27.10.2025 à 01:21
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Dans la course à la croissance, une obsession domine : le gain de temps. Le
L’article Quicktron Robotics, nouvel acteur majeur de l’automatisation logistique mondiale est apparu en premier sur Observatoire Français des Nouvelles Routes de la Soie.
Dans la course à la croissance, une obsession domine : le gain de temps. Le secteur de la logistique illustre parfaitement cette dynamique, cherchant constamment à optimiser ses processus. Pour y parvenir, l’automatisation est la solution technologique privilégiée. D’ailleurs, selon un rapport du McKinsey Global Institute, l’automatisation pourrait faire croître la productivité mondiale de 0,8 à 1,4 % chaque année.
Dans ce contexte, certaines entreprises s’imposent comme des acteurs incontournables. Quicktron Robotics, un des leaders chinois du marché de l’automatisation des robots et des entrepôts (AMR), entend développer ses ambitions mondiales.
Fondée en 2014 à Shanghai par monsieur Yang Wei, Quicktron Robotics s’est développée avec pour ambition de “Libérer les êtres humains du travail manuel”, dans un contexte où la Chine rencontre de fortes pénuries de main-d’œuvre et une augmentation significative de son coût. L’automatisation du secteur logistique devrait réduire ce dernier de près de 80%.
Forte de ses ambitions, l’entreprise connaît un développement fulgurant. En 2015, un an seulement après sa création, Quicktron Robotics réalise sa première levée de fonds, et finalise ses premiers projets d’entrepôts intelligents pour Vip.com et Best inc, respectivement un acteur important du e- commerce et de la logistique intelligente en Chine.

En 2017, Quicktron reçoit un financement de la part de deux acteurs de poids: Cainiao, le bras logistique du géant chinois Alibaba et SBCVC, un fonds d’investissement spécialisé dans les technologies à fort potentiel. Leur soutien déjà considérable, environ vingt-neuf millions de dollars, permet de crédibiliser le projet de Quicktron et ouvre la voie à un développement ambitieux. En 2018 et en 2020 cela permettra à Quicktron de réaliser deux levées de fonds supplémentaires, dont la dernière atteindra les cent millions de dollars. Désormais, on retrouve des investisseurs de dimension mondiale comme Saudi Aramco, compagnie pétrolière nationale saoudienne, et Kion group, industriel allemand numéro deux de la logistique en entrepôts.
Très bien implantée sur le marché chinois, Quicktron Robotics est également porteuse d’ambitions internationales. Pour y arriver, l’entreprise s’appuie sur trois leviers stratégiques : un investissement massif en R&D; l’élaboration de partenariats avec des acteurs majeurs du secteur de l’automatisation logistique; et la validation de normes et de certifications qui faciliteront son insertion dans les différents marchés mondiaux.
Consciente de la fulgurance du milieu technologique dans lequel elle évolue, Quicktron Robotics met un point d’honneur à proposer des produits de très haute qualité, et remet régulièrement en question leur pertinence sur le marché. Elle propose aujourd’hui quatre séries de robots différentes pour accomplir la plus grande variété de missions possibles au sein d’un entrepôt. On retrouve des systèmes de tris avancés, des chariots élévateurs intelligents et des robots dits “bin-to-person” c’est-à -dire qui vont chercher le produit et l’amener à un employé chargé de sa distribution.
Guidée par sa quête de l’automatisation générale, Quicktron Robotics propose également des logiciels capables de gérer le flux robotisé et d’optimiser au maximum les opérations. Grâce à cette volonté d’excellence technologique, l’entreprise a proposé quatre générations de robots en dix ans, s’appuyant sur des investissements très importants en R&D, atteignant 60 à 75 % des dépenses annuelles de l’entreprise, tous secteurs confondus. Cette force d’innovation se traduit également par le nombre impressionnants de brevets déposés, près de quatre cents.
Malgré sa rigueur technologique, Quicktron Robotics ne peut espérer de destin mondial sans des partenaires déjà bien établis, capables de faciliter son approche sur des marchés pour l’instant hors de portée. Il s’agit également de donner confiance en son projet. Pour cela, l’entreprise chinoise peut compter sur son partenariat avec KION Group, et plus spécifiquement avec ses filiales Dematic et Linde, qui participent à la distribution de ses produits et au développement conjoint de véhicules automatisés.

L’impressionnant réseau partenarial de vingt-quatre entreprises à travers le monde témoigne lui aussi de la portée que Quicktron Robotics souhaite donner à son commerce. Dernier levier de sa stratégie internationale : l’obtention de normes et de certifications. Elles sont essentielles pour le développement des activités de l’entreprise à l’étranger. Quicktron Robotics en a acquis trois ces dernières années. La première fut l’obtention en 2019 de la certification CE pour ses robots de troisième génération, indispensable pour réaliser des ventes sur le marché européen.
Ensuite, en mai 2025, TÜV Rheinland – organisme allemand renommé et spécialisé dans la délivrance de certifications – a attribué à Quicktron Robotics les certifications CE-MD et NRTL sur certains de ses modèles de robots. La première est un marquage européen obligatoire pour la mise sur le marché de dispositifs médicaux dans l’UE. La seconde permet la validation des normes de sécurité américaines dans de nombreux secteurs, sans couvrir le domaine médical.
En août 2025, Quicktron Robotics va plus loin en obtenant une certification délivrée par TÜVSÜD. Il s’agit d’un autre organisme de certification internationale permettant de garantir la sécurité fonctionnelle de robots, c’est-à -dire leur fiabilité, même en cas de panne et dans des conditions de travail complexes. C’est une certification importante pour le projet de Quicktron Robotics qui a désormais “la capacité de rivaliser avec les plus grandes marques mondiales dans le domaine de la sécurité fonctionnelle”, selon les mots de l’organisme.
Les trois leviers que nous venons de citer s’inscrivent dans une stratégie bien définie par le fondateur et CEO de Quicktron Robotics, dites de “Dual Dual Engines Strategy”. C’est la stratégie globale de Quicktron qui repose sur quatre piliers répartis en duo. Le premier est le système de traitement de commande et la dynamique industrielle qui l’accompagne. Le second est une stratégie produit à deux échelles : une appliquée au marché chinois, l’autre à l’international.
Aujourd’hui, Quicktron Robotics est une entreprise très bien implantée sur le marché de l’AMR (Automated Mobile Robot) puisqu’elle est régulièrement classée dans le top10 mondial.

En 2020, le fondateur et CEO de Quicktron, Yang Wei, aurait déclaré que l’empreinte de Quicktron passera de quinze pays (au moment de la déclaration), à plus de cent, et atteindra un chiffre d’affaires annuel de 1,5 milliards de dollars d’ici les cinq prochaines années. Cinq ans plus tard, force est de constater que le premier objectif n’a pas été rempli puisque l’entreprise n’est présente que dans une vingtaine de pays. Concernant le chiffre d’affaires, les données n’étant pas publiques, il est difficile de vérifier si l’objectif est atteint. Mais même si ce n’est pas le cas, l’impressionnante clientèle de plus de 1000 entreprises, ainsi que les 35 000 installations AMR délivrées, attestent de son influence internationale.
Enfin, dernièrement Quicktron Robotics a fait l’actualité à propos d’une possible entrée à la Bourse de Hong Kong.
Si cette rumeur se matérialise, Quicktron entrerait dans une toute nouvelle ère de son existence. Une entrée en bourse (IPO) est l’opportunité pour l’entreprise qui en bénéficie de mettre des parts de son capital (actions) à disposition d’investisseurs du monde entier. Concrètement, il s’agirait sûrement d’une nouvelle levée de fonds estimée à cent millions de dollars.
Mais cette IPO représente surtout une visibilité internationale inédite et une confiance des investisseurs, ouvrant la voie à de nombreux marchés inexploités.
En 2021, Quicktron faisait déjà l’objet de spéculations quant à une possible inscription à la bourse de Shanghai. Ce projet n’a jamais vu le jour et plusieurs raisons sont envisageables. Tout d’abord, la régulation est plus stricte à la bourse de Shanghai et n’offre pas le régime confidentiel proposé par Hong Kong. En effet, une entrée à la bourse de Hong Kong à ceci d’attractif qu’elle propose de réaliser une IPO confidentielle. C’est un régime spécial permettant de ne pas rendre public le dossier d’entrée immédiatement. L’objectif est de s’assurer du bon déroulement du processus d’intégration sans exposer publiquement toutes les données sensibles de l’entreprise. Dans le cas d’un rejet de candidature, il serait fâcheux de voir en plus ses données dispersées dans le monde entier.
L’activité logistique de pointe développée par Quicktron Robotics a les moyens d’en faire un artisan majeur de la BRI. Cette dernière étant une gigantesque machine, les robots de Quicktron peuvent participer à la fluidification des échanges par l’automatisation. Concrètement, cet investissement pourrait se concentrer dans les grands ports de la côte chinoise – parmi les plus importants hubs maritimes mondiaux – ainsi que dans ceux des pays partenaires de la Belt and Road Initiative. Cela peut aussi avoir lieu dans les hubs logistiques ou les points relais des voies terrestres. Cette stratégie s’est traduite dès 2017 par la construction de son premier entrepôt intelligent en Malaisie.
Le projet a été mené en partenariat avec Cainiao (branche logistique d’Alibaba), Lazada, entreprise spécialisée dans le e-commerce et propriété majoritaire du groupe Alibaba, et Pos Malaysia, opérateur postal malaisien. Le destinataire, eWTP, est un géant chinois du commerce électronique, lancé par Jack Ma, figure importante du groupe Alibaba.
Ainsi, les liens communs à ces différentes entreprises traduisent bien les intentions de développement de la Chine dans le sud-est asiatique et delaroutedelasoienumérique. Le choix de la Malaisie pour son premier projet d’automatisation à l’étranger envoie un message fort alors que la région est connue pour être un centre névralgique d’Alibaba et plus largement des nouvelles routes de la soie.
Au-delà de son intervention physique, l’entreprise elle-même, en tant qu’acteur mondial de la logistique intelligente, participe à faire rayonner le soft power chinois et plus précisément la route de la soie par son volet numérique. L’image moderne et technologique de l’entreprise trouve en effet ses admirateurs dans le monde entier. Ainsi, il y a deux axes à travers lesquels Quicktron Robotics peut s’impliquer dans la BRI, un axe opérationnel et un axe stratégique.
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Quicktron Robotics fait partie de ces “champions chinois” au développement éclair et s’impose aujourd’hui comme l’un des meilleurs de son domaine. Ses choix stratégiques d’investissements importants en R&D, de développement de partenariats solides à l’international et d’acquisition de nombreuses certifications sont centraux, mais plusieurs autres actions ont confirmé la dimension internationale revendiquée par Quicktron Robotics.
Malgré son succès évident, Quicktron continue son ascension en se fixant des objectifs toujours plus ambitieux et rêve d’imposer sa vision révolutionnaire de la logistique. Sa potentielle entrée en bourse est la prochaine étape clé de sa dynamique conquérante.

Par Paul DUPONT, Analyste – Rédacteur
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29.09.2025 à 14:19
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Le Parti communiste chinois (PCC) souhaite d’ici 2049, construire un pays socialiste moderne prospère, fort,
L’article Aux racines des nouvelles routes de la soie, le « rêve chinois » est apparu en premier sur Observatoire Français des Nouvelles Routes de la Soie.
Le Parti communiste chinois (PCC) souhaite d’ici 2049, construire un pays socialiste moderne prospère, fort, démocratique, culturellement avancé et harmonieux (Leung, 2019). La capacité du Parti communiste chinois à rester au pouvoir dépend aussi de sa gestion de l’initiative la Ceinture et la Route. Les nouvelles routes de la soie comportent un volet politique évident, elles sont un récit développé par le gouvernement pour consolider son pouvoir invoquant un passé commun d’humiliation et de la nostalgie des temps glorieux de l’Empire du Milieu (Zheng Wang).
Le « rêve chinois » est un outil d’autolégitimation. Xi Jinping a déclaré en novembre 2014 : « Nous devons accroître le soft power de la Chine, proposer un récit chinois et mieux communiquer le message de la Chine au monde ». L’objectif principal est de faire de la Chine une puissance globale via la BRI (Lincot, 2019). En effet, la Chine est une puissance émergente et veut se positionner comme telle et assoir sa légitimité, comme les autres grandes puissances avant elle, elle propose un modèle pour le pays et pour le reste du monde. Richard T.Griffiths, dans Revitaliser la route de la soie: la ceinture et la route chinoise (2017), explique la nécessité de maintenir un dynamisme et de créer un discours autour des nouvelles routes de la soie afin qu’elles ne soient pas une simple juxtaposition de projets d’infrastructure mais une vision globale du Parti pour la Chine et pour le monde, pour les pays qui la rejoindraient volontairement.
A propos du « rêve chinois », Xi Jinping a affirmé lors du 19ème Congrès du Parti communiste chinois (PCC) que le parti était « confiant et plus que jamais capable de réaliser l’objectif d’une renaissance nationale ». « Le rêve chinois, après tout, est le rêve du peuple. Nous devons sans cesse apporter des avantages à la population. Réaliser le grand renouveau de la nation chinoise, c’est le rêve national de l’histoire moderne » (Président Xi Jinping). Le projet de l’Initiative la Ceinture et la Route est une initiative personnelle du président Xi Jinping. Selon le docteur en sciences politiques Caroline Galacteros, c’est un projet puissamment collectif et donc intrinsèquement politique, qui intervient lors d’une période de ralentissement de la croissance économique chinoise. Avec les nouvelles routes de la soie, Xi Jinping réaffirme sa maîtrise du pouvoir et propose une solution et, en outre, une vision. Cela fait partie de la tradition de planification économique du Parti. Le politologue Xu Tiebing définit l’initiative comme l’empreinte personnelle du dirigeant à court terme et une véritable stratégie à long terme, une vision qui accompagne un changement de statut de la Chine. Tom Miller a publié en 2017 « Le rêve asiatique de la Chine ». La Chine rêve d’un retour à la grande nation chinoise, d’une renaissance, et l’Initiative Belt and Road est le cadre de sa politique étrangère. Le programme vise à consolider la place du parti communiste chinois à la tête du système politique et de la société, pour replacer le Parti au centre du peuple et de la vie des chinois (Miller, 2017). Ainsi, les nouvelles routes de la soie sont un projet politique. Pour le Président Xi Jingping, la BRI est une « communauté de destin », il souhaite fédérer les pays autour de sa vision.

Le slogan du dirigeant chinois depuis son intronisation en 2013 est « Zhongguo Meng », il sert à légitimer sa position à la tête du Parti. Ses prédécesseurs avaient comme slogans « trois représentants » pour Jiang Zemin et « Société harmonieuse » pour Hu Jintao. Ces slogans sont censés rallier le peuple autour du gouvernement et du dirigeant. Tous les trois ont été forgés par Wang Huning, surnommé « l’architecte du rêve chinois ». Cet académicien au statut de roi sans couronne, a influencé le parti politique depuis les années 1990 et est surnommé « le prince de Zhongnanhai[1] ». Grande figure du monde académique, il symbolise l’effort chinois pour façonner un modèle capable de se répandre à l’extérieur des frontières et de stabiliser l’intérieur. Wang Huning a développé une théorie néo-autoritaire, il priorise le modèle centraliste au nom de l’efficacité et du besoin de stabilité dans un pays vaste et multiculturel. Il est le concepteur de la théorie centraliste du rêve chinois (la Chine est le centre puis l’extension à d’autres pays). Le Parti communiste doit contrôler le « roman national ». Selon lui, les pays occidentaux ont commis l’erreur de tomber dans l’idéalisme en poursuivant des rêves de colonisation et de mondialisation, trahissant le contrat social établi depuis l’ère westphalienne[2]. La Chine doit pouvoir s’enraciner dans son histoire, ancienne et récente. Lors de son discours de janvier 2013 devant le Comité central, Xi Jinping a expliqué que l’Union soviétique s’est effondrée parce qu’elle a nié son histoire et la lutte idéologique. Wang Huning met en garde contre le nihilisme historique. Pour Xi Jinping, « l’histoire du Parti est un tout ». Il veut mettre en lumière l’histoire chinoise depuis la période impériale pour construire un récit, fondement commun du rêve chinois. Le peuple et le parti sont unis pour l’intérêt général. Cette approche intégrale du rôle de l’État devrait idéalement dicter la marche de l’ensemble de la société chinoise vers un objectif commun et global (Théophile Sourdille, 2018).
Wang Huning a développé une approche critique de la démocratie, il a dénoncé les principes du Consensus de Washington et étudié l’individualisme américain. Les nouvelles routes de la soie pourraient être comprises comme un modèle alternatif au capitalisme américain et au « mode de vie américain », basé sur des valeurs différentes. Il a établi une « Théorie des trois représentativités » : le parti doit comprendre des représentants de l’économie (entreprises), de la culture (institutions académiques et artistiques) et des intérêts fondamentaux d’une grande majorité de la population (société civile). Ainsi, la politique de l’État prime sur tout le reste. Xi Jinping veut garantir l’exemplarité et l’éducation morale, il a lancé une politique anti-corruption en 2013. Les intérêts personnels ne peuvent pas faire obstacle au devoir civique. Les gens vont contrôler le prince non pas par la démocratie mais par une charte de principe de bonne gouvernance. La Chine veut construire ce modèle alternatif à l’Occident qui est l’homme malade de la mondialisation (taux records d’abstention aux élections, perte de légitimité, crises d’identité). Cependant, il est confronté à d’autres problèmes : la corruption, les inégalités, la fuite des cerveaux, le surpeuplement.
La Chine a des ambitions normatives, elle veut être un producteur de normes internationales. Cette ambition est une conséquence son nouveau statut de puissance. Les relations avec ses voisins sont gérées selon une logique de cercles concentriques. La notion de « soft power » (Nye, 1990) a été utilisée dans les années 2000 sous la présidence de Hu Jintao qui a parlé de « puissance nationale globale ». Cependant, le « soft power » est un concept américain, utilisé par le professeur américain Joseph Nye pour décrire une capacité de séduction, un pouvoir d’influence, par exemple le « American Way of Life ». Or, la Chine ne recherche pas le soutien des masses mais celui de partenaires politiques et diplomatiques, elle se qualifie elle-même de « pouvoir normatif ». (Alain Roux, Xiaohong Xiao-Avions, 2018).
L’Initiative la Ceinture et la Route s’inscrit dans une politique de restauration de la Chine à sa place supposée dans le système international. Elle a pour vocation de mettre fin à la « politique de discrétion » de Deng Xiaoping (XIXe Congrès, octobre 2017). C’est aussi une stratégie de réponse à la politique du « pivot asiatique » initiée par le président Obama. Wang Jisi, doyen de l’École d’études internationales de l’Université de Pékin a publié un article dans le Global Times 2012 selon lequel les États-Unis bloquaient les perspectives de la Chine dans le Pacifique et se retiraient d’Asie centrale. Il s’agirait une opportunité stratégique pour la Chine, qui doit profiter de ce vide stratégique. Le « Grand pas en avant vers l’Ouest » (da xi jin) vise à orienter les routes commerciales vers l’Eurasie.
Article initialement publié en 2020, republier fréquemment le 1 octobre à l’occasion de la fête nationale chinoise.
[1] Zhongnanhai est le siège du gouvernement.
[2] Les traités de Westphalie en 1648 établissent le concept d’Etats-nations.

Par Margaux Maurel – Diplômée de l’EDHEC, spécialiste des Nouvelles Routes de la Soie et de l’Asie centrale. Elle a travaillé pour la Commission Économique et Sociale pour l’Asie pacifique des Nations Unies, au bureau régionale pour l’Asie centrale et du Nord.
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16.09.2025 à 10:24
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Depuis l’antiquité, l’empire punique, véritable puissance maritime méditerranéenne, entretenait de bonnes relations commerciales avec l’Empire
L’article Chine en Tunisie, affirmation d’une coopération ambitieuse est apparu en premier sur Observatoire Français des Nouvelles Routes de la Soie.
Depuis l’antiquité, l’empire punique, véritable puissance maritime méditerranéenne, entretenait de bonnes relations commerciales avec l’Empire du Milieu. Les puniques, génies commerçants, partageaient avec les chinois un intérêt commun pour le commerce, et ce dans le cadre des anciennes routes de la soie. Ainsi, les relations entre la Tunisie et la Chine s’inscrivent dans une histoire riche et lointaine.

Néanmoins, cette richesse demeure mal exploitée et dévalorisée. En effet, la Tunisie a été le dernier Etat maghrébin à reconnaître la République Populaire de Chine, et ce en 1964. Sous le régime Bourguibien, la relation entre Pékin et Tunis était plutôt distante et antagoniste. Sa politique anti-communiste et pro-occidentale a rendu difficile le rapprochement entre les deux parties. Ces récurrentes mésententes sur les questions diplomatiques n’ont pas empêché l’établissement des liens commerciaux, et ce depuis 1958. Toutefois, la Tunisie voyait son destin intimement lié à celui de l’occident, avec qui elle entretenait des relations diplomatiques et commerciales très denses. Cela se traduit aujourd’hui par une relation commerciale sino-tunisienne longtemps restée la moins développée au Maghreb.
Contrairement au Maroc et l’Algérie, la Tunisie s’est aperçue très tardivement de l’importance du géant asiatique. En aspirant à développer une coopération plus fructueuse, la Tunisie a dévoilé son intention d’intégrer le projet BRI dès 2017 lors d’une visite officielle du ministre tunisien des affaires étrangères à Pékin. Divers accords ont été alors signés et sont en cours de réalisation, notamment dans le secteur du tourisme et des infrastructures.

Le tourisme qui constitue un des piliers de l’économie tunisienne est un terrain favorable pour une coopération sino-tunisienne développée. En effet, environs 180 millions de chinois voyageaient à travers le monde en 2018, et quelques 280 millions en 2030. La hausse du nombre de touristes chinois et le développement du secteur touristique touche considérablement le continent africain, suite aux plusieurs accords conclus entre les deux parties. La Tunisie, face à la détérioration des ressources du tourisme, tente de se faire connaître auprès du marché touristique chinois, en pleine expansion. Ainsi, en 2017, la Tunisie a enregistré une croissance de 150% en termes de touristes chinois[1] par rapport à 2016. Pour accompagner ce flux touristique et le stimuler davantage, des mesures préférentielles pour les touristes chinois ont été mis en place tel que l’annulation des frais de visas depuis 2017, renforcée par une mesure plus large adoptée en 2023 supprimant l’obligation de visa pour tous les visiteurs chinois. Le gouvernement tunisien compte également ouvrir une voie aérienne directe entre Pékin et Tunis, une façon de développer le marché chinois. Il est à noter que cette intention a été dévoilé depuis 2012, mais sa réémergence vient dans un cadre post-pandémique où le secteur touristique tunisien bas son record le plus bas. Le tourisme chinois est alors une façon de relancer le tourisme du pays, et donc son économie.
S’agissant du volet culturel de la BRI, le premier institut Confucius en Tunisie a été inauguré en 2019. D’après l’ambassadeur chinois, « cette étape marque un progrès important en Tunisie dans le cadre de la mise en œuvre des actions de suivi du Sommet de Beijing du Forum sur la coopération sino-africaine et renforce la coopération bilatérale dans le cadre de l’Initiative la Ceinture et la Route ».
Dans le secteur des infrastructures, il convient de citer à titre non exhaustif : l’hôpital universitaire à Sfax inauguré en 2020, le doublement du canal Medjerda-Cap Bon déjà construit par la Chine, le bâtiment de l’archive nationale, la rénovation de la maison des jeunes d’El Menzeh achevée en 2017, la construction d’un centre culturel à Ben Arous, de cinq hôpitaux au Nord-Ouest du pays et de l’Académie Diplomatique. Plus récemment, de nouveaux projets ont émergé, tels que l’étude d’un centre d’oncologie à Gabès, la création d’une cité médicale à Kairouan et la livraison de 300 bus chinois à la société publique de transport Transtu pour le Grand Tunis. Des discussions sont aussi en cours autour de la réhabilitation du Stade Olympique d’El Menzah avec un appui chinois.

Il faut aussi mentionner le projet de transformation du port de Zarzis en un centre économique et commercial s’étalant sur 1000 hectares regroupant un pont de Boughrara à l’île de Djerba, un pôle technologique, un projet d’une ligne ferroviaire Médnine-Zarzis, une zone logistique Ben Guerdane et un parc d’activités économiques à Zarzis. Ce port revêt une importance stratégique ; il est à 70 Km de la Lybie, à 200 Km de l’Algérie et à 2 heures de l’Europe depuis l’aéroport Djerba-Zarzis. Dès l’achèvement prévu en 2022 du segment routier entre Gabès-Mednine, la zone sera aussi reliée à l’autoroute transmagrébine. Le projet permettra alors un développement économique très important pour la région Sud de la Tunisie, pauvre en investissements étrangers. Il constituera, en outre, une porte d’entrée vers la Lybie, marché en pleine reconstruction. Toutefois, il n’est pas surprenant de voir le projet du port Zarzis être constamment retardé, tout comme le projet du port Enfidha qui traine depuis 2009. Les causes sont certainement multiples, mais l’absence d’une politique de développement claire et l’instabilité politique que connaît le pays depuis 2011 pèse lourdement sur les projets d’investissement étranger.
Cependant, le développement du port de Bizerte pourrait constituer un avantage pour l’insertion de la Tunisie au sein du projet des nouvelles routes de la soie maritime. Si le port de Tanger contrôle le détroit de Gibraltar, le port de Bizerte contrôle le détroit de Sicile reliant la Méditerranée orientale à la Méditerranée occidentale. Parfaitement au cœur de la Méditerranée contrôlant les voies menant au Moyen-Orient, l’Europe et l’Asie, Bizerte pourrait devenir un hub commercial à mi-chemin du canal de Suez, de la mer Noire et de l’Atlantique.
En effet, des compagnies chinoises ont dévoilé leur intention de développer un port en eaux profondes de troisième génération à Bizerte depuis 2018. Toutefois, ce n’est pas seulement la Chine, c’est aussi les Etats-Unis et la France. Le port de Bizerte est alors pris au cœur de la rivalité entre Pékin et Washington qui se concurrencent pour son développement. Quant à Paris, elle met en œuvre tous les moyens pour freiner la montée en puissance de ce port de peur qu’il menace son hub commercial, Marseille.
Outre les caractéristiques citées plus haut, le port de Bizerte se situe le long d’un câble sous-marin stratégique de fibre optique reliant les Etats-Unis, l’Europe, le Moyen-Orient et l’Asie. Ainsi, toute tentative de contrôler le port signifierai le contrôle évident des flux de données entre l’Asie et l’Europe dans un cadre mondial où l’accès au renseignement stratégique représente une priorité de sécurité nationale. Dans ce contexte, les Etats-Unis mettent en œuvre tous les moyens d’épargner la Chine du projet de développement du port de Bizerte.
Dans un contexte technologique, élément structurant de la rivalité sino-américaine, la Tunisie a dévoilé son intention de conclure un accord sur l’implémentation de la cinquième génération avec la Chine. En réponse, l’ambassadeur américain Donald Blome en Tunisie a publié un article d’opinion pour dévoiler les risques de coopérer avec l’entreprise chinoise Huawei : « Aucun pays ne devrait confier ses réseaux à des entreprises redevables à des gouvernements autoritaires. Huawei, à titre d’exemple, est soumise à la loi chinoise relative au renseignement national, ce qui signifie qu’elle doit remettre toute donnée au gouvernement du Parti communiste chinois sur demande. Huawei a été inculpée par les tribunaux fédéraux américains et encourt des poursuites pénales aux États-Unis pour fraude, racket et conspiration pour vol de secrets commerciaux à des entreprises basées aux États-Unis ».[2]
En effet, la Tunisie, à l’instar du Maroc et plusieurs autres Etats, a subi une pression américaine visant à faire éradiquer le géant Huawei du marché de la cinquième génération. Malgré cela, la Chine reste un partenaire technologique potentiel, et la compétition géopolitique influence directement les choix tunisiens.
Sur le plan militaire, la Chine a apporté son soutien à la Tunisie dans le cadre de sa lutte contre le terrorisme, souci commun, par le biais de dons militaires. Il ne s’agit nullement de coopération militaire, mais plutôt de soutien en vue d’un développement des relations tuniso-chinoises. La Tunisie a même appelé en 2017 à élever le statut du partenariat au rang de partenariat stratégique, chose qui ne semble plus être à l’ordre du jour.
Depuis 2024, la coopération économique s’est renforcée. Les échanges commerciaux bilatéraux ont atteint 9,2 milliards de dinars tunisiens en 2024, en hausse de 8 % par rapport à 2023. Mais le déséquilibre demeure marqué : durant les cinq premiers mois de 2025, les importations en provenance de Chine ont bondi de 42,7 % et représentent désormais 14 % du total des importations tunisiennes. En juillet 2025, la Chine a officiellement dépassé l’Italie et la France pour devenir le premier fournisseur de la Tunisie. Des accords d’investissement d’une valeur de 490 millions de dollars ont été signés récemment, incluant le secteur bancaire, les nouvelles technologies et la construction d’un centre commercial près de Tunis. La Chine manifeste également un intérêt croissant pour les secteurs minier et industriel tunisiens, avec des projets de rachat d’usines et d’unités de production.
La Tunisie, de son côté, cherche à mieux valoriser ses exportations vers la Chine. Selon le Cepex, environ 214 millions USD d’exportations potentielles restent inexploitées, notamment pour l’huile d’olive, les dattes et les produits de la pêche. Des délégations chinoises venues de Wuhan et d’autres provinces explorent déjà ces pistes.
En guise de conclusion, la coopération sino-tunisienne n’est plus seulement à son début mais entre dans une phase de consolidation. Elle s’annonce prometteuse et fructueuse mais demeure fragile et sous-exploitée à cause de la persistance de plusieurs failles dans la politique tunisienne. Il convient de soulever que les différentes orientations éparpillées prises à l’égard de Beijing ne représentent pas une stratégie claire au service d’un projet global, à l’instar du Maroc. L’intégration du Maroc au sein de la BRI émane certainement d’une forte volonté politique, mais aussi de son attractivité et de sa capacité à faire valoriser ses atouts à l’égard de Pékin. Les faibles performances de la Tunisie en termes de connectivité, de logistiques et d’infrastructures représentent de véritables handicaps pour son insertion au sein des chaînes de valeurs mondiales, et par voie de conséquence au sein de la BRI.
Toutefois, la signature en préparation d’un accord de partenariat global sino-tunisien et l’intérêt croissant de la Chine pour les infrastructures, la santé et l’industrie tunisiennes pourraient marquer un tournant stratégique. La Tunisie pourrait ainsi se positionner comme un pivot régional entre l’Afrique, le monde arabe et la Chine. L’Asie-Pacifique constitue indiscutablement le centre de gravité du monde d’aujourd’hui. Rester méconnaissant de cet espace stratégique signifie être à la périphérie du monde de demain, être voué à l’oubli. Autrement formulé, la fine connaissance de l’Empire
Par Donia Jemli et Adrien MUGNIER
[1] Oumar Diagana, Tunisie-Chine : plus d’un demi-siècle d’amitié et de partenariat gagnant-gagnant. Espace Manager. 2019.
[2] Donald Blome, De bonnes décisions en 5G aujourd’hui permettront de protéger la sécurité et la vie privée de tous les tunisiens : Article d’opinion par l’ambassadeur des Etats-Unis en Tunisie Donald Blome. Ambassade des Etats-Unis en Tunisie. 2020.
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