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13.10.2025 à 11:37

Palestine : un mois ordinaire dans les médias français (1)

Pauline Perrenot

Texte intégral (5330 mots)

Septembre 2025. Bribes du naufrage, ici et là.

TF1 et France 2 · 5-14/09. C'est une hiérarchie de l'information ordinaire. Face à l'anéantissement méthodique de Gaza-ville, les JT de 13h et 20h assurent le service minimum. Entre le 5 et le 14 septembre selon une étude d'Arrêt sur images, 13h et 20h cumulés, France 2 « évoquera Gaza durant près de cinq minutes au total sur dix jours, quand TF1 y consacrera près de huit minutes. » Confrontées à cette « présence modérée de Gaza à l'antenne », dixit Télérama (23/09), les deux chaînes déroulent leur argumentaire dans les pages de l'hebdomadaire. Directrice adjointe de l'information à France Télévisions, Muriel Pleynet explique la « nécessité de respecter une forme d'équilibre entre les deux bords », « d'avoir une ligne très factuelle » et de ne pas « être dans le parti-pris ». On apprend par ailleurs que France 2 « n'utilis[e] pas le mot "génocide" car, pour l'instant, le droit international ne parle pas de "génocide" ». Tout simplement. Du côté de TF1, Gilles Bouleau « a utilisé pour la première fois ce mot mardi 16 septembre [2025] » pour citer les conclusions de la commission d'enquête indépendante de l'ONU. Le maigre traitement de Gaza ? Le présentateur et rédacteur en chef du 20h avance qu'« on a choisi de ne pas feuilletonner, ni de tenir tous les jours la "chronique" de cette guerre ». Et de poursuivre en se disant attaché à ce que la rédaction de TF1 ne soit pas « instrumentalisée, que ce soit par le Hamas ou les autorités israéliennes » : « Il nous faut des journalistes expérimentés, à équidistance, pas des militants ». Bref, l'autocritique journalistique est loin d'être à l'ordre du jour.

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Sud Radio · 8/09. C'est un interrogatoire ordinaire. À peine évoque-t-elle la flottille humanitaire pour Gaza que la députée Clémence Guetté (LFI) affronte la hargne de son intervieweur :

- Jean-François Achilli : La flottille avec madame Adèle Haenel ? On parle de la même, hein ? [Oui, exactement.] Vous savez qu'Adèle Haenel, c'est quand même une personnalité du monde du cinéma qui a compté au départ de MeToo, hein ? [Oui...] Et vous trouvez normal qu'elle participe à une flottille qui va soutenir, quelque part, de fait, un mouvement terroriste qui a commis autant de féminicides le 7 octobre ?

Durant la minute trente qui suit, Clémence Guetté est interrompue 14 fois, soit une fois toutes les six secondes : « Le Hamas tient toujours Gaza hein ! » ; « Rien à voir avec le Hamas ? Vous dissociez les choses ? » ; « Vous dites quoi [au] Hamas ? Vous dites quoi ?! "Rendez les otages" ? » ; « Non, non, attendez ! [...] Vous dites quoi du Hamas ?! "Rendez les otages" ? "Arrêtez la guerre" ? » En boucle.

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LCI · 10/09. C'est une causerie ordinaire. Alors que l'État d'Israël vient de bombarder une résidence à Doha (Qatar), les journalistes en plateau lui donnent quitus. « C'est la signature du Mossad et globalement d'Israël : nous frappons qui nous voulons, où nous voulons, quand nous voulons. Aucun agresseur d'un juif dans le monde ne sera épargné, ne sera à l'abri nulle part », affirme le lieutenant porte-parole… Christophe Barbier (10/09). L'éditorialiste poursuit en expliquant pourquoi le Qatar est certes un pays ici attaqué, mais surtout un « pays ambivalent, hypocrite pourrait-on dire », qui « n'est pas la Suisse », ayant d'un côté « de très bonnes relations avec […] la France de Sarkozy comme la France de Macron » et, de l'autre, « capable de financer des mouvements terroristes ». La réaction de l'animatrice va ensuite délier les langues :

- Anaïs Bouton : Il joue un double-jeu franchement dégoûtant, non ? Et c'est la vie ?!

- Christophe Barbier : Non mais attendez… nous sommes en Orient ! Nous sommes en Orient !

- Anaïs Bouton : Ah ! [Éclats de rire en plateau.]

- Christophe Barbier : Ah oui ! C'est pas les mêmes critères !

« Le journalisme ». Emmanuelle Ducros – qui affirmait un peu plus tôt n'être « pas très sûre d'avoir compris tous les tenants et les aboutissants de cette affaire » – est naturellement chargée de conclure ce plateau dégoulinant de racisme, en pleine démonstration de sa supériorité « occidentale » :

- Emmanuelle Ducros : Ce qui est spectaculaire, c'est de voir que quelles que soient les ambitions du Qatar d'être cette Suisse ambivalente, c'est quand même un gruyère ! [Ricanements en plateau.] Parce qu'on peut attaquer au cœur du pays et… et voilà !

- Anaïs Bouton : Magnifique conclusion Emmanuelle Ducros, merci beaucoup ! C'est maintenant l'heure de [la chronique] « Y a qu'en France que ça se passe comme ça ».

C'est peu de le dire.

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X · 14/09. C'est un Plantu ordinaire.

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RTL · 15/09. « Dans quelques jours, le président Macron va aller reconnaître l'État de Palestine à l'ONU. Ça vous inspire quoi ? » C'est une question ordinaire. Sauf que l'interviewé est chanteur et qu'en octobre 2023, il appelait à « dégommer » « peut-être physiquement » les membres de LFI (CNews, 10/10/2023). Un propos sans aucune incidence sur son capital médiatique : après deux ans d'interventions publiques constantes en soutien de l'État d'Israël, Enrico Macias se voit dérouler un énième tapis rouge pour soutenir que « les Palestiniens ne veulent pas faire la paix » et que Netanyahou « se défend contre les Palestiniens. C'est tout. » Et c'est offert par RTL.

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France Info · 15/09. C'est un rappel à l'ordre ordinaire. Dans le cadre d'une discussion sur les actions du mouvement de solidarité en Espagne, Fabienne Messica, membre de la direction de la LDH, relève que le pays « a été un des premiers […] à reconnaître qu'il y avait un génocide ». Grand seigneur, le présentateur Loïc de la Mornais n'interrompt pas sa prise de parole. Il se contente d'en attendre la fin pour la discréditer : « Et je précise, vous avez employé le mot de génocide et c'est… voilà, les historiens le diront. […] En tout cas, ce n'est pas sur ce plateau que moi je vais le trancher. […] Chacun fera son travail plus tard. » Voilà pour le coup droit. Le revers arrive avec l'intervention suivante, signée Patrick Martin-Genier, expert multimédias sur les « questions européennes et internationales » :

Patrick Martin-Genier : Je crois malheureusement qu'on oublie qu'il y a eu le 7 octobre […], le plus grand pogrom depuis la seconde guerre mondiale. […] Je ne dis pas qu'il faut légitimer tout ce que fait Israël à Gaza mais en tout cas, on a oublié cela […]. Et je crois que lorsqu'on parle de la reconnaissance d'un État palestinien, mais c'est quoi l'État palestinien ? Pour l'instant, c'est le Hamas qu'on n'a toujours pas éliminé […], c'est le Hezbollah également dans le sud Liban et donc tous ces gens qui veulent la destruction d'Israël. Donc je ne veux pas tout justifier, mais on oublie l'histoire. L'histoire proche des Israéliens qui ont été assassinés, des bébés qui ont été brûlés, des femmes qui ont été éventrées, et je crois qu'on oublie cela.

D'une durée de deux minutes et trente secondes – sans la moindre interruption, fait rare sur un plateau –, cette tirade d'« expert » s'est conclue quant à elle en douceur : sans l'ombre d'un rappel à l'ordre.

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LCI · 16/09. « Merci colonel. Nous voulions passer ces quelques minutes avec un porte-parole de Tsahal pour mieux comprendre. » C'est une révérence ordinaire : Éric Brunet vient de terminer son « interview » avec Olivier Rafowicz, auquel il donne tout du long du « mon colonel ». Après lui avoir passé les plats pour parler de « cette grande offensive qu'on attendait », Éric Brunet remet une couche de cirage au terme du duplex :

Éric Brunet : [Olivier Rafowicz] a beaucoup parlé mais ça a permis à ceux qui regardent LCI de comprendre ce qui se passe en ce moment même à Gaza. Nous avons eu tout à l'heure l'intervention de ce journaliste, qui a passé une nuit très difficile dans Gaza, et nous suivrons de très très près sur LCI le sort des populations civiles dans cette offensive lancée ce matin par l'armée israélienne.

Le journaliste palestinien qu'Éric Brunet ne prend pas la peine de nommer est Rami Abou Jamous, dont un « face cam » enregistré – d'une minute à peine – a été diffusé par LCI avant l'interview, en direct, du porte-parole de l'armée israélienne. Bilan des courses ? Un temps de parole près de dix fois supérieur pour le second, et des conditions d'expression incomparablement meilleures. Rien à dire : LCI se donne effectivement tous les moyens de « suivre de très très près le sort des populations civiles ».

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France 5 · 16/09. C'est un expert médiatique ordinaire. Nous sommes le jour de la publication du rapport de la commission d'enquête indépendante de l'ONU concluant à l'existence d'un génocide à Gaza, mais certains médias disposent de savants autrement mieux informés. Après avoir brillé le matin dans la matinale de BFM-TV/RMC, celui que Blast décrit comme « une sorte de généraliste spécialiste », alias Frédéric Encel, débarque dans « C à vous ». Pour refuser la qualification de génocide : « Ne galvaudons pas les termes ! Ou alors, il faut baptiser différemment ce qui s'est produit en 1915 [...] contre les Arméniens, pendant la Shoah, qui a concerné les juifs mais également les tziganes, et les Tutsis rwandais. Et j'ajoute l'ex-Yougoslavie. Donc je ne suis pas pour le galvaudage des termes. » Juriste et historien : deux casquettes de plus à épingler au brillant CV du « géopolitologue » médiatique.

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France Info · 17/09. C'est un journal d'actualité ordinaire. Diffusé à 15h, un bulletin d'information a encore été malencontreusement confondu avec un communiqué de l'armée israélienne : « Tsahal indique avoir frappé plus de 150 cibles, poussant des milliers d'habitants sur les routes. Pour leur permettre de fuir ce matin, Israël a annoncé l'ouverture d'une nouvelle route de passage temporaire. »

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France Inter · 17/09. C'est une invitation ordinaire. « Bonjour Joshua Zarka, merci d'être avec nous ce matin sur France Inter, alors que l'armée israélienne a lancé hier son offensive terrestre sur la ville de Gaza. » Face à Benjamin Duhamel, l'ambassadeur d'Israël en France n'en espérait sans doute pas tant. Netanyahou sous mandat d'arrêt international pour crimes contre l'Humanité ? La matinale radio s'obstine à octroyer une exposition de premier plan à l'un de ses porte-parole. Naturellement, il arrive ce qui devait arriver : « Ce n'est pas un génocide quand on demande à la population de se retirer de là où ont lieu les attaques. » La promotion du n'importe quoi – qui valut à France Inter une réaction immédiate d'Amnesty International – fait en prime les gros titres de l'émission : « Pour Joshua Zarka, le terme de génocide "est utilisé comme un terme politique, pas comme un terme légal". » Et l'information sur le rapport de la commission de l'ONU, dans tout ça ? Inexistante.

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X · 17/09. C'est un crachat ordinaire. « Israël éradique le Hamas. Sans prendre de gants et brutalement. Mais tous les autres pays – même les pays arabes qui sont empoisonnés par les palestiniens depuis +80 ans – attendent juste qu'Israël finisse le job tout en s'indignant en façade. Ça déplaît mais c'est la réalité. » Xavier Gorce. Le maître à penser des pingouins.

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LCI · 17/09. Ce n'est pas un mea culpa ordinaire. « Très vite [après le 7 octobre], on s'est dit : "Où vont-ils ? Il n'y a pas d'objectif politique." Et puis, je fais partie des gens qui se sont trompés, c'est-à-dire qu'il y avait un objectif politique. On l'a vu, c'était en effet, finalement, une forme d'épuration ethnique, d'essayer de rendre Gaza invivable pour forcer les Gazaouis à partir. » 23 mois : le temps d'un revirement public pour la grand reporter de L'Express, Marion Van Renterghem. Où sont les équivalents parmi les commentateurs les plus en vue ?

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CNews · 18/09. C'est un commentaire ordinaire. Au beau milieu de bavardages (à charge) à propos de la mobilisation sociale du 18 septembre, le plateau se déchaîne contre les drapeaux palestiniens visibles dans le cortège parisien. Rachel Khan éructe :

Rachel Khan : Ce drapeau ne symbolise pas du tout le peuple palestinien, il symbolise dans nos rues une colonisation de l'espace public, une colonisation des esprits parce que derrière ce drapeau, c'est le palestinisme ! C'est la victoire du Hamas dans nos rues, c'est la haine d'Israël, c'est la haine des juifs, c'est la haine du peuple libre ! Et puis c'est un drapeau qui symbolise l'instrumentalisation des masses, l'instrumentalisation de nos jeunes. C'est aussi le drapeau qui efface le 7 octobre, c'est le drapeau qui efface l'ensemble des victimes.

Discours quotidiens, quotidiennement tolérés par l'Arcom. Quelques jours plus tard, sur la même antenne : « [Le drapeau palestinien] est vu aujourd'hui comme étant le drapeau de l'islamisme vainqueur, de l'islamisme conquérant […], des antisémites. Et c'est le drapeau d'un communautarisme. [...] Et derrière cette cause palestinienne, vous avez la cause djihadiste qui, naturellement, méprise les juifs mais au-delà des juifs, méprise l'Occident dans lequel cet islam-là s'est imprégné. » Signé Ivan Rioufol. La haine, H24.

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France Inter · 18/09. C'est un lundi matin ordinaire. Sophia Aram est en pleine forme. Et pour cause : une flottille est de nouveau en route pour Gaza. La boute-en-train renoue pour l'occasion avec le jeu des surnoms – « Lady Gaza » pour Rima Hassan ; « Miss Krisprolls » pour Greta Thunberg –, et partage ses traits d'esprit, hilare face à un équipage qui « continu[e] ses ronds dans l'eau, avec à son bord deux kilos de pâté vegan, un pack de Palestine Cola et trois boîtes de protections périodiques ». La mission humanitaire ? « Se dorer la nouille en Méditerranée sur des voiliers à 6 000 boules par jour co-financés par les proxys du Hamas. » Mais encore ? Un « cirque pour aller chercher trois sandwichs et un vol retour auprès de l'armée israélienne ». À ce stade, la médiocrité annulerait presque l'indécence.

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Le Point · 18/09. C'est une pleine page ordinaire dans un hebdomadaire. À court d'éditorial, d'interview ou de tribune contre la reconnaissance de l'État de Palestine par la France ? Pas de panique ! La direction du Point a la solution toute trouvée : publier tel quel un communiqué du réseau « Agir ensemble » – « Et si tous les pays arabes reconnaissaient enfin Israël ? » –, à la pointe de la rigueur historique [1]. Étonnant… ou pas : le communiqué en question fut projeté la veille, à Paris, lors du meeting « contre la reconnaissance d'un État palestinien sans conditions » co-organisé par « Agir ensemble » et Elnet, l'un des principaux lobbies pro-Israël en France. Le tout en compagnie d'éminents représentants de CNews (Paul Amar, Rachel Khan, Michel Onfray, etc.) et de quelques personnalités politiques, de Manuel Valls à Caroline Yadan en passant par David Lisnard.

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Le Figaro · 19/09.

C'est un gros titre ordinaire. Et Le Figaro fait d'une pierre quatre coups : convertir la question politique de l'État de Palestine en une question identitaire ; essentialiser les « Français juifs » ; invisibiliser les voix palestiniennes ; et établir un lien entre la reconnaissance et « les niveaux très élevés » des « actes antisémites » en France. Le niveau très élevé d'islamophobie culmine quant à lui dans les pages intérieures :

Stéphane Kovacs : Expert en stratégie numérique et coauteur de La Fin des juifs de France ?, Didier Long considère que quelque « 150 000 Juifs, vivant directement au contact de populations arabo-musulmanes, sont en danger aujourd'hui en France ». « Reconnaître la Palestine aujourd'hui, c'est mettre une cible dans le dos des Juifs du monde entier », craint-il.

Et l'avalanche raciste de se poursuivre – « cette décision qui vise à calmer les banlieues aura l'effet inverse : cela importera encore plus le conflit sur notre territoire, en y légitimant la violence » – sans le début du commencement d'une contradiction : Le Figaro en roue libre.

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L'Éclair des Pyrénées · 20/09. « En quoi la reconnaissance d'un État palestinien facilitera la paix au Proche-Orient ? Voudrait-on importer en France le conflit israélo-palestinien qu'on ne s'y prendrait pas autrement. » C'est un éditorial ordinaire. Signé Patrice Carmouze – et oui, il existe encore un journal pour le prendre au sérieux.

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T18 · 20/09. C'est une démonstration de mépris ordinaire. Après que Pierre Jacquemain (Politis) a dénoncé le génocide à Gaza commis par « une armée face à un peuple qui est démuni », Jean Quatremer lui saute à la gorge :

- Jean Quatremer : C'est insupportable ! Quand je vous entends dire que l'armée israélienne ne se bat contre personne mais contre le peuple palestinien... mais c'est un pur scandale de dire une chose pareille ! [...] Israël ne se bat pas contre le peuple ! Israël se bat contre le Hamas ! Si le Hamas demain rend les otages, dépose les armes, ça s'arrête. [...] Dire que c'est une guerre contre le peuple palestinien, c'est purement scandaleux ! [...]

- Pierre Jacquemain : 60 000 civils… [Coupé]

- Jean Quatremer : C'est pas 60 000 civils ! C'est 30 000 civils, et 30 000 combattants, déjà ! Rien que là-dessus, voyez, sur les chiffres ! Donc on peut continuer longtemps là-dessus la mauvaise foi.

- Pierre Jacquemain : [30 000], c'est quand même pas mal...

- Jean Quatremer : Oui mais ça, c'est de l'importation du conflit justement et c'est tenter de tordre la réalité. Je vous demande de faire du journalisme !

C'est un expert qui parle : un mois plus tôt, une enquête conjointe de journalistes israéliens et britanniques, basée sur des données des services de renseignements israéliens, faisait état de 83% de civils tués à Gaza entre octobre 2023 et mai 2025 sur un bilan – par ailleurs largement sous-estimé – de 53 000 morts. En d'autres termes, au moins 44 100 civils. Mais à l'évidence, celui qui enjoint de « faire du journalisme » n'en est pas à 10 000 morts palestiniens près.

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Public Sénat · 22/09. C'est un transfert ordinaire. Après Maël Benoliel, recruté par le bureau « Moyen-Orient » de France Télévisions, voici qu'un autre journaliste d'i24News est embauché comme éditorialiste officiel sur le service public : Michaël Darmon, professionnel exigeant et passionné de droit international – la Cour internationale de justice rebaptisée « conclave de l'inimitié juive », c'est de lui. Au cours de la saison 2024-25, il bénéficiait d'un fauteuil sur France Info et officiait déjà sur Public Sénat sous le statut « éditorialiste i24News ». Il est depuis monté en grade, comme le laisse entendre son confrère Thomas Hugues au moment de présenter le plateau de l'émission « Sens Public » : « Bonsoir Michaël, bienvenue à vous. Éditorialiste politique pour "Sens Public", je rappelle que vous avez été vous aussi correspondant à Jérusalem. » Puis éditorialiste pour une chaîne propagandiste et coutumière de discours génocidaires : dommage d'avoir oublié la précision.

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Le Parisien · 22/09. Ce n'est pas un éditorial ordinaire (mais un peu quand même). Déplorant « le timing » de la reconnaissance de l'État de Palestine, « car ceux qui se féliciteront bruyamment sont les bourreaux d'Israël », le directeur des rédactions Nicolas Charbonneau va jusqu'à se fâcher avec son Président chouchou : « Bien sûr, la France et ses alliés assureront que cette reconnaissance doit s'accompagner du démantèlement du Hamas – la blague –, mais ces discours à l'ONU iront bien droit au cœur des maîtres de Gaza. » Et de poursuivre en suivant un lien de cause à effet pour le moins cavalier : « Qui peut […] croire que cette reconnaissance sans avoir obtenu jusqu'ici la moindre condition préalable mettra un terme à un antisémitisme débridé ou aidera les populations civiles palestiniennes ? » Qui peut croire que quoi que ce soit mettra un terme à la couverture indigente que donne à voir jour après jour Le Parisien depuis deux ans ?

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TMC · 22/09. C'est une consécration ordinaire. Et une double peine : « Ça s'appelle Les nouveaux antisémites. Enquête d'une infiltrée dans les rangs de l'ultra gauche. C'est sorti chez Albin Michel. Et voici le prochain numéro de Franc-Tireur aussi, avec une nouvelle enquête signée de vous, et ça sort mercredi. Merci [Nora Bussigny] d'être venue sur le plateau de Quotidien ! »

Non, Yann Barthès ne reçoit pas l'extrême droite partisane sur son plateau. Par contre, il sert régulièrement la soupe aux commentateurs qui promeuvent activement ses obsessions, de l'islamophobie (bon teint) à la haine de la gauche et des « nouveaux inquisiteurs », selon le titre du précédent livre de cette « infiltrée en terres wokes » (chez Albin Michel, déjà).

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Mediapart · 24/09. C'est une manipulation de l'information ordinaire. Fin juillet 2025, l'ambassade israélienne en France a organisé un voyage de presse tous frais payés en Israël [2]. Alors que perdure le blocus de Gaza et que les journalistes internationaux y sont toujours interdits, il se trouve encore des journaux français pour répondre présent à ce type d'invitation. Cinq, en l'occurrence : Le Journal du dimanche, Le Figaro, L'Express, Marianne et La Croix. Comme le rapporte Mediapart, « hormis le quotidien catholique et L'Express, aucun des trois autres n'a jugé utile de préciser que leurs articles avaient été rédigés dans le cadre d'un voyage concocté par l'ambassade israélienne ». Dans Marianne (7/08), la directrice de la rédaction, Ève Szeftel [3], livre même une caricature de « reportage embedded » au cœur d'« une nation prête à rendre le moindre coup »… et au plus près des autorités militaires, dont le récit est recraché sans aucun recul. « Je n'ai pas mentionné le cadre du voyage de presse car ce cadre n'était pas contraignant », affirme-t-elle à Mediapart. On n'en doute pas ! Et lorsque le journal lui demande si elle entrevoit « un problème déontologique » dans sa démarche, la réponse est tout aussi tranquille : « Non, et la preuve c'est que le papier que j'ai écrit était très équilibré. »

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Mediapart · 29/09. C'est un management ordinaire. Le 18 septembre, la directrice de Marianne Ève Szeftel, encore elle, était visée par une motion de défiance votée par 71 % de la rédaction. « En tête des griefs formulés : son positionnement personnel pro-israélien », rapporte Mediapart, que la directrice commente avec toute la franchise qu'on lui connaît : « Marianne traite avec le souci de la contradiction et du pluralisme tous les sujets, celui-là comme les autres. » Les plaintes des journalistes disent pourtant le contraire, témoignant d'un interventionnisme débridé concernant tout sujet lié de près ou de loin à la question palestinienne et à ses répercussions en France. Éditoriaux caricaturaux ; « entretiens téléguidés » avec ses « interlocuteurs fétiches […] généralement favorables à l'action de Tsahal » ; reprises en main éditoriales, comme ce jour où une proposition d'article mettant en scène deux juristes « pour et contre » la caractérisation de génocide est devenue, in fine, « un débat entre deux juristes, le premier choisi par la directrice, qui a ensuite lui-même désigné son contradicteur » [4]. Sans compter d'autres types de pratiques autoritaires, incluant un entretien sous forme de coup de pression avec une « pigiste permanente », alors susceptible d'être promue rédactrice en cheffe du service culture :

La discussion s'était vite orientée sur la question israélo-palestinienne. Ève Szeftel a donné son point de vue – pour elle, « il n'y a pas de génocide à Gaza » et les journalistes gazaoui·es, « à partir du moment où ils ont des liens avec le Hamas, et ils en ont, sont des terroristes ». Pour offrir le poste à la journaliste, elle a posé comme condition que celle-ci soit alignée sur ses convictions. Raison avancée ? En tant que potentielle cheffe du service culture, la journaliste devrait recenser les boycotts en France d'artistes israélien·nes ou soutenant Israël [5].

Sans commentaire…

… et en attendant le mois prochain.

Pauline Perrenot


[1] On y apprend par exemple que « le conflit israélo-arabe » a débuté au lendemain de la déclaration d'indépendance de l'État d'Israël, le 14 mai 1948, lorsque « le monde arabe lui déclare la guerre pour l'effacer de la carte ». Ou encore qu'« à sept reprises, les pays arabes puis les Palestiniens [ont] rejeté les propositions de paix et une "solution à deux États", toutes acceptées par l'État juif ». Entre autres.

[2] Aller-retour en avion, repas et nuits d'hôtel (de luxe). Seul le journal La Croix a pris en charge le transport, selon Mediapart.

[4] Le tout pour que tous deux se rejoignent à la fin sur le fait que le terme génocide « est dans le cas de Gaza instrumentalisé et ne correspond pas à la situation sur place », ainsi que le décrit Mediapart.

[5] Une version, précise Mediapart, contestée par Ève Szeftel.

10.10.2025 à 08:47

Marc Fauvelle : avocat de Sarkozy… ou détracteur de Mediapart ?

Vincent Bollenot

Texte intégral (2791 mots)

Le 25 septembre 2025, l'ancien président de la République Nicolas Sarkozy est condamné en première instance par le tribunal correctionnel de Paris à cinq ans de prison pour association de malfaiteurs avec exécution provisoire en raison d'un pacte de corruption noué avec le dictateur libyen Mouammar Kadhafi. Fabrice Arfi, journaliste à Mediapart ayant largement contribué à documenter ledit pacte, est invité sur le plateau de Marc Fauvelle sur BFM-TV quatre jours plus tard.

« J'étais sur le plateau de BFM où je n'aurais jamais dû aller pour parler de la condamnation de Nicolas Sarkozy », a publiquement regretté Fabrice Arfi (Bluesky, 29/09). En effet… Verrouillé par un présentateur reconverti en avocat de Nicolas Sarkozy – dont il mobilise les arguments de « défense » sous couvert de « questions qui fâchent » et de « nuances » –, le dispositif met le journaliste de Mediapart en situation d'être tantôt un « adversaire politique » de l'ancien président, tantôt le porteur d'une « opinion » parmi d'autres. Nourrir le confusionnisme tout en ayant l'air de servir le « pluralisme » et la « contradiction » : tel est le bilan de ce formatage du débat public, où les faits et l'information sont noyés sous un conducteur de fausses questions… et de vrais à-peu-près.

Un journalisme de diversion

Alors que le journaliste de Mediapart dénonce la stratégie médiatique de l'ancien président – accuser les médias « vendus à la gauche » et « les juges rouges » –, l'intervieweur relaie au contraire, dès sa deuxième question, l'un des principaux arguments de la défense Sarkozy : « C'est LA note qui a lancé la machine judiciaire. » Le lancement de Marc Fauvelle est sans équivoque : la première partie de son interview sera consacrée à la fameuse « note Moussa Koussa », du nom du chef des services secrets extérieurs libyens de Kadhafi, un document révélé en 2011 par Mediapart. « Que contient cette note ? », demande le présentateur à Fabrice Arfi. Alors que le journaliste de Mediapart explique ce que contient ce document, qui a permis de révéler une rencontre secrète entre le terroriste et chef des renseignements libyens Abdallah Senoussi et les proches de Nicolas Sarkozy, Marc Fauvelle ne rebondit pas sur « l'extraordinaire gravité » des faits qui sont évoqués face à lui… mais sur les arguments de la défense de l'ancien président, qui s'acharne sans succès depuis plus d'une décennie à discréditer cette « note » :

Marc Fauvelle : Nicolas Sarkozy dit que cette note est un faux. Il s'appuie d'ailleurs sur les mots de la présidente au moment de prononcer le jugement la semaine dernière, qui dit : « Il y a aucun élément qui a permis de corroborer le contenu de la note qui apparaissait déjà fragile. » Je cite les mots de la présidente du tribunal. Le plus probable est que ce document Mediapart soit un faux. Est-ce que vous vous êtes trompé ?

Si la question est d'un premier abord légitime, Marc Fauvelle ne se contente pas de la réponse de Fabrice Arfi sur cette affaire pourtant déjà jugée 3 fois – à chaque fois pour donner raison à Mediapart. Au gré de relances incessantes, témoignant d'une relative méconnaissance du sujet qu'il aborde, l'animateur entre dans des considérations juridiques byzantines – pour ne pas dire de mauvaise foi – revenant, in fine, à légitimer les arguments Sarkozy, ou, tout « au mieux », à semer le doute :

Marc Fauvelle : Il y a eu procès, il [Nicolas Sarkozy] vous a attaqué pour faux… […] Il y a eu procès, enfin vous avez raison, il y a eu procès, il y a eu procès en appel. Vous avez gagné procès, procès en appel. Il y a une Cour de cassation… sur cette affaire et la Cour de cassation dit à la fin… elle a écarté l'accusation lancée par Nicolas Sarkozy. Elle dit « Ce n'est pas un faux mais on ne peut pas dire pour autant avec certitude qu'il s'agit d'un vrai ». […] On n'est pas plus avancé à ce moment-là.

- Fabrice Arfi : […] Il y a ce qu'on appelle en droit une autorité de la chose jugée. Cette note est selon la justice française ni un faux matériel, ni un faux intellectuel. […]

- Marc Fauvelle : Mais vous êtes d'accord pour dire que la Cour de cassation n'a jamais dit « il s'agit d'un vrai » ?

- Fabrice Arfi : La justice s'est saisie pour dire s'il s'agit d'un faux !

Le présentateur conclut que cette question qu'il a lui-même posée… ne se pose pas – « Oui, elle [la Cour de cassation] n'a pas été interrogée pour dire si c'était un vrai » – sans en démordre pour autant :

- Marc Fauvelle : Ouais… ça a son importance…

- Fabrice Arfi : Mais non mais c'est le droit ! [M. F. : Oui…] La justice ne peut pas dire : « elle est authentique » ; elle dit : « il n'y a rien qui permet de dire que c'est un faux matériel et un faux intellectuel ».

Mais rien n'y fait. Les questions suivantes se focalisent de nouveau sur la fameuse « note Moussa Koussa », comme s'il en allait du cœur du sujet, – ce que surlignent (lourdement) les bandeaux tout au long de l'interview…

Aussi l'animateur embraye-t-il au quart de tour sur un détail, de façon à suggérer l'incompétence ou la manipulation de Fabrice Arfi :

- Fabrice Arfi : Nous le disons depuis des années, il y a probablement une erreur dans la date [coupé]

- Marc Fauvelle : C'est ce que j'allais vous demander. Il y a une date sur ce document qui n'est pas la date du document, mais la date qui est… de la réunion Takieddine/Brice Hortefeux. Il est inscrit qu'elle aurait eu lieu le 6 octobre 2006. Ce jour-là, Brice Hortefeux était non pas à Tripoli mais à Clermont-Ferrand qui n'a pas grand-chose à voir. Comment expliquer une erreur de date comme ça sur un document aussi important ?

Fabrice Arfi met alors en évidence les contre-feux médiatiques allumés par Nicolas Sarkozy, centrés spécifiquement autour de ladite note, avant d'être à nouveau coupé par Marc Fauvelle : « La présidente du tribunal, elle n'est pas manipulée par Nicolas Sarkozy ? »

Un journalisme d'accusation

Alors que l'échange se tend, Fabrice Arfi évoque l'hostilité (de longue date) des médias dominants à l'endroit de Mediapart dans cette affaire. Marc Fauvelle le rassure sur un ton piquant : « Vous n'êtes pas accusé Fabrice Arfi, je vous pose des questions parce qu'on se les pose, sans doute parce qu'on les voit passer partout. J'en ai plein d'autres à vous poser, si vous permettez. » Las… c'est bien au procès de Mediapart que nous continuons d'assister :

Marc Fauvelle : Bon, cette note, vous la publiez, vous, à Mediapart, le samedi 28 avril 2012. C'est pas une date anodine, on est pile poil entre les deux tours de l'élection présidentielle. Nicolas Sarkozy est candidat. Il est finaliste. Il va affronter François Hollande quelques jours après. Pourquoi à ce moment-là ? Depuis combien de temps vous l'aviez cette note ?

Et pourquoi relancer, à ce moment-là, un débat qui s'est déjà tenu moult fois sur la place publique au cours des treize dernières années ? Fabrice Arfi joue néanmoins le jeu, entrant dans l'explication, arguant que la responsabilité des conséquences politiques de révélations journalistiques n'incombent pas aux journalistes d'investigation… mais aux personnalités politiques prises la main dans le pot de miel. Peine perdue : il est coupé après 7 secondes à peine. Et Marc Fauvelle de poursuivre, non plus en insinuations mais en accusation explicite : « Donc c'est le 28 avril 2012 à une semaine du second tour que vous avez eu la preuve selon vous qu'elle était exacte ? Vous ne l'avez pas gardée sous le coude ? »

Alors que Fabrice Arfi s'indigne, Marc Fauvelle le coupe à nouveau en prenant cette fois-ci explicitement la défense de l'ancien candidat UMP avec une affirmation pour le moins inexacte :

- Marc Fauvelle : Parce que vous savez qu'à cette date-là, on est dans une période en plus où le temps de parole est géré. Les candidats peuvent pas s'exprimer, très peu. C'est l'égalité, entre guillemets, il pouvait pas répondre aux accusations à ce moment.

- Fabrice Arfi : Bien sûr que si, il a répondu. On a contacté l'Élysée, on a contacté tous les acteurs…

- Marc Fauvelle : Pas dans les médias audiovisuels. Vous savez, c'est la période de d'égalité entre les deux tours de la présidentielle.

Médias audiovisuels où Sarkozy disposait néanmoins… de vaillants porte-parole.

Un journalisme d'opinion

Dernier volet des « questions » de Marc Fauvelle ? L'accusation de complot à l'endroit des juges et des journalistes. Interviewé la veille dans le JDD de Bolloré, l'ancien président continue de donner le « la » de l'interview et ses élucubrations fournissent à l'intervieweur… son cadrage :

Marc Fauvelle : Nicolas Sarkozy, hier, vous l'avez sans doute lu comme nous dans l'interview au JDD, dit « l'officier de police judiciaire qui enquêtait sur moi likait les articles de Mediapart et par ailleurs à chaque fois qu'il y avait une audition chez un magistrat par exemple, je l'apprenais quasiment en lisant Mediapart ». Est-ce qu'il y a, pour répondre aux accusations qu'il a lancées contre vous, un complot de la justice ou la police et Mediapart pour le faire tomber ? […] C'est le mot qu'il utilise, le terme « complot ».

La réponse de Fabrice Arfi pique de nouveau au vif l'avocat de Nicolas Sarkozy. Mais piètre avocat, qui ne connaît pas bien son dossier :

- Fabrice Arfi : On est en train de parler d'un homme qui a été définitivement condamné pour corruption. D'ailleurs, il a assisté…

- Marc Fauvelle : Il a fait appel…

- Fabrice Arfi : Non, non…

- Marc Fauvelle : Ah oui pardon, pour corruption c'est l'autre volet…

- Fabrice Arfi : Non, non, dans l'affaire Bismuth, il a corrompu un magistrat, il est définitivement condamné au regard du droit français. C'est un délinquant.

Et Marc Fauvelle d'allumer instantanément un nouveau contre-feu, dont il n'aurait certainement pas eu l'idée pour un condamné sans col blanc :

- Marc Fauvelle : Donc il [ne] doit plus s'exprimer dans la presse ?

- Fabrice Arfi : Mais pas du tout...

- Marc Fauvelle : Non ? Bon…

Brutale, la conclusion de l'entretien est à l'image de l'orientation des questions du journaliste : elles épousent le point de vue d'un avocat qui s'émancipe des faits et qui installe son confrère de Mediapart dans une posture de commentateur, lequel donnerait son avis « comme tout un chacun » :

- Marc Fauvelle : Et là dans l'affaire libyenne, il est présumé innocent puisqu'il a fait appel. Merci beaucoup Fabrice Arfi d'être venu défendre ce point de vue ce soir sur ce plateau.

- Fabrice Arfi : Les faits. Je défends les faits.

- Marc Fauvelle : J'en ai rappelé d'autres aussi. J'essaie aussi, je vous assure. J'essaie aussi.

Disons plutôt que par ses choix éditoriaux (et ses angles morts), l'animateur a précisément dévalué ou noyé les faits, en instillant l'idée qu'il n'en existerait pas, que tout ne serait qu'« opinion » ou « point de vue » et que par conséquent, toutes les paroles se vaudraient. Une morale que Marc Fauvelle continue d'ailleurs de véhiculer alors que Fabrice Arfi quitte le plateau : « On va entendre à présent un point de vue assez différent, très différent même sur ce procès. » Des dires du présentateur lui-même, c'est un avocat dénué de toute spécialisation dans cette affaire, Patrick Klugman, qui fait son entrée :

Marc Fauvelle : Vous n'êtes pas dans le dossier Sarkozy […] de près ou de loin [1], et pourtant, vous avez un avis tranché [Marc Fauvelle aurait pu s'arrêter là pour justifier cette invitation ! NDLR] qui n'est pas celui de Fabrice Arfi sur cette affaire. Vous dites que « ce n'est pas une sentence qui a été rendue, mais une vengeance ». Qui se venge de qui ?

Cerise sur le gâteau : « l'avis tranché » en question n'est rien d'autre… qu'un tweet [2]. Une métaphore du « journalisme » dominant ? Au fond, que peuvent bien valoir 213 articles d'une enquête de treize ans face aux 166 caractères d'un « avis tranché » ?

***

Nicolas Sarkozy étant un expert en contre-feux médiatiques, la séquence est tristement banale. Quel dommage toutefois, pour un média dit d'« information », de ne pas profiter de l'un des journalistes experts du dossier pour… informer, mais, au contraire, pour instruire le procès de ce dernier – et celui de son média –, tout en prenant la défense de Nicolas Sarkozy. Si les grands médias nous ont habitués de longue date à la reprise des éléments de langage de l'ancien président, il est regrettable de voir le même procédé se répéter, tout particulièrement depuis cette nouvelle condamnation, comme l'ont longuement documenté Arrêt sur images ou Mediapart, ici, ou encore . Se répéter, jusqu'à l'appel, la cassation, et au-delà ?

Vincent Bollenot, avec Pauline Perrenot


[1] Un mensonge ? D'après Le Canard enchaîné, Patrick Klugman était en lien avec l'avocat de Nicolas Sarkozy autour d'un projet de tribune critique de la décision judiciaire. C'est même ce dernier qui aurait suggéré à BFM-TV d'inviter Klugman sur son plateau.

[2] « C'est pas une sentence c'est une vengeance. Et sous couvert de rendre la justice en s'éloignant de l'administration charge de la preuve on l'affaiblit dangereusement » (X, 25/09).

09.10.2025 à 15:52

Sexisme et culture du viol : Marianne en roue libre

Pauline Perrenot

« Un comportement parfois très malaisant. »

- Sexisme et journalisme / ,
Texte intégral (1078 mots)

Et Marianne eut la riche idée d'établir un « mode d'emploi pour approcher une chaudasse ».

On croyait avoir à peu près tout lu au répertoire du sexisme médiatique. C'était sans compter une série estivale signée Marianne – « Comment s'adresser à… » –, un format pensé pour remplir des pages et divertir les lecteurs. Le principe ? « L'été, saison des rencontres. Mais avec le règne du tout-à-l'ego, les gens sont devenus d'une susceptibilité à vif. Chaque semaine, apprenons à identifier les personnalités difficiles et à les gérer habilement. » Jusque-là, hormis quelques indices trahissant d'emblée le conservatisme de ces rédactions parisiennes pétries d'un certain sens du « c'était mieux avant », tout est seulement insignifiant. Au fil des semaines, les deux auteurs donnent donc dans le second degré pour expliquer aux lecteurs comment s'adresser à « un people » (17/07), « un con » (31/07), « un fou » (14/08), mais aussi à « une future retraitée » (7/08) – observons fatalement l'emploi du féminin – et le 24 juillet… à « une chaudasse ».

« Le soleil et la plage incitent certaines créatures sans complexes et sans scrupule à adopter un comportement parfois très malaisant. Comment s'en dépêtrer ? » Sous couvert d'humour, dopés au prêt-à-penser masculiniste, les journalistes font étalage du sexisme le plus crasse. Florilège :

- Ne confondez pas […] la vraie chaude open bar avec l'innocente allumeuse en microshort, la modeuse déguisée en pole danseuse, l'ado qui secoue ses couettes ou encore la simulatrice égarée (cherche du travail dans l'événementiel).

- Ne sous-estimez pas sa dangerosité. Il est rare qu'une « chaude » assumée soit une authentique hédoniste […]. Au mieux, vous avez affaire à une don Juane, qui vérifie sa séduction par le nombre. Au pire, une radasse sans foi ni loi qui veut atomiser votre frêle petit équilibre affectif et économique […].

- Intéressé ? Jouez-là subtil […]. Offrez-lui l'occasion de s'épancher (sous son 85D, un gouffre de détresse existentielle) […]. Concrétisez sur-le-champ si le contexte est favorable. Allez à l'essentiel, tâchez de savoir si elle vit seule. Loin ? Frigo rempli ? Boissons fraîches ? Netflix ? Attention à la dimension hystérique de ce type de femme (cherche qui la fuit, fuit qui la cherche).

- [C]e n'est pas une gentille. Elle veut contrôler de bout en bout la relation et vous prendra vite pour une merde si vous jouez les pachas ou les soumis.

- Si vous prenez le large le premier, attendez-vous à une pluie d'invectives (vous n'avez aucun goût, vous êtes prétentieux, misogyne, homo refoulé) et à affronter une furie, à deux doigts de la dénonciation #Metoo.

- La découverte de ce sentiment amoureux réveille en elle un romantisme niais qu'elle avait refoulé pour devenir une sex-killeuse. En deux minutes, c'est une mémère douce et câline.

Et ainsi de suite. Jusqu'en légende de la photo accompagnant l'article : « La fameuse serial loveuse Jayne Mansfield, aux mensurations hors norme (102-53-91 cm) et au quotient intellectuel tout aussi exceptionnel (163 !). »

Comment les deux auteurs peuvent-ils plaider l'humour ? En particulier lorsqu'on constate que loin d'être un accident, cet article dessine une vision du genre (et du monde) que les deux auteurs ont eu préalablement l'occasion d'exposer, par exemple dans leur portrait de « la femme Jackie Sardou » – « grande gueule » à la « féminité invincible » opposée aux « fragiles obséquieux » et aux « néoféministes éplorées » [1]. Et ce, dans un hebdomadaire dont le passif est lourd en la matière, que l'on se remémore les positions de la direction de Marianne lors l'affaire DSK, celles de son ancien chef Jean-François Kahn – qui évoquait alors un « troussage de domestique » sur France Culture –, mais aussi la flamboyance de Jacques Julliard à l'aube du mouvement MeToo, sans oublier, depuis, une croisade tout à fait franche contre « le wokisme », laquelle s'incarne régulièrement dans des articles qui s'imaginent sans doute « défier la bien-pensance » : « Comment faire pour que votre fille ne devienne pas une pouffe ? » (Marianne, 22/09)

Cette livraison estivale met néanmoins la barre très haut, reproduisant parmi le pire des stéréotypes sexistes et véhiculant des commentaires et des représentations que ne renierait aucun groupuscule prospérant sur une véritable haine des femmes. Un texte comme celui-ci en dit donc surtout très long sur ses auteurs, sur les affects qu'ils entendent mobiliser au sein du lectorat qu'ils pensent être le leur, mais aussi sur la complaisance de la rédaction (et de sa direction) à l'égard de ce type de discours, où il ne s'est visiblement trouvé personne pour mettre le holà. Une chose est sûre : dans un paysage médiatique travaillé par des courants réactionnaires toujours plus puissants, nombre de refoulés misogynes ne demandent naturellement qu'à s'exprimer davantage et sans entrave. Et face au backlash, Marianne ne sera jamais un rempart.

Pauline Perrenot


[1] Laurent Giraud et Stéphanie Milou, « Contre le wokisme, grande gueule, féminité invincible… Rendez-nous la femme "Jackie Sardou" ! », Marianne, 3/02.

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