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La négociation collective doit se trouver au cœur de la prochaine Conférence internationale du Travail (CIT), à l'heure où les pays membres font face à la lenteur des progrès à l'échelle mondiale en matière de formalisation de l'économie informelle, et ce malgré l'adoption, il y a dix ans, d'une Recommandation historique.
La Recommandation (n° 204) sur la transition de l'économie informelle vers l'économie formelle a été adoptée en 2015. Elle définit les principes visant à combler les (…)
La négociation collective doit se trouver au cœur de la prochaine Conférence internationale du Travail (CIT), à l'heure où les pays membres font face à la lenteur des progrès à l'échelle mondiale en matière de formalisation de l'économie informelle, et ce malgré l'adoption, il y a dix ans, d'une Recommandation historique.
La Recommandation (n° 204) sur la transition de l'économie informelle vers l'économie formelle a été adoptée en 2015. Elle définit les principes visant à combler les lacunes en matière de travail décent dans l'économie informelle, par le biais de la formalisation. Dans le rapport qu'elle présentera lors de la 113e session de la CIT, l'OIT met l'accent sur les approches innovantes susceptibles d'accélérer et d'intensifier la mise en œuvre de la R204.
À l'approche de la Conférence internationale du travail, la négociation collective, un domaine clé où l'innovation revêt une importance cruciale, risque de ne pas être suffisamment prise en compte. La R204 affirme que tous les travailleurs de l'économie informelle, quel que soit leur statut professionnel, y compris les travailleurs indépendants ou pour compte propre, ont le droit de négocier collectivement.
Les travailleurs indépendants ne sont employés par personne et n'emploient personne. Ils ont créé leurs propres emplois pour subvenir aux besoins essentiels de leur foyer, soit pour survivre dans une économie qui offre peu de possibilités d'emploi, soit pour faire face à des chocs économiques. Parmi eux, on trouve des vendeurs de rue, des collecteurs de déchets, des cireurs de chaussures, des vendeurs de journaux, des transporteurs et bien d'autres.
Les revenus quotidiens de ces travailleurs dépendent entièrement de la possibilité qu'ils ont de travailler. Or, celle-ci dépend de l'accès qu'ils ont à l'espace (pour commercer, trier les déchets, garer leur véhicule), aux services (tels que les soins de santé, la garde d'enfants) et à l'infrastructure (par exemple, l'assainissement, le stockage des marchandises). Engager le dialogue avec les gouvernements locaux sur ces enjeux est impossible à faire individuellement.
La R204 appelle les États membres à créer un « cadre favorable » pour que les travailleurs puissent faire valoir leur droit à la négociation collective et participer au dialogue social sur le processus de transition. Reste à savoir en quoi consiste exactement ce « cadre favorable ».
Les travailleurs pour compte propre, qui représentent près de 50 % des personnes exerçant dans l'économie informelle, continuent d'être exclus de la législation du travail qui promeut le droit à la négociation collective. Ils sont ainsi exposés au harcèlement et à la violence, exclus des villes et aussi exclus de l'économie.
Pour faire en sorte que la vision énoncée dans la R204 se réalise, la 113e session de la CIT doit aller au-delà des grandes déclarations et traiter la négociation collective non pas comme une réflexion après coup, mais comme la base du processus de transition à l'économie formelle. Nous présentons ci-dessous trois moyens d'y parvenir.
Le dialogue social – terme générique qui englobe un large éventail de modalités de consultation et de négociation sur des questions liées à la politique du travail, à la politique économique et à la politique sociale – est fondamental pour la promotion de la démocratie dans le monde du travail. Il facilite les échanges bipartites, tripartites ou multipartites entre travailleurs, gouvernements, entreprises et autres parties prenantes. Le dialogue social est centré, à juste titre, sur le débat sur la formalisation.
Comme le souligne l'OIT, bien trop souvent, les interventions sur la question de la formalisation ont été planifiées et conçues sans une participation adéquate des travailleurs de l'économie informelle. Or, cette participation doit être significative. Il est souvent supposé que les résultats négociés seront bénéfiques pour toutes les parties prenantes. La voix des travailleurs risque de passer au second plan lorsque des intérêts puissants dominent.
La négociation collective obéit à un processus formel, défini par une loi. Elle a pour objectif de parvenir à un accord (pour une durée déterminée). Les dispositions de cet accord peuvent être exécutées devant un tribunal. Les lois qui définissent le processus de négociation collective prévoient généralement une procédure en cas d'impasse entre les parties à la négociation, ainsi qu'une protection légale en cas de recours à des moyens de pression lorsqu'une partie refuse de négocier ou ne négocie pas de bonne foi. Elles prévoient en outre une procédure de règlement des litiges en cas de non-respect des conditions de l'accord par l'une ou l'autre partie.
Les deux modes de négociation sont essentiels au processus de transition de l'économie informelle à l'économie formelle dans la mesure où ils permettent aux travailleurs d'être représentés en tant que groupe dans les processus de prise de décision. Il est toutefois important de reconnaître qu'ils ne sont pas identiques. Si le dialogue social peut donner aux travailleurs une voix dans les décisions politiques, la négociation collective leur permet de participer au processus menant à la définition de leurs conditions de travail par le biais d'une convention exécutoire.
Partout dans le monde, les travailleurs de l'économie informelle ont formé des organisations pour négocier collectivement avec les acteurs qui ont un impact sur leur travail. Il y a beaucoup d'enseignements à tirer de ces efforts, même s'ils échappent souvent à l'attention des gouvernements et même des syndicats.
Si ces efforts de syndicalisation reçoivent si peu d'attention, c'est peut-être parce que la négociation collective est différente pour ces travailleurs : les personnes avec lesquelles ils négocient – et les enjeux de ces négociations – n'entrent pas dans le moule des relations industrielles traditionnelles.
En l'absence de législation habilitante, les travailleurs pour compte propre ont recours à la R204 pour amener les collectivités locales à engager des négociations collectives.
Ainsi, la Zimbabwe Chamber of Informal Economy Associations (ZCIEA) a signé des protocoles d'accord avec 19 collectivités locales entre 2019 et 2021. Ces accords ont eu pour effet d'établir des relations collectives entre les autorités locales et la ZCIEA, une organisation qui compte plus de 205.000 membres dans tout le pays. D'autres exemples de travailleurs pour compte propre ayant conclu des conventions collectives avec les municipalités incluent les vendeurs de rue à Monrovia, au Libéria, et les collecteurs de déchets à Pune, en Inde.
La législation du travail présuppose l'existence d'une relation de travail. Comme les travailleurs indépendants n'ont pas de relation contractuelle avec un employeur, ils sont exclus de la législation du travail. Ils ne peuvent pas enregistrer leurs organisations en tant que syndicats ; leurs organisations n'ont pas le droit de s'organiser sur le lieu de travail, ni de mener des négociations avec les autorités locales sur les conditions de travail de leurs membres.
Il est indispensable de mettre à jour le droit du travail et de promulguer des lois sectorielles sur la négociation collective, conçues pour tenir compte des réalités du travail informel.
L'innovation en matière de réforme législative est essentielle – et il y a beaucoup à apprendre.
Indépendamment du débat sur la formalisation, il est de plus en plus reconnu que le champ d'application du droit du travail doit être élargi pour inclure les travailleurs de l'économie informelle.
La recherche conceptualise la manière dont le droit du travail peut évoluer pour inclure les travailleurs à compte propre. Plusieurs pays se trouvent à l'avant-garde en matière de lois sur la négociation collective pour les travailleurs indépendants. C'est notamment le cas des artistes au Canada, des acteurs, des musiciens de studio et des journalistes indépendants en Irlande, ainsi que des travailleurs indépendants du « secteur culturel » aux Pays-Bas.
Le droit de négociation collective est bien plus que le droit d'être entendu : il s'agit du droit de s'organiser, de négocier en tant que groupe et, lorsqu'on n'est pas entendu, de participer à des protestations collectives (en retirant son travail ou ses services).
Par exemple, si une municipalité refuse de négocier avec les vendeurs de rue au sujet de leurs conditions de travail, ces derniers pourraient retenir leurs frais de fonctionnement quotidiens, et la municipalité ne serait pas autorisée à confisquer leurs marchandises ou à les harceler. Au lieu de cela, elle serait tenue de négocier jusqu'à ce qu'accord s'ensuive.
Certes, la transition de l'économie informelle vers l'économie formelle est un processus graduel, à plusieurs étapes, et il n'existe pas de solutions toutes faites.
Sans une participation significative des travailleurs de l'économie informelle – en tant que partenaires sociaux – les gouvernements auront du mal à adapter les stratégies aux besoins spécifiques de l'économie et du marché du travail de leur pays.
Une réforme législative reconnaissant les personnes travaillant à compte propre comme des travailleurs à part entière, bénéficiant de droits collectifs, est un élément clé de ce processus.
Cette 113e session de la CIT ne doit pas être une occasion manquée de garantir que le droit à la négociation collective – consacré par la Déclaration de l'OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail – soit également mis en œuvre pour les travailleurs pour compte propre. L'innovation est de mise – et les travailleurs sont organisés et prêts à œuvrer avec leurs gouvernements pour y parvenir.