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13.11.2025 à 15:38

Désarmement, démobilisation et réintégration (DDR) en Syrie : dernière marche sur la route de la normalisation ?

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Depuis la fuite de Bachar al-Assad dans la nuit du 7 au 8 décembre 2024, la Syrie est entrée dans une nouvelle phase de son histoire : le gouvernement de transition conduit par Ahmad al-Chaara tente de restaurer l’unité de l’État, de reconstruire des institutions détruites par 14 années de guerre civile et de redonner à la Syrie une légitimité régionale et internationale. Pourtant, le pays reste exsangue, fragmenté et traversé par de profondes incertitudes. Dans ce contexte, le processus de DDR – désarmement, démobilisation et réintégration – constitue l’un des leviers centraux pour contenir les risques de fragmentation, réduire la circulation des armes et reconstruire un cadre national commun. Mais les défis restent pour autant conséquents. Quelle est la situation sécuritaire en Syrie aujourd’hui ? Comment le gouvernement et la population appréhendent-ils ce processus de DDR ? Le point avec Kassim Bouhou, chercheur associé à l’IRIS. Depuis la chute du régime de Bachar al-Assad et la mise en place du gouvernement de transition dirigé par Ahmad al-Chaara, quel état des lieux de la situation sécuritaire en Syrie peut-on dresser ? La Syrie reste un pays fragmenté, confronté à un risque très élevé de « somalisation » en de nombreuses régions de son territoire. D’abord à l’Est, les Kurdes des Forces démocratiques syriennes (FDS) n’ont pas intégré les nouvelles institutions politiques et militaires syriennes. Malgré le compromis signé le 10 mars 2025 entre les FDS et le gouvernement de transition d’al-Charaa, la situation reste extrêmement tendue le long de la ligne de démarcation, qui s’étend jusque certains quartiers d’Alep. En dépit d’une réduction croissante des effectifs (on compte aujourd’hui 900 soldats américains sur les 2000 initiaux), les FDS se sentent toujours soutenues par la présence de plusieurs camps d’entraînement américains placés sous leur contrôle. L’annonce, à l’issue de l’entretien entre […]

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Texte intégral (2533 mots)

Depuis la chute du régime de Bachar al-Assad et la mise en place du gouvernement de transition dirigé par Ahmad al-Chaara, quel état des lieux de la situation sécuritaire en Syrie peut-on dresser ?

La Syrie reste un pays fragmenté, confronté à un risque très élevé de « somalisation » en de nombreuses régions de son territoire.

D’abord à l’Est, les Kurdes des Forces démocratiques syriennes (FDS) n’ont pas intégré les nouvelles institutions politiques et militaires syriennes. Malgré le compromis signé le 10 mars 2025 entre les FDS et le gouvernement de transition d’al-Charaa, la situation reste extrêmement tendue le long de la ligne de démarcation, qui s’étend jusque certains quartiers d’Alep. En dépit d’une réduction croissante des effectifs (on compte aujourd’hui 900 soldats américains sur les 2000 initiaux), les FDS se sentent toujours soutenues par la présence de plusieurs camps d’entraînement américains placés sous leur contrôle. L’annonce, à l’issue de l’entretien entre Ahmad al-Chaara et Donald Trump à Washington le 10 novembre 2025, de l’ouverture d’une base militaire américaine, vient quant à elle sceller la coopération entre les forces américaines au Moyen-Orient de Central Command (Centcom) et les organes de sécurité du pouvoir central. Il est important de souligner que les FDS ont été des forces déterminantes dans la guerre contre Daech. C’est une mosaïque de groupes armés composée de membres de tribus bédouines arabes et des forces kurdes des Unités de protection du peuple (YPG). Si ces dernières restent très méfiantes à l’égard du pouvoir syrien, les tribus arabes du FDS estiment, de leur côté, que le temps du retour dans le giron de Damas est venu.

Au Nord, la Turquie, grande alliée du nouveau pouvoir, maintient une forte présence militaire visant aussi bien à étendre son influence dans la région qu’à contenir les prétentions kurdes. La Turquie est dans un double rapport de forces. Elle est, d’une part, engagée dans un processus de négociations avec Abdullah Öcalan dont la démilitarisation du PKK est la pierre angulaire et, d’autre part, dans une opération d’endiguement des FDS et de leurs territoires via plusieurs opérations militaires. Ankara fait de la présence à sa frontière de ceux qu’elle nomme des « terroristes » un casus belli. À une action militaire de grande envergure, les Turcs préfèrent, à ce stade, un soutien appuyé au processus de normalisation de Damas dans la communauté internationale pour mettre fin à l’autonomie kurde du Nord-est syrien et éloigner le risque séparatiste.

Au Sud, on retrouve les forces israéliennes installées dans une « zone de sécurité » selon la terminologie employée par Tel-Aviv, dont elles se sont emparées en décembre 2024. En plus du plateau du Golan, les Israéliens occupent certains territoires méridionaux et conduisent des frappes sur différents sites militaires considérés comme suspects ou hostiles à leur sécurité. Israël poursuit plusieurs objectifs en Syrie, comme celui d’interdire toute velléité de contestation de sa supériorité militaire dans la région de la part des nouvelles autorités, de chasser les supplétifs du Hezbollah libanais qui ont un temps trouvé refuge en Syrie pour se réarticuler et contribuer à la préparation de l’après-Nasrallah, ou d’exercer une sorte de « protectorat » sur les Druzes qui font figure de quasi-minorité protégée du plateau du Golan – 1660 Druzes sur 22 000 sont de nationalité israélienne. Des affrontements meurtriers ont été recensés à de nombreuses reprises entre les forces de sécurité syriennes et certaines milices druzes, dans le sud du pays, qui font peser un risque sécessionniste constant.

La Syrie vit toujours au rythme d’épisodes de violence réguliers entre les nouvelles autorités et la mosaïque ethnoreligieuse qui constelle le pays. Plusieurs milliers d’Alaouites dont est issu le clan Assad, pour l’essentiel des civils, auraient été massacrés en début d’année le long du littoral. La menace de l’État islamique (EI) est loin d’avoir été éradiquée. Le groupe djihadiste occupe de larges espaces désertiques du centre et de l’est du pays, d’où il opère des raids et embuscades contre les forces de sécurité et les civils syriens. Il s’est renforcé à la faveur du retrait progressif américain de la région tenue par les FDS et de la chute du régime Assad qui a abandonné de très nombreux stocks d’armes. L’EI circule dans des espaces « lacunaires » entre les zones tenues respectivement par les FDS et les forces syriennes. La « brigade des étrangers » de l’organisation composée de combattants français reste très active et a rejeté tous les appels à déposer les armes pour rejoindre les forces régulières.

Le processus de DDR (désarmement, démobilisation et réintégration) ne se limite pas à la seule dimension sécuritaire, il suppose aussi une réintégration sociale et communautaire. Comment le gouvernement aborde-t-il la question de la réconciliation entre anciens combattants, populations civiles et minorités ?

Quelles sont, selon vous, les conditions indispensables à une stabilisation durable de la Syrie post-Assad ?

On peut choisir un moment symbolique pour démontrer l’attachement des nouvelles autorités à la question de la réforme sécuritaire, dont le DDR est l’un des maillons, et de son impact global. Lors du sommet annuel de Concordia à New York le 22 septembre 2025, le président syrien Ahmad al-Charaa s’est entretenu avec l’ancien général américain David Petraeus. Un événement largement médiatisé en raison de l’histoire complexe entre les deux hommes. Petraeus, en tant que commandant des forces américaines en Irak, avait supervisé l’arrestation d’al-Charaa en 2006, alors qu’il dirigeait le groupe Hayat Tahrir al-Sham (HTS). Cette rencontre a donc été perçue comme un geste significatif de réconciliation et de dialogue. Al-Charaa en a profité pour réaffirmer sa position sur le désarmement des milices en Syrie. Il a déclaré que tous les groupes armés, y compris les factions kurdes, devaient remettre leurs armes à l’État syrien.

Cette déclaration s’inscrit dans une série de mesures prises par son gouvernement pour centraliser le pouvoir militaire et assurer la stabilité du pays. L’État syrien ne fait pas mystère que les groupes qui refuseraient de se conformer à cette directive ne seraient pas inclus dans le processus de dialogue national. En fait, le processus de DDR est perçu comme une étape clé pour extraire la Syrie du ban des nations, bâtir un État engagé dans une reconstruction globale, soutenu par un engagement international, notamment après la décision du président américain Donald Trump et l’Union européenne de lever les sanctions contre la Syrie.

Si le processus vise tous les combattants, le défi le plus important reste celui de ne pas laisser la communauté alaouite — minorité à laquelle appartenait la famille Assad — et qui formait la colonne vertébrale de l’appareil militaire et sécuritaire de l’ancien régime, sans perspective. Avec son effondrement, des centaines de milliers de soldats, pour la plupart alaouites, ont été démobilisés sans qu’aucune alternative ne leur soit proposée, dans un contexte économique dégradé et d’absence quasi totale d’opportunités d’emploi. Pour réussir, le processus DDR doit être considéré comme le maillon d’un projet global de transformation des champs sécuritaire, politique, économique et social.

Certains anciens officiers alaouites ont fondé des milices qui ont lancé des opérations violentes dès mars 2025, provoquant des représailles sanglantes et la mort de nombreux civils. Un cycle entretenu par le soutien iranien, protecteur d’un proxy chiite vaincu, et les anciens responsables du régime Assad qui s’organisent pour échapper à la justice transitionnelle.

Dans ce contexte le DDR doit permettre de freiner la prolifération des armes et de réduire le risque de conflit interne, surtout dans les zones marquées par des tensions sectaires ou tribales. Au Liberia et en Colombie, alliés à un processus de justice transitionnelle, ces dispositifs ont permis l’accompagnement des combattants vers la vie civile, la réhabilitation sociale et professionnelle et la réintégration au sein d’institutions étatiques.

Dans le cas syrien, aborder la question des combattants démobilisés — notamment parmi les Alaouites — dans un cadre national unifié permettrait de renforcer la confiance entre les différentes composantes de la société, garantissant qu’aucun groupe ne soit ciblé pour des raisons politiques ou confessionnelles. Ces programmes démontreraient aussi la volonté du gouvernement de transition de répondre aux préoccupations humanitaires et sécuritaires, facilitant le retour du soutien international et le financement de la reconstruction.

La création d’un Fonds de soutien sur le modèle de ceux mis en place en Irak, au Soudan ou à Gaza paraît à cet égard indispensable. Ce fonds, placé sous la supervision directe du gouvernement syrien, devra permettre de construire des parcours spécifiques de réhabilitation à tous les groupes combattants, indépendamment de leur origine et garantirait une gestion transparente et efficace des ressources. Une partie des fonds pourrait favoriser une justice équilibrée et la réparation du tissu social. Les États arabes, notamment l’Arabie saoudite, se présentent comme les grands argentiers de la reconstruction. Leurs expériences au Yémen et en Irak tout comme leur implication avec les opérateurs transnationaux serait déterminante pour le succès du processus.

La Syrie présente des défis proches de ceux de l’Irak. La cohérence du DDR dépendra moins du désarmement que de la capacité de l’État à hiérarchiser ces acteurs sans les exclure. C’est probablement un modèle de sécurité « négociée » plutôt que centralisée qui devra être recherché.

Comment ce processus est-il appréhendé par la population syrienne ?

Il est encore assez peu question de « contrat social » en Syrie mais les nouvelles autorités affichent la volonté de fédérer. Le président syrien l’a rappelé en septembre 2025 à l’Assemblée générale des Nations unies où il a appelé à « reconstruire en posant les bases d’un nouvel État, à travers la création d’institutions et de lois régulatrices qui garantissent les droits de tous, sans exception ».

La population syrienne est las après une décennie de guerre, touchée par une extrême pauvreté, l’exode massif de ses cadres qui a ruiné l’école, les hôpitaux et l’économie en général. Les organisations des droits humains locales rappellent que si les Syriens font encore preuve de patience face à des conditions de vie qui ne se sont pas améliorées depuis la chute du régime Assad, c’est parce qu’une conscience collective des immenses difficultés du pays subsiste, ainsi qu’une certaine bienveillance. La levée des sanctions du Congrès américain, le Caesar Syria Civilian Protection Act, sera essentielle pour redonner espoir. La question a été au cœur des discussions entre Trump et al-Charaa le 10 novembre à Washington.

Dans une vaste étude publiée le 18 septembre 2025 par l’institut Arab Center basé à Washington, seulement 47 % des sondés syriens affirment faire confiance au gouvernement actuel pour dissoudre les groupes armés. La majorité de la population syrienne n’a pas confiance dans la capacité de l’État ni dans les nouveaux instruments de pouvoir pour assurer sa sécurité. Les traumatismes du passé liés aux violences communautaires et la perte de légitimité de l’État alimentent la méfiance. Les minorités druzes, chiites, chrétiennes et kurdes estiment que les sunnites bénéficient plus que les autres du pouvoir politico-militaire.
La peur du vide sécuritaire est particulièrement prégnante. Dans certaines communautés, le sentiment de vulnérabilité est tel qu’elles vont jusqu’à se demander qui les protègera en cas d’attaques. Cette peur est encore plus grande dans des zones où l’État n’a pas un contrôle effectif ou où les milices offraient une sorte de protection communautaire. C’est notamment le cas de la communauté druze de Souweïda, barricadée et surarmée depuis les affrontements de l’été 2025 qui l’a opposée à l’armée contrôlée par Damas.
Pour de nombreuses communautés, le désarmement sans une alternative économique solide équivaut à abandonner un moyen de survie. L’abandon des arsenaux par le régime a ouvert un marché noir immense qui a permis un enrichissement et un financement des activités djihadistes ou criminelles. L’ONG Small Arms Survey rapport que des dizaines de milliers d’armes légères et de petit calibre syriennes auraient déjà fait l’objet de vol ou de trafic. Dans certaines régions syriennes, le prix d’un fusil d’assaut de type AK a chuté à un quart de sa valeur marchande d’avant l’effondrement du régime. Au Liban, on peut se procurer ce type de modèle pour à peine 50 dollars. La prolifération d’armes de petit calibre d’origine syrienne va devenir un sujet de sécurité régionale et internationale.

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12.11.2025 à 17:48

Fracture dans l’Occident. Avec Nicole Gnesotto

Déborah Yapi

Pascal Boniface · Fracture dans l'Occident. Avec Nicole Gnesotto | Entretiens géopo Le monde occidental, tel qu’il s’est construit à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, se fissure aujourd’hui de toutes parts. Comment en est-on arrivé là ? Au-delà de la menace extérieure que représente Vladimir Poutine pour l’Europe ou des critiques visant le « double standard » occidental sur les grands dossiers internationaux, la contre-révolution politique de Donald Trump constitue une menace plus insidieuse – et peut-être plus fatale – pour la survie même du concept de « monde occidental ». L’administration Trump opère une rupture profonde avec le système libéral qui a permit l’affirmation de la puissance américaine depuis 1945. Le président américain substitue progressivement le libéralisme économique au protectionnisme, la démocratie représentative à l’autoritarisme et fait désormais primer la force sur le droit dans les relations internationales. Face à ces bouleversements et à cette fracture de l’Occident, l’Europe se retrouve aujourd’hui prise en étau entre deux menaces, l’une à l’Est d’agression et l’autre à l’Ouest d’abandon stratégique. Ainsi, le monde occidental est-il devenu l’ombre de lui-même ? Que reste-t-il aujourd’hui de l’idée d’Occident ? Fait-elle encore rêver ? Nicole Gnesotto, vice-présidente de l’Institut Jacques Delors et autrice de Fractures dans l’Occident (Odile Jacob), apporte son éclairage sur les dérives et illusions du monde occidental.

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Le monde occidental, tel qu’il s’est construit à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, se fissure aujourd’hui de toutes parts. Comment en est-on arrivé là ? Au-delà de la menace extérieure que représente Vladimir Poutine pour l’Europe ou des critiques visant le « double standard » occidental sur les grands dossiers internationaux, la contre-révolution politique de Donald Trump constitue une menace plus insidieuse – et peut-être plus fatale – pour la survie même du concept de « monde occidental ». L’administration Trump opère une rupture profonde avec le système libéral qui a permit l’affirmation de la puissance américaine depuis 1945. Le président américain substitue progressivement le libéralisme économique au protectionnisme, la démocratie représentative à l’autoritarisme et fait désormais primer la force sur le droit dans les relations internationales. Face à ces bouleversements et à cette fracture de l’Occident, l’Europe se retrouve aujourd’hui prise en étau entre deux menaces, l’une à l’Est d’agression et l’autre à l’Ouest d’abandon stratégique. Ainsi, le monde occidental est-il devenu l’ombre de lui-même ? Que reste-t-il aujourd’hui de l’idée d’Occident ? Fait-elle encore rêver ?

Nicole Gnesotto, vice-présidente de l’Institut Jacques Delors et autrice de Fractures dans l’Occident (Odile Jacob), apporte son éclairage sur les dérives et illusions du monde occidental.

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12.11.2025 à 10:59

Un ancien djihadiste reçu à la Maison-Blanche

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La réception à la Maison-Blanche du président intérimaire syrien Ahmed Al-Charaa – ancien combattant djihadiste ayant connu dans les années 2000 les geôles étatsuniennes illégales en Irak, dont notamment la prison d’Abou Ghraib de sinistre mémoire, – ne manque pas d’étonner.  Mais, au-delà de l’apparent paradoxe, cette situation possède sa logique politique. La question se concentre alors sur l’appréciation de la trajectoire politique des nouveaux responsables de Damas. Leur passé djihadiste est connu, mais leur évolution politique ne l’est pas moins. Incarnant une forme d’islamo-nationalisme, ils ne renieront pas leur appartenance à la mouvance islamiste dont ils se réclament. Dans le même mouvement, ils sont profondément syriens et leur préoccupation principale, affirmée, est de préserver l’unité de l’État. Ils sont donc confrontés à la tâche titanesque de reconstruction d’un pays exsangue, ravagé par une guerre civile de près de 14 ans, où presque toutes les structures doivent être réorganisées. Toute l’énergie politique des autorités intérimaires est tendue vers ce but, avec un triple enjeu : instaurer un régime plus inclusif, reconstituer de solides relations avec le maximum d’États et parvenir à la levée des sanctions qui affectent le pays. Jusqu’ici, les nouvelles autorités politiques syriennes n’ont guère commis d’erreurs, en dépit des violences sociales, politiques et communautaires qui continuent d’endeuiller la société. Si les enjeux économiques sont centraux, ils ne sont néanmoins pas les seuls à devoir être résolus. Cette tension presque exclusive sur les objectifs de stabilisation intérieure leur a d’ailleurs valu quelques critiques quant à leur silence à propos du génocide organisé à Gaza par Israël. Les questions de stabilisation politique se posent ainsi au quotidien. La Syrie est une mosaïque ethnique et confessionnelle au sein de laquelle les forces centrifuges sont multiples, souvent instrumentalisées par des puissances voisines. Chacun comprend par exemple qu’Israël prétendant s’instaurer protecteur de la […]

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Texte intégral (1172 mots)

La réception à la Maison-Blanche du président intérimaire syrien Ahmed Al-Charaa – ancien combattant djihadiste ayant connu dans les années 2000 les geôles étatsuniennes illégales en Irak, dont notamment la prison d’Abou Ghraib de sinistre mémoire, – ne manque pas d’étonner.  Mais, au-delà de l’apparent paradoxe, cette situation possède sa logique politique. La question se concentre alors sur l’appréciation de la trajectoire politique des nouveaux responsables de Damas. Leur passé djihadiste est connu, mais leur évolution politique ne l’est pas moins. Incarnant une forme d’islamo-nationalisme, ils ne renieront pas leur appartenance à la mouvance islamiste dont ils se réclament. Dans le même mouvement, ils sont profondément syriens et leur préoccupation principale, affirmée, est de préserver l’unité de l’État.

Ils sont donc confrontés à la tâche titanesque de reconstruction d’un pays exsangue, ravagé par une guerre civile de près de 14 ans, où presque toutes les structures doivent être réorganisées. Toute l’énergie politique des autorités intérimaires est tendue vers ce but, avec un triple enjeu : instaurer un régime plus inclusif, reconstituer de solides relations avec le maximum d’États et parvenir à la levée des sanctions qui affectent le pays. Jusqu’ici, les nouvelles autorités politiques syriennes n’ont guère commis d’erreurs, en dépit des violences sociales, politiques et communautaires qui continuent d’endeuiller la société. Si les enjeux économiques sont centraux, ils ne sont néanmoins pas les seuls à devoir être résolus. Cette tension presque exclusive sur les objectifs de stabilisation intérieure leur a d’ailleurs valu quelques critiques quant à leur silence à propos du génocide organisé à Gaza par Israël.

Les questions de stabilisation politique se posent ainsi au quotidien. La Syrie est une mosaïque ethnique et confessionnelle au sein de laquelle les forces centrifuges sont multiples, souvent instrumentalisées par des puissances voisines. Chacun comprend par exemple qu’Israël prétendant s’instaurer protecteur de la communauté druze s’en sert comme d’un moyen de pression sur Damas. La Turquie, pour sa part, maintient des exigences constantes à propos de la question kurde, défi encore plus prégnant pour la stabilité de la Syrie.

Pour autant, ces situations ne sont pas équivalentes et c’est indéniablement Tel-Aviv qui représente aujourd’hui le plus grand risque pour la Syrie. Dès le lendemain de la fuite de Bachar Al-Assad, dans la nuit du 7 au 8 décembre 2024, Israël a multiplié les frappes contre la Syrie : 300 bombardements sur des objectifs militaires syriens sont ainsi recensés en quelques jours. L’armée israélienne s’empresse en outre d’occuper le versant syrien du mont Hermon, violant l’accord de cessez-le-feu de 1974. Depuis, plus de 800 frappes ont visé des infrastructures et capacités stratégiques syriennes et des unités militaires israéliennes se sont durablement installées sur le territoire d’un État souverain. Nouvelle preuve que la guerre préventive devient la norme de la politique régionale de l’État hébreu au mépris du droit international. Une fois de plus, on peut au demeurant constater que les condamnations internationales sont restées rares, timides et sans effet dissuasif.

C’est pour ces quelques raisons que les enjeux de la venue d’Ahmed Al-Charaa à Washington renvoient aux recompositions géopolitiques actuellement à l’œuvre au Moyen-Orient et au rôle que peuvent potentiellement y jouer les dirigeants syriens. Donald Trump, en dépit des aspects souvent erratiques de ses initiatives politiques, possède une ligne politique. Il s’agit de tenter par tous les moyens de contenir la puissance chinoise, de multiplier donc dans ce but les projets et les accords économiques et, au passage, en faire profiter sa famille et ses affidés. Pour ce faire, il a besoin de tenter de rétablir une forme de stabilité favorable aux affaires au Moyen-Orient.

Tout en restant un soutien indéfectible à l’État d’Israël, certaines des initiatives prises par Benyamin Netanyahou gênent incontestablement les projets trumpiens. Ainsi, la volonté d’annexion des territoires palestiniens portée par le gouvernement d’extrême droite israélien, ou encore les frappes de l’aviation israélienne contre la capitale du Qatar au mois de septembre, contrarient ses objectifs et il a, sur ces questions, été obligé de tordre le bras à Benyamin Netanyahou. Donald Trump a en effet probablement perçu que deux choix sont conjoncturellement envisageables au Moyen-Orient. Soit laisser œuvrer la logique de guerre préventive et du tout militaire israélien au risque de la pérennisation d’une instabilité chronique, soit tenter de réduire les tensions politiques en travaillant avec les puissances régionales qui y ont intérêt, l’Arabie saoudite et la Turquie en premier lieu.

C’est dans ce contexte qu’il faut analyser la réception d’Ahmed Al-Charaa à la Maison-Blanche. Donald Trump donne des gages aux deux principaux parrains politiques de ce dernier, Riyad et Ankara. C’est pourquoi il confirme la levée des sanctions à l’encontre de la Syrie – qui doivent néanmoins être validées par un vote du Congrès – qu’il avait initialement énoncée lors de sa visite officielle en Arabie saoudite en mai 2025, déjà à l’époque en présence de Mohamed Ben Salman et de Recep Tayyip Erdoğan. C’est aussi pour cette raison que le Conseil de sécurité des Nations unies a levé, le 6 novembre, les sanctions visant Al-Charaa du fait de son appartenance passée à Al-Qaïda, puis à l’État islamique. Les États-Unis ont fait de même pour que le président intérimaire syrien puisse rentrer aux États-Unis. Du point de vue du président étatsunien, la Syrie semble ainsi revêtir un rôle important dans la stabilisation de la région et il lui importe donc de conforter ses nouveaux responsables. Dans ce processus, nous avons une confirmation supplémentaire que les dirigeants de la mouvance de l’islam politique, dont Ahmed Al-Charaa est un exemple presque chimiquement pur, n’ont rien de révolutionnaire et s’accommodent parfaitement des visées impérialistes dans la région.

Si la chute de la dictature de Bachar Al-Assad est d’une importance capitale pour le peuple syrien, l’histoire n’est pas écrite à l’avance et les défis sont nombreux pour les nouveaux dirigeants de Damas. Pour autant, la réintégration progressive de la Syrie dans les relations régionales et internationales constitue un indicateur des axes sur lesquels les rapports de force géopolitiques sont en train de se recomposer au Moyen-Orient.

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