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30.06.2025 à 06:00

Gaza. La caravane maghrébine au piège des rivalités libyennes et de l'Égypte

Driss Rejichi

Dans le cadre de la Marche mondiale vers Gaza censée briser le siège imposé par Israël via l'Égypte, la caravane Soumoud est partie le 9 juin de Tunis, avec plusieurs centaines de militants maghrébins dans ses rangs. Mais le voyage a tourné court en Libye. Après la récupération politique du clan de Abdel Hamid Dbeibah, est venu le temps du blocage imposé par les forces du maréchal Khalifa Haftar, allié du président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi. Les images sont impressionnantes : le 9 (…)

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Texte intégral (4082 mots)

Dans le cadre de la Marche mondiale vers Gaza censée briser le siège imposé par Israël via l'Égypte, la caravane Soumoud est partie le 9 juin de Tunis, avec plusieurs centaines de militants maghrébins dans ses rangs. Mais le voyage a tourné court en Libye. Après la récupération politique du clan de Abdel Hamid Dbeibah, est venu le temps du blocage imposé par les forces du maréchal Khalifa Haftar, allié du président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi.

Les images sont impressionnantes : le 9 juin aux aurores, sur l'avenue Habib Bourguiba au cœur de Tunis, des milliers de personnes agitent des drapeaux palestiniens autour de dizaines d'autobus et de voitures. La foule est venue célébrer le départ de la caravane Soumoud1 un convoi humanitaire à destination du poste-frontière de Rafah. « Nous allons nous dresser contre l'entité sioniste et faire entrer l'aide dans Gaza », explique sur Mosaïque FM un porte-parole de la Coordination pour l'action commune pour la Palestine, une organisation créée fin 2024 et à l'origine du projet.

Comme pour la Flottille de la liberté, la caravane Soumoud avait l'ambition d'attirer l'attention sur le blocus humanitaire imposé par Israël aux Gazaouis. Traversant la Libye, le convoi devait rejoindre les participants à la Marche mondiale vers Gaza censés arriver simultanément au Caire par avion, avant de se diriger vers le poste-frontière de Rafah qui sépare l'Égypte de la bande de Gaza. Un objectif ambitieux au regard des divisions politiques qui traversent le Maghreb et de la politique du Caire. Sur les 1 700 participants au départ de Tunis le 9 juin, il y avait environ 200 Algériens, en plus de quelques ressortissants marocains et mauritaniens, rejoints par la suite par quelques Libyens.

« J'étais persuadée qu'on nous arrêterait avant de rejoindre Rafah », explique Souad (le prénom a été modifié), une Tunisienne ayant participé au convoi, même si elle se souvient que « d'autres participants étaient sûrs qu'on atteindrait la frontière, et espéraient même entrer à Gaza ». La jeune femme anticipait une réaction hostile du régime égyptien du président Abdel Fattah Al-Sissi, connu pour sa proximité avec Israël — même si des tensions émergent depuis le début de l'année. En réalité, la caravane Soumoud ne quittera même pas le territoire libyen : après une traversée mouvementée de la Tripolitaine, elle est bloquée à Syrte par l'Armée nationale libyenne (ANL) du maréchal Khalifa Haftar, qui contrôle l'Est et le Sud du pays.

Carte de la Libye montrant les zones contrôlées par différentes factions.
Carte de la Libye et de sa répartition entre le Gouvernement d'unité nationale (GUN), dirigé par Abdel Hamid Dbeibah, et l'Armée nationale libre (ANL) commandée par le maréchal Khalifa Haftar.

Accueil chaleureux et « tentative d'instrumentalisation »

Les premières images de l'entrée en Libye sont pourtant encourageantes. Après avoir traversé la Tunisie du nord au sud en étant rejoint par d'autres militants à chaque étape, le convoi passe le poste-frontière de Ras Jedir le 10 juin. Complètement acquise à la cause palestinienne à l'Ouest comme à l'Est, la population libyenne lui réserve un accueil chaleureux. Les scènes de liesse s'enchaînent dans les différentes villes de la Tripolitaine. « Les gens sur la route nous donnaient des paquets de sucre, ils nous jetaient des pétales ou aspergeaient les voitures d'eau de rose », se souvient Souad.

Le Premier ministre Abdel Hamid Dbeibah publie également un post Facebook le 11 juin où il explique être « fier de son peuple » et de « cette initiative humanitaire fraternelle ». Un acte loin d'être dénué d'arrière-pensées, alors que les manifestations s'enchaînent depuis un mois pour réclamer sa démission. Des combats ont même repris quelques jours avant l'entrée de la caravane à Tripoli et Sabratha, les 6 et 8 juin, entre des groupes armés opposés au premier ministre et des milices affiliées au gouvernement. S'il est célébré, le convoi Soumoud traverse donc un territoire sous tension, et avec une lourde escorte.

Des bus en cortège, des passagers agitant des drapeaux et souriant.
La caravane Soumoud entre à Tripoli en s'engageant sur le périphérique, pour contourner le centre-ville, le 11 juin 2025.
Page Facebook de la coordination de l'action commune pour la Palestine.

Souad se souvient « avoir vu une panoplie d'uniformes et d'unités impressionnantes », notamment des véhicules de la Force antiterroriste (Counter Terrorism Force, CTF), une milice de Misrata. Puissants soutiens du clan Dbeibah, les groupes armés de cette ville côtière située à 180 km à l'est de Tripoli sont vivement critiqués par les opposants au Gouvernement d'union nationale (GUN). « Il y a eu une tentative d'instrumentalisation politique », déplore un représentant de l'assemblée communale de Souq Al-Jomaa. Ce quartier populaire de Tripoli, épicentre de la contestation contre le premier ministre, a été contourné par l'itinéraire de Soumoud. Pourtant, la population de cette zone « soutient avec force ce convoi » selon le représentant communal qui regrette de ne pas avoir pu se rendre lui-même à la rencontre des militants.

Lors de son arrivée à Misrata le 12 juin, la caravane est également accueillie par des banderoles où l'on peut lire « La ville de la résistance accueille la caravane de la résistance ». Quatre chamelons sont sacrifiés pour un grand banquet auquel sont conviés tous les militants du convoi. « C'était exceptionnel. C'est la ville où l'on a été accueilli de la manière la plus organisée et la plus institutionnelle », se souvient Souad. Après ce dernier point d'étape en Tripolitaine, direction Syrte le soir même.

Du Caire à Syrte, les militants bloqués et arrêtés

La ville marque l'entrée en Cyrénaïque, région contrôlée par l'ANL. Mais le convoi n'a même pas le temps de l'atteindre : il est bloqué par un barrage de soldats, une vingtaine de kilomètres avant. Il fait nuit, un bouchon énorme se forme, les véhicules de la caravane se mettent sur le bas-côté. Les soldats annoncent vouloir simplement vérifier les papiers des militants. La veille, le ministère des affaires étrangères basé à Benghazi a publié un long communiqué expliquant « prendre note » de la position du gouvernement égyptien qui, de son côté, a invoqué « la nécessité d'obtenir des autorisations préalables pour des visites » dans « la zone frontalière avec Gaza ». Allié au clan Haftar depuis 2014 et la guerre contre les groupes islamistes en Libye, Abdel Fattah Al-Sissi continue d'apporter un important soutien politique et militaire à Benghazi, notamment en entraînant des unités de l'ANL, tandis que les entreprises égyptiennes se jettent depuis 2023 sur les marchés de reconstruction de la Cyrénaïque.

Dans les faits, des hommes de l'ANL en armes encerclent le convoi. La tension commence à monter. Finalement, les militants n'ont d'autre choix que de planter leurs tentes là, en plein désert. La caravane va passer deux nuits dans ce campement improvisé, sans possibilité d'être ravitaillée par l'extérieur ou de continuer sa progression. « Les conditions étaient horribles, sans toilettes ni douches », décrit Souad, « le réseau internet et de téléphonie était coupé à 50 kilomètres à la ronde ». Le 13 juin, une dizaine de membres du convoi sont même interpellés et détenus par des soldats de l'ANL, tandis que son porte-parole Wael Naouar assure avoir été frappé.

Le blocage du convoi coïncide avec les premières arrivées de militants à l'aéroport du Caire, où la police égyptienne arrête et expulse de nombreux voyageurs, notamment tunisiens et algériens, venus participer à la Marche vers Gaza. Pour justifier cette répression, l'Égypte invoque dans un communiqué « l'importance de respecter les lois et les réglementations régissant l'entrée sur son territoire », un argument également utilisé par les autorités de Benghazi pour bloquer le convoi. « Nous avons négocié plus de cinq heures avec les organisateurs », explique une source diplomatique de l'Est libyen, tout en assurant que « les voyageurs du convoi ne disposaient pas d'autorisations sécuritaires », un document que le gouvernement de Benghazi exige en temps normal pour tout visiteur étranger, même exempté de visas.

Un rassemblement nocturne avec des bus, des drapeaux et des personnes célébrant.
Des soldats de l'ANL font face aux militants du convoi Soumoud, près de Syrte, dans la nuit du 12 au 13 juin 2025.
Page Facebook de la coordination de l'action commune pour la Palestine.

Fait rare, un rassemblement est organisé à Benghazi le 15 juin pour dénoncer les crimes israéliens et soutenir la population de Gaza, mais confirmant le refus de voir la caravane Soumoud entrer dans cette région du pays. « Les gens ici n'y sont pas favorables, car la caravane n'a pas respecté les procédures de sécurité », explique un journaliste de Benghazi. Une source diplomatique précise que cette réaction se comprend aussi par « l'attachement profond du peuple de l'Est à la paix et à la stabilité en Libye », la région étant encore marquée par les stigmates des dernières guerres civiles. Sur les réseaux sociaux libyens, plusieurs publications et commentaires accusent même le convoi Soumoud d'avoir cherché à « détériorer les relations entre Libyens ».

Un Maghreb toujours divisé

Une fois lancées, ces accusations permettent de légitimer le blocage du convoi à Syrte, malgré l'alignement de l'opinion sur la cause palestinienne. « Des gens ont commencé à dire que la frontière israélienne commence à Syrte », rapporte Souad. Selon elle, la publication de fausses informations a participé à la montée des tensions. Après trois jours de bras de fer, la caravane fait demi-tour à contrecœur le 14 juin au soir, tout en exigeant la libération complète des détenus avant de rentrer en Tunisie. Ils le seront trois jours plus tard.

En Algérie comme en Tunisie, deux régimes officiellement soutiens de la Palestine, aucune déclaration officielle sur les cas de citoyens arrêtés, que ce soit au Caire ou à Syrte. Le président tunisien, Kaïs Saïed, affiche pourtant régulièrement un soutien ferme à la cause palestinienne. Quelques jours après le 7 octobre 2023, le chef d'État avait d'ailleurs assuré que « le soutien aux Palestiniens ne devrait pas se limiter aux déclarations »2. Des manifestations pour exiger la libération des détenus et le passage du convoi ont lieu pourtant le samedi 14 juin dans différentes villes tunisiennes. Dans la capitale, des centaines de personnes interpellent le chef de l'État sur son manque de soutien à la caravane. Rien de tel en Algérie, où les appels à la mobilisation populaire sont d'habitude fermement réprimés.

La diplomatie tunisienne n'est d'ailleurs pas plus engagée sur le dossier de la Marche vers Gaza au Caire, où des citoyens tunisiens ont également été arrêtés. Depuis son premier déplacement en Égypte en avril 2021, Kaïs Saïed affiche une proximité constante avec Al-Sissi, et le président tunisien n'a jamais critiqué la position égyptienne sur le conflit.

Sur les réseaux sociaux égyptiens, l'on crie au « complot » contre le pays et accuse de « traîtrise » ceux qui soutiennent la caravane Soumoud. Même son de cloche du côté des défenseurs du régime marocain : à Rabat, qui entretient depuis 2021 des relations officielles avec Israël, le président de la très officielle Ligue marocaine pour la défense des droits de l'homme (LMDH), Adel Tchikitou, a déploré « la présence d'infiltrés téléguidés par des régimes comme celui de l'Algérie, qui manipule la cause palestinienne », après que la photo d'un véhicule de Soumoud arborant une carte du Maroc sans le Sahara a été diffusée en ligne. La LMDH, réputée pour sa proximité avec le régime, ne doit pas être confondue avec l'Association marocaine des droits de l'Homme (AMDH), qui avait au contraire publiquement critiqué « la répression des autorités égyptiennes » contre les initiatives populaires pour Gaza.

L'absence de soutien officiel aux initiatives populaires pour Gaza témoigne de la dérive des régimes d'Afrique du Nord vers l'autoritarisme. Au Maroc comme en Égypte, les appels à manifester contre la politique de normalisation des gouvernements sont surveillés avec attention. En Algérie et à Benghazi, la société civile dispose depuis des années d'un espace d'expression extrêmement réduit, sur tous les sujets. Même en Tunisie, où d'importantes manifestations rassemblant les différents courants politiques ont été organisées dès octobre 2023, les activistes propalestiniens sont désormais soumis à une répression croissante. Wael Naouar avait d'ailleurs déjà fait l'objet d'une perquisition violente fin 20243. S'il affirme aujourd'hui vouloir relancer l'initiative Soumoud à l'avenir, ses chances de succès semblent toujours aussi minces sans un réel réveil démocratique dans la région4.


1NDLR. Le terme soumoud n'a pas d'équivalent exact en français. Il renvoie au fait de tenir bon dans la résistance.

2«  Kaïs Saïd : “Notre soutien aux Palestiniens ne devrait pas se limiter aux déclarations”  », L'Économiste Maghrébin, 9 octobre 2023.

3Nesrine Zribi , «  “Ce sera votre dernière manifestation” : la répression des activistes pro-Palestine en Tunisie  », Inkyfatada, 29 novembre 2024.

4«  Wael Nawar : Il y aura un Soumoud 2, 3… jusqu'à la levée du blocus  », La Presse de Tunisie, 19 juin 2025.

27.06.2025 à 06:00

En Jordanie, la fin du théâtre ?

Sara Al-Ramahi

Embryonnaire dans les années 1960, émergente dans les années 1970, politique et prolifique dans les années 1990 et 2000, la proposition théâtrale en Jordanie connaît aujourd'hui un effilochement. De renaissance en constat d'échec, le secteur veut se structurer et refuse le tomber de rideau. Une fois encore, Musa Hijazin monte sur scène pour interpréter le personnage de Somaa, bien connu du public jordanien pour ses critiques humoristiques mêlant politique et vie quotidienne. Employé au (…)

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Embryonnaire dans les années 1960, émergente dans les années 1970, politique et prolifique dans les années 1990 et 2000, la proposition théâtrale en Jordanie connaît aujourd'hui un effilochement. De renaissance en constat d'échec, le secteur veut se structurer et refuse le tomber de rideau.

Une fois encore, Musa Hijazin monte sur scène pour interpréter le personnage de Somaa, bien connu du public jordanien pour ses critiques humoristiques mêlant politique et vie quotidienne. Employé au Café du Peuple, un modeste établissement fréquenté par les habitants du quartier, Somaa a pour habitude de s'interroger à voix haute sur les sujets qui le préoccupent, tandis que les clients cherchent à le faire taire. Sa spontanéité finit par l'envoyer en prison où, là aussi, les détenus lui reprochent son indocilité et son refus obstiné d'être « un citoyen sur commande ». Face au responsable de la division « Pain et Fourrage », il n'hésite pas à s'écrier : « Jadis, ce pays était l'un des greniers à blé de Rome, et vous, vous le laissez mendier une miche de pain… libérez le pain pour que les gens se libèrent. »

La pièce, dont la première a eu lieu en 1997, évoque les émeutes du pain qui avaient éclaté en Jordanie l'année précédente. Écrite et mise en scène par Mohammed Al-Chawaqfeh, elle fait partie d'un recueil de textes politiques satiriques produit par le duo Al-Chawaqfeh et Hijazin entre 1992 et 2006. Les deux hommes s'étaient rencontrés alors qu'Al-Chawaqfeh venait d'achever ses études en Yougoslavie. Celui-ci avait fait forte impression sur Hijazin, qui appréciait sa culture et saluait son souci de justice sociale autant que sa volonté d'œuvrer à une production culturelle de qualité en Jordanie.

Le renouveau du Théâtre du Soleil

C'est en 1992 que le duo produit sa première pièce, intitulée Hey, America. Les deux artistes avaient déjà connu le succès avec Zaman al-chaqlaba Le temps de la pirouette »), une œuvre de Nabil Al-Machini qui, après une tournée triomphale en Jordanie, avait été jouée dans cinq États américains. Ils collaborent ainsi durant plusieurs années, avançant tous les frais et comptant sur la billetterie pour couvrir les coûts de production (location de la salle, salaires des comédiens, éclairage, décor, etc.). Avec un public au rendez-vous, puisqu'ils font salle comble partout. Cette popularité, qui constitue à leurs yeux la meilleure preuve de réussite, leur permet de multiplier les représentations dans les pays arabes et à l'international jusqu'à la fin des années 1990. Al'an fahmatkoum Maintenant, je vous ai compris »), est la dernière pièce dans laquelle ait joué Hijazin, en 2011 et 2012. Écrite par Ahmad Hassan Al-Zoubi et mise en scène par Mohammed Al-Damour, l'œuvre traite des révoltes d'alors dans le monde arabe, les fameux « printemps ». Après cela, le rideau est tombé sur la scène du Théâtre Concorde, jusqu'à ce qu'en 2017 le dramaturge Abdelssalam Qabilat décide de reprendre la salle sous le nom de Masrah Al-Chams (Théâtre du Soleil).

Qabilat est revenu de Russie, où il s'était installé, avec l'intention d'investir dans un théâtre qui proposerait des représentations permanentes, à la manière du théâtre de répertoire, dans le but de relancer la production culturelle locale. Persuadé que les bouleversements politiques survenus dans la région sont favorables à une telle entreprise en Jordanie, l'artiste compte sur l'État pour prendre son projet en charge. Il n'en est rien et, huit années durant, il puise dans ses deniers personnels sans retour financier. « Je m'attendais naïvement à ce que l'État s'intéresse à ce projet. Dans les années 1980 et 1990, le théâtre avait commencé à se développer en Jordanie, mais l'aventure a rapidement tourné court », déplore Qabilat.

Pour restaurer le Théâtre du Soleil, il a fallu se raccorder aux réseaux d'eau et d'électricité, reconstruire la scène, remplacer les fauteuils de bois et ajouter des salles de répétition et des coulisses. Trois mois de travail intense pour pouvoir proposer une formule autre que celle des festivals qui, selon Qabilat, a détourné des salles un public censé être le socle de la production théâtrale. Les politiques culturelles de ces vingt-cinq dernières années ont en effet imposé un modèle aux allures de performance donnée par des artistes privés de public, déplore l'artiste. « Le public allait au théâtre parce qu'on y racontait des histoires qui le concernent, mais aujourd'hui il en est totalement exclu. »

Plus qu'un besoin de fonds, un besoin d'intérêt

La naissance du cadre théâtral remonte à 1962, au moment de la fondation de l'université jordanienne, avec la Famille du Théâtre universitaire, troupe créée entre autres par Nabil Al-Machini, Nabil Suwalheh, Souha Awad et Qamar Al-Safadi, puis avec le Cercle de la culture et des arts en 1966, puis la Famille du Théâtre jordanien. Dans les années 1970, les contours d'une scène locale se précisent, avec le retour de nombreux artistes partis se former à la comédie et à la dramaturgie dans des établissements arabes et internationaux. Plus tard sont créés le département d'arts dramatiques à l'université de Yarmouk et le centre de formation aux arts dépendant du ministère de la culture. Dans les années 1990, les relations du royaume avec certains pays de la région ayant souffert de la guerre du Golfe, la demande d'œuvres jordaniennes diminue dans le monde arabe. Les artistes se tournent alors vers le théâtre local, tandis que, de son côté, le ministère de la culture subventionne de nombreuses productions.

Au milieu des années 1990, la troupe Al-Fawanis (Les Lanternes) avait tenté d'instaurer un espace de liberté avec les Journées théâtrales d'Amman, un festival indépendant qui programmait des troupes arabes et internationales. Mais au bout de seize éditions, le manque de soutien financier, matériel et logistique a eu raison de l'événement.

Avec quelque 11 millions de dinars jordaniens (13,5 millions d'euros), le ministère dispose cette année d'un budget en hausse, alors que celui-ci était tombé en 2020 à son plus bas niveau, 7 millions de dinars (8,5 millions d'euros). Si la plus grande part des dépenses concerne des projets de développement culturel — diversification des formations artistiques, parrainage des jeunes talents et soutien à des projets et à des instances culturelles —, les intervenants du théâtre n'ont constaté aucune incidence concrète sur leur situation, regrette le metteur en scène Abdelsalam Qubailat. Pour celui-ci, le problème va au-delà du volet financier et réside surtout dans le peu d'intérêt accordé au théâtre et à la création en général.

Un modèle de financement à trouver

Pour Hayat Jaber, directrice exécutive du Théâtre du Soleil, c'est le public qui joue un rôle déterminant dans la pérennité du théâtre. Non seulement en sa qualité, essentielle, de critique, mais aussi en tant que source de financement. En ce sens, l'existence d'une billetterie fixe permettrait de restaurer la relation avec les spectateurs en les amenant à intégrer le théâtre dans leur vie. En payant leur place, ils éviteraient au secteur de dépendre de l'octroi de fonds. De l'avis de Hayat Jaber, une telle dépendance est désastreuse, dans la mesure où elle fait de l'artiste un « sujet » dont la production doit répondre aux directives du financeur. L'artiste se retrouve ainsi dans la position de l'intellectuel de cour qui se soumet aux conditions imposées par le pouvoir financier. Dans la situation actuelle, les subventions sont sans doute nécessaires pour maintenir la production, reconnaît Hayat Jaber. Mais en comptant sur ce seul moyen de fonctionnement, l'institution culturelle risque de se retrouver en décalage avec les mutations en cours dans le monde arabe.

Dans son dernier ouvrage1, Hanan Toukan, chargée d'études sur le Moyen-Orient au Bard College Berlin, évoque les incidences politiques sur le secteur de l'art et de la culture dans le monde arabe. Bien que cela soit généralement mal perçu, le recours aux financements étrangers peut, selon elle, permettre de créer de nouvelles formes d'art qui ne correspondent pas nécessairement aux préférences du public local. Car ce qui intéresse le donateur, c'est de soutenir un art « alternatif ». En choisissant de financer un certain genre de films ou de spectacles vivants au détriment du théâtre dit « traditionnel », et sans se préoccuper de savoir si cela attirera un large public local, il participe à l'émergence de nouvelles formes artistiques, et donc d'un nouveau type de public, plus élitiste. De fait, le changement est notable à Amman ces trente dernières années, favorisé par le recours aux fonds internationaux dans différents secteurs, et non pas seulement en matière de culture.

Si quelques-unes des troupes créées au cours des dernières décennies ont disparu, d'autres existent toujours, comme celle d'Al-Rahhala (Les Voyageurs) et la troupe du Théâtre national jordanien fondée par Hijazin et Al-Chawaqfeh dans les années 1990. De même que la troupe des Lanternes, créée dans les années 1980 par Nader Omran, Khaled Al-Tarifi et Amer Madi, mais aussi de nombreux groupes animés par de jeunes artistes émergents. Ces derniers sont contraints, pour la plupart, d'exercer un travail à côté de leur activité théâtrale, qui leur demande d'importants sacrifices personnels.

Sur les quelque 1 300 membres du Syndicat des artistes spécialisés dans l'écriture, la composition, la pratique d'un instrument, le chant, la scénographie, l'interprétation et les métiers techniques, bon nombre enseignent à l'université ou dans des écoles et instituts privés, indique leur représentant, Mohammed Youssef Obeidat. Le syndicat supervise trois festivals principaux à l'adresse des enfants, des jeunes et des adultes, et six festivals pour des troupes privées affiliées au syndicat, tandis que des troupes d'amateurs organisent un ou deux autres événements. En dehors de cette dizaine de grandes manifestations qui, selon Obeidat, n'attirent pas les foules, il n'existe pas d'activité théâtrale pérenne sur l'année. Une situation qui s'expliquerait par les problèmes financiers récurrents du syndicat, dont les rentrées sont constituées uniquement des taxes professionnelles, largement insuffisantes.

Depuis cinq ans, la situation financière de l'association est mise à mal : en raison tout d'abord de la pandémie de Covid-19 et de son cortège de fermetures et d'annulations, puis du fait de l'offensive israélienne contre Gaza, qui a impacté l'organisation des festivals et la venue d'artistes étrangers. Si l'ensemble des secteurs culturels a pâti de cette situation, le théâtre a particulièrement souffert. Les comédiens ont dû se tourner vers la télévision et le cinéma, qui, même s'ils ne sont pas épargnés par le contexte d'austérité, offrent de meilleurs salaires et une audience plus large.

Une nécessaire volonté politique

Après avoir assisté depuis 2007 à toute une série de changements dans les cursus d'arts dramatiques, Joyce Raie, enseignante d'arts dramatiques à l'université de Jordanie, à Amman, se félicite de l'excellente qualité du programme actuel, comparable à ceux des facultés de théâtre les plus renommées, avec des séjours pratiques et des enseignements théoriques préparant à une véritable professionnalisation. Mais alors que seulement quelques dizaines d'élèves sont admis chaque année dans la classe d'arts dramatiques, ceux qui obtiennent leur diplôme sont encore moins nombreux : les abandons sont en effet fréquents, en raison de la difficulté du cursus et de l'absence de débouchés. Mais pour Joyce Raie, le problème ne réside pas tant dans le faible nombre de lauréats que dans la capacité de ceux-ci à produire un travail de qualité dans la conjoncture.

Si l'adoption de politiques injustes dans un secteur donné contribue à son affaiblissement, l'absence totale de politiques peut produire les mêmes effets. Pour relancer le théâtre jordanien, qui a aujourd'hui perdu toute influence, il faudrait une volonté politique d'admettre l'importance de la culture et d'écouter les intervenants du milieu de la création, estime Qubailat.

Les artistes et les troupes travaillent actuellement chacun dans leur coin, en l'absence d'un espace de réseautage et de collaboration, déplore le comédien et dramaturge Ahmed Sorour. Une organisation officielle s'impose d'urgence, selon lui. Bien que membre du Syndicat des artistes depuis 2011, le comédien confie ne pas bien savoir quel rôle est censée jouer cette institution.

Plusieurs guides et pères du théâtre sont aujourd'hui décédés : le comédien et dramaturge Khaled Al-Tarifi, qui a influencé des générations entières d'artistes, ou le metteur en scène Hussein Nafie. Ou bien se sont exilés : le comédien et dramaturge palestinien Ghannam Ghannam a quitté la Jordanie pour rejoindre les Émirats arabes unis, afin de réaliser les projets artistiques qu'il ne pouvait mener à bien dans son pays. Les auteurs dramatiques s'accordent sur la nécessité de reconnaître la valeur du travail artistique et de réhabiliter le rôle du département de la culture. Mais la valse des ministres ne facilite pas cette tâche. Ahmed Sorour : « Si l'on me demande quel ministre de la culture je souhaite, je dirais que je veux quelqu'un qui soit issu du milieu artistique et connaisse les auteurs par leur nom… Je ne devrais pas être obligé de me présenter à chaque remaniement ministériel. »

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Cet article a été publié initialement sur 7iber

Ce dossier a été réalisé dans le cadre des activités du réseau Médias indépendants sur le monde arabe. Cette coopération régionale rassemble Assafir Al-Arabi, BabelMed, Mada Masr, Maghreb Émergent, Mashallah News, Nawaat, 7iber et Orient XXI.


Traduit de l'arabe par Brigitte Trégaro.


1The Politics of Art, Stanford University Press, 2021.

27.06.2025 à 06:00

Ce qu'ils ont vécu pendant 12 jours, nous le vivons depuis près de deux ans

Rami Abou Jamous

Rami Abou Jamous écrit son journal pour Orient XXI. Ce fondateur de GazaPress, un bureau qui fournissait aide et traduction aux journalistes occidentaux, a dû quitter en octobre 2023 son appartement de Gaza-ville avec sa femme Sabah, les enfants de celle-ci, et leur fils Walid, trois ans, sous la menace de l'armée israélienne. Réfugiée depuis à Rafah, la famille a dû ensuite se déplacer vers Deir El-Balah et plus tard à Nusseirat, coincés comme tant de familles dans cette enclave miséreuse (…)

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Texte intégral (1895 mots)

Rami Abou Jamous écrit son journal pour Orient XXI. Ce fondateur de GazaPress, un bureau qui fournissait aide et traduction aux journalistes occidentaux, a dû quitter en octobre 2023 son appartement de Gaza-ville avec sa femme Sabah, les enfants de celle-ci, et leur fils Walid, trois ans, sous la menace de l'armée israélienne. Réfugiée depuis à Rafah, la famille a dû ensuite se déplacer vers Deir El-Balah et plus tard à Nusseirat, coincés comme tant de familles dans cette enclave miséreuse et surpeuplée. Un mois et demi après l'annonce du cessez-le-feu, Rami est enfin de retour chez lui avec sa femme, Walid et le nouveau-né Ramzi. Pour ce journal de bord, Rami a reçu le prix de la presse écrite et le prix Ouest-France au Prix Bayeux pour les correspondants de guerre. Cet espace lui est dédié depuis le 28 février 2024.

Et à la fin, Nétanyahou a frappé l'Iran. Une frappe « préventive ». L'enfant gâté des États-Unis et de l'Occident a décidé que personne ne devait avoir la bombe atomique dans la région, à part Israël. Comme d'habitude, la fameuse phrase a été sortie : « Israël a le droit de se défendre. » Parce que Nétanyahou nous répète depuis plus de 20 ans que l'Iran va avoir la bombe dans deux semaines. En réalité, c'est Israël qui a attaqué l'Iran, mais l'Iran, lui, n'a pas le droit de se défendre.

Israël a mobilisé ses propagandistes partout dans le monde. On a entendu, répété en boucle, le vocabulaire qui signe l'absence de compassion avec le peuple iranien. L'Iran est réduit au « pays des mollahs », à un « régime qui impose le voile aux femmes », alors qu'il faut au contraire accepter la norme occidentale et refuser aux femmes la liberté de porter le voile ou non et leur imposer l'obligation du maillot de bain et de la minijupe...

Les hommes et les femmes du monde entier doivent se comporter comme des Européens. Sinon, il est légitime de les bombarder « préventivement ». De toute façon, le « régime » iranien n'est pas démocratique, donc ce n'est pas grave de bombarder le pays. On l'a vu en Irak et en Afghanistan, avec pour résultat le chaos.

Quelques jours avant son intronisation, Donald Trump a publié une vidéo montrant un économiste célèbre, Jeffrey Sachs, traitant Nétanyahou de « sombre fils de pute » et l'accusant d'entraîner les États-Unis « dans des guerres sans fin » au Proche-Orient. Mais, aujourd'hui, Trump fait la même chose.

Israël frappe là où il a encouragé les Gazaouis à se réfugier

Ce qui m'intéresse, dans cette « guerre des douze jours », c'est la couverture médiatique de la riposte iranienne à l'agression israélienne. Pendant ces douze jours, on nous a entretenus avec minutie des quelques missiles qui ont atteint Israël, dont on savait où ils allaient tomber, et comment les Israéliens disposaient de nombreux abris pour se protéger. De nombreux journalistes nous ont raconté leurs nuits sans sommeil, à cause des sirènes et des explosions.

Je les comprends, parce que, ce qu'ils ont vécu pendant douze jours, nous le vivons depuis près de deux ans, multiplié par mille. Nous sommes visés 24 heures sur 24, et 7 jours sur 7. Nous ne savons pas où vont tomber les missiles et les bombes, nous ne savons pas où les drones vont tirer. Nous n'avons comme « abris » que les écoles de l'Unrwa, qu'Israël bombarde régulièrement, et nous n'avons ni eau ni nourriture. Israël frappe aussi l'endroit où il a encouragé les Gazaouis à se réfugier, la « zone humanitaire » d'Al-Mawassi, au sud. Quant aux « centres de distribution d'aide humanitaire », ils servent eux aussi de piège mortel, les Israéliens tirant froidement sur les foules affamées qui s'y précipitent.

Pendant cette courte guerre, des reportages nous ont montré l'hôpital israélien de Soroka, légèrement endommagé par un missile iranien. Nétanyahou a traité de « barbares » ceux qui visaient un hôpital où il y avait des patients. Les Iraniens ont affirmé qu'ils n'avaient pas visé Soroka, mais ma première réaction a été d'en rire. Comme on dit chez nous, le chameau ne voit pas sa bosse. À Gaza, l'armée israélienne a bombardé presque tous les hôpitaux, délibérément et avec précision. Quatre-vingt-dix pour cent d'entre eux sont hors service. Certains ont été entièrement rasés, comme l'Hôpital turc, spécialisé dans le traitement des cancers. Mais quand les destructions sont israéliennes, c'est justifié, c'est tolérable, que ce soit en Iran ou à Gaza — où il faut bien choisir ses mots et ne pas parler de génocide.

Bien sûr, c'est affreux ce que vivent les Palestiniens, mais c'est la faute du Hamas, n'est-ce pas, et non celle de Nétanyahou. De même, si l'Iran bombarde Israël, c'est par méchanceté, pas à cause de Nétanyahou qui ne veut pas arrêter les guerres, car sinon ce serait la fin de sa vie politique.

Les doubles nationaux israéliens vs les doubles nationaux palestiniens

J'ai vu aussi comment les Israéliens possédant la double nationalité, israélienne et française, étaient accueillis par la France. Comment ils ont été invités sur les plateaux de télévision, où ils racontaient combien cela avait été difficile de les faire sortir, l'aéroport étant fermé. Et où ils blâmaient l'ambassade de France en Israël, qui ne les avait pas évacués assez vite à leur goût.

Je ne veux pas généraliser, mais la majorité des médias n'ont pas été aussi attentifs, au début de la guerre israélienne contre Gaza, au sort de doubles nationaux palestiniens de Gaza, dont les Israéliens retardaient le départ, ni à celui d'Ahmed Abou Chamla, cet employé de l'Institut français de Gaza qui était sur une liste d'évacuation, mais pour qui Israël reportait sans cesse son feu vert. Il a fini par être tué le jour où il était enfin autorisé à partir. On n'invite pas non plus, aux heures de grande écoute, des Palestiniens sortis de Gaza à décrire leur enfer, réel celui-là.

Personnellement, je suis d'accord pour que les populations civiles soient protégées, et pour que l'on parle de toutes les souffrances humaines. Mais trop souvent, quand il s'agit des Palestiniens, l'humanité disparaît. On félicite l'enfant gâté qui est en train de se disputer avec tout le monde dans le quartier. On a l'impression que c'est un orphelin menacé, alors le monde entier doit lui servir de parent. Cet enfant-là est venu du monde entier occuper un territoire qui n'était pas à lui, mais dont il affirmait être le propriétaire. Dès le début, il a utilisé la violence, les massacres, les boucheries. Cela continue, de 1948 à nos jours. Mais « il a le droit de se défendre ».

Je sais que, malgré cette vision médiatique biaisée en Occident, des membres des sociétés civiles, des intellectuels, des journalistes relaient la vérité, et je les remercie. Un jour, ils auront raison. L'enfant gâté perdra le soutien des Occidentaux, évacuera les territoires occupés. Les Palestiniens vivront alors sur leurs terres, dans leur propre État, un État palestinien reconnu par le monde entier. Nous reconstruirons tout ce que l'enfant a détruit. Et Gaza sera une Riviera, mais construite et gouvernée par les Palestiniens.

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L

Journal de bord de Gaza
Rami Abou Jamous
Préface de Leïla Shahid
Présentation de Pierre Prier
Éditions Libertalia, collection Orient XXI
29 novembre 2024
272 pages
18 euros
Commander en ligne : Librairie Libertalia

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