29.12.2025 à 13:46

L’année 2026 marquera le triste centième anniversaire de l’incarcération du philosophe italien Antonio Gramsci. Journaliste et acteur des grèves et occupations d’usine du biennio rosso, Gramsci a cofondé le puissant Parti communiste italien (PCI). C’était un penseur prolifique, pour qui il était inconcevable de séparer théorie et action. Quatre ans après la marche sur Rome, son militantisme et la force de ses idées lui valurent arrestation et emprisonnement au long cours. En novembre 1926, alors que les « lois fascistissimes » avaient déjà consolidé le caractère autoritaire du régime, le Conseil des ministres italien prend prétexte d’une supposée tentative d’assassinat contre Benito Mussolini par un adolescent de 15 ans pour prononcer une série de mesures d’urgence qui rendent les forces d’opposition hors-la-loi. Les prérogatives du Parlement désormais réduites à néant, les autorités font fi de l’immunité parlementaire du député communiste Gramsci, qui est arrêté et condamné en 1928 à deux décennies de réclusion, le procureur rapportant le souhait du Duce « d’empêcher ce cerveau de fonctionner pendant vingt ans ».

Fort heureusement, rien n’en fût. Malgré la dureté de son incarcération et un accès aux sources limité, Gramsci écrivit jusqu’à sa mort en 1937 un véritable chef d’œuvre aux visées tant analytiques que stratégiques, les fameux « Cahiers de prison ». Fragmentaires, souvent opaques pour échapper à la censure, ces écrits comptent parmi les pages les plus fertiles de la philosophie politique du XXème siècle. Gramsci y développe les notions clés qui continuent de nous aider à comprendre le champ du pouvoir : en premier lieu la construction permanente de l’hégémonie et du sens commun, mais aussi son corollaire imparfait, la révolution passive, une forme de domination qui repose sur des méthodes d’absorption plus ou moins coercitives de la dissidence que sont le transformisme et le césarisme. Sur le plan stratégique, il distinguait la guerre de mouvement, qui permit aux bolchéviques d’avoir raison d’un régime tsariste excessivement centralisé, et la guerre de position, seule à même de déjouer les tranchées et fortifications bien plus robustes derrière lesquelles se tapit l’appareil d’État capitaliste industrialisé. Ses réflexions sur le rôle des intellectuels et de la culture dans le combat politique sont d’une actualité saisissante, alors qu’une propagande rance s’abat sans coup férir sur la plupart des antennes hexagonales, et de manière toujours plus marquée dans le secteur de l’édition.
Au-delà de ses fulgurances théoriques, Antonio Gramsci est un personnage éminemment attachant. D’extraction très modeste, il s’est illustré par une grande combativité en dépit d’une santé extrêmement fragile. Il s’est aussi distingué par une puissante empathie qui le fit toujours prendre le parti des subalternes et des opprimés, et par une obstination intellectuelle que des conditions de détention difficiles n’ont jamais entamée. Sur le plan de l’éthique comme des idées, il se situe exactement aux antipodes du triste sire qui se présente désormais comme l’Edmond Dantès du XXIème siècle. Par toutes les focales possibles, Nicolas Sarkozy représente l’anti-Gramsci.
Le projet hégémonique sarkozyste
Un siècle plus tard, le rapide succès de librairie de ce « Journal d’un prisonnier » (premier des ventes de livres politiques en France en ce mois de décembre 2025, NDLR) pourrait prêter à la farce si le contexte n’offrait pas tant de résonances avec l’Italie des années 1920, avec ces ralliements plus ou moins assumés des libéraux aux nationalistes sur fond d’une incessante démonisation des forces de gauche. Le livre « témoignage » de l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy a été publié aux éditions Fayard, propriété du milliardaire ultra-conservateur Vincent Bolloré, sur le yacht duquel le premier s’était, on s’en rappelle, « reposé » de sa campagne présidentielle il y a déjà bientôt près de vingt ans. Artisan de la brutalisation du débat public dans les années 2000, Sarkozy faisait montre d’un talent certain pour parler à un électorat large, mâtinant savamment des postures sécuritaires et xénophobes de mythologie méritocratique et d’odes au propriétarisme. Au-delà d’un discours aux accents populaires et de rapts sémantiques sur le côté gauche, ce sont surtout ses outrances identitaristes qui surent persuader une frange des électeurs d’extrême-droite de rallier momentanément la droite dite « traditionnelle ». Une prouesse stratégique cynique aux effets éphémères, qui eut néanmoins pour conséquence d’ancrer durablement le débat public sur la droite, variante française du great moving right show identifié par le sociologue britannique Stuart Hall aux prémices du Thatchérisme.[i] Relativement cohérent, le projet hégémonique sarkozyste (2007-2012) présentait toutes les caractéristiques de ce que Hall appelait le « populisme autoritaire » ; il a toutefois pâti des métastases de la crise financière et buté sur les tribulations corruptives de sa principale incarnation.

Faute de place, on ne pourra lister ici les innombrables scandales dans lesquels l’ex-président est impliqué. On se contentera de rappeler que c’est l’affaire du financement libyen de sa campagne de 2007 qui lui a valu ces cinq années de prison pour association de malfaiteurs. Nicolas Sarkozy n’a pour l’heure effectué que vingt jours de détention provisoire, ayant été remis en liberté sous contrôle judiciaire en attente de son procès en appel qui devrait commencer au printemps 2026. Bien qu’il se compare volontiers au capitaine Dreyfus, il a été définitivement condamné dans le cadre de deux autres cas d’atteintes graves à la probité : pour corruption et trafic d’influence dans l’Affaire dite des écoutes, et pour financement illégal de sa campagne électorale de 2012 dans le cadre du scandale Bygmalion. Comme le journaliste de Mediapart Fabrice Arfi le rappelait sur les ondes de France Culture, Sarkozy revient en politique à chaque fois que les affaires le rattrapent: il crée Les Républicains en 2014 pour échapper à l’affaire Bygmalion, sa candidature à la primaire de 2016 coïncide avec l’affaire des écoutes, et son rapprochement avec l’extrême droite vise aujourd’hui à éclipser la réalité de l’affaire libyenne.
La posture victimaire adoptée par l’Ivan Denissovitch de la Villa Montmorency (se lamentant du « gris » de la prison, détaillant son ascèse alimentaire et priant pour « avoir la force de porter la croix de cette injustice ») relève de la pitrerie. Il est indéniable que la situation de surpopulation carcérale en France (136%) est scandaleuse, des conditions de détention honteuses que dénonçait en 2023 sur QG Dominique Simonnot, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté. Mais s’arrêter sur ces lignes alors que son auteur est actuellement en train de faire du footing en Guadeloupe provoque un certain malaise. Bien plus préoccupantes en revanche sont les prises de position politiques auquel le livre sert de prétexte, et en particulier ces signaux de plus en plus explicites de Nicolas Sarkozy visant à rendre crédible une union des droites en vue des prochaines échéances électorales. En témoignent ces salutations affectueuses adressées à Sébastien Chenu et à Jordan Bardella, le dernier allant jusqu’à lui évoquer « Chirac dans sa jeunesse ». Plus explicite encore, la mention de ce coup de fil à Marine Le Pen, à qui il a assuré qu’il ne s’associerait pas à un éventuel « front républicain » contre le Rassemblement national, enterrant définitivement toute notion de cordon sanitaire. Fort de son influence, l’ex-Président soutient en outre dans ces pages que « le chemin de reconstruction de la droite ne pourra passer que par l’esprit de rassemblement le plus large possible, sans exclusive et sans anathème ».
On peut désormais s’interroger sur le nouveau projet hégémonique qui semble animer un Sarkozy cerné par les affaires : la construction d’un bloc historique réactionnaire, qui verrait potentiellement les lambeaux de la droite traditionnelle s’accrocher au vaisseau amiral Rassemblement national. Il y a quelques mois, c’était pourtant du côté d’Emmanuel Macron que lorgnait Nicolas Sarkozy, sans que celui-ci ne daigne répondre à ses sirènes. Aujourd’hui, le pari de Sarkozy est sans doute que le Rassemblement National au pouvoir lui sera davantage miséricordieux. La contrepartie cynique de ce pacte faustien: une porosité toujours plus grande au sein de ce magma qui court de (l’extrême) « centre » à l’extrême-droite.
L’acquiescement suffit souvent
La digue qui tenait encore fragilement entre droite dite traditionnelle et droite extrême serait-elle donc définitivement en train d’éclater ? Le patron des députés Les Républicains Laurent Wauquiez a, on le sait, appelé à l’organisation d’une primaire dans laquelle serait inclue Sarah Knafo (Reconquête!), députée européenne et compagne d’Éric Zemmour. Malgré la détestation mutuelle qui semble les animer, le discours du chef du parti Bruno Retailleau n’est pas sensiblement différent de celui du grand dadais du Puy-en-Velay. Le vendéen refuse une alliance entre partis, considérée comme une « tambouille », mais assure que l’union se fera « par le terrain », « dans les urnes », et surtout que « Le Rassemblement National appartient à l’arc républicain », contrairement, indique-t-il, à La France Insoumise. Que Les Républicains glissent collectivement vers la réaction n’a rien de très étonnant: la création de la « Droite populaire » sous l’UMP trahissait déjà une inclination à l’autoritarisme et à l’identitarisme qui a progressivement gangréné le parti. Seules quelques rares, courageuses figures continuent de s’opposer encore activement à cette dynamique funeste d’union des droites, à l’image de la vice-présidente de LR Florence Portelli (dont le père, Hugues, juriste et sénateur, fut l’un des premiers à s’intéresser sérieusement à Gramsci dans la France des années 1970).
Si l’on se tourne vers l’Italie de Gramsci, on constate que sur le plan intérieur, deux éléments primordiaux ont permis à Mussolini de consolider son régime dans la première moitié des années 1920 : l’extrême violence et la collusion avec les libéraux. Le biennio rosso provoqua des craintes irrationnelles parmi le patronat et la révolution russe toute récente pesait lourdement dans les esprits des possédants, si bien qu’un bloc anti-socialiste réunissant libéraux, nationalistes et conservateurs ne tarda pas à prendre appui sur l’offensive armée fasciste pour orchestrer un retour à l’ordre. De 1920 à 1922, les raids des squadristes ravagèrent les bastions socialistes du nord de la péninsule, dans des attaques éclairs qui firent des milliers de morts parmi les travailleurs et les syndicalistes. Ces épisodes de violence extrême servirent de prélude à la marche sur Rome. À la suite de la prise du pouvoir par Mussolini et ses sbires, les autorités décrétèrent des politiques d’austérité, mirent hors-la-loi les organisations syndicales non-fascistes et tolérèrent l’assassinat brutal des dissidents.

Malgré ces méthodes bien peu libérales, de très nombreux libéraux acquiescèrent, trop apeurés par la menace « des extrêmes », à savoir les clérico-fascistes, mais surtout les socialistes et les communistes. D’où le soutien franc d’éminents intellectuels libéraux au fascisme, tels Giovanni Gentile ou Luigi Einaudi, ou même, plus brièvement comme le verra plus bas, de Benedetto Croce. Terrifiés que l’idée même de propriété privée soit menacée par l’activisme ouvrier, échaudés par les manigances transformistes de ce (très) vieux briscard de premier ministre qu’était Giovanni Giolitti, ils appelaient à l’instauration d’un « État fort », moins parlementaire, plus fidèle à « l’esprit » et à l’élan du Risorgimento. Unis par la même volonté de favoriser les intérêts des industriels, propriétaires terriens et détenteurs de capitaux et d’étouffer toute dissidence socialisante, les libéraux ont vu dans le fascisme un moindre mal, un molosse qu’ils seraient facilement à même d’apprivoiser et de manipuler. Ainsi, « l’union » en bonne et due forme n’est pas toujours nécessaire pour faire advenir un régime autoritaire et anti-pluraliste : l’acquiescement suffit souvent. Nul besoin, donc, de ne rêver que de pouvoir comme Wauquiez, ou de n’être obsédé que par l’idée de sauver sa peau comme Sarko, pour être dupé par les forces politiques les plus putrides.
Il ne s’agit pas d’affirmer ici que tous les libéraux soutiennent sans ciller le fascisme, mais plutôt que l’anti-socialisme compulsif mène parfois à l’aveuglement. À cet égard, le cas de Benedetto Croce (1866-1952) est révélateur et mérite que l’on s’y arrête un instant. Philosophe libéral-conservateur très influent, Croce était l’authentique intellectuel organique de la bourgeoisie italienne. Fortement influencé par Hegel, portant un projet philosophique plaçant les questions esthétiques au cœur, il se disait mû par l’ambition de « liquider » le marxisme. Son nom revient très fréquemment dans les « Cahiers de Prison », et particulièrement dans le cahier numéro 10, qui lui est presque entièrement consacré. Gramsci entretient une relation intellectuelle ambiguë avec Croce, partagée entre respect et irritation, reconnaissant sa contribution à la pensée de l’époque tout en critiquant son idéalisme et l’étroitesse de sa conception de l’histoire. L’opposition est toutefois tranchée, Gramsci allant jusqu’à affirmer entreprendre une démarche intellectuelle « anti-Croce ». L’objection de Croce au marxisme semble avoir participé de son inertie initiale, si ce n’est de son soutien au mouvement fasciste, avant de finir par se ressaisir en 1925.
En dehors des communistes et de Gramsci, qui y voit une dangereuse organisation de masse de la petite bourgeoisie, le personnel politique italien perçoit le fascisme comme un groupement éphémère qui finira dilué par les logiques de compétition partisanes. Ainsi, le sénateur Croce vote la confiance au gouvernement de Mussolini en 1922 comme en 1924, croyant au bien-fondé des promesses d’autorité pour revigorer un régime libéral ankylosé. L’assassinat sauvage du député socialiste Giacomo Matteotti cette même année le fera chanceler dans son attentisme, mais son opposition véritable ne prendra forme qu’en 1925, lorsqu’il publiera dans Il Mondo le fameux « Manifeste des intellectuels antifascistes » en réponse au « Manifeste des intellectuels fascistes » publié un mois plus tôt par Giovanni Gentile dans Il Popolo d’Italia. Cette prise de position valut quelques tourments à Croce ; rien de comparable toutefois au sort que subira Gramsci. Stefan Zweig brosse dans « Le Monde d’hier » un portrait touchant de son vieil ami, le décrivant claquemuré derrière le rempart de ses livres dans sa résidence napolitaine, continuant de s’exprimer sans masque et sans fard, sa retraite forcée ponctuée par les assauts des troupes de la réaction étudiante qui lui brisent ses fenêtres. Son manifeste eut un écho certain parmi la jeunesse, mais c’est bien en exil que se jouera le véritable antifascisme italien, et notamment en France.

En somme, c’est donc, encore et toujours, la diabolisation des forces de gauche (en particulier l’accusation infamante d’antisémitisme) qui légitime ces coalitions plus ou moins tacites entre libéraux, conservateurs et extrême-droite. Certes, les forces de gauche françaises ne sont pas encore harcelées physiquement comme les italiennes ont pu l’être par les squadristes, mais l’extrême droite néofasciste agit de plus en plus à découvert (comme on a récemment pu le voir à Brest). Dans les régions, des alliances nauséabondes se constituent en vue des municipales pour faire obstacle à des socialistes très modérés, comme à Bourg-en-Bresse, où des élus Les Républicains se rangent sans vergogne sur la liste menée par le candidat Reconquête! Benoît de Boysson. La violence anti-prolétarienne se manifeste aujourd’hui de manière plus indirecte mais non moins redoutable, parfois de la main même des forces de l’ordre, qui s’autonomisent toujours davantage. Les appels aux forces armées pourraient également se multiplier dans les mois à venir : ultime pirouette césariste d’un pouvoir aux abois qui n’a que le mot « réarmement » aux lèvres ? L’une des leçons du Gramsci journaliste était que la discipline de l’action bourgeoise, qui sera par la suite celle du fascisme, repose sur l’obéissance militaire, comme le rappelle avec justesse Massimo Palma. Celle-ci « ne remet rien en question et accueille tout comme étant légitime dès lors que cela vient d’en haut ».
Pétrifiés par la montée en puissance des revendications ouvrières et par un prétendu « péril rouge », la majorité des forces de droite en Italie acquiescèrent à la prise de pouvoir par les fascistes, considérée comme un moindre mal dans un contexte qui rappelle cruellement la conjoncture française : austérité et autoritarisme parlementaire, sur fond de déclassement et de paupérisation généralisée, et de tensions géopolitiques majeures. Avec l’indécence et le cynisme qu’on lui connaît, Nicolas Sarkozy contribue ainsi de manière significative à cette dérive accélérée du capitalisme vers des structures ouvertement autoritaires, et renforce l’engeance qu’a inlassablement combattue Gramsci depuis les geôles dont il n’a, lui, pas réchappé.
Thibault Biscahie
Chercheur au Centre de recherche en droit public (Université de Montréal), Thibault Biscahie est un collaborateur régulier de QG
[i] Stuart Hall (1979). The Great Moving Right Show. Marxism Today, volume 23, pp. 14-20.
Crédit photo d’ouverture : MAGALI COHEN / HANS LUCAS / HANS LUCAS VIA AFP
25.12.2025 à 18:39

Sexologue en libéral, elle est thérapeute de couple, et autrice de « Corvée de sexe. Pourquoi les femmes se forcent encore » paru chez Albin Michel en 2025, et de « Merci Madame » aux éditions du Murmure en 2022. Son travail s’ancre dans une compréhension biopsychosociale et militante de la santé tenant compte de la trajectoire individuelle, du contexte familial, du rapport à autrui, mais aussi des rapports de classe, de race et de genre, qui influent sur la santé et les normes culturelles liées à la sexualité, et sur les représentations mentales potentiellement handicapantes qui en découlent. Sa méthode incline du côté des thérapies brèves accordant une place prépondérante au travail sur les émotions, les sensations. Dans son cabinet défilent des femmes de tous âges et de tous milieux souffrant d’un mal mystérieux: une libido à zéro. « Une fois le linge plié et la vaisselle rangée, elles remettent le couvert, à l’ancienne, au rythme des pulsions de leurs compagnons.» Pourquoi, au 21 ème siècle, nonobstant #MeToo, les femmes se forcent-elles encore ? Maylis Castet, avec un phrasé décapant, baffe le patriarcat, abolit nos idées reçues, écorche les discours savants, et brise l’un des derniers tabous, celui du sexe sans envie. Entretien avec Bénédicte Martin


L’an dernier, l’avocate en droit pénal et droit de la famille, spécialiste des violences conjugales, Anne Bouillon a été interviewé pour QG, pour son livre « Affaires de Femmes. Une vie à plaider pour elles », aux Éditions de L’Iconoclaste. Il lui semblait impossible de ne pas parler d’elle, de sa trajectoire, de son passé en sus de son expérience d’avocate. Vous, Maylis Castet, en tant que sexologue, vous vous mettez également en totale empathie car vous estimez en quelque sorte : « J’ai été toutes ces femmes. J’ai été gênée, abusée, impuissante, violée, faible, courageuse, jalouse, méchante, naïve, polie, conne, obsessionnelle, honteuse, aigrie, paumée. » Les femmes qui viennent dans votre cabinet, cela aurait pu être vous, il y a quelques années. Parlez-nous de « Madame Vide-couilles »...
Maylis Castet : Madame Vide-couilles est une personne réfléchie mais qui a si peu d’estime d’elle-même qu’elle en a fini par avaler, gober, intérioriser les différentes croyances et représentations culturelles véhiculées sur ce que doit une femme sexuellement à un homme. Les hommes auraient des besoins sexuels qui seraient impérieux et qui devraient être satisfaits par leurs conjointes. Madame Vide-couilles estime qu’elle doit cela au couple, voire même que cela est sa fonction. Si elle ne le fait pas alors elle ne mérite pas ce poste de compagne, en dépit de ses douleurs vaginales ou autres. Elle se sent mal de ne plus pouvoir fournir les prestations sexuelles qu’elle estime devoir assurer pour garder sa place. Elle a beaucoup d’inquiétude pour son partenaire qui va souffrir si elle ne fait pas son « devoir conjugal ».
Vous faites ce constat déprimant : les hommes, dans votre cabinet, sont globalement repoussants, « qui de s’être laissé aller depuis vingt ans, qui d’être apathique et méchant, tous, si négligés et malveillants ». Mais ce sont les femmes qui viennent, car elles pensent avoir, elles, un problème de libido. Vous êtes comme une guichetière des objets trouvés, chargée de les aider à retrouver leur libido, au cas où elle ne se serait pas égarée dans un coin, comme un vieux blouson. Comment recevez-vous leur discours?
Je reçois ces femmes comme elles sont, parce que de toute façon, il faut partir de là où sont les gens pour pouvoir avancer avec eux. Il ne s’agit pas de leur asséner des explications systémiques trop vite. Elles ne pourraient pas les entendre, ni les comprendre. Il s’agit surtout qu’elles captent que la sexualité se fait à deux. De ce fait, ce serait bien que l’autre vienne travailler aussi. Elles ne sont pas le problème. Et puis, peut-être qu’on peut arrêter de chercher qui est le problème, mais plutôt essayer de comprendre la dynamique. Quand, et si leur partenaire ne veut pas venir, cela n’augure rien de bon.
L’an dernier sur QG, dans l’émission Quartier Interdit, nous avions reçu Giulia Foïs pour son ouvrage « Not All Men, but Always Men », aux Éditions de La Meute et elle nous expliquait que si on ne mange pas, si on ne boit pas, si on ne respire pas, on meurt. Mais si on ne pratique pas le sexe, non, on ne meurt pas. Philippe Brenot appuie ce constat dans son livre « Les hommes, le sexe et l’amour » : « Si le sexe n’est pas un besoin au sens des besoins vitaux, d’où vient cette impression de manque dont parlent en général les hommes ? Elle est en réalité l’expression de leur difficulté à accepter la frustration. » Que dire de la frustration chez les hommes ?
Elle est décrite, cette frustration, comme étant impérieuse et générant de la souffrance. En réalité, il faut relativiser cette notion de souffrance et, peut-être, inscrire effectivement ce rapport à la frustration dans la socialisation des hommes parce que je pense qu’ils sont moins invités à gérer leur frustration, notamment sexuelle.
Pourquoi la gèrent-ils mal selon vous ?
Je me l’explique comme venant notamment de la socialisation différenciée qui pousse les femmes à s’adapter plus. Les petits garçons, on va plus les laisser exprimer leur colère, toutes sortes d’émotions liées à la frustration. C’est pour cela qu’ils vivent cela comme impérieux. Hommes et femmes voient bien qu’en fait, leurs désirs devraient être à égalité et que ce n’est pas parce qu’on est frustré que l’autre doit se plier à notre désir. Ils n’arrivent pas à avoir ce recul qui est : « OK, je suis frustré, mais tout comme parfois j’ai envie de péter la gueule à quelqu’un, et en fait, je ne le fais pas parce que la société et ses normes sont suffisamment dissuasives pour m’avoir fait intégrer que je dois apprendre à gérer ma frustration autrement qu’en tapant. » Beaucoup d’hommes ont appris à gérer leurs frustrations, leurs fatigues, leurs déprimes, leurs angoisses par le sexe. Ils ont de plus la représentation qu’à partir du moment où on a une femme, on ne doit plus se masturber parce qu’en gros, la femme sert à ça. Ils vont instrumentaliser leur partenaire pour tous ces besoins. Alors que la masturbation devrait être notre allié et ne pas plomber le sexe à deux. Les hommes devraient intégrer qu’exprimer leur frustration avec autant de véhémence n’est pas dans leur intérêt. Cet apprentissage doit être fait.
Ces hommes vous envoient leurs femmes, comme si vous étiez un service après-vente du cul, pour qu’elles redeviennent sexuellement fonctionnelles, en l’occurrence des « vaginettes à triple embouchure ». C’est vital de les faire réparer ?
Ils n’estiment pas faire partie du problème, ils se racontent sincèrement que c’est celui des femmes et jugent avoir besoin de cette réparation. Ils s’expriment statistiquement moins, mettent plus de temps à aller chercher de l’aide. De fait, ils utilisent le sexe comme d’autres utilisent le sport ou la bouffe pour gérer. Mais dans le sexe a deux, il y a « deux » dedans. Et donc, si l’autre n’est pas disposé à partager ceci-cela à l’instant T, je suis responsable de la gestion de mes émotions et de la satisfaction de mes besoins. Et ce n’est pas dans mon intérêt d’offenser l’autre ou de le harceler parce qu’en fait, autrui va avoir de moins en moins envie. Je le leur fais comprendre.
« Au 21 ème siècle encore, quand elles n’ont pas envie de sexe, les femmes de tous âges choisissent par milliers d’écarter quand même les cuisses à l’ancienne. » Vous en avez marre des discussions plombantes sur les besoins biologiques irrépressibles où les femmes doivent gérer le rut cyclique de leurs partenaires pour maintenir la paix du foyer. Vous en avez marre d’entendre qu’un nombre non négligeable d’hommes pensent qu’éjaculer en dehors de leur compagne équivaut à du sexe raté, du sous-sexe. 52% des femmes âgées de 18 à 49 ans déclarent qu’il leur arrive de faire l’amour sans en avoir envie. D’autres statistiques déprimantes à nous donner ?
Il y a eu une enquête de ELLE sur le viol conjugal. À savoir :
« En tant qu’homme, sans en avoir forcément conscience sur le moment, vous est-il déjà arrivé d’avoir un rapport sexuel avec
OUI à 13% entre 35 et 65 ans
OUI à 20% pour les moins de 35 ans
OUI à 13% pour les plus de 65 ans.
OUI à 7% entre 35 et 65 ans
OUI à 17% pour les moins de 35 ans
OUI à 2% pour les plus de 65 ans. »
Mais aussi cette question : « Selon vous, en tant qu’homme, forcer sa conjointe ou sa partenaire à avoir un rapport sexuel alors qu’elle le refuse est-il un viol ?
NON à 31 % entre 35 et 65 ans
NON à 23% pour les moins de 35 ans
NON à 43% pour les plus de 65 ans. »
Les réponses sont affligeantes.
Vous parlez de vos études et vous prenez cet angle intéressant de la médicalisation qui fait que cette absence de désir est presque devenue une maladie. Et qu’en l’occurrence, on en a fait un problème, comme vous dites, « spécifiquement foufounesque ». Expliquez-nous l’impact de la médicalisation d’un problème qui est en fait d’ordre plus sociétal ?
Qu’en dire ? Le chapitre sur Rosemary Basson, directrice du programme de médecine sexuelle de l’université de la Colombie-Britannique et professeure clinicienne au département de psychiatrie, j’ai mis mille ans à l’écrire tellement il me rend confuse. En somme, sous prétexte de décrire le réel, on le naturalise. On dit : « Regardez, les femmes ont moins de désir », « c’est la preuve qu’elles ont naturellement moins de désir. », etc. Si l’on n’a pas une lecture biopsychosociale des phénomènes qu’on décrit, on peut facilement avoir tendance à les naturaliser et effectivement à décrire le rapport des hommes au sexe comme impérieux, à chercher à cela des preuves biologiques, alors que les femmes auraient moins de désir.
Parlons de la fameuse testostérone. Cette prétendue hormone masculine, fer de lance des masculinistes, brandie comme un joker pour tenter de clore toute discussion. Cette hormone magique permet notamment d’expliquer les comportements impulsifs de certains hommes exclusivement à toute autre cause…
Je ne suis pas biologiste et ne m’estime pas suffisamment compétente pour parler spécifiquement de la testostérone. Néanmoins, je lis les biologistes, même les plus déterministes. Ils expliquent que, de fait, les hormones agissent sur les comportements, mais que nous sommes les mammifères les plus évolués. Nous avons des cerveaux plus développés que les autres. Nous ne sommes pas juste une réalité hormonale. Nos comportements ne sont pas conditionnés juste par les hormones, et pas par cette hormone-là. Elle n’agit pas directement sur le besoin sexuel ou l’agressivité, comme on le dit par cliché. Elle agit aussi sur la recherche de statut social.
Une société qui dit que pour avoir du statut social, il faut écraser les autres, les dominer, ne donne pas la même chose qu’une société où il faut être respectueux et prendre soin des besoins des autres pour être valorisé. Les études nous montrent que cela ne joue pas de façon aussi caricaturale que ce qu’on voudrait nous faire croire sur la libido. Il faudrait se demander dans quelle société nous voulons vivre. Veut-on une société qui valorise les comportements pro-sociaux parce qu’on souhaite l’égalité ? Alors il faut se demander comment gérer ces différences, de manière à ce qu’il n’y ait pas une moitié de l’humanité qui soit autorisée à violer l’autre moitié.
À propos de vos études, vous évoquez un sexologue, Jean-Yves Desjardins. Pour vous, c’est une sommité qui dit des conneries, et qu’il y en a plein d’autres comme lui. Cet homme et sa méthode, le sexo-corporel, est particulièrement en vogue en France. Vous-même avez été tenté de suivre ce cursus. Vous avez déchanté ?
Oui, pour plein de raisons.
Quand avez-vous compris que sa méthode ne vous correspondait pas et était quelque chose d’hétéro-centré ?
Il y avait une démarche de naturalisation des comportements sexuels, une manière de reconduire le script sexuel hégémonique qui vient quand même d’une société où la sexualité visait uniquement à la procréation. Quand on veut procréer, ce qu’on garde de l’animalité, de l’évolution, c’est qu’on a un trou, un creux (une vulve) et une bosse, (un pénis) pour pouvoir féconder plus facilement. Sauf que l’on a choisi d’être des êtres de culture qui font civilisation. Et le processus de civilisation, c’est justement de s’émanciper de cela et de décider ce qu’on veut en faire. Nous sommes dans une ère où la sexualité est également récréative. Entre 10 et 20% de femmes jouissent avec une pénétration exclusivement. Donc, se référer à une nature et où il faudrait érotiser les bosses et les creux et qu’en gros, oblige à une grande congruence avec son sexe biologique. Sinon, « c’est pas normal ». De fait, c’est pas du tout gay friendly, ni LGBT. Ça ne permet pas de penser et d’accueillir des sexualités non-hétéros, non-pénétratives. Le script se ferme plutôt que de s’ouvrir. D’autres sexologues dont je fais partie estimons que, justement, ce script : préliminaire-pénétration-éjaculation, on devrait s’en libérer. C’est limitant. De plus, cela explique tout un tas de symptômes comme les dysfonctions érectiles. La pression est énorme de se focaliser sur cette fameuse pénétration.


Revenons à Rosemary Basson, autrice de « Bullshit ». Elle est devenue célèbre grâce à son modèle circulaire du désir conçu dans les années 2000. Quand vous l’avez découverte, vous vous êtes dit, chouette, enfin une camarade qui ne réduit pas le désir sexuel humain à des histoires de câblage synaptique, de phase plateau et de contractions périnéales réflexes, et qui remet le genre dans l’équation. Vous avez été séduite. Néanmoins, quand vous avez creusé, vous avez compris qu’il y avait une insistance chez cette experte à souligner qu’hommes et femmes sont profondément différents en matière de désir. Expliquez-nous pourquoi cette théorie vous a également déçue?
On parle en sexologie de freins et d’accélérateurs du désir. Donc si pour plein de raisons que j’explique dans le livre, les femmes ont de nombreux freins à desserrer, qui sont la charge mentale, qui sont les représentations négatives, qui sont la peur, qui sont peut-être des violences sexuelles vécues dans le passé, etc., de ce fait, il va leur falloir beaucoup d’accélérateurs, donc beaucoup de conditions environnementales facilitantes pour que les stimuli favorisent l’envoi. Une femme qui va bien et qui n’a pas vécu trop de violences ou qui les a réglées, et qui est dans un contexte où, justement, elle se sent en sécurité, il ne va pas lui falloir grand-chose pour démarrer. Tout est réactif. Le souci est qu’en reconduisant ce qui est déjà existant, on ne laisse pas le temps aux femmes, d’avoir du désir, d’avoir l’élan. Elles se retrouvent parfois à devoir rattraper le truc en cours une fois qu’elles sont déjà dedans ! Mais ce qui est insupportable, c’est qu’elle dit que l’on va pouvoir y trouver d’autres raisons que le plaisir de simplement faire du sexe, comme par exemple mieux accepter les défauts de son mec… J’estime qu’à ce moment, Rosemary Basson pousse les femmes à instrumentaliser le sexe encore plus qu’elles ne le font déjà. Elle est parvenue à vendre comme à la fois scientifique, novateur et progressiste, un condensé de clichés hétéronormatifs.
Finalement, Maylis, est-ce qu’il faudrait se résigner et coucher, pour acheter la tranquillité dans son couple? En fait, en faire peut-être presque un non-sujet, se dire que ma foi avant, c’était le « devoir conjugal ». Et que cela l’est resté au fond, vu que beaucoup de sexologues sont eux aussi cadrés par une société formatée. Des solutions ?
Oui, on peut être réparé ! En laissant la place au désir d’émerger. Ce mouvement est nécessaire à faire. Il y a cette image du gâteau au chocolat. Si on nous bourre d’un gâteau, que déjà peut-être on nous a trop donné à une période où ce n’était pas bon pour nous, et que l’on continue à nous en donner en disant, « Mais si, regarde, c’est bon, mais si c’est bon !», nous allons certes recevoir des shoots sucrés mais on ne nous aura pas laisser le temps d’avoir le choix, de former notre goût, d’apprécier des variétés et d’autres recettes… Il y a face à cela les « Monsieur sinon ». Mais face aux sollicitations sexuelles, la réponse à la question « sinon quoi ? », devrait être « sinon rien ». Pas de sinon.
Qui sont-ils ? Ceux que vous nommez des « connards propres, élégants, la coercition mielleuse, la contrainte, l’air de rien. Leurs conjointes ne parlent jamais de violence et au grand jamais de viol. Elles nagent dans le déni d’une violence pourtant bien mal camouflée par la rhétorique du grand besoin »…
Le désir n’est pas compatible avec la coercition, avec la contrainte. S’il y a une condition, s’il y a une conséquence négative au fait de refuser, alors naît a minima de l’inquiétude, voire de la crainte. Car personne n’a envie de vivre des mauvais quarts d’heure, du chantage, des week-ends où l’autre fait la tronche. Donc, on va se mettre à évaluer ce qui est le pire. Ceci, évidemment, n’est pas du tout compatible avec le fait d’avoir un désir qui émerge et s’épanouit.
Votre livre pourrait être jugé androphobe. Vous dites: « on pourrait consacrer une vie entière à cataloguer les hommes dans un vestiaire de la médiocrité. Il faut s’efforcer de saisir le monde tel qu’il apparaît aux hommes, déformés par leur conscience embuée. Mais il faut aussi, et peut-être surtout, faire l’entomologie des femmes et de leurs 17.268 manières de se négliger. » Androphobe, mais également misogyne donc : vous dites que ces femmes qui ont fait leur triple journée, celles qui ont « larbiné, pouponné, tapiné » mi-superwomen, mi-boniches, on pourrait les appeler des Germaine. Qu’est ce qu’une Germaine ?
Les Germaine sont des femmes qui sont tenues de gérer et de mener 30.000 trucs de front et qui deviennent à la fois speed et dévitalisées. Les chiffres statistiques montrent que la charge mentale est inégalement répartie: penser au pédiatre du Petit, à l’orthophoniste de Machin, au sport de Chose, aux fringues qu’il faut racheter. Épuisées le soir, elles n’ont pas que ça à faire, remettre le couvert pour un truc qui est moyennement plaisant en plus. Ni ludique, ni convivial, ni relationnel, ni sympa. Elles n’y trouvent pas leur compte. Ça ne les détend même pas. C’est une tâche de plus. D’où le titre de mon livre: « corvée de sexe ».
Vous dépeignez vos patients avec une certaine brutalité, vous n’édulcorez pas. Un refus de mettre à distance ce qui vous retourne les tripes. Votre phrasé peut être sale. Et c’est salutaire parce que le sexe, c’est organique: des fluides corporels que nous échangeons durant l’acte sexuel. Pourquoi vous avez pris ce parti très rentre-dedans ? Sans mauvais jeu de mots…
Déjà parce que c’est un coup de gueule et que moi je vis les choses fortement, donc je les traduis comme je les vis. Et parce que c’est choquant quand on est dans l’intimité de ces personnes et qu’on les écoute. Voir ce qu’elles sont capables de subir pour avoir la paix sociale. J’ai l’impression aussi que si on ne nomme pas les choses crûment, on passe à côté du sujet. Certaines de ces femmes elles-mêmes, ne voient pas le problème et le banalisent. Elles édulcorent complètement les situations. En aiguillant, il faut pouvoir faire sentir des choses qu’elles-mêmes mettent du temps à nommer. La preuve, c’est la patiente Madame Vide-couilles qui a utilisé en premier ce mot… Il faut en passer par les sens. Il faut en passer par une langue, comme vous dites, qui est organique, qui est corporelle, qui est sensorielle. Toutes ces femmes sont dissociées si on reste dans le registre de l’intellect. C’est ça ce travail… Oui, vraiment, vous incarnez avec des mots propres au corps. La méthode proposée à votre patientèle, c’est d’abord la concentration sur les sensations. C’est déjà commencer à se passer quelques semaines de tout type de pénétration et d’éjaculation avec madame. Protocole inspiré du fameux « Sensate Focus » des sexologues Johnson et Masters: bijou de comportementalisme qui consiste à priver les gens de leurs mauvaises habitudes pour les obliger à en prendre de moins pourries.

Virginia Eshelman Johnson et William Howell Masters, sexologues américains pionniers. Ils ont inventés le « Sensate Focus », approche qui se concentre davantage sur l’expérience sensorielle et émotionnelle que sur la performance sexuelle
Vous prenez l’image d’une jambe cassée. Pour qu’elle puisse se réparer, il faut commencer par arrêter de marcher. Expliquez-nous !
La méthode consiste à empêcher les gens de dysfonctionner comme ils le font, c’est-à-dire de faire du mauvais sexe qui aggrave le problème, avec ce fameux « plus je fais un truc qui ne me fait pas de bien, plus je développe de l’aversion pour ce truc », et surtout à faire baisser le stress de manière à ce que le système nerveux puisse réassocier la sexualité – ou en tout cas l’intimité – à quelque chose de sympa. Et donc pour cela, il faut éliminer de la scène tous les facteurs d’angoisse et essayer de créer des conditions qui permettent de passer un moment d’intimité où l’on se sent en sécurité. Et après cela, rajouter petit à petit, des choses qu’on peut choisir et qui font qu’on reste connecté au fait qu’on se sent en sécurité. Le désir et le plaisir ne peuvent émerger que si notre système nerveux est régulé, en mode détente. Pour ce faire, il faut éliminer tout un tas de facteurs qui stressent. Par exemple, le fait de devoir tout le temps être la personne à l’initiative ce qui peut finir par faire culpabiliser, ou bien le fait de savoir que dès la première caresse, il va falloir aller de A jusqu’à Z.
On arrête de faire A, B, C, D.
Petit à petit, le couple réinvente son propre alphabet érotique et se retrouve à converser physiquement. Mais en vérifiant tout le temps qu’on est en train de faire seulement des choses qui nous plaisent. C’est de la pleine conscience. On s’assure à chaque instant, on apprend à sonder à l’intérieur de soi, si on est bien, si ça nous va, si ça nous plaît. Certains hommes ont peur de ces semaines d’abstinence et peuvent parler de leur peur des couilles bleues, ou du sperme qui pourrait moisir !
Les femmes, elles, craignent qu’ils aillent voir des prostituées s’ils ne sont pas « purgés »…
C’est ça, c’est ce que j’ai un peu expliqué au début avec Madame Vide-couilles.
Parlez-nous de l’arnaque de 68, qui peut être résumée en un slogan, « éjaculons sans entrave, avortez librement. » Sommes-nous les héritières d’une immense escroquerie, une prétendue révolution sexuelle qui a surtout décomplexé les pédophiles et les cons? Celles qui n’ont pas pu jouir sans entrave ont été montrées du doigt. Nous avons été nombreuses à nous convaincre qu’il fallait être « de bonnes chiennes ». Faudrait-il dématrixer son désir ? Vous-même, vous avez tenté de vous réorienter sexuellement ?
Oui. Tout comme ces milliers de femmes qui chaque jour, disent, « Moi j’arrête les hommes, maintenant je fais les choses des femmes, c’est plus simple. » Mais attention, il faut y arriver. Notre système nerveux, notre univers érotique s’est modelé petit à petit dans notre vie. Il est conditionné par une éducation, par une socialisation qui fait que depuis la maternelle, on nous câble à désirer des princes charmants plutôt que des princesses charmantes, à être excité par tel type de physique. Cette foultitude de facteurs oriente notre désir. De même si l’on a connu de la violence… Nous sommes conditionnées par les scénarios sexuels que l’on voit et on se met à érotiser, notamment le fait d’être désirées. Finalement, on finit par être excité par le fait d’exciter quelqu’un et éventuellement par la violence. Nous avons appris aussi physiquement à trouver de la jouissance dans telle ou telle pratique. Bien sûr, il existe les godes, mais on a appris à désirer tel homme pour faire tel truc. En définitif, ce n’est pas donné à tout le monde de se réorienter.
« Les vrais neurobiologistes donc pensent eux aussi, qu’on peut apprendre à aimer des choses nouvelles tout au long de sa vie, que ce soit les épinards ou le cunni. De fait, le cerveau humain est doté d’un ensemble complexe de structures capables de réécrire la carte de nos plaisirs. » Parlez-nous de la carte des plaisirs ! Vous évoquez le Kamasutra...
J’utilise personnellement la métaphore de la planète, c’est-à-dire que chacun arrive avec sa planète érotique. Parfois j’ai l’image des cartes IGN et on les met l’une à côté de l’autre et on voit quelles routes coïncident, quelles routes permettent d’aller chez l’autre. Il y a forcément des choses qu’on va pouvoir superposer, d’autres qui ne vont pas tout de suite coller. En revanche, les deux planètes sont comme deux cercles qui géométriquement peuvent se recouper. C’est cela que l’on va partager. Sur les choses incluses. L’univers érotique se trouve là. Ces deux cercles peuvent évoluer et se recouper de plus en plus. On explore et visite des zones qui jusque-là étaient en jachère.
Malgré vos efforts, il y a des couples qui se séparent, parce que le grand besoin n’est pas obtenu par Monsieur, que le « devoir conjugal » n’est pas fait par Madame…
Ce fameux devoir conjugal, ce mot ne devrait même pas exister. Je trouve ça fascinant. D’ailleurs la France a été condamnée, il y a quelques mois, le 23 Janvier 2025, par la Commission Européenne des Droits de l’Homme, pour son interprétation toute personnelle du viol conjugal et a rappelé que « tout acte sexuel non consenti est constitutif d’une forme de violence sexuelle ». Et en même temps, on vient d’une société dans laquelle la femme appartenait à son mari, comme un meuble, dans le Code Civil de 1804, dit Code Napoléon qui estimait qu’il ne pouvait pas y avoir de viols entre époux. Les juges et les avocats, de ses 50 dernières années, en sont encore fortement imprégnés même s’il y a dernièrement une évolution, un progressisme Ce fameux devoir conjugal est un mot qui ne figure nulle part dans la loi. C’est plus vu comme un impôt de la femme.


Vous évoquez le potlatch…
Oui, tellement de choses s’expliquent grâce à ça. Les femmes ont intégré que coucher fait partie des trucs qu’elles mettent dans la balance. C’est-à-dire que tout est don contre don. De fait, tout est potlach. Or dans le potlach, il ne faut pas que l’offrande, le cadeau, le don soit trop coûteux. Le concept tient dans l’équilibre. Et là, l’équilibre est rompu car les femmes en corvée de baise, estiment donner quelque chose qui ne vaut rien alors que c’est quelque chose qui vaut beaucoup pour l’autre. En tout cas, c’est amené comme cela.
Pour conclure, vous dites que vous ne vous faites pas trop d’illusions sur les effets de votre discours qui fait peur. Dernièrement, s’est joué à Paris, la pièce d’Ovidie, « La chair est triste, hélas », incarnée par Anna Mouglalis, qui évoque la question de la grève du sexe. Qu’est-ce que vous pensez de cette réaction, d’une branche féministe qui arrête le sexe ?
Moi, je les comprends, vraiment. Si les hommes ne bougent pas, il est normal que les femmes décident de faire leur vie. C’est un rapport de force. Je vois les choses plutôt comme ça. D’où mon discours qu’il faut absolument que les femmes arrivent à se positionner comme des sujets pour changer la donne et pousser les hommes à bouger de leur côté et à revoir leurs exigences parce qu’en face, on ne leur donne pas tout cuit, on ne leur sacrifie pas nos corps juste parce qu’on n’a pas confiance en nous. En fait, je ne vois pas bien comment cela peut se faire sans un genre de bras de fer.
Je ne sais pas si c’est dommage, mais c’est triste. Oui, il est triste de constater qu’on n’arrive pas ensemble à bouger. Il y a cette espèce de polarisation qui est inquiétante avec une montée du masculinisme. Néanmoins, je pousserai cette réflexion plus loin : les femmes doivent aussi être des sujets sexuels. C’est OK de choisir de partir, enfin disons de ne plus jouer, mais par contre, c’est important de se rendre compte qu’on joue tous et toutes le jeu du mauvais sexe en fait. On devrait nous-mêmes faire des propositions. C’est est sûr que si au bout de trois fois qu’on propose du bon sexe, c’est-à-dire que nous aussi, on vient avec d’autres scripts, des compétences érotiques, et qu’en face, on a des gars qui veulent juste de la junk food sexuelle, ok, là on peut juste passer son chemin. Mais c’est important de se dire qu’on a notre rôle à jouer aussi. On a le droit de ne pas le jouer, mais si on joue, il ne faut pas attendre seulement des mecs que, eux viennent avec. Disons que moi, je suis dans un endroit du monde où je milite pour qu’on essaye de changer le script, pour que tout cela soit plus savoureux. Qu’on arrête de chercher qui est le coupable. Et que, en l’occurrence, il faut que le désir chemine hors des sentiers balisés.
Propos recueillis par Bénédicte Martin
18.12.2025 à 21:15

La mort d’Olivier Marleix a foudroyé et sidéré sa famille, ses soutiens et la France entière. Ex-président du groupe parlementaire Les Républicains, député d’Eure et Loire, figure très respectée sur tous les bancs de l’Assemblée nationale, il avait reçu le prix Anticor en 2020 pour sa mission à la tête de la commission d’enquête sur la vente d’Alstom. Lorsque la mort l’a emporté, il achevait le manuscrit d’un réquisitoire contre le pouvoir en place. Ce livre, « Dissolution française. La fin du macronisme », a paru aux éditions Robert Laffont dans une version quasi achevée. Il est aujourd’hui classé dans les meilleures ventes, en dépit du faible écho que lui donnent les médias mainstream. Le frère du député, Romain Marleix, collaborateur du Sénat, a accepté de venir sur notre antenne, afin de faire vivre sa mémoire et de faire connaître les combats pour la souveraineté de la France qui étaient les siens.