24.06.2025 à 22:15
Human Rights Watch
(Nairobi) – Les autorités rwandaises ont de nouveau arrêté Victoire Ingabire, dirigeante d'un parti politique non enregistré, le 19 juin 2025, dans le cadre d'un long procès visant des figures de l'opposition politique, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch. Les autorités devraient la libérer, ainsi que toutes les autres personnes détenues pour des raisons politiques, et garantir les droits à la liberté d'expression, d'association et de réunion pacifique.
Victoire Ingabire a été arrêtée à son domicile à Kigali, la capitale du pays. Un tweet de l’Office rwandais d’investigation a indiqué que le parquet avait demandé son arrestation dans le cadre du procès en cours contre des membres de son parti. Le tweet déclarait qu'elle était poursuivie pour avoir formé un groupe criminel, et planifié des activités visant à inciter au désordre public.
« L'arrestation de Victoire Ingabire et ce procès ne sont que les exemples les plus récents des dangers auxquels s'exposent les opposants politiques au Rwanda », a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l'Afrique centrale à Human Rights Watch. « Le message des autorités chargées des poursuites est clair : si vous osez briguer un mandat politique en dehors du parti au pouvoir, vous risquez l'emprisonnement. »
Victoire Ingabire a déjà passé près de huit ans en prison, de 2010 à 2018, à la suite d'un procès politiquement motivé. En 2012, elle a été condamnée à 15 ans de prison après avoir tenté de se présenter à l’élection présidentielle de 2010 ; elle était accusée de complot visant à renverser le gouvernement en place, et de négation du génocide rwandais de 1994. Elle a été graciée et libérée en septembre 2018. En mars 2024, un tribunal de Kigali a rejeté sa demande d’effacer son casier judiciaire et de lui permettre de se présenter à l'élection présidentielle de juillet 2024. Le président Paul Kagame a remporté l'élection avec plus de 99 % des voix.
Victoire Ingabire, qui était auparavant présidente du parti d'opposition non enregistré Forces démocratiques unifiées (FDU-Inkingi), a créé un autre parti, Développement et Liberté pour tous (Dalfa-Umurinzi), en novembre 2019. Les autorités rwandaises ont refusé d'enregistrer le parti ou de lui permettre de participer aux élections, et ont à plusieurs reprises arrêté, emprisonné et harcelé ses membres. Depuis 2017, cinq membres de ces partis sont morts ou ont disparu dans des circonstances suspectes.
En octobre 2021, sept membres de Dalfa-Umurinzi ont été arrêtés. Sylvain Sibomana, Alexis Rucubanganya, Hamad Hagenimana, Jean-Claude Ndayishimiye, Alphonse Mutabazi, Marcel Nahimana et Emmanuel Masengesho ont tous été placés en détention dans les jours qui ont précédé et suivi ce que le parti avait déclaré comme la « journée Ingabire », prévue le 14 octobre. Ce jour-là, Victoire Ingabire avait prévu de s'exprimer sur la répression politique au Rwanda, notamment sur les morts suspectes, les meurtres, les disparitions et les poursuites abusives.
Ces membres du parti sont en détention provisoire depuis lors, bien que leur procès n'ait commencé qu'à la fin de l'année 2024. Sylvain Sibomana avait déjà passé près de huit ans en détention, de 2013 à début 2021. Human Rights Watch avait suivi les précédents procès de ces personnes et d'autres membres de l'opposition, au cours desquels les accusés ont déclaré à la cour que les enquêteurs les avaient torturés pour leur extorquer des aveux.
Théoneste Nsengimana, un journaliste qui prévoyait de couvrir la journée Ingabire, est également détenu et jugé avec les membres du parti. Deux autres personnes, Claudine Uwimana et Josiane Ingabire (sans lien de parenté avec Victoire), sont également visées dans cette affaire, Josiane Ingabire étant jugée par contumace.
Le parquet fonde ses accusations, telles que complot en vue d'inciter à l'insurrection, sur l'acquisition par le groupe d'un livre intitulé « Blueprint for Revolution » (« Comment faire tomber un dictateur quand on est seul, tout petit et sans armes »), écrit par Srdja Popovic, et sur la participation à une session de formation organisée par l'organisation de l'auteur, le Centre pour les actions et stratégies non violentes appliquées (Center for Applied Non-Violent Actions and Strategies, CANVAS). Le livre et la formation portent sur les stratégies pacifiques de résistance à l'autoritarisme, telles que la protestation non violente, la non-coopération, le boycott et la mobilisation. Le parquet rwandais a utilisé le contenu du livre et de la formation, y compris l'utilisation de Jitsi – une plateforme de communication en ligne cryptée – et l'utilisation de pseudonymes pendant la formation, comme preuves d'actes criminels.
Les chefs d'accusation comprennent « la diffusion de fausses informations ou de propagande préjudiciable dans l'intention de susciter une opinion internationale hostile à l'égard du gouvernement rwandais » et « association de malfaiteurs ».
Le 17 juin, le tribunal a convoqué Victoire Ingabire à comparaître le 19 juin, car elle avait été citée pendant le procès. Après avoir été interrogée au tribunal sur les accusés et leurs déclarations, le panel de trois juges, apparemment insatisfait, a ordonné au procureur d'enquêter sur elle directement et a ordonné sa détention.
Les manifestations et mobilisations sociales offrent aux citoyens la possibilité de faire part de leurs doléances et griefs légitimes aux autorités de manière non violente. Les gouvernements ont la responsabilité de créer un environnement sûr permettant aux individus et aux groupes d’exercer leurs droits à la liberté de réunion pacifique, d'expression et d'association, a déclaré Human Rights Watch.
Le Front patriotique rwandais (FPR) au pouvoir contrôle étroitement l'espace politique du pays en combinant restrictions légales, surveillance et intimidation des figures de l'opposition et des voix indépendantes. Les détracteurs sont souvent victimes de harcèlement ou d'emprisonnement, ou sont contraints à l’exil. Ces dernières années, certains prisonniers politiques sont morts dans des circonstances obscures. La société civile et les médias opèrent sous de lourdes contraintes, avec des lignes rouges autour de la critique du gouvernement ou des forces de sécurité, ou de tout écart par rapport aux discours officiels sur le génocide.
La nouvelle arrestation de Victoire Ingabire intervient alors que le Rwanda fait l'objet d'une surveillance internationale accrue en raison de son soutien militaire au groupe rebelle M23 dans l'est de la RD Congo, accusations qui ont conduit à la suspension de certaines aides occidentales et à des sanctions de la part des États-Unis et de l'Union européenne.
« Il est plus que troublant que les autorités rwandaises considèrent une formation sur la manière de résister pacifiquement à l'autoritarisme comme preuve d’association de malfaiteurs et une incitation à l'agitation », a déclaré Lewis Mudge. « Au lieu d’emprisonner des membres de l'opposition et de les traduire en justice, le gouvernement devrait ouvrir l'espace démocratique du pays à un débat politique dont il a grandement besoin. »
24.06.2025 à 20:00
Human Rights Watch
(Johannesburg, 24 juin 2025) – Un groupe armé lié à l'État islamique (EI) a multiplié les enlèvements d'enfants dans la province de Cabo Delgado, dans le nord du Mozambique, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. La plupart des enfants enlevés sont utilisés pour transporter des biens pillés, effectuer d’autres types de travail forcé ou participer aux combats ; des filles sont soumises à des mariages forcés.
Des organisations de la société civile mozambicaine et le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF) ont signalé une hausse du nombre de ces enlèvements. Le groupe armé, connu localement sous le nom d'Al-Chabab, a libéré certains enfants enlevés plus tôt cette année, mais d’autres enfants sont toujours portés disparus ; ceux qui sont retournés dans leurs communautés peinent à se réintégrer.
« La hausse du nombre d’enlèvements d'enfants à Cabo Delgado s’ajoute aux horreurs du conflit au Mozambique », a déclaré Ashwanee Budoo-Scholtz, directrice adjointe de la division Afrique à Human Rights Watch. « Al-Chabab devrait épargner les enfants dans le cadre du conflit, et libérer immédiatement ceux qui ont été enlevés. »
En mai et juin 2025, Human Rights Watch a mené au Mozambique des entretiens avec neuf personnes, dont des habitants de Cabo Delgado, des journalistes, des militants de la société civile et un responsable de l'ONU, qui ont tous exprimé leur inquiétude face à la recrudescence des enlèvements. « Ces derniers jours, au moins 120 enfants ont été enlevés », a déclaré Abudo Gafuro, directeur exécutif de Kwendeleya, une organisation mozambicaine qui surveille les attaques et apporte un soutien aux victimes.
Le 23 janvier 2025, Al-Chabab a attaqué le village de Mumu, dans le district de Mocímboa da Praia, et a enlevé quatre filles et trois garçons. Lors du retrait ultérieur d'Al-Chabab, deux enfants ont été libérés, mais cinq sont toujours portés disparus. En mars, le groupe armé a enlevé six enfants à Chibau, afin de les forcer à transporter des biens pillés ; quatre ont été libérés le lendemain. Le 3 mai, Al-Chabab a enlevé une fille dans le village de Ntotwe, dans le district de Mocímboa da Praia. Le 11 mai, ce groupe armé a enlevé six filles et deux garçons près du village de Magaia, dans le district de Muidumbe.
Lorsque les combattants d'Al-Chabab « pénètrent ou attaquent certaines zones, ils ont tendance à enlever des enfants », a déclaré Augusta Iaquite, coordinatrice de l'Association mozambicaine des femmes du secteur juridique (Associação Moçambicana das Mulheres de Carreira Jurídica, AMMCJ) à Cabo Delgado. « Ils les emmènent pour les former et pour en faire ensuite leurs propres combattants. »
Lorsque des enfants enlevés sont libérés et retournent dans leur communauté, il n’y a que peu de ressources pour les aider à se réinsérer, a déclaré Human Rights Watch. « Ce pays a besoin d'une stratégie claire sur les mesures à prendre lorsqu'un enfant, en particulier s'il a été secouru, revient [dans sa communauté] », a déclaré Benilde Nhalivilo, directrice exécutive du Forum de la société civile pour les droits de l'enfant (Fórum da Sociedade Civil para os Direitos das Crianças, ROSC).
Les organisations de la société civile ont appelé le gouvernement mozambicain à respecter les obligations du pays en vertu du droit national et international, et mieux protéger les enfants de ce pays.
La Constitution du Mozambique et la Loi pour la promotion et la protection des droits de l'enfant de 2008 stipulent que l'État a le devoir de protéger les enfants contre toute forme de violence, d'exploitation et de maltraitance. En outre, le Mozambique est un État partie à divers instruments juridiques internationaux et africains garantissant les droits de l'enfant, notamment la Convention de l’ONU relative aux droits de l'enfant et la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant. Ces deux textes interdisent explicitement l'enlèvement, le recrutement et l'exploitation des enfants. Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant, concernant l'implication d'enfants dans les conflits armés et ratifié par le Mozambique en 2004, interdit aux groupes armés non étatiques de recruter ou d'utiliser des enfants âgés de moins de 18 ans.
En vertu du droit international humanitaire coutumier et du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, les enfants ont droit à une protection particulière ; le recrutement ou l'utilisation d'enfants de moins de 15 ans pour participer activement à des hostilités constitue un crime de guerre.
Les autorités mozambicaines devraient s'efforcer de prévenir de nouveaux enlèvements, d'enquêter sur les cas existants, de poursuivre équitablement les responsables et d'assurer un soutien adéquat aux victimes, a déclaré Human Rights Watch. Les enfants secourus ont besoin de soins médicaux, d'une assistance psychosociale et de mécanismes de réinsertion qui assurent leur protection et leur bien-être.
« Le gouvernement mozambicain devrait prendre des mesures concrètes pour protéger les enfants et empêcher les groupes armés de les utiliser dans le cadre du conflit », a conclu Ashwanee Budoo-Scholtz. « Il devrait aussi garantir la mise en place de mesures de réinsertion solides, afin que les enfants ne soient pas davantage ostracisés, suite à leur retour dans leur communauté. »
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Médias
TV5Monde AfricaRadio/AFP Vidéo
Euronews
24.06.2025 à 10:20
Human Rights Watch
En Guinée, tôt samedi matin, au moins une demi-douzaine d'hommes lourdement armés se sont introduits au domicile de Mohamed Traoré, éminent avocat et ancien bâtonnier de l’ordre des avocats de Guinée, l'ont agressé lui et sa fille, puis l'ont forcé à monter dans une voiture et l'ont emmené. Mohamed Traoré avait publiquement critiqué la junte militaire, au pouvoir depuis septembre 2021.
Après son enlèvement dans la capitale du pays, Conakry, Mohamed Traoré a été retrouvé quelques heures plus tard, présentant de nombreuses traces de torture, à Bangouyah, à environ 170 kilomètres de là, par des habitants de la ville. Le Barreau de Guinée a indiqué qu'il était soigné dans un établissement de santé.
L'enlèvement et l'agression de Mohamed Traoré s'inscrivent dans une série d'attaques menées par les forces de sécurité gouvernementales contre des détracteurs de la junte, des dissidents et des opposants politiques.
Lundi, en réponse à cette attaque, les avocats du Barreau de Guinée ont adopté une série de mesures, notamment le boycott de toutes les audiences pendant deux semaines et le retrait de tous les avocats siégeant dans les institutions de transition mises en place par la junte depuis le coup d'État. Ils ont également annoncé qu'ils allaient porter plainte.
Dans un communiqué du 21 juin, le Barreau de Guinée a déclaré que pendant sa captivité, Mohamed Traoré avait été « fouetté » jusqu'à 500 fois, que son visage avait été « couvert de force à l’aide d'un habit dans une tentative manifeste de l'asphyxier » et que ses ravisseurs l'avaient menacé de mort.
Cette attaque pourrait constituer une mesure de représailles suite à la démission de Mohamed Traoré du Conseil national de transition (CNT), principal organe de transition de la junte, au sein duquel il occupait le poste de conseiller depuis 2022. Mohamed Traoré avait annoncé sa démission en janvier, invoquant le non-respect par le CNT du délai fixé pour le retour à un régime civil en Guinée, précédemment annoncé pour le 31 décembre 2024.
L'expiration de ce délai a déclenché des manifestations de l'opposition qui ont paralysé Conakry en janvier. À la suite des manifestations, les autorités ont annoncé un nouveau calendrier électoral. Le 1er avril, le chef militaire guinéen, Mamady Doumbouya, a fixé au 21 septembre 2025 la date d'un nécessaire référendum constitutionnel. Le 12 mai, le Premier ministre Amadou Oury Bah a annoncé que l’élection présidentielle aurait lieu en décembre 2025.
Depuis sa prise du pouvoir, la junte a réprimé l'opposition politique, les médias et la dissidence pacifique. Elle a suspendu des médias indépendants, arrêté arbitrairement des journalistes et fait disparaître de force et aurait torturé d'éminents militants politiques.
Les autorités guinéennes devraient mener dans les meilleurs délais une enquête crédible et impartiale sur l’enlèvement et la torture de Mohamed Traoré. Elles devraient également dénoncer publiquement les abus commis à l'encontre des détracteurs et des opposants, et veiller à ce que leurs auteurs soient traduits en justice.