14.06.2025 à 02:45
Human Rights Watch
La semaine dernière marquait trois mois depuis l'arrestation au Tchad d'Olivier Monodji, directeur de publication de l’hebdomadaire Le Pays et correspondant de Radio France Internationale, et de Mahamat Saleh Alhissein, reporter de la chaîne publique Télé Tchad. Leur affaire concerne aussi d’autres co-accusés. Les procureurs ont allégué que les journalistes étaient de connivence avec le groupe Wagner, un groupe mercenaire russe présent en Afrique centrale et au Sahel, et les ont accusés d'espionnage, de conspiration et de mise en danger de la sécurité de l'État.
Parmi les preuves dans cette affaire figurent des documents qui auraient été traduits du français à l'arabe par Mahamat Saleh Alhissein et un article d’Olivier Monodji dans Le Pays sur l'ouverture d'un centre culturel russe.
Les journalistes semblent avoir été pris pour cible en raison de leurs liens présumés avec le groupe Wagner, dont les affaires au Tchad sont un sujet sensible. En 2023, les médias ont rapporté des preuves d'un complot de ce groupe mercenaire contre le Tchad. Le groupe soutient activement divers groupes armés dans presque tous les pays environnants. Human Rights Watch a précédemment documenté comment des Russes soupçonnés d'appartenir au groupe Wagner ont joué un rôle déterminant dans la répression autoritaire en République centrafricaine voisine.
Cette semaine, un juge qui enquêtait sur cette affaire depuis deux mois a requalifié les charges en vertu de l'article 95 du Code pénal tchadien, qui concerne l’« entretien avec les agents d'une puissance étrangère d’[…] intelligences, » passible d'une peine d'un à cinq ans, et a renvoyé les accusés devant le tribunal. Leur détention a toutefois été prolongée, malgré le rejet des accusations plus graves d’attentat et de complot contre l’État. Leur maintien en détention bafoue le droit relatif aux droits humains, qui prévoit que les accusés ne doivent en général pas être placés en détention provisoire, et reflète une tendance inquiétante à la répression.
À l'approche des élections de 2024, les autorités tchadiennes ont pris pour cible les médias, la société civile et les voix de l'opposition. Elles ont révoqué les licences de certains médias, interdit la couverture médiatique des rassemblements politiques, coupé l'accès à Internet, suspendu des plateformes médiatiques et proféré des menaces juridiques pour faire taire la dissidence. Succès Masra, ancien Premier ministre et dirigeant du principal parti d'opposition du Tchad, est détenu depuis près d'un mois. Il est accusé d'incitation à la haine et à la violence par le biais de publications sur les réseaux sociaux.
Le Tchad est particulièrement instable depuis la mort en 2021 de l’ex-président Idriss Déby Itno, père de l’actuel président Mahamat Idriss Déby ; ce décès avait marqué le début d'une période de transition entachée de violences, de troubles de l’ordre public et de bains de sang. Quelques mois avant les élections de 2024, un éminent opposant politique a été tué lors d'une attaque dans la capitale du Tchad, N’Djamena.
Cependant, aucun de ces éléments ne justifie la détention prolongée des journalistes, laquelle exigerait des preuves individuelles de la nécessité et de la légalité d’une telle détention. Le gouvernement tchadien devrait respecter son engagement en faveur d'une procédure régulière, veiller à ce que ces hommes soient libérés et garantir un procès équitable.
13.06.2025 à 17:33
Human Rights Watch
Cinq ans après avoir accueilli les Jeux olympiques de Tokyo de 2020, et quatre ans après les Jeux paralympiques de 2021, le Japon prend enfin des mesures pour protéger les athlètes contre les abus dans le sport. Ce mois-ci, le Parlement japonais (« Kokkai », ou Diète nationale) a adopté une révision de la Loi fondamentale sur le sport (« Basic Act on Sport ») de 2011. Cet amendement législatif exige du gouvernement japonais, au niveau national et local, qu'il adopte des mesures contre toute forme d'abus physique ou sexuel, ainsi que contre les violences verbales et d’autre abus commis par des entraîneurs et d'autres personnes en position de pouvoir dans le monde du sport.
En juillet 2020, Human Rights Watch a publié un rapport documentant le recours aux châtiments corporels dans le sport au Japon ; le rapport dénonçait les abus systémiques envers les enfants dans le cadre des entraînements sportifs, du niveau scolaire jusqu'aux institutions d'élite. Nous avons appelé à l'interdiction de toute forme d'abus envers les enfants athlètes dans le sport organisé. Peu après, nous avons lancé avec des organisations partenaires, la campagne internationale #AthletesAgainstAbuse (« Athlètes anti-abus »), visant à mettre fin aux abus dans le sport.
Ces réformes restent tout à fait nécessaires. En avril dernier au Japon, un entraîneur de baseball d'un lycée a été sanctionné pour avoir giflé des joueurs. En février, un entraîneur de kendo dans un collège a été sanctionné pour avoir frappé des élèves avec un « shinai » (bâton de kendo) et refusé de laisser boire de l'eau à un élève malade pendant un entraînement d'été.
Des initiatives courageuses prises par des athlètes japonais, ainsi que des pressions nationales et internationales, ont contribué à accélérer la réforme juridique.
En août 2020, le Comité international olympique a demandé au Comité olympique japonais de mettre fin aux abus et au harcèlement dans le sport japonais. En avril 2023, six grandes instances sportives japonaises ont lancé la campagne « Non au harcèlement sportif » pour sensibiliser le public à ce problème.
D’autres acteurs ont aussi agi dans ce sens. L’Agence japonaise des sports (Japan Sports Agency, JSA), chargée de la promotion du sport dans ce pays, a publié une liste de lignes d'assistance téléphonique pour signaler les abus pour chaque organisation sportive. L’Association japonaise des sports (Japan Sport Association, JSPO), a mis en place un code disciplinaire pour les entraîneurs. La JSA prévoit également d'établir des lignes directrices concernant des sanctions disciplinaire en cas d’abus commis par des entraîneurs dans les écoles.
L'amendement à la Loi fondamentale sur le sport pourrait marquer un tournant et mettre fin à la tradition du recours à la violence physique comme technique d'entraînement. Mais le Premier ministre japonais Shigeru Ishiba ne devrait pas s'arrêter là. Pour lutter contre les abus dans le sport, il devrait également créer un organisme indépendant chargé exclusivement de signaler et de sanctionner les abus envers les enfants dans le sport. Ce serait une importante avancée si le Japon souhaite sérieusement mettre fin aux abus envers ses athlètes.
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13.06.2025 à 16:29
Human Rights Watch
Le Comité des droits de l'homme des Nations Unies a rendu une décision historique, tenant le Guatemala responsable de la violation des droits de Fátima, une adolescente de 13 ans contrainte de poursuivre une grossesse suite à un viol et de devenir mère alors qu'elle était encore enfant. Cette décision met en évidence la nécessité pour le Guatemala d'agir pour prévenir les violences sexuelles et garantir que les survivantes, en particulier les filles, reçoivent le soutien et la justice qu'elles méritent.
Le Comité a estimé que l'absence d'enquête du Guatemala sur les nombreux viols subis par Fátima et l'absence de poursuites contre l'auteur des viols, un enseignant ayant aussi travaillée comme fonctionnaire pour l’Etat, constituaient une violation des droits de Fátima au titre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Comité a conclu que son droit à une vie digne avait été lésé en raison de l'impact de la grossesse, due à un viol, sur sa santé mentale, physique et sociale, ainsi que sur d’autres facettes de sa vie. Le Comité a souligné que le fait de forcer Fátima à mener sa grossesse contre son gré l'avait soumise à des traitements assimilables à de la torture et avait mis sa vie en danger. Le Comité a en outre constaté que Fátima manquait de recours efficaces en raison de l'incapacité du gouvernement à lui garantir l'accès à une éducation sexuelle complète et à l'avortement. Bien que le cadre juridique guatémaltèque autorise l'avortement thérapeutique – une option envisageable en cas de risque vital pour la personne enceinte –, les filles ne sont souvent pas informées de leur droit à ces soins, ce qui les prive de fait du soutien nécessaire.
Le cas de Fátima illustre une tendance plus large à la violence sexuelle, un problème omniprésent et systémique au Guatemala. Entre 2018 et 2024, 14 696 filles de moins de 14 ans ont accouché et sont devenues mères, souvent contre leur gré. Les recherches de Human Rights Watch montrent que les filles ayant subi des violences sexuelles au Guatemala sont souvent exclues de l'éducation, peinent à accéder aux soins de santé et à la sécurité sociale, et se heurtent à d'énormes obstacles pour accéder à la justice. Le Guatemala manque d'une approche centrée sur les droits des enfants et tenant en compte les questions liées au genre, face au problème des violences sexuelles. Les filles autochtones et les filles malentendantes sont confrontées à des difficultés supplémentaires en raison des barrières linguistiques, entre autres.
La récente décision du Comité des droits de l'homme des Nations Unies représente une étape cruciale dans la défense des droits des femmes et des filles au Guatemala et est le fruit de plusieurs années de plaidoyer du mouvement « Niñas, No Madres » (« Des filles, pas des mères »).
Le Guatemala a besoin de réformes globales pour mieux prévenir les violences sexuelles, notamment contre les filles, et pour garantir aux filles un accès complet aux soins de santé, à l'éducation, à la sécurité sociale et à la justice, y compris à des réparations adéquates.
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