18.12.2025 à 06:00
Human Rights Watch
(Washington, 18 décembre 2025) – Les membres de l’agence fédérale chargée de l'application des lois en matière d’immigration aux États-Unis sont couramment masqués et sans identification visible lors d’opérations, ce qui aggrave le caractère abusif et irresponsable de la campagne de déportation massive menée par l'administration Trump, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch. Ces pratiques généralisées et vaguement définies sont fondamentalement incompatibles avec l'obligation qui incombe aux États-Unis de veiller à ce que les abus commis par les forces de l'ordre fassent l'objet d'enquêtes et de sanctions.
« Les agents des forces de l'ordre devraient être identifiables, afin de pouvoir être tenus responsables en cas d’abus », a déclaré Belkis Wille, directrice adjointe de la division Crises, conflits et armes à Human Rights Watch. « Ce genre de pratique opaque devrait être une exception et non la norme, et est particulièrement alarmante dans le contexte des nombreux abus observés lors d’arrestations de personnes migrantes ces derniers mois. »
Depuis le retour au pouvoir du président Donald Trump en janvier 2025, son administration a mené une campagne abusive de rafles et d'arrestations de personnes migrantes – principalement des personnes de couleur – dans tout le pays. Bon nombre de ces raids visent des lieux où les Latino-Américains travaillent, font leurs achats, mangent et vivent. Des agents ont appréhendé des personnes dans des tribunaux et lors de rendez-vous prévus avec des agents de l'immigration, ainsi que dans des lieux de culte, des écoles et ailleurs. De nombreux raids ont été marqués par un recours soudain et injustifié à la force, créant un climat de peur dans de nombreuses communautés de personnes migrantes.
Ces opérations de contrôle de l'immigration ont souvent été menées par des agents de l'Autorité de l’immigration et des douanes (Immigration and Customs Enforcement, ICE) portant des masques et, dans certains cas, des vêtements civils. Les agents dissimulent régulièrement les insignes de leur agence et utilisent des véhicules banalisés pour arrêter des personnes se trouvant dans des voitures, des tribunaux, des écoles, des lieux de travail, des domiciles, ou dans la rue et dans les transports publics.
Sur son site web, l'ICE justifie la pratique répandue du port du masque par la « prévention du doxing » (c’est-à-dire la divulgation en ligne d’informations personnelles sur une personne). Ce type de justification généralisée et globale pour dissimuler l'identité des agents n'est toutefois pas compatible avec les obligations des États-Unis en matière de droits humains, sauf lorsque cette pratique est nécessaire et proportionnée pour répondre à des préoccupations particulières en matière de sécurité, selon Human Rights Watch. Lorsqu'elles sont appliquées de manière générale et par défaut, ces mesures constituent un obstacle à la responsabilité, ce qui est incompatible avec les obligations des États-Unis en matière de droits humains. L'anonymat affaiblit également l’efficacité de mesures dissuasives, favorise l'impunité et sape le respect des droits.
Human Rights Watch a mené des entretiens avec 18 personnes qui ont été témoins d'arrestations, ou qui ont été elles-mêmes arrêtées par des personnes non identifiables dans cinq villes des États-Unis depuis le 20 janvier. Toutes ces personnes ont évoqué leur sentiment de crainte lors de ces incidents, ainsi qu’un sentiment d’impuissance si elles étaient maltraitées, d'autant plus que les agents étaient non identifiables. Human Rights Watch a également examiné des dizaines de vidéos d'interpellations et d'arrestations menées par des agents masqués, et publiées sur les réseauxsociaux.
Dans un cas, le 25 mars vers 17 h 15, au moins six agents, tous en civil et à bord de véhicules banalisés de l' , sans s'identifier, ont interpellé et arrêté Rümeysa Öztürk, 30 ans, étudiante diplômée de l'université Tufts, qui avait apparemment été prise pour cible pour avoir écrit un article d'opinion dans un journal étudiant appelant Tufts à « reconnaître le génocide palestinien » et à se désengager des investissements liés à Israël. Rümeysa Öztürk, qui vivait aux États-Unis depuis six ans, a raconté l'incident à Human Rights Watch ; l’épisode a également été filmé par des caméras de vidéosurveillance.
Rümeysa Öztürk marchait dans la rue lorsque plusieurs personnes masquées l'ont abordée, lui ont pris de force son téléphone et son sac à dos, et lui ont passé les menottes. Elle a déclaré que lorsqu'elle leur a demandé qui ils étaient et leur a demandé de montrer leurs badges, l'un d'eux a répondu qu'ils étaient « de la police » et un autre a brandi un collier en or, mais elle n'a pas vu de badge et cela ne l'a pas aidée à les identifier. Sur les images, on entend un passant demander aux agents : « Pourquoi cachez-vous vos visages ? » Rümeysa Öztürk a déclaré qu'on ne lui avait présenté aucun document justifiant son arrestation. Elle a ensuite été emmenée de force hors de l'État et détenue illégalement.
« C'était une sensation horrible », a déclaré Rümeysa Öztürk. « Je ne pensais pas qu'ils étaient de la police, car je n'avais jamais vu des policiers s'approcher et emmener quelqu'un de cette manière. Je pensais que c'étaient des personnes qui me harcelaient, et j'avais vraiment très peur pour ma sécurité... En tant que femme qui a voyagé et vécu seule dans différents pays pour mes études, je n'avais jamais ressenti une peur aussi intense pour ma sécurité, jusqu'à ce moment-là. »
Une femme qui a été témoin de nombreuses descentes et interpellations à Chicago depuis le mois d'août a déclaré : « J'ai eu affaire à des agents qui refusaient de s'identifier. Cela ajoute un niveau de peur supplémentaire. Ce ne sont pas des policiers identifiables, qui pourraient être tenus publiquement responsables. » Un habitant de Washington, qui a également été témoin de nombreuses arrestations par des agents masqués de l'ICE depuis le mois d'août, a déclaré que ces tactiques avaient « complètement détruit toute la confiance que nous avions dans les forces de l'ordre locales et fédérales ».
De nombreux observateurs ont suggéré que la terreur que ces tactiques instillent est délibérée. Un juge d'un tribunal fédéral américain a affirmé dans une décision que « l'ICE se masque pour une seule raison : terroriser les Américains afin qu'ils restent dociles... Nous n'avons jamais toléré une police secrète armée et masquée ». Le tribunal a rejeté la justification avancée par l'ICE pour se masquer, la qualifiant de « malhonnête, sordide et déshonorante ».
Ces derniers mois, les médias ont rapporté des cas de personnes se faisant passer pour des agents fédéraux qui ont kidnappé, agressé sexuellement et extorqué des victimes, exploitant leurs craintes liées à l'application des lois sur l'immigration. Cela montre à quel point la frontière entre les criminels et les agents des forces de l'ordre peut être floue lorsque les agents fédéraux eux-mêmes ne sont pas identifiables, a observé Human Rights Watch.
Plusieurs États américains ont pris des mesures en vue d’adopter des lois au niveau étatique visant à empêcher les agents des forces de l'ordre de dissimuler leur identité lors d'interactions publiques. Il est toutefois peu probable que ces initiatives puissent être efficacement appliquées. Au niveau fédéral, un projet de loi nommé « Visible Identification Standards for Immigration-Based Law Enforcement Act (VISIBLE) Act », soutenu par les sénateurs Cory Booker et Alex Padilla, imposerait aux agents de l’ICE l’obligation de porter une forme d’identification lisible, et l’interdiction de porter des masques non médicaux.
Le Congrès devrait enquêter sur la brutalité des activités actuelles liées au contrôle de l'immigration, notamment les opérations de contrôles et les arrestations effectuées par des agents non identifiables ; le Congrès devrait examiner les conséquences spécifiques du port de masques sur la capacite à enquêter sur des abus et à sanctionner les responsables, a ajouté Human Rights Watch.
« Permettre à des agents masqués et non identifiés d'appréhender des membres de communautés sans s'identifier sape la confiance dans l'état de droit, et crée un vide dangereux où les abus peuvent se multiplier, exacerbant le risque de violences injustifiées lors d’arrestations », a conclu Belkis Wille.
……………….
17.12.2025 à 18:15
Human Rights Watch
(Beyrouth) – Le gouvernement yéménite et le Conseil de transition du Sud (CTS), soutenu par les Émirats arabes unis, devraient immédiatement fournir des informations sur le sort du journaliste Naseh Shaker et le libérer sans condition, ont déclaré conjointement 35 organisations, dont Human Rights Watch, dans une lettre adressée au président et au vice-président du Conseil de direction présidentielle du Yémen.
17 décembre 2025 Continued Detention of Yemeni Journalist Naseh Shaker for Over Two YearsNaser Shaker, 35 ans, est un journaliste yéménite qui a subi une disparition forcée perpétrée par les autorités du CTS le 21 novembre 2023, alors qu'il se rendait à Beyrouth pour y participer à une formation organisée par la Fondation Samir Kassir. Le CTS contrôle plusieurs gouvernorats du Yémen, dont la capitale provisoire, Aden. Les autorités n'ont pas fourni d’informations sur le lieu de détention de Naser Shaker à sa famille, ni à ses représentants légaux ou aux organisations locales et internationales, malgré des demandes répétées.
« Le Conseil de transition du Sud devrait cesser de recourir fréquemment au harcèlement et à la détention arbitraire de journalistes et de défenseurs des droits humains au Yémen, et de les soumettre à des disparitions forcées », a déclaré Niku Jafarnia, chercheuse sur le Yémen et Bahreïn à Human Rights Watch.
……………..
17.12.2025 à 13:10
Human Rights Watch
(Bruxelles) – L’approbation par le Parlement européen, le 16 décembre 2025, des amendements finaux affaiblissant considérablement la législation phare de l’Union européenne en matière de responsabilité des entreprises compromet gravement la capacité de l’Union européenne à tenir les entreprises pour responsables des atteintes aux droits humains et à l’environnement, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Le vote sur la directive relative au devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (Corporate Sustainability Due Diligence Directive, CSDDD) met un terme à huit mois de lobbying intense de l’industrie, à un processus décisionnel opaque et à des négociations chaotiques. Les amendements adoptés réduisent le nombre d’entreprises couvertes par la loi et suppriment l’obligation pour celles-ci de mettre en œuvre des plans de transition climatique.
« La loi pionnière de l’Union européenne sur la responsabilité des entreprises a été vidée de sa substance », a déclaré Hélène de Rengervé, responsable senior du plaidoyer sur la responsabilité des entreprises à Human Rights Watch. « Le texte final montre que les intérêts des entreprises sont désormais prioritaires par rapport aux droits des travailleurs, des communautés et à la protection de l’environnement. »
La version initiale de cette législation, adoptée en 2024 et qui devait entrer en vigueur en 2026, imposait aux grandes entreprises de plus de 1 000 employés, établies ou opérant dans l'UE, de prévenir et de s'attaquer aux violations des droits humains et aux dommages environnementaux tout au long de leurs chaînes d'approvisionnement mondiales.
Les institutions européennes ont désormais convenu de repousser à juillet 2028 l’obligation pour les États membres de transposer la directive en droit national, la loi ne devenant contraignante pour les entreprises qu’en juillet 2029.
La loi révisée a été adoptée à l’issue d’un processus politique profondément défaillant et non transparent, a déclaré Human Rights Watch. Ce processus a débuté le 8 novembre 2024, lorsque la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a annoncé une série de lois dites « Omnibus » visant à simplifier le Pacte vert pour l’Europe. Les modifications proposées, rendues publiques seulement en février 2025, ont affaibli des dispositions essentielles de la loi sur la responsabilité des entreprises, rendant plus difficile pour les victimes de violations des droits humains de poursuivre les entreprises en justice.
Le lobbying exercé par des entreprises européennes et américaines, en particulier du secteur des énergies fossiles, a fortement influencé les propositions de la Commission. Des entreprises américaines ont également obtenu que le président Donald Trump fasse pression pour affaiblir la directive dans le cadre des négociations commerciales entre les États-Unis et l’Union européenne.
La société civile a été largement exclue du processus. La Médiatrice européenne a estimé que la Commission européenne n’avait pas justifié de manière suffisante l’urgence invoquée, ni le choix d’introduire ces modifications sans garantir une préparation transparente, fondée sur des preuves et inclusive des propositions législatives. Cela constitue une violation des propres principes de bonne législation de la Commission et relève d’un cas de mauvaise administration. Ce qui s’est produit porte atteinte à la crédibilité de l’UE, a déclaré Human Rights Watch.
Human Rights Watch, aux côtés de 170 organisations de la société civile, ainsi que des dizaines d’entreprises et d’investisseurs, s’est opposé aux modifications introduites par la loi Omnibus. Malgré cela, de nombreux amendements ont été adoptés par les États membres et le Parlement européen, où les partis centristes se sont associés à l’extrême droite pour pouvoir les approuver.
La loi amendée conserve toutefois certaines exigences importantes, notamment l’obligation fondamentale pour les entreprises de mettre en place des processus de diligence raisonnable significatifs en matière de droits humains et d’environnement sur l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement. Une proposition visant à limiter cette obligation aux seuls fournisseurs directs a finalement été rejetée.
Les entreprises resteront aussi tenues de mettre en œuvre une approche fondée sur les risques, en donnant la priorité aux situations les plus graves, tout en ayant l’obligation de traiter l’ensemble des atteintes existantes ou potentielles identifiées dans leur chaîne d’approvisionnement.
En revanche, les entreprises ne seront plus obligées de mettre en œuvre des plans de transition climatique visant à surveiller et, à terme, à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre conformément à l'accord de Paris sur le climat, pourtant ratifié par l’ensemble des États membres de l’UE. Or, les plus grandes entreprises, désormais seules à être concernées par la loi, sont responsables de l’équivalent de près des deux tiers des émissions annuelles totales de dioxyde de carbone (CO₂) de l’UE, selon une étude récente.
Au total, les modifications adoptées ont réduit de 70 % le nombre de groupes d’entreprises de l’UE concernées par la directive, passant de 3 363 à 980. Elles ont également supprimé l’obligation pour les États membres de mettre en place un cadre harmonisé au niveau européen permettant de poursuivre les entreprises devant la justice pour des violations des droits humains, compliquant ainsi considérablement l’accès à la justice pour les victimes.
« La loi telle qu’amendée est très loin de l’ambition initiale d’une législation véritablement transformatrice en matière de responsabilité des entreprises », a conclu Hélène de Rengervé. « Mais les communautés, les travailleurs et les partenaires de la société civile doivent malgré tout s’appuyer sur ce qu’il en reste pour continuer à lutter en faveur de la justice pour les victimes d’abus commis par des entreprises à travers le monde. »