Les dernières découvertes, parmi lesquelles un visage de pierre aux lèvres cousues, éclairent les croyances et rituels de l'ère néolithique.
"La multiplication des sculptures humaines témoigne de la sédentarisation des sociétés", explique à l'AFP le Pr Necmi Karul, responsable des fouilles sur le site de Karahantepe, situé à l'est de la ville de Sanliurfa, près de la frontière syrienne.
"À mesure que les communautés se sédentarisaient, les hommes se sont progressivement éloignés de la nature et ont placé la figure humaine et l'expérience humaine au centre de leur univers", souligne l'archéologue en désignant un visage humain sculpté sur un pilier en forme de T.
Ces fouilles s'inscrivent dans le cadre du projet turc "Collines de pierre", une initiative gouvernementale lancée en 2020 sur douze sites de la province de Sanliurfa, que les autorités turques qualifient de "capitale mondiale du néolithique".
Le projet inclut le site de Göbeklitepe ("Colline ventrue" en turc), classé au patrimoine mondial de l'Unesco, qui abrite les plus anciennes structures mégalithiques connues de Haute-Mésopotamie.
"Quantité incroyable d'informations"
A Karahantepe, Lee Clare, de l'Institut archéologique allemand, estime que les récentes découvertes remettent en question certaines idées reçues sur le passage de sociétés de chasseurs-cueilleurs nomades aux premières communautés sédentaires.
Ces cinq dernières années ont permis de recueillir "une quantité incroyable d'informations", se réjouit l'archéologue, qui coordonne le projet "Collines de pierre".
"Chaque habitation sur laquelle nous travaillons nous offre un aperçu de la vie d'une personne (...) Nous pouvons presque la toucher à travers ses ossements, et nous comprenons mieux ses croyances", affirme Lee Clare.
Malgré l'absence de documents écrits -- les vestiges remontent à une période antérieure à la naissance de l'écriture -- les découvertes, mises bout à bout, permettent "de mener des analyses statistiques et d'effectuer des comparaisons pertinentes", souligne le Pr Karul.
Selon lui, les premiers foyers de peuplement ont commencé à apparaître avec la fin de la dernière période glaciaire.
"L'environnement a créé des conditions fertiles, qui ont permis aux populations de subvenir à leurs besoins sans avoir à chasser constamment. Cela a favorisé la croissance démographique et encouragé le développement et l'expansion de groupes sédentaires dans la région", explique-t-il.
"Société hautement organisée"
Avec la sédentarisation apparurent les premières dynamiques sociales, "pente glissante vers le monde moderne", souligne Lee Clare, fin connaisseur de la région depuis 2013: "Dès que les populations ont produit des surplus, certains se sont enrichis, d'autres se sont appauvris".
Et la poursuite des fouilles transformera encore la compréhension du néolithique, affirme Emre Guldogan, archéologue en chef du site voisin de Sefertepe.
"Karahantepe, et le projet plus vaste des +Collines de pierre+, donnent à voir une société hautement organisée, dotée de son propre univers symbolique et de ses propres systèmes de croyances" qui remettent en question les idées reçues sur un monde néolithique "primitif", juge-t-il.
Les communautés d'alors "partageaient des caractéristiques communes, mais ont également développé des différences culturelles marquées", ajoute-t-il.
Ainsi à Karahantepe, le symbolisme humain est omniprésent, tandis qu'à Göbeklitepe l'imagerie animale prédomine, notent les archéologues.
Les récentes découvertes archéologiques ont en outre accru l'intérêt pour cette région de Turquie d'abord connue comme le lieu de vie d'Abraham, figure vénérée dans le judaïsme, le christianisme et l'islam.
"Avant le début des fouilles à Karahantepe et sur les autres sites, la région attirait surtout des groupes de touristes religieux", relève le guide touristique Yakup Bedlek.
"Mais avec la découverte de nouveaux sites archéologiques, la région attire désormais un public touristique plus diversifié", conclut-il.