23.04.2025 à 06:00
Human Rights Watch
(Beyrouth) – Deux frappes illégales menées par Israël en septembre et en novembre 2024 à Younine, dans le nord-est du Liban, ont tué 33 civils dont 15 enfants, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui ; ces deux frappes ont manifestement constitué des attaques indiscriminées contre des civils.
Au moins une de ces deux attaques a été menée avec une bombe larguée par voie aérienne et équipée d'un kit de guidage GPS (Joint Direct Attack Munition, JDAM) fabriqué aux États-Unis. Les deux attaques devraient faire l'objet d'enquêtes en tant que crimes de guerre.
« Un nombre croissant de preuves montrent que les forces israéliennes ont systématiquement manqué à leur obligation de protéger les civils lors de leurs frappes menées au Liban en 2023 et 2024, ou de faire une distinction adéquate entre les cibles militaires d’une part, et les civils d’autre part », a déclaré Ramzi Kaiss, chercheur sur le Liban à Human Rights Watch. « Le gouvernement libanais devrait fournir aux familles endeuillées une voie vers la justice, notamment en conférant à la Cour pénale internationale la compétence d'enquêter et de poursuivre les auteurs de ces crimes. »
En mai 2024, le précédent gouvernement libanais est revenu sur une décision prise un mois plus tôt, qui conférait à la Cour pénale internationale (CPI) la compétence d'enquêter et de poursuivre les crimes graves commis sur le territoire libanais depuis le 7 octobre 2023. Le nouveau gouvernement libanais devrait d’urgence reconnaitre a nouveau cette compétence de la CPI, afin de conférer à son Procureur le mandat d'enquêter sur les crimes internationaux graves commis sur le territoire libanais.
Le 25 septembre 2024, une attaque a tué une famille de 23 personnes, toutes syriennes, dont 13 enfants, à Younine. Le 1er novembre, une frappe contre une maison à deux étages y a tué 10 personnes : cinq femmes, trois hommes et deux enfants, dont un jeune enfant âgé d'un an. Human Rights Watch n'a trouvé aucune preuve d'activité militaire, ni de cibles militaires, sur ces deux sites.
Human Rights Watch a également enquêté sur une troisième frappe à Younine, survenue le 21 novembre, qui a coûté la vie à une famille de quatre adultes. Les chercheurs ont vu plusieurs affiches du Hezbollah à Younine et en ligne, qui qualifiaient l'une des victimes masculines de « martyr », sans pouvoir vérifier qui avait conçu ces affiches ; un examen des photos de la tombe de cet homme indique qu'il pourrait s'agir d'un combattant du Hezbollah.
Entre novembre 2024 et février 2025, les chercheurs de Human Rights Watch se sont rendus sur les lieux des deux frappes à Younine, près de Baalbeck, dans l'est du Liban. Ils ont également visité le cimetière de Younine afin d’y examiner les lieux de sépulture des habitants du village tués lors des attaques israéliennes, notamment des combattants et des civils. Human Rights Watch a également examiné des photos et des vidéos partagées sur les réseaux sociaux au lendemain des frappes.
Human Rights Watch a mené des entretiens avec dix personnes ; certains entretiens ont été menés en personne sur les sites des deux frappes à Younine, et d'autres entretiens etaient téléphoniques. Des fragments d'armes découverts sur les sites des frappes du 25 septembre et du 21 novembre, et examinés par les chercheurs en armement de Human Rights Watch, indiquent que l'armée israélienne a utilisé une bombe polyvalente larguée par voie aérienne de la série MK-80, équipée d'un kit JDAM de fabrication américaine, le 25 septembre. Des restes d'armes découverts sur le site de la frappe du 1er novembre indiquent également l'utilisation d'une bombe polyvalente de la série MK-80.
L'armée israélienne n'a pas averti les civils en leur transmettant un ordre d’évacuation avant les deux frappes, ont déclaré des habitants de Younine à Human Rights Watch. Human Rights Watch a vérifié cette affirmation en examinant les publications sur les réseaux sociaux du porte-parole en langue arabe de l'armée israélienne, ainsi que les chaînes Telegram en langue arabe de cette armée, qui diffusent généralement de tels avertissements appelant à l’évacuation d’un site.
Le 24 mars, Human Rights Watch a envoyé à l'armée israélienne une lettre résumant ses constatations et comprenant plusieurs questions, mais n'a reçu aucune réponse.
En vertu du droit international humanitaire, toutes les parties à un conflit sont tenues, en tout temps, de faire la distinction entre combattants et civils et de ne diriger leurs attaques que contre les combattants ou d'autres objectifs militaires. Les individus qui commettent de graves violations des lois de la guerre avec une intention criminelle – c'est-à-dire intentionnellement ou par imprudence – peuvent être poursuivis pour crimes de guerre. Ils peuvent également être tenus pénalement responsables d'avoir aidé, facilité, aidé ou encouragé un crime de guerre. Tous les gouvernements participant à un conflit armé sont tenus d'enquêter sur les crimes de guerre présumés commis par des membres de leurs forces armées.
Lorsqu'elles mènent une attaque, les parties belligérantes doivent prendre toutes les précautions possibles pour minimiser les dommages causés aux civils et aux biens civils. Cela inclut la prise de toutes les mesures nécessaires pour vérifier que les cibles sont des objectifs militaires.
Entre octobre 2023 et décembre 2024, les attaques israéliennes au Liban ont tué plus de 4 000 personnes et déplacé plus d'un million de personnes. Depuis l'entrée en vigueur de l'accord de cessez-le-feu du 27 novembre entre Israël et le Hezbollah, les attaques israéliennes auraient tué au moins 146 personnes au Liban, dont au moins 26 personnes qui tentaient de regagner des villes et villages où les forces israéliennes ne s'étaient pas encore retirées. Au 20 mars, près de 100 000 personnes étaient déplacées dans le pays en raison du récent conflit, selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM).
Le Liban et les autres États membres des Nations Unies devraient ouvrir une enquête internationale sur toutes les violations des droits humains commises par toutes les parties impliquées dans le conflit au Liban. Une telle enquête devrait viser à documenter les crimes en cours, recueillir des preuves et rendre publics ses conclusions. Le gouvernement libanais devrait également renforcer sa coopération avec le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme (HCDH) et les enquêtes en cours sur les attaques israéliennes au Liban, afin de garantir une documentation précise au sujet des attaques illégales, notamment des crimes de guerre commis entre octobre 2023 et décembre 2024.
En fournissant à Israël des armes qui ont été utilisées à plusieurs reprises pour commettre des crimes de guerre apparents, les États-Unis se sont rendus complices de leur utilisation illégale. Human Rights Watch a précédemment documenté l'utilisation illicite d'armes américaines lors de deux attaques illégales menées au Liban par Israël : l’une menée contre des secouristes en mars 2024, et l’autre menée de manière apparemment délibérée contre des journalistes en octobre 2024.
Fournir une assistance militaire à Israël viole la législation américaine, qui interdit les transferts d'armes vers « tout pays dont le gouvernement commet de façon récurrente de graves violations des droits humains internationalement reconnus ». Tous les États, y compris les principaux alliés d'Israël tels que les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada et l'Allemagne, devraient suspendre leur assistance militaire et leurs ventes d'armes à Israël.
Le parlement libanais devrait également ratifier le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, a ajouté Human Rights Watch.
« Les pays qui continuent de fournir des armes à Israël, notamment les États-Unis, doivent prendre conscience que leur soutien militaire continu, malgré de nombreuses preuves d'attaques illégales, les rend complices du meurtre illégal de civils », a conclu Ramzi Kaiss. « Les victimes ont droit à la justice et à des réparations, et les auteurs de ces violations devraient être tenus de rendre des comptes. »
Frappe aérienne israélienne du 25 septembre 2024Le 25 septembre 2024, peu après 22 heures, une frappe aérienne israélienne a touché un immeuble résidentiel le long de la route principale reliant Baalbek et Qaa, près d’un carrefour menant au centre de la ville de Younine, tuant 22 membres d'une famille syrienne, dont 13 enfants. Un autre membre de la famille est décédé huit jours plus tard dans un hôpital de Damas des suites de ses blessures. Sept personnes ont survécu à l'attaque, dont trois Libanais ; six d’entre elles souffraient de blessures diverses.
Click to expand Image Un tas de décombres sur le site d’une frappe aérienne israélienne menée le 25 septembre 2024, qui a touché un immeuble résidentiel situé le long de la route principale reliant Baalbek et Qaa, près d’un carrefour menant au centre-ville de Younine, dans l’est du Liban. © 2024 Human Rights WatchLors d'une visite sur le site le 2 décembre, les chercheurs ont pu examiner les restes d'une bombe équipée d'un kit de guidage JDAM fabriqué aux États-Unis, retrouvés parmi les décombres.
L'armée israélienne n'a pas commenté directement la frappe, mais a indiqué sur X et Telegram le lendemain matin que ses forces avaient frappé environ 75 cibles du Hezbollah dans la région de la Bekaa et dans le sud du Liban pendant la nuit, notamment « des installations de stockage d'armes, des lanceurs prêts à tirer, des terroristes et des infrastructures terroristes ».
Le maire de Younine, Ali Kassas, a déclaré que deux autres frappes aériennes avaient ciblé la ville plus tôt dans la journée. Human Rights Watch n'a trouvé aucune preuve de la présence d'une cible militaire dans la zone de la frappe du 25 septembre ; toutes les personnes interrogées ont insisté sur l'absence de combattants et de matériel militaire dans le bâtiment, et au-delà, dans le quartier.
« Nous essayons encore de comprendre cette frappe, d'en trouver la raison », a déclaré le maire, Ali Kassas. « Nous ne comprenons toujours pas pourquoi ils ont ciblé un bâtiment rempli de Syriens. Ils ne sont même pas libanais. Toute la [zone du] carrefour est principalement habitée par des Syriens, de nombreux […] camps se trouvent aux alentours et la plupart des bâtiments sont loués à des Syriens. »
Frappe aérienne israélienne du 1er novembre 2024Le 1er novembre 2024 vers 14 heures, une frappe israélienne contre le quartier d'al-Salah à Younine a détruit un immeuble de deux étages.
Click to expand Image Des décombres et des parties de vêtements étaient visibles sur le site d’une frappe israélienne qui a détruit un petit immeuble de deux étages le 1er novembre 2024, dans le quartier d'al-Salah à Younine, dans l’est du Liban. © 2024 Human Rights WatchDes chercheurs de Human Rights Watch se sont rendus sur place le 2 décembre 2024 et le 12 février 2025, et ont mené un entretien avec Ali Salah, qui a perdu dix membres de sa famille lors de la frappe. Ali Salah vivait dans le même quartier et se trouvait à proximité au moment de l'attaque. Le 12 février, Human Rights Watch a également recueilli le témoignage d’un autre voisin et proche de la famille Salah qui vivait dans le même quartier ; le 21 mars, Human Rights Watch a mené un entretien téléphonique avec le maire de Younine au sujet de la frappe.
Ali Salah a fourni les noms des 10 membres de sa famille qui ont été victimes de la frappe israélienne : ses deux sœurs, Wadha, née en 1959, et Fairouz, née en 1975 ; ses deux beaux-frères, Haidar Mahdi Salah (peintre et propriétaire d'un supermarché) et Mohammad Mahdi Salah (chauffeur de taxi) ; ses deux nièces, Elissar, 27 ans, et Zeina, 17 ans ; son neveu Ali Haidar Salah, 30 ans ; la femme d’Ali, Nour Boudaq ; leur fils Haidar, âgé d'un an, et la belle-mère d’Ali, Um Bachir Boudaq.
L'armée israélienne n'a pas commenté directement cette frappe. Cependant, un message publié sur le compte Telegram des forces armées israéliennes le 2 novembre, au lendemain de la frappe, indiquait ceci : « Au cours de la dernière journée, [l'armée de l'air israélienne] a frappé plus de 120 cibles terroristes appartenant au Hamas et au Hezbollah. Parmi celles-ci figuraient des sites de lancement de missiles antichars, des terroristes, des infrastructures terroristes, des installations de stockage d'armes et des centres de commandement au Liban. »
Human Rights Watch a mené des recherches « source ouverte » sur la frappe, notamment sur les noms des personnes tuées, afin de déterminer s'il s'agissait de combattants. Les chercheurs n'ont trouvé aucun élément indiquant la présence de combattants ou d'un objectif militaire sur le site de la frappe. Toutes les personnes interrogées ont déclaré qu'aucun avertissement ni ordre d'évacuation n'avait été donné aux habitants avant la frappe.
Informations plus détaillées sur les deux frappes : en ligne en anglais.
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Articles
Le Monde L’Humanité OLJ
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22.04.2025 à 17:00
Human Rights Watch
(Beyrouth) – Le 19 avril 2025, un tribunal tunisien a condamné 37 prévenus à des peines de 4 à 66 ans d’emprisonnement dans le cadre d’une affaire de « complot » aux motifs politiques, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Le tribunal de première instance de Tunis a prononcé ces peines après seulement trois audiences dans ce procès de masse, sans permettre aux accusés de réellement présenter leur défense et ni leur accorder les autres garanties d’une procédure régulière.
Le 2 mai 2024, un procureur de Tunis a affirmé que des avocats, des opposants politiques, des activistes, des chercheurs et des hommes d’affaires complotaient en vue de renverser le président Kais Saied en déstabilisant le pays, et qu’ils fomentaient même son assassinat. Quarante personnes ont été inculpées et déférés au tribunal en vertu de nombreux articles du Code pénal tunisien et de la loi antiterroriste de 2015, dont certains articles prévoyant la peine de mort. Le procès a débuté le 4 mars. Des peines ont été prononcées contre 37 accusés, tandis que les trois autres ont des plaintes en attente de traitement auprès de la Cour de cassation.
« Le tribunal tunisien n’a même pas donné aux accusés un semblant de procès équitable. Il les a condamnés à de longues peines de prison après un procès de masse lors duquel ils n’ont pas pu se défendre correctement », a déclaré Bassam Khawaja, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Les autorités tunisiennes font clairement savoir que toute personne prenant part à l’opposition politique ou à un quelconque militantisme s’exposent à des années d’emprisonnement après un procès expéditif qui bafoue les procédures régulières ».
Selon le jugement que Human Rights Watch a examiné, le tribunal a condamné l’ancien ministre de la Justice et un haut dirigeant du parti d’opposition Ennahda, Noureddine Bhiri, à 43 ans de prison ; l’homme d’affaires Kamel Ltaief, à 66 ans et le politicien d’opposition Khayam Turki à 48 ans. Ghazi Chaouachi, Issam Chebbi, Jaouhar Ben Mbarek, Ridha Belhaj et Chaima Issa, opposants de premier plan, ont tous été condamnés à 18 ans de prison. Abdelhamid Jelassi, militant politique et ancien membre du parti Ennahda, et Said Ferjani, ancien député Ennahda, ont été condamnés à 13 ans de prison; Lazhar Akremi, avocat et ancien ministre, a lui été condamné à huit ans d’emprisonnement. Le tribunal a condamné 15 autres personnes, notamment la militant féministe en exil Bochra Belhaj Hamida, à 28 ans de prison.
La plupart des accusés ne sont pas en détention, certains se trouvent à l’étranger et ont été jugés par contumace. Au moins 12 d’entre eux ont été arrêtés en février 2023 et en janvier 2025, huit étaient toujours en détention. Certains ont été détenus de façon abusive pendant plus de deux ans avant le jugement, une durée supérieure à la durée maximum prévue en droit tunisien.
Dans cette affaire, les autorités tunisiennes ont pris des mesures supplémentaires portant atteinte au droit à un procès équitable. Le 26 février, avant la première audience, le président du tribunal et les magistrats ont ordonné aux prévenus en détention de comparaître en visioconférence, invoquant un « véritable danger ». La pratique des procès à distance est par essence abusive, puisqu’elle porte atteinte au droit des détenus à être présentés physiquement devant un juge afin qu’il puisse évaluer leur état de santé ainsi que la légalité et les conditions de leur détention.
Lors des audiences suivantes, le tribunal a interdit à des journalistes et des observateurs, dont Human Rights Watch, de pénétrer dans la salle d’audience. Une accusée, Chaima Issa, n’a elle non plus pas été autorisée à y entrer pour assister à son propre procès lors de la session du 11 avril.
Le 21 avril, des agents de la brigade antiterroriste de la Garde nationale ont arrêté Ahmed Souab, avocat dans cette affaire, à son domicile après qu’il a fait des déclarations aux médias concernant le verdict. Il a été placé en détention en vertu de la loi antiterroriste de 2015 et accusé d’« infractions terroristes et de droit commun », notamment de « menace de commettre des actes terroristes dans le but de contraindre une personne à se livrer à un acte ou à s’en abstenir et de mettre la vie d’une personne protégée en danger ».
D’autres avocats de la défense en Tunisie sont soumis à un harcèlement judiciaire accru et des poursuites pénales pour avoir légitimement exercé leur profession. Ayachi Hammami, ancien avocat de la défense dans l’affaire, lui-même devenu accusé en mai 2023, a été condamné à huit ans de prison.
Le gouvernement tunisien a recours à la détention arbitraire et à des poursuites motivées par des fins politiques afin d’intimider, de punir et de réduire au silence les critiques, a affirmé Human Rights Watch. Après la prise de contrôle des institutions étatiques par le président Kais Saied le 25 juillet 2021, les autorités ont considérablement renforcé leur répression de la dissidence. Depuis début 2023, elles ont intensifié les arrestations et détentions arbitraires de personnes de tout bord politique perçues comme critiques du gouvernement. Les attaques répétées des autorités contre le pouvoir judiciaire — notamment le démantèlement par Saied du Conseil supérieur de la magistrature — ont profondément sapé son indépendance et mis en péril le droit des Tunisiens à un procès équitable.
La Tunisie est un État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, qui garantissent le droit à la liberté d’expression et d’assemblée, à un procès équitable et à ne pas faire l’objet d’une arrestation ou d’une détention arbitraire.
Les autorités tunisiennes devraient annuler ces condamnations, garantir des procès équitables et cesser de poursuivre des personnes pour avoir exercé leurs droits humains, a déclaré Human Rights Watch. Les partenaires internationaux de la Tunisie devraient rompre le silence, exhorter le gouvernement à mettre fin à la répression et à protéger l’espace de la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique.
« Le simulacre de procès dans l’“affaire de complot” montre jusqu’où le gouvernement du président Kais Saied ira pour éliminer les derniers vestiges de l’opposition politique et de la liberté d’expression dans le pays », a déclaré Bassam Khawaja. « Les gouvernements concernés doivent s’exprimer, sans quoi les autorités tunisiennes continueront d’engager despoursuites abusives dans des affaires fabriquées de toutes pièces, tout en ne répondant pas la crise économique que traverse le pays », a-t-il conclu.
22.04.2025 à 06:00
Human Rights Watch
(Beyrouth) – Les autorités des Émirats arabes unis (EAU) ont qualifié de « terroristes » 11 personnes – des dissidents politiques et leurs proches – ainsi que 8 entreprises qu'ils détiennent, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui ; ceci reflète l'utilisation indiscriminée par le gouvernement de sa loi antiterroriste d’une vaste portée, en l’absence de procédures régulières. Les autorités devraient immédiatement annuler ces désignations.
Le 8 janvier 2025, les autorités émiraties ont annoncé la décision du gouvernement d’ajouter les noms de ces 11 personnes et 8 entreprises à leur « Liste locale de terroristes », en raison de leurs liens présumés avec les Frères musulmans, de manière unilatérale et sans procédure régulière. Les autorités n'ont pas informé au préalable ces personnes ni ces entités de leur décision ; ces personnes n'ont eu aucune possibilité d’y répondre ou de contester ces allégations. Cette décision constitue une escalade de la répression transnationale menée par les Émirats arabes unis, ciblant non seulement les dissidents, mais aussi leurs familles.
« Inscrire 19 personnes et entreprises sur une liste de terroristes présumés, sans aucune procédure régulière et avec de graves conséquences sur leurs moyens de subsistance, bafoue les principes de l'État de droit », a déclaré Joey Shea, chercheuse sur les Émirats arabes unis à Human Rights Watch. « Le gouvernement du Royaume-Uni devrait intervenir auprès des autorités émiraties pour défendre les entreprises britanniques visées par ces allégations fallacieuses, d'autant plus que Londres envisage de signer avec les pays du Golfe un accord de libre-échange qui semble dépourvu des protections les plus élémentaires en matière de droits humains. »
Human Rights Watch a constaté que les huit entreprises sont enregistrées exclusivement au Royaume-Uni, et appartiennent ou ont appartenu à des dissidents émiratis en exil ou à leurs proches. Au moins neuf des onze personnes sur la liste sont des dissidents politiques ou leurs proches.
Seules deux d'entre elles ont été accusées d'une infraction terroriste, voire condamnées ; ces accusations ont été émises dans des circonstances douteuses, selon des sources de l’ONG Emirates Detainees Advocacy Center (EDAC), qui soutient les défenseurs des droits humains emprisonnés aux Émirats arabes unis. Un homme a été condamné par contumace lors du procès collectif de 94 personnes, surnommé « UAE94 », un procès manifestement inéquitable de dissidents politiques tenu en 2013. L'autre homme était accusé dans une autre affaire liée à son soutien aux détenus « UAE94 ».
Les personnes figurant sur la liste n'ont appris cette désignation qu'après la publication de l'information par l'Agence de presse des Émirats arabes unis (Wakalat Anba'a al Emarat, WAM), sur son site web. « Ce fut un véritable choc, c'était très difficile », a déclaré l'une de ces personnes à Human Rights Watch.
Un autre individu s'est dit « surpris que nos noms apparaissent simplement dans le dossier terroriste », car il n'y avait « aucune affaire, aucune décision de justice ». Un troisième homme a affirmé : « Je n'ai jamais été condamné, et aucune charge ne pèse contre moi. »
Human Rights Watch a effectué une recherche concernant les 19 personnes et entreprises qualifiées de « terroristes » par les EAU, en cherchant leurs noms dans plusieurs listes internationales de sanctions visant des individus et entités terroristes, notamment les listes établies par les Nations Unies, par l'Union européenne et par le Royaume-Uni. Aucun des 19 noms ne figure dans ces listes internationalement reconnues.
La loi antiterroriste de 2014 des Émirats arabes unis utilise une définition excessivement large du terrorisme et permet au pouvoir exécutif de désigner des individus et des entités comme « terroristes », sans obligation légale de démontrer le fondement objectif de cette désignation. La loi ne définit pas de procédure claire quant à l'exercice de ce pouvoir, et ne prévoit aucun système de vérification.
Les personnes désignées comme « terroristes » sont immédiatement passibles d'un gel de leurs avoirs et de la confiscation de leurs biens, en vertu de la loi antiterroriste et de la décision n° 74/2020 du Cabinet émirati. Toute personne vivant aux Émirats arabes unis, y compris les proches ou les amis d’individus figurant sur la liste, risquent une peine de prison à perpétuité s’ils communiquent avec eux. Human Rights Watch a constaté que cette désignation en tant que « terroristes » a déjà eu des conséquences négatives sur la carrière et les finances personnelles de ces personnes, dont la perte d'opportunités professionnelles et de clients.
Des dissidents émiratis en exil ont déclaré que ces désignations s'inscrivaient dans le cadre de la répression continue des Émirats arabes unis contre la dissidence et l'opposition politique. « Ils veulent nous faire le plus de mal possible », a déclaré une personne dont le nom figure sur la liste.
Au cours des dix dernières années, les autorités émiraties ont ciblé à plusieurs reprises les Frères musulmans et leur branche émiratie, l'Association pour la réforme et l'orientation sociale (Al-Islah), dans le cadre d'une répression généralisée. Or, Al-Islah est un groupe non violent qui a participé à un débat politique pacifique aux Émirats arabes unis pendant de nombreuses années avant l’actuelle vague de répression, tout un prônant un plus grand respect des préceptes islamiques. Plusieurs détenus qui avaient été condamnés lors du procès collectif « UAE94 » de 2013, tenu de manière inéquitable, sont des membres d'Al-Islah. En 2014, les Émirats arabes unis ont désigné les Frères musulmans comme organisation terroriste.
« Le gouvernement des Émirats arabes unis rejette l'existence de toute opposition politique ou de toute opinion contraire à ses politiques, et cherche donc à faire taire toutes les voix [critiques] », a déclaré une personne figurant sur la liste.
La loi antiterroriste de 2014 permet aux tribunaux de designer des détracteurs pacifiques du gouvernement comme des « terroristes », et de les condamner à mor. Cette loi a été utilisée à maintes reprises contre des dissidents politiques. En juillet 2024, 53 défenseurs des droits humains et dissidents politiques ont été condamnés à des peines excessivement longues lors du deuxième plus grand procès collectif inéquitable du pays.
En 2010, le premier Rapporteur spécial des Nations Unies sur la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste avait indiqué que les pays devraient définir le terrorisme, dans le cadre de leurs lois, de manière précise et restreinte. Il avait ainsi expliqué le motif : « L’adoption de définitions trop larges du terrorisme peut […] donner lieu à un usage abusif délibéré du terme […] et à des violations involontaires des droits de l’homme. »
« Les autorités émiraties abusent d'une loi antiterroriste vaguement formulée pour diffamer et ostraciser les dissidents, criminalisant même le simple contact avec eux », a conclu Joey Shea. « Elles devraient immédiatement revenir sur ces désignations insidieuses et cesser de réprimer l'expression pacifique. »
Suite en anglais (informations plus détaillées).
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