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13.06.2025 à 12:46

Où sont les survivants: d'une poésie commune à partager

L'Autre Quotidien

Les éditions MF lancent une nouvelle collection intitulée "Poésie commune", dont quatre titres viennent de paraître, quatre petits livres cartonnés de format 95x130 qui tiennent entre les paumes, et et dont les différentes couleurs semblent annoncer un passionnant arc-en-ciel.
Texte intégral (847 mots)

Les éditions MF lancent une nouvelle collection intitulée "Poésie commune", dont quatre titres viennent de paraître, quatre petits livres cartonnés de format 95x130 qui tiennent entre les paumes, et et dont les différentes couleurs semblent annoncer un passionnant arc-en-ciel.

Si j'emploie cette image météorologique, ce n'est pas par hasard, car quelque chose de climatique rassemble ces ouvrages, qu'il s'agisse des nuages du Xixi de Florence Jou, des saisons de Des branches et des autres de Camille Sova, de la neige de Poudreuse de Séverine Daucourt, ou de l'eau de Veules-les-Roses de Gabrielle Schaff.

Les éléments comme élément commun? Et la poésie, alors? Ici, elle est tout sauf hors-sol, même si elle se préoccupe d'arrachements de toutes sortes. Ici, elle va et vient dans le monde d'aujourd'hui en affrontant un paysage-panique. Ici, elle devient, comme dans le Xixi de Jou, un discret kung-fu permettant de survivre dans un présent où le ciel a des "accents de cannibale", le ciel qu'il faut à tout prix éviter de "perdre". La poésie non pas comme remède à l'industrie humaine, mais comme langue-passeport ouvrant d'autres possibles, la poésie comme un mouvement de tai-chi que l'ennemi n'a pas le temps de détecter.

Dans un petit livre savamment accordéoné, offert pour l'achat de deux titres, des extraits et des textes commentant ces parutions étoffent la vision qu'on peut déjà se faire de cette excitante aventure éditoriale – d'autant plus que MF nous annonce pour l'an prochain la parution d'un nouveau livre d'Elke de Rijcke, Paradisiaca. Un Lac-Opéra, et nous en donne à lire un extrait (en attendant, je vous conseille vivement de lire l'anthologie de cette auteure, parue chez Lanskine sous le titre Et puis, soudain, il carillonne).

Mais écoutons pour lors la voix de Florence Jou, qui devrait vous donner envie de faire poésie commune avec ces livres:

mon réveil est vent féroce / une tasse de thé vide au pied de mon lit / je me décolle de ma carcasse aux lèvres gelées / pour prendre le rasoir de mon père / tailler dans ma masse brune touffue / trancher comme des lambeaux de viande / devenir combattante de la vraie ombre / ninja des rivières célestes 

Combattant de la vraie ombre: ce pourrait être une possible définition de la poésie, aussi commune que diffractée, à l'œuvre dans ces quatre ardents missels.

__________________

Claro, le 16/06/2025

Collection Poésie Commune - éditions MF
Pour en savoir plus, c'est ici.

13.06.2025 à 12:31

Venez vous perdre dans La Vallée de l'étrange avec J.D. Kurtness

L'Autre Quotidien

Subtils détours sensibles et politiques autour de l’affinité humain-machine et de ses pièges, pour un grand roman pudique et machiavélique.
Texte intégral (4176 mots)

Subtils détours sensibles et politiques autour de l’affinité humain-machine et de ses pièges, pour un grand roman pudique et machiavélique.

Pas de note de lecture proprement dite pour « La vallée de l’étrange », nouveau roman de J.D. Kurtness, publié en 2023 chez L’Instant Même au Québec (quatre ans après « Aquariums », son deuxième roman qui nous avait tant plu ici), et introduit en France début 2025 aux belles éditions Dépaysage, sous une couverture originale d’Olivier Mazoué : l’ouvrage fait en effet l’objet d’un petit article de ma part dans Le Monde des Livres daté du vendredi 30 mai 2025 (à lire ici). Comme j’en ai pris l’habitude en pareil cas, ce billet de blog est donc davantage à prendre comme une sorte de note de bas de page de l’article lui-même (et l’occasion de quelques citations du texte, bien sûr).

Le centre de récupération est un long bâtiment rectangulaire entouré d’asphalte. Un érable chétif a réussi à pousser dans une fissure du ciment près de la clôture barbelée qui entoure le complexe. On l’a laissé faire, davantage par négligence que par compassion. Le vent chaud de l’été balaie le terrain vague et le stationnement. Une poussière gris métallique s’accroche aux véhicules et aux vêtements. Il faut porter un masque dès qu’on franchit le périmètre du complexe industriel. Même s’il est recommandé de continuer de le porter à l’intérieur, tous les employés l’arrachent dès le seuil franchi. On n’y voit rien derrière ces globes de plastique mou et ça sent mauvais. C’est comme enfouir son visage dans un rideau de douche en PVC tout juste sorti de l’emballage. À l’entrée de la bâtisse se trouve le fouineur, une machine haute de huit mètres chargée de repérer les explosifs parmi les cargaisons d’objets reçus. Tout ce qui entre, même les employés, passe par ce nez paranoïaque qui s’agite au bout de son bras robotisé.
Les wagons se succèdent sur la voie ferrée qui frôle l’entrepôt. Leurs bogies claquent sur les rails dans un vacarme qui ne s’arrête jamais. Le contenu de ces wagons est aspiré puis déversé dans l’entonnoir avant d’aboutir sur le lent convoyeur. L’opération s’arrête brièvement lorsqu’un employé arrive pour son quart de travail ; le travailleur prend place à son tour sur le tapis roulant, à bonne distance des objets. Le détecteur ultrasensible le frôle des pieds à la tête pendant quelques secondes. Surtout, ne pas bouger.
Rarement, mais ça arrive, on entend le tonnerre lourd d’une détonation. Le fouineur, dès qu’il détecte quelque chose, stoppe le convoyeur, verrouille le sas d’entrée et fait exploser l’objet suspect sur-le-champ. Tout le monde est averti. Aucun mort depuis huit ans et le dernier incident ne compte pas vraiment puisque c’était une erreur de calibrage de la machine. Après, le convoyeur repart. Une odeur sèche et minérale se répand dans l’entrepôt. De l’argent change de mains. On parie sur le jour et l’heure des explosions.
Les attentats ont beaucoup diminué depuis qu’on a installé le fouineur, passant d’un ou deux incidents par jour à moins d’une tentative par semaine. Malgré les publicités éducatives du gouvernement, une frange de la population perçoit encore les employés comme des assassins. Quelques personnes manifestent avec des pancartes près de la clôture. Elles lancent des brochures dans le stationnement dans l’espoir que le vent les porte jusqu’à ceux qui font le trajet entre leur voiture et la porte d’entrée.
Une femme est convaincue que l’âme de son fils se trouve enfermée dans un serveur à l’intérieur de l’usine. On a beau lui expliquer qu’aucun serveur ne se trouve sur les lieux, elle ne croit pas les autorités. On n’a jamais permis au public de visiter la totalité du complexe, juste quelques pièces, pour des raisons de sécurité. Cette « maman » (c’est comme ça qu’elle veut qu’on parle d’elle) souhaiterait pouvoir explorer elle-même tout le complexe, soulever chaque trappe et regarder derrière chaque bureau, sous chaque table, examiner chaque recoin du plancher pour voir si là ne se trouverait pas une petite boîte chaude et clignotante contenant l’âme palpitante de son garçon.
Un homme cherche sa fiancée et tient le même discours maniaque. Sans parler des défenseurs de la vie privée qui exigent qu’on détruise toutes les données siphonnées des puces. On affirme le faire, mais ils n’en croient rien. On leur cache des choses. Ces groupes de manifestants ont fait sauter plusieurs fermes de serveurs. De beaux illuminés. Au moins, les journalistes sont partis. Les fous sont restés derrière.
Les objets désuets ou interdits entrent, témoins d’une époque révolue. On en retire les matériaux précieux et on envoie ce qui reste à l’incinérateur. On récupère le palladium, l’or, le tantale, le cuivre, le nickel, l’argent, le lithium, le cobalt, le néodyme et l’indium.

Dans « Aquariums » (et même dans « De vengeance », son tout premier roman, qui se situait nettement en dehors du genre science-fictif – dont on vous parlera aussi prochainement sur ce blog), J.D. Kurtness nous avait déjà montré à quel point elle excelle à jouer avec les attentes de la lectrice ou du lecteur pour mieux les déjouer, ou plutôt pour les utiliser comme à rebours. En plaçant d’emblée son roman, dès son titre sous le signe de la théorie de l’Uncanny Valley, défendue dans les années 1970 par le roboticien japonais Masahiro Mori, théorie qui postulait (voir schéma ci-dessous) une brutale chute de l’affinité possible entre un être humain et une construction artificielle lorsque la ressemblance est « proche mais décidément non », elle explore avec beaucoup de ruse les faces cachées et éminemment discutables de la « construction de l’empathie » (sous sa forme brute du « désir de câliner »… et davantage éventuellement), comme en écho à la sublime approche développée par Adam Levin dans son indispensable « Bubblegum » (2019). Là où Louisa Hall, dans son « Rêves de machines » de 2015 avait privilégié (anticipant ainsi joliment les talents d’imitation des grands modèles statistiques de langage et d’imagerie contemporains) la composante langagière dans l’élaboration de la mécanique addictive, J.D. Kurtness s’est résolument placée du côté du look & feel de la machine, pour explorer les facettes éventuellement inavouables du business d’ores et déjà explosif (en termes de marchandisation rémunératrice) du robot d’agrément.

Comme premier maillon de cette chaîne de démontage, Brodeur a pour tâche d’effacer les mémoires, toutes les mémoires, jusqu’au dernier octet d’une puce à comptine. S’il en oublie une, on l’apprend à la station suivante. La détection d’un danger imminent pour l’intégrité matérielle de l’appareil déclenche une plainte aiguë d’animal blessé. Elle provoque nausée, tremblements et mal-être général. C’est conçu pour ça. Brodeur n’oublie jamais une puce mémoire. Un professionnel apprécié de ses collègues.
Son aire de travail s’apparente au quai d’embarquement de l’Arche de Noé décimé par une bombe. Des centaines de répliques mécanisées des animaux préférés des Québécois s’empilent en tas aussi hauts que le technicien. Outre ces imitations de chiens, chats, lapins, bêtes de ferme miniatures et singes, on a aussi saisi les créatures sans équivalents naturels : Pokémon, héros mangas, humanoïdes. Les multiples déclinaisons de poupées sexuelles complètent la pile large comme une piscine hors terre au milieu de laquelle œuvre le destructeur de souvenirs.
Certains refusent d’éteindre leurs jouets, ou alors ils n’ont pas le temps lors des saisies. Allumer et éteindre un jouet nécessitent une série de mots et d’actions posés dans un ordre précis pour éviter que n’importe qui puisse faire fonctionner le bien d’autrui. Un effort, et du temps. Bien des gens n’ont pas l’énergie ou la volonté de faire ce qu’il faut.
Brodeur les trouve bien cruels, envers lui et peut-être aussi envers les machines, s’il est vrai que les plus sophistiquées ont une âme. Il n’en croit rien, mais les plus convaincus pourraient au moins faire l’effort d’éteindre leur bébelle pour la laisser aller en paix au paradis des jouets, ou en enfer si on se fie à la chaleur qu’il fait ici. Couinements, pleurs et gémissements des appareils immobilisés se font entendre autour du fonctionnaire, mais Brodeur ne les entend plus. Il ne pourrait pas occuper ce poste s’il ne s’était pas endurci à l’égard de ces appels à l’aide émis par des robots dont l’apparence a été conçue pour attirer câlins et caresses.
Brodeur étire son bras luisant de sueur et agrippe un morceau. Les modèles de luxe sont parfois encore tièdes, avec leur sous-peau persillée comme des planchers chauffants et leurs piles à décharge lente renommées pour leur durabilité. Brodeur tire jusqu’à dégager l’objet du tas. S’il y a trop de résistance ou qu’il sent une déchirure, il le lâche et tâtonne pour en trouver un autre, et recommence à tirer. Puis, c’est une chorégraphie de câbles et de fiches pour trouver les puces et effacer ce qu’elles contiennent, les yeux rivés sur les écrans de contrôle intégrés à ses lunettes.

Si la sexualisation du non-vivant constitue un thème désormais fréquent (sans avoir besoin de remonter aux ancêtres « La semence du démon » de Dean R. Koontz (1973), « Blade Runner » de Ridley Scott (1982, le film bien davantage en effet que le roman de Philip K. Dick en 1968) ou « La survivante » de Paul Gillon (1985) dans les approches fictionnelles de la machine réputée peu ou prou « intelligente » (les séries télévisées « Real Humans » de 2012 et « Better Than Us » de 2018, notamment, sont particulièrement directes à ce sujet), c’est dans la mise en scène du détournement, explicite et implicite, dans les variations du non-dit et du bankable, que J.D. Kurtness déploie ici son art, avec une pudeur qui en devient machiavélique (là aussi, chacun à leur manière, « De vengeance » et « Aquariums » nous avaient averti qu’elle sait y faire en ce domaine de tromperie magnifique sur les intentions romanesques apparentes). L’entrechoc subtil, sous couvert de technologie, entre impératifs économiques et entrepreneuriaux, socialisation des désirs avouables et moins avouables, voire prohibés, et médications apportées avec ou sans nonchalance à l’ultra-moderne solitude, crée un espace piégé, où le roman déploie ses volutes techniques et sensibles.

La où J.D. Kurtness nous surprend et nous ravit peut-être encore davantage, c’est dans sa mise en scène de la mécanique entrepreneuriale, et des couplages improbables qui habitent les start-up nations de tout poil. Comme chez Louisa Hall déjà citée (et avec infiniment plus de fougue et d’habileté que dans le bien pachydermique – quoique tout à fait intéressant – « Le problème de Turing » de Harry Harrison et Marvin Minsky, en 1992, dont on vous parlera aussi prochainement sur ce blog), on retrouve une capacité à habiter littérairement la mécanique créative éventuellement implacable qui opère à la lisière trouble de la science, de la technologie, du bon sens business et de la performance économique jusqu’au-boutiste. Et cette habitation-là est rendue possible et crédible par l’extrême attention portée en permanence aux détails de la vie matérielle, jusque dans ses moindres composants électroniques – et jusque dans leur poésie métallique aussi secrète que d’abord improbable.

Son quart de travail terminé, Brodeur jette un regard sous le bureau mais les beaux yeux bruns qu’il a croisés tout l’après-midi n’y sont plus. Il prononce une suite de jurons colorés et examine les alentours. Tout est normal, ses collègues blaguent et ramassent leurs affaires. Son remplaçant marche tranquillement vers lui et lui fait un salut amical. Comme Brodeur déteste les problèmes, il fait comme si de rien n’était. Après tout, ce n’est pas sa faute si on lui envoie de la marchandise active.
Le vestiaire des employés est presque vide. Le nouveau quart est commencé et on est vendredi. Personne ne s’attarde. Brodeur ouvre son casier et prend son grand imper noir. Il frôle la crise cardiaque en apercevant le garçon caché derrière, pieds nus sur une pile de vêtements sales. Brodeur a la désagréable intuition que le robot a reconnu son casier à son odeur. Il lui fait signe de ne pas faire de bruit, l’index appuyé sur ses lèvres. Il enroule l’enfant dans le manteau, le prend sous son bras et se dirige lentement vers la sortie. Le gardien ne lève même pas la tête lorsqu’il passe le point de contrôle. C’est une formalité. La rétention des employés est si difficile qu’on accepte que quelques-uns puissent sortir de petites quantités de métal. Les fouilles sont rares et personne n’aime côtoyer Brodeur et sa sueur à la fin d’une longue journée. Il passe les portes et marche vers sa voiture. Il essaie d’avoir l’air normal, mais il sursaute quand un collègue gueule son nom.
— Bro ! Enfin tu fais ton ménage ? Mets pas tout le tas en même temps dans ta laveuse elle va se sauver !
Brodeur est trop stressé pour rire de la blague. Il dépose son précieux paquet dans le coffre de sa Honda beige et fait un doigt d’honneur aux employés qui rigolent en fumant leur cigarette de fin de quart. Habitué à son humeur, on le regarde s’asseoir lourdement au volant et démarrer sans plus de cérémonie.
Brodeur passe les quarante minutes qui séparent son lieu de travail de sa maison à se demander ce qui lui prend de sortir de la marchandise interdite. Non seulement c’est du vol – la quantité de matériau contenu dans ce robot vaut bien un mois de salaire – mais ce type de jouet ne doit plus être en circulation. Ceux qui refusent de les rendre sont passibles de huit ans de prison. S’il se fait prendre, il perdra son emploi, l’amende le mettra sur la paille, sans compter qu’il passera pour dépravé. On a pendu des gens par les couilles pour moins que ça.
Une fois stationné dans son entrée, Brodeur s’assure que personne ne l’observe lorsqu’il ouvre le coffre de sa voiture. Ne pas posséder de garage attenant à sa maison ne l’avait jamais dérangé avant. Il n’avait pas prévu de faire le saut dans la criminalité. Le garçon est toujours enroulé dans le manteau, mais sa tête échevelée est visible. Il sourit.

Hugues Charybde, le 16/06/2025
J.D. Kurtness - La Vallée de l’étrange - éditions Dépaysage

l’acheter chez Charybde, ici

06.06.2025 à 13:34

Le Lotus de Little Simz : à la fois brillant, brut et traumatisé

L'Autre Quotidien

Son triomphe à Glastonbury en 2024 laissait penser que le sixième album de Little Simz aurait dû être un triomphe, mais Lotus la retrouve sous le choc d'un traumatisme. Mais, rien ne l’empêche de trouver les mots et les sons pour s’en sortir haut la main.
Texte intégral (849 mots)

Son triomphe à Glastonbury en 2024 laissait penser que le sixième album de Little Simz aurait dû être un triomphe, mais Lotus la retrouve sous le choc d'un traumatisme. Mais, rien ne l’empêche de trouver les mots et les sons pour s’en sortir haut la main.

L'album s'ouvre avec « Thief », qui vise une confidente devenue traîtresse (suggérant sa plainte contre le producteur Inflo), et sa colère distillée suggère d'éviter les mauvaises fréquentations de Simz. Bien qu'aucun autre morceau ne soit aussi violent, les émotions restent vives tout au long de l'album.

Avez-vous eu du mal à vous aimer ? A accepter votre image publique ?

Little Simz : Oui, beaucoup. A certaines périodes de ma vie, j’ai été très dure avec moi-même, peu aimante. Je ne vais pas me flageller, c’était temporaire. Il faut impérativement s’entourer de personnes capables de vous dire : «Fais attention à toi.» J’ai beaucoup de chance dans ce domaine. Et cela passe aussi par le fait d’être là pour les autres. Je suis quelqu’un de très empathique, ça en devient même parfois difficile. Je ressens des choses que je n’ai pas envie de ressentir, j’ai tendance à trop me soucier de ceux qui m’entourent. Et j’ai du mal à gérer le regard des autres, à avoir la lumière braquée sur chacun de mes mouvements, chacune de mes paroles. Je suis admirative de ceux qui parviennent à s’en foutre, à prendre cela à la légère et à jouer avec. Parce que ces personnes s’expriment justement par le regard des autres. Il y en a, évidemment, qui vont trop loin. Mais être totalement soi-même aux yeux du monde demande beaucoup, beaucoup de courage. Pour ma part, j’essaie de réserver l’aspect le plus virulent, le plus sauvage de ma personnalité, à ma musique. Ma rage demeure artistique et, dans un sens, il est presque impossible de me le reprocher. C’est pratique (rires). ( extrait interview de Libération du 4/06 par Brice Miclet)

Mais pour Simz, l'agonie est clairement une énergie, donnant naissance à certaines de ses meilleures œuvres à ce jour, comme Blood, qui écoute discrètement une conversation complexe entre frères et sœurs, oscillant entre rancœur et dévotion, ou encore la tranche d'acid-soul ravagée du morceau titre, portée par la batterie agitée de Yussef Dayes et le refrain hanté et méditatif de Michael Kiwanuka. L'ambiance n'est cependant pas si déprimante : Young est une étude de caractère aussi déchirante que Specials ; l'afrobeat Fela-esque de Lion est irrésistible (« tous les scatterbody », en effet). Le producteur et collaborateur Miles James Clinton, quant à lui, réalise tous les caprices créatifs de Simz, gardant le génie toujours à portée de main.

Du hip-hop qui dépote, en louchant un peu vers la pop parfois. Mais c’est le disque du mois. Rien moins. Achetez-le !

Jean-Pierre Simard, le 9/06/2025
Little Simz- Lotus - AWAL

06.06.2025 à 13:22

Avec ses textures luxuriantes, les tapisseries mixtes d'April Bey imaginent un monde afrofuturiste

L'Autre Quotidien

Comment passer de là où nous sommes à là où nous voulons être avec toutes ces constructions qui nous encombrent ? Comment avancer si nous devons constamment riposter ? Le passé s'installe comme un brouillard et encombre de désespoir les conversations sur l'avenir.
Texte intégral (1829 mots)

Comment passer de là où nous sommes à là où nous voulons être avec toutes ces constructions qui nous encombrent ? Comment avancer si nous devons constamment riposter ? Le passé s'installe comme un brouillard et encombre de désespoir les conversations sur l'avenir.

“Calathea Azul” (2022), woven textiles, sherpa textiles, resin, glitter on canvas, 24 x 24 inches. Image courtesy of April Bey and GAVLAK Los Angeles | Palm Beach

April Bey, artiste multimédia noire et queer, nous rappelle que parfois, pour se libérer, il faut transcender. S'inscrivant dans la tradition afro-futuriste, elle travaille avec un univers fictif appelé Atlantica. Atlantica s'inspire des histoires extraterrestres que son père lui racontait enfant pour expliquer l'oppression raciale aux Bahamas et aux États-Unis. Aujourd'hui installée à Los Angeles, Bey utilise Atlantica pour construire l'esthétique du futur : une réalité où les Noirs sont libérés des contraintes de la suprématie blanche, du capitalisme et du colonialisme.

“Your Failure is Not a Victory for Me” (2022), watercolor, graphite, acrylic paint, digitally printed/woven textiles, hand sewing, 110 x 72 inches. Image courtesy of April Bey and GAVLAK Los Angeles | Palm Beach. All images shared with permission

Originaire de Nassau, aux Bahamas, Bey intègre également la flore tropicale de la région dans son travail. Elle situe l'avenir des Noirs en lien direct avec l'environnement, qui peut se manifester par un paysage physique vibrant de textures harmonieuses, et s'inspire de l'héritage de l'art et de la littérature noirs, qui démontrent comment la nature a toujours contribué à la libération des Noirs.
Ses broderies complexes représentant des Noirs dans toute leur splendeur ajoutent également à ces histoires une touche de décadence qui rappelle la cuisine de la diaspora africaine. Les aliments longuement assaisonnés ou mijotés absorbent la profondeur de ces saveurs et, à la dégustation, enveloppent le palais. Le processus et le souci du détail, ainsi que les connaissances historiques et culturelles, constituent les fondements de l'œuvre.

“I’m the One Selling the Records…They Comin to See ME” (2021), digitally woven tapestry, sherpa, canvas, metallic cord, glitter (currency), hand-sewing, epoxy resin on wood panel, 36 x 48 inches. Image courtesy of April Bey and GAVLAK Los Angeles | Palm Beach

Cette œuvre, à l'image de l'environnement et de la cuisine, est immersive. Paillettes, armatures en fourrure écologique, tissus cirés tissés en grandes couvertures et motifs colorés séduisent par leur plaisir et leur vitalité. Ce charme sensoriel transporte le spectateur au-delà du visuel et dans l'esprit du corps, reliant les générations à travers l'espace et le temps et semant les graines du futur. Alexis Pauline Gumbs illustre ce lien dans un essai sur la respiration de combat, que nos ancêtres utilisaient pour revendiquer leur liberté dans un monde qui ne la reconnaissait pas, et Bey évoque ce fil conducteur dans des pièces émouvantes telles que « Don’t Think We’re Soft Because We’re Gracious ». L'œuvre de Bey s'inscrit dans la longue et transformatrice histoire des personnes noires et queer qui ont subverti les structures de pouvoir par le biais du futur, de l'amour et de l'hybridité. Et à juste titre ? Car elle sait qu'être queer, c'est vivre dans le futur de toute façon. Vous pouvez la suivre sur Instagram pour des mises à jour et pour voir des gros plans de ses œuvres.

Mimo Ratello, le 9/06/2025
April Bey
et ses tapisseries mixtes

“Fear No Man” (2022), digitally printed and woven blanket with hand-sewn “African” Chinese knockoff wax fabric, 80 x 60 inches. Image courtesy of April Bey and GAVLAK Los Angeles | Palm Beach

06.06.2025 à 13:02

Assemblée nationale : ZFE, une décision empoisonnée ?

L'Autre Quotidien

Sous prétexte de simplification de la vie économique, des députés visionnaires ont trouvé une majorité pour voter le 28 mai 2025 la suppression des « zones à faibles émissions » (ZFE), lesquelles interdisent ou limitent l’accès à plusieurs grandes villes aux véhicules les plus polluants.
Texte intégral (1690 mots)

Sous prétexte de simplification de la vie économique, des députés visionnaires ont trouvé une majorité pour voter le 28 mai 2025 la suppression des « zones à faibles émissions » (ZFE), lesquelles interdisent ou limitent l’accès à plusieurs grandes villes aux véhicules les plus polluants.

C’est-à-dire que nous sommes dans un pays où les élus remettent en cause même les politiques qui marchent. En effet, le combat contre la pollution des villes était bien engagé.

Souvenez-vous du trou dans l’ozone qui a bien fait flipper la planète entière. Comme les rayons UV ne font pas dans la discrimination, les décideurs, pour ne pas se retrouver aveugles et le visage plein de pustules après un week-end sur la côte, ont pris des décisions drastiques et sages. Depuis, le trou se résorbe un peu plus chaque année et les enfants d’aujourd’hui n’en ont même jamais entendu parler. Pourtant, qui se souvient que des marchands de frigidaires, gros utilisateurs de CFC (chlorofluorocarbures) à l’époque, aient jamais fait faillite ? Exactement !

Idem avec Le premier ‘Clean Air Act’ de 1956, à Londres, qui a permis de faire disparaître le Smog. Le ‘Clean Air Act’ des Américains en 1970 a eu lui aussi des résultats probants. Les économies de ces deux pays ne se sont pas effondrées pour autant. Autrement dit, la politique peut donc œuvrer sans dommage à éviter le pire. C’était l’objet des ZFE et elle a fini par porter ses fruits. À Paris, « la qualité de l’air s’est globalement améliorée. Les concentrations moyennes de dyoxide d’azote ont baissé de 40 % entre 2012 et 2022 et les concentrations moyennes des particules fines ont diminué de 25 % sur la même période », indique AirParif, l’organisme chargé du contrôle de la qualité de l’air, cité par Le Parisien (30/05/2025).

Le problème demeure cependant que ces mesures exacerbent des inégalités qui connaissent déjà des niveaux records, le pays saigné par les baisses d’impôts des plus riches : Macron et Trump, même combat ! En effet, il n’est pas très fair-play de préserver la qualité de l’air dans les métropoles tandis que dans les banlieues, et pire encore à la campagne, l’air est devenu si pollué et irrespirable que la nature sauvage cherche refuge en ville. Comment faire ?

Des solutions existent pourtant pour atteindre sans douleur et au bénéfice de tous les objectifs vertueux des ZFE, en voici une : il suffit par exemple d’interdire dans Paris toutes les voitures DE MOINS de 30 ans et le problème est réglé. Et de quelle façon !

Voyons. Avec une telle mesure, Paris intra-muros est dès demain débarrassé des embouteillages et de sa pollution car les voitures de plus de trente ans ne représentent que 11 % du parc. Bref, malgré les vieux moteurs à explosion, les Parisiens respirent mieux du jour au lendemain. Surtout, ce qui est rare étant cher, voilà des véhicules qui pour les riches, d’un jour à l’autre pour ainsi dire, deviendraient une commodité vite recherchée. Les pauvres, qui en sont propriétaires, retireraient alors un prix excellent de leur vieille guimbarde – la loi du marché, tout ça… – de quoi en tout cas s’acheter, même si elle coûte bonbon, une voiture neuve hybride ou électrique ou à hydrogène ou à voiles, en tout cas beaucoup moins polluante que l’actuelle pour faire ces longs trajets de banlieue à banlieue.

Les riches disposeraient bien sûr de parkings sécurisés en périphérie pour leurs véhicules neufs qui – à part lorsqu’est venu le moment de faire la route jusqu’à Monaco ou en Suisse – seront gentiment laissés à vieillir comme un bon vin. Avec leurs nouvelles vieilles bagnoles, ceux-là pourraient caracoler sans encombre sur les grands boulevards ! En sus de trouver un nouveau mode de vie dans un Paris libéré, ils pourraient même redécouvrir le plaisir de la conduite – quand c’est l’humain qui contrôle la machine et non l’inverse – luxe qui n’existe plus avec le dernier modèle bling bling dont ils raffolent.

Ici, au contraire, pour les grands bourgeois et grosses fortunes, se procurer une caisse démodée deviendrait vite une vraie chasse au trésor. Offrir une R5 vintage au fiston qui a réussi le bac, sortir tous les jours, et non plus seulement deux dimanches par an, avec sa Mustang de 1967, offrir à madame une VRAIE Alpine Renault, une Simca 1000 à fifille et rouler en Rolls ou en Cadillac pour les premiers de cordée puisque le but du jeu demeure d’être vu avec des signes extérieurs de richesse. Pour les ménages de la classe moyenne supérieure, il leur suffira de troquer leur BMW Série 3 nouvelle version M340i (de 0 à 100 km / h en 4,4 secondes) achetée en 2019 pour une BMW 3-Series de 1985 et personne ne verra la différence.

En tout cas, avec la disparition de 90 % du parc automobile, Paris redevient d’un coup d’un seul la ville rêvée des transports en commun qui arrivent à l’heure, des traversées apaisées et bon marché à vélo ou scooter ou en taxi électriques.

Au-delà de l’avantage écologique évident pour la planète, considérer qu’il s’agit aussi d’une mesure sociale puisqu’ainsi des pans entiers de l’argent de poche des (trop) riches iraient valoriser les possessions des pauvres, dès lors encouragés eux-mêmes à conserver leur voiture écologique, achetée neuve souvenez-vous, pendant au moins 30 ans. Tout le contraire de l’obsolescence programmée. Le fait est qu’une voiture avec un moteur à explosion de quarante ans a un meilleur bilan carbone que n’importe quel SUV de 2025 pesant plus d’une tonne et demie et truffées de terres rares, de plastiques et de batteries qu’il faudra bientôt stocker à Bure (Meuse), en attendant un jour les déchets nucléaires.

Noter encore que cette redistribution massive de cash – d’aucuns diraient ce ruissellement – ne coûterait pas un rond aux contribuables : les riches seraient toujours aussi riches et m’as-tu vu, les pauvres un peu moins pauvres – leur voiture, au lieu d’en perdre, gagnerait de la valeur chaque année – et tous ensemble œuvreraient de concert à la préservation de la planète en général et à l’amélioration des conditions de vie en Île-de-France en particulier.

Qui plus est, toutes ces voitures anciennes nécessiteraient de vrais artisans mécaniciens, tôliers, ajusteurs, tapissiers, peintre, etc. pour les entretenir, les réparer, voire recréer les pièces détachées nécessaires, de quoi développer un artisanat de luxe et un réservoir d’emplois qualitatifs dans de multiples ateliers en plein Paris. Quand la De Dion-Bouton est en panne, il faut un mécano formé par LVMH !

Le dernier avantage d’une telle mesure – et non des moindres – est que, puisque Paris a vocation à devenir une ville-musée, autant que ses rues soient envahies de voitures antiques, comme à La Havane. Les touristes n’auront de cesse avant de quitter la ville que d’avoir fait un tour dans l’une de ces automobiles toutes plus surprenantes les unes que les autres et si typiques désormais de la capitale et, qui sait, des grandes villes françaises.

Si ce n’est pas là un projet de société !

Cela aurait évidemment un impact sur l’architecture. Ne serait-ce qu’avec une nouvelle répartition de l’espace public et donc des m² constructibles. Le périphérique devenu boulevard urbain, ses abords redeviendraient de l’immobilier de premier ordre et les investisseurs et financiers finiraient par y trouver leur compte.

Christophe Leray, pour Chroniques d’Architecture le 9/06/2025
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