17.09.2025 à 06:00
Human Rights Watch
(Beyrouth) – Les forces israéliennes qui occupent certaines parties du sud de la Syrie depuis décembre 2024 ont commis divers abus contre les habitants, notamment des déplacements forcés, qui constituent un crime de guerre, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. Les forces israéliennes ont saisi et démoli des maisons, empêché des habitants d’accéder à leurs biens et moyens de subsistance, et arrêté arbitrairement des habitants pour les transférer en Israël.
Depuis la chute de l’ancien gouvernement syrien en décembre 2024, Israël a pénétré en profondeur dans la zone démilitarisée surveillée par l’ONU qui sépare le plateau du Golan – un territoire syrien occupé par Israël depuis 1967 – de la partie du gouvernorat de Quneitra qui reste sous contrôle syrien, et a rapidement établi neuf postes militaires s’étendant du mont Hermon à la ville de Quneitra et à certaines parties de l’ouest de Deraa. Israël a également intensifié ses frappes aériennes contre des infrastructures militaires. Depuis février, des responsables ont déclaré à plusieurs reprises leur intention de « démilitariser complètement » le sud de la Syrie et ont affirmé à maintes reprises que les forces israéliennes resteraient indéfiniment sur le territoire nouvellement conquis. De récentes informations parues dans les médias font état de nouvelles incursions terrestres israéliennes dans le village de Quneitra et d’une intensification des opérations aériennes au-dessus de Quneitra et de Deraa, qui confirment que les opérations se poursuivent dans le sud de la Syrie. Depuis 1967, Israël empêche des dizaines de milliers de Syriens déplacés de retourner dans le Golan.
Carte du sud de la Syrie Click to expand Image Carte du sud de la Syrie, montrant les sites d’installations militaires israéliennes établies depuis début janvier 2025. Ces installations ont entraîné la destruction de forêts près de Jubata al-Khashab, et la démolition de maisons à Al-Hamidiya. La zone grise (à gauche) correspond à la partie du plateau du Golan occupée par Israël. La zone à rayures rouges (à droite) correspond à la zone surveillée par la Force des Nations Unies chargée d'observer le désengagement (FNUOD, ou UNDOF en anglais). Graphique © 2025 Human Rights Watch« Les forces militaires israéliennes qui mènent des opérations en Syrie ne devraient pas avoir carte blanche pour saisir des maisons, les démolir et en expulser les familles », a déclaré Hiba Zayadin, chercheuse senior sur la Syrie à Human Rights Watch. « Les récentes interventions d’Israël dans le sud de la Syrie ne sont pas des actes légitimes dictés par la nécessité militaire, mais des exemples issus du manuel déjà utilisé dans les territoires palestiniens occupés et dans d’autres parties de la région visant à priver les habitants de leurs droits et libertés fondamentaux. »
Entre juin et septembre 2025, Human Rights Watch a mené des entretiens avec huit habitants de la région, dont cinq habitants du village d’Al-Hamidiya dont les maisons ont été démolies, un avocat qui est aussi activiste et qui a été brièvement détenu par les forces israéliennes, un leader communautaire et un habitant du village de Jubata al-Khashab, situé à huit kilomètres de là, où les forces israéliennes ont empêché les habitants d’accéder à leurs terres agricoles. Les chercheurs ont examiné des photographies et des vidéos envoyées par les personnes interrogées et ont analysé des images satellite afin de corroborer leurs témoignages, de déterminer quand et où des installations militaires avaient été construites et d’évaluer l’étendue des zones rasées ou démolies.
Human Rights Watch a également mené des entretiens avec des proches et des témoins de la détention de sept Syriens détenus depuis décembre 2024 et d’un enfant qui avait 17 ans au moment de sa détention en avril 2024. Les huit personnes ont été transférées en Israël, où, selon témoins et proches, elles sont toujours détenues au secret sans avoir été inculpées. Human Rights Watch a écrit aux Forces de défense israéliennes le 3 septembre 2025 pour leur faire part de ses conclusions et leur demander des informations sur les détenus. Une réponse écrite a été reçue le 8 septembre, dans laquelle l’armée israélienne a déclaré qu’elle opérait dans le sud de la Syrie « pour protéger les citoyens de l’État d’Israël ». Les points clés de cette réponse sont repris dans le présent communiqué, le cas échéant.
Présence militaire israélienne à Al-Hamidiya, en Syrie (5 septembre 2025) Click to expand Image Image satellite du 5 septembre 2025, montrant une douzaine de bâtiments détruits près d'Al-Hamidiya (sud de la Syrie), suite aux démolitions menées le 16 juin 2025 par l'armée israélienne, qui y a construit une nouvelle installation militaire. © 2025 Planet Labs PBC (image satellite) / Human Rights Watch (graphique/analyse).Le 16 juin, à Al-Hamidiya, dans la zone démilitarisée surveillée par l’ONU le long de la « ligne de séparation » avec le plateau du Golan occupé par Israël, les forces israéliennes ont démoli au moins 12 bâtiments, obligeant huit familles à quitter leur domicile. Les soldats ont expulsé ces familles en décembre 2024, le jour où le gouvernement de Bachar al-Assad en Syrie est tombé, et leur ont ensuite expliqué que ces expulsions et démolitions étaient nécessaires en raison de la création récente d’une installation militaire à proximité.
« Notre maison était celle qui était la plus proche du poste militaire, elle a donc été la première à être démolie », a déclaré un habitant. « Le terrain qui l’entourait, que nous avions planté d’arbres, a été complètement rasé avec la maison. Il ne restait plus rien. Nous vivons dans des conditions extrêmement difficiles depuis que nous avons perdu notre maison et nos terres. »
Jubata al-Khashab : destruction de la forêt (6 mai - 6 septembre 2025)Jubata al-Khashab’s forest May 6, 2025: Satellite imagery: May 6, 2025 © 2025 Planet Labs PBC. Analysis and Graphic © 2025 Human Rights Watch. Jubata al-Khashab’s forest September 6, 2025: Satellite imagery: September 6, 2025 © 2025 Planet Labs PBC. Analysis and Graphic © 2025 Human Rights Watch.
Comparaison de deux images satellite de Jubata al-Khasab (sud de la Syrie), montrant des terrains agricoles détruits et l’abattage croissant de la zone forestière près de la nouvelle installation militaire israélienne, entre le 6 mai et le 6 septembre 2025.
À Jubata al-Khashab, les forces israéliennes ont construit une autre installation militaire et ont commencé à défricher de vastes étendues de terres, notamment une réserve forestière vieille de plus d’un siècle. Les habitants ont indiqué que les forces israéliennes leur avaient interdit l’accès aux terres agricoles et aux pâturages situés à proximité de l’installation.
Des images satellite analysées par Human Rights Watch ont confirmé que la construction des deux installations militaires avait commencé début janvier 2025, à moins d’un kilomètre au nord des limites des villages concernés.
Selon l’article 49 de la Quatrième Convention de Genève, le droit international humanitaire interdit le déplacement forcé de civils dans un territoire occupé, sauf en dernier recours et uniquement si des raisons militaires impératives l’exigent ou si cela est nécessaire pour la sécurité de la population civile elle-même. Pour être légale, une évacuation doit en outre respecter des garanties procédurales et humanitaires strictes : les civils doivent être déplacés dans des conditions humaines, vers des logements adéquats, et leur sécurité, leur bien-être et leur retour dès que les hostilités le permettent doivent être assurés. Le déplacement forcé injustifié en territoire occupé constitue un crime de guerre. Israël n’a pas non plus le droit de transférer des détenus hors du territoire occupé vers Israël, quelles que soient les circonstances. La destruction de biens civils est également interdite, sauf si elle est absolument nécessaire dans le cadre d’opérations militaires en cours, c’est-à-dire si elle est directement liée et strictement nécessaire dans le cadre de combats en cours, et non justifiée par des considérations stratégiques ou sécuritaires de long terme.
L’armée israélienne a affirmé que ses activités étaient « conformes au droit international », que les démolitions à Al-Hamidiya étaient des mesures « opérationnelles nécessaires », qu’« aucun civil [...] ne résidait dans les bâtiments » et que les arrestations et transferts vers Israël s’appuyaient sur des renseignements et étaient soumis à un contrôle judiciaire. Toutefois, les actions documentées d’Israël dans le sud de la Syrie ont violé les lois de la guerre.
À Al-Hamidiya, aucun plan d’évacuation n’avait été mis en place ; les soldats ont pris d’assaut la zone et expulsé physiquement les habitants sans prendre aucune disposition pour assurer leur sécurité, leur hébergement ou leur retour. Il n’y avait pas non plus d’hostilités en cours dans la zone pendant les expulsions, la construction d’installations militaires ou les démolitions de maisons, ni depuis.
Plutôt que de répondre à une menace immédiate, les forces israéliennes semblent avoir évacué et détruit des habitations dans le cadre d’une stratégie plus large visant à renforcer leur présence militaire. Même si les références des responsables du pays à une présence indéfinie ne prouvent pas à elles seules l’intention de déplacer définitivement les populations, les démolitions, la construction d’infrastructures militaires fixes et les restrictions d’accès continues rendent tout retour à court terme pratiquement impossible et contredisent toute affirmation selon laquelle le déplacement serait strictement temporaire.
La lettre de l’armée israélienne ne mentionnait pas spécifiquement ses actions à Jubata al-Khashab ni la détention en avril 2024 d’un jeune de 17 ans originaire du village, et ne fournissait aucune information sur les lieux de détention ni sur l’accès à un avocat ou à leur famille pour les sept autres détenus dont Human Rights Watch a documenté les cas.
Les autres gouvernements devraient suspendre leur soutien militaire à Israël tant que ses forces continueront de commettre en toute impunité des violations graves et généralisées, notamment des crimes de guerre. Les gouvernements devraient également revoir et, le cas échéant, suspendre leur coopération bilatérale et interdire le commerce avec les colonies de peuplement israéliennes, notamment sur le plateau du Golan syrien occupé.
Les États-Unis, l’Union européenne, le Royaume-Uni et d’autres pays devraient faire pression pour que les responsables de ces actes rendent des comptes dans le cadre de procédures relevant de la compétence universelle, et soutenir les procédures de la Cour pénale internationale (CPI). Ils devraient également imposer des sanctions ciblées à l’encontre des responsables israéliens coupables de violations graves et persistantes du droit international humanitaire, notamment le blocage du retour des Syriens déplacés, et les maintenir jusqu’à ce que des mesures vérifiables permettent un retour sûr, volontaire et digne des personnes déplacées, a déclaré Human Rights Watch.
« L’inaction d’autres gouvernements face au comportement illégal d’Israël dans la région permet à ce pays d’appliquer ses tactiques répressives en toute impunité », a conclu Hiba Zayadin. « La communauté internationale devrait agir dès maintenant pour suspendre son soutien militaire, imposer des mesures ciblées et soutenir la mise en œuvre de l’obligation de rendre des comptes, notamment devant la CPI. »
Suite en anglais, comprenant des informations plus détaillées.
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16.09.2025 à 16:10
Human Rights Watch
(Beyrouth, 16 septembre 2025) – Les autorités iraniennes n'ont toujours pas mené d'enquêtes efficaces, impartiales et indépendantes sur les graves violations des droits humains et les crimes de droit international commis lors des manifestations « Femme, Vie, Liberté » de septembre 2022 et par la suite, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Le troisième anniversaire des manifestations devrait rappeler avec force aux gouvernements préoccupés l’importance des efforts visant à tenir les auteurs de crimes responsables de leurs actes, et à permettre aux familles des victimes d’obtenir justice.
En mars 2024, la Mission d'établissement des faits des Nations Unies sur la République islamique d'Iran a publié son premier rapport, qui concluait que la répression meurtrière des manifestations par les autorités iraniennes avait entraîné de graves violations des droits humains et des crimes contre l'humanité, notamment des meurtres, des actes de torture et des viols. Mais malgré les nombreux appels à la justice, exprimés en Iran et à l’étranger, les autorités iraniennes ont loué les forces de sécurité ayant réprimé les manifestations, vilipendé les manifestant-e-s, rejeté les plaintes des victimes et de leurs familles, et persécuté des familles de personnes tuées ou exécutées.
« Les victimes et leurs familles qui ont subi des violences brutales de la part des autorités iraniennes n'ont aucune chance d'obtenir justice, car ceux qui devraient apporter réparation sont eux-mêmes impliqués dans des violations et des crimes et protègent les autres responsables de toute responsabilité », a déclaré Bahar Saba, chercheuse senior sur l'Iran à Human Rights Watch. « Les autres pays qui peuvent engager des poursuites dans de telles affaires devraient saisir toutes les occasions de le faire. »
Les violations flagrantes des droits humains commises par les autorités iraniennes dans le cadre des manifestations « Femme, Vie, Liberté » ont persisté bien après les manifestations de rue. Dans son deuxième rapport, publié en mars 2025, la Mission d'établissement des faits de l'ONU a constaté que les autorités continuaient de persécuter des femmes et des filles, des membres des minorités, ainsi que des familles de victimes qui cherchaient à obtenir justice.
Les autorités ont récemment exécuté au moins deux hommes et condamné plusieurs autres à mort en lien avec les manifestations. Mojahed Kourkouri a été exécuté le 11 juin. Amnesty International a documenté que les autorités l'ont gravement torturé et condamné à mort à l'issue d'un procès manifestement inéquitable concernant le mouvement « Femme, Vie, Liberté ». Mehran Bahramian, pendu le 6 septembre, était le douzième homme exécuté suite à des poursuites liées aux manifestations de 2022. L’organisation Iran Human Rights, basée à Oslo, a signalé que les autorités avaient torturé Bahramian afin d’extorquer des aveux.
Play VideoLes autorités iraniennes ont continué d'appliquer les lois et les politiques discriminatoires et dégradantes sur le port obligatoire du hijab, qui avaient entraîné la mort en détention, le 16 septembre 2022, de Mahsa Jina Amini, âgée de 22 ans. La mission d'enquête de l'ONU a conclu que l'État iranien était responsable de sa mort, survenue dans des circonstances illégales. Depuis lors, les autorités ont adopté un large éventail de mesures violentes et répressives pour contraindre les femmes et les filles à respecter le port obligatoire du hijab. Ces mesures incluent des arrestations et des détentions arbitraires, des poursuites judiciaires injustifiées, des sanctions sévères, le déni de services de base, la privation de droits fondamentaux, notamment à l'éducation, à la santé et à l'emploi, la saisie de véhicules et le recours à des technologies de surveillance.
De nombreuses Iraniennes ont déclaré à Human Rights Watch que malgré les risques graves et les coûts personnels considérables, elles continueraient à revendiquer le respect de leurs droits humains.
De nombreuses survivantes de la répression violente des manifestations par le gouvernement, y compris celles souffrant de blessures graves et durables, ont dû quitter l'Iran en raison de menaces d'arrestation, de torture et de poursuites pénales. Certaines vivent dans l'incertitude dans les pays voisins, où elles manquent de sécurité et d'accès aux soins médicaux et psychologiques, ainsi qu'aux traitements nécessaires.
Des Iraniennes qui ont bénéficié d'une protection dans des pays tiers, notamment en Europe, continuent de subir les effets désastreux des violences criminelles, notamment des douleurs physiques chroniques, des complications médicales, des infections récurrentes et des traumatismes psychologiques. Celles qui s'expriment publiquement ou militent ont exprimé leurs craintes pour la sécurité de leurs proches en Iran, qui ont subi harcèlement, interrogatoires et perquisitions à leur domicile.
Plusieurs survivant-e-s ont toutefois exprimé leur détermination à poursuivre leur quête de vérité, de justice et de liberté. « Je ne peux plus dormir sur le côté gauche », a déclaré un jeune homme blessé par des projectiles métalliques lors des manifestations. « Au bout d'une dizaine de minutes, j'ai l'impression d'être poignardé à répétition… Psychologiquement, c'est éprouvant. Avant, je soulevais des poids lourds à la salle de sport et maintenant, je peux à peine soulever quoi que ce soit. [Mais] si les manifestations recommencent demain, je retournerai [dans la rue]. »
En vertu du droit international, le gouvernement iranien a la responsabilité première d'enquêter sur les violations graves des droits humains et de les poursuivre en justice, et de veiller à ce que les victimes obtiennent réparation rapidement et adéquatement. Cependant, l'impunité en Iran est historique et a précédé de loin les manifestations « Femme, Vie, Liberté ». Au lieu de garantir l'obligation de rendre des comptes, le gouvernement a mis en place les structures juridiques et judiciaires du pays pour protéger les responsables de violations et de crimes.
Tous les pays exerçant une compétence universelle et extraterritoriale devraient ouvrir des enquêtes pénales appropriées sur les crimes de droit international commis par les autorités iraniennes pendant et depuis les manifestations « Femme, Vie, Liberté », a déclaré Human Rights Watch.
« De nombreuses survivantes des manifestations “Femme, Vie, Liberté” vivent dans des conditions précaires dans des pays voisins de l'Iran », a conclu Basa Saba. « Les gouvernements concernés devraient prendre des mesures coordonnées pour les soutenir dans leur quête de sécurité, de protection et d’aide humanitaire. »
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15.09.2025 à 18:29
Human Rights Watch
(Beyrouth, 15 septembre 2025) – Les autorités libyennes devraient d’urgence enquêter sur la disparition de deux députés, après la diffusion récente d'images et de vidéos troublantes qui ont accru les inquiétudes quant à leur sécurité, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui ; les autorités devraient divulguer toute information disponible à leur sujet.
En août 2025, une image floue a circulé sur les réseaux sociaux. Selon des commentateurs, elle montrait Seham Sergewa, députée libyenne enlevée en juillet 2019, en train d'être agressée physiquement. En mai, des photos et des vidéos ont circulé sur les réseaux sociaux montrant Ibrahim al-Drissi, député enlevé en mai 2024, enchaîné et dévêtu, plaidant son innocence. Human Rights Watch n'a pas été en mesure de vérifier ces images et vidéos, ce qui accroît les inquiétudes quant à la santé de ces deux personnes.
« Les autorités de l'est de la Libye et les dirigeants militaires devraient faire tout leur possible pour mettre fin aux disparitions forcées dans les zones sous leur contrôle, commises par des forces placées sous leur commandement », a déclaré Hanan Salah, directrice adjointe de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Les familles des disparus ont le droit de savoir ce qu'il est advenu de leurs proches et d'obtenir justice. »
Les deux députés ont été enlevés à Benghazi par des hommes armés non identifiés, en 2019 et 2024 ; ils n’ont pas été revus depuis, et leur sort reste inconnu. Aucune entité n'a revendiqué la responsabilité de ces enlèvements.
Deux autorités rivales se disputent le contrôle de la Libye. D’une part, le Gouvernement d'unité nationale (GUN, ou GNU en anglais) basé à Tripoli, les groupes armés qui lui sont affiliés et les forces quasi étatiques contrôlent l'ouest du pays. D’autre part, les Forces armées arabes libyennes (FAAL, ou LAAF en anglais) et les milices et appareils de sécurité qui leur sont affiliés contrôlent l'est et le sud du pays. La Chambre des représentants libyenne siège actuellement à Benghazi (nord-est).
Le 1er septembre 2025, Human Rights Watch a écrit au bureau de Khalifa Hiftar, commandant des FAAL, et au procureur général libyen al-Siddiq al-Sur, pour solliciter des informations sur Seham Sergewa et Ibrahim al-Drissi, mais n'a reçu aucune réponse du procureur général. Un représentant des FAAL a répondu le 10 septembre qu'en tant qu'institution militaire, les FAAL n'avaient mené aucune enquête criminelle sur le « crime commis contre la députée Seham Sergewa », ni d'enquêtes médico-légales visant notamment à déterminer l'authenticité de photos ou de vidéos. Le courrier a précisé que tout membre des FAAL impliqué dans des violations ferait l'objet de poursuites judiciaires appropriées.
Le 17 juillet 2019, des hommes armés et masqués ont pris d'assaut la résidence de Seham Sergewa à Benghazi et l'ont enlevée. Des voisins et des proches à l'étranger ont alors déclaré à Human Rights Watch que certaines des voitures utilisées pour encercler la maison lors de l'incident semblaient appartenir au 106ème Bataillon, un groupe armé lié aux FAAL.
L'ancien gouvernement intérimaire qui administrait Benghazi au moment de l'enlèvement de Seham Sergewa a nié toute implication de ses propres forces, ou d’une force liée aux FAAL. Son ministre de l'Intérieur avait alors affirmé, sans fournir de preuves, que des « groupes terroristes infiltrés à Benghazi » non identifiés l'avaient enlevée.
Vers le 11 aout 2025, une image diffusée sur les réseaux sociaux montrait Seham Sergewa en train d'être agressée physiquement, selon certaines sources. Human Rights Watch n'a pas été en mesure de vérifier les allégations des médias concernant une vidéo montrant les violences subies, ni le lieu et le moment où l'image – qui serait une capture d'écran d'une vidéo – aurait été prise. Human Rights Watch n'a pas examiné la vidéo, qui n'est pas été publiquement diffusée. Si elle est authentique, cette image de Sergewa serait la première depuis son enlèvement il y a plus de six ans.
Quant à Ibrahim al-Drissi, des hommes armés non identifiés l’ont enlevé le 16 mai 2024, après qu'il eut assisté à un défilé des FAAL à Benghazi. Aucune information sur son sort n'a été disponible jusqu'au 2 mai 2025, date à laquelle des reportages, des vidéos et des photos ont commencé à apparaître dans les médias et sur les réseaux sociaux, le montrant à moitié nu, enchaîné par le cou dans une structure ressemblant à une cellule, et dans des conditions inhumaines.
L'Agence de sécurité intérieure de Benghazi, un groupe armé opérant sous l'égide des FAAL, a affirmé que la vidéo semblant montrer al-Drissi était un « deepfake » créé par un outil d’intelligence artificielle (IA). Bien que de telles affirmations soient difficiles à vérifier, Human Rights Watch a examiné la vidéo et consulté un groupe d'experts de la Deepfakes Rapid Response Force, une initiative de l'organisation non gouvernementale WITNESS.
Sur les cinq équipes ayant contribué à l'analyse, quatre n'ont trouvé aucune preuve significative de manipulation de l'IA. Une équipe a noté de possibles signes de manipulation en raison d'incohérences dans l'éclairage dans les ombres, mais a souligné que la mauvaise qualité du fichier vidéo pourrait perturber leurs outils et entraîner des résultats faussement positifs.
Les cas de Seham Sergewa et d'Ibrahim al-Drissi ne sont que deux exemples parmi les dizaines de disparitions forcées et d'assassinats de journalistes, de militants et de personnalités politiques dans l'est de la Libye depuis 2014, dans un contexte d'impunité généralisée pour les milices et les groupes armés. Human Rights Watch a également documenté de nombreuses disparitions forcées dans l'ouest de la Libye. Le 30 août 2025, le Représentant spécial des Nations Unies sur la Libye a publié une déclaration déplorant la « pratique généralisée et systématique des disparitions forcées dans tout le pays » ; il a ajouté que « la persistance de la détention au secret, l'existence de centres de détention non officiels où la torture et les mauvais traitements sont monnaie courante, et le déni systématique de procédure régulière alimentent cette grave tendance ».
Les disparitions forcées sont interdites par le droit libyen et international, et les autorités sont tenues d'enquêter sur ces crimes. En vertu de la loi libyenne n° 10 (2013) relative à la criminalisation de la torture, des disparitions forcées et de la discrimination, les disparitions forcées sont passibles d'une peine pouvant aller jusqu'à huit ans de prison. Le secteur judiciaire libyen est confronté à d'importants défis, et son système judiciaire est peu disposé et incapable de mener des enquêtes sérieuses sur les graves violations des droits humains et les crimes internationaux.
Les médias libyens ont rapporté le 12 mai qu'al-Siddiq al-Sur, le procureur général, s'était rendu à Benghazi pour faire le point sur l'enquête concernant la disparition d'al-Drissi, mais son bureau n'a divulgué aucune information supplémentaire.
Les autorités libyennes devraient mener une enquête rapide et transparente afin de déterminer l'authenticité, la date et le lieu de diffusion des photos et vidéos montrant Seham Sergewa et Ibrahim al-Drissi, a déclaré Human Rights Watch. Le procureur général libyen devrait rendre compte des mesures prises par son bureau pour enquêter sur ces affaires. Il devrait également révéler les mesures prises par son bureau pour examiner les cas de disparition forcée non résolus en Libye, le nombre de cas sur lesquels il enquête et si des suspects sont actuellement en détention ou ont été tenus responsables de disparitions forcées présumées.
Les disparitions forcées sont considérées comme une violation de multiples droits humains consacrés par la Déclaration universelle des droits de l'homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. L'article 2 de la Convention pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées définit une « disparition forcée » comme « l'arrestation, la détention, l'enlèvement ou toute autre forme de privation de liberté par des agents de l'État ou par des personnes ou des groupes de personnes qui agissent avec l'autorisation, l'appui ou l'acquiescement de l'État, suivi du déni de la reconnaissance de la privation de liberté ou de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue ou du lieu où elle se trouve, la soustrayant à la protection de la loi. »
« Le système judiciaire en Libye est défaillant et dysfonctionnel, mais ceci ne saurait justifier la normalisation des disparitions forcées dans ce pays », a affirmé Hanan Salah. « Les hauts responsables civils et militaires libyens qui disposent d’informations sur des cas de disparition forcée, mais ne prennent pas les mesures appropriées, pourraient être reconnus complices de ce crime. »
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