11.07.2025 à 15:24
stagiairedecomm@iris-france.org
Jean-Pierre Cabestan est directeur de recherche émérite au CNRS rattaché à l’Institut de recherche sur l’Asie de l’Est de l’Inalco. Il est aussi chercheur à Asia Centre, Paris. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de son ouvrage « Deng Xiaoping. Révolutionnaire et modernisateur de la Chine ». Peut-on dire que Deng Xiaoping est le plus grand dirigeant chinois ? Celui qui a eu le plus d’impact ? Plus que Mao ou Xi Jinping ? Ces trois dirigeants sont importants et ont eu chacun à leur manière une influence énorme sur le cours de l’histoire contemporaine de la Chine. Si on tentait d’établir une hiérarchie, je mettrais Mao en tête, mais pour son rôle destructeur beaucoup plus que constructeur. Il a détruit la société chinoise traditionnelle, éliminé, souvent physiquement, les classes sociales qui lui déplaisaient (propriétaires fonciers, capitalistes, paysans riches, marchands). Il a aussi mis à mal les relations de la Chine avec le reste du camp socialiste. Au cours de la Révolution culturelle, il a enfin détruit l’appareil du Parti communiste chinois, avec l’aide des gardes rouges, avant de laisser à sa mort une Chine faible, pauvre et politiquement divisée. En revanche, Deng, après avoir pris part aux deux premières destructions de Mao, a lancé la fameuse politique de réformes et d’ouverture, qui a lâché la bride sur la société et a permis à cette dernière de se moderniser et de sortir de la misère, grâce en particulier au retour progressif de l’entreprenariat privé et aux investissements et technologies étrangères. Mais avec les limites que l’on sait en matière politique : rôle dirigeant du PC ; refus de toute démocratie pluraliste. Quant à Xi, il est censé avoir consolidé la prééminence du Parti, notamment par sa lutte féroce contre la corruption, et fait de la Chine une grande puissance à part entière, […]
L’article « Deng Xiaoping » – 4 questions à Jean-Pierre Cabestan est apparu en premier sur IRIS.
Jean-Pierre Cabestan est directeur de recherche émérite au CNRS rattaché à l’Institut de recherche sur l’Asie de l’Est de l’Inalco. Il est aussi chercheur à Asia Centre, Paris. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de son ouvrage « Deng Xiaoping. Révolutionnaire et modernisateur de la Chine ».
Peut-on dire que Deng Xiaoping est le plus grand dirigeant chinois ? Celui qui a eu le plus d’impact ? Plus que Mao ou Xi Jinping ?
Ces trois dirigeants sont importants et ont eu chacun à leur manière une influence énorme sur le cours de l’histoire contemporaine de la Chine. Si on tentait d’établir une hiérarchie, je mettrais Mao en tête, mais pour son rôle destructeur beaucoup plus que constructeur. Il a détruit la société chinoise traditionnelle, éliminé, souvent physiquement, les classes sociales qui lui déplaisaient (propriétaires fonciers, capitalistes, paysans riches, marchands). Il a aussi mis à mal les relations de la Chine avec le reste du camp socialiste. Au cours de la Révolution culturelle, il a enfin détruit l’appareil du Parti communiste chinois, avec l’aide des gardes rouges, avant de laisser à sa mort une Chine faible, pauvre et politiquement divisée. En revanche, Deng, après avoir pris part aux deux premières destructions de Mao, a lancé la fameuse politique de réformes et d’ouverture, qui a lâché la bride sur la société et a permis à cette dernière de se moderniser et de sortir de la misère, grâce en particulier au retour progressif de l’entreprenariat privé et aux investissements et technologies étrangères. Mais avec les limites que l’on sait en matière politique : rôle dirigeant du PC ; refus de toute démocratie pluraliste. Quant à Xi, il est censé avoir consolidé la prééminence du Parti, notamment par sa lutte féroce contre la corruption, et fait de la Chine une grande puissance à part entière, à fois crainte et respectée. Mais parviendra-t-il à atteindre son pari ? En tout cas, je le mettrais en troisième position, derrière Mao et Deng en termes d’impact.
Deng Xiaoping a été victime de la grande révolution culturelle prolétarienne, mais Mao lui a toujours accordé une protection ultime…
Oui, ce qui frappe le plus lorsqu’on revisite la longue vie et carrière de Deng, c’est sa proximité de Mao, et ceci dès les années 1930, dans le Soviet du Jiangxi puis à Yan’an où la rébellion communiste s’est réfugiée en 1935 après la fameuse Longue Marche. Cette proximité va se renforcer après 1949 du moins jusqu’à l’échec du Grand Bond en avant (1958-1961). Après cette tragédie qui provoqua la mort d’au moins 30 millions de Chinois, Deng prend ses distances de Mao et se rapproche de Liu Shaoqi, encore successeur présumé de Mao, pour remettre l’économie sur pieds. Mao lui en tiendra rigueur et le limogera en 1967. Mais il le rappelle aux affaires dès 1973 car il sait qu’il peut compter sur lui pour prendre la succession d’un Zhou Enlai malade à la tête du gouvernement. Et même en 1976, alors que Deng est limogé une seconde fois avec le soutien des radicaux (la future « bande des quatre ») et remplacé par Hua Guofeng, Mao refuse de l’exclure du Parti, laissant sa succession en partie ouverte.
Deng Xiaoping a été victime de la grande révolution culturelle prolétarienne, mais Mao lui a toujours accordé une protection ultime…
Oui, dès la fin des années 1950, Mao a en réalité deux successeurs potentiels à l’esprit, non pas Liu Shaoqi, jugé pas assez loyal et trop pro-soviétique, mais Deng Xiaoping et un certain Lin Biao, maréchal et dès 1958 chef de l’Armée populaire de libération (APL), derrière Mao évidemment. Deng et Lin ont l’avantage de coller au président chinois dans son conflit idéologique avec l’Union soviétique et en particulier Khrouchtchev. Lors du lancement de la Révolution culturelle en 1966, pour les raisons que j’ai indiquées, Mao opte pour Lin Biao. Mais après la répression des gardes rouges par l’APL, ce dernier est jugé trop puissant et trop ambitieux par un Mao qui veut rester aux commandes jusqu’à sa mort. Il l’écarte progressivement, ce qui conduit Lin à fuir en 1971 vers l’Union soviétique qu’il n’atteindra pas, son avion s’étant écrasé en Mongolie extérieure. C’est pour cette raison que Mao se rabat, si on peut dire, sur Deng et le fait revenir aux affaires en 1973.
Deng Xiaoping n’a pas hésité à choisir la répression lorsqu’il a pensé que le parti communiste était en danger en 1989…
Effectivement. En ce sens, Deng a été très constant. Il n’a jamais été favorable à la démocratie. S’il a soutenu ce qu’il appelait la « petite démocratie » au cours du mouvement des Cent Fleurs en 1957, courte période de liberté de parole toute relative accordée aux intellectuels et aux élites, il a été le pilote du mouvement antidroitier qui a suivi et qui a conduit des centaines de milliers de personnes éduquées mais qui avaient eu le malheur de s’exprimer dans des camps de rééducation par le travail, souvent pour une très longue période. Bien qu’après son retour au pouvoir, il ait promu à la fin des années 1970 des responsables réformateurs comme Hu Yaobang et Zhao Ziyang, il les a par la suite limogés, les estimant trop libéraux et pas assez soucieux de préserver le rôle dirigeant du PC. Le premier dès 1987, le second lors du mouvement démocratique du printemps 1989 et juste avant le massacre de Tiananmen, le 4 juin. Cette dernière répression était directement motivée par la crainte de Deng de voir le régime politique évoluer vers autre chose au moment où les autres pays socialistes connaissaient un véritable début de démocratisation : le 4 juin était aussi le jour où les premières élections démocratiques se déroulaient en Pologne. D’où la bifurcation chinoise, une bifurcation que les successeurs de Deng ont confirmée et que Xi a consolidée, au risque de remettre en cause l’héritage de Deng pour ce qui concerne le principe de la « direction collective », l’élimination du culte de la personnalité et l’institution d’une transmission régulière du pouvoir suprême tous les dix ans.
Cet article est également disponible sur mon blog et sur Médiapart
L’article « Deng Xiaoping » – 4 questions à Jean-Pierre Cabestan est apparu en premier sur IRIS.
11.07.2025 à 10:55
Coline Laroche
Dès son arrivée à la tête du Parti communiste chinois (PCC) en 2013, Xi Jinping montre son ambition de faire de la Chine une puissance à l’échelle internationale. Économiquement, le pays est devenu la deuxième puissance mondiale. Militairement, la Chine s’impose, les menaces envers Taïwan perdurent, et les tensions en mer de Chine méridionale s’intensifient. Diplomatiquement, l’Empire du Milieu étend son influence en Asie, en Afrique, au Moyen-Orient et en Amérique du Sud. Pour ce faire, les moyens sont divers : ouverture économique et touristique, alliances via le projet de la Belt and Road Initiative (BRI), les Nouvelles routes de la Soie ou encore la promotion d’une image douce de la Chine. Cette stratégie officielle peut être qualifiée de soft power (puissance douce). Défini par Joseph Samuel Nye en 1990, observant l’influence des États-Unis sur le monde après la deuxième guerre mondiale, le soft power est la capacité d’un pays à séduire et attirer, à l’opposé du hard power (puissance dure, en chinois yìng shí lì 硬实⼒) exercé par la force et la puissance militaire. Le soft power (en chinois ruan shi li (软实⼒), est déclaré partie intégrante de la stratégie pékinoise en 2007 lors du XVIIème Congrès du PCC. C’est pour la Chine le moyen de devenir une puissance complète, sans recourir au seul hard power. En 2019, la Chine était 27e sur 30 du classement The Soft Power 30. Si Pékin l’utilise aujourd’hui, il n’en reste pas moins que l’application du soft power n’est pas identique dans une démocratie et dans un pays au pouvoir autoritaire. Dans les années 2000, Joseph S. Nye décrivait déjà les opérations d’influence chinoises comme une tentative de manipulation de l’opinion publique, en Chine et à l’étranger, allant à contre sens de sa définition même de soft power. En 2017, Christopher Walker et […]
L’article Les médias chinois, outil d’expression stratégique et instrument de pouvoir du Parti communiste chinois depuis 2013 est apparu en premier sur IRIS.
Dès son arrivée à la tête du Parti communiste chinois (PCC) en 2013, Xi Jinping montre son ambition de faire de la Chine une puissance à l’échelle internationale. Économiquement, le pays est devenu la deuxième puissance mondiale. Militairement, la Chine s’impose, les menaces envers Taïwan perdurent, et les tensions en mer de Chine méridionale s’intensifient. Diplomatiquement, l’Empire du Milieu étend son influence en Asie, en Afrique, au Moyen-Orient et en Amérique du Sud. Pour ce faire, les moyens sont divers : ouverture économique et touristique, alliances via le projet de la Belt and Road Initiative (BRI), les Nouvelles routes de la Soie ou encore la promotion d’une image douce de la Chine. Cette stratégie officielle peut être qualifiée de soft power (puissance douce). Défini par Joseph Samuel Nye en 1990, observant l’influence des États-Unis sur le monde après la deuxième guerre mondiale, le soft power est la capacité d’un pays à séduire et attirer, à l’opposé du hard power (puissance dure, en chinois yìng shí lì 硬实⼒) exercé par la force et la puissance militaire. Le soft power (en chinois ruan shi li (软实⼒), est déclaré partie intégrante de la stratégie pékinoise en 2007 lors du XVIIème Congrès du PCC. C’est pour la Chine le moyen de devenir une puissance complète, sans recourir au seul hard power.
En 2019, la Chine était 27e sur 30 du classement The Soft Power 30. Si Pékin l’utilise aujourd’hui, il n’en reste pas moins que l’application du soft power n’est pas identique dans une démocratie et dans un pays au pouvoir autoritaire. Dans les années 2000, Joseph S. Nye décrivait déjà les opérations d’influence chinoises comme une tentative de manipulation de l’opinion publique, en Chine et à l’étranger, allant à contre sens de sa définition même de soft power. En 2017, Christopher Walker et Jessica Ludwig, chercheurs du think tank National Endowment for Democracy, inventent la notion de sharp power comme « le pouvoir qui perce, pénètre et perfore l’environnement politique et informationnel des pays-cibles ». Jean-Pierre Cabestan, sinologue spécialiste du droit et des institutions du monde chinois contemporain, écrit que « la promotion de la puissance douce chinoise semble conçue comme une entreprise étatique et dirigée par le parti communiste, et non comme le résultat d’un rayonnement culturel provenant directement de la société ». Ainsi, le contrôle qu’exerce le PCC transforme le soft power en sharp power, reposant sur des caractéristiques similaires, ce qui nécessite donc de connaître les intentions de celui qui le pratique. Soft power et sharp power apparaissent indissociables et le sharp power ne peut alors évoluer en dehors des notions de soft power et de hard power.
L’article Les médias chinois, outil d’expression stratégique et instrument de pouvoir du Parti communiste chinois depuis 2013 est apparu en premier sur IRIS.
11.07.2025 à 10:37
stagiairedecomm@iris-france.org
Donald Trump opère une véritable révolution stratégique. Mais, à la différence des alliés asiatiques qui optent pour une politique de de-risking vis-à-vis des États-Unis, les alliés occidentaux restent, eux, sous pression américaine. Cela peut en partie s’expliquer par la perception prégnante d’une menace militaire russe imminente, alors que la Chine reste surtout une menace stratégique pour Taïwan. Cette crainte d’un lâchage américain pousse les Européens à accepter plus de concessions, au détriment de leur autonomie stratégique. Face à une attitude encore plus brutale de Donald Trump, l’Europe semble comme paralysée face à la politique de soumission et aux attaques étatsuniennes à l’encontre de leurs partenaires.
L’article L’Europe, à la croisée des chemins, choisie le surplace est apparu en premier sur IRIS.
Donald Trump opère une véritable révolution stratégique. Mais, à la différence des alliés asiatiques qui optent pour une politique de de-risking vis-à-vis des États-Unis, les alliés occidentaux restent, eux, sous pression américaine. Cela peut en partie s’expliquer par la perception prégnante d’une menace militaire russe imminente, alors que la Chine reste surtout une menace stratégique pour Taïwan.
Cette crainte d’un lâchage américain pousse les Européens à accepter plus de concessions, au détriment de leur autonomie stratégique. Face à une attitude encore plus brutale de Donald Trump, l’Europe semble comme paralysée face à la politique de soumission et aux attaques étatsuniennes à l’encontre de leurs partenaires.
L’article L’Europe, à la croisée des chemins, choisie le surplace est apparu en premier sur IRIS.