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21.10.2024 à 16:33

Turquie-Afrique : une Pax Ottomana entre l'Éthiopie et la Somalie ?

Elisa Domingues Dos Santos

Avec plusieurs objectifs en vue, dont celui de devenir un acteur diplomatique incontournable sur la scène régionale et internationale, Ankara tente de rapprocher Hargeisa et Addis Abeba qui s'opposent sur un accord entre ce dernier et le Somaliland. Si la troisième réunion prévue mi-septembre a été repoussée, l'initiative a permis de préserver un canal de discussion... Et les nombreux intérêts turcs dans la région.

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Avec plusieurs objectifs en vue, dont celui de devenir un acteur diplomatique incontournable sur la scène régionale et internationale, Ankara tente de rapprocher Hargeisa et Addis Abeba qui s'opposent sur un accord entre ce dernier et le Somaliland. Si la troisième réunion prévue mi-septembre a été repoussée, l'initiative a permis de préserver un canal de discussion... Et les nombreux intérêts turcs dans la région.

21.10.2024 à 06:00

Israël contre l'ONU, une si longue histoire

Sylvain Cypel

Aussi impuissante soit-elle, l'Organisation des Nations unies est la cible de Benyamin Nétanyahou car elle représente le droit international. Ses agences, ses Casques bleus au Liban sont, verbalement et physiquement, attaqués. Même Emmanuel Macron, bien timoré face aux massacres dans la bande de Gaza, s'est fait tancer pour avoir pointé son rôle dans la création d'Israël. Or, ces attaques systématiques contre l'ONU ne datent pas d'aujourd'hui. Dès le début de son offensive à Gaza, le 8 (…)

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Texte intégral (3806 mots)

Aussi impuissante soit-elle, l'Organisation des Nations unies est la cible de Benyamin Nétanyahou car elle représente le droit international. Ses agences, ses Casques bleus au Liban sont, verbalement et physiquement, attaqués. Même Emmanuel Macron, bien timoré face aux massacres dans la bande de Gaza, s'est fait tancer pour avoir pointé son rôle dans la création d'Israël. Or, ces attaques systématiques contre l'ONU ne datent pas d'aujourd'hui.

Dès le début de son offensive à Gaza, le 8 octobre 2023, l'État d'Israël lance une campagne de dénigrement de l'Organisation des Nations unies (ONU). Il présente celle-ci comme un organisme dévoyé qui l'empêche d'assouvir ses objectifs en protégeant indûment ses ennemis, le Hamas à Gaza et le Hezbollah au Liban, deux entités « terroristes » aux contours indéfinis qu'il entend « éradiquer en totalité ». Du haut de la tribune de l'Assemblée générale, le 27 septembre 2024, le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, traite l'ONU de « cloaque de bile antisémite à assécher ». Si elle n'obtempère pas, dit-il, elle restera « considérée comme rien d'autre qu'une méprisable farce ». Les trois-quarts des présents quittent la salle.

Il en fallait plus pour émouvoir Nétanyahou. Son offensive n'a fait que croître contre toutes les organisations onusiennes sur le terrain, qu'elles soient militaires (les Casques bleus) ou civiles (l'office des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, UNRWA). Israël taxe d'« antisémite » toute critique de ses crimes à Gaza — les pires commis depuis le début de ce siècle, comme répètent les organisations humanitaires. Le 8 octobre 2024, alors que le premier ministre israélien menace explicitement les Libanais de leur faire subir « les mêmes destructions et les mêmes souffrances qu'à Gaza1 », s'ils ne se soumettent pas à ses exigences, c'est-à-dire « éradiquer le Hezbollah », ses forces armées frappent délibérément trois sites de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul). Huit jours plus tard, on comptait au moins cinq attaques israéliennes contre cette organisation, créée en 1978, après une lourde opération militaire israélienne au Sud-Liban contre l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) pour surveiller le comportement des belligérants et protéger les populations civiles.

Comme chaque fois qu'Israël se comporte ainsi, l'ONU et de très nombreux pays émettent de vives critiques. L'armée, elle, poursuit sa campagne : le 13 octobre 2024, deux de ses chars entraient de force dans une position de la Finul, pour bien montrer que les pressions internationales l'indiffèrent. À Gaza, au 14 mars 2024, l'UNRWA dénombrait « au moins 165 membres tués dans l'exercice de leurs fonctions » depuis octobre. Quatre jours après le massacre de masse perpétré par le Hamas et d'autres milices palestiniennes, le 7 octobre 2023, le secrétaire général des Nations unies, le Portugais António Guterres rappelait que, selon le droit international, « les locaux de l'ONU et tous les hôpitaux, écoles et cliniques ne doivent jamais être pris pour cible ». Comme s'il savait d'expérience les mesures de rétorsion de l'état-major israélien. Depuis, la vindicte israélienne envers l'Organisation n'a jamais cessé.

L'UNRWA au cœur de l'offensive israélienne

Le ministre des affaires étrangères, Yisraël Katz, a déclaré Guterres « persona non grata » dans son pays, le 1er octobre 2024. À plusieurs reprises, depuis un an, Israël a exigé que l'UNRWA quitte les Territoires palestiniens occupés — l'accusant de servir de protection aux « terroristes ». Cet organisme est le seul à fournir une aide humanitaire permanente, sanitaire et éducationnelle, dans ce qui reste des camps de réfugiés palestiniens, à Gaza et en Cisjordanie, ainsi qu'au Liban, en Syrie et en Jordanie. L'armée bombarde non seulement ses écoles et ses hôpitaux dans la bande de Gaza, mais Israël bloque aussi l'entrée des fonds qui servent à le financer et mène une campagne de dénigrement à son encontre.

Le Parlement israélien a entamé, en juillet 2024, un débat sur un projet de loi pour caractériser l'UNWRA d'« organisation terroriste » ; il doit se conclure à la fin octobre et il pourrait déboucher sur la mise sous séquestre de ses bâtiments et avoirs2. Le 9 octobre, Katz a aussi laissé entendre que le quartier général de l'organisation à Jérusalem-Est pourrait être confisqué (afin d'y implanter des logements pour les Israéliens).

Parallèlement, sans l'ombre d'une preuve, Israël a mené une propagande active visant à présenter l'UNRWA comme un « repaire de terroristes ». Le 26 janvier 2024, Nétanyahou indiquait que 12 employés avaient participé à l'attaque du Hamas du 7 octobre précédent. Comme par hasard, l'annonce tombait précisément le jour où la Cour internationale de Justice (CIJ) ouvrait une enquête pour un « risque plausible de génocide » à Gaza. Bientôt, Israël obtenait son premier succès d'envergure : le 23 mars 2024, le Congrès américain votait l'arrêt du financement de l'UNRWA par les États-Unis jusqu'en mars 2025. Une attitude finalement peu suivie dans le monde.

Les allégations du gouvernement israélien n'ont eu aucune suite juridique, car il ne présentait aucune preuve convaincante les corroborant, selon le rapport de la commission indépendante Colonna3. Mais l'essentiel a été atteint : le doute sur l'organisme onusien s'est étendu.

Le risque d'épidémie, un cas d'école

Étonnamment, cependant, la campagne d'Israël s'est un temps interrompue. L'affaire mérite d'être contée, tant elle est édifiante. Fin août 2024, un début d'épidémie de poliomyélite menace la bande de Gaza. Au vu du risque d'extension à des soldats engagés sur le terrain et, par leur biais, à toute la population israélienne non vaccinée — les militaires revenant périodiquement en permission dans leurs foyers —, le rôle de l'UNRWA redevient primordial. Les Israéliens négocient alors avec l'organisme onusien. Un mois après, 560 000 enfants palestiniens ont été vaccinés. L'armée israélienne a dû admettre que, sans la logistique unique de l'UNRWA, « la campagne de vaccination n'aurait jamais pu être menée à bien », explique Jonathan Adler, journaliste au quotidien en ligne Local Call (+972 dans la version internationale)4.

Le gouvernement a ainsi montré toute sa duplicité. Pendant qu'il laissait passer 1,2 million de vaccins à Gaza pour enrayer le risque d'épidémie, il continuait de restreindre l'entrée des autres médicaments de première urgence, de l'eau et de la nourriture nécessaires aux Gazaouis. Une fois le risque d'épidémie enrayé, la campagne anti-UNRWA a pu reprendre. Le vice-maire de Jérusalem, Nir Barkat (Likoud), a organisé des manifestations permanentes devant le QG de l'UNRWA, pour le pousser à se déplacer à Amman, la capitale jordanienne. À la fin de ce mois, un vote en première lecture est prévu à la Knesset (le Parlement) sur deux propositions de loi : l'une vise à rompre les liens de toute autorité publique israélienne avec l'UNRWA, l'autre à interdire d'activité cet organisme sur le territoire. En attendant, Israël continue de bloquer ses comptes dans les banques israéliennes et les visas d'entrée pour ses nouveaux personnels.

Bilan : entre le 8 octobre 2023 et le 27 septembre 2024, les bâtiments de l'UNRWA — écoles, hôpitaux, foyers, bureaux — ont subi 464 attaques israéliennes à Gaza5. Plus d'une par jour. Elles ont fait 226 morts parmi ses équipes, et 563 parmi les civils qui s'y trouvaient. Comme l'écrit Jonathan Adler, « l'offensive législative visant à faire partir l'UNRWA des Territoires occupés palestiniens n'est qu'une inscription dans la loi de la pratique militaire existante6 ». Toutefois, l'armée israélienne est aussi pragmatique. Certains hauts gradés, explique encore Adler, s'inquiètent de ces lois. Leur argument : « Si l'UNRWA quitte Gaza, une nouvelle pandémie potentielle pourrait empêcher l'armée israélienne d'y poursuivre sa chasse au Hamas. »

De Bernadotte à l'OCHA

Bien qu'elle atteigne aujourd'hui des sommets, l'hostilité d'Israël à l'ONU et à la légitimité de toute critique extérieure de sa politique, surtout en temps de guerre, remonte à loin, quasiment à ses origines. La liste serait longue et l'on se contentera de rappeler quelques exemples. Le 17 septembre 1948, quatre mois après la création de l'État d'Israël, et alors que la première guerre israélo-arabe éclate, le comte suédois Folke Bernadotte, médiateur de l'ONU depuis mai 1948, est assassiné à Jérusalem. Bernadotte contrarie les ambitions israéliennes avec un « plan de paix » dont Israël ne veut pas. Il est abattu par quatre hommes portant l'uniforme militaire, mais appartenant au groupe Stern, un mouvement ultranationaliste. Comme le rappelle Jean-Pierre Filiu, ce groupe armé dispose aujourd'hui d'une place éminente au Musée de l'Armée israélienne7.

Plus près de nous, en 1996, lors d'une opération contre le Hezbollah, l'aviation israélienne bombarde un camp des Casques bleus dans la bourgade de Cana où la population s'est réfugiée : 106 morts parmi les civils. En 46 ans, de tous les organismes onusiens identiques, la Finul est celui qui a connu le plus de pertes : en avril, elle comptabilisait 334 de ses membres tués, le plus souvent lors de raids israéliens. Autre organisme subissant les contraintes permanentes de Tel-Aviv depuis de très longues années : le Bureau des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA), seule agence neutre qui recense les actes illégaux (crimes, expulsions, occupation, destructions, etc.) perpétrés dans les Territoires palestiniens occupés.

Quand le président français Emmanuel Macron assure que « M. Nétanyahou ne doit pas oublier que son pays a été créé par une décision de l'ONU », en référence à la résolution 181 partageant la Palestine en deux États, l'un « juif » et l'autre « arabe », adoptée le 29 novembre 1947, il se fait tancer par le chef du gouvernement israélien : « ce n'est pas la résolution de l'ONU qui a établi l'État d'Israël, mais la victoire obtenue dans la guerre d'indépendance [de 1948 contre les Palestiniens et les États arabes] . » Exit l'ONU.

Le retour du néoconservatisme

Ce rejet des autorités onusiennes s'accompagne d'un discours récurrent. En hébreu, l'acronyme ONU se dit « Oum ». Le fondateur de l'État d'Israël, David Ben Gourion, disait par dérision : « Oum, Schmoum », que l'on pourrait traduire par « l'ONU, on s'en fiche ». Une attitude qui s'insère dans une vision politique. Tout comme aux États-Unis, où l'Organisation des Nations unies est vilipendée par une fraction notoire de la classe politique, en particulier les nationalistes. Ces derniers estiment qu'aucun organisme international ne peut imposer à leur pays de se soumettre à une loi générale contraire à la politique choisie — loi universelle que seules les Nations unies peuvent adopter. Israël entend pareillement s'y soustraire, c'est quasiment une doctrine d'État, même si elle reste non dite.

En 2004, j'interviewais Carmi Gilon, un ex-chef du Shin Bet, les forces de sécurité intérieure. L'affaire Abou Ghraib8 avait éclaté peu avant en Irak. Ma première question était la suivante : « Dans la lutte contre des adversaires qui usent du terrorisme, peut-on respecter le droit humanitaire international, ou y déroger est-il dans la logique des choses ? » Sa réponse fut limpide : « Je ne suis pas un spécialiste du droit international. Je ne peux que me prononcer en fonction du droit israélien9. » En d'autres termes, le patron des services spéciaux s'assoit sur le droit international et le dit. Cette attitude ne lui est pas propre. Elle incarne une philosophie que les édiles israéliens ont, de tout temps, adoptée : justifier de mille manières possibles le refus de se soumettre au droit international.

Le contourner au nom de la souveraineté est une philosophie que de nombreux régimes entendent aujourd'hui imposer.

Dans ce domaine, Israël a fait figure de précurseur. Le cas le plus explicite est le rapport à la « guerre préventive ». Le rejet de cette notion a été inséré dans le codex onusien par les Conventions de Genève relatives « au droit de la guerre et de l'utilisation des armes pour régler les conflits ». C'est en leur nom qu'en 1967, par exemple, le général de Gaulle déclarait : dans le conflit entre Israël et l'Égypte sur le blocage de l'accès des navires israéliens à la mer Rouge, le premier qui ouvrira le feu enfreindra le droit de la guerre et, de ce fait, il ne bénéficiera pas du soutien de la France. Depuis 1949, cette interdiction à déclencher une guerre ou une opération armée « préventivement » a été de facto ignorée à de nombreuses reprises de grandes comme de petites puissances.

Mais la particularité d'Israël est d'avoir constamment récusé, quasiment depuis sa naissance, l'interdiction du droit à la guerre préventive. Dès le début des années 1950, le général israélien Yigal Alon, devenu chef de la frange la plus militante du parti travailliste alors au pouvoir, se fit le chantre de la « guerre préventive ». Auparavant, la stratégie de l'armée était basée sur une conception dite « défensive-offensive » (privilégier la défense à l'attaque). À partir de 1953, elle devient « offensive-défensive », selon la terminologie militaire israélienne. Une stratégie qui « perdure en grande partie jusqu'à ce jour », écrivait le chercheur israélien Oren Barak en 201310. Pour Barak :

[Israël a] depuis des décennies, de facto, adhéré à une politique étrangère reposant fortement sur une doctrine (qui) prévoyait le lancement de frappes et de guerres préventives contre les voisins d'Israël en cas de menaces existentielles avant qu'elles ne se matérialisent.

Cette politique, ajoutait-il, est devenue « routinière ». Tel-Aviv adoptant systématiquement l'argument de la « menace existentielle » en toute occasion.

En 1982, lorsque l'armée israélienne envahit le Liban pour en chasser les forces de l'OLP et y changer le gouvernement du pays, le premier ministre de l'époque, Menahem Begin, expliqua qu'il lançait cette guerre parce que « nous avons décidé qu'un nouveau Treblinka n'adviendra pas ». Identiquement, dès le lendemain de l'attaque du Hamas, le 7 octobre 2023, Benyamin Nétanyahou invoqua « le plus grand crime contre des Juifs depuis la Shoah ». Cette référence « existentielle » permet dès lors de se soustraire à toutes les remontrances onusiennes — qualifiées, comme on l'a vu, d'« antisémites ».

Cette réhabilitation de la « guerre préventive » fut installée en majesté par la conseillère américaine à la sécurité, Condoleezza Rice, dans le document annuel de la « stratégie nationale » américaine, en septembre 2002. Aujourd'hui, cette même doxa préside au comportement israélien, de manière plus radicale encore. Dans une posture de défi, Israël affiche sa volonté de ne respecter aucune des normes du droit de la guerre, bien plus encore que ne le firent les Américains en Irak il y a vingt ans. On le sait trop peu, mais Benyamin Nétanyahou, dans les années 1980-1990, fut un des idéologues majeurs de la montée en puissance du néoconservatisme aux États-Unis.


1Lire Vincent Lemire : « Le jusqu'au-boutisme en ligne de mire », Libération, 9 octobre 2024.

2« Lourdes menaces d'Israël sur UNRWA et l'aide aux Palestiniens », unric.org, 10 octobre 2024.

3Cf. « Independant review of mechanism and procedure to ensure adherence by UNRWA to humanitarian principle of neutrality », ONU, 22 avril 2024.

4Jonathan Adler : « Israel paradoxical crusade against UNRWA », Local Call, 10 octobre 2024.

5« UNRWA Situation Report #140 on the situation in the Gaza Strip and the West Bank, including East Jerusalem », unrwa.org, 27 septembre 2024.

6op.cit.

7Jean-Pierre Filiu : « L'assassinat par Israël du médiateur de l'ONU en Palestine », Le Monde, 14 octobre 2018.

8Du nom de la prison où l'armée américaine et la CIA torturaient des prisonniers durant la guerre d'Irak en 2003-2004.

9Sylvain Cypel, « Carmi Gilon : La notion de pression modérée est sérieuse, pas hypocrite », Le Monde, 29 juin 2004.

10Oren Barak, avec Amiram Oren et Assaf Shapira : « “How The Mouse Got His Roar” : The Shift to an 'Offensive-Defensive' Military Strategy in Israel in 1953 and its Implications », The International History Review (35-2) : 356-376, avril 2013.

18.10.2024 à 06:00

« Que ma mort apporte l'espoir », poésie de Gaza

Nada Yafi

Le recueil, publié aux éditions Libertalia dans la collection Orient XXI, présente une cinquantaine de poèmes dont les auteurs et autrices viennent toutes et tous de Gaza. Écrits pour la grande majorité en arabe, ils ont été traduits par l'ancienne diplomate et interprète Nada Yafi, qui signe également la préface de l'ouvrage. L'écrivain palestinien Karim Kattan a également offert une postface au livre. Octobre 1996. Il y a de cela près de trente ans. Le président Chirac, en visite dans (…)

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Texte intégral (3389 mots)

Le recueil, publié aux éditions Libertalia dans la collection Orient XXI, présente une cinquantaine de poèmes dont les auteurs et autrices viennent toutes et tous de Gaza. Écrits pour la grande majorité en arabe, ils ont été traduits par l'ancienne diplomate et interprète Nada Yafi, qui signe également la préface de l'ouvrage. L'écrivain palestinien Karim Kattan a également offert une postface au livre.

Octobre 1996. Il y a de cela près de trente ans. Le président Chirac, en visite dans les territoires palestiniens dans le cadre de sa tournée moyen-orientale, s'était arrêté dans la ville de Gaza. L'interprète officielle du président pour la langue arabe que j'étais alors se souvient encore de ce moment où il suivait attentivement les gestes du président de l'Autorité palestinienne, Yasser Arafat, balayant une grande carte dépliée devant eux. Celle d'un projet de port qui devait ouvrir de nouveau Gaza sur le monde, renouant avec son passé prestigieux de carrefour commercial des temps anciens1. Projet qui ne devait jamais voir le jour. Faute d'accord israélien. Nous étions pourtant dans la foulée des accords d'Oslo, qui avaient ouvert des perspectives de relative autonomie palestinienne, avec l'espoir d'un État palestinien à l'horizon. Du moins, c'est ce que les rêveurs avaient voulu croire. L'encerclement était déjà là, de facto, toutes les frontières étant sous contrôle israélien. Je ne me rappelle plus les détails de la carte… mais l'espoir qui rayonnait sur tous les visages autour de nous, cela, je ne puis l'oublier. C'est cet espoir insensé, indestructible, que j'ai retrouvé tout récemment à la lecture de quelques poèmes de Gaza, sur fond d'actualité tragique. Le dernier poème de Refaat Alareer, jeune poète tué dès le début des bombardements israéliens, à l'automne 2023, m'avait frappée par sa chute : « Que ma mort apporte l'espoir ».

Aussi, lorsque qu'Alain Gresh m'a demandé fin 2023 de participer à un projet de publication de poèmes gazaouis, dans la collection Orient XXI des éditions Libertalia, n'ai-je pas hésité un instant, malgré le défi que représente la traduction poétique, bien plus difficile à mon sens que la traduction diplomatique que j'ai longtemps pratiquée. C'est qu'il ne s'agit plus seulement de traduire le « sens », aussi implicite soit-il, mais de faire appel à la sensibilité du lecteur pour partager avec lui une émotion, à travers une autre langue, qui a sa magie propre, sa musique inimitable.

Martyre et témoignage

Si j'ai accepté ce défi, c'est parce que la poésie permet « d'humaniser l'histoire », selon les termes du grand poète palestinien Mahmoud Darwich2. En prenant le contre-pied des tentatives de déshumaniser toute une population, la poésie permet d'entrer dans l'intimité de Gaza, de se frayer un chemin à travers des consciences individuelles pour en révéler la part d'universalité.

Dans la langue arabe, le même mot chahada signifie à la fois martyre et témoignage. Face à une offensive qui s'en prend aux forces de l'esprit autant qu'aux moyens de subsistance, en visant tant les habitations, les hôpitaux, les services sociaux que les lieux de culte et de culture, écoles, universités, théâtres, archives et musées, et jusqu'aux cimetières, lieux de mémoire, en ciblant pareillement, parmi les civils, médecins, intellectuels et journalistes, eh bien face à une telle entreprise éradicatrice, face à une telle guerre totale, la pensée poétique est à sa manière un acte de résistance, qui s'oppose à la volonté d'annihiler un peuple, une patrie. La poésie est alors un message qui transcende la mort.

La question du choix exclusif de Gaza et non pas de tous les territoires palestiniens occupés pourrait se poser, au regard des nombreux talents qui existent ailleurs en Cisjordanie et à Jérusalem. Il est cependant justifié par le fait que ces poétesses et poètes de Gaza, souvent très jeunes, à l'image de toute la population du territoire, ont des accents singuliers.

« Je sais que les maîtres des mots, déclarait encore le chantre de la révolution palestinienne, Mahmoud Darwich3, n'ont nul besoin de rhétorique devant l'éloquence du sang ». Gaza est aujourd'hui emblématique de toute la Palestine. Le recueil s'ouvre d'ailleurs, en guise d'épigraphe, sur un poème en exergue du grand poète disparu, en hommage à Mohammad Al-Durra, cet enfant de Gaza froidement abattu par un sniper Israélien, alors qu'il se blottissait contre son père, lequel tentait désespérément de le protéger, comme l'attestent les photos restées célèbres. C'était en 2000. La victime est devenue depuis une icône de l'enfance délibérément ciblée. En dix mois de guerre, comme le rappelait le 16 août 2024 Francesca Albanese, rapporteure spéciale de l'ONU pour la Palestine, près de 16 000 enfants auront été fauchés.

Expression privilégiée de la culture arabe

La question du choix des poèmes interroge aussi, cette anthologie n'étant évidemment pas exhaustive. Qu'ils se veuillent surréalistes, symbolistes, post-modernes ou simplement naïfs, avec leurs métaphores tantôt limpides tantôt ésotériques, ces poèmes en prose ont en commun leur recours à une certaine pudeur, voire parfois à l'humour. Ils transfigurent la réalité, permettant de se distancier d'images insoutenables. Si la mort y est omniprésente, pour des raisons évidentes, cette poésie gazaouie parle aussi d'amour, de désir, de mysticisme ou de rébellion iconoclaste. Elle nous donne à voir une diversité de profils qui interdit toute essentialisation des Gazaouis comme étant des va-t'en-guerre. On y perçoit une remarquable absence de haine, de même qu'un rejet du cercle vicieux de la violence.

Le recueil comprend deux séries de poèmes : viennent d'abord les textes les plus récents, consécutifs à l'offensive israélienne lancée en représailles à la violente attaque du 7 octobre. Écrits sous les bombardements, ils ont tous été recueillis sur internet. Leur style est le plus souvent direct, dépouillé, quasi journalistique, dicté par l'urgence d'une situation chaotique. Ils semblent se tarir fin 2023. À l'heure où j'écris ces mots, je n'ai pas réussi à trouver de texte véritablement poétique datant du début de l'année 2024. Un silence certainement dû aux difficultés croissantes de communication, mais sans doute aussi au fait que les besoins primordiaux de simple survie prennent désormais le pas sur tout le reste… Même les poètes gazaouis en exil semblent ces derniers mois comme frappés de mutisme face à l'horreur. Il nous a été difficile dans ce contexte d'avoir des éléments biographiques suffisants sur les auteurs et autrices de ces poèmes, et à part les deux poètes dont la mort a été annoncée au tout début de la guerre, nous ignorons souvent leur âge exact, ni même s'ils sont toujours vivants.

Viennent ensuite les poèmes « d'avant le 7 octobre », qui montrent que la guerre impitoyable livrée par Israël à la bande de Gaza et aux Palestiniens remonte bien plus loin que l'actualité immédiate. La plupart des poèmes de ce recueil ont été écrits avant l'offensive « Glaive de fer », et pourtant ils semblent dater d'aujourd'hui. Ils nous rappellent que l'histoire n'a pas commencé le 7 octobre 2023, que la bande de Gaza sous blocus subit depuis 2007 une guerre intermittente sans merci, et que la majorité de ses habitants sont eux-mêmes des réfugiés de la Nakba de 1948. L'offensive n'a en réalité jamais vraiment cessé, revendiquée par Israël sous l'expression cynique de « tondre le gazon », y compris lorsque la résistance palestinienne est pacifique, comme pour la première intifada de 1987, ou les marches du retour de 2018 - 2019. Ces poèmes « d'avant » offrent un style parfois plus travaillé, même si la langue reste simple, délibérément minimaliste, à l'image du dénuement de la population. Certains textes questionnent la fonction même de la langue, ainsi que la notion d'identité, de responsabilité ou de fatalité. Ces textes témoignent enfin de la résilience de la poésie, forme privilégiée de la culture arabe, et confirment que la vie finit toujours par l'emporter sur la mort : « Car nous aimons la vie, écrivait le poète le plus emblématique de la Palestine, pour peu que nous en ayons les moyens »4. Ces poèmes de 2021, 2014, 2012, 2008, 2000, ont à leur tour été recueillis sur internet, aussi bien que dans une anthologie récente intitulée Gaza terre de poésie, publiée en arabe en 2022 par Mohammed Teyssir, lui-même poète et critique littéraire. Cette dernière source, toutefois, ne donne elle-même que des informations parcellaires sur les autrices et auteurs, ce qui rend malaisé de présenter des fiches biographiques complètes.

En incluant l'original des poèmes (écrits en arabe et quelques fois en anglais) en même temps que leur traduction française, le recueil donne au lecteur la possibilité d'apprécier la résonance du verbe d'une culture à l'autre. La meilleure approche reste bien évidemment celle d'ouvrir le recueil au hasard, pour se laisser porter par ces voix à la fois proches et lointaines.

Il était important pour Orient XXI et Libertalia de porter en France le message de cette jeunesse, étonnante de vitalité, en dépit de tout ce qu'elle endure.

Il nous faut reprendre ici le message que Mahmoud Darwich adressait à la délégation du parlement international des écrivains, en visite à Ramallah en 2002 : « Nous sommes atteints d'un mal incurable qui s'appelle l'espoir. »

À travers les yeux de trois enfants

Fidaa Ziyad est poétesse de Gaza. Ce poème a été écrit sous le bombardement le 24 octobre 2023, publié le 25 novembre, revu le 5 décembre. Diffusé sur Facebook dans la série de vidéoclips intitulée « This is Gaza, litterary texts », lu par Fidaa Allawzi.

Je vis ce génocide à travers l'imaginaire de trois enfants
Le premier se cachait sous les draps
En disant je voudrais être un fantôme
Pour que les avions ne me voient pas
Le deuxième disait, du fracas des navires de guerre
C'est la voix de la pieuvre dans la mer
Et le troisième, une petite fille : Je voudrais être une tortue
Pour cacher tout le monde
Sous ma carapace

Ô toi la main de l'imaginaire
Berce le sommeil de ces petits
Préserve pour eux tous ces rêves
Ô toi la main de l'imaginaire
Ne va pas plus loin que l'horreur du réel

« Aujourd'hui c'est hier »

Ce poème a été écrit le 12 octobre 2024, sous les bombardements, par Bissane Abdel Rahim. Diffusé sur Facebook dans la série de vidéoclips intitulée « This is Gaza, literary texts » et déclamé en arabe par Fadwa Abed.

Aujourd'hui c'est hier

Hier est le prolongement d'une ancienne douleur
Je ne veux pas être écrivaine
Je n'ai pas de rêves pour demain
Seule ma foi me soutient
Nous sommes le 12 octobre 2023
Il est une heure de l'après-midi
Comment le jour est-il devenu si terrifiant
Ô Dieu nous redoutions la nuit noire
Mais voilà qu'aujourd'hui il n'y a plus de jour, il n'y a plus de nuit
Ô Dieu même le temps ils nous l'ont pris.

« Tends-leur l'autre joue »

Yahya Achour est né en 1998 à Gaza où il a vécu jusqu'en septembre 2023, et qu'il n'a pu regagner après un voyage aux États-Unis. Écrivain, boursier de l'université américaine d'Iowa en 2022, auteur du livre pour enfants C'est pour cette raison que Ryan a cette démarche (2021) qui a obtenu un prix panarabe, et du livre de poésie jeune public Tu es une fenêtre, ils sont des nuages (2018). Publie de nombreux textes sur internet. Ce poème a été publié le 7 novembre 2023. Sa dernière publication en anglais, au printemps 2024, s'intitule « A Gaza of siege and genocide » (Une Gaza de blocus et de génocide).

Ce monde blanc
Qui ne croit plus au Christ
T'adjure, Gaza, avec ses mots à lui
De tendre l'autre joue
Ils ne sont guère affligés par l'histoire ni la géographie
Tends-leur donc l'autre joue, Gaza
Donne-leur la mer
Cette fois-ci, à ta manière
Le monde te prie maintenant
Au moment où tu subis
Ce qu'aucune ville au monde n'a subi
De baiser la main de ceux qui ont tué tes petits
Mais rien ne pourra, Gaza, rassembler les restes humains
Pour faire des corps entiers
Aucune paix ne compensera une seule de tes funérailles
De ces funérailles qui n'ont pu trouver leurs dépouilles
Les martyrs n'ont-ils pas réussi leur ascension au ciel ?
Ou bien ce luxe n'était-il pas donné à tous ?
Les lambeaux peuvent-ils voler si haut ?
Peut-être les martyrs n'ont concédé leur mort
Qu'après avoir compris que c'était le seul moyen
De rester, pour l'éternité, dans l'étreinte de leur terre ?
Pas un législateur, pas un dirigeant, d'Orient ni d'Occident
Qui ait pu essuyer ton front, Gaza, de toute cette mort
Pas un législateur, pas un dirigeant
Pour au moins te présenter ses condoléances
Sans doute les avions empêchent-ils leur ingérence
Tout va bien, Gaza,
Il paraît que la mort est une grâce que nous envient les immortels
L'Égypte t'a finalement envoyé des chevaux de Troie
Non pas un mais plusieurs
Réjouis-toi
Ces chevaux — à Dieu ne plaise —
Ne sont pas remplis de renforts
Mais seulement de nourriture
Afin que tu puisses mourir, Gaza
Sans avoir faim
Ces chevaux sont remplis de linceuls indignes du voisinage des pharaons
Ils ne contiennent pas un seul exemplaire du Livre des morts
Ni une goutte de carburant pour nous éclairer
Nous permettre de distinguer
Notre survie de notre mort
Alléluia, Gaza
Nous ne sommes plus assassinés au moment où le monde dort
Le monde est tout à fait éveillé : il chante, il danse
Certains lisent nos nouvelles, celles qu'ils peuvent supporter
Certains autres, moins nombreux, manifestent, quand ils en ont le temps
Et notre monde arabe, sur des charbons ardents
Attend que les Mille et Une nuits se terminent
Que tu puisses t'en sortir seule, Gaza
En « contant » les milliers de victimes…

#


« Que ma mort apporte l'espoir », poèmes de Gaza
Collection Orient XXI aux éditions Libertalia.
Sélection, traduction et préface de Nada Yafi.
Postface de Karim Kattan.
200 pages.
10 euros.


1Voir le catalogue de l'exposition à l'Institut du monde arabe, Gaza méditerranéenne, Éditions Errance, 2000. Ainsi que Life at the crossroads, a history of Gaza, Gerald Butt, Rimal Books, 1995 et Histoire de Gaza, de Jean-Pierre Filiu, Fayard, 2012.

2Dans son allocution de 2002 à Ramallah, devant une délégation du Parlement international des écrivains.

3Ibidem.

4Poème de Mahmoud Darwich.

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