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25.06.2025 à 06:00

Il était une fois… Gaza avant le 7 octobre

Eva Sauphie

Le nouveau film des frères Nasser, Once Upon a Time in Gaza, nous plonge dans le quotidien de trois Gazaouis en 2007, au moment du blocus de la bande de Gaza imposé par Israël. Le long-métrage, en salles ce mercredi 25 juin, a été présenté à Cannes peu de temps avant la mort de la photojournaliste palestinienne Fatima Hassouna, tuée par un missile israélien et qui était au cœur du film Put Your Soul on Your Hand and Walk de Sepideh Farsi, lui aussi présenté au festival. Le chant des (…)

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Le nouveau film des frères Nasser, Once Upon a Time in Gaza, nous plonge dans le quotidien de trois Gazaouis en 2007, au moment du blocus de la bande de Gaza imposé par Israël. Le long-métrage, en salles ce mercredi 25 juin, a été présenté à Cannes peu de temps avant la mort de la photojournaliste palestinienne Fatima Hassouna, tuée par un missile israélien et qui était au cœur du film Put Your Soul on Your Hand and Walk de Sepideh Farsi, lui aussi présenté au festival.

Le chant des oiseaux et le son des vagues habillent le générique d'ouverture. Puis une voix familière se fait entendre, celle de Donald Trump. « Le potentiel de la bande de Gaza est incroyable. On a l'opportunité d'en faire quelque chose de phénoménal. »

C'est avec cette énième sortie du président étatsunien qui annonçait, en février 2025, vouloir transformer l'enclave palestinienne en station balnéaire que commence le film des frères Nasser. Leur troisième long-métrage Once Upon a Time in Gaza Il était une fois à Gaza ») a été tourné bien avant cette déclaration. Mais Arab et Tarzan Nasser1 en ont ajouté des bribes en toute fin de montage pour rendre compte de l'absurdité et du mépris jusqu'au-boutiste dont témoigne Trump à l'égard des Palestiniens. Et du silence de la « communauté internationale ». Arab Nasser, que nous rencontrons à quelques heures de l'avant-première parisienne, fustige :

Après plus d'un an de souffrance, d'humiliation et d'enfermement, Trump est arrivé au moment le plus douloureux pour les Palestiniens, celui du génocide, pour nous dire de quitter notre terre, et nous suggérer une relocalisation en Indonésie. C'est le plus grand cri de racisme et de violence jamais perpétré à l'encontre des Palestiniens. On en entend des absurdités depuis des années, mais je crois que Trump est le plus créatif.

Derrière le sarcasme du cinéaste se cache l'épuisement. Épuisement devant l'immobilisme généralisé face à la situation des Gazaouis — près de 56 000 personnes tuées par les bombardements israéliens depuis le 7 octobre 2023, sans compter les corps toujours ensevelis sous les décombres. Mais l'histoire que dépeignent les jumeaux gazaouis, qui prennent toujours Gaza comme cadre pour leurs films, n'est pas celle du 7 octobre, même si elle permet d'en comprendre l'avènement. Once Upon a Time in Gaza brosse avant tout le portrait d'une population qui ne compte pas capituler.

Une prison à ciel ouvert… avant la peine de mort

Nous sommes en 2007, au moment de la prise de pouvoir du Hamas et du blocus de la bande de Gaza imposé par Israël. Yahya est un étudiant un peu paumé et Oussama est dealer. Ensemble, ils se lancent dans un trafic de médicaments en falsifiant des ordonnances. Du bricolage, en somme, pour vivre et survivre dans cette bande de terre où s'achève la construction par Israël d'un mur de 60 km, qui finit de mettre les Gazaouis dans un état d'enfermement physique et psychologique. Aux côtés du duo, un troisième personnage : Abou Sami. Ce policier corrompu exerce son petit pouvoir en intimidant Oussama, jusqu'à commettre l'irréparable. Quant à Yahya, il se voit recruté par le gouvernement pour jouer le héros martyr d'un film d'action.

J'ai choisi cette date plus ou moins officielle, car elle correspond au moment où les Israéliens ont déclaré Gaza comme zone ennemie. Ce mur n'est que le miroir d'un apartheid violent. À partir de 2007, deux millions de personnes, deux millions de rêves, deux millions d'idées ont été officiellement mis dans une prison à ciel ouvert. C'est comme si on avait dit aux Gazaouis d'attendre leur jugement avant la peine de mort. Et voilà, maintenant : la peine de mort.

C'est aussi en réponse à l'amnésie générale que le duo a choisi cette année-là : « On a l'impression que les gens ont oublié ce qu'il se passait à Gaza avant le 7 octobre, qu'il y avait un siège israélien. » « Il était une fois à Gaza » n'est pas un titre en forme de conte. Il a été choisi pour rappeler que, fut un temps, il y avait des gens qui essayaient de s'en sortir sur le territoire.

Bande-annonce de Once upon a time in Gaza, des frères Tarzan et Arab Nasser

Les trois protagonistes, écrits à l'image du western spaghetti Le Bon, la brute et le truand (Sergio Leone, 1966), n'ont rien d'héroïque. Ils sont tantôt du côté du bien et de la bonté, tantôt du côté du mal et de la brutalité. Non par choix personnel, mais bien parce que le contexte de l'occupation les y oblige. « Je ne sais pas quoi faire de ma vie. Je t'ai suivi dans un monde qui n'est pas le mien », lance Yahya à son camarade. « Tu crois que c'est le mien ? », rétorque Oussama. Cet échange-clé du film illustre la situation dans laquelle est plongé le trio. Tout comme le reste de la population, les personnages du film essaient tant bien que mal de poursuivre le cours de leur existence.

Montrer l'avant 7 octobre 2023

Tourné en Jordanie, ce film de méta-cinéma, où s'imbriquent l'histoire du tournage d'un film de propagande et des incursions de journaux télévisés, retranscrit la vie quotidienne d'une population dont l'humanité a été niée. Il tente d'en capter la normalité malgré les bombardements filmés en toile de fond. Les frères Nasser se sont toutefois interrogés sur le bien-fondé de leur récit.

L'écriture du scénario débute en 2015, un an après la guerre de 2014. Parallèlement, le duo planche sur la réalisation de Gaza mon amour, sorti en 2021. Quand survient le 7 octobre 2023, ils interrompent l'écriture de Once Upon a Time pendant cinq mois. Arab rembobine :

Revenir à la fiction était trop difficile face aux images réelles de corps lacérés et de meurtres qu'on recevait chaque jour. On s'est demandé, avec mon frère, ce qu'on pouvait bien raconter face à cette réalité-là. Puis on a réalisé qu'il fallait continuer à écrire pour montrer cette période d'avant le 7 octobre, pour montrer la vie de ces prisonniers, comment ils vivaient et comment ils luttaient aussi.

Cette lutte se traduit aussi dans les petites choses, comme dans cette volonté de construire du lien. Si Gaza mon amour racontait une histoire d'amour sous les bombes, Once upon a time in Gaza décrit une histoire d'amitié. « Quand il y a des coupures d'électricité, qu'il n'y a plus rien à faire, on va chez un pote. La conversation nous maintient en vie. Pour moi, c'est un luxe de pouvoir être avec un ami et que l'échange soit préservé », raconte le cinéaste qui a quitté Gaza, en 2012 pour la Jordanie.

Depuis juin 2017, Arab et Tarzan Nasser ont le statut de réfugiés à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Une grande partie de leur famille est encore à Gaza. Elle a refusé de se déplacer vers le sud de la bande, et vit toujours dans le nord, qui souffre le plus de la famine imposée par Israël. Seuls leurs frères Amer, coscénariste du film, et Abboud, graphiste sur le projet, sont sur le sol français. Amer et Abboud ont bénéficié, après le 7 octobre, d'une bourse délivrée par le dispositif Pause dédié à l'accueil d'urgence de chercheurs et d'artistes en exil. Ce programme, créé en 2017 au sein du Collège de France, financé par deux ministères français et soutenu par le comité Ma'an for Gaza artists — lancé par les chercheuses françaises Marion Slitine, compagne de Arab, et Charlotte Schwarzinger —, permet d'obtenir un visa talent. Aujourd'hui, 12 des 59 lauréats palestiniens sélectionnés sont toujours bloqués à Gaza. En mai 2025, une tribune dans Le Monde intitulée « Lauréats de Pause, un programme français d'accueil, des chercheurs et artistes palestiniens sont toujours bloqués à Gaza », signée notamment de l'historien Patrick Boucheron et du sociologue Didier Fassin, dénonçait le fait que « le gouvernement français […] ne mette pas tout en œuvre » pour l'accueil des lauréats du programme, après la mort de l'un d'entre eux — Ahmed Shamia, architecte de 42 ans — grièvement blessé quelques jours auparavant dans un bombardement israélien. « Le processus passe par le consulat, et c'est très long », tient à souligner Arab.

« Un misérabilisme mal venu »

Avant de rejoindre Paris avec son frère Tarzan pour l'avant-première de Once Upon a Time in Gaza, Arab Nasser a d'abord présenté le film au Festival de Cannes, dans la section Un certain regard. Pour le cinéaste, si l'Académie du festival a été contrainte de parler de Gaza, c'est uniquement en raison de la sélection du film Put Your Soul on Your Hand and Walk Mettez votre âme sur votre main et marchez ») de Sepideh Farsi consacré à la photojournaliste palestinienne Fatima Hassouna. Un mois avant le festival, le 16 avril 2025, celle que l'on surnommait Fatem a été tuée avec sa famille par un missile israélien ayant frappé sa maison. Pour Arab Nasser, Cannes a en réalité invisibilisé Gaza :

Pour d'autres causes, il y a eu des dénonciations, des discours, mais quand ça touche les Palestiniens il y a une sorte d'omerta. Et ça ne concerne pas seulement Cannes. Les prises de parole sont faibles et témoignent d'une empathie et d'un misérabilisme souvent mal venus.

Le discours bien timide de Juliette Binoche, présidente de la 78e édition du festival, en est un parfait exemple : rendre hommage à Fatima Hassouna, tout en évitant soigneusement de mentionner la responsabilité israélienne.

Une conférence en l'honneur de la photojournaliste a bien été organisée à l'initiative de Sepideh Farsi, en présence de plusieurs ONG, dont Médecins sans frontières. Mais là encore, le bât a blessé. Alors qu'elle devait se tenir au prestigieux Hôtel Majestic, où le cortège de stars internationales a coutume de loger et de défiler, l'événement a finalement eu lieu au Pavillon Palestine. Un rétropédalage qui n'a rien d'étonnant pour le réalisateur gazaoui. Il signera, aux côtés de plus de 300 personnalités du monde du cinéma, la tribune intitulée « À Cannes, l'horreur de Gaza ne doit pas être silenciée », publiée sur le site de Libération le 12 mai, à la veille du lancement du festival. Le réalisateur s'interroge :

Je ne sais pas ce qu'attend le monde pour réagir. Nous n'avons pas besoin de soutien par pitié. Je voudrais que les gens nous soutiennent parce qu'ils croient en notre cause et en la justice. Comment peut-on rester silencieux alors qu'on est témoin d'images d'enfants démembrés tous les jours ? Les populations se mobilisent, mais quand est-ce que ceux qui ont les décisions en main vont réagir ?

S'il ne peut se substituer aux décideurs, Arab Nasser espère que le cinéma a au moins encore un impact sur les consciences.

#

Affiche de film colorée avec des personnages masculins sur fond urbain.

Once upon a time in Gaza
Réalisé par Tarzan Nasser et Arab Nasser
Avec Nader Abd Alhay, Majd Eid et Ramzi Maqdisi
Sortie le 25 juin 2025
1h27


1NDLR. Pseudonymes professionnels de Mohamed et Ahmed Abou Nasser.

24.06.2025 à 06:00

Cisjordanie. Journées ordinaires à Massafer Yatta

Erella Dunayevsky

Dans les territoires occupés, la violence des colons et de l'armée s'abat quotidiennement sur les habitants. Dans cette lettre que nous publions ici, l'autrice — militante israélienne du Villages Group, une association venant en aide aux villageois palestiniens — témoigne de cette brutalité banale, qui a redoublé d'intensité — et d'impunité —depuis le 7 octobre 2023. Mardi 3 juin 2025. Najah et Abou Saddam, deux personnes âgées, vivent seuls à la périphérie de Susya à quelque distance (…)

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Texte intégral (2239 mots)

Dans les territoires occupés, la violence des colons et de l'armée s'abat quotidiennement sur les habitants. Dans cette lettre que nous publions ici, l'autrice — militante israélienne du Villages Group, une association venant en aide aux villageois palestiniens — témoigne de cette brutalité banale, qui a redoublé d'intensité — et d'impunité —depuis le 7 octobre 2023.

Mardi 3 juin 2025.

Najah et Abou Saddam, deux personnes âgées, vivent seuls à la périphérie de Susya1 à quelque distance du bourg, là où aucune voix ne se fait entendre. Le mercredi 28 mai 2025, dans la nuit, le couple a été attaqué par des hommes de la colonie israélienne toute proche. Les colons ont brisé des fenêtres et lancé des gaz lacrymogènes dans la pièce où le couple était assis. Lorsque Najah est sortie de la pièce, les agresseurs l'ont frappée aux bras et au dos avec des barres de fer, ils ont détruit une partie du magnifique jardin du couple et sont partis. Najah a été hospitalisée et soignée. Vendredi [30 mai], nous avons rendu visite au couple à leur domicile. Nous avons beaucoup toussé, car l'espace était encore rempli de gaz lacrymogènes. Nous sommes allés dans leur beau jardin.

Un camp avec tentes, végétation et réservoir d
Le jardin d'Abou Saddam et de Najah vers 2019, bien avant le pillage par les colons

Abou Saddam nous a dit que les fauteurs du pogrom étaient Shem Tov et sa bande. Shem Tov est le fils du vieux Gadi qui a fondé sa propre ferme familiale tout près de Sussya, au début des années 1980. Au fil des ans, Gadi le colon et sa femme se sont liés d'amitié avec Najah et Abou Saddam. C'est ainsi que Gadi « a permis » à Abou Saddam de faire paître son troupeau sur ses propres terres [celles d'Abou Saddam], aux abords de la ferme de Gadi. Ils ont partagé des repas préparés par Najah, ils se sont entraidés pour l'usage de plantes médicinales lorsque l'un d'eux attrapait les fâcheuses infections hivernales.

Le lendemain de l'attaque, le vieux Gadi, son fils Shem Tov et sa bande se promenaient près du jardin d'Abou Saddam. Abou Saddam et Najah étaient là. Leurs regards se sont croisés. « Nous sommes amis », a rappelé Abou Saddam à Gadi (bien que ce dernier ait mis fin à cette amitié depuis un certain temps). « Nous avons partagé le pain », a poursuivi Abou Saddam. Pour un vrai fermier, manger ensemble crée un lien fort, mais un seul d'entre eux est un vrai fermier. Le silence de Gadi signifiait que les paroles d'Abou Saddam restaient inaudibles. Shem Tov, le fils, témoin de la scène, ne cessait de crier à Abou Saddam et Najah : « Allez-vous-en ! Allez à Yatta ! » [Une ville palestinienne voisine]. Najah nous a confié que cela lui faisait encore plus mal que les coups.

Carte détaillée de la région autour de Yata, avec routes et limites géographiques.
Carte de la vallée de Masafer Yatta (cliquez sur l'image pour l'agrandir)
liveuamap.com

J'ai réussi, tant bien que mal, à calmer ma rage, à contenir la douleur physique de Najah, la toux et la douleur de l'humiliation et de l'avilissement qu'ils subissaient. Je l'ai serrée dans mes bras et je l'ai apaisée avec des paroles réconfortantes. Une douceur régnait entre nous, un rappel que cette terre, devenue si maléfique, peut encore contenir l'amour.

Armée et colons, main dans la main

Quelle chance que cela se soit produit ce jour-là : quatre jours plus tôt, j'aurais été incapable de maîtriser la tempête intérieure provoquée par ce que j'ai vu. C'était le lundi 26 mai. Nous avons visité le village Khallet Al-Dabaa. Trois semaines plus tôt, le 5 mai, l'armée avait détruit l'essentiel du village. Nous sommes arrivés dans l'après-midi. Les colons occupaient le village, dévasté, ses habitants refusant de le déserter. Les assaillants ont sorti le vieil Abdallah de sa grotte, celle qu'il avait restaurée, pour y ériger un avant-poste improvisé. Abdallah a convoqué la police et l'armée, il s'est présenté comme le propriétaire légal du terrain, leur montrant des documents officiels. Ils lui ont dit que la grotte et les environs ne lui appartenaient plus, l'ont arrêté et emmené au poste de police de Kiryat Arba2.

Ils l'ont libéré tard dans la soirée et lui ont infligé une amende de 2 000 shekels (497 euros). J'ai surmonté le dégoût qui me nouait déjà l'estomac et j'ai fait de mon mieux pour aider. J'ai discuté avec Jaber, et j'ai pris contact avec un avocat. Yoav et Asaf [deux membres de Villages Group] , qui étaient avec moi, prenaient des photos. J'ai regardé autour de moi et j'ai soudain réalisé que, de toutes parts, des centaines de moutons appartenant au villageois de Khallet Al-Dabaa étaient dispersés par les « jeunes des collines », nourris de la dose quotidienne de haine dispensée par leurs aînés. Les bandes de jeunes affluaient vers le village. C'était la folie. Je me suis figée. Impossible de bouger. Ces adolescents auraient pu être des écoliers de n'importe où, ils auraient pu être des amis de Rian, le fils de Jaber, qui a plus ou moins leur âge. Au lieu de cela, ils affichaient une expression vide et stupide, riant comme s'ils étaient les seigneurs du pays. C'était insupportable. Certains d'entre eux sont venus au point d'eau de Jaber. Ils n'ont pas abreuvé le troupeau, juste versé l'eau en vain, pour signifier qu'ils avaient le contrôle total de la zone.

Les habitants n'ont pas osé les arrêter, et nous non plus. Trop vieux, trop peu nombreux. Yoav et Asaf étaient occupés à filmer, tandis que j'essayais de maîtriser ma nausée face au mal implanté chez ces jeunes — messagers d'un pouvoir impitoyable et sans entraves. Une nausée de ce que je voyais, et surtout un profond dégoût de moi-même, prise en otage, impuissante, les bras paralysés : ils ne pouvaient serrer personne. Il m'était interdit de dispenser des paroles réconfortantes, et comme un tigre en cage je courais dans les moindres impasses de mon cœur.

Je déambule ainsi dans ma maison depuis une semaine. Je n'arrive pas à apaiser mon esprit. Les bombardements dans la bande de Gaza résonnent comme s'ils étaient là, chez moi, ajoutant le péché au crime. Difficile de mener une vie routinière.

Hier [1er juin], alors qu'Ehud [membre de Villages Group] et moi étions en route pour Khallet Al-Dabaa, nous avons appris que l'endroit avait été déclaré zone militaire fermée. Nous avons rencontré Jaber à At-Tuwani, car il allait déposer une plainte au commissariat de Kiryat Arba pour dénoncer le harcèlement des colons dans le village. « La police a expulsé tous les colons du village. Même ceux qui avaient établi un avant-poste dans la grotte d'Abdallah et ses environs. Et les bergers, et les troupeaux. Tout le monde », a-t-il dit. Pour la première fois depuis plusieurs semaines, j'ai vu dans ses yeux une lueur qui m'a rappelé son sourire plein de sagesse. « Si l'interdiction de l'entrée au village est le prix à payer pour que les colons ne soient plus là, je veux bien l'accepter », lui ai-je dit en essayant de sourire. « Ne t'inquiète pas, tu retourneras au village, et eux aussi, mais, pour l'instant, il y a une pause », m'a-t-il répondu avant de poursuivre sa route pour déposer sa plainte.


1NDLR. Susya est un village palestinien situé au sud des collines de Hébron, dans la vallée de Masafer Yatta, dans le sud de la Cisjordanie.

2NDLR. Kiryat Arba est une colonie israélienne située dans la banlieue d'Hébron.

24.06.2025 à 06:00

Accord d'association avec Israël. L'Union européenne dos au mur

Andrea Teti

Le Conseil des affaires étrangères de l'Union européenne (UE) a décidé, le 20 mai 2025, la révision de l'accord d'association avec Israël, qui fait de celui-ci un partenaire privilégié de l'UE. Le service diplomatique de l'UE a présenté lundi 23 juin un rapport accablant, confirmant les accusations contre Israël de plusieurs crimes internationaux. Pour autant, rien ne garantit que cela aboutira à sa suspension. Après près de 20 mois de dévastation sans précédent à Gaza, il est normal — et (…)

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Texte intégral (1738 mots)

Le Conseil des affaires étrangères de l'Union européenne (UE) a décidé, le 20 mai 2025, la révision de l'accord d'association avec Israël, qui fait de celui-ci un partenaire privilégié de l'UE. Le service diplomatique de l'UE a présenté lundi 23 juin un rapport accablant, confirmant les accusations contre Israël de plusieurs crimes internationaux. Pour autant, rien ne garantit que cela aboutira à sa suspension.

Après près de 20 mois de dévastation sans précédent à Gaza, il est normal — et humain — d'accueillir favorablement le vote de 17 États membres de l'Union européenne1 pour réévaluer l'accord d'association avec Israël2. Toute mesure susceptible de mettre fin à cette destruction désolante, toute action qui reconnaît les droits humains des Palestiniens et qui affirme que le droit international est réellement le même pour tous, ne peut qu'être saluée.

Cependant, les signaux d'alarme retentissaient déjà à la veille du vote. En effet, évaluer l'accord n'est pas — ou ne devrait pas être — une nouveauté. Comme tous les accords d'association avec des pays tiers, celui avec Israël comporte des « conditionnalités », c'est-à-dire des critères qui doivent être évalués chaque année et qui peuvent conduire à un approfondissement de la coopération ou à des reculs. L'article 2 de l'accord avec Israël stipule que les relations bilatérales dépendent du respect des droits humains.

L'UE est donc tenue de procéder à ce type d'évaluation. Ce qui est extraordinaire, ce n'est pas le vote pour une révision de l'accord, mais le fait qu'une telle évaluation sérieuse n'ait jamais été effectuée auparavant. Et que la litanie des violations des droits humains et du droit international, bien avant 2023 — sans parler des 20 derniers mois — n'a jamais déclenché l'application de ces critères.

Une ambiguïté structurelle

L'UE n'a, en réalité, jamais eu l'intention réelle de rendre ces « conditionnalités » effectives, puisqu'elle n'a jamais défini clairement les paramètres des évaluations annuelles. Les 17 États signataires et l'Union dans son ensemble ont donc systématiquement fermé les yeux sur des décennies de violations des droits humains en Israël/Palestine — ainsi que dans tous les autres pays avec lesquels l'UE a signé des accords d'association. Et rien n'indique qu'ils soient prêts à changer de cap avec ce vote.

Israël ne bénéficie pas d'un traitement de faveur en ce qui concerne la « souplesse » intrinsèque à la structure des accords d'association ; il en bénéficie, en revanche, en termes de non-application flagrante du droit international et du droit international humanitaire. Au contraire, cette flexibilité — ou ambiguïté — est une caractéristique structurelle de ce type d'accords, qui profite également, par exemple, au régime égyptien. Malgré la répression extrême dont il fait preuve, celui-ci demeure pour l'UE un « partenaire sûr ».

Tout aussi creuses sont les déclarations du gouvernement britannique, qui suspend les négociations commerciales avec Israël — mais pas les échanges commerciaux eux-mêmes — et convoque l'ambassadeur israélien, tout en menant quelques heures plus tard un énième vol de renseignement au-dessus de Gaza, l'un des plus de 500 vols effectués en soutien à Israël depuis octobre 20233. Londres continue également de fournir des armes à Israël. Il en va de même pour le communiqué « ferme » de la France, du Canada et du Royaume-Uni, qui ne s'oppose qu'à une intensification de la dévastation — non à la dévastation elle-même ni aux violations flagrantes du droit humanitaire international commises jusqu'à présent.

En apparente contradiction, la déclaration du premier ministre espagnol Pedro Sánchez selon laquelle son pays « ne fait pas affaire avec un État génocidaire » a été rapidement contredite par la députée Podemos et ancienne ministre Ione Belarra, qui a énuméré plus de 40 contrats toujours en vigueur entre l'État espagnol (ou des entités privées) et l'État israélien, dans les domaines de l'armement et du renseignement. Des accords signés avant et après la déclaration du gouvernement Sánchez, selon laquelle les contrats de fourniture d'armes vers Israël — ainsi que les achats à Israël — seraient suspendus. Une coopération militaire et technologique que poursuivent également l'Allemagne et l'Italie, rendant ainsi ces gouvernements légalement complices des crimes commis par les forces israéliennes.
Le vote du Conseil des affaires étrangères de l'UE, tout comme les prises de position mentionnées ci-dessus, apparaît ainsi comme totalement superficiel, sans conséquences concrètes. L'Allemagne et l'Italie y ont par ailleurs opposé un refus.

Appliquer le droit international

Si les gouvernements européens veulent vraiment envoyer un message clair, ils doivent commencer par faire ce à quoi ils sont déjà légalement tenus, à la fois en vertu des dispositions de l'accord et de celles du droit international humanitaire, à savoir :

  • 1. Suspendre les contrats de fourniture d'armes et de technologies de surveillance avec les entreprises israéliennes publiques, parapubliques ou privées ;
  • 2. Suspendre le soutien et la coopération en matière de renseignement ;
  • 3. Appliquer les normes de l'UE déjà en vigueur concernant les échanges commerciaux, culturels et de recherche avec les institutions israéliennes publiques et privées présentes dans les territoires palestiniens occupés.

Ils devraient également soutenir l'application du droit international, à commencer par les procédures devant la Cour internationale de justice et la Cour pénale internationale, y compris l'exécution des mandats d'arrêt émis par cette dernière.

C'est pourquoi il faut tirer la sonnette d'alarme : tous les engagements mentionnés ci-dessus sont des obligations que l'UE est déjà censée respecter, mais qu'elle ignore depuis des décennies. Depuis octobre 2023, ce silence et cette inaction se sont traduits par une interminable litanie de responsabilités légales et morales dans la destruction la plus systématique et dévastatrice d'une population que ce siècle a connue. Reste à savoir si le rapport accablant présenté par la diplomatie européenne devant les États membres et qui accuse notamment Israël de crimes de famine, de torture, d'attaques indiscriminées et d'apartheid contre les Palestiniens conduira enfin à des décisions concrètes.

#

Traduit de l'italien par Christian Jouret.


1NDLR. Sur les 27 ministres européens des affaires étrangères, 17 ont soutenu la proposition présentée par Kaja Kallas. Il s'agit des ministres de la Belgique, de la Finlande, de la France, de l'Irlande, du Luxembourg, du Portugal, de la Slovénie, de l'Espagne, de la Suède, de l'Autriche, du Danemark, de l'Estonie, de Malte, de la Pologne, de la Roumanie, de la Slovaquie et de la Lettonie. En revanche, la Bulgarie, la Croatie, Chypre, la République tchèque, l'Allemagne, la Grèce, la Hongrie, l'Italie et la Lituanie s'y sont opposées, tandis que la Lettonie s'est abstenue.

2NDLR. Signé en 1995 et entré en vigueur en 2000, cet accord permet le libre-échange dans plusieurs secteurs de biens commerciaux entre l'UE et Israël, notamment industriels et agricoles. Il a été signé par les 15 membres de l'époque : l'Allemagne, l'Autriche, La Belgique, le Danemark, l'Espagne, la Finlande, la France, la Grèce, l'Irlande, l'Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni et la Suède

3Iain Overton, «  Britain sent over 500 spy flights to Gaza  », Declassified UK, 27 mars 2025.

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