03.11.2025 à 14:25
Équipe de l'Observatoire
L'Assemblée nationale a adopté vendredi soir, la transformation de l'Impôt sur la fortune immobilière (IFI) en « impôt sur la fortune improductive ». L'objectif de ce nouvel impôt est d'inciter les contribuables les plus aisés à orienter placer leur richesse dans « l'économie réelle ». Mais il s'agit d'un impôt symbolique qui permettra aux milliardaires de continuer à payer moins d'impôts que le reste de la population.
** De l'IFI à l'IFI...
Rappelons avant tout que l'actuel IFI est (…)
L'Assemblée nationale a adopté vendredi soir, la transformation de l'Impôt sur la fortune immobilière (IFI) en « impôt sur la fortune improductive ». L'objectif de ce nouvel impôt est d'inciter les contribuables les plus aisés à orienter placer leur richesse dans « l'économie réelle ». Mais il s'agit d'un impôt symbolique qui permettra aux milliardaires de continuer à payer moins d'impôts que le reste de la population.
Rappelons avant tout que l'actuel IFI est venu remplacer l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), qui, bien qu'imparfait, imposait les biens immobiliers, mobiliers et financiers. Tel n'est pas le cas de l'IFI, qui concerne les personnes physiques détenant un patrimoine immobilier dont la valeur nette est supérieure à 1,3 million d'euros, précision étant apporté qu'un abattement de 30 % est appliqué sur la valeur de la résidence principale. Une fois la valeur brute du patrimoine immobilier déterminée, les dettes afférentes à ce patrimoine étaient déduites pour établir la valeur nette du patrimoine sur laquelle est appliqué un barème progressif allant de 0,5 % à 1,5 % (ce taux s'appliquant à la part des patrimoines immobiliers nets dont la valeur est supérieure à 10 millions d'euros).
Officiellement, « l'impôt sur la fortune improductive » élargit l'assiette de l'IFI, puisqu'il s'applique non seulement à l'immobilier, mais également aux biens matériels dits « de valeur » (or, bijoux, œuvres d'art, voitures de collection, yachts, avions privés, meubles précieux…), aux actifs numériques (notamment les cryptomonnaies) ainsi qu'à certains contrats d'assurance-vie lorsque les sommes ne sont pas investies dans des supports productifs (comme les fonds en euros notamment).
L'abattement de 30 % sur la résidence principale est pour sa part remplacé par un abattement de 1 million d'euros que le foyer pourra appliquer à sa résidence principale ou au bien immobilier de son choix (une résidence secondaire de valeur supérieure par exemple). Des exonérations sont également prévues : les logements loués à long terme, ou répondant à des critères environnementaux, seront exonérés. Enfin, si le seuil d'entrée dans cet impôt demeure fixé à 1,3 million d'euros, le barème progressif est remplacé par un taux unique, de 1 %.
Le vote de cet impôt est intervenu après le rejet de la taxe Zucman et après le rejet d'une proposition visant à instaurer un impôt sur les très hauts patrimoines présenté comme une version « light » de la taxe Zucman. Autrement dit, après ces deux rejets successifs de mesures plus consistantes, signe d'une intransigeance brutale du camp des droites, ce nouvel impôt ne pouvait qu'être symbolique. Le principal objectif de cette mesure est purement politique : monter que « quelque chose » a été fait en matière de taxation des riches. Mais ce « quelque chose » rime avec « bien peu de choses ».
Cet impôt comporte en effet de nombreux travers.
- Il s'annonce peu rentable : d'après l'évaluation de Bercy, le rendement de ce nouvel impôt serait de 500 millions d'euros de plus que le maigrelet IFI (2,2 milliards d'euros de rendement en 2025).
- Il allégera la facture de nombreux ultrariches dont une partie importante de leur patrimoine immobilier était imposé au taux marginal de 1,5 % et ne le sera plus qu'à 1%, et qui bénéficieront par ailleurs de l'abattement de 1 million d'euros. Si un abattement en montant est plus judicieux qu'un abattement en pourcentage, le montant de 1 million d'euros est toutefois très élevé. Au surplus, les contribuables choisiront le bien sur lequel il s'applique.
- Il ne taxera pas les actions : or, les milliardaires le sont parce qu'ils détiennent massivement des actions. Il s'agit donc un impôt qui épargnerait largement les milliardaires alors qu'il est démontré qu'ils paient moins d'impôts que le reste de la population.
- Il sera contourné via des mécanismes d'optimisation : les biens qu'il est censé imposer seront, comme c'est souvent le cas, considérés comme des biens d'entreprise (donc exonérés) et/ou logés dans des sociétés écrans dont il sera très difficile de prouver l'identité des bénéficiaires effectifs.
- Il sera difficile à contrôler, l'administration fiscale ayant perdu de nombreux emplois, alors qu'il lui faudra croiser les éléments déclarés avec les données des prix de marché, des évaluations d'assurance ou d'experts, des barèmes officiels pour les objets de collection.
Rien ne dit que cet impôt sera maintenu et appliqué. Les incertitudes sur l'avenir du projet de budget sont nombreuses. À ce jour, la seule certitude est que, s'il devait s'appliquer, cet impôt ne répondra pas aux enjeux de la période en matière de recettes publiques et de réduction des inégalités.
Il ne s'agit là que d'un nouvel « impôt symbole ». Or, la fiscalité a besoin de beaucoup plus qu'un nouveau symbole.
25.10.2025 à 11:51
Équipe de l'Observatoire
Le gouvernement a annoncé un nouveau plan anti-fraudes, sociales et fiscales, qui vise à renforcer les actions déjà engagées depuis deux ans. Les objectifs affichés sont somme toute classiques : prévenir et détecter, lutter et sanctionner, recouvrer les sommes dues. Au-delà des formules, un regard approfondi s'impose cependant, tant la question de la lutte contre la fraude est importante et sensible.
Il ressort de la lecture de ce projet de loi un déséquilibre patent entre les mesures (…)
Le gouvernement a annoncé un nouveau plan anti-fraudes, sociales et fiscales, qui vise à renforcer les actions déjà engagées depuis deux ans. Les objectifs affichés sont somme toute classiques : prévenir et détecter, lutter et sanctionner, recouvrer les sommes dues.
Au-delà des formules, un regard approfondi s'impose cependant, tant la question de la lutte contre la fraude est importante et sensible.
Il ressort de la lecture de ce projet de loi un déséquilibre patent entre les mesures relatives à la fraude sociale et celles relatives à la fraude fiscale. En effet, sur les 23 mesures qu'il contient, 3 concernent la lutte contre la fraude fiscale, 3 sont communes à la lutte contre la fraude fiscale et la fraude sociale, 16 concernent la lutte contre la fraude sociale et 1 concerne le blanchiment. Le projet de loi est donc très orienté vers la lutte contre la fraude sociale.
Il reste à déterminer précisément le sens général de ce projet et les fraudes nommées et visées. Sur quelques points, le gouvernement semble avoir tiré quelques leçons des travaux menés sur la fraude sociale montrant qu'elle provient très majoritairement de la fraude aux cotisations sociales et de la fraude organisée par des professionnels.
On est loin ici du mythe du détournement d'un assistanat généralisé et généreux ressassé à l'envi par les conservateurs et l'extrême droite, désormais tous unis pour en finir avec la redistribution et la solidarité. Parmi ces mesures, certaines renforcent la coopération et l'échange d'informations entre les administrations fiscales douanières et sociales afin de mieux détecter des formes de fraudes organisées. On retrouve par ailleurs des mesures prévoyant une aggravation des peines des acteurs qui font la promotion de la fraude et qui la facilitent, ou encore le renforcement des sanctions en cas d'avoirs financiers détenus dans des trusts non déclarés. Tout cela est objectivement intéressant, sous réserve que ces mesures soient réellement appliquées et que les administrations qui en ont la charge aient les moyens de les mettre en œuvre, ce qui est très loin d'être le cas.
Au-delà de ces mesures, il est clair que, dans l'ensemble, l'équilibre général du texte penche nettement vers la lutte contre la fraude sociale et non vers celle contre la fraude fiscale. De ce point de vue, la continuité avec les autres gouvernements est claire.
Sans revenir sur l'ensemble des mesures, on reviendra sur deux points peu mis en avant dans le débat public sur ce projet.
Le premier concerne son contenu. On a du mal à voir dans ce projet une évolution franche et globale. C'est d'ailleurs l'avis du Conseil d'État qui, saisi en juillet, a rendu son avis le 11 septembre sur ce projet de loi dans lequel il estime que « le projet de loi ne contient pas de réforme d'ampleur des outils de lutte contre les fraudes sociales et fiscales, mais rassemble diverses dispositions visant à améliorer, par des modifications ciblées de procédures et mécanismes existants, l'efficacité des contrôles, des sanctions et des procédures de recouvrement des créances ».
En d'autres termes, il n'y a pas de « révolution » dans les mesures annoncées. Celles-ci n'ont d'ailleurs pas fait l'objet d'une étude d'impact chiffrée. Or, pour le Conseil d'État,
« le Gouvernement doit enrichir l'étude d'impact d'informations précises et chiffrées évaluant l'impact d'ensemble que le projet de loi est susceptible d'avoir sur les finances publiques ». Toutefois, l'empressement du gouvernement à vouloir élargir l'accès direct aux fichiers de l'administration fiscale est relevé par le Conseil d'État qui estime qu'avec une telle disposition, « le projet de loi apporte au régime du secret fiscal une nouvelle dérogation ». Il souhaite que celle-ci soit plus encadrée.
Le second point est plus global, pour ne pas dire fondamental. Plusieurs mesures de ce projet de loi sont destinées à renforcer la coopération entre les administrations fiscales, douanières et « sociales » (les URSSAF). Elles s'inscrivent dans une évolution déjà entamée : l'harmonisation progressive des procédures dans la lutte contre les fraudes publiques (soit la somme des fraudes fiscales, sociales et aux aides publiques) et une coopération renforcée dont l'une des conséquences est la transmission de données et informations plus nombreuses de l'administration fiscale vers la sphère sociale. Sans aller jusqu'à dire que cette évolution préfigure la création à terme d'une vaste entité unique regroupant ces administrations (les obstacles étant nombreux), il faut relever cette tendance profonde, à l'œuvre depuis plusieurs années.
Cette tendance, qui appellerait un débat long et nourri, s'accompagne d'une orientation politique qui vise à privilégier la lutte contre la fraude sociale et, « en même temps », poursuit la baisse des moyens alloués à l'administration fiscale qui, elle, ne cesse de perdre des emplois.
Pour en savoir plus :
- [Rapport] Fraude fiscale, sociale, aux prestations sociales : Ne pas se tromper de cible
- Retour sur la fraude aux finances publiques
22.10.2025 à 10:00
Équipe de l'Observatoire
La présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, a récemment déclaré sur France 2 que l'héritage était « un truc qui tombe du ciel », elle a de nouveau * appelé à davantage taxer les héritages. Cette déclaration a suscité de nombreuses réactions, pour la plupart empreintes d'idées fausses et trompeuses. Attac s'est exprimée à plusieurs reprises ** sur cette question. Nous y revenons ici en 4 points.
** 1/ Les vrais libéraux devraient demander un renforcement des droits de (…)
La présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, a récemment déclaré sur France 2 que l'héritage était « un truc qui tombe du ciel », elle a de nouveau * appelé à davantage taxer les héritages. Cette déclaration a suscité de nombreuses réactions, pour la plupart empreintes d'idées fausses et trompeuses. Attac s'est exprimée à plusieurs reprises ** sur cette question. Nous y revenons ici en 4 points.
De longue date, certains « vrais libéraux » ont émis le souhait que la transmission de patrimoine soit fortement taxée. Selon eux, on ne doit pas réussir dans la vie grâce à l'héritage, mais par son mérite (pour Warren Buffett : « une personne très riche doit laisser suffisamment à ses enfants pour qu'ils fassent ce qu'ils veulent, mais pas trop pour qu'ils ne fassent rien ». Pour eux, personne ne doit bénéficier d'une rente et bénéficier de privilèges dans l'accès aux ressources. Au contraire, il faut valoriser le travail, ce que l'héritage ne permet pas, ou du moins, freine, et ainsi mettre fin au privilège de naissance.
► Les partisans d'une baisse des droits de donation et de succession [1] ne peuvent se réclamer du libéralisme au sens historique du terme.
Les pourfendeurs de la fiscalité du patrimoine font valoir peu d'arguments. Ils parlent d'impôt sur la mort et de la nécessité de transmettre à ses enfants le fruit d'une vie de travail. Ces éléments de langage sont strictement les mêmes que ceux de Georges Bush aux États-Unis dans les années 2000 lorsqu'il voulait supprimer ces impôts qui ne concernaient que les multimillionnaires. Transmettre à ses enfants le « fruit d'une vie de travail » sans droit de succession ? C'est déjà le cas, compte tenu des abattements prévus. Seules 15 % des successions dépassent le cap de 100 000 euros, 62 % portent sur 30 000 euros, 35 % sur moins de 8 000 euros. Près de la moitié des ménages français ne touchent aucun héritage au cours de leur vie et 80 % ne reçoivent aucune donation du vivant de leurs proches ». Et près de 87 % des successions ne donnent lieu à aucun impôt.
► L'argumentaire relève de la manipulation : il s'agit de rendre populaire une proposition particulièrement injuste qui ne concernera pas l'immense majorité de la population, encore plus que la suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF, transformé en impôt sur la fortune immobilière, IFI).
L'INSEE a mesuré que la moitié de la population la plus aisée détient 90 % du total du patrimoine des ménages. En 2021, les 10 % les plus aisés détenaient 47,1 % du patrimoine contre 41,3 % en 2010. En leur sein, les 1 % les plus riches en détiennent 15 %.Cette concentration des richesses s'accompagne d'une montée de la part du patrimoine hérité. Actuellement, 60 % des patrimoines sont hérités, contre 35 % au début des années 1970. La financiarisation de l'économie, les baisses d'impôts au profit des plus riches et des grandes entreprises (lesquelles versent des dividendes à leurs actionnaires, notamment aux « gros actionnaires ») ou encore les dispositifs permettant de réduire les droits de donation et de succession expliquent cette tendance. Nous assistons ainsi à la reconstitution d'une société de rentiers.
► Baisser ou supprimer les droits de donation et de succession, c'est faire exploser les inégalités.
Les droits de donation et de succession ont toujours été plus rentables que l'ISF et, a fortiori, que l'IFI. Ils dégagent un rendement d'environ 20 milliards d'euros.
► Baisser ou supprimer les droits de donation et de succession, c'est accentuer l'austérité sur la population dont l'immense majorité ne paie pas ces impôts.
Pour dégager des recettes utiles à la bifurcation sociale et écologique et réduire les inégalités, les droits de donation et de succession méritent une réforme visant à les rendre véritablement progressifs. Cela passe par un plafonnement du dispositif « Dutreil » (une exonération de 75 % de la valeur des titres d'une société transmis par voie de donation et/ou de succession), une révision des barèmes encore familialisés (les barèmes diffèrent selon les liens de parenté) et l'instauration d'abattements équitables pour exonérer les patrimoines faibles ou de moyenne importance.
* Lire : On reparle de la taxation des super héritages
**Lire : Réhabiliter les droits de succession et de donation