
14.11.2025 à 05:00
Été après été, les feux de forêt ravagent des zones de plus en plus étendues de l'Europe. Depuis le début de l'année 2025, plus d'un million d'hectares sont partis en fumée sur le continent, dont plus de la moitié entre le Portugal (278.121 hectares) et l'Espagne (391.938 hectares), où les incendies dévastateurs d'août et septembre derniers ont révélé de manière tragique la profonde précarité des conditions de travail et des ressources, de même que dans certains cas, une préparation (…)
- Actualité / Travail décent, Environnement, Santé et sécurité, Crise climatique, Morts au travail, Développement durable, Salman Yunus, Transition justeÉté après été, les feux de forêt ravagent des zones de plus en plus étendues de l'Europe. Depuis le début de l'année 2025, plus d'un million d'hectares sont partis en fumée sur le continent, dont plus de la moitié entre le Portugal (278.121 hectares) et l'Espagne (391.938 hectares), où les incendies dévastateurs d'août et septembre derniers ont révélé de manière tragique la profonde précarité des conditions de travail et des ressources, de même que dans certains cas, une préparation insuffisante des effectifs.
Leur situation scandaleuse place ces travailleurs, et la société dans son ensemble, dans une situation de risque potentiel injustifié face aux incendies d'été qui, sous l'effet du changement climatique, deviennent plus importants, plus voraces et plus difficiles à maîtriser, et touchent des latitudes de plus en plus septentrionales du continent.
Les Européens – et leurs responsables politiques – n'en sont pas encore pleinement conscients, mais ces incendies ne sont pas comme avant. « Malheureusement, la tendance est à des incendies de plus en plus graves, non pas en quantité, mais en ampleur », explique dans un entretien avec Equal Times Roberto Cribeiro, agent environnemental de la Xunta (le gouvernement régional de Galice, au nord-ouest de l'Espagne) pour la comarque de Ferrolterra.
« Les incendies de cinquième génération, qui saturent les dispositifs d'urgence en raison de la simultanéité des foyers et de leur extrême virulence, et ceux de sixième génération, de plus en plus imprévisibles, modifient les conditions météorologiques de la zone et sont, pour un temps, inextinguibles. Sous l'effet du changement climatique, ces incendies surviennent de plus en plus au nord et cessent d'être l'apanage du pourtour méditerranéen », avertit-il.
M. Cribeiro possède plus de 30 années d'expérience dans le nord-ouest de la péninsule ibérique, la région où se concentrent les plus grandes plantations d'eucalyptus du continent. Pendant des heures, nous avons arpenté avec lui les pistes de montagne de la Sierra de la Capelada, sur la côte nord-ouest de l'Espagne, où la culture de ces arbres à croissance rapide et économiquement rentables, arrivés d'Australie il y a un siècle et demi et convoités par les industries du bois et du papier, a jusqu'à présent permis de limiter le nombre d'incendies, tout en introduisant un important facteur de risque. « L'eucalyptus est pyrophile, c'est-à-dire qu'il brûle facilement et survit aux flammes, suivant une stratégie évolutive qui consiste à éliminer les autres espèces concurrentes », explique M. Cribeiro.
L'agent déplore le dépeuplement, l'exode rural et l'absence de gestion adéquate des terres, autant d'éléments qui rendent la prévention plus difficile que jamais. En attendant, il prévient que pas même la côte nord humide de l'Espagne n'est épargnée. En effet, on dénombre en été de plus en plus de jours où sévissent les redoutables conditions dîtes « 30/30/30 » (soit plus de 30 degrés de température, moins de 30 % d'humidité et des vents de plus de 30 km/h, généralement en provenance de l'Atlantique).
« Les incendies sur lesquels je suis intervenu en 2005 n'étaient pas ceux de 2015, ni ceux de cette année en Galice », convient Ángel Rubio, pompier forestier du gouvernement régional d'Andalousie (au sud de l'Espagne) et coordinateur chargé de l'action climatique et de la transition écologique juste auprès de l'UGT. « Ces incendies laissent présager le pire pour l'avenir. J'ignore si ces phénomènes majeurs pourraient toucher d'autres régions d'Europe de la même manière, mais nous avons assisté à l'apparition simultanée d'incendies dans les pays de l'arc méditerranéen, ce qui a obligé des pays présentant un risque moindre à transférer leurs ressources de secours, sans que le système européen ne s'effondre pour l'instant, et je ne suis d'ailleurs pas sûr si ce scénario pourrait se produire à court terme », a déclaré M. Rubio à Equal Times.
Ce n'est pas de la science-fiction, insiste-t-il : « Nous avons déjà vécu des phases de simultanéité du Portugal, de l'Espagne, de la France et de l'Italie aux Balkans, à la Grèce et à la Turquie. Si l'Europe centrale venait s'y ajouter, entraînant un possible effondrement du système tout entier, cela dépendrait avant tout de la météo »... et donc, du changement climatique.
« C'est précisément là, au centre de l'Europe, que se trouvent les grandes réserves forestières d'Europe, et si une situation de blocage anticyclonique se produit, avec des vagues de chaleur continues et un manque de précipitations, on obtient alors un cocktail parfait capable d'engendrer un scénario assez complexe », explique-t-il.
Les pays d'Europe centrale et septentrionale ne sont pas encore habitués ni préparés à des incendies de cette ampleur : « Pourvu que je me trompe, mais au vu de la rapidité avec laquelle les incendies ont évolué depuis le début du siècle, et de la manière dont nous sommes passés en Espagne de la lutte contre les incendies de forêt à la nécessité de nous concentrer sur la protection et l'évacuation des populations, je ne considère pas impossible, d'ici cinq ou six ans, un scénario dans lequel l'Europe entière serait débordée. » « Cela mérite réflexion », insiste-t-il, « car ces dernières années, l'évolution a été exponentielle ».
La péninsule ibérique a déjà connu des incendies de forêt aux proportions dantesques, tels que ceux survenus en 2017 au Portugal et, en particulier, ceux qui ont fait rage en 2025 en Espagne, où l'émoi social a été immense, et ce pendant plusieurs semaines. Les médias n'ont cessé de répéter qu'en réalité, « les incendies sont éteints en hiver », car ce qui est apparu au grand jour, c'est une réalité du travail insoutenable, qui perdure depuis des années, sans améliorations : la précarité scandaleuse, la saisonnalité et le manque de ressources des pompiers forestiers, qui souffrent non seulement de salaires indignes pour un travail à haut risque, mais aussi d'un manque d'équipement adéquat et, bien souvent, d'un manque de formation professionnelle adéquate, sans compter une organisation du travail qui se traduit par des heures de travail littéralement exténuantes.
Pour un pays qui depuis trois décennies ne cesse d'accroître sa masse forestière (laquelle représente aujourd'hui 56 % de son territoire), l'Espagne n'investit que 0,08 % de son PIB dans la prévention et l'extinction des incendies. À cela s'ajoute le fait que cette compétence relève des gouvernements autonomes, de sorte que chaque région dispose d'une gestion et de ressources différentes.
« Si on se représentait la structure d'aménagement et de gestion du territoire telle une chaise, la précarité existante représenterait un pied cassé », affirme lors d'un entretien avec Equal Times Anxo Pernas, responsable galicien des pompiers forestiers au sein de la centrale syndicale espagnole CCOO.
Il met en garde contre l'incompatibilité des approches, même dans des communautés limitrophes dirigées par des gouvernements de même bord politique (en l'occurrence, de droite) : « En Galice, on tend vers le public, et en Castille-et-Léon vers le néolibéralisme le plus crasse, avec une détérioration totale du modèle de gestion », basé sur la privatisation, la temporalité et une réduction radicale des dépenses. « En tant que gestionnaire public, ce que vous ne pouvez pas faire, c'est vous désengager et affirmer que la Castille-et-Léon ne peut pas se permettre de maintenir un service de prévention et d'extinction des incendies toute l'année », rappelle-t-il. Un propos d'ailleurs partagé en 2018 par son conseiller régional à l'environnement, qui parlait d'“absurdité”, de “gâchis” et de “dilapidation de fonds publics”. »
« Pour eux, il n'y a que la rentabilité économique qui compte, or la Constitution garantit un usage social de l'environnement ». Pour le protéger, il faudrait « des conditions professionnelles, et non des conditions minimales » et ne pas « jouer avec un service qui ne relève, en partie, guère plus que du volontariat ».
Il est également nécessaire de « gérer le territoire de l'Espagne vide », car à l'heure actuelle, estime-t-il, les investissements sont réalisés lorsque le mal est déjà fait, et « est-ce que nous gagnons quoi que ce soit en dépensant des millions dans l'extinction alors que nous ne faisons pas d'investissements dans la prévention » ? Il s'agit de trouver le juste milieu. Si seulement les corps de sapeurs-pompiers étaient inactifs toute la journée, mais maintenus en service de garde tout au long de l'année. Un tel cas de figure supposerait qu'il y ait surtout de très petits incendies, maîtrisés, ce qui représenterait une gestion efficace du territoire : empêcher la formation d'incendies si importants que, au lieu de les éteindre, nous devrions nous concentrer sur l'évacuation des zones habitées.
Bien que le traumatisme de l'été ait donné lieu à des initiatives prometteuses, dans de nombreuses régions espagnoles, la leçon n'a pas encore été tirée, contrairement à ce qui s'est passé au Portugal, le pays européen le plus touché par ce problème jusqu'à présent. « Les incendies de 2017 ont marqué une rupture profonde dans le modèle de gestion et ont conduit à une réforme structurelle du système », a expliqué dans un entretien avec Equal Times Bruno Reis, pompier de Covilhã et délégué du Syndicat des travailleurs de l'administration locale (STAL).
Une agence unique a été mise sur pied pour coordonner la prévention, l'extinction et la récupération des zones touchées, ainsi qu'un système de gestion intégrée des incendies de forêt, ce qui a impliqué « une professionnalisation accrue des agents de la protection civile, une augmentation des équipes permanentes, une modernisation technologique et une amélioration de la coordination opérationnelle ». Le résultat n'a pas tardé à se faire sentir et « entre 2018 et 2022, nous avons constaté une réduction significative de la superficie moyenne des zones incendiées et une augmentation de l'efficacité de notre réponse sur le terrain », précise M. Reis.
Pour ce pompier, il faut sortir du court-termisme budgétaire et « privilégier la prévention et la gestion active du territoire, avec une professionnalisation complète » de l'ensemble des personnels impliqués.
Il s'agit de « mettre en œuvre un changement de paradigme, de passer d'une approche essentiellement réactive à une vision proactive et adaptative » aux nouvelles circonstances, dit-il, et ici la précarité « a une incidence directe sur l'efficacité et la sécurité des opérations de prévention et de lutte contre les incendies de forêt » : les bas salaires, les contrats temporaires, la pénurie de ressources adéquates et les cadences de travail épuisantes entraînent une fatigue chronique et une forte rotation du personnel, ce qui se traduit par une « perte de l'expérience accumulée ». De fait, « l'atténuation de la précarité ne doit pas être abordée comme un enjeu du travail », conclut M. Reis, « mais bien comme un élément structurel de l'efficacité opérationnelle et de la sécurité collective ».
Après l'Espagne et le Portugal, en 2025, l'Italie et la Grèce ont également connu des incendies de forêt simultanés avec respectivement 84.141 et 47.819 hectares brûlés. En Italie, les pompiers s'occupent principalement des zones urbaines, alors que la prévention dans les zones forestières est assurée par des volontaires et les carabiniers. Ainsi, la coordination – au niveau de l'État – est bonne, mais la précarité des conditions de travail complique la relève générationnelle pour ces tâches, explique Nunzio de Nigris, représentant syndical de la Confédération générale italienne du travail pour la fonction publique (FP-CGIL).
« Nos besoins les plus urgents concernent la pénurie de personnel », qui nous oblige souvent à déplacer des ressources d'une région à l'autre, en fonction de l'urgence, et « la pénurie d'équipements de sécurité », qui complique les tâches de décontamination à la suite d'interventions sur des incendies.
En Grèce, qui a connu cet été « des dizaines de départs de feu chaque jour dans tout le pays », bien que seuls quelques-uns se soient transformés en incendies de grande ampleur, le gros problème réside dans « l'excès d'heures supplémentaires, dû à l'état d'urgence permanent et à l'attribution de tours de garde illégaux », a expliqué à Equal Times Nikos Lavranos, président de la Fédération panhellénique des syndicats de sapeurs-pompiers (POEYPS).
Le manque d'effectifs est pesant : la Grèce compte environ 15.500 pompiers permanents et 2.500 pompiers de renfort saisonniers. Cependant, au moins 3.500 nouvelles recrues seraient nécessaires au cours des deux ou trois prochaines années pour compenser les pertes d'effectifs en cours. « En définitive, les pompiers éteignent le feu avec tous les moyens disponibles, mais la pratique des heures supplémentaires non rémunérées doit cesser, et un cadre juridique complet doit être mis en place pour garantir leur sécurité et leur santé au travail, afin de réduire le nombre de décès et de blessures que nous avons malheureusement subis à nouveau cette année », insiste M. Lavranos. « Le changement climatique ne laisse pas de place à la complaisance », poursuit-il.
Un avis partagé par Pablo Sánchez Centellas, coordinateur pour les autorités locales, les pompiers et les services publics à la Fédération syndicale européenne des services publics (EPSU), à Bruxelles. « Chaque année – et en 2025, nous avons déjà atteint un record – la superficie des forêts détruites continue d'augmenter, alors que les investissements locaux nécessaires ne sont toujours pas à la hauteur », déplore-t-il. « Nous avons besoin d'un engagement sérieux de la part des autorités, ce qui implique qu'il faille mettre fin aux mesures d'austérité qui limitent la bonne marche de ces activités. L'austérité tue non seulement les travailleurs, mais aussi la planète », a-t-il conclu.
12.11.2025 à 09:20
Mathilde Dorcadie
À Dakar, dans les locaux de l'UNSAS, la deuxième centrale syndicale du Sénégal, l'air brûlant est chargé de rires et de voix féminines, mais portent également le souvenir de récits parfois douloureux. C'est ici, que depuis 2022, le RAFEM, le Réseau d'Appui aux Femmes et Enfants en Migration s'est, petit à petit, construit avec une idée : accompagner des dizaines de femmes de tout horizon dans leur quête d'intégration et d'autonomie.
« La migration est avant tout un mouvement de (…)
À Dakar, dans les locaux de l'UNSAS, la deuxième centrale syndicale du Sénégal, l'air brûlant est chargé de rires et de voix féminines, mais portent également le souvenir de récits parfois douloureux. C'est ici, que depuis 2022, le RAFEM, le Réseau d'Appui aux Femmes et Enfants en Migration s'est, petit à petit, construit avec une idée : accompagner des dizaines de femmes de tout horizon dans leur quête d'intégration et d'autonomie.
« La migration est avant tout un mouvement de main-d'œuvre », rappelle d'emblée Fambaye Ndoye, présidente du RAFEM et responsable du département de la protection sociale à l'UNSAS. « Si l'on interroge les causes profondes [des mouvements migratoires], on trouve essentiellement la quête d'un travail, si possible décent. Il était donc logique que les syndicats s'engagent ».
Le Sénégal est souvent présenté, à juste titre, comme étant un pays d'émigration importante. D'après l'Organisation internationale des migrations (OIM) et l'OCDE, près de 50% des candidats au départ déclarent que celui-ci est motivé par le besoin de sortir du chômage ou du manque d'opportunités de travail. Si une grande partie d'entre eux se tournent vers l'Europe (France, Italie, Espagne) ou vers les Etats-Unis et les pays du Golfe, près d'un tiers des Sénégalais émigrent pour travailler sur le continent, dans des pays comme la Gambie, le Mali ou la Mauritanie.
Mais le Sénégal est aussi un pays de destination des travailleurs migrants, en majorité venus d'Afrique de l'Ouest (Guinée, Mali, Gambie, Mauritanie). Une réalité liée en partie à la « libre circulation » en vigueur entre les pays de la CEDEAO, et une relative stabilité politique au sein de la région.
L'UNSAS n'a pas attendu la crise méditerranéenne de la fin des années 2010, qui a vu de nombreux migrants mourir en mer, pour se saisir de la question. Dès 2007, la centrale collabore avec le syndicat espagnol CCOO et l'Organisation internationale du travail (OIT) sur des projets liant migration et conditions de travail, puis, lors du congrès de la Confédération syndicale internationale (CSI) à Dakar, où Fambaye Ndoye développe son expertise de ses questions et entame une première phase de sensibilisation avec de nombreux acteurs, développe des projets pour le RSMMS (le Réseau syndical pour les migrations dans l'espace méditerranéen et subsaharien) et ATUM-Net (African Trade Union Migration Network)
S'ensuivent des actions sur les « sites de départ », ces plages d'où s'élancent les embarcations précaires vers les Canaries. L'UNSAS alerte sur les dangers de la migration irrégulière, mobilise les autorités religieuses et coutumières. « Il y a eu beaucoup de morts, beaucoup de disparus, les jeunes se lançaient dans un mouvement de suicide collectif », raconte-t-elle.
« Ça nous a fait un tilt. Nous avons suivi ensuite des formations de renforcement de capacités, puis nous avons mis en place le premier réseau intersyndical sur la migration avec le BIT ». En 2018, Mme Ndoye mène également une grande campagne pour interpeller les ambassades du Golfe sur les conditions de travail de la diaspora, notamment des travailleuses domestiques.
Puis vient la crise sanitaire et économique causée par la Covid-19. En 2020, alors que la Convention 190 de l'OIT contre les violences et le harcèlement en milieu de travail est adoptée, l'UNSAS décide d'enquêter sur les réalités spécifiques des femmes migrantes, internes au niveau du Sénégal, à l'étranger ou « de retour ». Avec le soutien de la Fondation Friedrich Ebert, une étude est lancée.
Intitulée Voix des travailleuses migrantes du Sénégal, elle repose sur une méthodologie inédite : des entretiens audio via WhatsApp, réalisés en pleine pandémie. « Nous avons recueilli plus de 60 témoignages, souvent interrompus par les larmes », raconte Mme Ndoye. Au final, 20 récits sont publiés, dévoilant la dureté des parcours : exploitation, absence de droits, vulnérabilité et isolement. « Après ces histoires, nous ne pouvions pas rester les bras croisés », tranche Mme Ndoye.
Un obstacle juridique surgit cependant : la loi ne permet pas aux migrantes de créer leur propre syndicat. L'UNSAS contourne la difficulté en adossant une structure associative.
« On s'est dit qu'on ne pouvait pas créer un syndicat de migrantes et diriger ce syndicat n'étant pas nous-mêmes migrantes. Il fallait vraiment penser à une autre forme d'organisation ».
Le RAFEM est ainsi créé avec pour mission d'organiser, d'accompagner et de viser l'autonomisation des femmes migrantes. Soutenu par la Fondation Friedrich Ebert et des partenaires comme le Fonds pour les femmes francophones (XOESE), le réseau lance son premier programme : « 3F » pour « Formation, Formalisation, Financement ».
Trente-cinq femmes, sénégalaises de retour ou immigrées venues de Guinée, du Togo, du Mali, du Cameroun, de la RD Congo, de la Mauritanie, du Bénin, du Cap-Vert ou de la Sierra Leone, intègrent la cohorte inaugurale. Leur parcours commence par des formations sur leurs droits en général et des cours d'éducation financière. Puis vient le temps de l'apprentissage pratique : les femmes se forment à de nouveaux métiers de l'artisanat, tels que la teinture de tissus, la fabrication de savon ou d'eau de javel. Le groupe de femmes a choisi lui-même les activités qu'elles souhaitaient apprendre.
Fatma Ba, migrante de retour d'Arabie saoudite, raconte : « Je ne savais pas faire de savon ni du batik. C'est ici que j'ai tout appris. Cela m'a permis de diversifier mes activités, et même de former d'autres femmes ».
Avec d'autres camarades, elle intègre un GIE (un Groupement d'intérêt économique), créé par le RAFEM pour légaliser les activités commerciales. Certaines vendent désormais leurs produits sur les marchés, d'autres transmettent leurs compétences en tant que formatrices, ce qui est un débouché supplémentaire vers l'autonomisation.
« En tout cas, moi, je ne vais pas faire partie de celles qui vont retourner [à l'étranger], parce que j'ai des choses à faire ici », souligne Mme Ba.
Mme Ndoye explique le principe de la démarche : « On ne peut pas se contenter de dire aux gens ''Ne partez pas'', alors que vous ne les accompagnez pas à trouver du boulot. Les syndicats doivent être en amont de l'emploi. C'est-à-dire que nous devons mieux nous investir dans la création d'opportunités. S'il n'y a pas de travail, il n'y a pas de travailleurs. Donc, pas de syndicat. Nous avons aussi cette mission. C'était l'idée du RAFEM, puisque le syndicat encadre les travailleurs, on s'est dit que nous devions aussi ''créer'' des travailleurs. »
Le RAFEM ne se limite pas aux aspects économiques. Avec le soutien du service juridique de l'UNSAS, il accompagne aussi les migrantes dans leurs démarches administratives, qu'il s'agisse de régularisation de leurs statuts ou même d'affaires matrimoniales ou fiscales. « Sans intégration, je pense que les migrants ne se sentent pas vraiment à l'aise pour développer une activité économique, que ce soit dans le formel ou dans l'informel. Le syndicat, c'est la première cellule d'intégration sociale », explique-t-elle encore.
La diversité du réseau pose des défis, notamment linguistiques. Les Sierra-Léonaises parlent anglais, les Congolaises ou Camerounaises jonglent entre français et langues locales. « Mais avec Google Traduction, on se débrouille », plaisante Mme Ndoye. La perte de participantes en cours de route est par ailleurs inévitable : certaines retournent dans leur pays d'origine, d'autres repartent en migration pour suivre une autre opportunité.
Pour autant, le RAFEM poursuit sa route. Une deuxième cohorte de femmes est en projet. « On ne va pas refaire les mêmes activités professionnelles, on veut diversifier », assure la coordinatrice qui expose des pistes comme les métiers de la restauration ou du tourisme. L'UNSAS et le RAFEM sont à la recherche de partenaires pour soutenir la formation de ce nouveau groupe d'une trentaine de femmes. La stabilité financière du projet est également un objet de préoccupation, car les fonds propres du syndicat sont limités, bien qu'il continue à enregistrer l'affiliation de nouveaux membres, dont les participantes de la cohorte.
En avril 2024, une conférence régionale à Dakar a donné une visibilité inédite au RAFEM. Ministère du Travail, Ministère de la Femme et Ville de Dakar manifestent leur intérêt pour ce projet pilote et innovant. « La mairesse s'est engagée à intégrer le RAFEM dans les programmes sociaux de la ville », se félicite Ndoye, qui parle de déposer un projet auprès du fonds municipal pour l'entrepreneuriat féminin.
Tandis qu'une certaine reconnaissance institutionnelle se dessine, le modèle inspire aussi au-delà des frontières. Des camarades syndicalistes d'autres pays africains, invitées à célébrer la Journée internationale de la Femme Africaine en 2024 et 2025, ont exprimé leur souhait de créer des réseaux similaires. Un moment inspirant, à l'image du RAFEM, puisque, comme le conclut Fambaye Ndoye : « Nous sommes composées de plusieurs nationalités, nous voulons incarner vraiment l'unité africaine en miniature ».
10.11.2025 à 09:37
Dans un monde globalisé, où la majorité des jeunes se voit confrontée à une pénurie criante de perspectives d'emploi, les conditions de travail se sont dégradées à un point tel qu'il est difficile, voire impossible, pour des millions de jeunes comme moi de devenir indépendants. Le loyer représente, dans beaucoup de cas, plus de la moitié du salaire, alors que l'inflation étrangle les revenus et que les conditions de travail confinant à l'esclavage moderne cessent d'être l'exception pour (…)
- Opinions / Monde-Global, Jeunesse, Travail, Syndicats, Salman YunusDans un monde globalisé, où la majorité des jeunes se voit confrontée à une pénurie criante de perspectives d'emploi, les conditions de travail se sont dégradées à un point tel qu'il est difficile, voire impossible, pour des millions de jeunes comme moi de devenir indépendants.
Le loyer représente, dans beaucoup de cas, plus de la moitié du salaire, alors que l'inflation étrangle les revenus et que les conditions de travail confinant à l'esclavage moderne cessent d'être l'exception pour devenir la norme.
Dans ce contexte, alors que les syndicats devraient être identifiés comme les défenseurs incontestés des travailleurs, plus que jamais indispensables, l'adhésion des jeunes s'effrite d'année en année, à l'échelle mondiale. Pourquoi, en des temps aussi cruciaux que ceux que nous vivons, les jeunes ne se sentent-ils pas attirés par la syndicalisation ? Comment expliquer ce désintérêt croissant pour le syndicalisme ?
En réalité, de nombreux jeunes perçoivent le modèle syndical comme archaïque, voire inutile. Mais si nous nous arrêtions un instant pour y réfléchir sérieusement : n'avons-nous vraiment pas besoin de syndicats à l'heure d'affronter le processus long, fastidieux et incertain de la recherche d'un emploi décent ? Sommes-nous réellement satisfaits de ces emplois précaires et informels, dépourvus de droits et de conditions de travail décentes ? Difficile de répondre par l'affirmative.
Ce qui ne fait pas de doute, c'est que nous traversons un moment historique marqué par la poussée d'une droite de plus en plus réactionnaire, qui érode la conscience sociale et la conscience de classe. Simultanément, les modes de consommation mondialisés engendrent un désengagement socio-économique : alors qu'une moitié du monde trouve refuge dans une illusion de bien-être entretenue par la consommation, l'autre moitié voit ses conditions de travail se dégrader de jour en jour.
Mais ne nous faisons pas d'illusions : le fait que nous puissions nous permettre d'acheter chaque semaine de nouveaux vêtements à des prix absurdement bas ne signifie pas que nous ne fassions plus partie de la classe travailleuse. De fait, nos salaires dépendent toujours de tiers, et ceux qui nous paient aujourd'hui peuvent nous licencier du jour au lendemain sans état d'âme.
La lutte pour des conditions de travail décentes ne relève pas de l'idéologie. Il en va de la dignité des travailleurs, ni plus ni moins. Et plus nous croirons au discours trompeur qui voudrait que nous appartenions à une classe moyenne stable, insensible aux risques professionnels, plus l'apathie sera grande et moins nous serons conscients que nous devons effectivement continuer à nous battre pour nos droits en tant que travailleuses et travailleurs.
Selon la région du monde où l'on vit, les conditions d'emploi peuvent sembler meilleures ou pires. Mais ce dont je ne doute pas, c'est qu'il est toujours possible de les améliorer : par exemple, lorsqu'il s'agit de formaliser un emploi (pour lequel il est essentiel que les travailleurs s'organisent) ; ou de plaider en faveur d'un travail décent ; d'une rémunération adaptée à la formation et au niveau de vie du pays dans lequel on vit ; de meilleures conditions de travail... d'une semaine de travail de moins de 40 heures (objectif qui nous unit à une grande partie des jeunes).
Face à ces défis et à cette réalité, il est nécessaire de répartir les responsabilités. Nous ne pouvons pas faire porter tout le poids aux jeunes. Nous ne pouvons pas espérer nous organiser si nous ne disposons pas de syndicats qui nous écoutent, qui nous incluent, qui nous intègrent réellement dans leurs structures. Je voudrais ici m'adresser plus particulièrement à nos collègues les plus expérimentés : je serais tentée de comparer le modèle syndical actuel à un arbre dont les racines se sont affaiblies. Peut-être voyons-nous encore aujourd'hui des feuilles vertes, peut-être le tronc semble-t-il solide, mais si l'on ne prend pas soin de ce qui se trouve dans le sol – favorisant ainsi le dialogue et le renouvellement intergénérationnel –, l'arbre tout entier s'affaiblira inexorablement et finira par tomber.
Et c'est exactement ce qui est en train de se produire. Beaucoup de syndicats ne se rendent pas compte que, sans jeunes dans leurs rangs, ce modèle est voué à disparaître. Le taux de syndicalisation des jeunes ne cesse de baisser. Si des dispositions ne sont pas prises rapidement, ce qui semble aujourd'hui être une crise deviendra une extinction annoncée. Il est du devoir des syndicats non seulement de défendre et d'obtenir des droits pour tous les travailleurs, mais aussi de mobiliser, d'organiser, de former et de donner une voix et des espaces réels aux nouvelles générations. Car pour nous, les plus jeunes, il est important de comprendre pourquoi un syndicat reste, aujourd'hui encore, notre outil le plus puissant pour lutter en faveur du travail décent, des droits des travailleurs et des droits syndicaux pour tous. D'où l'importance de considérer ce syndicat comme le nôtre, celui de tous les jeunes.