12.10.2025 à 20:59
Uilleam Blacker
Si nous voulons sérieusement mettre en place un plan global pour aider l'Ukraine à survivre, nous devons y intégrer le soutien culturel.
<p>Cet article Pourquoi la culture ukrainienne est l’affaire de tous face à l’impérialisme russe a été publié par desk russie.</p>
Pour comprendre comment renforcer la sécurité de l’Ukraine, nous devons examiner les stratégies utilisées pour la compromettre. Uilleam Blacker montre que la culture est un élément crucial de l’agression russe et que le soutien culturel à l’Ukraine peut être un outil efficace dans le cadre d’une politique de sécurité plus large.
Dans ses actions comme dans ses discours, la Russie a démontré que la culture ukrainienne était clairement dans sa ligne de mire. Elle a attaqué les infrastructures culturelles ukrainiennes, bombardant des bibliothèques, des théâtres, des imprimeries, etc. Elle a également assassiné des centaines d’écrivains, d’artistes et d’autres personnalités culturelles. Au-delà de la violence physique, la Russie interdit la langue ukrainienne dans les écoles des zones occupées et rééduque des milliers d’enfants kidnappés afin qu’ils méprisent leur langue, leur histoire et leur identité. Les personnes vivant sous occupation sont soumises à un contrôle visant à détecter tout sentiment pro-ukrainien, ce qui peut conduire à des arrestations, des tortures et des meurtres. Cet effacement de l’identité et de la culture s’accompagne d’un vaste programme de réinstallation de Russes sur des terres volées à l’Ukraine. Tout cela équivaut à un nettoyage ethnique.
Les politiques du Kremlin sont la conséquence logique de la vision de la Russie qui sous-tend la décision d’entrer en guerre. Les propres mots de Poutine fournissent toutes les preuves dont nous avons besoin : ses discours et ses écrits sont imprégnés du chauvinisme russe séculaire qui nie non seulement l’autonomie, mais aussi l’existence même de l’Ukraine. Sous le règne médiéval de Volodymyr le Grand, l’Ukraine était le berceau du christianisme orthodoxe dans le monde slave oriental. Lorsque la Russie moderne a cherché à affirmer une influence impériale « divinement ordonnée » au-delà de ses frontières, elle a également cherché à s’approprier l’histoire du christianisme en Ukraine, tant sur le plan discursif que par la conquête territoriale. Dans le même temps, l’Ukraine revêt également une importance stratégique pour le puzzle impérial russe. En conquérant l’Ukraine au XVIIIe siècle, la Russie a éliminé son principal rival régional, la Pologne, et étendu son pouvoir jusqu’à la mer Noire, s’imposant ainsi sur la scène européenne comme une puissance impériale. Une Ukraine autonome constitue donc une menace pour les fondements des mythes historiques russes. Ce n’est pas un hasard si Poutine aime tant répéter que les Ukrainiens et les Russes ne forment qu’un seul peuple, s’il a érigé un monument à Volodymyr près des murs du Kremlin et s’il fait référence à Catherine II, la conquérante de la Pologne, dans ses discours.
L’Ukraine a cependant toujours été une cible coloniale difficile. Du XVIe au XVIIIe siècle, elle a non seulement connu des périodes d’autonomie politique relative grâce aux Cosaques, mais elle a également connu une vie culturelle, intellectuelle et religieuse florissante. Une Ukraine menant une existence si distincte et éprise de liberté, avec des liens étroits avec l’Europe via la Pologne, a toujours menacé de faire voler en éclats le projet impérial naissant de la Russie.
Pour lutter contre cette menace, la Russie a mis au point une astuce ingénieuse : elle a traité l’Ukraine non pas comme une terre étrangère conquise, mais, grâce à une gymnastique mentale historique sur ses revendications concernant l’histoire médiévale de l’Ukraine, comme une partie légitime et naturelle de son patrimoine culturel, religieux et, par conséquent, territorial. L’histoire et la culture distinctes de l’Ukraine ont été systématiquement effacées ou dénigrées par les hommes d’État, les historiens et les écrivains russes, qui les ont réduites à de simples variations folkloriques d’une culture russe plus grande. Les dirigeants russes successifs, des tsars aux commissaires, ont consacré des ressources considérables à discréditer, emprisonner ou assassiner ceux qui suggéraient le contraire. De l’interdiction des livres religieux ukrainiens par Pierre Ier au massacre des poètes par Staline, la politique russe a été remarquablement cohérente.
Il y a bien sûr une contradiction au cœur de tout cela. Si la culture ukrainienne n’était qu’une simple note folklorique de la grande culture russe et l’identité ukrainienne qu’une étrange nuance de russité, pourquoi faudrait-il déployer des efforts aussi acharnés pour la contenir ? Si, comme l’écrivait en 1863 le ministre de l’Intérieur tsariste Piotr Valouïev, « il n’y a pas, il n’y a jamais eu et il ne peut y avoir de langue petite-russe [c’est-à-dire ukrainienne] distincte », alors pourquoi aurait-il besoin de promulguer un décret secret l’interdisant ? Mais telle est la logique de la Russie, qui est prête à verser le sang pour maintenir l’illusion de la non-existence de l’Ukraine.
Poutine n’est que le dernier représentant d’une longue tradition de déni de l’Ukraine, dans laquelle la culture occupe une place centrale. Pour Poutine, si l’Ukraine a sa propre culture, son histoire et son identité, elle est mieux armée pour maintenir son statut d’État et affirmer son influence géopolitique. Si, en revanche, les Ukrainiens peuvent être convaincus qu’ils sont destinés, par la logique historique et l’affinité culturelle, à faire partie du « monde russe », qu’ils n’ont pas le droit de défendre des valeurs (telles que la démocratie, les droits de l’homme, la liberté) qui s’opposent à celles de la Russie, alors ils seront plus faciles à gouverner. C’est la logique qui prévaut dans les camps de rééducation russes pour enfants et l’assassinat d’écrivains ukrainiens à coups de balles et de missiles. Chaque mouvement de la frontière de facto de la Russie vers l’ouest alimente les ambitions de Poutine de restaurer la grandeur impériale russe.
La promotion de la culture ukrainienne aujourd’hui n’est donc pas un luxe. Chaque livre ukrainien vendu, chaque film diffusé au cinéma, chaque chanson diffusée à la radio est une brique dans le mur défensif contre l’expansionnisme russe. La culture ukrainienne aide les Ukrainiens à conserver le sentiment d’un objectif commun ; elle les aide à assimiler leur passé, à comprendre leur présent et à planifier leur avenir ; elle leur fournit des modèles de résistance et des voies de consolation dans les moments difficiles. Elle repousse l’influence culturelle russe, qui alimente chez les Ukrainiens des stéréotypes néfastes d’infériorité et d’impuissance.
Mais la culture ukrainienne n’est pas seulement importante pour les Ukrainiens. Elle peut également contribuer à renforcer la solidarité entre les publics du monde entier. Pour le meilleur ou pour le pire, lorsque quelqu’un que nous connaissons souffre, nous éprouvons plus de sympathie à son égard qu’à l’égard d’un parfait inconnu. Il en va de même pour les pays et les sociétés. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, les puissances d’Europe occidentale ont pu décider de ne pas protéger ceux qui étaient menacés par l’invasion nazie parce que, comme l’avait dit de manière tristement célèbre Chamberlain, il s’agissait d’une « querelle dans un pays lointain entre des gens dont nous ne savons rien ». Le Premier ministre britannique était terriblement naïf, mais il avait raison de supposer que le manque de connaissances pouvait garantir l’absence de préoccupation. En revanche, la connaissance et la familiarité avec une autre culture renforcent la solidarité et sèment les graines d’une action potentielle. Si la longue histoire de la violence coloniale russe contre l’Ukraine avait été mieux comprise par un public familier avec les codes de la culture ukrainienne, l’Ukraine et la Crimée n’auraient peut-être pas été perçues par tant de personnes en Occident comme des régions obscures de l’ « arrière-cour » de la Russie en 2014. Bien sûr, l’Ukraine n’est pas un cas isolé : nos réactions aux événements à Gaza ou au Soudan seraient-elles différentes si nous lisions tous des romans d’auteurs palestiniens et soudanais dans nos écoles et nos universités ?
J’ai été frappé par le nombre de Britanniques instruits qui ont du mal à croire que la Russie, qu’ils connaissent à travers sa grande littérature, son ballet et sa musique, puisse être à l’origine d’une telle barbarie. Ils considèrent la culture russe, mystérieuse et émouvante, comme « au-dessus de la politique » ou comme souffrant en opposition à la tyrannie. Ils sont peu conscients de la manière dont le canon de la culture russe – de Pouchkine et Dostoïevski à Soljenitsyne – a soutenu et construit le discours impérial russe. C’est ainsi qu’en 2024, le film hagiographique de Kirill Serebrennikov sur l’écrivain Edouard Limonov, un fasciste qui a tiré avec une mitrailleuse sur Sarajevo assiégée pour s’amuser et qui a été le premier à proposer l’idée de s’emparer violemment de la Crimée, a pu être célébré au festival de Cannes. Ce n’est que récemment que l’un des romanciers les plus en vue de Russie, Zakhar Prilepine, qui racontait avec jubilation avoir tué des Ukrainiens lors des combats dans l’est de l’Ukraine, a finalement été exclu des forums culturels européens.
Pour mettre en relief le statut privilégié de la Russie, il suffit d’examiner la perception de ses alliés géopolitiques – la Chine, l’Iran, la Corée du Nord. Les publics occidentaux n’ont aucune affinité avec les cultures de ces pays. Il est difficile de citer des écrivains de ces pays dont le statut serait équivalent à celui de Dostoïevski, Tolstoï ou Tchekhov. Et par conséquent, il n’y a pas la même volonté de « voir les choses du point de vue » de l’Iran, par exemple, que dans le cas de la Russie. La littérature russe, incarnée par Tolstoï et Tchekhov, est pour de nombreux lecteurs occidentaux le seul point d’accès à l’histoire de la Crimée. On ne peut pas en dire autant des écrivains chinois en ce qui concerne Taïwan. Si nous voulons sérieusement combattre et contenir la Russie, nous devons apprendre à aborder de manière critique les récits historiques et culturels que sa culture inculque à ceux qui la consomment.
Compte tenu de tout ce qui précède, il est clair que la culture ukrainienne est importante tant pour l’Ukraine que pour ses alliés dans un sens politique très concret. Plus les Ukrainiens fréquentent leur propre culture, plus ils se sentent sûrs de leur identité et de leur objectif commun ; plus le public européen et mondial apprendra à connaître la culture ukrainienne, plus il est probable que l’aide politique et militaire sera soutenue par la sympathie du public. De la même manière, remettre en question les mythes culturels et historiques russes peut amener les publics étrangers à adopter une approche plus critique de l’influence régionale de la Russie. Au Royaume-Uni, nous avons tenu à remettre en question notre propre passé impérialiste et à mettre en avant les voix de ceux qui en ont souffert. Nous devrions traiter la Russie de la même manière.
Quelles sont les mesures spécifiques nécessaires pour faciliter tout cela ? Il est essentiel de continuer à soutenir la culture ukrainienne. Malheureusement, les États-Unis ont récemment fait exactement le contraire, en réduisant les budgets de l’USAID consacrés aux projets culturels et journalistiques ukrainiens en Ukraine et aux États-Unis. Le soutien européen s’amenuise également : les salons du livre en Europe, par exemple, n’offrent plus de tarifs réduits aux éditeurs ukrainiens pour leur participation. Si nous voulons sérieusement mettre en place un plan global pour aider l’Ukraine à survivre, nous devons intégrer le soutien culturel dans des stratégies géopolitiques à long terme et le poursuivre par l’intermédiaire d’organismes tels que le British Council. Dans le même temps, nous devons également réfléchir à la manière de développer une vision plus réaliste et critique de la Russie chez le public britannique. Les organismes publics, par exemple les organismes de financement universitaire, pourraient y contribuer en soutenant des projets qui abordent de manière critique les fondements culturels de l’impérialisme russe, comme ils l’ont fait avec l’histoire britannique.
C’est maintenant qu’il faut agir. Les années à venir risquent de voir l’Ukraine dans une situation encore plus précaire. Ces derniers mois, la Russie s’est montrée de plus en plus audacieuse face à l’absence de réaction de la part de l’Occident et ne semble pas prête à revoir ses ambitions à la baisse. Des sanctions économiques sévères et un soutien militaire considérablement renforcé sont bien sûr essentiels. Mais ce combat a besoin d’un fondement culturel. Il a besoin d’histoires captivantes dans lesquelles des actions positives en faveur de l’Ukraine peuvent prendre racine. Il a besoin de faits historiques pour faire appel à notre sens de la justice et d’images culturelles pour faire appel à notre imagination. En fin de compte, ce sont les Ukrainiens ordinaires et les citoyens ordinaires des pays qui les soutiennent qui comptent dans tout cela – sans eux, aucune action gouvernementale ne pourra aboutir. Ce sont leurs cœurs et leurs esprits qui doivent s’ouvrir à l’Ukraine, et seule la culture peut y parvenir.
Traduit de l’anglais par Desk Russie
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Nous remercions London Ukrainian Review pour l’autorisation de publier cet article
<p>Cet article Pourquoi la culture ukrainienne est l’affaire de tous face à l’impérialisme russe a été publié par desk russie.</p>
12.10.2025 à 20:59
Mikhaïl Epstein
Pourquoi la Russie est-elle si malheureuse ? Et pourquoi engendre-t-elle tant de malheur ailleurs ?
<p>Cet article Le vide. La malédiction territoriale a été publié par desk russie.</p>
En 2023, Desk Russie a publié les deux premiers chapitres du livre du philosophe russo-américain Mikhaïl Epstein, L’antimonde russe, New-York, FrancTireurUSA, qui venait de paraître. Au vu du caractère prophétique de ce livre, et avec l’accord de l’auteur, nous avons décidé de publier plusieurs autres chapitres, en feuilleton, à partir de ce numéro de la newsletter.
De temps en temps, des étudiants me demandent : « Pourquoi la Russie est-elle si malheureuse ? Et pourquoi engendre-t-elle tant de malheur ailleurs ? » Leur représentation de la Russie en tant que pays malheureux naît généralement de l’étude des grands auteurs classiques : Gogol, Dostoïevski, Tchekhov, ou encore Zamiatine, Boulgakov, Platonov, Zochtchenko, Soljenitsyne, Chalamov…
« Pourquoi… ? » Cette question m’a poursuivi moi aussi pendant toute ma vie. Je me souviens d’un moment en 2006 où je me tenais sur la rive du lac Seliger en haute Volga, lors d’une expédition pour des recherches en dialectologie. Un ovale incroyablement beau, bordé par un bois sombre, des nuages en haut et en bas, la paix, le silence, la sérénité… Son pourtour aurait dû être parsemé de villes prospères, dotées de pontons animés et de maisons de contes de fées abritant des gens riches et libres. Il semble qu’au cœur d’une nature si apaisante, une civilisation pacifique, productive et pleine de vie aurait dû voir le jour… Mais à quelques pas de la rive se dressait une église en ruine, dont la coupole éventrée bâillait vers le ciel et dont le sol était jonché d’une épaisse couche de bouse de vache. Dans les hameaux alentour vivotaient encore quelques vieilles femmes (dont nous recueillions le dialecte) et quelques vieux garçons définitivement tombés dans l’ivrognerie. Les écoles avaient fermé depuis longtemps, et le seul lieu animé de toute la région était une cité d’ouvriers tadjiks, qui avaient érigé une mosquée sans tarder.
Le chef-lieu de la région du lac Seliger, Ostachkov, est une ville aux dimensions tout à fait honorables à l’échelle de la Russie de province, mais elle est triste, mal fichue, sans une once de joie et d’inspiration, alors qu’elle se situe sur la rive d’un joyau naturel. La gare, l’avenue centrale, le ponton, tout est bâti de façon si grossière que l’on ressent l’état d’esprit dans lequel devaient être les constructeurs : qu’on en finisse, et vite. Il en ressort une dissonance frappante entre la délicatesse de la nature, sa noble sobriété, son atmosphère spirituelle, et la pauvreté de l’environnement « culturel ». C’est comme si la nature demandait qu’on la laisse en paix, qu’on cesse de la toucher, de la souiller, comme si elle souhaitait simplement que ces occupants insensibles quittent les lieux.
« Pourquoi ? » On accuse parfois le climat rude et les longs hivers, peu propices au développement de la civilisation. Mais il suffit d’une simple comparaison avec la Finlande – ou avec le reste de la Scandinavie –, encore plus septentrionale et néanmoins florissante, pour balayer cette explication. Ces territoires ne disposent pas des plaines de la Russie centrale, ni des steppes, ni du tchernoziom si fertile, or il s’y est bâti une civilisation merveilleuse, pacifique, inventive, humaniste, qui devance souvent en termes de réussite le reste de l’Europe – dont les conditions climatiques sont pourtant plus douces !
En plus du facteur géographique, on évoque régulièrement l’argument moral et religieux : la Russie est une terre martyre, telle est sa destinée, sa mission chrétienne.
Sous le fardeau de sa croix,
Le Seigneur, en simple esclave,
Te bénissant t’arpenta,
Terre natale des Slaves17.
(Fiodor Tiouttchev, 1855)
Toutefois, comment un pays qui a massacré des millions de ses concitoyens et d’habitants d’autres pays, qui a instauré les Goulags à travers l’Europe et l’Asie pourrait-il se targuer d’être un exemple de vertu chrétienne ? Un pays qui continue ses massacres… Dans divers endroits du monde, les plaies n’en finissent pas de guérir et l’hémorragie se poursuit : en Corée du Nord, en Afghanistan, dans le Caucase du Sud, et bien entendu, en Ukraine, la principale victime actuelle de la Russie.
Que répondre aux étudiants, qui ne soit ni trop lyrique, ni trop mystique ? Il me semble que la cause des malheurs de la Russie réside dans l’étendue de son territoire et le sentiment de grandeur qui en résulte. L’un des chefs de file du mouvement slavophile, Alexeï Khomiakov, suppliait la Russie chère à son cœur de ne pas s’enorgueillir de son immensité et de ne pas céder à l’infatuation :
« Sois fière ! » enjoignent les flatteurs.
« Terre, ton front est couronné,
Terre d’acier, terre sans peur,
Qui conquit le monde à l’épée !
[…]
Ta steppe est si noble parure,
Tes monts les cieux viennent toucher,
Tes lacs sont tant de mers azur… »
– N’aie foi, sois humble, ignore-les !
(À la Russie, 1839)
L’espace dévore le pays de l’intérieur et le vide de sa substance. « Nous vivons sans sentir sous nos pieds le pays18 », écrira Ossip Mandelstam un siècle plus tard. Celui qui vit dans ce pays peine à le faire sien et à en porter la responsabilité. Il ne vous colle pas à la peau, il enfle comme une cloque. Quoi que l’on entreprenne, ce pays réduira ces efforts à néant. On plante un potager, quelque bandit débarque et le pille ou le saccage. Ce pays est à tous et à personne, il ne connaît aucune barrière qui délimite la responsabilité ou la liberté individuelle, qui rassemble les gens en communautés de travail et d’idées. C’est un pays qui n’est à personne, pas même à ceux qui le gouvernent. Eux dépossèdent les régions de tout, et les régions refusent en réaction de collaborer avec les décideurs de la capitale, enfouissant leurs trésors le plus loin possible, au-delà des frontières. C’est pourquoi tout est suspendu dans l’incertitude : les droits ne sont pas garantis, les devoirs n’ont pas à être remplis et les accords sont impossibles puisqu’ils supposent une responsabilité mutuelle.
On parle de la « malédiction des ressources » de la Russie, mais il y a pire : la « malédiction territoriale ». On ne peut ni rendre ce territoire, ni s’en rendre maître ; il ne reste qu’à geler et se désertifier avec lui, cependant que dans chaque foyer, dans chaque cœur, s’insinue toujours plus profondément un sentiment de désespoir.
Alexandre Soljenitsyne affirmait obstinément que la Russie avait besoin d’un système d’assemblées locales, tels les zemstvo. Sur ce point, c’était un parfait réaliste. Il partait toutefois du principe que la nouvelle puissance fédérale devait englober toutes les républiques slaves et le Kazakhstan, car il croyait aux bienfaits d’un espace politique commun et appelait à son élargissement même après la fin de l’URSS. « En 1991, la seule perspective sensée qui subsistait – si elle subsistait encore ! – était une union renforcée des trois républiques slaves et du Kazakhstan en un État fédéral (une « confédération », c’est du vent…) », écrivait Soljenitsyne dans son essai La Russie sous l’avalanche (1998).
Ne semble-t-il pas évident que des « gouvernements » locaux sous forme d’assemblées (zemstvo) et un territoire aussi vaste « gouverné » par un centre politique unique sont incompatibles ? Des zemstvo forts sur une terre immense, c’est une utopie qui tient de la chimère, pour la Russie. L’histoire a montré que les zemstvo, instaurés en 1864 pendant la vague de réformes d’Alexandre II pour plus d’autonomie à l’échelle locale, devinrent davantage des lieux d’opposition au gouvernement central, et ils furent dissous en 1918 dès que les bolcheviks arrivèrent au pouvoir.
Alexandre Kouchner écrivait en 1969 :
Que l’on est bien chanceux de naître
Sur cette incomparable terre.
Les yeux rivés par la fenêtre
Sur son espace, on est si fier…
Le poète, qui publia ces vers en URSS, comprend parfaitement le paradoxe rhétorique de son emphase. L’étendue d’un espace comme objet de fierté, quoi de plus illusoire, de plus creux dans tous les sens du terme ? Comment s’enorgueillir de rien, c’est-à-dire du vide d’un territoire, inversement proportionnel à ce qu’il contient ? Quant au peuple, menacé de dégénérescence sociale et physique, il porte le joug de « sa vaste patrie19 », dans laquelle il ne se sent jamais véritablement chez lui. C’est un joug pire que celui de la Horde d’or, et il provient justement de l’héritage de celle-ci.
Quasiment intraduisible, le vocabulaire russe pour désigner avec chaleur cette notion d’espace ne manque pas : privolié, razdolié, razgoulié ( « liberté, grand espace, licence »)… Mais dans ces mots, ne sent-on pas percer ce même vide, un vide présenté comme attirant, libérateur ?
Des airs chers à notre cœur
Chante le cocher sans cesse :
Pleins de licencieuse ardeur,
Ou de tragique tristesse…
(Alexandre Pouchkine, 1826, Route d’hiver)
« Pourquoi retentit sans cesse à mes oreilles la chanson plaintive qui, d’une mer à l’autre, vibre partout sur la vaste étendue ? […] Que présage cette incommensurable étendue ? […] N’es-tu pas prédestinée à engendrer des héros, toi qui leur offres tant de champ où se donner carrière20 ? » (Nicolas Gogol, 1842, Les Âmes mortes)
Chez Gogol, la chanson plaintive se transforme quelques lignes plus tard en héroïsme, quand chez Pouchkine, la licence devient chant de tristesse. Il en va ainsi tout au long de l’histoire russe : de vaste espace de liberté en désolation, on « verse du vide dans du creux », selon l’expression russe consacrée.
L’historien Vassili Klioutchevksi (1841-1911) traduisit en ces termes la torpeur de ces immenses étendues : « Nulle habitation visible dans ces vastes espaces, pas un son ne se fait entendre à la ronde, et l’observateur est pris d’un sinistre sentiment d’imperturbabilité, de sommeil de plomb, de désolation, de solitude, qui dispose à des réflexions vagues, mélancoliques, dépourvues de toute pensée précise et claire. » L’absence de limites à ce monde creuse un vide lancinant dans le cœur et y ajoute une propension terrible à la témérité. Et lorsque ces deux éléments se marient – l’ardeur crâne et la tristesse, c’est-à-dire un vide qui cherche à s’étendre et un vide qui ne parvient pas à être comblé –, surviennent les actes héroïques qui non seulement ne mettent pas un terme à la tristesse, mais la répandent encore plus largement dans le cœur.
Pris d’une puissante tristesse,
J’accours sur mon blanc destrier…
Plus sa course est libre, plus la tristesse du cavalier est vive ; d’où :
Notre voie – c’est la tristesse sans fin
– C’est ta tristesse, ô Rus’ !
(Alexandre Blok, 1908, cycle Sur le champ de bataille de Koulikovo)
Chaque acte de témérité crâne sert généralement à repousser les limites qui « gênent », non à les remplir, ajoutant du vide au vide – auquel personne n’échappera, et encore moins les héros.
Voilà pourquoi cette terre est si malheureuse : elle est déchirée par ses vastes étendues et possédée par l’esprit du vide, qui ne permet jamais, où que ce soit, la création de conditions de vie favorables. Comme dirait Hegel, l’idée abstraite de l’infini anéantit toute idée concrète de vie. L’alcoolisme, le vol, la corruption, la paresse, le mensonge, la violence ne sont que des formes de désertification et d’évitement du véritable labeur qu’est la vie : il n’y a plus de notion stable de ce que sont la propriété, la réalité, la vérité, la liberté, l’individualité, le devoir civique, la dignité humaine. Tout ceci se dilue dans l’abstraction de ce grand espace, que personne n’est en mesure de ressentir comme sien, puisque, tel l’horizon, il se défile devant chaque lieu réel, le trahit, le réduit à néant. Le grand « là-bas » indéfini (là-bas à la capitale, là-bas au Kremlin, là-bas dans les cieux) triomphe devant l’ « ici » et réclame de plus en plus de victimes. Les gens appellent ce spectre du grand espace « la Patrie » et le nourrissent de leur chair, de leur sang, de leur progéniture, de leurs biens, de leur honneur, de leur liberté.
Il n’est donc pas surprenant qu’au XXIe siècle, la Russie soit le seul pays à n’avoir pas de frontières fixes, reconnues par la communauté internationale. En annexant un certain nombre de territoires ukrainiens (à commencer par la Crimée en 2014), la Russie s’est certes agrandie, mais elle a surtout perdu son identité spatiale, territoriale. Si Sébastopol et Donetsk font partie de la Russie au même titre que Moscou et Saint-Pétersbourg, c’est-à-dire en vertu de la Constitution, cela signifie que l’intégralité du territoire russe, y compris ses deux capitales, se trouvent dans la même situation juridique indéfinie, suspendue. La Russie s’est dispersée, s’est éparpillée sur le globe terrestre. C’est là le sort de tout anti-espace, qui, à mesure de son extension, se transforme en son contraire ; et perd jusqu’au pays lui-même en tant que forme de son existence concrète.
Traduit du russe par Nastasia Dahuron
<p>Cet article Le vide. La malédiction territoriale a été publié par desk russie.</p>
12.10.2025 à 20:59
Christophe Solioz
Recension du livre Le Bateau de marbre blanc. Essai sur la culture russe, paru aux éditions Noir sur Blanc.
<p>Cet article Mikhaïl Chichkine : « La Russie comme un carré noir » a été publié par desk russie.</p>
Mikhaïl Chichkine est un écrivain russe, auteur entre autres des romans La Prise d’Izmail et Le Cheveu de Vénus, qui vit en Suisse depuis 1995. Christophe Solioz nous propose une recension de son nouveau livre, Le Bateau de marbre blanc. Essai sur la culture russe, Traduit du russe par Maud Mabillard et de l’allemand par Odile Demange, Lausanne, Noir sur Blanc, 2025, 333 p.
Remarquable assemblage de textes consacrés notamment aux figures majeures de la littérature russe, Le Bateau de marbre blanc ressemble à un salon-bibliothèque dans lequel trônerait le Carré noir sur fond blanc (1915) de Kasimir Malévitch. Exposée en 1915 aux cimaises de la galerie Dobytchina (Pétrograd, aujourd’hui Saint-Pétersbourg), cette œuvre était placée à un endroit stratégique : dans le coin supérieur, là où, dans les maisons russes, se trouve traditionnellement l’icône. Titre de l’exposition : « Dernière exposition futuriste de tableaux 0,10 (zéro-dix) ». Zéro, pour signifier le début d’une nouvelle ère ; dix, car initialement autant artistes devaient être exposés – ils seront finalement quatorze.
Dans son introduction, Mikhaïl Chichkine nous invite « à voir en ce moment la Russie comme un carré noir ». Clin d’œil à cette exposition culte, le recueil de Chichkine expose une galerie de portraits de quelque quatorze écrivains et compositeurs russes complétée par un texte sur Joyce et quatre essais. Passons en revue quelques étapes d’un parcours initiatique au cours duquel nombre de questions s’adressent aussi aux lecteurs21. En préface à un livre de colère, La paix ou la guerre. Réflexions sur le « monde russe » (2023), Chichkine évoque une autre Russie « pleine de douleur et d’affliction22 ». Non que la culture russe dans son intégralité serait ipso facto l’incarnation de cette autre Russie, loin de là. Avec Le Bateau de marbre blanc, l’auteur s’engage néanmoins à la recherche du pays perdu.
Cette quête commence par l’évocation d’Alexandre Pouchkine (1799-1837), son Pouchkine, comme l’annonce le titre du chapitre, parce que sa Russie est née de lui. Hommage est rendu à celui qui a non seulement fixé la langue et créé la littérature, mais aussi formaté la conscience du pays : « Avec Pouchkine, la culture qui commençait à naître en Russie a rejoint la culture de la métropole, est entrée dans le mouvement général de l’humanité, abandonnant les valeurs du clan, du lignage et de la tribu pour celles de l’individu. »
Chichkine mentionne en passant un Pouchkine porte-parole de « l’esprit impérial russe ». On aurait aimé que son narratif empreint d’un fort esprit national russe soit plus souligné, tout comme la métamorphose de sa révolte contre la réalité historique en accommodement avec celle-ci. Selon Chichkine, la faute est à l’État. L’écrivain voit en Pouchkine un otage du pouvoir : « Le “représentant de l’esprit impérial” Pouchkine étouffait dans l’étreinte de l’empire. Le poète cherchait douloureusement une issue à cette étreinte, et ne la trouva que dans la mort. »
Au regard d’aujourd’hui, les coups dans le rétroviseur de la culture du pays que propose Chichkine se révèlent d’une saisissante actualité : « Le temps russe s’est arrêté, il joue la même mauvaise plaisanterie à chaque nouvelle génération. » On retiendra notamment cette remarque restituant les réflexions de Pouchkine sur l’Histoire, son choix conservateur pour l’ordre, contre la révolte : « En Russie, l’alternative à un pouvoir fort n’est pas la démocratie, mais un chaos sanglant. La faiblesse de l’État n’amène pas à une organisation démocratique de la société par la base, mais à l’anarchie, dans laquelle la culture mourra la première. » Propos prémonitoires au regard des XXe et XXIe siècles fonçant chacun à sa façon vers l’abîme.
Chichkine arpente son territoire, un espace poétique sans cesse confronté aux démons de l’Histoire. L’agencement des textes est fonction de l’ordre chronologique et après Pouchkine, nous passons à Nicolas Gogol (1809-1852). Le constat de l’essayiste est implacable : « Ce n’est pas un hasard si on ne trouve pas un être humain vivant dans les textes [pétersbourgeois] de Gogol ; il ne peut pas y en avoir là où les gens ne sont que des rouages de la gigantesque machine répressive, où ils n’ont une quelconque valeur que tant qu’ils possèdent un grade. » Hier comme aujourd’hui, l’arbitraire des fonctionnaires, la dilapidation des fonds publics, la corruption, les pots-de-vin, l’absence de droits, la vénalité des tribunaux, et le mépris pour la personne gangrènent un pays qui « dévore les têtes de ses meilleurs enfants ».
Décapante, la littérature démasque « l’écœurant quotidien » et dénonce « l’humiliation de la dignité humaine ». Est-ce « la malédiction et le privilège de l’artiste, de vivre et de sentir cette “odeur du tombeau” », le livre pour seul arme ? L’art tire-t-il de là une force qui n’a d’égale que son impuissance à changer la donne ? « Il faut croire en la Russie, il faut aimer la Russie. Ne pas la détruire, mais y croire, ne pas la haïr, mais l’aimer. » Ce cri, est-il de Gogol ou de Chichkine ? Mais comment aimer un pays – en proie au totalitarisme hier comme aujourd’hui23 – qui « sombre dans sa propre histoire » ?
Chichkine poursuit son exploration du territoire littéraire en relisant Oblomov (1859), le roman phare d’Ivan Gontcharov (1812-1891), non pas tant pour nous interroger sur un passé enterré de longue date que sur nos propres choix : l’« escapisme » serait-il le seul moyen d’éviter de vendre son âme au diable, de sauver sa dignité et d’échapper aux apocalypses qui s’annoncent ? Chichkine ne manque pas de rappeler le dernier vers de Boris Godounov (1831) de Pouchkine : « Le peuple se tait », mais il sait.
Ivan Tourgueniev (1818-1883) reformule la question – à quoi bon vivre ? – et y répond : « Tout est éphémère et vain, mais on peut se vouer à une cause particulière : servir la beauté. Rien n’a de sens, ni la nature, ni l’État, ni la famille, ni les idéaux de liberté. “Mais l’art ?… La beauté ?… Oui.” » Las, l’écrivain qui « a donné à la langue russe la possibilité de se déployer, […] de trouver une nouvelle tonalité dans la littérature russe : de tendresse, de féminité, de pureté de l’âme » devait perdre ses moyens lorsqu’il se faisait le serviteur de son époque et des critiques. Hélas, Tourgueniev ne fut de loin pas le seul à se mettre au garde-à-vous, au service des démons du politique.
Dans les pas d’un Gogol, Fiodor Dostoïevski (1821-1881) ressuscite le Christ et part en croisade. Pour cette Russie qui « patine depuis des siècles, et chaque génération affronte les mêmes problèmes et les mêmes “satanées sempiternelles questions russes” », le salut – de la Russie, du monde – sera orthodoxe et fera l’économie de toute transformation démocratique ou révolutionnaire. Avec son « idée russe » très orthodoxe, Dostoïevski fait des Russes le nouveau peuple élu. Sa mission est de racheter le genre humain, note l’auteur qui rappelle l’influence déterminante de l’ouvrage De l’essence de la culture européenne et de sa relation avec la culture russe (1852) publié par Ivan Kireïevski. Dans Les Possédés, Chatov « croit que le retour du Christ aura lieu en Russie24 ». Cela ne fait aucun doute pour Dostoïevski. Sans concession, Chichkine décrypte méticuleusement le nationalisme dostoïevskien dans ses différents variantes – notamment dans la Russie actuelle. Le diagnostic est sans appel : « État fasciste. »
Un écrivain qui dit non et refuse de se mettre au service d’aucun gouvernement. Léon Tolstoï (1828-1910) est cet homme-là. À l’image d’Anna Karénine, il est doté de l’incapacité à se contenter de peu et déclare la guerre à l’ordre du monde. Chichkine décode : « À la base de toute personnalité créatrice, il y a le refus de ce monde. Plus la puissance de création est grande, plus la contestation de l’ordre établi est violente. Toute la vie de Tolstoï a été une révolte contre la banalité humiliante du quotidien, contre tout ce qui le détournait de l’essentiel, qui gênait la quête de la grande réponse. » Si cette rébellion permanente est dirigée contre la mort, c’est pourtant l’acceptation de celle-ci qui constitue la seule façon de la vaincre. Et Tolstoï d‘exprimer, dans le très autobiographique Lucerne (1857), sa gratitude à celui « qui a permis et ordonné à toutes ces contradictions d’exister ».
Médecin et écrivain, plus actuel que jamais, Anton Tchekhov (1860-1904) nous livre un parfum de cette autre Russie. Souvenons-nous des mots enflammés de l’historien Madiarov dans les pages mémorables de Vie et destin (1980) de Vassili Grossman : « Tchekhov a brandi le drapeau le plus glorieux qu’ait connu la Russie dans son histoire millénaire : le drapeau d’une véritable démocratie russe, bonne et humaine ; le drapeau de la dignité de l’homme russe, de la liberté russe25 » Révolutionnaire, Tchekhov l’est dans sa défense du roman court et, surtout, lorsqu’il fait du lecteur « le coauteur, sans lequel “le miracle de la prose” devient impossible. » Lecteur qui devra chercher hors des mots ce qui importe, souligne finement Chichkine.
L’essayiste fait entrer Tchekhov en résonnance avec aujourd’hui : « Son diagnostic de médecin : le pays est malade de l’esclavage sous sa forme la plus terrible, l’esclavage inconscient. L’esclavage comme fond, comme air qu’on respire. L’esclavage qui imprègne les mots et le corps. L’esclavage comme peau, quand on n’en a pas d’autre : on est né dedans, on vit dedans. » Mais plus encore son ouverture au vivant : « Le monde a été bien fait, écrit Tchekhov à Alexeï Souvorine. À une exception près : nous. Nous avons si peu d’humilité et de sens de la justice » (lettre du 9 décembre 1890). Clairement engagé, Tchekhov combat le totalitarisme : il « s’oppose à ceux qui prétendent qu’ils connaissent l’unique vérité et nous y conduisent », martèle Chichkine avant d’enfoncer le clou : « Ni le Christ, ni l’“idée russe”, ni la révolution ne sont capables de sauver un pays qui se trouve au bord de l’abîme. Tchekhov ne voyait qu’un pont salvateur vers l’avenir. La civilisation. La culture. L’éveil de la dignité humaine. »
Revenons au Carré noir du fondateur du suprématisme, sans avoir la naïveté d’en détenir l’interprétation, d’autant plus que rien n’est représenté. « Tout a disparu, est restée la masse du matériau à partir de laquelle va se construire la nouvelle forme26. » Ce mot de Malévitch pour esquisser l’horizon d’une autre Russie qui, pour l’heure, n’existe sur aucune carte. La Russie de Poutine se comprend à la prescience de Tchekhov : « Sous la bannière de la science, de l’art et de la liberté de penser réprimée, notre Russie sera gouvernée par des crapauds et des crocodiles pires que ceux de l’Espagne pendant l’Inquisition. Vous verrez ! »
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<p>Cet article Mikhaïl Chichkine : « La Russie comme un carré noir » a été publié par desk russie.</p>