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20.11.2025 à 13:12

Libertés associatives, droits fondamentaux et démocratie continue

Frédérique Cassegrain

Pour comprendre l'affaiblissement actuel des libertés associatives démocratiques, un rapide retour sur leur construction historique semble nécessaire. D'autant plus que ce travail permet de penser des pistes pour, a contrario, envisager leur renforcement. Celui-ci passera inévitablement par une traduction en langage juridique.

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Texte intégral (3529 mots)

Cet article est initialement paru dans le numéro 727 de la revue Juris associations, novembre 2025.

Dessin : Bap Tiste

« La liberté d’association n’est pas mise en danger aujourd’hui en France, a fortiori depuis son inscription dans le bloc de constitutionnalité en 1971. » Dans son bureau, en février 2019, Gabriel Attal, alors secrétaire d’État en charge des associations, réagit ainsi à la lecture d’une « lettre ouverte » remise en main propre par le président du Collectif des associations citoyennes (CAC). Dans ce courrier pourtant, un certain nombre de cas sont listés et le jeune secrétaire d’État ne ferme pas totalement la porte à un examen plus attentif de la situation.

Cette étude sera entreprise immédiatement et durera 18 mois pour être présentée à des parlementaires par des universitaires et des associations en octobre 2020 sous la forme du premier rapport de l’Observatoire des libertés associatives, qui tient ainsi son acte de naissance officiel « Premier rapport de l’Observatoire des libertés associatives – Une citoyenneté réprimée : 100 cas de restriction des libertés associatives, 12 pistes pour mieux les protéger », oct. 2020 ; JA2020, no 627, p. 6, obs. E. Benazeth ; JA 2020, no 628, p. 12.

Dès l’introduction, le distinguo est posé entre, d’une part, la « liberté d’association » qui renvoie, depuis 1901, au droit de créer une association sans avoir à en demander l’autorisation préalable, et d’autre part, les « libertés associatives » décrivant, plus finement, la possibilité de faire vivre une association, une fois celle-ci créée. Ces libertés associatives s’approchent donc de la notion de « liberté démocratique » entendue comme « le droit pour toute personne de prendre part à la direction des affaires publiques » consacré par l’article 21 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Autrement dit, ce n’est pas le tout de donner naissance à une association, encore faut-il lui permettre d’agir, de concrétiser ses intentions et de se développer. Bref, de donner pleine mesure à son potentiel en s’appuyant sur une série de droits fondamentaux qui sont autant de conditions d’exercice de la démocratie : droit de réunion, droit de manifestation, droit de création (artistique notamment), droit d’expression. Réunir les conditions d’effectivité de ces droits, c’est précisément là où le bât blesse de plus en plus aujourd’hui en France, et cela invite à prendre de la hauteur historique sur l’exercice de la citoyenneté dans sa dimension collective.

La citoyenneté collective, ou l’histoire d’une dialectique 

La genèse, riche d’enseignements, de la loi de 1901 L. du 1er juill. 1901 relative au contrat d’association, JO du 2. nous permet précisément cette prise de hauteur historique puisque le droit d’association est ce qu’Ambroise Croizat appelait un conquis social, fruit de décennies de luttes, indissociables du processus de construction de notre édifice républicain moderne V. not. J.-B. Jobard, Une histoire des libertés associatives – De 1971 à nos jours, Éditions Charles Léopold Mayer, 2022 ; M. Riot-Sarcey, Le Procès de la liberté – Une histoire souterraine du XIXe siècle en France, Éditions La Découverte, 2016.. Tout commence pourtant mal aux lendemains de la Révolution française avec le décret d’Allarde et la loi Le Chapelier (mars et juin 1791) qui interdisent la constitution d’organisations collectives, de corporations, d’associations de personnes. Deux explications prédominent : la première se lit dans l’article 3 de la déclaration des Droits de l’homme et du citoyen : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. » Inspirés par la philosophie des Lumières, les révolutionnaires de l’époque considèrent que dans la République, une et indivisible, l’expression de la volonté des citoyens ne doit pas être biaisée par des corps intermédiaires. La seconde explication emprunte à une grille de lecture marxiste : la révolution de 1789 est avant tout une révolution bourgeoise qui inaugure une forme de libéralisme s’accommodant mal des monopoles et prébendes qui permettaient à des segments de la société, regroupés en corps professionnels, d’avoir la main sur toute une sphère de l’activité économique en dictant des règles de commercialisation de biens et services.

Après 1789, 1792 et 1793, les révolutions et insurrections marquent tout le XIXe siècle : 1830, 1831 et 1834 (les canuts), 1848, 1871, etc. Les pouvoirs en place se méfient alors fortement de la manière dont des organisations collectives pourraient constituer la source de revendications et de mises en forme d’aspirations sociales, politiques, syndicales, économiques. « Des évènements récents vous ont appris qu’il était facile aux chefs des associations de séduire et d’agiter par leurs déclarations et des apparences philanthropiques certaines classes de la société », alerte par exemple le garde des Sceaux devant le gouvernement en 1834.

L’histoire de l’action associative et de son évolution dans le corpus juridique peut être ainsi vue comme un balancement dialectique entre deux tendances opposées : celle des libertés consenties à la société civile organisée, d’une part, et celle imposant un système de contrôles relativement stricts et d’entraves mis en place par les autorités publiques, d’autre part.

Dans les années 1980, progressivement, avec la fin de l’État providence et l’imposition de logiques néolibérales, nous sommes précisément passés d’une tendance à une autre. Avant d’être perceptible sur le terrain du droit, cette régression des marges de manœuvre des associations s’est observée dans la structure de leurs ressources budgétaires : baisse et transformation des financements publics, « prestarisation » des services – or il est plus difficile quand on est prestataire d’être protestataire. En ce sens, les attaques contre les libertés associatives peuvent être vues comme le prolongement du processus de marchandisation V. les travaux de l’Observatoire citoyen de la marchandisation des associations créé par le Collectif des associations citoyennes (CAC) ; v. JA 2023, no 675, p. 6, obs. T. Giraud ; ibid., p. 13, tribune M. Langlet ; JA 2025, no 720, p. 13, tribune M. Langlet ; JA 2025, no 721, p. 8, obs. T. Giraud. et ses corollaires (instrumentalisation, managérialisation) et viennent parachever le scénario de leur affaiblissement P. Coler, M.-C. Henry, J.-L. Laville, G. Rouby, Quel monde associatif demain ?, Érès, 2021.

Loi de 2021 : au-delà d’un contenu problématique… 

Le 24 août 2021 marque une rupture, insidieuse et silencieuse mais profonde, avec la logique qui prévalait pour le monde associatif depuis le 1er juillet 1901. Ce jour-là, la loi confortant le respect des principes de la République est votée L. no 2021-1109 du 24 août 2021, JO du 25 ; v. not. JA 2022, no 653, p. 15 et s., dossier « Principes républicains – Gar(d)e à vous ! ». et, à la faveur de trois articles en particulier, elle actualise un cadre légal qui fait basculer les associations de l’ère de la confiance à celle de la défiance par l’utilisation de quelques notions clés qui vont ouvrir de larges marges de manœuvre interprétatives.

Le diable est toujours dans les détails rédactionnels, et il est donc nécessaire de s’arrêter sur quelques points clés d’un texte hétéroclite – seuls 6 articles sur 107 traitent spécifiquement du fait associatif. Ainsi, l’article 1er ouvre une première « boîte de Pandore » en prévoyant l’obligation d’une neutralité politique – sans définir davantage cette notion, et c’est là tout le problème au vu des interprétations possibles fort différentes de l’acception du terme V. en p. 30 du dossier « Liberté associative : ré(pression), JA 2025, no 727. – aux organismes de droit privé qui passent contrat d’une commande publique. Le cas emblématique de La Cimade Tribune de F. Carrey-Comte, secrétaire générale de La Cimade, « Les associations doivent pouvoir continuer à déployer leur rôle de vigie citoyenne dans les centres de rétention administrative », in Le Monde, 21 févr. 2025., opérateur historique dans les centres de rétention administrative (CRA), montre bien les possibilités d’assujettissement pur et simple du monde associatif à travers cette disposition.

L’article 16 prévoyant l’extension des possibilités de dissolution administrative Ibid, p.24. des associations en cas « d’agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens » – rappelons qu’en droit pénal, la notion de « violence » contre des biens n’existe pas – complète d’autant plus le tableau que, dorénavant, il suffit qu’une autorité considère que l’association « contribue » à ces agissements violents pour justifier une sanction. À partir de quand « contribue-t-on » ? Paradoxalement, la décision, en apparence favorable aux Soulèvements de la Terre en novembre 2023 CE 9 nov. 2023, req. n476384, JA 2023, no 689, p. 3, édito B. Clavagnier ; ibid., p. 10, obs. X. Delpech., vient renforcer nos inquiétudes dans la mesure où le Conseil d’État, avant de dédouaner le collectif par l’application du principe de contrôle de proportionnalité, introduit son propos en affirmant que les Soulèvements de la Terre ont bien légitimé des comportements violents V. J. Hourdeaux, « Soulèvements de la Terre : “Il s’agit en fait d’une victoire à la Pyrrhus” », Mediapart, 9 nov. 2023.. Cela ouvre largement des possibilités futures de sanctions pour des structures qui n’auront ni sa notoriété, ni le soutien massif exprimé au moment de sa mise en cause.

Enfin, si la progression sans précédent de dissolutions – 37 depuis 2017, soit autant que depuis la présidence du général de Gaulle – touche en bonne partie des associations d’extrême droite, il y a lieu de se poser une question face à la recomposition de ces mouvances « d’ultra droite » : au-delà des effets d’annonce, quels sont le suivi et l’efficacité réelle de ces mesures ?

Le 24 août 2021 marque une rupture, insidieuse et silencieuse mais profonde, avec la logique qui prévalait pour le monde associatif depuis le 1er juillet 1901. Ce jour-là, la loi confortant le respect des principes de la République est votée.

Pour finir, l’article 12 sur le contrat d’engagement républicain (CER) V. égal. en p. 30 du dossier « Liberté associative : ré(pression), JA 2025, no 727. mériterait à lui seul une longue analyse, importante à faire et à partager V. J.-B. Jobard, « Questions citoyennes sur le contrat d’engagement républicain »., tant le texte de son décret d’application Décr. no 2021-1947 du 31 déc. 2021, JO du 1er janv. 2022, v. not. JA 2022, no 651, p. 3, édito B. Clavagnier ; ibid., p. 7, obs. X. Delpech. est méconnu – y compris par des collectivités territoriales pourtant tenues de le faire respecter – ou mal compris. En effet, les engagements semblent basiques et de bon sens et se contentent d’une redite de principes énoncés dans d’autres textes. En réalité, il faut s’arrêter sur des termes comme le verbe « inciter » car, non seulement la responsabilité de l’association peut se voir engagée quand elle entreprend une action qui entraînerait un trouble à l’ordre public, mais encore simplement quand elle y incite. D’une part, en l’absence de définition juridique stabilisée de la notion d’ordre public, la question n’est pas : qui trouble l’ordre public ? Mais plutôt : qui considère que l’ordre public est troublé ? D’autre part, parmi ces autorités administratives qui ont ce pouvoir, combien pourront se saisir de cette marge interprétative pour affirmer qu’une association « cautionne » des agissements ? Nous flirtons ici avec le principe d’une interdiction générale de toute critique de l’ordre établi puisqu’une autorité pourrait considérer que ces critiques peuvent fournir des raisons d’indignation motivant in fine des actes de violence.

… l’ouverture d’une ère de surveillance punitive 

Avec le recul, il est frappant de constater que le CER est utilisé, non pas dans des procédures en bonne et due forme, mais très majoritairement brandi comme une menace suffisant à justifier des sanctions – d’autant que les rares utilisations formelles par les autorités publiques se sont soldées par des défaites devant les tribunaux. Ce contrat d’engagement républicain, qui n’a de contrat que le nom, comme le rappelait le Haut-Conseil à la vie associative (HCVA) Analyse intégrée dans l’avis du HCVA du 3 déc. 2021 ; v. JA 2022, no 652, p. 6, obs. E. Benazeth., peut donc surtout être lu comme un outil de pression au service d’une « sobriété punitive » façonnant une « société disciplinaire », pour reprendre les termes de Michel Foucault. En effet, la grille d’analyse proposée par l’auteur M. Foucault, Surveiller et punir, Gallimard, 1975. peut s’appliquer aux articles 1er et surtout 5 du décret du CER : le pouvoir n’est plus seulement centralisé et localisable, il devient diffus et opère en réseau sous la forme démultipliée de micropouvoirs qui passent par les corps et l’autosurveillance. Tout se passe comme si chacun, se sentant surveillé, devenait surveillant à son tour.

Il est probable que nous ne soyons qu’au début de ce processus liberticide ouvert par la loi d’août 2021 qui, par ses marges d’interprétation, rend possibles des pratiques arbitraires et un autoritarisme de plus en plus affirmé.

Sans compter qu’à l’heure où les budgets 2025 et 2026 annoncent de nouvelles saignées budgétaires avec plus de 90 milliards d’euros de coupes dans les dépenses publiques, une rhétorique de plus en plus huilée se met en place avec des accusations de trouble à l’ordre public et des justifications de suppression de ressources, y compris par des avantages fiscaux, une association contrevenant à l’ordre public ne pouvant pas ou plus être éligible au titre d’un financement justifié par l’intérêt général. 

Ainsi pouvons-nous désormais donner tort à Gabriel Attal : les attaques contre les libertés associatives atteignent un tel niveau d’intensité qu’elles en viennent même à dissuader certains citoyens d’en créer.

Ambivalence du droit et exercice de vigilance (juridique) citoyenne 

« Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve », affirmait Hölderlin. En effet, de plus en plus attaquées sur le terrain du droit, les associations apprennent à répliquer davantage dans ce domaine V. en p. 27 du dossier « Liberté associative : ré(pression), JA 2025, no 727.. En complément, voire, dans certains cas, en remplacement d’outils de plaidoyer, elles s’arment juridiquement pour, non seulement se défendre, mais contre-attaquer à la faveur de « stratégies de contentieux stratégiques » et de création de jurisprudence. Une illustration de cette tendance peut être donnée par le titre choisi par l’Union fédérale d’intervention des structures culturelles (Ufisc), une importante fédération d’associations culturelles, pour l’une de ses rencontres biennales : « Les droits humains fondamentaux : une zone à défendre (ZAD) ! ».

L’idée d’un double mouvement de défense des droits issus de conquis sociaux et de revitalisation de la démocratie, notamment par la mise en application par les acteurs de la société civile des principes de la démocratie continue D. Rousseau, Six thèses pour la démocratie continue, Odile Jacob, 2022., passe aussi par le renforcement de ces vigies associatives que sont les observatoires citoyens, pour la plupart créés récemment – et qu’il reste à mieux relier entre eux – : Observatoire des libertés associatives, de la liberté de création, des libertés syndicales, des entraves faites à la presse, des libertés académiques, etc.

Ainsi, dans le cadre d’une économie mondiale toujours plus dérégulée où le poids des multinationales n’a jamais été aussi fort et où les tentations autoritaires sont extrêmement prégnantes, les acteurs associatifs du mouvement social intègrent toujours plus une grammaire juridique au langage classique des luttes sociales et environnementales Les initiatives de l’espace interassociatif Droits et mouvements sociaux (DMS) et du collectif Intérêt à agir en sont des exemples particulièrement probants ; v. JA 2025no 716, p. 13.. Et d’aucuns diront peut-être qu’écrire ces lignes précisément dans une revue nommée Juris associations fait figure d’un programme de travail à partager le plus largement possible.

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18.11.2025 à 14:08

Baisser de rideau pour l’Agence culturelle Grand Est ? 

Frédérique Cassegrain

Outil culturel majeur créé par la Région il y a près de cinquante ans pour amplifier sa politique, l’Agence culturelle Grand Est se voit appliquer pour 2026 une baisse de 50 % de sa dotation régionale menaçant jusqu’à son existence. Francis Gelin commente, dans cette tribune, les conséquences qu’aurait une telle coupe sur les missions de structuration, d’accompagnement et de mise en synergie jusque-là portées par l’agence, ainsi que pour les acteurs de ce territoire.

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Texte intégral (1236 mots)
Compagnie KiloHertZ, spectacle MYOTIS X © Agence culturelle – Vincent Muller

Alors que l’Agence culturelle Grand Est exerce la mission qui lui est confiée par l’État et la Région de travailler sur l’entrepreneuriat culturel, le titre du forum régional intitulé « Pour un futur désirable » organisé ce 21 novembre apparaissait comme une provocation en regard des décisions régionales annoncées pour l’année 2026. En effet, la Région a récemment fait savoir aux syndicats et plus directement aux structures culturelles conventionnées du spectacle vivant qu’une baisse de 10 % de leur subvention serait appliquée en 2026. Les premiers impactés par cette mesure seront les artistes et les techniciens intermittents : moins de budgets de production, moins de créations artistiques, moins d’achats de spectacles, moins de diffusions, moins de cachets, moins d’emplois. La fragilité de ces publics s’amplifiera donc dans un contexte 2025 déjà très morose. Le maintien de l’emploi culturel se posera inévitablement dans le Grand Est pour les intermittents, les permanents des salles de spectacles étant les victimes à venir de ces contractions budgétaires. Il revient au milieu artistique d’énoncer ses interrogations et de s’organiser en conséquence.

Par ailleurs, l’Agence culturelle Grand Est, outil culturel créé par l’institution régionale voici près de cinquante ans pour amplifier sa politique, se voit de son côté appliquer une baisse de 50 % de sa dotation régionale. Si la solidarité budgétaire concernait également l’Agence, on peut s’interroger sur les motivations présidant à une baisse de cette ampleur qui condamne inévitablement son soutien au spectacle vivant. Aurait-elle fait défaut d’efficience dans son activité ? Des évaluations internes ou externes par ses financeurs, par ses publics remettaient-elles en cause son projet, sa méthode, ses compétences ? Serait-elle en manque de légitimité et de reconnaissance de la part de l’écosystème culturel ? Ses financeurs et ses instances statutaires l’auraient-ils mise en garde sur une absence de résultats, une défaillance de gestion sociale ou financière ? Son rayonnement régional serait-il questionné ?

Rien de tout cela, semble-t-il, faute d’explications éclairées mais une décision brutale et non documentée, assumée dans ses conséquences sociales et artistiques, sans concertation préalable avec le personnel. C’est une perte supplémentaire qui s’annonce pour les équipes artistiques et les lieux de diffusion dans les villes moyennes et rurales.

Apporter des financements relève de la responsabilité des collectivités publiques. Mettre en œuvre une ingénierie pour développer des coopérations en et hors région, pour organiser des plans de formation, pour créer des liens entre création, production, diffusion et médiation, pour fédérer les ressources artistiques et culturelles renvoie à des modes d’actions très spécifiques et chronophages qu’elles ne parviennent pas à s’appliquer. Un accompagnement au long cours qu’un service culturel régional – malgré les engagements individuels d’agents motivés – ne peut reprendre à son compte en raison d’une insuffisante réactivité liée à une inertie décisionnelle et opérationnelle inhérente à la gestion publique. Les exemples ne manquent pas pour illustrer les conséquences désastreuses sur l’écosystème du spectacle vivant après la disparition d’une agence territoriale. Il en sera de même très rapidement dans le Grand Est. 

Depuis trois décennies, sous l’impulsion de cinq présidences volontaristes et engagées (Robert Grossmann, Gérard Traband, Claude Sturni, Pascal Mangin et Arnaud Robinet), l’Agence s’est employée à agir au plus près des attentes du monde culturel associatif et professionnel. Ce dernier a d’ailleurs témoigné régulièrement reconnaissance et satisfecit aux salariés de l’agence dont la compétence est reconnue bien au-delà des frontières régionales.

En trente ans, de régulières évaluations de son projet d’établissement et de sa gestion ont été menées par ses financeurs et par plusieurs organismes officiels ; des études de satisfaction auprès des bénéficiaires de ses services ont été commandées par l’Agence elle-même. Toutes ces évaluations ont conclu à la cohérence de la démarche, à une gestion saine et à une adhésion au projet par le milieu culturel. Toutes les conclusions de ces analyses indépendantes ont enfin été visées en réunions statutaires et partagées avec ses financeurs. De même, tous les rapports annuels d’activité et de gestion, sans exception, furent approuvés par l’ensemble des administrateurs de l’association dont les représentants de la Région qui vantaient régulièrement la qualité des travaux réalisés comme en attestent les PV de réunions. Plus étonnant encore, la validation effective fin 2024 de son nouveau projet d’établissement pluriannuel par son conseil d’administration et …par la commission culture de la région. 

Quelles sont les motivations présidant à cette décision de mettre fin aux activités de sa propre agence ? Est-ce uniquement pour des motifs budgétaires ?

L’incompréhension est forte devant ce retrait brutal qui condamne l’agence à ne devenir qu’un simple gestionnaire de location de matériels quand cette activité n’a de pertinence de service public et de cohérence globale que dans une articulation aux axes stratégiques qu’elle défendait : structuration des parcours professionnels et amateur, qualification des professionnels, renforcement des mises en réseaux, synergie entre les acteurs de la chaîne du spectacle vivant, création de ressources documentaires, accompagnement des collectivités dans la mise en œuvre de leurs projets culturels de territoire… La voilà réduite en 2026 à de la location de matériels scéniques, ouvrant désormais la voie à relancer le débat de sa concurrence avec le secteur privé.

Les conséquences de ce repli régional seront massivement sociales pour l’agence et pour l’écosystème du spectacle vivant. Une indéniable perte de compétences, de créativité, d’attractivité et d’esprit d’entreprendre, un déclassement culturel, un recul politique, une régression pour le territoire tout simplement.

Une décision politique qui gagne désormais à être expliquée tout comme la stratégie culturelle régionale reste à démontrer pour le spectacle vivant.

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13.11.2025 à 11:59

Lieux artistiques d’initiative civile : des communautés entreprenantes de forte utilité sociale et territoriale

Frédérique Cassegrain

Que sont les lieux artistiques d’initiative civile ? L’étude menée par Philippe Henry analyse leurs caractéristiques pour mieux comprendre ce que ces aventures humaines et créatives apportent au développement artistique et social de leur territoire.

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Texte intégral (3980 mots)
Dans une rue des jeunes gens poussent des ballons avec des balais.
© Une coréalisation des collectifs Les Pas Perdus, Chuglu et des joueurs de ballon dans les rues à Marseille

Organisations de droit privé, mais à buts autres que lucratifs, les lieux artistiques d’initiative civile ne se reconnaissent ni dans le terme d’entreprise culturelle marchande ni dans celui d’institution publique de la culture. Leur identité relève d’abord d’une logique tierce, construite autour de petites communautés entreprenantes, revendiquant une utilité sociale à la croisée d’enjeux culturels spécifiques et d’un fort ancrage territorial. Ils s’avèrent ainsi essentiels pour notre vie commune, bien qu’ils soient actuellement malmenés tant par les brutalisations de la logique marchande que par les restrictions du service public de la culture.

Des lieux partie prenante d’un monde au devenir préoccupant

Les diagnostics actuels, qu’ils concernent les grandes évolutions mondiales Voir l’« Atlas du nouveau désordre mondial », Alternatives économiques, no460-461, juillet-août 2025, p. 26-65. ou plus spécifiquement les politiques culturelles V. Guillon, « Sauve qui peut la décentralisation culturelle ! », La Scène, no 117, été 2025, p. 46. et « initiatives citoyennes » qui y ont cours « Nouvelles baisses budgétaires : la défense de la diversité culturelle et des initiatives citoyennes est une nécessité ! », MCAC – Mobilisation et Coopération Arts et Culture, mai 2025., montrent une inquiétante situation critique. On est très loin du monde plus apaisé que beaucoup espéraient voir apparaître après la crise sanitaire. 

Pour autant, une multiplicité d’expérimentations et de pratiques, très fortement ancrées dans des réalités territoriales et sociales singulières, continue à explorer les voies d’une habitabilité plus coopérative, équitable et sobre de nos divers milieux de vie. Elles partagent l’hypothèse que le mieux vivre et la richesse tiennent d’abord à la qualité et à la densité des relations que des êtres humains développent entre eux et avec leur environnement. Le plus souvent locales et trop sous-estimées, elles sont pourtant source d’innovations sociales N. Richez-Battesti, É. Bidet, L’innovation sociale. Expérimenter et transformer à partir des territoires, Paris, Les Petits matins, 2024., porteuses d’un devenir potentiellement plus juste et solidaire. Elles rappellent enfin que c’est sur la base d’un traitement en commun de besoins ou nécessités repérés et de la construction d’une confiance réciproque entre les acteurs que s’institue un tissu social viable – quoique toujours en partie conflictuel –, sur lequel peuvent aussi prospérer des échanges économiques plus équilibrés.

C’est dans cette perspective que nous proposons d’examiner leur agencement entrepreneurial, compris comme une recherche constante d’équilibre entre projet global, activités, gouvernance et modèle économique. L’analyse s’appuie sur une étude comparative approfondie, que nous avons menée en 2024, de huit de ces lieux ayant su perdurer En milieu urbain : les Ateliers du Vent à Rennes, créés en 1996 ; Pol―n à Nantes, créé en 2000 ; La Fabrique Pola à Bordeaux, créée en 2002 ; Le 108 à Orléans, créé en 2003. En environnement rural : Derrière Le Hublot à Capdenac-Gare (Aveyron), créé en 1996 ; La chambre d’eau au Favril (Nord), créée en 2001 ; Bouillon Cube – La Grange à Causse-de-la-Selle (Hérault), créé en 2006 ; Lacaze aux sottises – Maison Lacaze à Orion et Salies-de-Béarn (Pyrénées-Atlantiques), créée en 2009., malgré leur précarité structurelle. Elle complète un autre travail réalisé en 2022, portant sur un peu moins de deux cents démarches ayant signé la charte de la Coordination des lieux intermédiaires et indépendants (CNLII) Ph. Henry, Les lieux culturels intermédiaires : une identité collective spécifique, auto-édition, juin 2022.

Ne se reconnaissant pas dans le modèle des entreprises marchandes à but lucratif, ces lieux n’en sont pas moins des organisations privées entreprenantes, qui se risquent chacune à de multiples activités en lien direct avec leur projet social, tout en cherchant une viabilité économique minimale. Ils sont également autant de petites communautés en interaction avec leur environnement et attentives à ce que chacun de leurs membres y cultive sa propre autonomie. Par-là, ils participent, à leur échelle, d’un intérêt social – et au moins collectif – qui les rapprochent, tout en les distinguant, des institutions structurées autour d’un intérêt général et relevant directement de la puissance publique. Alors que les frontières et fonctions réciproques du service public et du secteur privé évoluent sans cesse Voir à ce sujet les dossiers « Dans quel État sera la culture après-demain ? », Nectart, no 19, été 2024, p. 18-77 ou Public-privé : une frontière obsolète ?L’Observatoire, no63, décembre 2024., il reste essentiel de prendre en compte les organisations privées à buts autres que lucratifs. L’histoire du domaine culturel en France en témoigne, et les lieux que nous étudions l’illustrent également. Souvent rapportées à la notion de tiers-lieux culturels M. Magkou, É. Pamart, M. Pélissier, « Exploration des usages du concept de “tiers-lieu culturel“ », in C. Gauthier, R. Seillier (dir.), Panorama de la recherche sur les tiers-lieux en France, Bordeaux, France Tiers-Lieux / Le Bord de l’eau, 2025, p. 91-107., ces démarches n’en possèdent pas moins des traits spécifiques. 

Des lieux à l’identité propre, entre service public et marché de la culture

Comme l’immense majorité de ce type de lieux, chacun des huit cas étudiés a été initié par des étudiants sortis d’écoles d’art, des artistes ou/et des professionnels d’activités culturelles ou socioculturelles. De même, ils ont tous pour support une association loi de 1901. Au-delà de ce qui pourrait n’être qu’une simple commodité juridique, l’étude révèle une réelle adhésion à l’éthique de l’économie sociale et solidaire, cet autre « mode d’entreprendre et de développement économique », selon la formulation de l’article 1 de la loi du 21 juillet 2014 qui lui est consacrée.

Un primat absolu est ainsi donné à leur projet global – toujours synthétisé dans l’objet social de leur association support. Ce projet s’organise à partir et autour d’une finalité artistique, qui s’élargit à des enjeux culturels, territoriaux et sociaux notamment en résonance avec leur environnement de proximité Créations artistiques « situées » en lien avec des éléments mémoriels du territoire, actions itinérantes au plus près des intérêts culturels des personnes rencontrées, organisations de débats ou manifestations autour de thématiques écologiques ou du soin, accueils ponctuels ou plus réguliers d’acteurs des champs social, éducatif, de la santé ou des loisirs…. Deux grands cas de figure apparaissent. Dans l’environnement rural, ce sont très largement les quelques salariés permanents du lieu qui impulsent, coordonnent et gèrent les projets mis en œuvre, en interaction néanmoins étroite avec les instances décisionnelles et bénévoles de l’association – dont son conseil d’administration, mais pas seulement. En milieu urbain, on se trouve plutôt face à des structures hébergeant, sur une période plus ou moins longue, des organisations artistiques et culturelles ou des professionnels individuels développant chacun leur propre projet. Ici, les salariés assument surtout une coordination d’ensemble de la vie du lieu Un troisième cas de figure, non présent dans les huit cas étudiés, porterait sur des lieux initiés, gérés et prioritairement occupés par un artiste ou un collectif relevant le plus souvent du spectacle vivant.. Dans les deux cas, la référence aux idéaux de l’émancipation des personnes et de l’éducation populaire, des droits culturels et d’une meilleure équité sociale est récurrente et sous-tend la diversité des pratiques proposées, même si la mesure de leurs effets tangibles reste toujours difficile ou incertaine.

Ce projet global est décliné et se réalise selon une pluralité d’activités et de programmes particuliers, successifs ou simultanés. Outre les fonctions transversales de coordination et de gestion générales du lieu, quatre grands registres sont perceptibles : le soutien à la création artistique de professionnels en émergence ou confirmés, notamment au travers de résidences ; la programmation d’événements artistiques et culturels au profit d’une variété de publics (géographiquement très proches ou plus lointains) ; la mise à disposition de ressources et de moyens d’accompagnement pour des acteurs de proximité, porteurs de projets artistiques ou culturels ; des espaces de mutualisation et d’hébergement ‒ temporaires ou permanents ‒ pour des projets, collectifs ou activités de nature diverse, mais en cohérence avec le projet global et portés soit par des individus soit par des organisations.

L’épaulement réciproque de cette pluriactivité est un enjeu central de la gouvernance des lieux. Celle-ci se révèle diversement distribuée entre les personnes salariées ‒ toujours très sollicitées et aux conditions de travail à toujours soigneusement considérer ‒ et celles impliquées de manière bénévole. Pour ces dernières, une palette de modalités est constamment repérable : simple participation comme publics aux événements proposés ; implication dans la mise en œuvre collective de manifestations, tels que des festivals ; portage de l’animation d’une activité particulière (atelier, rencontre ou buvette par exemple) ; contribution à des groupes de réflexion ou comités délibératifs sur des sujets déterminés ; prise de responsabilité au sein du conseil d’administration. Le rôle d’impulsion, d’écoute, d’orientation et de mise en œuvre assuré par les personnels salariés est à souligner, tant en interne que vis-à-vis de la multiplicité des partenariats à établir et faire perdurer avec des acteurs externes ‒ civils ou publics, proximaux ou plus lointains. De ce point de vue, chaque lieu se présente comme un commun, soit une ressource particulière, protégée et/ou développée par un collectif, établissant par lui-même les règles de préservation de celle-ci et de mise en compatibilité des intérêts divers ‒ voire divergents ‒ des acteurs impliqués N. Alix, J.-L. Bancel, B. Coriat, Fr. Sultan (dir.), Vers une république des biens communs, Paris, Éditions Les Liens qui Libèrent, 2018..

Le modèle économique qui en résulte est à plusieurs versants. La volonté de rester accessible au plus grand nombre limite le développement des recettes propres, pourtant gage d’autonomie Les cotisations annuelles pour participer aux activités sont toujours très faibles (voire nulles dans certains cas), les tarifs pour certaines d’entre elles (ateliers réguliers ou spectacles notamment) se veulent rester abordables pour le plus grand nombre.. Sur ce point, l’apport des bénévoles est essentiel mais peut largement varier ‒ en durée comme en compétences. Enfin, les aides des collectivités publiques sont restreintes par leurs importantes contraintes politiques et budgétaires dans une époque de forte turbulence. La capacité des lieux à se maintenir ou évoluer repose ainsi constamment sur un équilibre précaire. Pour autant, ils participent pleinement à un mode de développement ancré dans un territoire et basé sur la mise en réseau d’acteurs proches ou plus lointains. Cette dynamique réticulaire ‒ souvent peu soulignée ‒ relève pourtant d’un enjeu économique et qualitatif majeur, au travers duquel les lieux se transforment, s’hybrident ou essaiment. Par-là, ces communs « poreux » se démarquent clairement d’une volonté de croissance par l’activité concurrentielle marchande, en vue d’atteindre une bien illusoire taille critique. Tout autant, elles ne prétendent pas remplacer les institutions de service public de la culture, même si elles contribuent à leur mesure ‒ locale et différenciée ‒ à l’intérêt général qui fonde ces dernières.

Vers un autre mode de développement économique ?

La double référence à l’économie sociale et solidaire et à la résurgence contemporaine des communs indique déjà une orientation de principe pour un autre mode de développement économique H. Defalvard, La Société du commun. Pour une écologie politique et culturelle des territoires, Paris, Les Éditions de l’Atelier, 2023.. Tout en restant très largement minoritaire R.  Boyer, L’Économie sociale et solidaire. Une utopie réaliste pour le XXIe siècle ?, Paris, Les Petits matins, 2023 ; P.  Dardot, Chr. Laval, Commun. Essai sur la révolution au XXIesiècle, Paris, La Découverte, 2014., celui-ci a néanmoins le grand mérite de proposer non seulement un horizon pour l’action, mais aussi une gamme de réalisations certes localisées mais déjà bien réelles F. Carrey-Conte, P. Eynaud, Communs et économie solidaire. Récits d’expériences citoyennes pour un autre monde, Paris, Les Petits matins, 2023.. Mais ce mode de développement alternatif reste fragile, car il ne dispose pas encore d’un système propre pour faire reconnaître la valeur sociale de la richesse spécifique qu’il produit Fr.  Brancaccio, A. Giuliani, C. Vercellone, Le commun comme mode de production, Paris, Éditions de l’éclat, 2021.. À partir des cas étudiés, nous proposons plusieurs pistes de réflexion pouvant aider à consolider cette approche qui cherche à frayer une voie autre que la seule dominance du « dipôle » formé par le marché concurrentiel et financiarisé d’une part, l’État néolibéral limitant ses services publics de l’autre.

Dans un monde en constante fluctuation, mieux vaut en effet s’écarter de l’obsession de la compétitivité et de la performance, pour se tourner vers l’intensification des interactions, en vue d’acquérir une robustesse face à d’inévitables aléas. En phase avec des traits du vivant, cela implique de privilégier l’hétérogénéité, le temps long, mais aussi un ancrage local, une taille mesurée ou encore une transparence et une collégialité dans les décisions… et d’accepter des contradictions, de l’inachèvement O. Hamant, O. Charbonnier, S. Enlart, L’Entreprise robuste. Pour une alternative à la performance, Paris, Odile Jacob, 2025.. Autant de dimensions que l’on retrouve dans l’agencement entrepreneurial des lieux étudiés. Celui-ci illustre également la pertinence d’une dynamique systémique et itérative, où les porteurs du projet mobilisent simultanément plusieurs capacités : celle de démarrer à partir des ressources dont ils disposent, plus qu’à partir d’une idée par trop définie à l’avance de leur projet ; celle de constituer des partenariats avec une pluralité d’acteurs avec lesquels le projet sera coproduit, ou encore de tirer parti des opportunités et des surprises qui se présentent ; celle enfin d’inventer un futur en tant que possible à faire advenir, plus que d’essayer de se couler dans un avenir conçu comme largement prévisible Ph. Silberzahn, Effectuation. Les principes de l’entrepreneuriat pour tous, 2édition, Paris, Pearson France, 2020..

Le fondement artistique des lieux et les enjeux culturels qui y sont associés montrent aussi une mise à distance tant de la proposition de produits culturels faciles à s’approprier mais peu enrichissants sur le plan individuel que de celle d’un art contemporain se voulant délivré de toute dimension émotionnelle B. Morizot, E. Zhong Mengual, Esthétique de la rencontre. L’énigme de l’art contemporain, Paris, Seuil, 2018 ; Ch. Bobant, Inactualité du sensible. Phénoménologie et art contemporain, Paris, Éditions des Compagnons d’humanité, 2024.. Ces lieux seraient surtout à appréhender comme les déclinaisons particulières d’un régime esthétique de l’art J. Rancière, Les Voyages de l’art, Paris, Seuil, 2023., où l’expérience sensible suscitée par l’œuvre (ou par le processus artistique) est à la fois vécue dans l’instant et dépasse ce moment, sans pour autant disparaître. Elle se déploie à deux niveaux : celui d’une atmosphère chargée d’émotions et celui d’une signification qui reste toujours pour partie hésitante Les textes poétiques sont exemplaires de ce type d’expérience. Mais on le retrouve couramment par exemple dans les concerts de musique actuelle donnés dans les lieux que nous étudions ou dans les nombreux festivals qu’ils organisent.. Cette question d’expériences esthétiques, tout à la fois autonomes et ouvertes à plus large qu’elles-mêmes, fait en tout cas partie de l’identité propre des lieux et ne peut être éludée. Ce positionnement implique aussi de se départir d’une volonté d’utilité immédiate des processus activés, et plaide pour un mode de relation se plaçant en posture de résonance avec les situations, c’est-à-dire à l’écoute de ce qui nous touche en elles, tout en reconnaissant que nous ne pouvons jamais les comprendre entièrement H. Rosa, Rendre le monde indisponible, Paris, La Découverte, 2020..

Intrinsèquement, les lieux relèvent ainsi d’un principe de coopération entre acteurs diversifiés. Jamais de tout repos, celui-ci nécessite de coordonner des enjeux tels que la complémentarité optimale de l’hétérogénéité des acteurs, toujours différentiellement impliqués ; une dynamique permanente d’intermédiation fondée tant sur un système d’information performant et dédié que sur des procédures plurielles à articuler ; une gouvernance participative multiforme ; un équilibre fragile entre bénéfices attendus et finalités idéelles recherchées Ph. Henry, Les groupements culturels coopératifs, Presses Universitaires de Grenoble, 2023.. À ceci s’ajoute une double complexité que les lieux doivent considérer au vu de leur environnement global. La première est d’avoir à trouver des alliances avec une diversité d’acteurs privés, notamment ceux animés par une « raison d’être » et une « mission » supérieures à l’impératif de lucrativité Telles que le préconise la loi Pacte de mai 2019, relative à la croissance et la transformation des entreprises.. La seconde est d’avoir à composer avec des collectivités publiques garantes de l’intérêt général, mais dans une tradition où les services publics de notre pays se sont construits de façon normative et descendante, sans assez de considération à l’égard des initiatives civiles ‒ dont associatives ‒ participant à l’évolution et à la réalisation de cet intérêt général Th. Perroud, Services publics et communs. À la rencontre du service public coopératif, Bordeaux, Le Bord de l’eau, 2023..

Pour le moins, le mode de développement qui résulte de ces prémisses et qui serait ajusté aux lieux artistiques d’initiative civile ‒ et plus largement à de multiples autres démarches en cours dans et hors le domaine de la culture ‒ est encore largement à consolider. Mais les expériences qui s’accumulent montrent qu’il est possible de vivre et d’échanger autrement, sans se rabattre sur le couple marché compétitif et financiarisé / État néolibéral malmenant ses services publics. Elle pourrait également s’avérer fondatrice d’un futur où s’inter-constitueraient de manière plus sereine l’agir collectif et la singularisation individuelle.

Pour aller plus loin, consulter l’étude de Philippe Henry réalisée en 2024 : Lieux artistiques d’initiative civile : un mode spécifique d’entreprendre en commun

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