13.01.2025 à 22:20
Voies constitutionnelles de la destitution, opposition RN en carton, UE à l’ère Trump, nouveaux équilibres mondiaux. Pour débuter une année 2025 qui s’annonce très politique et dans un contexte où les tensions internationales s’accumulent et où les attentes des Français sont fortes, Aude Lancelin et ses invités ont réfléchi ensemble aux perspectives concrètes pour sortir le pays de l’ornière dès maintenant. Ne manquez pas cette grande émission de rentrée !
08.01.2025 à 12:42
L’instabilité politique en France, provoquée par la dissolution de l’Assemblée nationale en juillet dernier, décidée seule par Emmanuel Macron, a été sanctionnée le vendredi 13 décembre 2024 par l’agence de notation Moody’s, dégradant la note qu’elle attribue à la dette publique française, passée de Aa3 à Aa2. De quoi donner du grain à moudre aux libéraux et à leurs relais médiatiques, qui ont poussé des cris d’orfraie au moment du vote de la motion de censure du gouvernement Barnier par l’Assemblée, ayant obligé le pouvoir à formuler une « loi spéciale » en lieu et place du budget refusé par le Parlement pour 2025. Pour QG, l’économiste Dany Lang souligne que l’inquiétude entretenue à ce sujet est démesurée, mais pas sans fondement, en raison du poids des marchés financiers. La nomination de François Bayrou comme Premier ministre, à défaut d’avoir rassuré ces derniers, a confirmé la volonté de poursuivre une politique ultra favorable aux classes dominantes, qui se sont enrichies comme nulle part ailleurs dans le monde depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Élysée en 2017. Interview par Jonathan Baudoin
Certains ont entretenu au sein de la population de vives inquiétudes au sujet de l’absence de vote sur le budget 2025. Elisabeth Borne était allée jusqu’à évoquer une suspension des cartes vitales si une censure du gouvernement Barnier devait intervenir. Par ailleurs, notre dette atteint des sommets extraordinaires, au point que la France est notoirement de plus en plus dans le viseur des marchés financiers. Où en sommes-nous ? La France risque-t-elle un crash financier?
Très honnêtement, je ne crois pas qu’on devrait laisser une chose aussi sérieuse que la dette publique aux mains des marchés financiers, notamment les marchés financiers étrangers. Il faudrait réserver la dette française aux ménages français. Ce qui se fait dans d’autres pays, notamment le Japon, qui a la dette la plus élevée au monde. Mais il faut rappeler une chose essentielle : qu’elle soit publique ou privée, la dette n’est pas un mal. S’endetter permet de financer des projets d’avenir, d’investir, etc. Le problème, c’est le contrôle qu’en font les marchés financiers.
Maintenant, en regardant le taux d’intérêt sur la dette publique à 10 ans, qui est le taux de référence, ce taux est monté du fait de l’instabilité politique de ces derniers mois. Si je regarde les OAT (« Obligations assimilables du Trésor ») à 10 ans, le 13 décembre, le taux était à 2,86%. Le 14 décembre, il est à 3,03%. Il faut croire que l’annonce du gouvernement Bayrou n’a pas rassuré les marchés (rires)! Et ce, alors que sur le début du mois, même peu de temps après la censure du gouvernement Barnier, le taux des OAT à 10 ans flottait entre 2,86% et 2,9%.
Pour revenir à votre question, le vrai critère à prendre en compte, ce n’est pas les 3% de Maastricht, qui ont été rédigés sur un coin de table par un haut fonctionnaire sous Mitterrand, au début des années 1980. Ce qui importe véritablement, c’est de comparer le taux de croissance avec le taux d’intérêt réel sur la dette, c’est-à-dire le taux d’intérêt des OAT à 10 ans corrigé de l’inflation. Cette dernière est estimée entre 2% et 2,5%. Avec un taux d’intérêt autour de 3%, cela donnerait un taux d’intérêt réel entre 0,5% et 1%. Si le taux de croissance est supérieur à 1% en 2024, il n’y a pas de problème. Dans le cas contraire, il y a un risque d’emballement au niveau économique. On est à la limite.
Je tiens néanmoins à rappeler que les marchés financiers ont une forme de rationalité qui est très limitée. J’aime bien rappeler qu’avant la crise de 2008, les marchés prêtaient au même taux d’intérêt aux Grecs, aux Allemands et aux Italiens. Ce qui n’a pas de sens!
Y a-t-il un quelconque sens à comparer le taux d’intérêt des titres de dette publique de la France avec ceux de la Grèce, comme certains analystes le font en ce moment?
C’est de la mauvaise foi. Économiquement, cela ne veut rien dire. Mais symboliquement, c’est fort parce qu’on a eu, à la fin des années 2000, une envolée du taux grec jusqu’à 25%. Ce qui est complètement délirant. Ça l’était tout autant d’avoir prêté à 2% aux Grecs avant la flambée de 2008. Cela relève de logiques purement spéculatives, qui n’ont pas de sens.
On a eu sur la dette à 5 ans, puis à 10 ans, un petit spread (concept clé dans le trading, qui permet de mesurer la confiance que les marchés font aux différents pays, NDLR) avec les Grecs. Symboliquement, ce n’est pas génial mais il ne faut pas s’emballer avec ce genre de comparaisons. Souvent, les analystes aiment bien comparer les spreads, cela donne, quand même, une indication du niveau de confiance sur les différentes dettes publiques. Cela peut se comprendre. Mais cela n’a pas de sens absolu, sauf quand ils deviennent délirants comme lors de la crise financière.
Est-ce que la « loi spéciale », présentée au Conseil des ministres, le mercredi 11 décembre, reprend le projet de réaliser 60 milliards d’euros « d’économies », comme cela avait été envisagé par le gouvernement Barnier pour 2025, ou est-ce une reconduction à l’identique du budget 2024?
Si on respecte l’esprit de la loi, cela devrait être une reconduction à l’identique du budget précédent. À partir du moment où il y a une censure, on n’a pas le droit de présenter des choses qui n’ont pas été adoptées par le Parlement. Il faudrait se pencher en détail, mais il ne serait pas étonnant que le Président et ses affidés ne respectent pas l’esprit de la loi. Ils n’ont pas le droit de faire passer en force un budget qui a été refusé et qui était problématique.
Alors, il n’y avait pas exactement 60 milliards d’économies. Il y en avait effectivement 40 milliards mais le restant – 20 milliards d’euros -, c’étaient censé être des hausses d’impôt. Ce n’est pas tout à fait la même chose. Et une partie des hausses d’impôts était concentrée sur les plus aisés.
Quel regard portez-vous sur la nomination de François Bayrou comme Premier ministre, et à quoi faut-il s’attendre de sa part en matière de politique économique ?
Une fois de plus, Macron ne respecte pas l’esprit des institutions, qui voudrait que la force arrivée en tête, même en n’ayant pas la majorité absolue, choisisse son Premier ministre. D’ailleurs, il y a deux hommes de droite qui le disent mieux que moi. En l’occurrence Jean-Louis Debré et Dominique de Villepin. Je n’ai pas, en tant qu’économiste, un regard sur la nomination de François Bayrou, si ce n’est que cela montre une fois de plus que les classes dominantes ne veulent surtout pas entendre parler d’un changement d’orientation politique.
Entre François Bayrou et Emmanuel Macron, il n’y a pas tellement de différence de vision sur la politique économique à suivre. Il n’y a pas de rupture sur la ligne politique à mener à l’égard des plus aisés. Ni sur la politique de l’offre. Il y avait certes au Modem, au sein du « bloc central », quelques petites variations. Certains députés Modem ayant soutenu des augmentations d’impôt concernant les grandes entreprises ou les plus aisés. Ce qui n’était pas le cas des macronistes. Mais ça s’arrête là. Les classes dominantes veulent préserver leurs intérêts. Les gouvernements qui se succèdent ne sont pas là pour servir l’intérêt général, mais pour servir des intérêts particuliers. Si la coalition arrivée en tête aux législatives avait été nommée, peut-être aurait-on vu des choses différentes. Je précise toutefois qu’appliquer le programme du NFP, ce n’est pas la révolution communiste ou socialiste !
Quelles mesures budgétaires seraient les plus appropriées pour réduire le déficit public, tout en ne fragilisant pas l’activité économique, notamment l’agriculture et l’industrie ?
Il est vrai que l’agriculture et l’industrie sont des secteurs qui ont besoin d’être soutenus. Même si cela déplaît, il faut, à un moment donné, désobéir aux traités que les gouvernements précédents ont signé. Parce qu’il n’est pas normal que nos agriculteurs aient à faire face à des obligations sanitaires et sociales, qui sont d’ailleurs utiles et pas assez rigoureuses, et qui soient en concurrence avec des agriculteurs d’autres pays qui n’ont pas à respecter ces règles. Déjà, si on organise la concurrence, il faut que ce soit entre pays respectant les mêmes règles du jeu. On n’imagine pas un match de foot avec une équipe respectant certaines règles et une autre ayant des règles plus contraignantes. C’est un jeu de dupes. Or c’est ce jeu qu’on impose avec le libre-échange, la soi-disant « mondialisation heureuse ». C’est ce jeu qu’on impose à nos agriculteurs, à nos industriels depuis un certain nombre d’années, avec toutes les problématiques que cela engendre.
Ce qu’il faudrait faire, à mon sens, c’est viser les patrimoines les plus aisés, qui ont augmenté de 450% en France depuis 2017, année d’arrivée à l’Élysée de Macron. Alors que dans les autres pays, notamment grâce au Covid, le patrimoine des plus riches s’est accru de 150%. En France, les 50% les moins bien dotés ont 6% du patrimoine. Les 50% les mieux dotés ont les 94% restants. Et dans ces 94%, l’essentiel est concentré sur les 10% les mieux dotés. Et au sein d’entre eux, ce sont les 0,1% qui se sont gavés.
À un moment, il faut accepter des mesures de justice fiscale et sociale qui d’ailleurs ne feront pas baisser le niveau de vie des plus riches. D’ailleurs, ce sont les 0,1% les plus riches qui paient le moins d’impôts. Certains paient moins de 2% d’impôt quand vous et moi payons autour de 15% d’impôt. Un rééquilibrage de l’impôt doit s’opérer. Et puis, à force d’accumuler du patrimoine (maisons, voitures, motos, etc.), celui-ci va être mis dans des placements pour le moins hasardeux, voire purement spéculatifs sur les marchés financiers, dans des activités de casino, alors qu’il serait beaucoup plus utile de redistribuer ça vers les plus pauvres ou les classes moyennes aujourd’hui en voie de paupérisation.
Utiliser cet argent pour rouvrir des gares, embaucher des profs dans des écoles, remédier au malaise social qui mène à la montée de l’extrême-droite, cela me paraîtrait infiniment plus intelligent. J’ai toujours dit que je ne suis pas opposé à ce que les gens aient une belle maison, une belle voiture, une résidence secondaire, voire un bateau. Mais à un moment, il y a une limite. Reprendre une partie du patrimoine des plus aisés, c’est faire quelque chose qui est sain pour l’économie. Comme le disait Joe Biden: « Qu’ils paient leur juste part », qu’ils contribuent à l’activité économique. Je ne dis pas que cela résoudra tout, mais il ne faut pas oublier non plus qu’ils sont aussi ceux qui possèdent l’essentiel de la dette publique française car les gens qui possèdent la dette sont souvent des gens aisés.
Par ailleurs, d’un point de vue écologique, ce sont ces ménages-là qui sont les plus polluants. Il y a des travaux très clairs et très nets là-dessus. Une plus forte imposition calmera un peu aussi leur frénésie vers des activités polluantes qui sont très problématiques.
Propos recueillis par Jonathan Baudoin
Dany Lang est économiste, maître de conférences à l’Université Sorbonne Paris Nord, membre du collectif les Économistes Atterrés. Il est notamment coauteur de l’ouvrage collectif : « Macron, un mauvais tournant » (Les liens qui libèrent, 2018)
07.01.2025 à 21:15