03.06.2025 à 05:30
Une vidéo largement diffusée sur WhatsApp montre un motocycliste équipé d'un sac à haute visibilité orange de la plateforme de livraison à domicile Rappi – créée en Colombie en 2015 – se faire agresser par un groupe d'individus. Le livreur résiste et empêche ses assaillants de lui dérober le cube isotherme, qui symbolise désormais la réalité du travail pour des dizaines de milliers de travailleurs informels en Colombie et dans de nombreux autres pays d'Amérique Latine.
Une boîte (…)
Une vidéo largement diffusée sur WhatsApp montre un motocycliste équipé d'un sac à haute visibilité orange de la plateforme de livraison à domicile Rappi – créée en Colombie en 2015 – se faire agresser par un groupe d'individus. Le livreur résiste et empêche ses assaillants de lui dérober le cube isotherme, qui symbolise désormais la réalité du travail pour des dizaines de milliers de travailleurs informels en Colombie et dans de nombreux autres pays d'Amérique Latine.
Une boîte omniprésente, toujours exposée aux éléments, perpétuellement en mouvement, itinérante et sans nationalité, apparemment sans attaches, mais qui renferme l'ultime entrave pour quiconque l'endosse : un algorithme programmé par les plateformes technologiques dont celles-ci se servent pour suivre à la trace leurs coursiers, ainsi que pour gérer la relation de travail qu'elles entretiennent avec les personnes qui en dépendent.
La vidéo a été prise alors que le livreur se trouvait sur le parking de l'un des points de collecte de la plateforme de livraison à domicile à Bogota, en Colombie. La présence de deux policiers à moto qui s'approchent pour le protéger ne suffit pas à dissuader les assaillants. Ceux-ci s'acharnent sur la moto du coursier à coups de bâtons et de casques, le poussent et tentent de le faire tomber, alors même que deux autres policiers arrivent sur les lieux. La scène illustre à bien des égards les tensions et les conflits qui opposent les différentes factions de livreurs syndiqués – pro-entreprise d'un côté et pro-travailleurs de l'autre – alors que le projet de réforme du code du travail du président Gustavo Petro navigue entre deux eaux : son examen en cours au Congrès de la République et l'appel à un référendum populaire pour en empêcher l'éventuelle abrogation.
Depuis l'entrée en fonction du premier gouvernement de gauche de l'histoire du pays en août 2022, les travailleurs et les organisations syndicales ont été sur le pied de guerre pour faire aboutir des revendications syndicales historiques, dont, notamment, une majoration pour travail de nuit à partir de 18 heures, une majoration de 100 % pour le travail du dimanche et des jours fériés, l'élimination de la sous-traitance par le biais de contrats syndicaux et, dans le cas des plateformes, la possibilité pour les travailleurs de négocier leur type de contrat ainsi que la garantie du paiement des cotisations de sécurité sociale.
En accord avec l'esprit et la volonté populaires de faire des réformes du travail une réalité, le Congrès colombien a adopté ces dernières années de nombreuses initiatives visant à réglementer les relations entre les plateformes et les personnes qui travaillent avec et pour elles. Parmi elles, le projet de loi 406 de 2025, qui « réglemente l'embauche de personnes et les cotisations de sécurité sociale sur les plateformes numériques et met en œuvre la prime supplémentaire pour les travailleurs liée à la croissance économique, entre autres dispositions ». Par ailleurs, le projet atteste qu'actuellement plus de 200.000 personnes fournissent des services par le biais de plateformes numériques en Colombie, « sans que leur statut contractuel, leur affiliation, leurs cotisations et leurs contributions au système de sécurité sociale ne soient clairement définis ou réglementés ».
Suite à l'arrivée d'Uber dans le pays en 2013, Laura Vargas, mère et cheffe de famille, a décidé, pour faire face à ses difficultés économiques et d'emploi, de se procurer un véhicule, de s'inscrire sur la plateforme et de se lancer dans le transport de passagers. « Pas grand monde n'est prêt à se lancer dans une activité à haut risque, à cause de l'insécurité et des vols. Je croulais sous les dettes et c'était soit mourir de faim, soit faire quelque chose pour subvenir aux besoins de ma famille », confie-t-elle dans un café du centre de Bogota, à quelques pâtés de maisons du Congrès.
Elle est invitée à une réunion avec des sénateurs chargés de l'examen de la loi 406 et est accompagnée de Jairo Alonso Vaquén, John Alexander Rico et Angélica Ordoñez, avec qui elle a créé, il y a sept ans, l'Association colombienne des conducteurs de plateformes (ACCAPP), un syndicat reconnu par le ministère du Travail et affilié à la Central Unitaria de Trabajadores (CUT). Depuis 2020, l'ACCAPP a mis ses connaissances du secteur au service de diverses initiatives de réforme de la loi travail et emploi soumises à examen au Congrès.
« Les plateformes refusent de nous reconnaître en tant que travailleurs à part entière. Pour elles, nous ne sommes pas des travailleurs, mais des ‘chauffeurs associés'. C'est là une stratégie pour éviter que l'État ne les considère comme des entreprises de transport et qu'elles ne se voient dès lors obligées de reconnaître l'existence d'une relation », explique Alonso Vaquén. « Ces dernières années, nous nous sommes regroupés au sein d'un syndicat pour faire reconnaître que nous sommes subordonnés à une plateforme, à un algorithme, que nous avons des horaires et un salaire », ajoute M. Vargas.
Au siège de la Confédération des travailleurs de Colombie (Confederación de Trabajadores de Colombia, CTC), dans le quartier de Teusaquillo de la capitale colombienne, se tient une réunion préparatoire en vue des célébrations du 1er mai. Yudi Aya y a été invitée en tant que représentante légale du Sindicato Nacional de Trabajadores de Applicaciones (SINATRAPP). Mme Aya explique à Equal Times avant le début de la session de planification :
« En 2022, nous nous sommes officiellement enregistrés en tant que syndicat au ministère du Travail, c'est le seul moyen de lutter pour les droits des travailleurs ». Son organisation représente les livreurs, les conducteurs de personnes, les travailleurs des centres d'appel et les travailleurs domestiques, « parce que la plateforme numérique engendre une subordination pour tous, sans distinction ; la subordination et l'absence de droits et de garanties en matière de travail vaut pour tout le monde », explique-t-elle.
Depuis deux ans, le syndicat des travailleurs des plateformes SINATRAPP, qui compte 1.200 membres et est présent dans 12 villes, tient une table de dialogue et de négociation à Bogota avec la plateforme numérique Rappi. Son cahier de revendications porte principalement sur la reconnaissance de la relation de travail, ainsi que sur la régulation des décisions de l'algorithme, qui pénalise les utilisateurs par des blocages excluant toute possibilité de recours et encourage les classifications par quantité de livraisons, en vertu desquelles les zones les plus sollicitées sont réservées aux nouveaux travailleurs ou à ceux qui ont moins de temps à consacrer à leur travail. La prétendue liberté de travailler à sa convenance est en pratique supprimée par les décisions algorithmiques de la plateforme. Seuls les travailleurs à temps plein ont accès aux commandes les plus rémunératrices.
Lors de la dernière réunion au ministère du Travail, le 10 avril, ils ont claqué la porte. « Ils nous ont tous menés en bateau, pas seulement nous, mais aussi le ministère, il n'y avait pas de représentant légal de Rappi, ils ont usé de manœuvres dilatoires pour retarder les processus auxquels l'organisation syndicale est partie prenante », a déclaré la représentante syndicale.
Depuis l'arrivée en Colombie de ce que l'on appelle désormais le « capitalisme de plateforme » ou les « économies collaboratives » il y a plus d'une décennie, les travailleurs mènent leur combat non seulement dans la rue, au Congrès ou aux tables de négociation mises en place par les syndicats, mais aussi dans le langage : un véritable galimatias sémantique dont les entreprises se servent sous couvert de marketing pour éluder ou repousser leurs responsabilités en matière de travail, et pour justifier et promouvoir leur forme d'intermédiation, tout en s'enrichissant et en se développant par le recrutement et l'exploitation flagrante d'une main-d'œuvre précaire aux quatre coins du monde.
Pourtant, les entreprises technologiques aiment à présenter leurs plateformes comme des outils permettant à tout particulier d'offrir des services et de générer des revenus supplémentaires de manière flexible et à sa convenance, sans horaires ni obligations, selon des conditions générales discrétionnaires acceptées de manière autonome et indépendante par les utilisateurs.
Aussi, se voudraient-elles exemptes de « travailleurs » et de toute « relation de travail », tandis que leur engagement se limiterait à la prestation d'un service et à la génération de profits pour leurs propriétaires. Toutefois, comme le signalent depuis plusieurs années une multitude d'organisations et de professionnels, la réalité est beaucoup plus nuancée et préoccupante. Face à la remise en cause de ce modèle économique et dans le souci de défendre ses intérêts, une nouvelle association a vu le jour il y a cinq ans sous le nom d'Alianza In. Celle-ci représente les plateformes et les entreprises technologiques d'Amérique latine et cherche à influencer les réglementations nationales.
Parmi les avancées, José Daniel López, directeur exécutif du syndicat (critique à l'égard des contraintes réglementaires imposées aux entreprises technologiques), cite l'accord conclu avec le ministère du Travail visant à garantir la sécurité sociale à plus de 120.000 coursiers des plateformes de livraison numérique. Dans le cadre de cet accord, qui doit encore être validé par le Congrès dans le cadre de la réforme du travail, les plateformes s'engagent à prendre en charge 60 % des cotisations d'assurance maladie et de retraite et 100 % des cotisations liées aux risques professionnels. Le texte de la réforme laisse à la discrétion des plateformes l'embauche de travailleurs indépendants ou salariés. « Laisser à l'employeur le pouvoir de décider si nous sommes salariés ou indépendants est un acte inacceptable, nous nous sentons instrumentalisés, avec cette réforme, nous allons à l'encontre de la réalité de notre secteur. Il est essentiel que la réforme n'aboutisse pas à favoriser les employeurs. Ce n'est ni équitable ni concerté, c'est une atteinte et une violation », déclare Yudy Aya du SINATRAPP.
Alianza In encourage ou soutient par ailleurs la création de syndicats enclins à conclure des accords unilatéraux, comme par exemple l'Asociación de Domiciliarios Independientes de Aplicaciones (ASDIAPP). Créé en 2023 et comptant environ 300 membres, ce syndicat s'oppose à la réforme du travail, considérant que la priorité accordée aux contrats à durée indéterminée et la réduction de l'externalisation constituent un frein à la flexibilisation de la main-d'œuvre et augmentent le taux de chômage. Le conflit entre ces deux points de vue opposés conduit parfois à des affrontements de rue, comme le montre la vidéo WhatsApp, à un moment où le débat public bat son plein.
Parallèlement, des syndicats comme SINATRAPP, ACCAPP et UNIMEDP (Unión de Trabajadores de Plataformas), membre de la Confederación General de Trabajadores (CGT), s'opposent aux négociations unilatérales avec les syndicats favorables aux entreprises et aux accords bipartites – impliquant exclusivement les syndicats des plateformes et le gouvernement – où ils dénoncent l'ingérence des syndicats des plateformes au profit des entreprises. « Nous étions inclus dans le texte de la réforme du travail, cependant, en un tour de main, il a été procédé à des modifications et deux mots en ont été retirés. Nous étions des conducteurs de mobilité, or il n'était plus question que de ‘conducteurs de livraison' », explique Laura Vargas, pour illustrer les tactiques employées pour limiter le champ d'application de la législation à certaines catégories de travailleurs. Pour sa part, Anderson Quintero, représentant de la section de Bogota du syndicat SINATRAPP, estime que « ce n'est pas tant la question de savoir si nous sommes légaux ou non, si nous sommes régularisés ou non, qui est la plus préjudiciable, mais plutôt le mécontentement face au manque de participation active du gouvernement. Ce qu'il faut, c'est plus d'attention de la part des politiques ».
Grâce au soutien des organisations internationales et régionales de travailleurs, telles que la Confédération syndicale internationale (CSI) et la Confédération syndicale des travailleuses et des travailleurs des Amériques (CSA), les syndicats locaux ont bénéficié de formations et de conseils sur la manière d'unir leurs forces et de faire pression pour garantir des négociations tripartites (gouvernement, employeurs et travailleurs).
C'est ainsi qu'ils ont créé cette année l'Organisation des travailleurs des plateformes de Colombie (Organización de Trabajadores de Aplicaciones por Colombia, OTAC). Celle-ci a pour mission d'intégrer les revendications de tous les travailleurs de plateformes et de promouvoir une consultation populaire pour sauver la réforme du travail. Elle pose au public une question qui résume leur lutte : « Êtes-vous d'accord avec le fait que les travailleurs des plateformes aient la possibilité de négocier leur type de contrat et qu'ils bénéficient d'une couverture sociale ? ».
« L'OTAC a été créée dans le but d'unir les dirigeants, et d'empêcher la fragmentation, car nous pensons que, non seulement en Colombie, mais aussi au niveau international, nous devons former un bloc solide face à cette situation avec les organisations proches du patronat. Au lieu de s'engager dans un processus d'intégration et de résolution des conflits, celles-ci mènent une guerre contre les travailleurs pour le simple fait d'exiger le respect de leurs droits. Le fait même que nous ayons à les exiger est déjà cruel en soi, car après tout si une règle existe, c'est bien pour être respectée », a déclaré Yudy Aya.
Pour tenter de clarifier ce conflit social, qui illustre l'approfondissement des transformations du travail liées à l'expansion du capitalisme des plateformes, lequel redéfinit à son tour les processus de production et favorise le démantèlement des systèmes de protection sociale et des acquis sociaux, l'OTAC a présenté un cahier de revendications global qui comprend la sécurité sociale sur un pied d'égalité avec les travailleurs ordinaires, la rémunération des heures supplémentaires et des jours fériés, reflétée par une augmentation du tarif horaire ; des primes non liées à des critères de performance ; des prestations sociales égales pour tous, non soumises aux statuts d'une plateforme particulière ; des aides à la formation pour les travailleurs et leurs familles ; et la reconnaissance explicite de leur statut de travailleurs.
En mars 2025, le taux de travail informel en Colombie atteignait des niveaux jamais vus depuis la pandémie de Covid-19. Sur 23,7 millions de travailleurs enregistrés par le département administratif national de statistique (DANE), 57,7 %, soit 13,6 millions, occupaient un emploi informel et ne cotisaient pas à la sécurité sociale. La lutte de l'OTAC et des syndicats de travailleurs des plateformes pour une réforme du travail garantissant leur formalisation vise, en définitive, à mettre fin au travail informel qui caractérise le secteur et à interdire les formes d'emploi qui offrent des revenus minimaux, sans garanties légales, et qui privilégient le profit des entreprises technologiques.
L'euphémisme des « économies collaboratives » tient au fait que l'activité qu'elles promeuvent ne vise pas à la « collaboration » ou au « partage », comme le soulignent les sociologues Francisco José Fernández Trujillo et Javier Gil García dans leur texte Mecanismos y dinámicas del trabajo en las plataformas digitales : los casos de Airbnb y de las plataformas de reparto (mécanismes et dynamiques du travail sur les plateformes numériques : les cas d'Airbnb et des plateformes de livraison), mais qu'elle serait plutôt utilisée « comme une stratégie de marketing pour faciliter l'invisibilisation des nouvelles formes d'exploitation du travail et de concentration de la richesse engendrées par ces mêmes plateformes ».
02.06.2025 à 08:00
Victor Le Boisselier
Pour prendre le pouls de la fréquentation touristique à Palerme, une balade sur la Via Maqueda, artère principale du centre historique, s'impose. Depuis le début du printemps, les arrivées en Sicile ont explosé et Italiens comme étrangers déambulent dans ce qui est devenu un dédale de cafés, de glaciers, de bars et de restaurants. L'affluence est telle que les promeneurs avancent en piétinant, jouent parfois des coudes pour gagner quelques mètres. Un chanteur de rue entonne au loin Sarà (…)
- Actualité / Italie, Emploi, Économie informelle, Droits du travail, Commerce, Politique et économie, Salaires et revenusPour prendre le pouls de la fréquentation touristique à Palerme, une balade sur la Via Maqueda, artère principale du centre historique, s'impose. Depuis le début du printemps, les arrivées en Sicile ont explosé et Italiens comme étrangers déambulent dans ce qui est devenu un dédale de cafés, de glaciers, de bars et de restaurants. L'affluence est telle que les promeneurs avancent en piétinant, jouent parfois des coudes pour gagner quelques mètres. Un chanteur de rue entonne au loin Sarà perché ti amo, un air traditionnel. En anglais, espagnol, allemand ou français, les rabatteurs invitent les passants à s'attabler dans leur restaurant.
Les transformations liées au tourisme dans la capitale sicilienne sont difficiles à ignorer. Depuis dix ans et le classement de son architecture arabo-normande au patrimoine mondial de l'UNESCO, Palerme est devenue une destination de choix. Elle apparaît régulièrement dans les classements de villes à visiter durant l'année. Entre 2014 et 2023, le nombre d'arrivées est passé de 650.000 à 836.000. Celui des nuitées de 1,420 million à 1,885 million. Si la crise sanitaire du Covid-19 l'a freinée temporairement, elle n'a pas stoppé l'évolution. Rien qu'entre 2022 et 2023, les arrivées à Palerme ont augmenté de 15 %.
Pour absorber ce flux, une masse de travailleurs précaires s'emploie donc à accueillir les voyageurs, changer leur literie, nettoyer les cuisines des restaurants, rabattre les clients, débarrasser les tables… Avec ou sans contrat, pour toute la saison ou seulement en extras, ils et elles sont au cœur d'un paradoxe notable : si l'industrie liée au tourisme est devenue le moteur économique de Palerme et de la Sicile, les travailleurs du secteur sont eux cantonnés à un statut des plus précaires.
Pendant près de trois ans, Ginevra [prénom modifié] a enchaîné les boulots dans les appartements de location à courte durée de type Airbnb. En 2022, alors que la saison commence, elle trouve, grâce à des connaissances, quelques extras : « On m'appelait pour des check-in payés 10 euros (11,36 dollars US) , ou pour faire le ménage pour 5 euros ( 5,68 dollars US) de l'heure ». Elle raccroche une fois l'été passé, faute d'heures suffisantes et d'un salaire décent, malgré les désagréments : « Pour un check-in, on te donne rendez-vous à telle heure. Mais si le client arrive avec trois heures de retard, tu attends et tu es payée le même prix ». Alors qu'elle pense quitter la ville faute d'opportunités, elle se voit confier la conciergerie de huit appartements. Cinq jours par semaine, elle est chargée d'échanger avec les clients, de gérer la logistique du ménage, de l'approvisionnement des produits d'entretien ou de première nécessité… Et même de rénover des appartements lorsque cela est nécessaire. Le tout pour 500 euros (568 dollars US) par mois.
« On m'avait vendu un temps partiel, car chaque petite tâche devait prendre peu de temps. Mais je répondais aux messages dès le réveil et pouvais aider des touristes à entrer dans un appartement à une heure du matin. En plus de gérer toutes les urgences ».
Elle finit par démissionner alors qu'elle n'a aucun plan B. Elle rebondit finalement dans un Bed&Breakfast pour servir les petits-déjeuners : « J'ai envoyé énormément de CV, je me suis déplacée, mais les seuls emplois que j'ai trouvés étaient via des connaissances ». Depuis janvier dernier, elle a quitté le secteur pour un poste à distance dans l'évènementiel.
Pendant les trois dernières années au service des voyageurs, elle n'aura jamais eu de contrat, jamais cotisé. Elle observe amèrement : « Avec l'expérience, tu as surtout envie de pouvoir progresser dans l'entreprise. Or tu ne peux pas ».
Dans une région où le taux de chômage dépasse les 30 % chez les jeunes (16,6 % au niveau national), ces derniers sont souvent contraints d'accepter ces conditions de travail ou de quitter l'île. « Aujourd'hui, si tu veux faire autre chose que du tourisme à Palerme, il faut partir », résume le chercheur indépendant en urbanisme Federico Prestileo en grossissant volontairement le trait.
Depuis sept ans, ce Palermitain étudie la « touristification » de sa ville. Au sein de groupes locaux comme internationaux, il participe à un travail de sensibilisation, de réflexion collective et de plaidoyer contre le tourisme de masse. Il recadre le contexte palermitain : « La chose importante à Palerme, contrairement, par exemple, à Barcelone, c'est cette monoculture du tourisme ». Dans la ville, l'industrie a été réduite à peau de chagrin et une nouvelle économie peine à émerger.
Pour le tourisme, elle s'est donc concentrée sur ses atouts : « La ville n'étant pas une station balnéaire, l'offre s'est centrée sur les visites guidées et les monuments historiques. Et donc forcément sur la restauration et la boisson, surtout à l'heure où la street food est devenue virale sur les réseaux sociaux ». Les derniers chiffres publiés par la ConfCommercio, la confédération du commerce, tendent à lui donner raison, du moins pour le centre historique de Palerme. Durant la période 2019-2024, pourtant entrecoupée par la crise sanitaire de 2020-21, le secteur « hôtels-bar-restaurants » a été dopé de 30 % dans cette partie de la ville.
Ibrahima [prénom modifié], d'origine ivoirienne, confirme les propos du chercheur. A Palerme, le trentenaire a connu principalement des expériences dans la restauration. La saison dernière, il était employé légalement pour nettoyer les cuisines d'un restaurant près du port. Avant ça, il travaillait comme commis. Des missions qu'il débute parfois sans contrat, mais qu'il ne poursuit pas s'il n'est pas déclaré après quelques semaines. « Au-delà du fait que le contrat soit nécessaire pour le permis de séjour, travailler au noir n'est pas correct », explique-t-il avant de préciser :
« L'année dernière, je gagnais 50 euros (56.80 dollars US) pour une journée de huit ou neuf heures. Dans les autres boulots, le salaire pouvait être de 30, 35, 40 euros ». Toujours soumis à la temporalité du tourisme, il répète souvent : « L'hiver, c'est chaud, il n'y pas de boulot. »
Combien sont-ils à partager ces conditions ? Dans ce secteur, la grande part de travail informel rend difficile de donner des indicateurs fiables. Selon la fédération hôtelière Federalberghi, il y aurait eu en 2023, selon la saison, entre 14.500 et 22.500 travailleurs dans le tourisme dans la province de Palerme. Mais les travailleurs sans contrat n'apparaissant pas dans cette étude, ce qui rend le tableau incomplet.
Car, sur place, beaucoup le savent : les entraves au droit du travail sont quasiment la norme. En 2024, 92,3% des établissements du secteur de l'hébergement et de la restauration contrôlés par l'inspection du travail en Sicile ont présenté des irrégularités. Mais les moyens humains manquent aussi pour endiguer véritablement le phénomène estime la syndicaliste Alessia Gatto : « À Palerme, les inspecteurs du travail sont trop peu nombreux pour effectuer le travail nécessaire ». Depuis 2020, cette dernière est membre de la CGIL, principal syndicat italien en nombre d'adhérents, et s'occupe notamment des questions liées à l'industrie touristique à Palerme.
Elle explique qu'il y a certes le travail au noir, mais aussi, beaucoup de travail « gris », c'est-à-dire une situation où le contrat existe, mais n'est pas respecté. « L'employé a un contrat à temps partiel, mais travaille 10 heures par jour » illustre-t-elle. Souvent, le statut ne correspond pas à son rang, ce qui diminue son salaire, observe Alessia Gatto : « Un chef de salle va par exemple être embauché comme serveur et donc ne pas avoir le salaire correspondant à sa fonction ». Elle remarque également la multiplication des contrats à la journée : « Dans ces situations, tomber malade signifie courir le risque de ne pas être rappelé ».
Même son de cloche, à l'Unione Sindacale di Base (USB), où la branche sociale du syndicat organise des permanences pour accompagner les travailleurs. Marco Militello, un des représentants de l'organisation, dépeint la situation : « Toutes les personnes que j'ai accompagnées ne sont pas embauchées en règle. Souvent, la quantité de travail effectuée n'est pas reconnue dans son entièreté, les cotisations sont donc moindres. Les jours libres ou non-travaillés ne sont quant à eux même pas payés ».
Pour le syndicaliste, ces contrats au rabais et les faibles salaires entraînent la création de travailleurs pauvres, en particulier les jeunes et les exilés, qui doivent parfois cumuler plusieurs emplois pour boucler les fins de mois. Pour ces derniers, souvent cantonnés à des tâches subalternes, Marco Militello remarque qu'ils touchent parfois des salaires moindres que leurs collègues italiens pour des fonctions équivalentes. Une double peine difficile à dénoncer lorsqu'un contrat de travail est essentiel pour obtenir un permis de séjour.
« Depuis 10 ans, on présente le tourisme comme une ressource, mais pourtant d'une certaine manière, il appauvrit le territoire », prend à contre-pied Federico Prestileo. Le chercheur voit également un autre écueil pour les travailleurs : le secteur qui les emploie entraîne l'augmentation des loyers, les chassant du centre historique où ils travaillent.
Par ailleurs, la réalité économique d'un marché aussi concurrentiel fait que certaines entreprises réduisent leurs marges et les dépenses – dont les salaires qui peuvent être nivelés vers le bas. Les Airbnb gérés à la manière d'hôtels, malgré des prix moindres ou les restaurants, proposant des menus dégustation toujours moins chers, doivent réaliser leurs bénéfices sur d'autres dépenses.
Surtout, il devient de plus en plus difficile – même si pas impossible – de survivre avec un comportement vertueux. Dans un bar-restaurant du centre historique, un couple de gérants anonymes raconte avoir un nombre incalculable d'histoires sur le sujet. Après avoir tenu un établissement ne vivant presque que du tourisme, ils se sont installés dans des rues moins passantes et ne peuvent pas se permettre d'employer. Le gérant-barman résume la situation : « Aujourd'hui, la concurrence n'est pas le problème. Le problème, c'est la concurrence de ceux qui ne sont pas en règle ». L'entrepreneur pointe du doigt le grand nombre d'établissements pour qui les amendes affectent moins leurs profits que de rentrer dans les clous. Même si pour lui, ce sont surtout les taxes appliquées lors de l'embauche d'un travailleur qui rendent difficile le respect des règles. Il développe : « Si pour employer quelqu'un, on doit dépenser près de 2.000 euros (2.250 dollars US) afin de le payer 1.200, on préfère trouver un accord avec lui et payer 1.500 euros (1.688 dollars US) qu'il met directement dans sa poche. Ce raisonnement est d'autant plus vrai quand une structure a beaucoup de salariés ». Certains de ses pairs soulignent quant à eux la difficulté de trouver une main d'œuvre qualifiée, celle-ci ayant préféré émigrer en quête d'un meilleur salaire.
Face à ces constats, les actions syndicales tentent de faire bouger les lignes. La CGIL organise depuis quelques étés l'action nationale « Mettiamo il Turismo SottoSopra » (« Mettons le tourisme sens dessus dessous »), suivie notamment à Palerme, où les syndicalistes déambulent dans les rues afin de sensibiliser les travailleurs à leurs droits. Depuis 2022, l'USB organise la fausse campagne de recrutement « Cercasi schiavi » (« Recrute esclaves »). L'annonce satirique explique recruter des esclaves pour les restaurants, hôtels, bars ou Airbnb en échange de « salaires de misère et d'aucun droit ». Une manière d'alerter sur les conditions de travail des saisonniers.
Les consultations avec les syndicats sont cependant souvent effectuées une fois le rapport de travail avec l'employeur terminé. « Créer un contact, notamment sur leur lieu de travail, est difficile », regrette Alessia Gatto. Du côté de l'USB, les dernières distributions de tracts ont entraîné de nombreuses sollicitations affirme Marco Militello : « Nous avons décidé de réunir d'abord les moyens humains nécessaires à une prise en charge correcte et commencerons prochainement notre travail ».
Les syndicats espèrent « stimuler le courage » comme le dit Marco Militello. D'autant plus que certaines réformes nationales ont abîmé les acquis sociaux ces dernières années selon les deux représentants. L'un cite l'assouplissement du recours aux CDD et à leur renouvellement. L'autre la transformation en début d'année du licenciement pour absences injustifiées à répétition en démission volontaire. Le tout alors que le reddito di cittadinanza, le revenu de solidarité de base, a été supprimé en 2024.
Dans ce contexte, un référendum sur le travail et la citoyenneté est organisé les 8 et 9 juin prochains. Il portera notamment sur l'usage des contrats à durée déterminée et sur l'abrogation d'une norme du Jobs Act, loi sur le travail promue par l'ancien Premier ministre Matteo Renzi en 2014. « La diminution des acquis sociaux débute avec cette réforme ayant facilité les licenciements », clame Alessia Gatto. Dans un marché de l'emploi où les perspectives peuvent être limitées comme celui de Palerme, être licencié est « une tragédie », pointe encore la syndicaliste.
Conscients que le tourisme a permis justement de créer des emplois dans la ville, les syndicalistes et militants demandent un respect plus important du droit du travail et une répartition plus équitable des revenus. « Et surtout qu'ils permettent de créer une autre activité, ici à Palerme », conclut le chercheur Federico Prestileo.
27.05.2025 à 05:00
Jamal Boukhari
En février 2025, la vie de Georges Nasser, 34 ans, originaire d'un village du gouvernorat de Minya, en Haute-Egypte, s'est transformée en cauchemar. Georges et une dizaine d'autres jeunes de son village ont été envoyés en Russie par un intermédiaire, avec une promesse de travailler dans le secteur de la construction, assorti d'un salaire de 3.000 dollars américains (USD) par mois. L'homme, qui était en réalité un trafiquant d'êtres humains, leur avait assuré que le conflit en Ukraine avait (…)
- Actualité / Fédération de Russie , Égypte, Droits humains, Pauvreté, Jeunesse, Armes et conflits armésEn février 2025, la vie de Georges Nasser, 34 ans, originaire d'un village du gouvernorat de Minya, en Haute-Egypte, s'est transformée en cauchemar. Georges et une dizaine d'autres jeunes de son village ont été envoyés en Russie par un intermédiaire, avec une promesse de travailler dans le secteur de la construction, assorti d'un salaire de 3.000 dollars américains (USD) par mois. L'homme, qui était en réalité un trafiquant d'êtres humains, leur avait assuré que le conflit en Ukraine avait créé un besoin urgent de main-d'œuvre dans les usines russes et que le pays avait besoin de travailleurs.
Tout au long de son voyage, le jeune Égyptien a rêvé de ce salaire qui aurait dû changer sa vie et celle de ses deux petites filles. « Ce salaire promis par le trafiquant, on ne peut pas l'espérer en Egypte, même en travaillant pendant un an », relate-t-il à Equal Times.
Toutefois, l'espoir d'une vie meilleure s'est rapidement évanoui pour Georges Nasser et ses compagnons dès leur arrivée, en février 2025, à Moscou. « Nous n'avons trouvé ni usine ni contrat de travail. J'ai payé plus de 2.000 dollars pour ce voyage », témoigne-t-il, avec une désillusion palpable dans sa voix. « On a trouvé en revanche une proposition inattendue : rejoindre les rangs de l'armée russe en échange d'un salaire de 3.000 dollars et de la nationalité russe. Pendant un moment, j'ai hésité à accepter cette offre », confie le jeune homme. « Mais face à la pression de mon épouse et de mes amis, j'ai finalement décidé de rentrer en Égypte ». Démuni, Georges a dû solliciter l'aide de ses proches pour financer son billet de retour.
Au cours des dernières années, la Russie a su séduire de nombreux étudiants arabes aspirant à des études supérieures, notamment dans des domaines prestigieux tels que la médecine et l'ingénierie. En Égypte, ces filières sont hautement sélectives, exigeant des notes supérieures à 95 % au baccalauréat pour l'admission. Face à ces critères rigoureux, de nombreux jeunes Égyptiens rêvant de devenir médecins ou ingénieurs, sans avoir obtenu les mentions requises, se tournent vers des alternatives à l'étranger. La Russie est devenue une destination privilégiée, offrant des coûts de scolarité relativement abordables et des conditions d'admission moins strictes. Des estimations russes de 2023 indiquaient déjà la présence de plus de 32.000 étudiants originaires du Moyen-Orient sur leur territoire, dont environ la moitié sont des Égyptiens.
Mais depuis le début de l'offensive russe en Ukraine, le recrutement de citoyens arabes, en particulier les étudiants inscrits dans les universités russes, a pris une ampleur alarmante. Car, après trois ans de conflit, l'armée de Vladimir Poutine manque de soldats . En janvier 2024, la branche anglophone de la chaîne d'information russe Russia Today (RT) parlait dans un article en terme positif d'un de ces groupes stationné près de Soledar, dans la région de Donetsk. D'après le média russe, il était composé de « soldats du Niger, de l'Égypte, de la Syrie et de la Moldavie », puis affirmant : « Ils ont étudié en Russie et ont tellement aimé le pays qu'ils sont allés le défendre ».
Après être revenu de sa mésaventure et conscient de l'ampleur de cette manipulation, Georges a agi pour mettre en garde d'autres victimes. « Le trafiquant préparait un nouveau groupe de 25 jeunes de mon village pour le voyage. Je les ai informés de cette arnaque pour qu'ils n'aient pas à subir la même désillusion », explique-t-il.
Son plaidoyer a été aidé par la diffusion, au même moment, d'une vidéo qui a provoqué une onde de choc à travers l'Égypte. Le youtubeur ukrainien Dmytro Karpenko filme Mohamed Radwan, un jeune Égyptien originaire du gouvernorat de Louxor, capturé par les forces ukrainiennes alors qu'il combattait aux côtés des troupes russes. Dans la vidéo, le jeune homme, le visage marqué et vêtu d'une tenue de prisonnier, s'entretient par téléphone avec sa mère en Haute-Égypte, suscitant l'effroi de cette dernière face à son apparence. Dans la vidéo, la mère n'arrête pas de répéter en criant : « Pourquoi tu as fait ça ? ».
L'histoire de Mohamed Radwan ressemble à celle de beaucoup d'autres. Arrivé en Russie en 2021, afin de poursuivre des études de médecine, avec l'espoir qu'après ses études, il puisse améliorer la situation économique de sa famille, confrontée à une crise économique toujours plus intense en Égypte.
Car la guerre en Ukraine a des répercussions sur l'économie égyptienne, notamment car elle a fait durement augmenter les coûts de l'énergie et des denrées alimentaires. Ces dernières années, la livre égyptienne a dégringolé, divisant par deux sa valeur face au dollar et à l'euro, alimentant une inflation galopante. Les prix des produits de première nécessité ont triplé, surtout celui du blé que le pays importait en grande partie de ces régions affectées par le conflit. Enfin, si les chiffres officiels sur la pauvreté font défaut, les données de la Banque mondiale de mai 2019 estimaient déjà à environ 60 % la proportion d'Égyptiens vivant dans la pauvreté ou la vulnérabilité.
Très vite, le rêve de Mohamed Radwan se brise et son parcours doit prendre un tournant dramatique lorsqu'il a été arrêté par la police russe pour des accusations liées à un supposé trafic de drogue. Afin d'échapper à une peine de sept ans d'emprisonnement, les autorités russes lui auraient proposé une alternative qu'il ne pouvait refuser : rejoindre les forces armées russes. Selon sa mère, citée par des médias égyptiens, Mohamed aurait été victime d'un « piège russe ».
Des vidéos diffusées par le même youtubeur ukrainien montrant d'autres citoyens égyptiens capturés en Ukraine après avoir servi dans les rangs de l'armée russe. « De nombreux étudiants arabes ont été séduits par les offres alléchantes de l'armée russe », a confié à Equal Times un étudiant en médecine de l'université de Kazan, en Russie. Ce témoin décrit un système de recrutement où les autorités russes alternent entre incitations financières et menaces pour enrôler les jeunes ressortissants étrangers.
« La crise économique en Égypte, conjuguée à l'augmentation du coût de la vie en Russie, a rendu difficile pour de nombreux étudiants de s'acquitter des frais de scolarité et de leurs dépenses. Depuis 2023, la Russie a durci les règles, exigeant le paiement intégral des frais au début de l'année académique (qui étaient avant payables en plusieurs fois au cours de l'année). La police interpelle les étudiants en difficulté financière. Ceux qui ne peuvent pas payer se retrouvent sous la menace d'une arrestation policière et d'une expulsion », explique l'étudiant. « Pour les convaincre, la police leur dit qu'ils seront chargés des postes administratifs », explique l'étudiant.
Toutefois, le travail administratif n'est qu'un mensonge. « Ces jeunes sont envoyés dans un camp d'entraînement sommaire de trois semaines avant d'être déployés au combat. J'ai perdu un ami, tué par une explosion, et un autre a été blessé puis renvoyé au front avant même d'être complètement rétabli », explique le jeune Égyptien. « Je connais des étudiants marocains, syriens et africains qui ont également rejoint les forces russes en croyant à cette offre », précise l'étudiant. Des informations qui sont corroborées par les autorités d'autres pays, comme le Togo, qui ont alerté sur ces filières entre l'Afrique et la Russie.
Les méthodes russes s'exercent aussi en ligne. Moscou déploie une offensive sur les réseaux sociaux. En avril, plusieurs médias révélaient que des Chinois avaient rejoint l'armée russe après avoir été approchés sur TikTok. Sur Telegram, la chaîne Sadiq Rossia (« Ami de la Russie »), cherche elle à convaincre des followers arabophones de rejoindre les forces russes, toujours avec des promesses financières alléchantes.
Comptabilisant plus de 3.700 abonnés, Sadiq Rossia se présente dans la description d'une chaîne qui « soutient l'armée de la Fédération de Russie dans le domaine des opérations militaires spéciales ». Les offres diffusées sur la chaîne sont conçues pour séduire les recrues potentielles : « Une prime à la signature de contrat oscillant entre 8.000 et 30.000 dollars, des congés payés après six mois de service, l'obtention d'un passeport russe sous six mois, et l'intégration à des brigades d'élite ». La chaîne va jusqu'à afficher des numéros de téléphone et l'adresse d'un bureau de recrutement.
Des contenus multimédias viennent appuyer cette campagne. La chaîne publie régulièrement des vidéos et des photographies montrant des individus originaires du Maroc, d'Égypte et d'autres pays arabes, présentés comme ayant signé des contrats avec l'armée russe pour « combattre le nazisme », selon les termes employés par la chaîne. Certaines de ces vidéos mettent en scène des mercenaires qui s'adressent à leurs compatriotes, les encourageant à suivre leur exemple.
« L'idée d'attirer des troupes étrangères est devenue un phénomène général. La Russie ne fait pas exception, il y a aussi des étrangers qui combattent pour l'Ukraine, venant de la Pologne, des États-Unis, et d'autres », explique à Equal Times, Norhane al Cheikh, professeur des relations internationales, à l'université du Caire. Toutefois, elle souligne que les incitations financières et la promesse de la citoyenneté russe constituent des facteurs d'attraction qui ont un plus fort impact quand elles ciblent délibérément les personnes économiquement vulnérables.
Pour contrer cette campagne de recrutement des Égyptiens, le gouvernement du Caire a décidé fin février d'imposer une autorisation sécuritaire préalable à tout voyage de ses citoyens vers la Russie. De plus, le ministère de l'Intérieur a annoncé le retrait de la nationalité égyptienne à tout individu ayant rejoint les forces russes, dont Mohamed Radwan, et autres.
« Il a fallu une intervention rapide de l'État pour vérifier l'identité des voyageurs et pourquoi ils se dirigent vers la Russie », explique Norhane al-Cheikh, mettant en lumière la préoccupation des autorités égyptiennes face à ce flux de potentiels combattants.