24.06.2025 à 06:00
Erella Dunayevsky
Dans les territoires occupés, la violence des colons et de l'armée s'abat quotidiennement sur les habitants. Dans cette lettre que nous publions ici, l'autrice — militante israélienne du Villages Group, une association venant en aide aux villageois palestiniens — témoigne de cette brutalité banale, qui a redoublé d'intensité — et d'impunité —depuis le 7 octobre 2023. Mardi 3 juin 2025. Najah et Abou Saddam, deux personnes âgées, vivent seuls à la périphérie de Susya à quelque distance (…)
- Magazine / Israël, Palestine, Cisjordanie, Témoignage , ColonialismeDans les territoires occupés, la violence des colons et de l'armée s'abat quotidiennement sur les habitants. Dans cette lettre que nous publions ici, l'autrice — militante israélienne du Villages Group, une association venant en aide aux villageois palestiniens — témoigne de cette brutalité banale, qui a redoublé d'intensité — et d'impunité —depuis le 7 octobre 2023.
Mardi 3 juin 2025.
Najah et Abou Saddam, deux personnes âgées, vivent seuls à la périphérie de Susya1 à quelque distance du bourg, là où aucune voix ne se fait entendre. Le mercredi 28 mai 2025, dans la nuit, le couple a été attaqué par des hommes de la colonie israélienne toute proche. Les colons ont brisé des fenêtres et lancé des gaz lacrymogènes dans la pièce où le couple était assis. Lorsque Najah est sortie de la pièce, les agresseurs l'ont frappée aux bras et au dos avec des barres de fer, ils ont détruit une partie du magnifique jardin du couple et sont partis. Najah a été hospitalisée et soignée. Vendredi [30 mai], nous avons rendu visite au couple à leur domicile. Nous avons beaucoup toussé, car l'espace était encore rempli de gaz lacrymogènes. Nous sommes allés dans leur beau jardin.
Abou Saddam nous a dit que les fauteurs du pogrom étaient Shem Tov et sa bande. Shem Tov est le fils du vieux Gadi qui a fondé sa propre ferme familiale tout près de Sussya, au début des années 1980. Au fil des ans, Gadi le colon et sa femme se sont liés d'amitié avec Najah et Abou Saddam. C'est ainsi que Gadi « a permis » à Abou Saddam de faire paître son troupeau sur ses propres terres [celles d'Abou Saddam], aux abords de la ferme de Gadi. Ils ont partagé des repas préparés par Najah, ils se sont entraidés pour l'usage de plantes médicinales lorsque l'un d'eux attrapait les fâcheuses infections hivernales.
Le lendemain de l'attaque, le vieux Gadi, son fils Shem Tov et sa bande se promenaient près du jardin d'Abou Saddam. Abou Saddam et Najah étaient là. Leurs regards se sont croisés. « Nous sommes amis », a rappelé Abou Saddam à Gadi (bien que ce dernier ait mis fin à cette amitié depuis un certain temps). « Nous avons partagé le pain », a poursuivi Abou Saddam. Pour un vrai fermier, manger ensemble crée un lien fort, mais un seul d'entre eux est un vrai fermier. Le silence de Gadi signifiait que les paroles d'Abou Saddam restaient inaudibles. Shem Tov, le fils, témoin de la scène, ne cessait de crier à Abou Saddam et Najah : « Allez-vous-en ! Allez à Yatta ! » [Une ville palestinienne voisine]. Najah nous a confié que cela lui faisait encore plus mal que les coups.
J'ai réussi, tant bien que mal, à calmer ma rage, à contenir la douleur physique de Najah, la toux et la douleur de l'humiliation et de l'avilissement qu'ils subissaient. Je l'ai serrée dans mes bras et je l'ai apaisée avec des paroles réconfortantes. Une douceur régnait entre nous, un rappel que cette terre, devenue si maléfique, peut encore contenir l'amour.
Quelle chance que cela se soit produit ce jour-là : quatre jours plus tôt, j'aurais été incapable de maîtriser la tempête intérieure provoquée par ce que j'ai vu. C'était le lundi 26 mai. Nous avons visité le village Khallet Al-Dabaa. Trois semaines plus tôt, le 5 mai, l'armée avait détruit l'essentiel du village. Nous sommes arrivés dans l'après-midi. Les colons occupaient le village, dévasté, ses habitants refusant de le déserter. Les assaillants ont sorti le vieil Abdallah de sa grotte, celle qu'il avait restaurée, pour y ériger un avant-poste improvisé. Abdallah a convoqué la police et l'armée, il s'est présenté comme le propriétaire légal du terrain, leur montrant des documents officiels. Ils lui ont dit que la grotte et les environs ne lui appartenaient plus, l'ont arrêté et emmené au poste de police de Kiryat Arba2.
Ils l'ont libéré tard dans la soirée et lui ont infligé une amende de 2 000 shekels (497 euros). J'ai surmonté le dégoût qui me nouait déjà l'estomac et j'ai fait de mon mieux pour aider. J'ai discuté avec Jaber, et j'ai pris contact avec un avocat. Yoav et Asaf [deux membres de Villages Group] , qui étaient avec moi, prenaient des photos. J'ai regardé autour de moi et j'ai soudain réalisé que, de toutes parts, des centaines de moutons appartenant au villageois de Khallet Al-Dabaa étaient dispersés par les « jeunes des collines », nourris de la dose quotidienne de haine dispensée par leurs aînés. Les bandes de jeunes affluaient vers le village. C'était la folie. Je me suis figée. Impossible de bouger. Ces adolescents auraient pu être des écoliers de n'importe où, ils auraient pu être des amis de Rian, le fils de Jaber, qui a plus ou moins leur âge. Au lieu de cela, ils affichaient une expression vide et stupide, riant comme s'ils étaient les seigneurs du pays. C'était insupportable. Certains d'entre eux sont venus au point d'eau de Jaber. Ils n'ont pas abreuvé le troupeau, juste versé l'eau en vain, pour signifier qu'ils avaient le contrôle total de la zone.
Les habitants n'ont pas osé les arrêter, et nous non plus. Trop vieux, trop peu nombreux. Yoav et Asaf étaient occupés à filmer, tandis que j'essayais de maîtriser ma nausée face au mal implanté chez ces jeunes — messagers d'un pouvoir impitoyable et sans entraves. Une nausée de ce que je voyais, et surtout un profond dégoût de moi-même, prise en otage, impuissante, les bras paralysés : ils ne pouvaient serrer personne. Il m'était interdit de dispenser des paroles réconfortantes, et comme un tigre en cage je courais dans les moindres impasses de mon cœur.
Je déambule ainsi dans ma maison depuis une semaine. Je n'arrive pas à apaiser mon esprit. Les bombardements dans la bande de Gaza résonnent comme s'ils étaient là, chez moi, ajoutant le péché au crime. Difficile de mener une vie routinière.
Hier [1er juin], alors qu'Ehud [membre de Villages Group] et moi étions en route pour Khallet Al-Dabaa, nous avons appris que l'endroit avait été déclaré zone militaire fermée. Nous avons rencontré Jaber à At-Tuwani, car il allait déposer une plainte au commissariat de Kiryat Arba pour dénoncer le harcèlement des colons dans le village. « La police a expulsé tous les colons du village. Même ceux qui avaient établi un avant-poste dans la grotte d'Abdallah et ses environs. Et les bergers, et les troupeaux. Tout le monde », a-t-il dit. Pour la première fois depuis plusieurs semaines, j'ai vu dans ses yeux une lueur qui m'a rappelé son sourire plein de sagesse. « Si l'interdiction de l'entrée au village est le prix à payer pour que les colons ne soient plus là, je veux bien l'accepter », lui ai-je dit en essayant de sourire. « Ne t'inquiète pas, tu retourneras au village, et eux aussi, mais, pour l'instant, il y a une pause », m'a-t-il répondu avant de poursuivre sa route pour déposer sa plainte.
24.06.2025 à 06:00
Andrea Teti
Le Conseil des affaires étrangères de l'Union européenne (UE) a décidé, le 20 mai 2025, la révision de l'accord d'association avec Israël, qui fait de celui-ci un partenaire privilégié de l'UE. Le service diplomatique de l'UE a présenté lundi 23 juin un rapport accablant, confirmant les accusations contre Israël de plusieurs crimes internationaux. Pour autant, rien ne garantit que cela aboutira à sa suspension. Après près de 20 mois de dévastation sans précédent à Gaza, il est normal — et (…)
- Articles en italien / Israël, Union européenne (UE), Droits humains, Droit international humanitaire, Cour pénale internationale (CPI), Cour internationale de justice (CIJ), Gaza 2023-2025Le Conseil des affaires étrangères de l'Union européenne (UE) a décidé, le 20 mai 2025, la révision de l'accord d'association avec Israël, qui fait de celui-ci un partenaire privilégié de l'UE. Le service diplomatique de l'UE a présenté lundi 23 juin un rapport accablant, confirmant les accusations contre Israël de plusieurs crimes internationaux. Pour autant, rien ne garantit que cela aboutira à sa suspension.
Après près de 20 mois de dévastation sans précédent à Gaza, il est normal — et humain — d'accueillir favorablement le vote de 17 États membres de l'Union européenne1 pour réévaluer l'accord d'association avec Israël2. Toute mesure susceptible de mettre fin à cette destruction désolante, toute action qui reconnaît les droits humains des Palestiniens et qui affirme que le droit international est réellement le même pour tous, ne peut qu'être saluée.
Cependant, les signaux d'alarme retentissaient déjà à la veille du vote. En effet, évaluer l'accord n'est pas — ou ne devrait pas être — une nouveauté. Comme tous les accords d'association avec des pays tiers, celui avec Israël comporte des « conditionnalités », c'est-à-dire des critères qui doivent être évalués chaque année et qui peuvent conduire à un approfondissement de la coopération ou à des reculs. L'article 2 de l'accord avec Israël stipule que les relations bilatérales dépendent du respect des droits humains.
L'UE est donc tenue de procéder à ce type d'évaluation. Ce qui est extraordinaire, ce n'est pas le vote pour une révision de l'accord, mais le fait qu'une telle évaluation sérieuse n'ait jamais été effectuée auparavant. Et que la litanie des violations des droits humains et du droit international, bien avant 2023 — sans parler des 20 derniers mois — n'a jamais déclenché l'application de ces critères.
L'UE n'a, en réalité, jamais eu l'intention réelle de rendre ces « conditionnalités » effectives, puisqu'elle n'a jamais défini clairement les paramètres des évaluations annuelles. Les 17 États signataires et l'Union dans son ensemble ont donc systématiquement fermé les yeux sur des décennies de violations des droits humains en Israël/Palestine — ainsi que dans tous les autres pays avec lesquels l'UE a signé des accords d'association. Et rien n'indique qu'ils soient prêts à changer de cap avec ce vote.
Israël ne bénéficie pas d'un traitement de faveur en ce qui concerne la « souplesse » intrinsèque à la structure des accords d'association ; il en bénéficie, en revanche, en termes de non-application flagrante du droit international et du droit international humanitaire. Au contraire, cette flexibilité — ou ambiguïté — est une caractéristique structurelle de ce type d'accords, qui profite également, par exemple, au régime égyptien. Malgré la répression extrême dont il fait preuve, celui-ci demeure pour l'UE un « partenaire sûr ».
Tout aussi creuses sont les déclarations du gouvernement britannique, qui suspend les négociations commerciales avec Israël — mais pas les échanges commerciaux eux-mêmes — et convoque l'ambassadeur israélien, tout en menant quelques heures plus tard un énième vol de renseignement au-dessus de Gaza, l'un des plus de 500 vols effectués en soutien à Israël depuis octobre 20233. Londres continue également de fournir des armes à Israël. Il en va de même pour le communiqué « ferme » de la France, du Canada et du Royaume-Uni, qui ne s'oppose qu'à une intensification de la dévastation — non à la dévastation elle-même ni aux violations flagrantes du droit humanitaire international commises jusqu'à présent.
En apparente contradiction, la déclaration du premier ministre espagnol Pedro Sánchez selon laquelle son pays « ne fait pas affaire avec un État génocidaire » a été rapidement contredite par la députée Podemos et ancienne ministre Ione Belarra, qui a énuméré plus de 40 contrats toujours en vigueur entre l'État espagnol (ou des entités privées) et l'État israélien, dans les domaines de l'armement et du renseignement. Des accords signés avant et après la déclaration du gouvernement Sánchez, selon laquelle les contrats de fourniture d'armes vers Israël — ainsi que les achats à Israël — seraient suspendus. Une coopération militaire et technologique que poursuivent également l'Allemagne et l'Italie, rendant ainsi ces gouvernements légalement complices des crimes commis par les forces israéliennes.
Le vote du Conseil des affaires étrangères de l'UE, tout comme les prises de position mentionnées ci-dessus, apparaît ainsi comme totalement superficiel, sans conséquences concrètes. L'Allemagne et l'Italie y ont par ailleurs opposé un refus.
Si les gouvernements européens veulent vraiment envoyer un message clair, ils doivent commencer par faire ce à quoi ils sont déjà légalement tenus, à la fois en vertu des dispositions de l'accord et de celles du droit international humanitaire, à savoir :
Ils devraient également soutenir l'application du droit international, à commencer par les procédures devant la Cour internationale de justice et la Cour pénale internationale, y compris l'exécution des mandats d'arrêt émis par cette dernière.
C'est pourquoi il faut tirer la sonnette d'alarme : tous les engagements mentionnés ci-dessus sont des obligations que l'UE est déjà censée respecter, mais qu'elle ignore depuis des décennies. Depuis octobre 2023, ce silence et cette inaction se sont traduits par une interminable litanie de responsabilités légales et morales dans la destruction la plus systématique et dévastatrice d'une population que ce siècle a connue. Reste à savoir si le rapport accablant présenté par la diplomatie européenne devant les États membres et qui accuse notamment Israël de crimes de famine, de torture, d'attaques indiscriminées et d'apartheid contre les Palestiniens conduira enfin à des décisions concrètes.
Traduit de l'italien par Christian Jouret.
1NDLR. Sur les 27 ministres européens des affaires étrangères, 17 ont soutenu la proposition présentée par Kaja Kallas. Il s'agit des ministres de la Belgique, de la Finlande, de la France, de l'Irlande, du Luxembourg, du Portugal, de la Slovénie, de l'Espagne, de la Suède, de l'Autriche, du Danemark, de l'Estonie, de Malte, de la Pologne, de la Roumanie, de la Slovaquie et de la Lettonie. En revanche, la Bulgarie, la Croatie, Chypre, la République tchèque, l'Allemagne, la Grèce, la Hongrie, l'Italie et la Lituanie s'y sont opposées, tandis que la Lettonie s'est abstenue.
2NDLR. Signé en 1995 et entré en vigueur en 2000, cet accord permet le libre-échange dans plusieurs secteurs de biens commerciaux entre l'UE et Israël, notamment industriels et agricoles. Il a été signé par les 15 membres de l'époque : l'Allemagne, l'Autriche, La Belgique, le Danemark, l'Espagne, la Finlande, la France, la Grèce, l'Irlande, l'Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni et la Suède
3Iain Overton, « Britain sent over 500 spy flights to Gaza », Declassified UK, 27 mars 2025.
23.06.2025 à 06:00
Alain Gresh, Sarra Grira
Le dernier round du prétendument inéluctable « choc des civilisations », entre la « civilisation judéo-chrétienne » et le monde islamique, se jouerait avec l'entrée en lice des États-Unis pour soutenir l'attaque israélienne contre l'Iran. Certes, nous explique-t-on, Tel-Aviv dispose également de la bombe atomique et d'un programme nucléaire qui n'a jamais été contrôlé par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Mais, voyez-vous, contrairement à la République islamique, Israël (…)
- Magazine / Iran, Israël, Bande de Gaza, Accord sur le nucléaire iranien (JCPOA) , États-Unis, Gaza 2023-2025, Éditorial, Guerre Israël-Iran 2025Le dernier round du prétendument inéluctable « choc des civilisations », entre la « civilisation judéo-chrétienne » et le monde islamique, se jouerait avec l'entrée en lice des États-Unis pour soutenir l'attaque israélienne contre l'Iran. Certes, nous explique-t-on, Tel-Aviv dispose également de la bombe atomique et d'un programme nucléaire qui n'a jamais été contrôlé par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Mais, voyez-vous, contrairement à la République islamique, Israël est une démocratie, qui plus est occidentale – que l'on excuse le pléonasme. Et ce postulat – qui ne tient même pas compte du fait qu'il s'agit d'un État apartheid où l'inégalité entre les citoyens est inscrite dans les lois fondamentales — suffit pour blanchir Israël de toute violation du droit international. Celui-ci agit en effet au nom de la démocratie et du Bien, et pas au nom d'une idéologie islamiste qui est celle de l'Iran.
Comme le rappelait Bertrand Badie sur le plateau de France 24 le soir du début de l'agression israélienne, « le seul pays qui a utilisé l'arme atomique dans l'histoire, c'était une démocratie ». Preuve, s'il en fallait, que cette forme de gouvernement, toute vertueuse qu'elle soit, n'immunise pas contre la barbarie. Il suffit d'ailleurs d'observer le chaos dans lequel Israël – et par extension les États-Unis et l'Europe – ont plongé la région pour se demander : quels pays représentent véritablement aujourd'hui une menace pour le Proche-Orient, voire pour le reste du monde ? Et qui peut croire que Benyamin Nétanyahou, inculpé par la Cour pénale internationale de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité n'utilisera pas la bombe atomique pour « se défendre » ?
Depuis 20 mois, l'Iran a fait preuve de retenue dans sa réaction aux opérations israéliennes, dans le but d'éviter une guerre régionale, quitte à lâcher un de ses principaux bras armés, le Hezbollah. Même son de cloche en avril 2024, lorsque sa mission diplomatique et consulaire est bombardée par Israël à Damas : Téhéran répond, presque pour sauver les apparences, par l'envoi annoncé de 200 drones et d'une centaine de missiles qui font essentiellement des dégâts matériels, tout en indiquant clairement qu'il veut éviter une guerre totale avec Israël – et donc avec les États-Unis. Avec Washington, et malgré le précédent de 2018 où le même Donald Trump se retire de l'accord de 2015 sur le nucléaire et renforce les sanctions économiques, la République islamique accepte de revenir à la table des négociations et fait montre de bonne volonté pour faire aboutir les discussions. C'est au moment où il est en pourparlers avec Washington et les Européens, qu'il est bombardé, ce qui n'empêche pas les Occidentaux de lui demander de retourner à la table de négociations qu'il n'a jamais quitté. Dont acte. Ironiquement, c'est l'Iran qui souligne la violation par Washington du droit international et de la charte des Nations unies.
À l'heure où, après les tergiversations médiatiques de Donald Trump, les États-Unis s'engagent officiellement dans cette guerre aux côtés d'Israël, un constat s'impose : tous les régimes autoritaires de la région, de Téhéran à Riyad, aspirent à la stabilité et condamnent les massacres et les attaques israéliennes de Gaza jusqu'à l'Iran, en passant par le Liban et la Syrie. Et leur inquiétude grandit face à un Proche-Orient dominé par un Israël sûr de lui et dominateur, qui a perdu tout sens de la mesure. Quant aux démocraties occidentales et à l'Union européenne, elles soutiennent le génocide en cours à Gaza, malgré les déclarations lénifiantes de certains, et refusent de prendre des sanctions contre leur auteur. L'abîme dans lequel Israël plonge la région rend la dissonance de plus en plus aiguë entre les valeurs qu'elles proclament et leurs politiques.
Justifier l'ouverture d'un nouveau front par Israël en invoquant le principe de la guerre préventive, le soutenir militairement (les États-Unis) et politiquement (la France et plus largement l'Union européenne), tout en contribuant à l'invisibilisation du génocide en cours à Gaza et en refusant toute mesure de sanctions contre un État, voilà la vraie barbarie. Elle est le fait non pas du « régime des mollahs » mais des démocraties occidentales.
L'Occident a la mémoire courte. À la veille de la guerre contre l'Irak de 2003, les responsables américains annonçaient que leurs soldats seraient accueillis avec des fleurs et les mêmes intellectuels français qui aujourd'hui soutiennent Donald Trump et Israël, promettaient des lendemains qui chantent en Irak. Résultat, une interminable guerre, la destruction de l'État irakien et des centaines de milliers de victimes.
Comme l'écrivait l'historien des idées Tzvetan Todorov, dénonciateur, il y a 20 ans, des guerres de changement de régime au Proche-Orient au nom du « messianisme du Bien » :
Il est temps de changer notre vision : la « communauté internationale » ne se réduit plus au bloc occidental, l'ère de l'hégémonie universelle d'un seul groupe de pays est révolue. Jouer au gendarme du monde n'est ni possible ni souhaitable ; un équilibre multipolaire, sans être une panacée, ouvre de meilleures perspectives. Une intervention militaire provoque toujours des victimes et d'innombrables autres dégâts. […] Éradiquer le mal de la surface de la terre est un objectif inatteignable, contentons-nous d'être prêts à repousser toute agression. Le génocide chez nos voisins peut justifier une exception à cette règle ; malheureusement, nous ne sommes pas intervenus lors des derniers génocides, au Cambodge et au Rwanda, alors que nous avons invoqué de faux génocides pour justifier nos interventions ailleurs1.
1Tzvetan Todorov, « La démocratie par les armes » in Lire et vivre, Robert Laffont/Versilio, 2018.