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24.11.2025 à 05:30

Au Zimbabwe, la nouvelle loi sur les ONG menace de transformer les « chiens de garde » de la société civile en « toutous »

Voilà un peu plus de sept mois que la loi portant modification de la loi sur les organisations bénévoles privées (Private Voluntary Organizations (PVO) Amendment Act) a été promulguée au Zimbabwe, le 11 avril 2025, et déjà, elle remodèle l'environnement opérationnel des organisations non gouvernementales (ONG) et de la société civile au sens large. Les observateurs des droits humains tirent la sonnette d'alarme face à ce qu'ils qualifient comme une « attaque sans précédent contre l'espace (…)

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Texte intégral (2838 mots)

Voilà un peu plus de sept mois que la loi portant modification de la loi sur les organisations bénévoles privées (Private Voluntary Organizations (PVO) Amendment Act) a été promulguée au Zimbabwe, le 11 avril 2025, et déjà, elle remodèle l'environnement opérationnel des organisations non gouvernementales (ONG) et de la société civile au sens large. Les observateurs des droits humains tirent la sonnette d'alarme face à ce qu'ils qualifient comme une « attaque sans précédent contre l'espace civique au Zimbabwe », qui a une « incidence néfaste sur les libertés fondamentales ».

La loi resserre les exigences en matière d'enregistrement et de rapports pour les organisations caritatives et autres groupes de la société civile, en étendant les pouvoirs exécutifs sur les organisations et en introduisant des sanctions plus sévères en cas de non-conformité, y compris des sanctions pénales pour les dirigeants de groupes considérés comme violant la loi.

Elle impose également de nouvelles restrictions sur le financement international et accorde aux représentants du gouvernement un large pouvoir discrétionnaire pour auditer, suspendre ou remplacer les dirigeants des ONG et geler leurs actifs. En outre, les orientations gouvernementales qui accompagnent la loi exigent des organisations bénévoles privées (OBP) existantes qu'elles se réenregistrent dans les 90 jours suivant l'entrée en vigueur de l'amendement.

Le gouvernement zimbabwéen affirme avoir introduit la loi sur les OBP pour garantir la conformité avec les cadres réglementaires internationaux sur le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, en particulier la recommandation 8, qui concerne le secteur à but non lucratif. Dans un article publié dans le quotidien d'État Herald quelques jours seulement après l'adoption du projet de loi, le secrétaire permanent à l'information, à la publicité et aux services de radiodiffusion, Nick Mangwana, a insisté sur le fait que : « ... la loi portant modification de la loi sur les organisations bénévoles privées est une étape nécessaire pour renforcer la lutte du Zimbabwe contre le crime organisé, le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme », ce qui « garantira l'intégrité de son système financier, protégera ses citoyens et favorisera le développement durable ».

Cet amendement fait toutefois suite à une longue série de lois adoptées à l'encontre de la société civile dans des pays du monde entier, de la Hongrie au Pérou, de la Géorgie à l'Égypte et de la Russie à l'Inde, dans le but, comme l'a déclaré Amnesty International en 2019, de « museler la société civile ».

Cependant, le gel actuel de l'aide extérieure des États-Unis a également eu un impact négatif sur les programmes de développement au Zimbabwe, en particulier dans les domaines du VIH/sida, des soins de santé et de l'agriculture. Selon Marvelous Khumalo, porte-parole de la Crisis in Zimbabwe Coalition – une alliance de plus de 80 organisations de la société civile (OSC) zimbabwéennes œuvrant pour le changement démocratique –, la nouvelle loi sur les OBP a littéralement paralysé les activités des OSC dans tout le pays.

« Cette situation a eu un impact négatif sur les activités de défense des droits humains dans le pays. Autrefois, les ONG surveillaient, dénonçaient et documentaient les violations des droits humains. Aujourd'hui, les violations passent inaperçues et ne sont pas documentées », a-t-il expliqué à Equal Times.

Selon M. Khumalo, le régime de la Zanu-PF – qui gouverne le Zimbabwe depuis 1980 et qui est dirigé par le président Emmerson depuis 2017 – a perdu sa légitimité dans la mesure où le contrôle du gouvernement est désormais si restreint. Il ajoute que pour que la démocratie fonctionne, les acteurs non étatiques devraient être en mesure de demander au gouvernement de rendre compte de ses actions et d'exiger la transparence dans la gouvernance.

« Or, ceci n'est guère plus possible au Zimbabwe étant donné que la plupart des ONG ont pratiquement cessé leurs activités sous l'effet de la loi sur les OBP », a-t-il expliqué.

Les ONG de défense des droits humains forcées de se comporter « en toutous plutôt qu'en chiens de garde »

On ne dispose pas de chiffres précis sur le nombre d'ONG qui ont fermé depuis la promulgation de la nouvelle loi sur les OBP, en partie parce que la loi dissuade les ONG chargées de surveiller l'espace civique de jouer ce rôle. Alors que les effets de la mise en œuvre de la loi sur les OBP ne sont pas encore totalement connus, le directeur exécutif d'une ONG, qui a parlé à Equal Times sous couvert d'anonymat, a indiqué que l'amendement a remis en question les activités de son organisation à but non lucratif. « Des bailleurs de fonds qui avaient précédemment promis de financer nos projets ont soudainement fait volte-face, ce qui nous a obligés à travailler avec un budget restreint ». Il ajoute que, bien qu'aucun motif direct n'ait été donné pour le retrait du financement, le moment choisi montre clairement que les bailleurs de fonds craignaient une réaction négative du gouvernement.

D'autres acteurs de l'espace civique affirment que les entraves bureaucratiques introduites par la nouvelle loi perturbent déjà les programmes de santé, d'éducation et de défense des droits humains dans l'ensemble du pays. Les petites organisations communautaires, qui fonctionnent avec des budgets très serrés et dépendent de subventions extérieures, se voient confrontées à des coûts et à de formalités administratives supplémentaires. Certains donateurs ont émis des réserves, évoquant le risque de déficits de financement et d'interruptions dans la prestation de services aux populations vulnérables. Par ailleurs, les experts juridiques avertissent que les exigences en matière de réenregistrement et de déclaration élargie imposeront des charges immédiates en matière de conformité et pourraient obliger certains groupes à suspendre leurs activités en attendant d'obtenir l'autorisation nécessaire.

« En l'état actuel des choses, la plupart [des ONG et des OBP] n'ont même pas été enregistrées depuis l'adoption de la loi, et ce en raison des problèmes administratifs qui y sont associés. À cela s'ajoute, bien entendu, un manque de sensibilisation de la part du personnel censé être responsable de l'enregistrement de ces organisations », explique Mlondolozi Ndlovu, expert en droit et en médias.

Et de poursuivre : « Cette loi censure également certaines organisations, ce qui porte atteinte à leur droit à la liberté d'expression et à la liberté d'association. Par crainte d'être fermées, elles préfèrent se comporter en larbins plutôt qu'en chiens de garde du gouvernement, ce qui est très dangereux dans une démocratie où la société civile et les ONG sont censées exercer un contrôle sur le gouvernement. »

Signes d'un gouvernement « intolérant à toute forme de contrôle ou d'examen »
Les principales organisations de défense des droits humains, associations de juristes et ONG internationales ont publiquement critiqué la loi, jugeant celle-ci disproportionnée et incompatible avec les obligations internationales du Zimbabwe en matière de liberté d'association et d'expression.

Dans une déclaration de juin 2025, la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et l'Organisation mondiale contre la torture (OMCT) ont qualifié la loi d'« attaque sans précédent contre l'espace civique au Zimbabwe » qui aura « des effets néfastes sur la société civile et l'espace civique zimbabwéens, en violation de la constitution du Zimbabwe et des obligations internationales du pays en matière de droits humains ».

Dans une déclaration datant d'avril 2025, Idriss Ali Nassah, chercheur principal sur l'Afrique chez Human Rights Watch, a lancé une mise en garde : « Les groupes de la société civile ne devraient pas avoir à travailler avec la crainte d'être fermés et leur personnel inculpé au pénal pour avoir simplement fait leur travail. » De leur côté, Amnesty International, la New York Bar Association et les organismes régionaux de défense des droits humains ont émis des avertissements similaires, appelant à l'abrogation de la loi ou à sa modification urgente afin de protéger l'espace civique.

Pour Melusi Simelane, du Southern African Litigation Centre, la loi sur les OBP « bien que parée d'un langage de réforme, [elle] porte en elle les arêtes vives du contrôle de l'État ».

M. Simelane a également évoqué le cas de Blessing Mhlanga, un journaliste qui a été arrêté et accusé d'incitation à la violence après avoir interviewé un détracteur du président Mnangagwa. Son arrestation, selon M. Simelane, « est le signe d'un gouvernement de plus en plus intolérant à toute forme de supervision ou d'examen, et la loi sur les organisations bénévoles privées place les ONG dans la même ligne de mire ».

Les groupes de défense des droits ont également exprimé leur inquiétude quant au fait que l'amendement contient des infractions au libellé ambigu qui risquent de criminaliser des activités de défense des droits humains et des activités « politiques » de routine. D'autres rapports mettent en évidence des clauses qui interdisent aux ONG de se livrer à un « lobbying politique » non défini et qui interdisent le financement à partir de « sources illégitimes » mal spécifiées, créant par-là même de vastes motifs de poursuites et de saisies de fonds. Les observateurs estiment que cette formulation a un effet dissuasif : certains groupes pourraient s'autocensurer ou limiter complètement leurs activités de plaidoyer afin d'éviter les poursuites judiciaires.

Il est particulièrement révélateur que les organisations bénévoles privées qui risquent d'être les plus touchées par la loi se soient abstenues de tout commentaire sur le sujet, de peur de se voir refuser des licences ou de se les voir purement et simplement retirer.

Nigel Nyamutumbu, coordinateur de la Media Alliance of Zimbabwe, est l'un des leaders civiques qui a osé s'exprimer en public. Il explique dans un entretien avec Equal Times : « La nouvelle loi exige des membres du conseil d'administration des OBP qu'ils se soumettent à des contrôles de sécurité et d'antécédents par le gouvernement, ce qui constitue en soi une forme de surveillance. »

« Cela ouvre d'une certaine manière la voie à la délivrance de licences sur une base partisane, dans la mesure où, compte tenu de notre contexte politique, il est probable que les OBP considérées ou perçues comme critiques à l'égard du gouvernement soient signalées par un drapeau rouge », a-t-il expliqué.

Cette situation, explique-t-il, n'engendre pas un environnement propice aux organisations civiques, en particulier celles qui travaillent dans le domaine des droits humains.

Selon M. Nyamutumbu, la loi confère des pouvoirs excessifs au ministre de la Fonction publique, du Travail et de la Prévoyance sociale (actuellement Edgar Moyo), dont le bureau supervise l'enregistrement et les activités des OSC, pour s'ingérer dans leurs activités ; elle confère au titulaire du bureau des pouvoirs incontrôlés, en dehors du cadre judiciaire, pour suspendre les activités des OBP et leur imposer un conseil d'administration.

« En ce sens, se pose évidemment la question de l'autocensure et du fait que la société civile travaille dans un environnement marqué par la peur », a-t-il déclaré.

Le ZCTU condamne une loi élaborée sans consultation

Le Congrès des syndicats du Zimbabwe (ZCTU), la plus grande organisation syndicale faîtière du pays, affirme que la loi a été élaborée sans aucune consultation avec les parties prenantes concernées, ajoutant qu'il s'agit d'un stratagème du gouvernement de la ZANU PF pour réduire au silence les voix dissidentes, en particulier celles qui sont impliquées dans la gouvernance, les droits humains et les activités de défense des droits.

« L'élaboration de la législation n'a pas fait l'objet d'un processus de consultation large et authentique avec les OSC. En outre, les préoccupations que nous avons soulevées ont été largement ignorées par le gouvernement », explique Last Tarabuku, responsable de l'information au ZCTU.

Selon M. Tarabuku, la loi devrait être abrogée car elle porte atteinte aux droits garantis par la constitution nationale.

Il indique en outre que la loi pourrait entraîner des pertes d'emploi massives dans le secteur des ONG (qui emploie officiellement quelque 18.000 personnes selon l'enquête sur la main-d'œuvre et le travail des enfants de 2019) et perturber les nombreux services essentiels fournis en partie grâce aux ONG.

Toujours selon M. Tarabuku, le ZCTU demande que toute loi régissant le fonctionnement du secteur associatif zimbabwéen soit alignée sur les normes locales, régionales et internationales en matière de droits humains.

Contestation juridique

Depuis l'adoption de la loi, les groupes de défense des droits signalent une augmentation des inspections, des demandes d'informations financières et des cas de dirigeants d'ONG ayant fait l'objet de sanctions administratives. Cette application renforcée de la loi s'inscrit dans un contexte plus large de contrôle des manifestations et de restriction des rassemblements publics, ce qui intensifie les craintes que les acteurs civiques ne soient soumis à des sanctions plus sévères pour avoir mené des activités liées aux droits humains.

Selon les analystes, la loi portant modification de la loi sur les OBP est susceptible de causer des dommages à long terme à la prestation de services, au contrôle indépendant et à la responsabilité démocratique. Si les donateurs réduisent leur financement ou réaffectent des programmes en raison de l'incertitude juridique, les victimes les plus immédiates seront les communautés vulnérables qui dépendent des cliniques, des refuges, de l'aide juridique et des projets de développement communautaire gérés par des ONG.

Dans le domaine des droits, les restrictions imposées à la recherche, à la surveillance et à la défense des droits pourraient avoir pour conséquence que les abus ne soient pas signalés et ne soient pas contestés.

Les réseaux de la société civile et les acteurs internationaux demandent instamment au gouvernement zimbabwéen de réviser la loi, de clarifier les dispositions ambiguës, de revoir à la baisse les mesures punitives et d'ouvrir des processus de consultation significatifs avec les parties prenantes.

Certaines associations juridiques préparent également des recours devant les tribunaux nationaux et régionaux, notamment la Crisis in Zimbabwe Coalition, qui a déposé, le 7 octobre 2025, une demande d'ordonnance d'invalidité constitutionnelle auprès du tribunal de grande instance de Bulawayo, pour contester plusieurs articles de la loi sur les OBP.

Les mois à venir montreront si le gouvernement répondra positivement à ces appels à la réforme de la loi sur les OBP ou s'il intensifiera son application, un choix qui déterminera si les ONG peuvent poursuivre leurs activités ou si l'espace civique du Zimbabwe continuera à se contracter.

21.11.2025 à 11:27

Du Mexique au golfe Persique, plus de 137 millions d'enfants exploités dans la chaîne d'approvisionnement mondiale

À Istanbul, après le coucher du soleil, le jeune Ahmed (nom fictif) et sa sœur aînée, chargés d'une montagne de bouteilles en plastique vides, se faufilent clandestinement dans le tramway reliant Karaköy à Kabatas. Ils passent inaperçus parmi les touristes et les habitants : leur présence est normalisée. Pieds nus et vêtus de haillons, ils n'ont pas plus de dix ans. Où sont leurs parents ? Le petit garçon hausse les épaules et se faufile entre les adultes. Sa sœur s'enfuit en courant dès (…)

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Texte intégral (3153 mots)

À Istanbul, après le coucher du soleil, le jeune Ahmed (nom fictif) et sa sœur aînée, chargés d'une montagne de bouteilles en plastique vides, se faufilent clandestinement dans le tramway reliant Karaköy à Kabatas. Ils passent inaperçus parmi les touristes et les habitants : leur présence est normalisée. Pieds nus et vêtus de haillons, ils n'ont pas plus de dix ans. Où sont leurs parents ? Le petit garçon hausse les épaules et se faufile entre les adultes. Sa sœur s'enfuit en courant dès l'arrivée sur le quai pour esquiver les questions. Quelques mètres plus loin, un enfant syrien porte un immense panier rempli de chiffons, peinant à avancer sous le poids. Sa mère, qui le précède, le réprimande au milieu du trafic stambouliote.

Le chercheur turc Özgür Hüseyin Akış a passé deux années à travailler sur le terrain dans les usines de recyclage du plastique. Dans son livre, il déclare que le problème du travail des enfants ne cesse de s'aggraver en Turquie en raison des inégalités. « Ici, il y a un million et demi d'enfants réfugiés syriens, et la moitié seulement est scolarisée. Où est l'autre moitié ? », demande M. Akış.

De Tijuana à Reynosa, le périple est également une forme de travail. Les travaux de recherche menés par Plan International et Save the Children sur les fillettes, les garçons et les adolescents non accompagnés à la frontière nord du Mexique font état de tâches informelles (ventes, courses, commandes) qui servent de stratégie de survie pendant le transit et dans les villes frontalières, telles que Juárez. Les syndicats mexicains dénoncent le fait que les failles systémiques de coordination entre les structures d'accueil et les tribunaux (telles que les protocoles irréguliers, les retards et la revictimisation), associées à une réintégration insuffisante dans le système scolaire, augmentent le risque de traite et de travail forcé dans des contextes dominés par le crime organisé.

Par-delà la frontière nord, des milliers de ces enfants traversent la frontière vers les États-Unis, où ils sont également exposés à l'exploitation dans des secteurs très dangereux pour leur santé et leur sécurité, notamment dans l'industrie de la transformation de la viande ou la métallurgie.

En effet, les usines de transformation de viande et de volaille étatsuniennes imposent des conditions pénibles et dangereuses à l'ensemble du personnel (blessures graves, amputations et exposition à des produits chimiques), avec 770 cas signalés d'amputations, d'hospitalisations ou de perte d'un œil entre 2015 et 2018, selon Human Rights Watch.

Dans ce contexte de dangerosité élevée, les mineurs ne devraient pas être présents. Pourtant, le département du Travail des États-Unis a détecté plus de 100 adolescents nettoyant des équipements dangereux pour un prestataire de services en assainissement. La concentration des entreprises et la pression pour aller plus vite alimentent une culture qui encourage le recours à la sous-traitance et aux niches informelles où se retrouvent souvent les migrants mineurs.

À l'autre bout du monde, des jeunes filles d'à peine 13 ou 14 ans, recrutées au Kenya, en Éthiopie ou en Tanzanie, sont envoyées comme employées de maison en Arabie saoudite à travers des réseaux qui falsifient leur âge et leur promettent des (faux) salaires élevés. Ces pratiques sont encouragées par le système de parrainage (kafala) sur place, en vertu duquel le statut migratoire et la protection au travail dépendent exclusivement de l'employeur (kafeel), ce qui facilite le contrôle et les abus. La présentation conjointe de la Confédération syndicale internationale (CSI) et de Global March au Rapporteur spécial sur les formes contemporaines d'esclavage décrit des cas de violence sexuelle, de vol de salaire et de séquestration, qui concernent apparemment des travailleuses adultes, mais aussi des adolescentes. Le Kenya a enregistré pas moins de 283 décès de travailleuses domestiques dans les États du golfe Persique entre 2019 et 2023, un indicateur brutal d'un système d'exploitation caché dans les foyers privés, qui peut toucher des mineurs d'âge.

En Afrique de l'Ouest, des « angles morts » persistent dans le secteur du cacao : en dépit de décennies d'efforts et d'engagements pris sur le papier, le Ghana et la Côte d'Ivoire connaissent tous deux une prévalence massive du travail des enfants. Par ailleurs, des enquêtes menées par le gouvernement des États-Unis ont montré qu'en République démocratique du Congo, par ailleurs, l'exploitation artisanale du cobalt, matière première clé pour les batteries, emploie systématiquement des enfants dans des conditions qui combinent poussière toxique, effondrements et journées de travail exténuantes. La norme visant à éliminer ces maillons opaques est présentée dans le Guide OCDE sur le devoir de diligence (2016).

Plus de 137 millions de victimes du travail des enfants

Les estimations mondiales pour 2024 de l'OIT-UNICEF évaluent le nombre de jeunes filles et de jeunes garçons « soumis au travail des enfants » à 137,6 millions, dont 54 millions dans des tâches dangereuses. 61 % travaillent dans l'agriculture, 27 % dans les services (y compris les services domestiques dans les foyers de tiers) et 13 % dans l'industrie (construction, manufacture, exploitation minière). Le fossé entre les sexes est patent : plus de garçons dans l'industrie, plus de filles dans les services et le travail domestique. Ces données sont celles du dernier inventaire et, bien que la tendance soit à nouveau à la baisse depuis 2020, le rythme actuel est insuffisant : le taux de réduction devrait être multiplié plusieurs fois si l'on souhaite éliminer ce phénomène dans les prochaines décennies.

Dans les situations de conflit, telles que celles du Soudan et de la Palestine, les données recueillies par l'OIT révèlent que les guerres et les déplacements de population entraînent une augmentation du travail des enfants et des pires formes d'exploitation, du fait de la destruction des écoles et de la disparition des contrôles et de la protection sociale. Le mouvement syndical mondial demande à ce que la paix et l'espace civique soient considérés comme des conditions nécessaires à l'éradication de ce problème.

Au Soudan, la guerre entraîne une recrudescence des pires formes de travail des enfants, notamment leur recrutement par des acteurs armés (comme porteurs, vigies ou messagers), la traite et les travaux dangereux, en raison du délitement des écoles, de l'inspection du travail et de la protection sociale.

Dans sa communication au Rapporteur des Nations unies, la Confédération syndicale internationale (CSI) estime qu'entre 2005 et 2022, plus de 105.000 mineurs ont été recrutés à travers le monde pour des rôles connexes à des conflits. Selon la CSI, la solution consiste à contenir la violence, à protéger l'espace civique et à financer les voies de réorientation et de réintégration avec un budget, des indicateurs et une coordination entre les pouvoirs publics chargés de l'éducation, du travail et de la protection sociale.

La Palestine s'inscrit dans cette logique de conflit : la guerre et le blocus dégradent l'éducation et les services, aggravent la pauvreté et les déplacements de population et accroissent le risque de travail des enfants et de ses « pires formes ». Ce terme juridique défini par la Convention 182 de l'OIT désigne l'esclavage et la traite, le travail forcé, le recrutement ou l'utilisation par des acteurs armés, l'exploitation sexuelle commerciale (prostitution/pornographie), les activités illicites (trafic de drogue) et les travaux dangereux susceptibles de nuire à la santé, à la sécurité ou à la moralité. En l'absence de données quantitatives, la CSI propose de renforcer la protection sociale (allocations, repas à l'école, soutien psychosocial), de faciliter la réintégration scolaire grâce à des mesures flexibles et de mettre en place un suivi communautaire avec les syndicats et la société civile, en plus d'exiger un devoir de diligence obligatoire des entreprises directement ou indirectement exposées dans la région.

Les réponses de la CSI et de la société civile font état de lois « sur papier » et peu appliquées, d'une informalité considérable et de fractures en matière d'éducation et de protection sociale, en particulier dans les zones rurales et les couloirs migratoires.

À qui profite le vide juridique ?

Plus de 70 % du travail des enfants a lieu dans le secteur agricole, précisément là où se combinent informalité, sous-traitance et faible présence des inspecteurs. La position syndicale commune qui sera présentée lors de la Conférence mondiale sur l'élimination du travail des enfants de l'Organisation internationale du travail (OIT) à Marrakech en 2026 réclame un devoir de diligence obligatoire, des sanctions efficaces, la participation des syndicats à la conception et au contrôle des plans des entreprises, et la subordination du financement des banques de développement à des résultats vérifiables en matière d'élimination du travail des enfants.

Dans le secteur du cacao, certaines marques ont financé des systèmes de suivi et de remédiation du travail des enfants (SSRTE). Il s'agit, par exemple, d'initiatives qui s'étendent à des dizaines de milliers d'enfants au Ghana et en Côte d'Ivoire. Pourtant, avec des millions d'enfants qui continuent de travailler, sans salaires dignes, sans véritable inspection et sans négociation collective sectorielle, les choses n'évoluent guère.

Dans les usines de transformation de viande et de volaille aux États-Unis, les preuves accumulées depuis des décennies confirment que ces environnements sont à haut risque et que le rythme de travail est associé à des lésions, en raison d'un écosystème de pression sur les coûts qui, d'après les syndicats, favorise la sous-traitance et les réseaux informels enclins à l'exploitation des mineurs migrants.

La pauvreté des adultes et les salaires de misère, l'économie informelle, l'absence de protection sociale, l'inaccessibilité ou la mauvaise qualité de l'école, la faiblesse des inspections du travail et l'impunité des entreprises sont autant de facteurs à l'origine de l'exploitation des enfants. Les facteurs « accélérateurs » (chocs climatiques, crises économiques, conflits armés) poussent de plus en plus de familles à la limite. Les données recueillies par la CSI montrent qu'en Afrique subsaharienne, un enfant sur cinq travaille.

En Inde et au Bangladesh, les bas salaires des parents poussent les enfants vers l'agriculture et les usines textiles. Au Guatemala et au Honduras, le caractère saisonnier des récoltes de café et de canne à sucre contraint les enfants au travail.

Les solutions éprouvées et les demandes des syndicats et de la société civile

La feuille de route syndicale pour 2025-2026 n'est pas théorique ; elle est concrète et mesurable :

Les représentants des travailleurs réclament des emplois et des salaires dignes pour les adultes, assortis de négociations collectives et d'une formalisation, en particulier dans l'agriculture et les services.

Ils réclament également une protection sociale universelle financée par une fiscalité équitable (allocations familiales, congés parentaux, couverture santé), avec une attention particulière pour les zones rurales et les travailleurs de l'économie informelle.

Les représentants des travailleurs exigent par ailleurs la garantie d'une éducation gratuite, obligatoire et de qualité, avec des passerelles flexibles pour la réintégration des survivants et la protection du système public contre sa privatisation, qui exclut les plus pauvres.

En outre, ils demandent que des lois strictes soient adoptées et réellement appliquées : extension de la couverture sociale aux zones rurales et au travail domestique ; renforcement des inspections du travail et de la sécurité et de la santé pour les jeunes ; âge minimum de 18 ans pour les travaux dangereux, aligné sur l'âge de l'obligation scolaire.

Pour finir, ils demandent un devoir de diligence obligatoire tout au long de la chaîne (y compris dans les secteurs agricole et informel), avec des voies de remédiation efficaces et un suivi par les travailleurs ou la communauté ; référence à la directive européenne sur le devoir de diligence (actuellement édulcorées) et aux cadres similaires du Canada, de l'Allemagne, du Royaume-Uni et des États-Unis. Le tout dans un environnement de paix, de démocratie et avec un espace civique, afin que les syndicats et les communautés puissent surveiller et réparer, dans des contextes de paix et d'après-conflit.

Le bilan intermédiaire de l'Alliance 8.7, Appel à l'action de Durban, adopté en mai 2022 dans le but de mettre fin au travail des enfants, confirme des avancées inégales et, surtout, des manquements en matière de financement, de données, de volonté politique et de responsabilité de la part des entreprises.

Il dresse également des recommandations concrètes à l'intention des gouvernements, des bailleurs de fonds et des entreprises : traiter les données comme un bien public ; remédier à la fracture agricole en matière de couverture juridique, à savoir mettre le secteur agricole sur un pied d'égalité avec le reste de l'économie en matière de protection du travail ; financer la remédiation communautaire et la réintégration scolaire ; et passer de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) volontaire à des obligations en matière de devoir de diligence assorties d'un contrôle indépendant.

Les recommandations de la société civile et de la CSI sont clairement identifiées :

d'une part, les gouvernements doivent intégrer le travail des enfants dans les plans de développement, de commerce et d'éducation, institutionnaliser les voies de remédiation et de réintégration en leur attribuant des lignes budgétaires, coordonner les dossiers du travail, de l'éducation, de l'agriculture et de la protection sociale, et publier des données détaillées.

Les bailleurs de fonds, quant à eux, doivent délaisser les projets à court terme au profit d'un financement flexible et pluriannuel pour les organisations locales, avec des incitations fondées sur l'inspection, la participation et l'ouverture de l'espace civique. Ils doivent également financer les données, la réintégration et le suivi communautaire.

Dans le même temps, les entreprises doivent mettre en œuvre la diligence raisonnable dans tous les secteurs, y compris l'agriculture et le secteur informel, ouvrir leurs chaînes à des vérifications indépendantes, remédier à la situation et améliorer les revenus familiaux et la scolarisation, publier les risques et les indicateurs, et négocier avec les syndicats.

Pour Jordania Ureña, sous-secrétaire de la CSI, « le fait que le travail des enfants, sous ses pires formes, continue d'exister reflète l'échec profond de la responsabilité politique et des entreprises. Les syndicats sont en première ligne, mais un changement systémique requiert une action coordonnée. Les gouvernements et les entreprises doivent agir sans délai : en donnant la priorité aux jeunes filles et aux jeunes garçons plutôt qu'aux profits, en s'attaquant aux causes profondes (de ce fléau) et en garantissant le respect des droits et la dignité du travail pour tous. Les bailleurs de fonds doivent dépasser les solutions à court terme et fournir un financement flexible sur le long terme qui renforce les communautés locales et accompagne les efforts de réintégration et de suivi. »

Les données sont là : le recours au travail des enfants se produit lorsque le salaire des adultes n'est pas suffisant ; l'école perd la bataille contre la faim, notamment lorsque l'informalité règne et que la loi est absente.

Les solutions pour éradiquer le travail des enfants ne manquent pas ; ce qui manque, ce sont les décisions : les salaires décents, l'école publique et la protection sociale, l'inspection et le devoir de diligence assorti de sanctions, et un espace civique pour que ceux qui assurent la surveillance ne soient pas persécutés. Durban a donné le cap à suivre en 2022 et Marrakech exhorte à passer des mots à l'action en 2026. Les recommandations et les normes sont déjà définies. Il ne reste plus qu'à se plier à l'évidence et à supporter le coût de ne plus exploiter les enfants.

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