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27.11.2025 à 15:00

Jason Resnikoff, historien du travail étatsunien : « Le discours sur l'IA permet au capital de définir le progrès et de déterminer qui en profite »

Jason Resnikoff, professeur étatsunien, enseignant actuellement l'histoire contemporaine à l'université de Groningue aux Pays-Bas, est spécialisé dans l'intersection entre l'histoire du travail et les technologies. Il est l'auteur de Labor's End : How the Promise of Automation Degraded Work, dans lequel il examine comment l'automatisation a intensifié le travail humain, érodé le pouvoir des travailleurs et présenté le progrès technologique comme inévitable et apolitique.
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Texte intégral (3929 mots)

Jason Resnikoff, professeur étatsunien, enseignant actuellement l'histoire contemporaine à l'université de Groningue aux Pays-Bas, est spécialisé dans l'intersection entre l'histoire du travail et les technologies. Il est l'auteur de Labor's End : How the Promise of Automation Degraded Work, dans lequel il examine comment l'automatisation a intensifié le travail humain, érodé le pouvoir des travailleurs et présenté le progrès technologique comme inévitable et apolitique.

Dans cette conversation avec Equal Times, Jason Resnikoff, ancien organisateur du syndicat des travailleurs de l'automobile (UAW) aux États-Unis, réfléchit à l'impact de l'intelligence artificielle (IA) sur le monde du travail et aux réponses individuelles et collectives qu'elle pourrait exiger. Nous nous pencherons sur ce que recouvre la notion de « progrès » et qui la définit tandis que M. Resnikoff nous met au défi d'imaginer les différentes façons dont nous pourrions organiser nos vies et notre travail (si seulement nous pouvions nous libérer du cycle sans fin de la surenchère technologique dans lequel nous vivons actuellement).

Dans vos travaux, vous établissez un parallèle entre l'« irruption » de l'automatisation au XXe siècle et l'IA aujourd'hui, en commençant par le terme lui-même. Vous déclarez que sa définition était « floue » à l'époque, mais que les effets perçus par les travailleurs étaient malgré tout réels. Qu'entendez-vous par là ?

L'origine du terme « automatisation » est avant tout idéologique et je soutiens que tout le discours autour de l'automatisation a servi à établir un modèle sur la manière dont le monde des affaires étatsunien allait parler du progrès technologique par la suite et sur la manière dont il utiliserait ce discours à son avantage. En d'autres termes, l'automatisation a fourni au capital un moyen d'exploiter cette foi généralisée dans la technologie. Elle a repris une idée à laquelle les gens croyaient déjà (cette vieille rengaine, antérieure au XXe siècle, selon laquelle il existe une chose appelée « progrès technologique » et le fait que le progrès technologique et le progrès humain sont une seule et même chose) et en a fait un outil au service des employeurs.

C'était cela, le véritable enjeu de l'automatisation : un discours sur les machines qui présentait certains résultats économiques et politiques comme naturels, voire inévitables. Évidemment, de réels changements technologiques ont eu lieu, aussi réels que les effets sur les travailleurs, cependant, nous ne devons pas tomber dans le piège qui consiste à imaginer que les machines elles-mêmes sont les agents du changement. Pas du tout : ce sont les responsables qui prennent les décisions.

Et vous entrevoyez donc des parallèles avec l'IA…

C'est pour cette raison que la conversation actuelle sur l'intelligence artificielle me semble tellement familière. Le discours qui l'entoure est remarquablement flou et ce flou n'est pas du tout anodin. Lorsque l'on examine ce que disent réellement les chercheurs en IA, ils sont généralement très précis : l'IA ne consiste pas en une technologie unique, mais en une discipline, une manière d'appréhender les calculs informatiques. Pourtant, lorsque les employeurs (et les PDG) parlent d'IA, on a soudainement l'impression qu'une révolution technologique est en cours ; or, c'est un récit totalement différent.

Prenons l'exemple d'Elon Musk, lorsqu'il déclare : « L'IA saura tout faire. » Mais qu'est-ce que ça peut bien vouloir au juste ? Si l'on examine les technologies réelles (grands modèles de langage, apprentissage automatique, traitement automatique du langage), on constate qu'il s'agit d'outils à la portée très précise. Utiles certes, mais pas « révolutionnaires » comme le suggèrent les discours. C'est justement là le point essentiel : ce flou (qui entoure le terme « IA ») permet à des acteurs puissants de contrôler le discours sur le progrès technologique et donne au capital le pouvoir de décider qui en profitera. C'est exactement ce que le discours sur l'automatisation a fait au XXe siècle et exactement ce que le discours sur l'IA fait aujourd'hui.

Bien sûr, certains emplois vont évoluer et certains pourraient même disparaître. Cela s'est toujours passé comme cela sous le capitalisme industriel. Mais en fin de compte, même si la technologie change, la logique reste la même.

Comment pouvons-nous, d'une certaine manière, démasquer cette réalité ? Était-ce peut-être plus facilement perceptible auparavant, lorsque l'on pouvait voir les machines faire le travail, comparé à la complexité de ce qu'implique l'IA ?

En fait, je ne pense pas qu'il ait été évident, au milieu du XXe siècle, de comprendre ce que ces machines accomplissaient réellement. Et cette incertitude faisait partie du problème. Dans les années 1950, vous pouviez entrer dans une usine de Cleveland et avoir l'impression que les machines effectuaient la majeure partie du travail. Des milliers de personnes y travaillaient encore, mais ce que l'on ne voyait pas, c'étaient les emplois qui avaient déjà été délocalisés, d'abord vers le sud du pays, puis à l'étranger. Et même à l'intérieur de l'usine, on pouvait avoir l'impression qu'il y avait moins de travailleurs, mais ce que l'on ne remarquait pas, c'était que l'employé qui travaillait à la chaîne travaillait désormais plus dur pour une rémunération inférieure. L'une des caractéristiques fondamentales de ces machines qui permettent d'économiser de la main-d'œuvre est précisément qu'elles masquent le travail. Cela ne veut pas pour autant dire que les machines ne peuvent pas remplacer la main-d'œuvre ; elles la remplacent bel et bien. Mais les employeurs utilisent aussi les technologies à d'autres fins : pour externaliser le travail, le réorganiser et pousser les employés à travailler davantage.

Alors, à la question de savoir « comment pouvons-nous démasquer cette réalité ? », en fait, il aurait fallu la démasquer à l'époque également. Sous le système capitaliste, cela a toujours fait partie de l'histoire des technologies : de nouvelles machines font leur apparition et, avec elles, une certaine confusion quant aux changements réels qui se produisent. Il peut arriver que les travailleurs travaillent plus dur, tout en continuant à croire que c'est l'automatisation qui effectue le travail. Lorsque les ordinateurs de bureau ont fait leur entrée dans les bureaux dans les années 1980, les travailleurs se sont soudainement retrouvés à effectuer des tâches administratives qu'ils n'avaient jamais eu à accomplir auparavant. La technologie crée une sorte d'aura qui rend ce travail supplémentaire invisible : vous ne vous rendez pas nécessairement ou immédiatement compte que vous travaillez davantage, mais, dans les faits, c'est bien ce qui se passe.

Comment ne pas se laisser distraire et comprendre ce qui se passe réellement ?

Lorsque l'on aborde la question des technologies d'aujourd'hui, il n'existe pas beaucoup d'analyses solides émanant de la gauche, y compris des syndicats, sur lesquelles les travailleurs peuvent s'appuyer. Ainsi, lorsqu'une entreprise comme Apple ou une personnalité comme Elon Musk présente un nouveau gadget ou un nouveau système, il n'est pas surprenant que les gens aient tendance à réagir avec admiration plutôt qu'avec méfiance.

Depuis plusieurs générations, on nous explique que le progrès découle du capital, que chaque nouvelle machine est un signe de progrès de la civilisation et les travailleurs ont, en grande partie, intégré cette idée. Je pense que ce dont nous avons besoin, surtout au niveau des syndicats et des éducateurs, c'est d'un moyen de dissocier ces idées. Nous devons clairement affirmer que le progrès technologique ne doit pas nécessairement provenir du capital, que ce n'est pas leur pré carré. Un autre élément tout aussi important est que nous ne sommes pas tenus d'accepter leur définition de ce qui constitue le progrès.

Nous devons aussi poser la question suivante : à quoi ressemble réellement le progrès pour vous ? Car si votre conception du progrès est celle d'un esclave robotique (c'est ce qu'on nous vend en définitive), alors peut-être vaut-il la peine d'y réfléchir à nouveau. Cependant, je doute que la plupart des gens soient d'accord avec cette conception. Prenons l'exemple d'Elon Musk et de son projet Optimus. Pourquoi sa vision du progrès devrait-elle être celle avec laquelle nous devons tous composer ?

Vous êtes d'accord qu'il existe certains emplois, et certaines tâches dans de nombreux emplois, que nous préférerions ne pas effectuer, et, dans ce cas, nous serions satisfaits que les technologies prennent le relais, quelle que soit leur origine.

De nombreux emplois comportent des aspects que les gens n'apprécient pas, même s'ils aiment leur travail dans l'ensemble. On pourrait également formuler cette question comme suit : il y a certaines obligations (ou tâches) que les gens ne souhaitent tout simplement pas faire. Certains métiers ont toujours été extrêmement difficiles à rendre dignes. Pensez à l'exploitation minière : historiquement, seuls les travailleurs sous contrainte, les personnes très pauvres ou celles qui n'avaient pas d'autre choix devenaient mineurs. Il est difficile d'imaginer que ce type de travail peut être transformé en un « bon » travail. Il est donc évident qu'il existe des cas où une machine sera probablement mieux adaptée pour accomplir une tâche.

Je ne suis ni un « luddite » ni opposé à la technologie. Si une machine peut rendre un travail plus sûr ou plus digne, c'est évidemment une bonne chose. Néanmoins, la question plus profonde est la suivante : qui conçoit ces emplois en premier lieu ? Ce sont les individus qui déterminent socialement ce qui est « nécessaire ». C'est ce qu'on appelle la nécessité sociale. De nombreux emplois, dans leur forme actuelle, sont déterminés socialement. Prenons l'exemple du ménage, ou « travail reproductif social », un type de travail qui a toujours été dévalorisé et féminisé. Aujourd'hui, nous disposons de toutes sortes de machines censées faciliter les tâches ménagères. Pourtant, comme l'a démontré l'historienne Ruth Schwartz Cowan dans son ouvrage More Work for Mother, ces appareils créent souvent de nouveaux types de travaux au lieu de les éliminer.

Au tournant du XXe siècle, un groupe de penseurs s'est posé la question suivante : « Pourquoi effectuons-nous toutes ces tâches domestiques individuellement ? » Ils ont souligné que le capitalisme industriel avait déjà centralisé la production de vêtements. Alors, pourquoi ne pas appliquer ce même modèle collectif à d'autres tâches de reproduction sociale ? Ils ont alors imaginé des services de garde d'enfants collectifs, des espaces communs permettant de répartir le travail reproductif, concevant ainsi un meilleur système de soins. C'est un point crucial. En effet, lorsque les personnes au pouvoir conçoivent le processus de travail, leur modèle inclut presque toujours une hiérarchie et une contrainte. Les machines qu'elles construisent, les technologies qu'elles promeuvent, reflètent donc cette même logique. Cependant, il ne doit pas nécessairement en être ainsi. Nous pourrions imaginer des machines et des technologies conçues selon des principes différents.

Dans notre réalité d'aujourd'hui, comment pourrions-nous envisager de changer de cap et mener cette réflexion ?

Nous évoluons effectivement dans un environnement extrêmement dynamique. C'est également un environnement où les géants technologiques ont totalement envahi le terrain. Et tout cela se produit à un moment où bon nombre de personnes se sentent déjà assez impuissantes. Dans ce contexte, je proposerais un exercice axé sur les travailleurs : imaginons un instant qu'il n'y ait plus aucun changement technologique. Tout s'arrête aujourd'hui et rien de nouveau ne peut arriver. Comment est-ce que j'organiserais ma vie, mon travail ? Comment est-ce que j'organiserais mes idées politiques d'une manière que je considérerais comme juste et bonne ? De quoi aurais-je besoin ? Vous pourriez bien finir par dire que vous auriez besoin d'inventer une machine capable de faire X ou Y, mais j'imagine que la plupart des gens auraient une réponse différente, p. ex., « Je voudrais avoir le contrôle de mon temps ».

Or, vous devez commencer par avoir votre idée à vous de ce que vous souhaitez accomplir. Et la raison pour laquelle toutes ces applications et tous ces autres outils compliquent les choses, c'est qu'ils incorporent déjà certaines prémisses : « Ne souhaitez-vous pas atteindre cet objectif ou réaliser cette tâche ? » Ces applications et outils vous disent ce que vous pourriez vouloir faire et tentent également d'influencer vos envies. Chaque outil porte en lui ses propres intentions. Il s'agit peut-être de générer des revenus, de collecter des données ou de vous enfermer dans un écosystème logiciel. Il se peut aussi qu'il s'agisse simplement d'un développeur qui cherche à faire connaître son application. Quoi qu'il en soit, ces motivations ne correspondent pas nécessairement à ce que vous, en tant que travailleur ou personne, estimez avoir de la valeur.

Cet exercice permet de réintroduire la notion du politique dans notre vie professionnelle. Pour moi, surtout en tant qu'historien du travail, ce qui ne cesse de m'impressionner est à quel point nos environnements de travail paraissent souvent apolitiques.

Autrement dit, les changements technologiques ne sont ni neutres ni apolitiques, selon vous ?

Effectivement. Les employés et les managers doivent évoluer dans le même environnement, caractérisé par une pression constante pour s'adapter et « ne pas prendre du retard ». Même les managers qui ne sont pas particulièrement favorables aux nouvelles technologies éprouvent cette pression. Ils ne sont peut-être pas à l'origine des changements, mais ils sont néanmoins jugés en fonction de ceux-ci. Et, à leur tour, ils jugent leurs employés en fonction de la rapidité avec laquelle ils s'adaptent. C'est ainsi que la technologie devient politique. Et derrière tout cela, les géants du secteur des technologies façonnent activement l'environnement de travail en fonction de leurs propres objectifs. Ils exercent un pouvoir hégémonique sur notre environnement bâti et, donc, utiliser leurs applications devient une forme de collaboration.

Mais encore une fois, comment pourrions-nous nous opposer à ce système ?

Ce problème n'est pas individuel, il est collectif. La façon dont les gens interagissent avec les moyens de production a toujours été un enjeu social, et non personnel. Si nous voulons imaginer des modes d'interaction avec les moyens de production qui n'aliènent pas le travailleur, ce n'est pas quelque chose que vous pouvez faire seul. C'est un projet de grande ampleur qui doit nécessairement être collectif, car il est impossible de se déconnecter de l'appareil industriel. Il faut vivre selon sa logique, ce qui le rend extrêmement difficile à contester ou à remodeler.

Je ne dis pas que les travailleurs peuvent ou doivent essayer de refuser cette réalité individuellement. Ce que je dis, c'est que le but des travailleurs organisés devrait plutôt être de déclarer que nous devons négocier sur cet enjeu. Il faudrait le remettre à l'ordre du jour, comme le font actuellement de nombreux syndicats. Parce qu'à l'heure actuelle, la plupart des syndicats traitent le changement technologique comme quelque chose qui arrive tout simplement. Mais si les syndicats ne négocient pas au sujet de ces changements, et si l'État n'intervient pas pour les planifier ou les réglementer, qui le fera ?

Au sujet des syndicats, comment percevez-vous leur rôle dans cette mutation technologique et ce glissement de pouvoir ?

Aujourd'hui, de nombreux syndicats se penchent sérieusement sur la question de l'IA, quoi qu'englobe ce terme, et tentent de définir des politiques appropriées en la matière. Mais ce n'est pas tout à fait la même chose que de dire : « Le syndicat devrait se fixer comme priorité de véritablement avoir son mot à dire sur la manière dont le travail est effectué » ou « Nous souhaitons disposer d'un droit de veto sur les nouvelles technologies ». Je pense que le mouvement syndical s'est fourvoyé en abandonnant l'idée que les travailleurs devraient un jour contrôler les moyens de production. Ils ont non seulement renoncé à la lutte (parce que cette lutte était perdue d'avance), mais, plus grave encore, ils ont également renoncé au travail d'analyse qui accompagnait cet objectif. Ils ont commencé à donner raison à leurs patrons sur le fait que ces derniers étaient les mieux placés pour créer un monde technologique meilleur. C'est une concession énorme.

Désormais, il est beaucoup plus difficile pour les syndicats de réagir aux changements technologiques, car ils n'ont pas d'objectif clair concernant l'environnement bâti où les gens travaillent, hormis « nous voulons protéger les emplois », mais cela reste très basique. Le principal problème depuis le début des années 1950 est que les dirigeants syndicaux craignaient d'être qualifiés d'« opposants au progrès ». Rejeter une nouvelle technologie revenait à dire : « Nous voulons rejeter la croissance économique ». Cette crainte a coûté cher cependant. Parce que, si les dirigeants syndicaux avaient développé leur propre vision de la croissance économique, le virage néolibéral aurait été beaucoup plus difficile à faire accepter.

Donc, je pense que c'est sur ce point que les syndicats doivent évoluer. Le pouvoir viendra peut-être plus tard, mais la clarté des objectifs doit passer en premier. Imaginez que vous soyez un jeune travailleur aujourd'hui qui se demande s'il doit adhérer à un syndicat. Que penseriez-vous si le syndicat vous disait : « Votre lieu de travail est aliénant et nous voulons nous assurer qu'un jour, vous puissiez contrôler votre propre vie, y compris votre environnement ». Et comparez cela à : « Nous voulons garantir que vous pourrez intégrer un programme de reconversion professionnelle si votre emploi est supprimé. » Ces propos sont nettement moins motivants.

En quoi ce défi est-il différent pour eux aujourd'hui ?

Je ne suis pas sûr que ce défi soit spécifique au contexte technologique actuel. Il s'agit plutôt du prolongement d'un problème plus ancien, qui prend vraiment forme dans les années 1970 et 1980, avec la mondialisation, lorsque de nombreux États ont convenu que les capitaux et les marchandises circuleraient librement à travers les frontières, mais pas les travailleurs ni leurs droits.

Les technologies ont permis une répartition mondiale de la production en temps réel. L'« atelier » n'est plus confiné à un seul pays ou continent. Vous pouvez faire travailler des gens éparpillés à travers le monde sur un même processus, ce qui est extrêmement difficile à organiser.

Comment les syndicats devraient-ils réagir à cette situation donnée ?

Une stratégie consiste à tenter de faire en sorte que le processus de travail soit entièrement local, c'est-à-dire circonscrit à un lieu spécifique. L'autre solution consiste à organiser tout le long de la chaîne d'approvisionnement. C'est beaucoup plus difficile à mettre en œuvre, mais c'est probablement le seul moyen réaliste d'avancer dans un monde où le travail est plutôt en réseau que centralisé. Le mouvement visant à organiser chez Amazon en est un bon exemple : il ne s'agit pas d'une seule usine, mais d'un réseau logistique d'entrepôts, de centres de distribution, de centres de données et de sous-traitants qui traverse les frontières. Il n'est pas possible d'organiser cette entreprise usine par usine, car sa structure même est conçue pour contrecarrer cette stratégie. Il faut dresser la carte du processus de travail et organiser horizontalement le long de ses nombreux canaux.

Par ailleurs, nous avons déjà pu voir ce qui se passe lorsque les méthodes traditionnelles sont employées. Lorsque les travailleurs se sont organisés dans un entrepôt au Québec, Amazon a réagi en le fermant purement et simplement. Ils préfèrent abandonner toute une région plutôt que de s'engager dans des négociations avec un syndicat. Ils sont tellement puissants qu'ils peuvent contourner le problème. Mon instinct me dit qu'il en sera de même pour le secteur des technologies. Nous devrons dresser une cartographie du processus de travail, c'est-à-dire déterminer où les données sont générées et traitées et où les profits sont réalisés.

Connaissez-vous un exemple de syndicat qui a su tirer son épingle du jeu face aux défis posés par l'IA ?

Il y a quelques années, lorsque le syndicat des scénaristes des États-Unis (Writers Guild of America) s'est mis en grève, l'un de leurs principaux arguments de négociation était qu'ils ne souhaitaient pas que l'intelligence artificielle écrive des scénarios. Ils ont clairement exprimé leur position en déclarant : « C'est notre travail. C'est ce qui lui donne du sens. » J'ai pensé qu'adopter une telle position était courageux. Et cela ne les a pas fait passer pour des luddites ou des irresponsables. Au contraire : tout le monde a compris qu'ils protégeaient leur métier. Le fait que, à ce moment-là, l'IA ne semblait pas encore inévitable a également joué en leur faveur. Sans compter que leur position semblait d'autant plus forte en raison de leurs adversaires dans les négociations. Les studios ne sont pas vraiment des figures sympathiques, leur motivation étant manifestement le profit.

Et même s'ils n'ont obtenu qu'une demi-mesure, le fait qu'ils aient formulé cette demande était significatif. Ils ont démontré qu'il était possible pour un syndicat de remettre directement en question le discours sur les technologies, de dire « non » sans paraître opposé au progrès. Je pense que les gens ont encore la capacité de décider de leurs propres valeurs et de défendre ce qui devrait avoir de la valeur. Et je ne pense pas que nous devrions renoncer à cette capacité au profit de ce que le capital considère comme ayant de la valeur. Le mouvement syndical a la responsabilité, à tout le moins, d'être capable d'exprimer ce qu'il souhaite réellement. Il n'obtiendra peut-être pas tout ce qu'il souhaite, mais l'important est de le formuler clairement.

25.11.2025 à 14:43

Travailleurs handicapés au Royaume-Uni : la transparence salariale n'empêche pas la discrimination

Ce n'est qu'en 2017, lorsque Rachel Parker a eu 25 ans, qu'elle a finalement reçu un diagnostic d'autisme. Bien qu'elle ait réussi à obtenir un diplôme de premier ordre en Sciences de l'environnement, elle a eu du mal à trouver un emploi stable, et tous les postes qu'elle a réussi à décrocher étaient de premier échelon et mal rémunérés.
Comme elle a toujours aimé la pâtisserie et qu'elle avait vraiment besoin de trouver un emploi stable, Mme Parker a finalement décidé, en 2022, de créer sa (…)

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Ce n'est qu'en 2017, lorsque Rachel Parker a eu 25 ans, qu'elle a finalement reçu un diagnostic d'autisme. Bien qu'elle ait réussi à obtenir un diplôme de premier ordre en Sciences de l'environnement, elle a eu du mal à trouver un emploi stable, et tous les postes qu'elle a réussi à décrocher étaient de premier échelon et mal rémunérés.

Comme elle a toujours aimé la pâtisserie et qu'elle avait vraiment besoin de trouver un emploi stable, Mme Parker a finalement décidé, en 2022, de créer sa propre boulangerie « sans gluten », dans le comté des Scottish Borders, par l'intermédiaire d'une entreprise sociale qui aide les personnes neurodivergentes à trouver un emploi valorisant.

Cette décision a marqué une étape importante pour Rachel. Cependant, après avoir lu des articles sur l'écart de rémunération lié à l'autisme, elle s'est rendu compte que, même en étant la fondatrice et la directrice générale de la boulangerie, elle gagnait toujours moins que ses collègues. Bien que ses bailleurs de fonds se soient montrés compréhensifs et que ses horaires aient été réduits pour aligner son taux horaire sur celui des autres travailleurs, cette expérience lui a permis de prendre conscience des inégalités auxquelles se heurtent les personnes en situation de handicap, alors même que, comble de l'ironie, elle avait créé son entreprise pour justement contribuer à les éliminer.

« Une grande partie de la solution réside dans la sensibilisation à l'écart de rémunération des personnes en situation de handicap », explique-t-elle à Equal Times.

Elle fait partie des 16,1 millions de personnes vivant avec un handicap au Royaume-Uni, et son histoire personnelle reflète un problème plus large. Comme le montre la dernière enquête du Trades Union Congress (TUC) au Royaume-Uni, les travailleurs en situation de handicap restent en marge de l'économie, l'écart de rémunération entre eux et les travailleurs non handicapés s'élevant à 2,24 livres sterling de l'heure (2,54 euros), soit 15,5 %. Cela signifie que les personnes handicapées gagnent chaque année, en moyenne, près de 4.000 livres sterling (4.549 euros) de moins que les travailleurs non handicapés.

Le TUC, qui documente dans un rapport annuel publié depuis 2018 les disparités en matière de rémunération et d'emploi auxquelles les personnes handicapées sont confrontées, a en outre révélé un écart de rémunération encore plus important chez les femmes. Le rapport montre, en effet, que les hommes non handicapés gagnent en moyenne plus d'un quart (27,3 %) de plus que les femmes handicapées.

Des études antérieures menées par le TUC montrent également que le niveau de désavantage sur le lieu de travail subi par les personnes en situation de handicap varie en fonction du type ou de la gravité du handicap. Dans l'ensemble, toutefois, les travailleurs handicapés connaissent des taux de chômage plus élevés et sont plus susceptibles de se retrouver dans des emplois précaires avec des contrats zéro heure.

« Le fossé est énorme »

Cela fait 30 ans que la discrimination à l'encontre d'une personne pour cause de handicap est illégale au Royaume-Uni, depuis l'adoption de la loi sur la discrimination à l'égard des personnes handicapées (Disability Discrimination Act – DDA) en 1995, remplacée, en 2010, par la loi sur l'égalité (Equality Act). Les réalités vécues par la plupart des personnes handicapées sont, toutefois, loin d'être égales.

« Le fossé est énorme », explique à Equal Times le responsable politique du TUC, Quinn Roache. « Il s'est en fait creusé depuis que nous avons commencé à collecter des données en 2013, ce qui montre que les gouvernements précédents n'ont pas réussi à mettre en œuvre des changements significatifs. »

Il a rappelé que l'une des principales revendications a été d'inscrire dans la législation la communication d'informations sur les écarts salariaux liés au handicap, et que l'actuel gouvernement travailliste prend actuellement des mesures en ce sens.

« Cette année, l'écart de rémunération que connaissent les travailleurs handicapés équivaut à 49 jours de travail gratuit. Ce que nous disons [au gouvernement], c'est que “nous sommes très heureux que vous ayez légiféré sur la communication d'informations sur les écarts salariaux liés au handicap et mis en place des plans d'action significatifs, mais il est impératif que vous mettiez en œuvre cette législation et que vous le fassiez rapidement” », a ajouté M. Roache.

« De fait, la communication sur les salaires ne suffira pas, à elle seule, à combler l'écart ; pour en venir à bout, il faudra que la communication s'accompagne de plans d'action. »

Le rapport souligne en outre que le projet de loi phare du gouvernement sur les droits en matière d'emploi (Employment Rights Bill) interdira les contrats zéro heure. Il s'agit d'une mesure importante pour améliorer la vie de nombreux travailleurs en situation de handicap, dont on estime qu'ils doivent dépenser 1.095 livres sterling (1.245 euros) de plus par mois pour avoir le même niveau de vie que les ménages non handicapés (en raison de factures de gaz et d'électricité plus élevées et de frais d'adaptation de leur logement, entre autres coûts), selon une étude menée par l'organisation caritative britannique Scope, spécialisée dans le handicap. Le Premier ministre britannique Keir Starmer a présenté ce projet de loi comme « la plus grande amélioration des droits des travailleurs depuis une génération ».

Le nouveau rapport du TUC insiste également sur l'urgence pour le gouvernement de procéder à une réforme du programme Access to Work (une subvention gouvernementale destinée à aider les personnes en situation de handicap ou souffrant de problèmes de santé à commencer ou à conserver un emploi rémunéré), afin que les employeurs puissent procéder à des ajustements raisonnables dans les meilleurs délais. Les travailleurs handicapés peuvent être contraints de quitter leur emploi parce que leur employeur n'a pas reçu les subventions nécessaires pour procéder aux ajustements requis sur leur lieu de travail. Des retards records font que des personnes attendent depuis des mois une aide qui leur permettrait de conserver ou de commencer un emploi, certaines se voyant même retirer leur offre d'emploi.

Le 15 octobre 2025, le collectif Access to Work s'est associé au député libéral démocrate Steve Darling et à la députée du Green Party Carla Denyer pour remettre une lettre ouverte portant plus de 17.000 signatures au bureau du Premier ministre, exhortant le gouvernement à procéder à une réforme du programme Access to Work afin d'éviter que les personnes handicapées ne soient forcées de quitter leur emploi en raison de délais trop longs et de coupes budgétaires.

« Le programme pour l'accès à l'emploi devrait être l'expérience de tous, et non l'exception », a déclaré Shani Dhanda, spécialiste de l'accessibilité et de l'inclusion, fondatrice du collectif Access to Work.

Lorsqu'elle avait une vingtaine d'années, Mme Dhanda, qui vit avec une ostéogenèse imparfaite (aussi appelée « maladie des os de verre »), a évité de demander des adaptations à son premier employeur, parce qu'elle avait eu beaucoup de mal à trouver un emploi. Elle craignait que toute demande, aussi raisonnable soit-elle, ne « fasse des vagues ». Grâce au programme Access to Work, elle a pu obtenir une chaise de bureau, un repose-pieds et un clavier adaptés. Aujourd'hui, elle consacre une grande partie de son énergie à aider d'autres personnes handicapées confrontées à des difficultés, telles que des retards de paiement ou la suppression soudaine de leurs aides.

« L'écart de rémunération lié au handicap n'est pas qu'une question de salaire », explique Mme Dhanda à Equal Times. « Il reflète les obstacles plus larges auxquels se heurtent les personnes handicapées tout au long de leur vie professionnelle. Si vous ne pouvez pas obtenir les ajustements ou l'aide dont vous avez besoin, vous êtes plus susceptible de vous retrouver à des postes moins bien rémunérés, de manquer des possibilités de promotion ou de vous voir complètement exclu du marché du travail. »

Sous-payés, sous-employés et sans emploi – un constat mondial

Le mouvement syndical base son travail dans ce domaine sur le modèle social du handicap, qui pose comme principe que ce sont les lieux de travail et les sociétés qui doivent être modifiés et adaptés, et non les personnes. Comme le premier rapport du TUC sur le handicap et l'emploi l'indiquait en 2018 : « Un travailleur ayant une déficience ne devient handicapé que sous le coup de barrières sociétales artificielles créées par l'environnement, l'attitude des gens et les lieux de travail. »

Or, les personnes en situation de handicap continuent d'être exclues du marché du travail. En 2024, l'Organisation internationale du travail (OIT) a publié un document de travail qui soulignait le fait que les personnes handicapées ont moins de chances de faire partie du marché du travail et elles ont tendance à gagner moins lorsqu'elles en font partie. Selon le même rapport, les personnes handicapées peuvent s'orienter vers le travail indépendant en raison de la plus grande flexibilité potentielle qu'il offre en termes d'horaires de travail, d'accès aux équipements de travail et d'évitement de la discrimination.

« Les personnes handicapées sont souvent surqualifiées pour les emplois qu'elles occupent et ont tendance à entrer sur le marché du travail au bas de la pyramide, où elles peuvent rester indéfiniment », explique Stefan Trömel, spécialiste principal des questions de handicap à l'OIT. « Les attitudes négatives et l'absence d'aménagements raisonnables constituent des obstacles majeurs. » Alors qu'un peu moins de 30 % des personnes handicapées sont actives sur le marché du travail au niveau mondial, M. Trömel souligne qu'il est important de communiquer des informations sur les écarts salariaux liés au handicap, pour mettre en évidence les préjugés et déclencher des plans d'action visant à réduire cette iniquité.

Sevane Ananian, économiste principal auprès de l'OIT et co-auteur du document de travail susmentionné, A study on the employment and wage outcomes of people with disabilities, (Étude sur les résultats en matière d'emploi et de salaire des personnes handicapées) explique : « L'analyse portant sur 30 pays a révélé que les employés handicapés gagnent 12 % de moins par heure en moyenne que leurs homologues non handicapés. Si des facteurs tels que l'âge, la catégorie professionnelle et la formation peuvent expliquer environ un quart de l'écart de rémunération, trois quarts restent inexpliqués. »

Cet écart inexpliqué met en évidence des problèmes systémiques, notamment la discrimination et les obstacles structurels, selon M. Ananian, qui souligne que « le décalage entre les capacités des travailleurs handicapés et les exigences de l'emploi se traduit souvent par un salaire inférieur ou par le sous-emploi ».

En juillet, le parlement britannique a fait progresser de justesse un projet de loi controversé qui, s'il est adopté, limitera l'accès à certaines prestations sociales. Cette mesure augmenterait les conditions d'accès aux prestations de handicap. Liz Kendall, ministre du Travail et des Pensions jusqu'en septembre 2025, a déclaré dans son discours aux députés lors de la discussion des réformes en mars dernier, que « des millions de personnes qui pourraient travailler sont piégées par les allocations – privées du revenu, de l'espoir, de la dignité et du respect que l'on sait qu'un bon travail apporte ».

Cependant, les groupes de défense des droits des personnes handicapées avertissent que le projet de loi pourrait entraîner de graves difficultés pour les personnes concernées, allant jusqu'au sans-abrisme.

« Si certaines personnes handicapées qui travaillent ont toujours accès aux prestations, la majorité d'entre elles n'en reçoivent aucune ou vivent dans des pays où les prestations sont jugées incompatibles avec l'emploi. Les personnes handicapées doivent faire face à des coûts supplémentaires liés à leur condition, et ces coûts devraient être couverts par le gouvernement, que la personne soit ou non employée », insiste M. Trömel.

Mondialement, les gouvernements ne parviennent pas à garantir les droits fondamentaux

Dans le monde entier, les personnes en situation de handicap sont protégées par la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées, adoptée en décembre 2006 et largement reconnue comme « le premier traité mondial en matière de droits humains du 21e siècle ». Cependant, de nombreux pays ne parviennent pas à mettre pleinement en œuvre les obligations qui y sont énoncées.

Carlos Ríos Espinosa, directeur adjoint de la division droits des personnes handicapées chez Human Rights Watch, a écrit un article en avril 2025 dans lequel il dénonce « l'échec systémique » du Brésil à soutenir les personnes handicapées, en particulier lorsqu'il s'agit de leur droit à vivre de manière indépendante. Il a évoqué la mort tragique de Leonardo Barcello, défenseur des droits des personnes handicapées atteint de dystrophie musculaire et décédé en février dernier, à l'âge de 32 ans, des suites d'une asphyxie consécutive à une panne d'électricité qui a mis hors service son appareil respiratoire.

« Le Brésil a besoin de toute urgence d'un plan de désinstitutionnalisation et d'un soutien communautaire pour garantir que les personnes handicapées vivent dans la dignité et la sécurité », écrit M. Ríos Espinosa.

Au Brésil, où plus de 18 millions de personnes, soit 9 % de la population, sont en situation de handicap, les revenus de ces personnes sont inférieurs de 30 % à ceux des personnes sans handicap. Selon les données les plus récentes de l'Institut brésilien de géographie et de statistiques (IBGE), le taux d'activité des personnes handicapées en 2019 était de 28,3 %, contre 66,3 % pour les personnes non handicapées. En d'autres termes, sept personnes handicapées sur dix à la recherche d'un emploi sont exclues du marché du travail. Le salaire mensuel moyen des travailleurs en situation de handicap s'élevait à 1.639 R$ (environ 305 USD), tandis que les travailleurs non handicapés gagnaient en moyenne 2.619 R$ (environ 490 USD).

Au Canada, des statistiques récentes montrent qu'environ 1,5 million de personnes vivant avec un handicap se trouvent en dessous du seuil de pauvreté, et les chiffres sont pires pour les femmes. Bilan Arte, conseillère nationale en droits de la personne au Congrès du travail du Canada (CTC), la principale centrale syndicale du pays, a expliqué lors d'un entretien avec Equal Times que la Prestation canadienne pour les personnes handicapées (PCPH), introduite cet été, représente « une étape cruciale », car elle fournit une aide financière directe à 1,6 million de personnes handicapées vivant actuellement dans la pauvreté.

Elle relève toutefois que le CTC est préoccupé par le paiement de base mensuel de 200 dollars canadiens (environ 142 USD) et qu'il s'est joint aux défenseurs de la justice pour les personnes handicapées à travers le pays pour réclamer une augmentation de ce montant. Ils demandent également que les personnes déjà éligibles à d'autres prestations de handicap soient automatiquement inscrites et que le PCPH soit un complément à d'autres programmes d'aide au revenu et aux personnes handicapées.

« La PCPH représente une opportunité vitale de réduire la pauvreté, de faire progresser l'équité et de défendre la dignité de millions de personnes handicapées au Canada. Cependant, elle n'est pas encore en mesure d'apporter des changements réels pour les personnes handicapées au Canada », a confié Mme Arte à Equal Times.

Au Royaume-Uni, Quinn Roache, du TUC, espère que la nouvelle législation du gouvernement permettra de combler progressivement l'écart de rémunération et d'éviter que les personnes handicapées ne sombrent dans la pauvreté.

« Cela fait trente ans que la législation sur les ajustements raisonnables est en place, mais force est de constater que les employeurs tardent à procéder aux ajustements nécessaires. Cela fait longtemps qu'il y a très peu de progrès, cependant une lueur d'espoir apparaît avec les engagements actuels du gouvernement », conclut M. Roache.

Rachel Parker, qui apporte aujourd'hui son soutien aux personnes neurodiverses par l'intermédiaire de sa boulangerie sans gluten, a souligné l'importance d'une mise en œuvre efficace du programme Access to Work.

« Si le programme d'accès à l'emploi était mis en œuvre et subventionné correctement, il permettrait également de réduire durablement le fossé de l'emploi des personnes handicapées, tant salariées qu'indépendantes », a-t-elle déclaré. « Pour atténuer les effets du handicap d'un employé sur le lieu de travail, nous avons besoin d'un soutien significatif et concret. »

24.11.2025 à 05:30

Au Zimbabwe, la nouvelle loi sur les ONG menace de transformer les « chiens de garde » de la société civile en « toutous »

Voilà un peu plus de sept mois que la loi portant modification de la loi sur les organisations bénévoles privées (Private Voluntary Organizations (PVO) Amendment Act) a été promulguée au Zimbabwe, le 11 avril 2025, et déjà, elle remodèle l'environnement opérationnel des organisations non gouvernementales (ONG) et de la société civile au sens large. Les observateurs des droits humains tirent la sonnette d'alarme face à ce qu'ils qualifient comme une « attaque sans précédent contre l'espace (…)

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Texte intégral (2831 mots)

Voilà un peu plus de sept mois que la loi portant modification de la loi sur les organisations bénévoles privées (Private Voluntary Organizations (PVO) Amendment Act) a été promulguée au Zimbabwe, le 11 avril 2025, et déjà, elle remodèle l'environnement opérationnel des organisations non gouvernementales (ONG) et de la société civile au sens large. Les observateurs des droits humains tirent la sonnette d'alarme face à ce qu'ils qualifient comme une « attaque sans précédent contre l'espace civique au Zimbabwe », qui a une « incidence néfaste sur les libertés fondamentales ».

La loi resserre les exigences en matière d'enregistrement et de rapports pour les organisations caritatives et autres groupes de la société civile, en étendant les pouvoirs exécutifs sur les organisations et en introduisant des sanctions plus sévères en cas de non-conformité, y compris des sanctions pénales pour les dirigeants de groupes considérés comme violant la loi.

Elle impose également de nouvelles restrictions sur le financement international et accorde aux représentants du gouvernement un large pouvoir discrétionnaire pour auditer, suspendre ou remplacer les dirigeants des ONG et geler leurs actifs. En outre, les orientations gouvernementales qui accompagnent la loi exigent des organisations bénévoles privées (OBP) existantes qu'elles se réenregistrent dans les 90 jours suivant l'entrée en vigueur de l'amendement.

Le gouvernement zimbabwéen affirme avoir introduit la loi sur les OBP pour garantir la conformité avec les cadres réglementaires internationaux sur le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, en particulier la recommandation 8, qui concerne le secteur à but non lucratif.

Dans un article publié dans le quotidien d'État Herald quelques jours seulement après l'adoption du projet de loi, le secrétaire permanent à l'information, à la publicité et aux services de radiodiffusion, Nick Mangwana, a insisté sur le fait que : « la loi portant modification de la loi sur les organisations bénévoles privées est une étape nécessaire pour renforcer la lutte du Zimbabwe contre le crime organisé, le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme », ce qui « garantira l'intégrité de son système financier, protégera ses citoyens et favorisera le développement durable ».

Cet amendement fait toutefois suite à une longue série de lois adoptées à l'encontre de la société civile dans des pays du monde entier, de la Hongrie au Pérou, de la Géorgie à l'Égypte et de la Russie à l'Inde, dans le but, comme l'a déclaré Amnesty International en 2019, de « museler la société civile ».

Cependant, le gel actuel de l'aide extérieure des États-Unis a également eu un impact négatif sur les programmes de développement au Zimbabwe, en particulier dans les domaines du VIH/sida, des soins de santé et de l'agriculture. Selon Marvelous Khumalo, porte-parole de la Crisis in Zimbabwe Coalition – une alliance de plus de 80 organisations de la société civile (OSC) zimbabwéennes œuvrant pour le changement démocratique –, la nouvelle loi sur les OBP a littéralement paralysé les activités des OSC dans tout le pays.

« Cette situation a eu un impact négatif sur les activités de défense des droits humains dans le pays. Autrefois, les ONG surveillaient, dénonçaient et documentaient les violations des droits humains. Aujourd'hui, les violations passent inaperçues et ne sont pas documentées », a-t-il expliqué à Equal Times.

Selon M. Khumalo, le régime de la Zanu-PF – qui gouverne le Zimbabwe depuis 1980 et qui est dirigé par le président Emmerson depuis 2017 – a perdu sa légitimité dans la mesure où le contrôle du gouvernement est désormais si restreint. Il ajoute que pour que la démocratie fonctionne, les acteurs non étatiques devraient être en mesure de demander au gouvernement de rendre compte de ses actions et d'exiger la transparence dans la gouvernance.

« Or, ceci n'est guère plus possible au Zimbabwe étant donné que la plupart des ONG ont pratiquement cessé leurs activités sous l'effet de la loi sur les OBP », a-t-il expliqué.

Les ONG de défense des droits humains face à l'autocensure

On ne dispose pas de chiffres précis sur le nombre d'ONG qui ont fermé depuis la promulgation de la nouvelle loi sur les OBP, en partie parce que la loi dissuade les ONG chargées de surveiller l'espace civique de jouer ce rôle. Alors que les effets de la mise en œuvre de la loi sur les OBP ne sont pas encore totalement connus, le directeur exécutif d'une ONG, qui a parlé à Equal Times sous couvert d'anonymat, a indiqué que l'amendement a remis en question les activités de son organisation à but non lucratif.

« Des bailleurs de fonds qui avaient précédemment promis de financer nos projets ont soudainement fait volte-face, ce qui nous a obligés à travailler avec un budget restreint ». Il ajoute que, bien qu'aucun motif direct n'ait été donné pour le retrait du financement, le moment choisi montre clairement que les bailleurs de fonds craignaient une réaction négative du gouvernement.

D'autres acteurs de l'espace civique affirment que les entraves bureaucratiques introduites par la nouvelle loi perturbent déjà les programmes de santé, d'éducation et de défense des droits humains dans l'ensemble du pays. Les petites organisations communautaires, qui fonctionnent avec des budgets très serrés et dépendent de subventions extérieures, se voient confrontées à des coûts et à de formalités administratives supplémentaires. Certains donateurs ont émis des réserves, évoquant le risque de déficits de financement et d'interruptions dans la prestation de services aux populations vulnérables. Par ailleurs, les experts juridiques avertissent que les exigences en matière de réenregistrement et de déclaration élargie imposeront des charges immédiates en matière de conformité et pourraient obliger certains groupes à suspendre leurs activités en attendant d'obtenir l'autorisation nécessaire.

« En l'état actuel des choses, la plupart [des ONG et des OBP] n'ont même pas été enregistrées depuis l'adoption de la loi, et ce en raison des problèmes administratifs qui y sont associés. À cela s'ajoute, bien entendu, un manque de sensibilisation de la part du personnel censé être responsable de l'enregistrement de ces organisations », explique Mlondolozi Ndlovu, expert en droit et en médias.

Et de poursuivre : « Cette loi censure également certaines organisations, ce qui porte atteinte à leur droit à la liberté d'expression et à la liberté d'association. Par crainte d'être fermées, elles préfèrent se comporter en larbins plutôt qu'en chiens de garde du gouvernement, ce qui est très dangereux dans une démocratie où la société civile et les ONG sont censées exercer un contrôle sur le gouvernement. »

Signes d'un gouvernement « intolérant à toute forme de contrôle ou d'examen »
Les principales organisations de défense des droits humains, associations de juristes et ONG internationales ont publiquement critiqué la loi, jugeant celle-ci disproportionnée et incompatible avec les obligations internationales du Zimbabwe en matière de liberté d'association et d'expression.

Dans une déclaration de juin 2025, la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et l'Organisation mondiale contre la torture (OMCT) ont qualifié la loi d'« attaque sans précédent contre l'espace civique au Zimbabwe » qui aura « des effets néfastes sur la société civile et l'espace civique zimbabwéens, en violation de la constitution du Zimbabwe et des obligations internationales du pays en matière de droits humains ».

Dans une déclaration datant d'avril 2025, Idriss Ali Nassah, chercheur principal sur l'Afrique chez Human Rights Watch, a lancé une mise en garde : « Les groupes de la société civile ne devraient pas avoir à travailler avec la crainte d'être fermés et leur personnel inculpé au pénal pour avoir simplement fait leur travail. » De leur côté, Amnesty International, la New York Bar Association et les organismes régionaux de défense des droits humains ont émis des avertissements similaires, appelant à l'abrogation de la loi ou à sa modification urgente afin de protéger l'espace civique.

Pour Melusi Simelane, du Southern African Litigation Centre, la loi sur les OBP « bien que parée d'un langage de réforme, [elle] porte en elle les arêtes vives du contrôle de l'État ».

M. Simelane a également évoqué le cas de Blessing Mhlanga, un journaliste qui a été arrêté et accusé d'incitation à la violence après avoir interviewé un détracteur du président Mnangagwa. Son arrestation, selon M. Simelane, « est le signe d'un gouvernement de plus en plus intolérant à toute forme de supervision ou d'examen, et la loi sur les organisations bénévoles privées place les ONG dans la même ligne de mire ».

Les groupes de défense des droits ont également exprimé leur inquiétude quant au fait que l'amendement contient des infractions au libellé ambigu qui risquent de criminaliser des activités de défense des droits humains et des activités « politiques » de routine. D'autres rapports mettent en évidence des clauses qui interdisent aux ONG de se livrer à un « lobbying politique » non défini et qui interdisent le financement à partir de « sources illégitimes » mal spécifiées, créant par-là même de vastes motifs de poursuites et de saisies de fonds. Les observateurs estiment que cette formulation a un effet dissuasif : certains groupes pourraient s'autocensurer ou limiter complètement leurs activités de plaidoyer afin d'éviter les poursuites judiciaires.

Il est particulièrement révélateur que les organisations bénévoles privées qui risquent d'être les plus touchées par la loi se soient abstenues de tout commentaire sur le sujet, de peur de se voir refuser des licences ou de se les voir purement et simplement retirer.

Nigel Nyamutumbu, coordinateur de la Media Alliance of Zimbabwe, est l'un des leaders civiques qui a osé s'exprimer en public. Il explique dans un entretien avec Equal Times : « La nouvelle loi exige des membres du conseil d'administration des OBP qu'ils se soumettent à des contrôles de sécurité et d'antécédents par le gouvernement, ce qui constitue en soi une forme de surveillance. »

« Cela ouvre d'une certaine manière la voie à la délivrance de licences sur une base partisane, dans la mesure où, compte tenu de notre contexte politique, il est probable que les OBP considérées ou perçues comme critiques à l'égard du gouvernement soient signalées par un drapeau rouge », a-t-il expliqué.

Cette situation, explique-t-il, n'engendre pas un environnement propice aux organisations civiques, en particulier celles qui travaillent dans le domaine des droits humains.

Selon M. Nyamutumbu, la loi confère des pouvoirs excessifs au ministre de la Fonction publique, du Travail et de la Prévoyance sociale (actuellement Edgar Moyo), dont le bureau supervise l'enregistrement et les activités des OSC, pour s'ingérer dans leurs activités ; elle confère au titulaire du bureau des pouvoirs incontrôlés, en dehors du cadre judiciaire, pour suspendre les activités des OBP et leur imposer un conseil d'administration.

« En ce sens, se pose évidemment la question de l'autocensure et du fait que la société civile travaille dans un environnement marqué par la peur », a-t-il déclaré.

Le ZCTU condamne une loi élaborée sans consultation

Le Congrès des syndicats du Zimbabwe (ZCTU), la plus grande organisation syndicale faîtière du pays, affirme que la loi a été élaborée sans aucune consultation avec les parties prenantes concernées, ajoutant qu'il s'agit d'un stratagème du gouvernement de la ZANU PF pour réduire au silence les voix dissidentes, en particulier celles qui sont impliquées dans la gouvernance, les droits humains et les activités de défense des droits.

« L'élaboration de la législation n'a pas fait l'objet d'un processus de consultation large et authentique avec les OSC. En outre, les préoccupations que nous avons soulevées ont été largement ignorées par le gouvernement », explique Last Tarabuku, responsable de l'information au ZCTU.

Selon M. Tarabuku, la loi devrait être abrogée car elle porte atteinte aux droits garantis par la constitution nationale.

Il indique en outre que la loi pourrait entraîner des pertes d'emploi massives dans le secteur des ONG (qui emploie officiellement quelque 18.000 personnes selon l'enquête sur la main-d'œuvre et le travail des enfants de 2019) et perturber les nombreux services essentiels fournis en partie grâce aux ONG.

Toujours selon M. Tarabuku, le ZCTU demande que toute loi régissant le fonctionnement du secteur associatif zimbabwéen soit alignée sur les normes locales, régionales et internationales en matière de droits humains.

Contestation juridique

Depuis l'adoption de la loi, les groupes de défense des droits signalent une augmentation des inspections, des demandes d'informations financières et des cas de dirigeants d'ONG ayant fait l'objet de sanctions administratives. Cette application renforcée de la loi s'inscrit dans un contexte plus large de contrôle des manifestations et de restriction des rassemblements publics, ce qui intensifie les craintes que les acteurs civiques ne soient soumis à des sanctions plus sévères pour avoir mené des activités liées aux droits humains.

Selon les analystes, la loi portant modification de la loi sur les OBP est susceptible de causer des dommages à long terme à la prestation de services, au contrôle indépendant et à la responsabilité démocratique. Si les donateurs réduisent leur financement ou réaffectent des programmes en raison de l'incertitude juridique, les victimes les plus immédiates seront les communautés vulnérables qui dépendent des cliniques, des refuges, de l'aide juridique et des projets de développement communautaire gérés par des ONG.

Dans le domaine des droits, les restrictions imposées à la recherche, à la surveillance et à la défense des droits pourraient avoir pour conséquence que les abus ne soient pas signalés et ne soient pas contestés.

Les réseaux de la société civile et les acteurs internationaux demandent instamment au gouvernement zimbabwéen de réviser la loi, de clarifier les dispositions ambiguës, de revoir à la baisse les mesures punitives et d'ouvrir des processus de consultation significatifs avec les parties prenantes.

Certaines associations juridiques préparent également des recours devant les tribunaux nationaux et régionaux, notamment la Crisis in Zimbabwe Coalition, qui a déposé, le 7 octobre 2025, une demande d'ordonnance d'invalidité constitutionnelle auprès du tribunal de grande instance de Bulawayo, pour contester plusieurs articles de la loi sur les OBP.

Les mois à venir montreront si le gouvernement répondra positivement à ces appels à la réforme de la loi sur les OBP ou s'il intensifiera son application, un choix qui déterminera si les ONG peuvent poursuivre leurs activités ou si l'espace civique du Zimbabwe continuera à se contracter.

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