quelque chose d’immoral, qu’une génération ne pense pas à la génération suivante, qui lui impose, sans lui dire, de payer » Oui, François Bayrou, comme souvent, tu trouves les mots justes. C’est exactement ce que à quoi nous nous employons, chaque jour que le diable fait sous le régime du capitalocène (ou de…

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Texte intégral (906 mots)

« Il y a quelque chose d’immoral, qu’une génération ne pense pas à la génération suivante, qui lui impose, sans lui dire, de payer »

Oui, François Bayrou, comme souvent, tu trouves les mots justes. C’est exactement ce que à quoi nous nous employons, chaque jour que le diable fait sous le régime du capitalocène (ou de l’anthropo-obscene pour reprendre la formule d’Erik Swyngedouw) : nous fabriquons avec zèle un monde qui devient chaque jour de plus en plus inhabitable, et nous en laissons le fardeau aux générations qui nous succéderont (certaines sont déjà de ce monde, ce sont nos enfants, et d’autres ont déjà péri, notamment dans les zones de sacrifice de l’extraction globale)

Stephen Gardiner, dans un chapitre stimulant du recueil : Climate Ethics. Essential Readings, Oxford University Press, USA (le texte date de 2010), proposait un calcul moral apocalyptique (qui montre évidemment les accablantes limites de l’approche utilitariste, mais passons..)

« 1. le changement climatique n’est pas un phénomène statique. En n’agissant pas de manière appropriée, la génération actuelle ne se contente pas de transmettre un problème existant aux générations futures ; elle l’aggrave. D’une part, elle augmente les coûts de la lutte contre le changement climatique : ne pas agir maintenant accroît l’ampleur du changement climatique futur et de ses effets. D’autre part, elle augmente les coûts d’atténuation : ne pas agir maintenant rend le changement plus difficile car cela permet d’investir davantage dans les infrastructures basées sur les combustibles fossiles dans les pays développés et surtout dans les pays moins développés. Par conséquent, l’inaction augmente les coûts de transition, rendant les changements futurs plus difficiles que les changements actuels. Enfin, et c’est peut-être le plus important, la génération actuelle n’aggrave pas le problème de manière linéaire. Au contraire, elle accélère rapidement le problème, puisque les émissions mondiales augmentent à un rythme considérable (…)

2, une action insuffisante peut faire souffrir inutilement certaines générations. Supposons qu’à l’heure actuelle, le changement climatique affecte gravement les perspectives des générations A, B et C. Supposons ensuite que si la génération A refuse d’agir, l’effet se poursuivra plus longtemps et nuira aux générations D et E. L’inaction de la génération A peut alors s’aggraver de manière significative. En plus de ne pas aider les générations B et C (et probablement aussi d’augmenter l’ampleur des dommages qui leur sont infligés), la génération A nuit maintenant aux générations D et E, qui seraient autrement épargnées. D’un certain point de vue, cela pourrait être considéré comme particulièrement grave, puisqu’on pourrait dire que cela viole un principe moral fondamental : « Ne pas nuire ».

3, l’inaction de la génération A peut créer des situations où des choix tragiques doivent être faits. Une génération peut mal agir si elle met en place un ensemble de circonstances futures qui obligent moralement ses successeurs (et peut-être même elle-même) à faire souffrir d’autres générations, soit inutilement, soit plus qu’elles ne l’auraient fait autrement. Supposons, par exemple, que la génération A puisse et doive agir maintenant pour limiter le changement climatique de manière à ce que la génération D soit maintenue en dessous d’un certain seuil climatique crucial, mais que tout retard signifie qu’elle franchira ce seuil. Si le dépassement du seuil impose des coûts importants à la génération D, sa situation peut être si désastreuse qu’elle est obligée de prendre des mesures qui nuiront à la génération F – comme l’émission d’encore plus de gaz à effet de serre – qu’elle n’aurait pas eu besoin d’envisager autrement. Ce que je veux dire, c’est ceci. Dans certaines circonstances, des actions qui nuisent à d’autres personnes innocentes peuvent être moralement autorisées pour des raisons de légitime défense, et de telles circonstances peuvent se présenter dans le cas du changement climatique. L’affirmation est donc la suivante : s’il existe une exception de légitime défense à l’interdiction de nuire à des tiers innocents, la génération A peut se comporter mal en créant une situation telle que la génération D est obligée de faire appel à l’exception de légitime défense et inflige ainsi des souffrances supplémentaires à la génération F. De plus, comme dans le cas du PIP (pure intergenerational problem) de base, ce problème peut devenir itératif : peut-être que la génération F doit elle aussi faire appel à l’exception de légitime défense et infliger ainsi des dommages à la génération H, et ainsi de suite. »

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