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09.10.2025 à 16:06

La politique du pire. La lettre du 9 octobre 2025

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Artillerie lourde, mais voix discordantes
Les grandes entreprises et les lobbys patronaux (…)

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Artillerie lourde, mais voix discordantes

Les grandes entreprises et les lobbys patronaux ne font pas dans la dentelle ces jours-ci. On l'a vu en France avec le débat sur le budget et la justice fiscale. La taxe Zucman, en particulier, a suscité des critiques outrancières de la part de plusieurs hommes d'affaires parmi lesquels le PDG de LVMH Bernard Arnault, qui a accordé un entretien au Sunday Times pour dire tout le mal qu'il pensait de cette idée portée selon lui par un « militant d'extrême-gauche ».

Dans la foulée, le Medef a promis d'organiser une « grande mobilisation patronale » contre les hausses d'impôts pour les entreprises et les riches, avec un événement prévu le 13 octobre dans l'Arena de Bercy (20 000 places). Mais des voix discordantes se sont fait entendre au sein même du monde patronal, la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) et l'Union des entreprises de proximité (U2P) refusant – contrairement à leurs habitudes – de servir de caution à la défense des intérêts des gros poissons. Tirant prétexte de la crise politique, le Medef a annulé l'événement qui s'annonçait comme un flop.

Un début de fissures dans le front des entreprises ? Il semble en tout cas que les outrances ultralibérales ne font plus forcément consensus et qu'une partie des chefs d'entreprises se demandent s'ils ne sont pas les dindons de la farce. Cela vaut aussi en ce qui concerne les aides publiques. Au cours de l'entretien qu'il nous a récemment accordé, Fabien Gay, rapporteur de la récente commission d'enquête sur le sujet, est revenu sur les différences d'attitudes parmi les patrons qu'il a auditionnés et sur l'erreur que fait selon lui le Medef « en verrouillant le débat pour sauvegarder quelques grands groupes au détriment de la majorité des entreprises ».

À lire ici : « Notre chiffrage de 211 milliards d'euros d'aides publiques est déjà largement repris dans les mobilisations et au sein même des entreprises »

À l'échelle européenne, ce ne sont pas tant les impôts que les « régulations » qui sont aujourd'hui la cible des diatribes des grandes entreprises. Comme nous le racontons dans un nouvel article, beaucoup des groupes français exposés aux hausses de droits de douanes voulues par Donald Trump ont cherché à se concilier les bonnes grâces du locataire de la Maison Blanche tout en réservant leurs flèches contre Bruxelles, coupable à leurs yeux de trop réglementer et de ne pas assez les soutenir.

C'est un point sur lequel les multinationales européennes et américaines ont exactement les mêmes intérêts. Plusieurs grands groupes du vieux continent ont promis d'investir massivement en Europe... si la Commission européenne allait encore plus loin dans les dérégulations.

La directive sur le devoir de vigilance est particulièrement ciblée. Comme le montre un rapport de nos partenaires néerlandais de Somo, les pressions américaines et une vaste campagne de lobbying lancée par ExxonMobil, premier groupe pétrolier mondial, sont en train de dépecer ce qu'il restait encore de cette législation et de la directive sœur sur la transparence sociale et environnementale (CSRD pour les intimes). Lire à ce sujet notre article Comment ExxonMobil et Trump ont fait démanteler une législation européenne sur le climat et les droits humains.

Là aussi, d'autres multinationales comme Mars, Unilever et Nestlé s'étaient exprimées en faveur du maintien de ces lois, dont un récent sondage suggère qu'elles sont largement soutenues même dans les milieux économiques (si on ne restreint pas la focale sur quelques grands groupes).

Pourtant, ce sont les acteurs les plus rétrogrades sur ces questions, comme ExxonMobil, qui sont en train de faire prévaloir leurs vues.

Pourquoi ? En raison du climat politique actuel et notamment de l'alliance de fait entre droite et extrême droite qui s'est nouée pour pousser une politique de dérégulation tous azimuts au niveau européen et déjà en partie en France.

Milliardaires de la tech

Justement, nous poursuivons nos enquêtes sur les liens entre l'extrême droite et le monde des entreprises en nous penchant sur un secteur qui semble particulièrement disposé à piétiner tous les cordons sanitaires de jadis : celui de la tech.

De l'autre côté de l'Atlantique, beaucoup de grandes fortunes de la Silicon Valley se sont bruyamment ralliées à Trump, et ont déjà été largement récompensées de ce soutien (nous en parlions dans une enquête en deux volets, ici et ).

La tech française pourrait-elle être tentée de suivre le même chemin ? L'un des principaux financeurs et soutiens actuels de l'extrême droite, l'homme d'affaires Pierre-Édouard Stérin, est très présent dans le petit monde de la « French Tech » comme nous le montrons dans une nouvelle enquête. Il n'est pas le seul dans le milieu à afficher des positions libertariennes ou ultraconservatrices. Et jusqu'à présent, contrairement à ce que l'on a vu dans le secteur des médias (Le Crayon ayant fait sortir Stérin de son capital), des collectivités locales (qui se sont retirées du label « Plus belles fêtes de France ») ou même de la réalité virtuelle, la French Tech ne semble pas voir le problème.

Lire l'enquête : Face à Pierre-Édouard Stérin, le grand silence de la « French Tech »

Pour revenir aux États-Unis, si on a beaucoup parlé ces derniers mois d'Elon Musk, il est un autre milliardaire de la tech presque aussi riche et beaucoup moins connu, mais qui pourrait faire autant de mal à la démocratie américaine : le fondateur d'Oracle Larry Ellison. Proche de Donald Trump, Tony Blair et Benjamin Netanyahu, l'homme d'affaires partage beaucoup des lubies anti-impôts et pro-IA et pro-surveillance de ses pairs de la Silicon Valley. Et il est en train de se constituer un vaste empire médiatique en mettant la main sur Paramount (dont la chaîne CBS) et bientôt peut-être TikTok US (grâce à Trump) et Warner (dont la chaîne CNN).

Lire Larry Ellison, l'autre milliardaire réactionnaire de la tech... dont vous n'avez pas encore assez entendu parler

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En bref

Le Conseil d'État à la rescousse de Polytechnique. Le Conseil d'État a rendu une décision très attendue sur la transparence des conventions de mécénat passées par l'école avec des grandes entreprises, dont nous avons parlé dans notre récente enquête Polytechnique, une école d'État sous emprise. Les dirigeants de Polytechnique refusent de divulguer ces conventions, avec les montants impliqués et les contreparties attendues, invoquant le « secret des affaires ». Le tribunal administratif leur avait donné tort, estimant que ce secret ne pouvait être invoqué puisqu'il s'agissait de mécénat et d'un établissement public. Le Conseil d'État a cassé ce jugement, confirmant une tendance généralisée au sein des institutions à considérer que n'importe quelle information, même quand elle n'a rien de sensible et que l'argent public est en jeu, peut ainsi être protégée. Ce n'est pas la première fois que les haut-fonctionnaires du Palais-Royal s'illustrent par leur conservatisme dans ce domaine (et leur inventivité juridique), puisqu'ils avaient refusé la divulgation des comptes de la fondation Louis Vuitton au nom … de la « protection de la vie privée ».

Shein repart à l'attaque. Critiqué de toutes parts et ciblé par la loi « fast-fashion », le groupe chinois Shein a relancé son offensive de relations publiques en France (relatée dans notre enquête) à travers un nouveau coup de comm' : l'annonce de l'implantation physique de la marque au BHV à Paris et dans cinq magasins des Galeries Lafayette en France, présentée comme une « première mondiale ». Le tout grâce à un partenariat avec l'homme d'affaires Frédéric Merlin, propriétaire du groupe SGM. L'annonce est intervenue deux jours après que le point de contact national de l'OCDE, saisi par les députés Dominique Potier et Boris Vallaud, ait rendu un rapport sévère pointant les graves manquements de Shein en matière de droits humains et d'environnement. L'affaire s'est retournée contre SGM, lâché par certains de ses principaux soutiens comme la Caisse des dépôts et consignations et la maire de Paris Anne Hidalgo.

Double standard. Les achats de gaz russe de quatre pays européens, dont la France, dépassent largement l'aide qu'ils apportent à l'Ukraine, selon un récent rapport de Greenpeace Belgique. Entre le début de la guerre et juin 2025, ils ont importé pour 34,3 milliards d'euros de gaz, tandis que leur aide cumulée à l'Ukraine s'élève à 21,2 milliards sur la même période. Ces achats proviennent majoritairement du projet Yamal LNG, via des contrats d'approvisionnement à long terme. TotalEnergies est de loin le principal groupe concerné, avec 2,5 milliards d'euros d'achat de gaz (à quoi s'ajoutent 500 millions d'euros pour Engie), et en tant qu'actionnaire à 20% de Yamal LNG et à 19,4% de son partenaire Novatek (lire à ce sujet notre enquête Total dans l'Arctique russe). Greenpeace estime que TotalEnergies a touché sur la même période un peu plus de 5 milliards d'euros de dividendes de Yamal LNG, et 1,74 milliards d'euros de Novatek (lire TotalEnergies encaisse des dividendes russes « tachés de sang »).

TotalEnergies veut se relancer au Mozambique malgré les menaces sécuritaires. Depuis des mois, le groupe français TotalEnergies laisse entrevoir la reprise de son mégaprojet gazier au large de la province de Cabo Delgado (lire notre article). Le pas pourrait être bientôt franchi, selon Le Monde. Le projet avait été mis en suspens en 2021 suite à l'attaque d'un groupe jihadiste dans la région. L'entreprise est d'ailleurs sous le coup d'une information judiciaire pour homicide involontaire, suite à une plainte déposée par plusieurs sous-traitants et familles de victimes. Pour TotalEnergies et le gouvernement mozambicain, les conditions de sécurité seraient à nouveau réunies, grâce à la présence d'un contingent de soldats rwandais pour protéger la zone. Pourtant, une nouvelle attaque jihadiste a eu lieu fin septembre dans la région, à quelques dizaines kilomètres des installations gazières, faisant plusieurs victimes. TotalEnergies prévoit de créer une véritable bulle sécuritaire sur son site d'Afungi, qui ne serait plus accessible que par la mer. De quoi démentir s'il était besoin toutes ses promesses sur les bénéfices de ses activités pour les populations locales.

Après Auchan, Michelin. En novembre dernier, les groupes Auchan et Michelin avaient fait scandale en annonçant d'importants plans de suppressions d'emploi en France. Un an plus tard, la justice intervient. Après avoir largement mis à mal les arguments d'Auchan (voir notre dernière newsletter), les tribunaux ont rejeté le licenciement d'un représentant syndical de l'usine de Vannes de Michelin, estimant que le motif économique n'était pas avéré, le groupe étant « rentable ». Une décision qui pourrait avoir des conséquences pour les autres salariés licenciés, alors que la direction du groupe assure que les départs en retraites ou en pré-retraite ont, eux, bien été validés.

Le chiffre : 1000 milliards de dollars. C'est, selon les calculs du Financial Times, la valeur total des accords signés depuis le début de l'année par OpenAI avec d'autres géants du secteur comme Oracle, CoreWeave, le fabricant de puces tout Nvidia et récemment AMD. Et ce alors que l''entreprise derrière ChatGPT accuse 13,5 milliards de dollars de pertes au premier semestre 2025, pour un chiffre d'affaires de 4,3 milliards. Un pari massif et hautement spéculatif sur l'avenir de l'IA qui génère une bulle financière mais aussi écologique. Lire notre article.

Cette lettre a été écrite par Olivier Petitjean.

09.10.2025 à 14:07

Comment ExxonMobil et Trump ont fait démanteler une législation européenne sur le climat et les droits humains

Séverin Lahaye

L'Union européenne est en train de totalement vider de sa substance la directive sur le devoir de vigilance des multinationales, pourtant adoptée et entrée en vigueur en 2024. Le résultat des pressions de l'administration Trump et d'une campagne de lobbying orchestrée par le géant pétrolier ExxonMobil.
Le lobbying paie. C'est d'une certaine façon la conclusion que l'on peut tirer de l'enquête de l'ONG néerlandaise Somo contre la directive. « ExxonMobil ne cache pas considérer cette loi (…)

- Dérégulations « made in Europe » / , , , , , , ,
Texte intégral (1721 mots)

L'Union européenne est en train de totalement vider de sa substance la directive sur le devoir de vigilance des multinationales, pourtant adoptée et entrée en vigueur en 2024. Le résultat des pressions de l'administration Trump et d'une campagne de lobbying orchestrée par le géant pétrolier ExxonMobil.

Le lobbying paie. C'est d'une certaine façon la conclusion que l'on peut tirer de l'enquête de l'ONG néerlandaise Somo, publiée le 2 octobre dernier. David Ollivier de Leth et Lily Versteeg ont analysé la stratégie de lobbying mise en place par l'entreprise étatsunienne ExxonMobil pour faire dérailler une loi européenne sur le climat et les droits humains, la CS3D (Corporate Sustainability Due Diligence Directive, ou « directive sur le devoir de vigilance des entreprises »). Celle-ci rend les multinationales responsables de leurs impacts sur la société et l'environnement résultant de leurs activités, y compris au niveau de leurs filiales et sous-traitants. En coordination avec l'administration Trump et d'autres lobbys américains, le géant pétrolier est en train de faire de faire céder toutes les digues du côté de la Commission européenne, qui envisage désormais – après en avoir considérablement réduit la portée – que la directive ne s'applique pas aux firmes étatsuniennes.

La CS3D dans le viseur d'ExxonMobil

Cette fameuse « CS3D » avait fini par entrer en vigueur en mai 2024 à l'issue d'une longue bataille de lobbying qui avaient vu ses ambitions plusieurs fois revues à la baisse (lire notre enquête). À l'époque, le géant du pétrole étatsunien avait déjà pris position contre la directive. « ExxonMobil ne cache pas considérer cette loi comme une menace pour ses profits et son modèle économique », expliquent les chercheurs de Somo. Mais c'est après son adoption que la première entreprise pétrolière mondiale a véritablement entamé sa campagne de lobbying. « Entre mars 2024 et juillet 2025, ExxonMobil s'est entretenue au moins sept fois avec la Commission européenne pour discuter de son agenda de simplification », révèle leur enquête.

Car le vent a tourné à Bruxelles depuis la prise de fonction de la nouvelle Commission européenne, en décembre 2024. Ursula von der Leyen, réélue pour un second mandat, a érigé la « simplification » comme objectif premier de sa politique économique, comme nous l'expliquions dans un précédent article. Quelques mois plus tard, elle proposait, via la directive Omnibus I, de repousser l'application de la CS3D et de réduire son champ d'application. Bien qu'elle n'ait pas encore été définitivement validée dans tous ses détails, la loi Omnibus devrait largement répondre aux souhaits d'ExxonMobil.

Une stratégie de lobbying multiforme

Le groupe pétrolier a utilisé quatre moyens de lobbying différents pour faire entendre son point de vue : des entretiens directs auprès des décideurs politiques européens et américains, la mobilisation d'associations d'entreprises dont elle est membre, le sponsoring d'événements médiatiques et le financement de think tanks. « ExxonMobil dispose du treizième budget de lobbying parmi toutes les entreprises qui font pression sur les institutions européennes, avec des dépenses comprises entre 3,5 et 4 millions d'euros en 2024 », détaille Somo.

D'après leur analyse du registre de la transparence, une base de données européenne qui répertorie les organisations qui veulent influencer le processus législatif, ExxonMobil est aussi l'entité de lobbying « la plus active auprès du Parlement européen ». Au moins 18 entrevues ont eu lieu entre l'entreprise pétrolière et des députés européens, membres des groupes centriste, de droite et d'extrême-droite. Ses représentants se sont aussi entretenus avec les présidents du Conseil et du Parlement européen, et avec Ursula von der Leyen, via le groupe de lobbying étatsunien AmCham EU (Chambre de commerce des États-Unis auprès de l'UE). La major pétrolière est également allée se plaindre dans les États-membres, auprès du cabinet du chancelier allemand, Friedrich Merz, du gouvernement néerlandais, et du Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis.

Pressions de l'administration Trump

L'action d'ExxonMobil ne s'est pas limitée aux couloirs des institutions européennes. En septembre 2024, plus d'une soixantaine de députés et de sénateurs étatsuniens ont signé une lettre « anti-CS3D » adressée au président Joe Biden, l'appelant à « retarder […] ou modifier substantiellement la directive »-. « Parmi les 66 membres du Congrès signataires de la lettre, 64 ont reçu des dons du Comité politique d'action d'ExxonMobil, pour un total de 700 000 dollars », révèlent les deux chercheurs.

Le patron d'ExxonMobil, Darren Woods, s'est également directement plaint auprès de Donald Trump, lors de deux réunions, en janvier et mars 2025. Et d'après Somo, leur parole a été entendue par l'exécutif étatsunien, et notamment son secrétaire à l'Énergie Chris Wright, qui affirmait en septembre 2025 que l'UE devait engager des « modifications massives » de la CS3D pour ne pas nuire aux entreprises pétrolières étatsuniennes. Un soutien de taille pour ExxonMobil, qui en plus de cette pression diplomatique, a menacé à plusieurs reprises de geler les 20 milliards de dollars qu'elle prévoit d'investir dans les technologies bas-carbone en Europe.

Bataille de l'opinion

La multinationale a également investi le champ médiatique pour relayer son argumentaire, par exemple en sponsorisant des événements. En mars 2025, ExxonMobil était l'unique sponsor d'une conférence du Financial Times intitulée Tackling Europe's Red Tape Challenge (en français, « Relever le défi de la bureaucratie en Europe »). L'entreprise a également sponsorisé la Competitive Europe Week (en français, « Semaine de la compétitivité européenne »), organisée par le média Politico en octobre 2024. À chaque fois, le président d'ExxonMobil Europe, Philippe Ducom, a pu dérouler ses arguments contre la CS3D devant de nombreux décideurs politiques européens.

Plus classiquement, la multinationale a utilisé les think tanks qu'elle finance pour porter son message, comme l'European Roundtable on Climate and Sustainable Transition (ERCST), notamment par le biais de publications, de forums ou de conférences auxquels ont assisté de nombreux officiels européens.

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Une stratégie payante

Après des mois de lobbying acharné, ExxonMobil devrait voir ses vœux concrétisés. Son influence auprès des décideurs politiques « excède largement celle de groupes d'intérêts publics, comme les organisations non-gouvernementales ou les syndicats », déplore Somo. L'enquête dénonce la « capitulation » du Parlement européen, et notamment du Parti populaire européen (droite) et de Renew (centre) face aux intérêts d'un « petit mais puissant groupe de multinationales ». Dont la tactique ressemble, selon l'ONG, à celle mise en place par l'industrie du tabac, mais contre laquelle l'UE s'est dotée d'un principe très simple : l'encadrement très strict des contacts avec les lobbyistes de ce secteur. « Ceux qui causent le problème ne peuvent pas faire partie de la solution. »

Une règle que l'UE devrait élargir au plus vite au secteur pétrolier, car ExxonMobil compte bien poursuivre sa campagne de lobbying pour faire annuler d'autres normes européennes, comme la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD, « directive sur le reporting de durabilité des entreprises »). Celle-ci oblige les grandes entreprises à rendre publique les conséquences de leurs activités sur l'environnement et la société.

La Commission européenne vient d'annoncer qu'elle comptait sortir les entreprises non-européennes du champ d'application de cette directive, cédant ainsi aux ultimatums de l'administration Trump. D'après le Financial Times, c'était précisément il y a quelques jours l'objet d'une demande très officielle adressée par l'administration américaine à Bruxelles. Les entreprises étatsuniennes, dont ExxonMobil, estiment que ces directives vont les exposer « à un risque accru de poursuites judiciaires ». Ce serait renoncement supplémentaire de la part de l'exécutif européen, dans ce qui s'apparente de plus en plus à un démantèlement total des législations du Green Deal mises en place depuis 2021.

09.10.2025 à 07:00

Larry Ellison, l'autre milliardaire réactionnaire de la tech... dont vous n'avez pas encore assez entendu parler

Anne-Sophie Simpere

Plus discret qu'un Elon Musk sur ses accointances politiques, le fondateur d'Oracle Larry Ellison est en train de se construire un véritable empire médiatique outre-Atlantique avec l'acquisition du groupe Paramount et ses chaînes de télévision, et peut-être demain de TikTok US et Warner. Une force de frappe qu'il pourrait mettre au service de ses intérêts économiques – le développement de l'IA et de la surveillance en particulier – et de ses amis Donald Trump, Tony Blair et Benjamin (…)

- Extrême Tech / , , , , , ,
Texte intégral (2347 mots)

Plus discret qu'un Elon Musk sur ses accointances politiques, le fondateur d'Oracle Larry Ellison est en train de se construire un véritable empire médiatique outre-Atlantique avec l'acquisition du groupe Paramount et ses chaînes de télévision, et peut-être demain de TikTok US et Warner. Une force de frappe qu'il pourrait mettre au service de ses intérêts économiques – le développement de l'IA et de la surveillance en particulier – et de ses amis Donald Trump, Tony Blair et Benjamin Netanyahu.

En France, il reste très peu connu du grand public. Et pourtant, Larry Ellison a brièvement dépassé Elon Musk, début septembre, pour prendre pendant quelques heures le titre d'homme le plus riche de la planète. Le milliardaire de 81 ans est l'un des poids lourds de la tech et n'a jamais caché ses sympathies trumpistes. Grâce à un décret signé par le président américain le 25 septembre dernier, son entreprise Oracle devrait gérer l'algorithme de l'application TikTok pour les utilisateurs aux États-Unis – entre 150 et 170 millions de personnes, environ un tiers de la population du pays. Ce deal qui lui donnerait la main sur une plateforme d'information aussi puissante qu'addictive ne ferait que renforcer le pouvoir d'influence de la famille Ellison, qui vient de racheter Paramount et lorgnerait aujourd'hui sur Warner. Un empire médiatique qu'il pourrait mettre au service de ses intérêts économiques, de son soutien à Israël ou de ses convictions conservatrices.

Sauf pour son style de vie (yachts démesurés, jets privés et voitures de luxe…), Larry Ellison peut sembler plus discret que d'autres milliardaires de la tech comme Jeff Bezos, Mark Zuckerberg, Elon Musk. Mais il en est proche, particulièrement de ce dernier. Il a siégé au conseil d'administration de Tesla de 2018 à 2022, et a participé au rachat de Twitter à hauteur de un milliard de dollars. Tout comme Musk, il minimise ses impôts en ne se payant qu'un dollar de salaire annuel et en finançant son train de vie par des emprunts adossés à ses actions dans ses sociétés. Sa société Oracle est d'ailleurs un donateur régulier du lobby anti-impôts « American for Tax Reform ».

S'il affiche moins ses opinions politiques que Musk et d'autres, Ellison partage leur fascination pour le transhumanisme et leur vision d'une société de surveillance et de contrôle

S'il affiche moins ostensiblement ses opinions politiques que peuvent le faire Musk et d'autres milliardaires de la tech, le nouveau magnat des médias partage leur fascination pour le transhumanisme, qualifiant la mort de concept « incompréhensible », et leur vision d'une société de surveillance et de contrôle. En 2024, il se réjouissait que dans une société où ils seraient constamment surveillés grâce à l'intelligence artificielle, les gens « adopteront un comportement exemplaire ». Début 2025, au World Government Summit de Dubaï, il appelait à la création d'une base de données unique sur les citoyens, qui rassemblerait l'ensemble des informations utiles à un gouvernement. Une dystopie dans laquelle il imagine certainement que sa société Oracle aurait toute sa place.

Oracle, un géant qui est déjà (presque) partout

Larry Ellison doit sa fortune à cette entreprise qu'il a fondée en 1977 avec deux programmeurs (Bob Minor et Ed Oats), et qui est aujourd'hui l'une des vingt plus grosses au monde en termes de capitalisation boursière. Oracle commercialise des logiciels de base de données et des logiciels et équipements de cloud computing (utilisation de serveurs à distance). Le groupe affichait en 2024 53 milliards de dollars de chiffre d'affaires. Ses produits sont utilisés par des milliers d'entreprises sur tout la planète, y compris en France où la SNCF, BNP Paribas, Orange ou encore Michelin comptent parmi ses clients. Une Association des utilisateurs francophones d'Oracle revendique 1000 membres représentant 140 entreprises.

Gouvernements et services publices recourent eux aussi aux produits d'Oracle. En France, par exemple, la Caisse nationale d'allocations familiales utilise le système Oracle Intelligent Advisor pour traiter les calculs de prestations d'aides au logement et minima sociaux, tandis qu'au Royaume-Uni, plusieurs ministères (travail, environnement, justice, intérieur…) font appel aux services de la firme étatsunienne. En septembre 2025, c'est l'Agence de communication et d'information de l'OTAN qui a engagé un projet de migration de ses applications critiques vers Oracle Cloud Infrastructure, mené en partenariat avec l'entreprise française Thales.

Proximité avec Donald Trump

Le développement exponentiel des activités d'Oracle dans les infrastructures cloud a fait bondir la fortune de Larry Ellison, actionnaire à environ 40 % de la société,. De nouveaux contrats avec des géants de la tech, dont OpenAI, ont également contribué à faire flamber l'action de l'entreprise. Oracle est également l'un des associés du projet Stargate, porté par Donald Trump dès son arrivée au pouvoir : un plan d'investissement de 500 milliards de dollars dans des infrastructures d'IA.

Oracle a créé une base de données de recrues potentielles pour la future administration républicaine, dans le cadre du Project 2025

Faut-il y voir une récompense du soutien de Larry Ellison au nouveau président américain ? S'il n'a pas été un supporter de la première heure, il semble aujourd'hui entretenir d'excellents rapports avec Donald Trump, qu'il rencontrerait régulièrement à Mar-a-Lago. Safra Catz, la vice-présidente du conseil d'administration d'Oracle et sa directrice générale jusqu'en septembre 2025, a fait partie de l'équipe de transition de Trump dès sa première élection en 2016. En 2022, selon OpenSecrets, Larry Ellison a été le onzième plus gros donateur individuel à des candidats conservateurs (avec plus de 31 millions de dollars). En 2023, Oracle a créé une base de données de recrues potentielles pour la future administration républicaine, dans le cadre du « Project 2025 » de la Heritage Foundation (lire notre article). La société est également membre de l'American Legislative Exchange Council, un puissant lobby conservateur qui propose des lois clés en main pour démanteler le droit du travail, s'opposer aux régulations environnementales, privatiser l'éducation, ou contre les droits des personne LGBT.

Blair et Netanyahu dans la galaxie Oracle

Donald Trump n'est pas la seule personnalité politique avec qui Larry Ellison entretient des relations cordiales. Le milliardaire américain s'est rapproché de Tony Blair, et aurait contribué à hauteur d'au moins 257 millions de livres sterling (294 millions d'euros) à son Tony Blair Institute for Global Change (TBI), via la Fondation Larry Ellison. Une enquête de The Lighthouse Reports révèle des liens extrêmement étroits entre le TBI, dont la mission affichée est d'aider les nations et les gouvernements à s'intégrer dans la mondialisation et faire face aux défis du monde actuel, et Oracle. D'anciens salariés de l'institut témoignent d'intrusions dans leur travail et de pressions pour promouvoir les produits d'Oracle dans les pays sur lesquels ils travaillaient. Présent dans 45 pays, le think tank de Tony Blair se positionne en faveur du développement massif de l'intelligence artificielle, fond de commerce de son méga-donateur.

Ellison aurait même offert en 2021 au premier ministre israélien un siège au conseil d'administration d'Oracle

La proposition américaine de confier la future gouvernance de Gaza à Tony Blair n'en paraît qu'encore plus inquiétante. Larry Ellison est en effet aussi un soutien indéfectible d'Israël, et un proche de longue date de Benjamin Netanyahu. Selon le média israélien Haaretz, il aurait même offert en 2021 au premier ministre israélien un siège au conseil d'administration d'Oracle – offre qu'il a déclinée – après l'avoir accueilli sur son île privée à Hawaï. En 2017, Ellison a versé plus de 16 millions de dollars à Friends of Israel Defence Force, association qui collecte des fonds pour les soldats israéliens. Selon des témoignages recueillis dans Responsible Statecraft, une publication du think tank américain Quincy Institute, des employés d'Oracle questionnant le soutien inconditionnel de l'entreprise à la politique israélienne auraient été orientés vers des services de santé mentale. La vice-présidente et ex-DG d'Oracle Safra Catz a aussi la nationalité israélienne et soutient la politique actuelle de l'État hébreu. Sa sœur est membre du conseil d'administration de l'American Israeli Public Affairs Committee Leadership, le plus important lobby pro-israélien aux États-Unis.

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Après Paramount, TikTok et Warner Bros dans le viseur

Ces positionnements et ces alliances prennent encore plus de relief depuis que Larry Ellison a commencé à se construire un véritable empire dans les médias, la production de contenus et la diffusion. En plus de sa participation à TikTok US – encore en négociation –, il a aidé au rachat de Paramount par son fils, déjà propriétaire de la société de production Skydance. Les deux entreprises ont été fusionnées dans un conglomérat dirigé par David. Présent dans le cinéma, la télévision (MTV, CBS...), l'édition et les médias numériques, ce nouveau groupe pourrait devenir un outil au service de leur idéologie et diverses accointances politiques.

La chaîne CBS de Paramount était depuis longtemps dans le collimateur de Donald Trump

CBS était depuis longtemps dans le collimateur de Donald Trump. Avant sa fusion avec Skydance, Paramount avait déjà accepté de verser 16 millions d'euros au président pour régler un contentieux avec lui, Trump accusant la chaîne d'avoir favorisé Kamala Harris dans une émission. Le « Late Show » de Stephen Colbert, qui se moquait ouvertement du chef de l'État, a aussi été annulé par CBS. Après la fusion, la chaîne a nommé un nouveau médiateur en la personne de Kenneth Weinstein. Celui-ci a été le directeur du Hudson Institute, partenaire du réseau Atlas (lire notre enquëte), et ambassadeur du Japon pour la précédente administration Trump. C'est lui qui aura à traiter les plaintes sur la couverture de l'actualité par la chaîne. Mais celles émanant des Républicains et des soutiens d'Israël devraient diminuer, puisque la la journaliste pro-israélienne et anti-« woke » Bari Weiss vient d'être nommée rédactrice en chef de CBS.

Un mois après la fusion Skydance-Paramount, un article du Wall Street Journal suggérait que le groupe pourrait également racheter Warner Bros. Si cette fusion était confirmée, le nouveau groupe pourrait rapprocher les plateformes de streaming HBO et Paramount+ (environ 200 millions d'abonnés à eux deux), aurait la main sur deux des cinq studios majeurs de production cinématographique aux États-Unis et contrôlerait de nombreuses chaînes de télévision, dont CNN – elle aussi détestée par Donald Trump. Une concentration de pouvoir médiatique et culturelle qui n'augure rien de bon pour le débat public et la démocratie américaine.

08.10.2025 à 08:56

OpenAI au centre d'une bulle financière et écologique ?

Selon les calculs du Financial Times, la valeur totale des accords signés depuis le début de l'année par OpenAI avec d'autres géants du secteur comme Oracle, le fabricant de puces Nvidia et récemment AMD atteint désormais les 1000 milliards de dollars.
Ces contrats lui donnent accès à 20 GW de puissance de calcul, soit l'équivalent de 20 réacteurs nucléaires. Et ce, alors que l'entreprise derrière ChatGPT est encore très loin d'être profitable. Malgré le nombre croissant d'utilisateurs de (…)

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Selon les calculs du Financial Times, la valeur totale des accords signés depuis le début de l'année par OpenAI avec d'autres géants du secteur comme Oracle, le fabricant de puces Nvidia et récemment AMD atteint désormais les 1000 milliards de dollars.

Ces contrats lui donnent accès à 20 GW de puissance de calcul, soit l'équivalent de 20 réacteurs nucléaires. Et ce, alors que l'entreprise derrière ChatGPT est encore très loin d'être profitable. Malgré le nombre croissant d'utilisateurs de son « chatbot », ses revenus actuels représentent seulement aujourd'hui une fraction du billion de dollars qu'elle prétend mettre sur la table. Au premier semestre 2025, le chiffre d'affaires d'OpenAI était de 4,3 milliards de dollars, pour une perte de... 13,5 milliards de dollars, due à ses investissements tous azimuts. C'est un pari massif sur le développement de l'IA et sa profitabilité future.

Ce pari lie OpenAI à tous les autres géants du secteur, concepteurs de puces comme Nvidia et AMD, fournisseurs de services cloud ou de logiciels comme Google, Amazon ou Oracle, sans oublier Microsoft, son partenaire historique et principal financeur. Beaucoup des accords signés par OpenAI sont d'ailleurs circulaires. Celui signé avec Nvidia prévoit que cette dernière entreprise prenne 10% du capital d'OpenAI, ce qui lui permettra de disposer de la trésorerie nécessaire pour acheter... des puces Nvidia. Le deal récemment annoncé avec AMD stipule qu'OpenAI pourra acheter des actions de son fournisseur à un prix infime et les revendre pour lever des fonds. Or, à l'annonce de cet accord, le cours des actions de AMD a augmenté en flèche... ce qui pourrait permettre à OpenAI de trouver du cash en les revendant.

Bref, la stratégie agressive de développement d'OpenAI se nourrit largement de l'euphorie boursière suscitée par l'IA, dans une sorte de spirale auto-entretenue, en étirant au maximum les paramètres de la rationalité financière (sans parler de la rationalité écologique, au vu des besoins énergétiques sous-jacents). De nombreuses voix commencent à évoquer la formation d'une bulle spéculative prête à exploser.

La dernière fois que l'industrie avait eu recours à des tels accords circulaires, c'était juste avant l'explosion de la bulle « dot com » de l'an 2000. Et beaucoup de grands noms de la Silicon Valley pourraient être entraînés dans la tourmente.

06.10.2025 à 12:02

Les entreprises françaises face à la vague tarifaire américaine

Rihab Latrache

Les groupes français semblent déboussolés face à la guerre commerciale déclarée par Donald Trump et à ses annonces parfois contradictoires sur les droits de douane. Certains patrons ont cherché à s'attirer les faveurs du nouveau locataire de la Maison Blanche, sans forcément s'en trouver mieux lotis. D'autres font le gros dos. Tous ou presque en appellent à l'Europe pour les défendre, en l'encourageant à déréguler davantage.
Lorsque Donald Trump et Ursula von der Leyen ont conclu le 27 (…)

- Dérégulations « made in Europe » / , , , , , , , , , , , ,
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Les groupes français semblent déboussolés face à la guerre commerciale déclarée par Donald Trump et à ses annonces parfois contradictoires sur les droits de douane. Certains patrons ont cherché à s'attirer les faveurs du nouveau locataire de la Maison Blanche, sans forcément s'en trouver mieux lotis. D'autres font le gros dos. Tous ou presque en appellent à l'Europe pour les défendre, en l'encourageant à déréguler davantage.

Lorsque Donald Trump et Ursula von der Leyen ont conclu le 27 juillet dernier à Turnberry, en Écosse, un accord sur les droits de douane, beaucoup de grands patrons français européens ont poussé un ouf de soulagement. À commencer par le PDG de LVMH Bernard Arnault. Pour le dirigeant du groupe de luxe, très présent sur le marché américain, le compromis abaissant les tarifs commerciaux à 15% sur la majorité des produits en provenance d'Europe était un moindre mal, et l'accord signé par la présidente de la Commission un « acte de responsabilité », voire une « victoire ». « Dans le contexte actuel, expliquait-il dans Les Échos le 29 juillet, il s'agit d'un bon accord. »

Autre champion français, l'armateur CMA-CGM est lui aussi particulièrement exposé. Aux risques de baisse du transport de marchandises sur ses porte-conteneurs du fait de la hausse généralisée des droits douaniers s'ajoute en effet la volonté de l'administration Trump d'imposer des surtaxes aux bateaux construits en Chine et accostant dans les ports américains. En mars dernier, lors de l'annonce des hausses de droits, son patron Rodolphe Saadé avait déclaré aux Échos ne pas être « en faveur des barrières douanières, parce qu'il n'y a rien de pire pour le libre-échange que d'imposer des tarifs douaniers entre les différents pays. Une fois qu'on a dit ça, si les décisions sont prises, on s'adaptera. » En juillet, après la signature de l'accord entre Trump et von der Leyen, le directeur financier du groupe Ramon Fernandez a renchéri : « C'est une hausse importante qui ne sera pas bonne pour la croissance. » Mais CMA-CGM avait déjà pris les devant en réorganisant sa flotte mondiale pour éviter les frais portuaires américains.

Même son de cloche chez le géant pharmaceutique Sanofi, qui a qualifié de « gérable » l'impact potentiel de l'accord de Turnberry. Les groupes européens concernés par les 15% de droits de douane ont fait contre mauvaise fortune bon cœur en se disant qu'au moins ils savaient à quoi s'en tenir. Mais c'était mal connaître le président américain, qui a finalement décidé d'appliquer des droits de douane de 100% sur les médicaments, sauf pour les entreprises qui ont leurs usines aux États-Unis.

Investissements et délocalisations

Depuis le retour de Donald Trump en janvier dernier, les grands groupes français ont dû s'habituer à gérer les incertitudes et les revirements soudains. Même ceux qui pouvaient se croire relativement protégés. Bernard Arnault, homme le plus riche d'Europe, et une partie de sa famille ont assisté à la cérémonie d'investiture du nouveau président, qu'ils côtoient depuis les années 1980. Il est retourné en mai avec son fils Alexandre le rencontrer à la Maison Blanche. Tous deux ont été qualifiés à cette occasion par Trump de « très bons amis ». Mais cela n'a pas suffi, pour l'instant, à garantir un traitement de faveur pour le cognac ou les articles de mode commercialisés par LVMH outre-Atlantique.

Rodolphe Saadé s'est lui aussi rendu à Washingon au moment de l'investiture. Il a été la cible de nombreuses critiques en France pour avoir promis, lors d'une nouvelle visite à la Maison Blanche en mars, d'investir 20 milliards de dollars sur quatre ans aux États-Unis.

De nombreux groupes français ont fait des annonces similaires d'investissement aux États-Unis dans les premiers mois de l'année, inspirés en partie par la volonté affichée de l'administration Trump de privilégier le « made in USA » ainsi que par certaines de ses politiques. Le PDG de TotalEnergies Patrick Pouyanné, s'il a appelé le président américain à ne pas remettre en cause la politique de l'administration précédente en faveur des énergies vertes, s'est aussi déclaré ouvert à relancer le forage de pétrole offshore dans le golfe du Mexique, qu'il n'a pas hésité à appeler « golfe d'Amérique » pour plaire à la Maison blanche. Le groupe pétrogazier compte bien profiter de la volonté de Trump d'augmenter les exportations de gaz naturel liquéfié (GNL) vers l'Europe. TotalEnergies a exporté plus de 11 millions de tonnes de GNL depuis les États-Unis en 2023, avec pour objectif serait d'atteindre les plus de 15 millions d'ici 2030, selon Le Monde. La multinationale a investi dans deux terminaux d'exportation, Cameron LNG et Rio Grande LNG.

Le groupe Sanofi lui aussi a misé gros sur les États-Unis. En raison du prix élevé des médicaments, près de la moitié du chiffre d'affaires du groupe pharmaceutique est réalisée dans ce pays, bien qu'il n'y ait produit jusqu'ici que 25 % de ses médicaments. En favorisant la relocalisation des laboratoires européens sur son territoire, Trump espère permettre aux Américains d'accéder à des médicaments aux prix moins coûteux. En mai, Sanofi a annoncé investir 20 milliards de dollars d'ici 2030 dans la recherche et le développement et dans l'augmentation de ses capacités de production outre-Atlantique. Par comparaison, la France sera la bénéficiaire d'un investissement d'un milliard, annoncé l'année précédente, dans des « grands projets industriels pour créer de nouvelles capacités de bioproduction » dans le Rhône, la Seine-Maritime et le Val-de-Marne.

L'annonce des investissements américains de Sanofi lui a valu de fortes critiques de la part de la CGT, qui accuse l'entreprise de tourner le dos à la France. C'est « une délocalisation massive de la recherche » a déploré le syndicat. Peu avant l'annonce de Sanofi, le ministre de l'économie Éric Lombard avait déclaré : « Il est clair que si une grande entreprise française acceptait d'ouvrir une usine aux États-Unis, ce serait donner un point aux Américains. » Il ne semble pas avoir été beaucoup écouté.

Stratégies opposées pour les géants du luxe

En réalité, l'importance du marché américain est très variable pour les différents groupes tricolores. Certains champions industriels – Renault ou les groupes de BTP par exemple – ne sont quasiment pas présents aux États-Unis. La réponse apportée aux mesures prises par l'administration américaine n'est pas non plus la même selon les groupes concernés.

Dans le secteur du luxe, par exemple, LVMH est depuis longtemps bien ancré dans le marché américain, et a commencé à développer ses capacités de production outre-Atlantique bien avant les oukases de Trump, avec l'ouverture d'une usine à Dallas. Anticipant l'entrée en vigueur des droits de douane, Bernard Arnault a annoncé en mai dernier, lors de son assemblée générale annuelle, augmenter les prix des produits haut de gamme de 2 à 3% par an, mais être dans l'incapacité d'étendre cette mesure aux produits de beauté moins chers ou au cognac. Les bénéfices du premier semestre de LVMH avaient déjà commencé à baisser de 22% aux États-Unis, qui représente un quart des ventes du groupe.

De même, une grande partie de la production de l'Oréal se fait aux États-Unis. L'entreprise de cosmétiques a aussi déclaré en avril au moment de son assemblée générale penser à stocker certains produits et envisager une augmentation des prix pour incorporer l'impact des droits de douane. Par contraste, le groupe Kering, qui regroupe notamment Gucci, Yves Saint Laurent, Cartier ou encore Alexander McQueen, a refusé la perspective d'une délocalisation aux États-Unis, contrairement à son concurrent. En mai, face aux sénateurs de la commission d'enquête sur l'utilisation des aides publiques aux grandes entreprises, François-Henri Pinault, patron du groupe, a ainsi expliqué : « Cela n'aurait pas de sens pour moi d'avoir des sacs Gucci italiens fabriqués au Texas. Cela n'a pas de sens pour mes clients. » Son groupe avait annoncé un ajustement de ses prix, qui sera très probablement suivi d'un autre en automne, la directrice financière de Kering parlait aussi d'un impact des droits de douane « tout à fait gérable » suite aux négociations de juillet.

Industrie : les gagnants et les perdants

Du côté de l'industrie aussi, les situations divergent. Si TotalEnergies entend profiter du boom du commerce du GNL, les tarifs douaniers pourraient ainsi impacter négativement ses autres activités. Un responsable de l'entreprise interrogé par Reuters en septembre prédisait une baisse de 15 % du commerce mondial des produits pétrochimiques. Le PDG Patrick Pouyanné a rappelé que son groupe, suite à son désengagement forcé de Russie où il avait fortement investi, a diversifié ses sources d'approvisionnement en gaz, notamment aux États-Unis, mais en refusant de tomber dans une totale dépendance.

Le groupe Stellantis (issue de la fusion de PSA et Fiat), très présent outre-Atlantique où il a récupéré les usines Chrysler, accuse davantage le coup. Les mesures de l'administration Trump visant à augmenter l'emploi et la production aux États-Unis, en particulier les tarifs douaniers érigés à la frontière du Canada et du Mexique pour les exportations automobiles, mettent à mal la chaîne de productive mise en place par le groupe, qui prévoit un potentiel impact de 1,5 milliard d'euros en 2025. Stellantis a aussi prévu de relancer la production de certains modèles aux États-Unis mêmes.

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Mieux loti, le groupe Saint-Gobain affirme sur son site être « protégé de l'impact des droits de douane grâce à son modèle économique fortement localisé » et sa stratégie de décentralisation. L'entreprise a d'ailleurs décidé, en début d'année, investir 40 millions de dollars aux États-Unis dans la construction d'une nouvelle usine, la direction précisant que cette initiative n'était en rien influencée par la politique fiscale de Trump. L'année dernière, Saint-Gobain a fait l'acquisition aux États-Unis d'International Cellulose Corporation, spécialisé dans l'isolation technique, pour « consolider la position de leader ». En tout, il y a plus 160 sites Saint-Gobain en Amérique du Nord.

Le secteur de l'aéronautique s'en sort encore mieux puisqu'il est totalement épargné par les droits de douane. Avant l'accord de Turnberry, le patron d'Airbus Guillaume Faury avait annoncé qu'il pourrait envisager de livrer à d'autres clients s'il devenait difficile de le faire aux États-Unis, et appelé l'Europe à imposer des tarifs sur les avions Boeing en guise de rétorsion si des droits de douane étaient imposés.

Des critiques surtout adressées à l'Europe et à la France

Préoccupés de maintenir leurs activités outre-Atlantique, les patrons des grands groupes français se sont globalement abstenus de critiquer l'administration américaine. Ils ont réservé leurs foudres pour l'Union européenne et la France. Le patron de L'Oréal Nicolas Hieronomius a ainsi exprimé son appréhension face à l'entrée en vigueur des droits douaniers, pas une « bonne nouvelle » selon lui, mais a surtout déploré l'impuissance d'une Europe qui, avec ses « presque 500 millions de consommateurs », devra payer des frais de douane plus élevés que le Royaume-Uni. Son groupe s'est placé à la tête de Value of Beauty, un collectif de quinze grandes entreprises du monde de la beauté, pour faire pression sur l'Union européenne pour protéger le secteur des cosmétiques face aux répercussions de ce nouvel ordre commercial. Hieronimus a déclaré espérer que les droits de douane soit un déclencheur pour les industries européennes afin de se réinventer sur le long terme, tout en épinglant au passage l'excès des réglementations européennes.

C'est un refrain qui aura été repris par beaucoup de patrons. Se sentant prises au piège face à la politique commerciale de Trump, beaucoup de multinationales du vieux continent ont plaidé pour moins de contraintes de ce côté de l'Atlantique. Ce printemps, Bernard Arnault s'en est pris violemment à l'Union européenne dirigée selon lui par des « bureaucrates » aux décisions contraignantes pour les industries et déplorait la grande dépendance à Bruxelles. Il prévenait que l'instauration de droits de douane mènerait les entreprises européennes à se tourner, malgré elles, vers le continent américain. Et appelait de ses vœux l'instauration d'une zone de libre-échange entre l'Europe et les États-Unis. Une perspective partagée par Patrick Pouyanné en ce qui concerne le gaz naturel liquéfié. Il y a dix ans, les négociations sur le projet de traité de libre-échange transatlantique TAFTA étaient gelées, du fait de l'opposition suscitée par les dérégulations massives qui étaient alors envisagées. La politique protectionniste voulue par Donald Trump aura-t-elle pour résultat paradoxal de rouvrir le dossier ?

02.10.2025 à 17:41

Extrême Tech

L'Observatoire des multinationales lance « Extrême Tech », une série d'enquêtes sur l'influence des droites dures dans le secteur français de la tech.

- Extrême Tech
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L'Observatoire des multinationales lance « Extrême Tech », une nouvelle série d'enquêtes sur l'influence des droites dures (libertariennes, intégristes, suprémacistes, technofascistes) dans le secteur français de la tech.

L'extrême droite fait plus que jamais les yeux doux au monde de la French Tech, où les poncifs anti-impôts et anti-régulation sont largement repris... On l'a vu encore récemment à propos de la taxe Zucman.

D'autres tendances de fond poussent la French Tech vers la droite : l'influence des États-Unis, où les dirigeants de la Silicon Valley ont fait alliance avec Trump et la droite réactionnaire, mais aussi les origines sociales très favorisées de beaucoup des « startuppers » et investisseurs du secteur.

Dans le premier volet, nous nous intéressons au petit monde des startuppers et des capital-risqueurs, à commencer par l'un des plus visibles d'entre eux : Pierre-Édouard Stérin. Au contraire de ce que l'on observe dans d'autres domaines, où toute forme d'association avec le milliardaire d'extrême droite commence à devenir toxique, le milieu de la « French Tech » continue sa politique de l'autruche.

Bien évidemment, cela ne peut pas dire que tout le secteur de la tech est converti à la droite extrême. Loin de là. Mais il n'est plus possible de laisser le sujet sous le tapis.

C'est pourquoi nous lançons dans le même temps un appel à témoignages : si vous travaillez dans le secteur de la tech et avez des histoires à raconter ou des informations à partager sur l'influence de l'extrême droite dans le milieu, contactez-nous !

Deuxième volet à paraître : les cryptomonnaies.

02.10.2025 à 11:51

Quand les anciens d'Otium affichent leurs affinités libertariennes

Clément Le Foll

Les affinités de Pierre-Édouard Stérin avec la droite extrême ne sont pas une exception dans le milieu de la tech et du capital-risque français. Exemple avec Pierre Entremont, du fonds Frst.
Au-delà de la réussite financière de son propre fonds, Pierre-Édouard Stérin a également développé Otium grâce à des personnes aujourd'hui devenues elles aussi des entrepreneurs à succès. C'est le cas de Philippe de Chanville et Christian Raisson, qui ont depuis leur départ du navire Stérin co-fondés (…)

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Les affinités de Pierre-Édouard Stérin avec la droite extrême ne sont pas une exception dans le milieu de la tech et du capital-risque français. Exemple avec Pierre Entremont, du fonds Frst.

Au-delà de la réussite financière de son propre fonds, Pierre-Édouard Stérin a également développé Otium grâce à des personnes aujourd'hui devenues elles aussi des entrepreneurs à succès. C'est le cas de Philippe de Chanville et Christian Raisson, qui ont depuis leur départ du navire Stérin co-fondés la plateforme de vente en ligne de produits de bricolage ManoMano. Ou encore de Stanislas Niox-Chateau, le cofondateur de Doctolib. Si la majorité d'entre eux restent discrets sur leurs opinions politiques, certains ne cachent pas leurs proximités avec les idées réactionnaires.

À la tête du véhicule d'investissement de Stérin Otium Ventures jusqu'en 2019, Pierre Entremont l'a quitté pour monter Frst, un fonds d'investissement à la stratégie plus agressive, présent lui aussi au capital de Payfit et Owkin, mais également d'autres licornes comme Pigment et Poolside. Sur le réseau Linkedin, Pierre Entremont affiche publiquement sa fascination pour les « tech bros » américains, republiant notamment le discours masculiniste de Marc Zuckerberg tenu au micro du podcast de Joe Rogan. Il relaye également les déclarations de Musk selon lesquelles le parti d'extrême-droite allemand l'AfD n'est pas extrémiste, affiche son admiration pour le président argentin Javier Milei ou pour Donald Trump, et voue surtout une fascination au patron de Tesla Elon Musk, critiquant les réglementations européennes comme le RGPD et l'IA Act.

Une vision qu'il partage avec son mentor Pierre-Édouard Stérin, fervent admirateur de l'investisseur libertarien Peter Thiel, fondateur de Paypal. Pierre Entremont rêve comme aux États-Unis d'un État repris en main par des entrepreneurs. En janvier, Frst a publié en partenariat avec Harris Interactive un « Elonscore », baromètre de l'image qu'ont les citoyens européens d'Elon Musk.

Quelques semaines plus tard, il publiait - toujours en partenariat avec Harris Interactive - un nouveau sondage sur la volonté des Français d'avoir un entrepreneur comme Président de la République. Parmi les noms proposés : Xavier Niel, Bernard Arnault, François-Henri Pinault, Vincent Bolloré et Stanislas Niox-Chateau, fondateur de Doctolib et ancien collègue de chez Otium.

Un post commenté ainsi par Pierre-Édouard Stérin : « Génial cette initiative ! Et surtout les chiffres sont bluffants. Il n'y a plus qu'à décider un de ces entrepreneurs de sauter le pas et d'y aller ! »

En réponse à cet article, Pierre Entremont a précisé que « Pierre-Edouard Stérin n'est absolument pas mon mentor et ne l'a jamais été ».

02.10.2025 à 11:51

Face à Pierre-Édouard Stérin, le grand silence de la « French Tech »

Clément Le Foll

Investisseur historique et respecté de la French Tech, Pierre-Édouard Stérin s'affiche aussi en financer de la guerre culturelle et de l'extrême droite. Dans le milieu start-up, le sujet semble tabou.

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Investisseur historique et respecté de la French Tech, Pierre-Édouard Stérin finance via le Fonds du bien commun des associations traditionalistes et réactionnaires et vise désormais, avec le projet Périclès, la victoire électorale de l'extrême droite. Dans le milieu start-up, le sujet reste tabou. De Xavier Niel à Bpifrance, tout le monde continue à faire affaire avec le sulfureux milliardaire comme si de rien n'était. Enquête.

« Une année record pour Otium. » Début 2025, le family office de Pierre-Édouard Stérin ne manque pas de superlatifs lors de la publication de ses résultats annuels : 5000 collaborateurs, 1,6 milliard d'actifs, 800 millions d'euros de chiffres d'affaires consolidés et 255 millions d'euros d'investis dans des sociétés aussi diverses que la chaîne de restauration La Pataterie, l'installateur de panneaux solaire Ensol ou les centres de jeux pour enfants Hapik.

Une fierté pour le milliardaire ultraconservateur, exilé fiscal qui contrôle son empire économique depuis la Belgique. Si ce fervent catholique a fait fortune en créant la société de coffrets cadeau Smartbox, c'est dans la tech qu'il s'est forgé une solide réputation, en investissant dans des start-ups comme Payfit ou Owkin, aujourd'hui valorisées à plus d'un milliard d'euros. Ces engagements valent à Pierre-Édouard Stérin d'être régulièrement sur le podium des classements des « business angels » français. Fin mars, le magazine Challenges le classe en tête devant Xavier Niel et le cofondateur de Veepee Michael Benabou, avec 348 millions d'euros d'investissements.

En 2024, "L'Humanité" révélait l'existence du projet Périclès, document rédigé à la manière d'un « business plan » de start-up pour financer la victoire électorale de la droite extrême.

Sauf que Pierre-Édouard Stérin n'a rien d'un homme d'affaires comme les autres. En 2024, L'Humanité révélait l'existence du projet Périclès, document rédigé à la manière d'un « business plan » de start-up, où le milliardaire explique vouloir financer à hauteur de plusieurs dizaines de millions d'euros des médias, associations ou think tanks pour préparer la victoire électorale de la droite extrême. Depuis, les projecteurs médiatiques sont braqués sur le milliardaire et sur les financements qu'il distribue depuis des années via le Fonds du bien commun, une entité étroitement imbriquée dans le labyrinthe de sociétés qu'il contrôle (lire notre article). Celui-ci a par exemple soutenu l'association Réseau de parents, qui diffuse des idées transphobes et sexistes, l'application Chants de France, cofondée par un ancien membre du groupuscule violent Groupe union défense (GUD) ou promu lors d'une soirée l'association la Maison de Marthe et Marie, réputée proche des milieux anti-avortement.

La proximité d'Otium avec l'extrême droite ne concerne pas seulement Pierre-Édouard Stérin, puisque son bras droit François Durvye, directeur opérationnel du fonds à Paris, s'affiche désormais publiquement comme le conseiller de Marine Le Pen sur les questions économiques. Selon plusieurs médias, il s'apprêterait à quitter Otium pour se présenter aux prochaines élections législatives sous la bannière du Rassemblement national.

Un silence qui en dit long

La révélation du projet Périclès et du soutien actif de Stérin et Durvye à l'extrême droite n'a engendré à l'époque que peu de réactions dans le monde de la tech. Alexandre Boucherot, le patron d'Ulule, a été l'une des rares exceptions : « Otium est en effet "bien plus qu'une simple holding d'investissement". C'est un projet funeste et réactionnaire, d'un cynisme extraordinaire, qui pousse un agenda en réalité aux antipodes des aspirations de l'immense majorité des citoyens », a-t-il déclaré sur le réseau social LinkedIn alors que se profilaient les élections législatives de l'été 2024.

C'est peu dire que l'évocation de Pierre-Édouard Stérin crispe dans le secteur français de la tech.

Durant l'été 2025, la mise en lumière par L'Humanité des liens entre le milliardaire catholique et le label des « Plus belles fêtes de France » a suscité une vague d'indignations. Des dizaines de collectivités se sont immédiatement retirées de l'initiative. Le média Le Crayon, dans lequel Stérin avait investi, a récemment annoncé l'avoir fait sortir de son capital.

Rien de tel dans l'industrie du numérique. Pour cette enquête, nous avons contacté des dizaines de personnalités du secteur français de la tech. C'est peu dire que l'évocation de Pierre-Édouard Stérin crispe. La majorité des personnes interrogées au cours de cette enquête ont refusé de s'exprimer ou ont requis l'anonymat. Un silence qui, en lui-même, en dit long.

Même chez ceux qui lui sont opposés par les idées, comme Hervé [1], responsable des affaires publiques d'une licorne française, le discours se veut rassurant. « Contrairement aux associations dont l'objet peut être dévoyé au profit de certaines idées, c'est plus compliqué de détourner une start-up à des fins politiques », explique-t-il.

Dans le monde de la tech, la majorité préfère ainsi séparer le Stérin politique, financeur de l'extrême droite, du Stérin investisseur, dont les opinions s'effaceraient au profit de l'intérêt financier d'Otium. Ce second Stérin est dépeint en « entrepreneur de génie » par l'un de ses anciens collaborateurs, ou encore en « personnage multifacettes » par l'un des principaux investisseurs français, qui le côtoie depuis une dizaine d'années. « C'est quelqu'un d'hyper intelligent, avec une capacité d'analyse hors normes. J'ai toujours pensé qu'il était d'une droite catholique traditionnelle. La révélation de Périclès montre qu'il a pris une forme de tournant. »

Le site d'Otium Capital, qui sert de guichet unique à l'empire Stérin

« Venture capitalist » à la française

C'est en 2009 que Pierre-Édouard Stérin a lancé Otium (une appellation commerciale qui recule en réalité une myriade de sociétés différentes, comme nous l'avons montré), pour valoriser les profits et la trésorerie très substantiels générés par la Smartbox. Au fil des ans, il est devenu un acteur respecté du capital-risque français. À la manière des « venture capitalists » américains, financiers de la Silicon Valley qui se sont massivement ralliés à Trump lors des dernières élections (lire nos enquêtes), mais à bien plus petite échelle, il soutient les premières années de start-ups qu'il estime prometteuses, en participant à leurs levées de fonds. L'objectif est pécuniaire : que ces start-ups décollent et que Otium puisse revendre ces participations en empochant une juteuse plus-value. En 2016 et en 2019, Otium investit par exemple 4,5 millions d'euros pour acquérir 19 puis 22 % du capital de la plateforme juridique Doctrine, qui vient alors de se lancer. Des participations revendues pour 20,7 millions d'euros en 2023 selon le média L'Informé.

Les parts de Stérin dans Payfit et Owkin, les deux « licornes » de son portefeuille, pourraient représenter à elles seules la bagatelle de 300 millions d'euros.

En quinze ans, Otium a accompagné plus de 110 entreprises dans l'industrie, le loisir, la santé, l'hôtellerie ou l'immobilier. Les sommes investies varient de quelques dizaines de milliers d'euros à plusieurs dizaines de millions d'euros. « Pierre-Édouard Stérin adore qu'on dise qu'il est milliardaire, alors que sa fortune n'est qu'une valorisation de ses investissements », souligne un fin connaisseur du milieu. On ne connaît pas toujours le montant précis des participations de Stérin dans la tech, via Resonance ou d'autres sociétés de son groupe, ces informations étant souvent tenues secrètes. Mais les parts qu'il détient dans Payfit et Owkin, les deux « licornes » de son portefeuille (valorisées à plus d'un milliard de dollars) pourraient représenter à elles seules la bagatelle de 300 millions d'euros.

Depuis 2022, les investissements liés à la tech se font via un fonds baptisé Resonance. Pierre-Édouard Stérin a placé à sa tête une équipe de trentenaires issus de Centrale Supélec ou HEC. Dès les premiers pas, les ambitions sont là : « Faire de Resonance l'un des fonds leaders de la tech en Europe », annonce Maxime Le Dantec, qui pilote le fonds, dans une vidéo de présentation. Doté de 150 millions d'euros, Resonance a depuis investi en moyenne 2,8 millions d'euros dans 14 start-ups, avec un intérêt particulier pour l'intelligence artificielle.

Parmi ses premiers investissements, Tomorro, start-up française qui a créé grâce à l'IA un outil de gestion de contrats, ou Zeliq, un outil d'intelligence artificielle dédié aux commerciaux. De quoi positionner Resonance au cœur de ce milieu en pleine effervescence. Cet été, le fonds a organisé un dîner où étaient conviés certains des visages les plus influents de l'IA française : Romain Huet, directeur de l'expérience développeur chez le géant américain OpenAI, ou encore Charles Gorintin, cofondateur de l'entreprise française d'IA générative Mistral.

« Je n'ai pas la sensation de financer l'extrême droite en ayant Resonance à mon capital. »

Le poids financier d'Otium dans l'écosystème de la tech explique peut-être la réticence des startuppers à évoquer les engagements politiques du milliardaire, d'autant plus que les levées de fonds tendent à se faire plus difficiles ces dernières années. Évoquer ou critiquer publiquement Pierre-Édouard Stérin, c'est prendre le risque de se mettre à dos l'un des principaux business angels français.

Très rares sont donc les entreprises soutenues par Stérin à avoir pris leur distance avec le milliardaire anti-IVG.

Très rares sont donc les entreprises soutenues par Otium à avoir pris leur distance avec le milliardaire anti-IVG. L'une des seules est Rgoods, start-up spécialisée dans le e-commerce responsable pour les associations et les ONG, qui craignait de voir certains de ses clients la déserter. Interrogés par L'Informé en juillet 2024, les dirigeants d'Otium ont répliqué en assurant qu'ils envisageaient depuis des mois de sortir de Rgoods, pas assez profitable à leurs yeux. Où en est-on aujourd'hui ? Contacté par l'Observatoire des multinationales, le fondateur de RGoods n'a pas répondu à notre demande.

Une seule start-up dans laquelle Resonance a investi a accepté d'évoquer la question du projet politique de Pierre-Édouard Stérin, sous couvert d'anonymat. « À l'époque, je savais que Otium était un fonds respecté dans le milieu, nous a expliqué son fondateur. Depuis, ils ont un petit ticket chez nous, mais n'influent pas sur notre boîte : il est indirectement investisseur, n'a aucun droit de vote spécifique… Je n'ai pas la sensation de financer l'extrême droite en ayant Resonance à mon capital. »

« Un fonds respecté dans le milieu »

« Pierre-Édouard Stérin est un investisseur influent, analyse un créateur de start-up français. Dans la tech, il est loin d'avoir une position monopolistique, mais il a co-investi dans beaucoup d'autres fonds. » La « French Tech » est un petit monde, qui fonctionne sur la base de réseaux interpersonnels, et où les levées de fonds associent en général plusieurs capital-risqueurs. De sorte que Otium est en affaire, directement ou indirectement, avec tous les acteurs du milieu, y compris les plus éminents.

La « French Tech » est un petit monde.

Depuis 2020, le fonds de Stérin a par exemple pris une participation minoritaire dans ISAI, l'un des fonds d'investissement les plus connus et influents de la French Tech. Il a été fondé en 2009 par des figures françaises du web, comme le co-créateur de la plateforme Priceminister - aujourd'hui Rakuten - Pierre Kosciusko-Morizet, l'ancien président de Sarenza Stéphane Treppoz ou l'ancien président du MEDEF Geoffroy Roux de Bézieux. Il est aujourd'hui dirigé par Jean-David Chamboredon, ex de Capgemini, ancien co-président du lobby du secteur de la tech, France Digitale. Celui-ci avait été en 2012 un leader du mouvement des « Pigeons » contre la politique fiscale de François Hollande, l'un des premiers moments où le secteur de la tech a commencé à flirter avec certaines thématiques de l'extrême droite.

Sur son site internet, Otium mentionne également également être depuis 2021 au capital de Raise Seed for Good, qui se donne pour objectif de faire émerger des leaders européens de la tech responsable. Ce véhicule d'investissement appartient à Raise, un fonds qui s'affiche comme « éthique », et qui mobilise la crème des élites politico-économiques parisiennes. Il a été fondé en 2018 par Clara Gaymard, ex patronne de General Electric France et femme de l'ancien homme politique français Hervé Gaymard, et Gonzague de Blignières, ancien patron de Barclays Private Equity. Il y a trois ans, Raise a même recruté l'ancien ministre de l'Agriculture Julien Denormandie comme « senior advisor ».

Quels liens entretient le groupe Raise avec Otium et Pierre-Édouard Stérin ? Contactés, ni Gonzague de Blignières ni Clara Gaymard n'ont retourné nos appels. Le service communication de Raise explique que « Otium est un investisseur très minoritaire dans l'un de nos fonds, aux côtés de nombreux autres souscripteurs institutionnels et privés ». Sans donner de chiffres, au nom de la « confidentialité à l'égard de ses investisseurs ».

« Pierre-Édouard a fait beaucoup de bien à la tech »

Le fondateur de Raise Gonzague de Blignières a été avec d'autres entrepreneurs de la tech comme Charles Beigbeder ou Stanislas de Bentzmann l'un des financeurs de la première « Nuit du bien commun ».

Le fondateur du groupe Raise Gonzague de Blignières côtoie pourtant Stérin depuis des années. En 2017, il est, avec d'autres entrepreneurs - comme le partisan de l'union des droites Charles Beigbeder ou Stanislas de Bentzmann, un autre ancien patron du lobby des start-ups CroissancePlus - l'un des financeurs de la première « Nuit du bien commun », l'événement caritatif imaginé par Stérin qui aide depuis plusieurs années des associations proches des réseaux catholiques réactionnaires et des mouvements anti-IVG. Un mécénat que Raise a poursuivi pendant plusieurs années.

Du côté d'ISAI, la participation d'Otium s'est faite par l'entremise de Thierry Vandewalle, alors membre de l'équipe d'investissement d'ISAI. Une personnalité identifiée de la French Tech, régulièrement classée dans le top 30 des business angels français, membre du board de la French Tech Grand Paris et aujourd'hui à la tête du fonds Wind. « Pierre-Édouard a fait beaucoup de bien à la tech. Il a mis pas mal d'argent dans des boîtes quand les gens n'y croyaient pas. Il a pris des risques, estime Thierry Vandewalle, qui explique ne plus avoir de relations avec Stérin depuis plusieurs années. Je connaissais ses opinions politiques, mais dans la tech, j'ai toujours tendance à dire que politique et business ne font pas bon ménage. »

Certains des acteurs que nous avons interrogés pour cette enquête veulent croire que Pierre-Édouard Stérin a pris du recul depuis quelques mois et est moins investi dans le milieu de la tech. Mais les affaires se poursuivent pour Otium. Le family office a participé en novembre dernier à une levée de fonds dans Just, start-up dédiée au e-commerce, à laquelle a également pris part Kima Ventures, le fonds d'investissement du fondateur de Free Xavier Niel. Ce n'est pas le seul co-investissement de ce dernier avec Pierre-Édouard Stérin, puisque les deux milliardaires sont tous deux au capital d'au moins Wejust et Flagcat. Contacté à plusieurs reprises pour cette enquête, Xavier Niel n'a jamais répondu à nos sollicitations.

La banque publique Bpifrance a elle aussi participé à des levées de fonds dans just aux côtés d'Otium.

La banque publique Bpifrance, soutien clé de la French Tech, a elle aussi participé à des levées de fonds dans Just aux côtés d'Otium. « Bpifrance opère, depuis l'origine, dans le cadre de la doctrine d'intervention présentée au Parlement et adoptée par son Conseil d'administration. C'est dans ce cadre que Bpifrance a investi aux côtés d'Otium Capital au capital de quelques start-ups françaises », nous a répondu de son côté la banque publique par courriel.

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« Faire de la politique comme on fait du business »

À première vue, les investissements de Pierre-Édouard Stérin semblent difficile à lier à son projet politique. Otium investit dans des dizaines de projets : immobilier, marques de lingerie, marketplace, alimentation pour chat. Même en ce qui concerne la tech, les solutions et les plateformes développées par les start-ups dans lesquelles investit le fonds Resonance sont surtout destinées aux entreprises et aux DRH, pas aux candidats politiques ou aux croisés de la guerre culturelle.

Il n'y a pas de vraie séparation entre le versant économique et le versant politique des activités de Stérin.

De quoi donner du crédit à l'argument selon lequel il faudrait distinguer Stérin le politique et Stérin l'investisseur ? Pas si évident. Il n'y a pas de vraie séparation fonctionnelle ou financière entre le versant économique et le versant politique de ses activités. Si le projet Périclès a été soigneusement séparé du reste de l'empire de Pierre-Édouard Stérin, ce n'est pas le cas du Fonds pour le bien commun. En juillet 2024, Otium affirmait ainsi dans un communiqué lui avoir redistribué directement (en réalité sous forme de prêts, comme nous l'avons révélé) 30 millions d'euros, établissant un lien direct entre la investissements économiques du milliardaire et sa croisade sociétale.

On ne peut qu'être frappé par la similarité entre le fonctionnement du fonds Resonance et celui du projet Périclès et du Fonds du bien commun. Dans chaque cas, il s'agit de soutenir une multitude d'entreprises ou d'autres entités émergentes en espérant que certaines d'entre eux, au moins, rencontre le succès. Pierre-Édouard Stérin revendique lui-même d'ailleurs sa volonté de « faire de la politique comme on fait du business ».

Un mélange de genres que l'on retrouve dans également aux États-Unis et ailleurs, rappelle le sociologue Théo Bourgeron, avec le phénomène du « philanthro-capitalisme ». « Les fondations comme celle de Bill Gates ou d'autres font peu de dons. Elles passent beaucoup par des investissements, des partenariats, des prêts. Quant à l'usage de la langue des KPI et du « venture capital » pour décrire une entreprise de changement de régime, il est en effet frappant. On le retrouvait déjà dans certains discours d'Elon Musk lors de la campagne électorale américaine. »

Le site du Fonds du bien commun

« Le problème, c'est qu'il est le seul à investir dans le secteur »

Fin 2022, le Fonds du bien commun s'est d'ailleurs doté de son propre « start-up studio », qui a soutenu des projets comme le pensionnat catholique de l'Académie de Saint-Louis ou encore Cités immersives, destiné à faire découvrir des lieux de l'histoire de France et de son patrimoine.

Depuis quelques mois, Otium multiplie ainsi les investissements dans les expériences « immersives » la réalité virtuelle.

Depuis quelques mois, Otium multiplie les investissements dans ce dernier secteur. En 2023, Frederic Lecompte, fondateur de French Immersive Studios déclare avoir été approché par le Fonds du bien commun pour développer une expérience immersive autour de Napoléon. Un projet qu'il a refusé. Aujourd'hui, il s'inquiète des visées de Stérin dans la réalité virtuelle. « Beaucoup de gens disent qu'il faut séparer les idées politiques de Stérin de son business, ce n'est pas mon cas. La réalité virtuelle est un médium très engageant pour le public, qui peut faire passer un message politique, comme par exemple montrer une vision de la France des châteaux et des cathédrales, chère à Stérin. Le problème, c'est qu'il est le seul à investir dans le secteur, il n'y a aucun autre investisseur, qui comprend l'intérêt d'investir dans la culture. »

« Stérin est le plus visible, mais il y en a d'autres »

Est-ce le seul secteur où les convictions politiques et religieuses de Pierre-Édouard Stérin pourraient se mélanger à ses intérêts économiques ? Le milliardaire jure n'agir que par désintéressement et promet depuis des années déjà de léguer l'ensemble de sa fortune. Selon Théo Bourgeron interrogé par L'Humanité, cependant, les choses ne sont pas si simples : « Quand le Rassemblement national prévoit, dans son programme, la création d'un fonds souverain de 500 milliards d'euros pour investir dans les PME, le parti promet de détourner les supports d'épargne des acteurs bancaires traditionnels et de les flécher vers les fonds d'investissement. C'est quand même très intéressant pour Stérin dont c'est le business ! »

Une partie de la tech française pourrait-elle être tentée de suivre l'exemple américain ?

Pour le sociologue, l'acceptation tacite par le milieu de la French Tech d'une personnage comme Pierre-Édouard Stérin n'a rien d'étonnant. « Ces liens sont anciens. Stérin est le plus visible, mais il y en a d'autres. Il ne faut pas oublier Charles Beigbeder, qui a été président de CroissancePlus [et aujourd'hui à la tête du fonds Quantonation, NdE]. »

Une partie du secteur, si elle ne partage pas forcément les convictions chrétiennes radicales du milliardaire ni sa crainte de l'immigration, n'est peut-être pas aussi éloignée de ses positions sur l'impôt ou l'administration. Récemment encore, quelques startuppers de renom s'en sont pris violemment à la taxe Zucman.

On s'est étonné de découvrir les accointances des leaders de la tech aux États-Unis avec le trumpisme, derrière leur façade progressiste. Issus pour une large part des couches supérieures de la société, courtisés par la frange libertarienne de l'extrême droite française, une partie de la tech française pourrait-elle être tentée de suivre l'exemple américain ?


[1] Le nom a été changé.

30.09.2025 à 07:00

« Notre chiffrage de 211 milliards d'euros d'aides publiques est déjà largement repris dans les mobilisations et au sein même des entreprises »

De la commission d'enquête sénatoriale sur les aides publiques aux entreprises qui a rendu son rapport cet été, on a beaucoup retenu le chiffrage de 211 milliards d'euros par an. Mais elle a aussi abouti sur des propositions plutôt ambitieuses, approuvées à l'unanimité par les sénateurs, et commencé à faire bouger quelques lignes sur un sujet traditionnellement verrouillé aussi bien par l'exécutif que par le patronat. Comment faire en sorte maintenant que la fenêtre ainsi ouverte ne se (…)

- Entretiens / , , , ,
Texte intégral (3613 mots)

De la commission d'enquête sénatoriale sur les aides publiques aux entreprises qui a rendu son rapport cet été, on a beaucoup retenu le chiffrage de 211 milliards d'euros par an. Mais elle a aussi abouti sur des propositions plutôt ambitieuses, approuvées à l'unanimité par les sénateurs, et commencé à faire bouger quelques lignes sur un sujet traditionnellement verrouillé aussi bien par l'exécutif que par le patronat. Comment faire en sorte maintenant que la fenêtre ainsi ouverte ne se referme pas ? Entretien avec Fabien Gay, rapporteur de cette commission et par ailleurs directeur de L'Humanité.

Quel a été le point de départ de cette commission d'enquête ?

Au Parlement, chaque groupe politique a un droit de tirage annuel pour initier une mission d'information sur un thème. Au sein du groupe communiste, nous essayons toujours d'être utile au mouvement social et de contribuer au débat d'idées. Il y a eu la commission d'enquête d'Eliane Assassi sur les cabinets de conseil, celle de Laurence Cohen sur les pénuries de médicaments... Après huit ans au Parlement, je voulais en lancer une à mon tour. Nous étions en novembre 2024, Michelin et Auchan venaient d'annoncer leurs plans de licenciements. Le scandale a rapidement éclaté : comment de grandes entreprises peuvent verser des dividendes, pratiquer le rachat d'actions, et licencier, tout en touchant des aides publiques ?

Il y avait donc un sujet, mais comment l'aborder ? Je connais bien le grand patronat. En huit ans, la commission des Affaires économiques du Sénat, dans laquelle je siège, a auditionné environ 150 patrons. Je savais que si on partait de la question des licenciements, ils allaient nous parler de la compétition internationale et du marché, et que cela ne donnerait pas grand chose en termes de propositions – sinon interdire les licenciements boursiers, une idée que nous portons depuis longtemps, mais que la droite n'acceptera jamais. La question des aides publiques et de leur utilisation, en revanche, n'a été que très peu étudiée par le Parlement. Le groupe communiste s'était penché il y a quelques années sur le crédit impôt recherche (CIR), mais la droite avait refusé d'adopter le rapport, qui n'avait donc pas été publié (lire Crédit impôt recherche : le Sénat organise l'omertà sur une niche fiscale controversée). Mes camarades étaient d'ailleurs un peu inquiets que cela se reproduise cette fois-ci. Mais, premièrement, le climat social et politique n'est plus celui d'il y a dix ans : les pratiques de certaines entreprises scandalisent bien au-delà de nos rangs. Et deuxièmement, aujourd'hui les auditions sont filmées et publiques. Avec la puissance des réseaux sociaux, il est bien plus compliqué d'enterrer un rapport.

Avec la puissance des réseaux sociaux, il est bien plus compliqué d'enterrer un rapport.

Nous nous sommes donc lancés, mais je voyais la droite inquiète. Je leur ai donc proposé de prendre les choses dans l'ordre, de trouver une définition là où il n'y en avait pas, de chiffrer le montant global des aides, pour ensuite parvenir à des pistes de solutions. Je ne savais pas du tout où nous allions atterrir.

La presse a beaucoup retenu ce chiffrage de 211 milliards d'euros d'aides publiques par an. Pourquoi était-ce important de commencer par se mettre d'accord sur un tel chiffre ?

Parce qu'il n'y avait pas de consensus sur ce sujet. L'Insee nous a parlé d'un montant plancher de 60 milliards d'euros. Le président de la République a sorti le chiffre de 98 milliards d'euros à la télévision pendant une interview. Le ministre de l'Économie et des Finances a évoqué 150 milliards. De notre côté, nous nous sommes appuyés sur les deux rapports les plus solides, celui des économistes du Clersé et celui de France Stratégie de 2020, qui incluent les subventions directes, les aides fiscales déclassées et les exonérations de cotisations patronales. Les chiffres sont très similaires. Le Clersé avait dit 205, France Stratégie 223, et nous sommes arrivés à 211 milliards d'euros.

Il aura fallu un nombre incalculable de courriers et de relances, des données parfois transmises via une clé USB, et le travail de deux data scientists du Sénat pour aboutir à ce chiffre de 211 milliards.

On est face à une véritable jungle de dispositifs et l'État ne tient pas de tableau de bord. Il ne sait pas quel montant va à telle ou telle entreprise, quels volumes bénéficient au public et au privé, quelle est la répartition entre petites, moyennes et grandes entreprises. Le gros du travail que nous avons effectué, qui n'était pas visible, a été de collecter toutes les données dans chaque ministère. Il aura fallu un nombre incalculable de courriers et de relances, des données parfois transmises via une clé USB, et le travail de deux data scientists du Sénat pour aboutir à ce chiffre de 211 milliards. Nous avons exclu les estimations des collectivités territoriales et de l'Union européenne, ainsi que les aides aux personnes (sur la rénovation énergétique par exemple) et aussi – contrairement à ce qu'ont prétendu le Medef et tous les éditocrates – les compensations pour gestion d'entreprises publiques (par exemple l'audiovisuel public ou les retraites de la RATP et de la SNCF), parce que nous voulions un chiffre objectivé et solide. Cela n'a pas empêché François Bayrou de dire que nous mélangions les carottes et les sèche-cheveux.

Il y a aussi eu le 17 juillet [quelques jours à peine après la parution du rapport sénatorial, NdE] un rapport du Commissariat au plan – 22 pages, contre 15000 pages pour le nôtre – qui a proposé un autre chiffrage ne prenant pas en compte les exonérations de cotisations patronales. Nous les avons incluses, puisque l'ensemble des ministres auditionnés ont reconnu qu'il s'agissait bien d'aides publiques, tout comme les patrons, qui nous donnaient à chaque fois les montants pour leur groupe. Au fond, on est passé d'un capitalisme sous perfusion directe, il y a trente ans ou plus, avec des subventions et des crédits d'impôts visibles, à un capitalisme plus insidieux, à base d'exonérations. Moins visible donc, mais avec le même résultat pour l'État et le contribuable.

Pourquoi selon vous cette attitude de déni de la part de l'exécutif ?

Nous avons réussi à ouvrir une fenêtre d'opportunité extraordinaire, à un moment où la gauche est mise sous pression des idées libérales et d'extrême droite. Face à un gouvernement qui nous promet aujourd'hui du sang et des larmes, le gel des dépenses et des prestations, nous avons réussi à mettre sur la table deux questions : celle de la taxe Zucman, c'est-à-dire le fait que les ultra-riches payent moins d'impôts que les autres proportionnellement et donc doivent contribuer plus, et celle de l'argent public qui va aux entreprises sans contreparties, avec peu ou pas de suivi, ce qui justifie qu'elles contribuent aussi à l'effort demandé. Évidemment, ils essaient de refermer cette fenêtre en attaquant la taxe Zucman et en essayant de discréditer ou d'invisibiliser notre travail. Ils vont dire que c'est un « rapport communiste », alors qu'il a été présidé par un sénateur LR et adopté à l'unanimité, avec l'appui des fonctionnaires du Sénat. Mais ils n'y arriveront pas. Notre chiffre de 211 milliards a déjà été repris dans les mobilisations du 10 et du 18 septembre.

Les propositions formulées par votre commission apparaissent globalement beaucoup plus ambitieuses qu'on aurait pu s'y attendre. Au-delà des questions de transparence et de l'évaluation, qui sont assez consensuelles, vous proposez un suivi des aides touchées groupe par groupe, ce qui est traditionnellement un sujet assez sensible. Vous proposez aussi des mécanismes pour lier aides publiques et emploi, et même aides publiques et dividendes versés. Comment avez-vous convaincu la droite de soutenir ces recommandations?

Je faisais moi-même les tableaux à la main. D'abord, cela les a fait rire, mais à la fin de l'audition, ils riaient beaucoup moins.

Tous les membres de la commission ont reconnu que j'ai mené avec mes équipes un travail sérieux et argumenté, qui s'est révélé implacable le moment venu. Ensuite, ce sont les auditions qui ont fait leur effet. Pour l'audition de Carrefour, par exemple, j'ai collecté des chiffres pendant près d'une semaine avec l'aide de syndicalistes, de lanceurs d'alertes, de collègues, en faisant moi-même les tableaux à la main. D'abord, cela les a fait rire, mais à la fin de l'audition, ils riaient beaucoup moins. J'ai rappelé au PDG de Carrefour les chiffres sur les dividendes, les bénéfices, les aides publiques. Il était sous serment et ne pouvait pas les nier. Il a fini par reconnaître que les aides publiques servaient les actionnaires. Idem pour ST Microelectronics, qui a bénéficié de 500 millions d'euros de crédits d'impôt recherche. Quand j'ai demandé au PDG le montant des impôts que l'entreprise payait en France, il m'a dit qu'il ne savait pas. Je lui ai dit : « Je vais vous les donner, moi », et j'ai vu son visage changer. La plupart des années, c'était zéro, avec une seule exception, où ils ont versé moins de 100 000 euros. A l'heure de la désinformation, de la petite phrase, du buzz, j'ai essayé de rester calme, de vérifier. Les patrons n'attendaient qu'une chose, c'était que je perde mon sang-froid.

Je tiens à remercier l'ensemble de mes collègues sénateurs qui ont été très présents et très impliqués tout au long du processus. Beaucoup ont découvert, grâce à ces auditions, des conditions de travail et des niveaux de salaires qui les ont scandalisés. J'ai moi aussi beaucoup appris. C'est ainsi que des idées ont commencé à pointer. Est-ce que c'est au final tout le programme que j'aurais souhaité à titre personnel ? Non. Mais est-ce que nos propositions vont au-delà de ce que j'espérais au début ? Clairement oui. Sur le remboursement de toutes les aides publiques sur deux ans en cas de délocalisation, c'était jusqu'à présent une revendication minoritaire. Aujourd'hui, c'est une recommandation dans un rapport sénatorial voté à l'unanimité. Quant à l'idée fantastique de déduire les aides publiques du montant distribuable par les entreprises sous forme de dividendes, ce n'est évidemment pas ça qui va mettre fin au capitalisme, mais cela changerait un certain nombre de choses dans l'équation. Nous avons aussi acté le principe de suspendre toute aide publique pendant deux ans en cas de condamnation définitive pour travail illégal, non-publication des comptes, atteinte à l'environnement, discrimination systémique. Si au mois de janvier, on m'avait dit qu'on allait adopter un rapport à l'unanimité avec 26 recommandations de ce type, j'aurais signé des deux mains, des deux pieds, de la tête et du menton.

Quelle a été l'attitude des grands patrons lors des auditions ?

Je dois avouer que j'ai été assez étonné de la transparence dont a fait preuve la majorité des patrons que nous avons auditionnés.

Nous avons auditionné 33 PDG, et je dois avouer que j'ai été assez étonné de la transparence dont a fait preuve la très grande majorité d'entre eux. Au début, les représentants de l'administration n'arrêtaient pas d'invoquer le secret des affaires ici, le secret fiscal là. J'étais un peu inquiet. Puis nous avons commencé les auditions de PDG. Florent Ménégaux, le DG de Michelin, a été très transparent et nous avons eu un débat de très bonne tenue. Il a donné le tempo pour les autres. Ensuite, Auchan a été obligé de s'aligner. Patrick Pouyanné, le PDG de TotalEnergies, a lui aussi joué le jeu de la transparence, tout en mettant en avant les impôts qu'il paie... mais pas en France. Puis il y a eu l'audition de Google France : les représentants sont venus les mains dans les poches et se sont fait rabrouer par le président de la commission. Puis celle de Sanofi, où ils ont essayé de noyer le poisson, de prétendre qu'ils n'avaient pas procédé à des licenciements malgré quatre plans de sauvegarde de l'emploi. Ils ont fini par lâcher le fameux chiffre : 1 milliard d'euros de crédit impôt recherche. Tout le monde était stupéfait : vous touchez 1 milliard d'euros, vous licenciez et en plus vous ne trouvez pas de vaccins... Les autres patrons avaient le choix : soit jouer la transparence comme MM. Ménégaux et Pouyanné, soit faire comme Google et Sanofi et risquer de se prendre une vague de critiques sur les réseaux sociaux. La plupart ont choisi la première option. Ils ont donné des chiffres, qui ont commencé à circuler et à marquer les esprits : le milliard d'euros de CIR de Sanofi, les 298 millions d'euros touchés par ArcelorMittal en 2023...

En vérité, beaucoup de patrons n'avaient pas envie de venir. Ils ont cherché des prétextes, nous ont reproché d'être un tribunal populaire, mais cela n'a pas pris. Puis Patrick Martin, du Medef, est arrivé à son audition avec ses éléments de langage selon lesquels les aides sont des compensations du haut niveau de charges qu'il y aurait en France. Quelques patrons auditionnés ont ensuite repris ces éléments de langage. Mais ils savent aujourd'hui qu'ils ont perdu sur le plan de l'opinion.

Comment jugez-vous la stratégie et les arguments du Medef sur la question des aides publiques aux entreprises ?

Le Medef fait une erreur en verrouillant le débat pour sauvegarder quelques grands groupes au détriment de la majorité des entreprises.

J'ai été invité pour la première fois de ma vie à l'université d'été du Medef fin août. J'étais la seule personnalité de gauche face à cinq autres personnes, mais j'ai tout de même été applaudi quand j'ai parlé de transparence, de meilleure évaluation, de choc de responsabilisation. Même l'animateur de BFM a été obligé de le signaler. Beaucoup de petits patrons sont venus me remercier ensuite, en m'expliquant qu'ils touchaient peu d'aides dans leur secteur d'activité, l'hôtellerie par exemple, et qu'ils se posaient aussi des questions. Patrick Martin joue son rôle de président du Medef en essayant de porter la discussion sur les impôts et le nombre de fonctionnaires. Mais en réalité, il ne fait que protéger les plus gros, ceux qui payent déjà le moins d'impôts, et pas les petites et moyennes entreprises. Dans notre rapport, nous proposons la création d'un guichet unique pour que chaque entreprise puisse accéder aux aides, quelle que soit sa taille. Il y a d'autres propositions qui vont dans le sens de la défense de l'emploi et des savoir-faire des petites et moyennes entreprises. De mon point de vue, Patrick Martin fait une erreur en verrouillant le débat pour sauvegarder quelques grands groupes au détriment de la majorité des entreprises.

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Quelles suites politiques envisagez-vous désormais ?

Des syndicalistes se saisissent déjà du rapport pour demander davantage de transparence. J'invite d'ailleurs tous les patrons à ne pas attendre que la loi change.

Pour ma part, je vais poursuivre mes échanges avec les patrons. J'ai réécrit à tous les auditionnés et j'ai contacté 40 patrons supplémentaires en leur disant que j'étais à leur disposition. Plusieurs m'ont répondu. On ne va pas être d'accord sur tout, mais c'est ça la démocratie. Je vais continuer à interpeller le gouvernement – quand nous en aurons un. Ensuite, je vais proposer à l'ensemble de mes collègues de co-signer des amendements au moment de l'examen de la loi de finances. Et si cela ne marche pas, nous pourrons déposer une proposition de loi reprenant quelques grands axes de notre rapport – parce que tout ne relève pas du domaine législatif, une partie dépend du domaine réglementaire. Ensuite, c'est une bataille politique et sociale. Des syndicalistes se saisissent déjà du rapport pour demander davantage de transparence. J'invite d'ailleurs tous les patrons à ne pas attendre que la loi change. Rien ne les oblige aujourd'hui à dévoiler le montant des aides publiques que touchent leurs entreprises et à les déduire de leur bénéfice distribuable, mais rien ne l'interdit.

Le sujet du contrôle des aides publiques aux entreprises revient régulièrement à l'agenda politique depuis au moins 2000, où Robert Hue – déjà un communiste – avait fait adopter une loi sur le sujet. Comme cela a été dit auparavant, les rapports ne semblent bien souvent servir qu'à « caler les armoires du Sénat ». Comment comptez-vous faire en sorte que ce soit différent cette fois-ci ?

Le rapport a d'ores et déjà plus que joué son rôle. Tout le monde reconnaîtra qu'il continue à animer le débat public et médiatique. Mais il faut aller plus loin. La loi Hue, qui instaurait une commission nationale et des instances régionales sur la transparence des aides, a été la première abolie lorsque la droite est revenue au pouvoir en 2002. Pour moi, c'est une question de rapport de forces entre le capital et le travail. À certains moments, ça frotte, et il en sort quelque chose. Nous sommes dans un de ces moments-là. Et ça frotte dur. Le capitalisme semble prêt à tout pour continuer à épuiser le vivant et la nature, mais les résistances sont fortes. Les gens ne vivent plus de leur travail, n'arrivent plus à partir en vacances et à payer leurs factures, tandis que le patrimoine des riches explose. Le fil se distend. Ils peuvent raconter leurs histoires sur le coût de notre modèle social et sur la dette, mais tout le monde voit bien qu'on vit de plus en plus mal. On ne peut pas durcir la transparence pour tout le monde, pour les chômeurs, les allocataires du RSA et même maintenant pour les élus, et continuer à laisser partir 211 milliards d'euros par an d'aides publiques sans transparence et sans suivi. Je pense qu'ils seront au moins obligés d'améliorer la transparence et, s'ils réfléchissaient un peu, de rationaliser le système avec un guichet unique. Ils seraient aussi bien inspirés de mettre en place quelques règles en matière de responsabilisation. On ne peut pas tenir des discours de fermeté tous les jours contre les migrants, contre les travailleurs, contre les chômeurs, et laisser une entreprise qui fraude continuer à concourir aux aides publiques. Après, c'est l'histoire. Quand une idée s'empare des masses... Ils sont en train de mettre tous les éditocrates du pays, toute leur puissance médiatique, pour faire disparaître le débat sur les aides publiques et sur la taxe Zucman. Mais ils n'y arriveront pas.

Propos recueillis par Pauline Gensel et Olivier Petitjean le 19 septembre 2025.

29.09.2025 à 11:22

Mise à jour de Windows : le pouvoir exorbitant de Microsoft

L'annonce unilatérale par Microsoft de la fin de la mise à jour de Windows 10 à partir du 15 octobre ne cesse de créer des vagues. Selon les chiffres avancés par L'Humanité, presque la moitié des 1,4 milliard d'ordinateurs dans le monde tournant sous Windows utilisent encore cette version du système d'exploitation de Microsoft. 400 millions d'entre eux seraient même incompatibles avec Windows 11 et pourraient donc se trouver inutilisables du jour au lendemain.
L'association HOP (Halte à (…)

- Chiffres / , , , ,
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L'annonce unilatérale par Microsoft de la fin de la mise à jour de Windows 10 à partir du 15 octobre ne cesse de créer des vagues. Selon les chiffres avancés par L'Humanité, presque la moitié des 1,4 milliard d'ordinateurs dans le monde tournant sous Windows utilisent encore cette version du système d'exploitation de Microsoft. 400 millions d'entre eux seraient même incompatibles avec Windows 11 et pourraient donc se trouver inutilisables du jour au lendemain.

L'association HOP (Halte à l'obsolescence programmée) mène la bataille en France depuis plusieurs semaines contre la décision du géant américain qui pourrait générer, selon une ONG américaine, 725 millions de tonnes de déchets électroniques.

Microsoft a de nombreuses raisons de mettre fin à Windows 10 : pousser les consommateurs à s'acheter de nouveaux ordinateurs dotées de puces dernier cri et les encourager à passer à Windows 11, qui collecte beaucoup plus de données servant à entraîner les intelligences artificielles. Puces et IA étant deux domaines dans lesquels Microsoft a beaucoup investi ces dernières années.

L'affaire permet aussi de mesurer le pouvoir exorbitant de Microsoft, deuxième entreprise au monde en termes de capitalisation boursière qui a engrangé en 2024 près de 100 milliards de dollars de profit avec un taux de marge de 35% ! L'entreprise peut décider du jour au lendemain de faire envoyer au rebut des millions d'ordinateurs. Comme le rappelle encore L'Humanité, « en France, 22 % des ordinateurs sont menacés par cette obsolescence logicielle liée à la fin de Windows 10. Cela inclut ceux d'entreprises et d'infrastructures critiques : hôpitaux, écoles, mairies, bibliothèques et associations ». Cela vaut aussi pour la Police nationale. Beaucoup des collectivités et services publics concernés ont choisi de payer les sommes demandées par Microsoft pour ne pas s'exposer à des risques accrus de sécurité faute de mise à jour de leur système d'exploitation.

Face à la fronde, Microsoft a annoncé un répit provisoire pour les clients particuliers (mais non professionnels).

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